CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. PHILIPPE LÉGER
présentées le 5 octobre 2006 ( 1 )
Affaire C-110/05
Commission des Communautés européennes
contre
République italienne
«Manquement d’État — Article 28 CE — Notion de ‘mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives à l’importation’ — Interdiction aux cyclomoteurs, aux motocycles, aux tricycles et aux quadricycles de tirer une remorque sur le territoire d’un État membre — Sécurité routière — Accès au marché — Entrave — Proportionnalité»
1. Par le présent recours, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE, en maintenant une réglementation qui interdit aux cyclomoteurs de tirer une remorque.
I — Le cadre juridique
A — Le droit communautaire
1. Le traité instituant la Communauté européenne
2. L’article 28 CE dispose que:
«Les restrictions quantitatives à l’importation, ainsi que toutes mesures d’effet équivalent, sont interdites entre les États membres.»
3. Aux termes de l’article 30 CE, les interdictions ou restrictions à l’importation entre les États membres qui sont justifiées, notamment, par des raisons de sécurité publique et de protection de la santé et de la vie des personnes sont autorisées, pourvu qu’elles ne constituent ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce intracommunautaire.
2. La réglementation relative aux procédures de réception et d’homologation des véhicules à moteur à deux ou trois roues
4. La directive 92/61/CEE du Conseil ( 2 ) a été adoptée afin d’établir une procédure de réception communautaire ( 3 ) des véhicules à moteur à deux ou trois roues.
5. Ainsi qu’il ressort clairement de l’exposé des motifs de cette directive, cette procédure a pour but de garantir le fonctionnement du marché intérieur en éliminant les entraves techniques aux échanges dans le secteur des véhicules à moteur ( 4 ). Elle vise également à contribuer à l’amélioration de la sécurité routière ainsi qu’à la protection de l’environnement et des consommateurs ( 5 ).
6. Afin de permettre la mise en œuvre de cette procédure de réception communautaire, ladite directive prévoit une harmonisation totale des exigences techniques auxquelles ces véhicules doivent satisfaire ( 6 ). Elle prévoit aussi que les prescriptions techniques applicables aux différents éléments et caractéristiques desdits véhicules soient harmonisées dans le cadre de directives particulières ( 7 ).
7. Aux termes de son article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, la directive 92/61 s’applique «à tout véhicule à moteur à deux ou trois roues, jumelées ou non, destiné à circuler sur la route, ainsi qu’à ses composants ou entités techniques».
8. Conformément à l’article 1er, paragraphes 2 et 3, de cette même directive, les véhicules visés sont les cyclomoteurs ( 8 ), les motocycles, les tricycles ainsi que les quadricycles.
9. Les prescriptions relatives aux masses et dimensions des véhicules à moteur à deux ou trois roues ont été harmonisées dans le cadre de la directive 93/93/CEE du Conseil ( 9 ).
10. D’autres exigences techniques relatives, notamment, aux dispositifs d’attelage et de fixation desdits véhicules ont fait l’objet d’une harmonisation dans le cadre de la directive 97/24/CE du Parlement européen et du Conseil ( 10 ).
11. Les directives 93/93 et 97/24 énoncent chacune, dans le cadre de leur préambule, que les prescriptions qu’elles édictent ne peuvent pas avoir pour objet ou pour effet d’obliger les États membres qui ne permettent pas, sur leur territoire, que des véhicules à moteur à deux roues tirent une remorque à modifier leurs réglementations ( 11 ).
B — Le droit national
12. L’article 53 du décret législatif no 285 (decreto legislativo n. 285), du 30 avril 1992 ( 12 ), définit les cyclomoteurs comme «tout véhicule à moteur à deux, trois ou quatre roues», ces derniers constituant la catégorie des «quadricycles à moteur».
13. Aux termes de l’article 54 du code de la route, les véhicules automobiles sont des véhicules à moteur comptant au moins quatre roues, à l’exclusion des cyclomoteurs.
14. Conformément à l’article 56 dudit code, seuls sont autorisés à tirer une remorque les véhicules automobiles, les trolleybus ( 13 ) et les tracteurs automobiles.
II — La procédure précontentieuse
15. À la suite d’un échange de correspondance entre la République italienne et la Commission, cette dernière, estimant que cet État membre avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE en édictant la réglementation en cause, a, par lettre du 3 avril 2003, mis celui-ci en demeure de présenter ses observations.
16. Dans sa lettre en réponse, en date du 13 juin 2003, la République italienne s’engageait à procéder aux modifications de la réglementation nationale nécessaires et à éliminer l’obstacle mis aux importations signalé par la Commission. Cet État membre précisait, en outre, que ces modifications concernaient non seulement la réception des véhicules, mais également l’immatriculation, la circulation et les contrôles sur la route des remorques (révisions).
17. La Commission n’a toutefois reçu aucune autre communication relative à l’adoption desdites modifications et a donc adressé à la République italienne, le 19 décembre 2003, un avis motivé l’invitant à prendre les mesures nécessaires pour se conformer aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE dans un délai de deux mois à compter de la notification de cet avis. Celui-ci étant resté sans réponse, la Commission a introduit le présent recours sur le fondement de l’article 226 CE,
par requête déposée au greffe de la Cour le 4 mars 2005.
III — Le recours
18. La Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour:
— constater que la République italienne, en interdisant aux cyclomoteurs de tirer des remorques, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE;
— condamner la République italienne aux dépens de l’instance.
19. La République italienne demande à la Cour de rejeter le recours.
IV — Sur le manquement
A — Les principaux arguments des parties
20. La Commission reproche à la République italienne de méconnaître le principe de la libre circulation des marchandises édicté à l’article 28 CE en interdisant aux cyclomoteurs de tirer une remorque.
21. À l’appui de ce grief, la Commission rappelle tout d’abord que, en l’absence de législation communautaire harmonisée relative à l’homologation, à l’immatriculation et à la circulation des remorques pour cyclomoteurs, les articles 28 CE et 30 CE s’appliquent.
22. La Commission souligne, ensuite, que la mesure en cause a pour effet d’empêcher l’utilisation des remorques légalement produites et commercialisées dans les autres États membres, ce qui entraverait leur importation et leur vente en Italie. Selon elle, une telle mesure, qui constituerait un obstacle aux importations au sens de l’article 28 CE, ne pourrait être jugée compatible avec le traité que si elle était justifiée par l’une des raisons d’intérêt général énumérées à l’article 30 CE ou par
l’une des exigences impératives consacrées par la jurisprudence de la Cour.
23. À cet égard, la Commission relève que le fait que la République italienne autorise des cyclomoteurs immatriculés dans d’autres États membres et tirant des remorques à circuler sur son territoire prouve que l’interdiction de remorquage en cause ne répond à aucune exigence en matière de sécurité routière.
24. Enfin, la Commission note que les considérants des directives 93/93 et 97/24, invoqués par la République italienne au soutien de la réglementation en cause, n’ont aucun caractère obligatoire et ne sauraient avoir pour objet ou pour effet de rendre compatibles avec le droit communautaire des réglementations nationales telles que celle en cause dans le présent litige. À cet égard, la Commission rappelle la jurisprudence constante de la Cour relative à la primauté du droit primaire sur le droit
dérivé.
25. En réponse à ces arguments, la République italienne rétorque que l’infraction qui lui est reprochée concerne l’interdiction pour les cyclomoteurs immatriculés en Italie de tirer des remorques et non le refus d’immatriculation d’un cyclomoteur et d’une remorque fabriqués dans un autre État membre et destinés à être commercialisés sur le territoire italien.
26. La République italienne soutient, en outre, que la réserve figurant aux derniers considérants des directives 93/93 et 97/24 autorise la mesure litigieuse. Selon elle, une telle réserve s’explique en raison des différences de reliefs qui existent entre les territoires nationaux. Celle-ci ne pourrait être levée que si les règles techniques relatives à l’homologation, à l’immatriculation et à la circulation sur route des remorques tractées par des véhicules à moteur à deux ou trois roues étaient
harmonisées ( 14 ). Or, la République italienne relève que le droit communautaire applicable ne prévoit pas une telle harmonisation. Dès lors, la reconnaissance mutuelle des remorques demeurerait un pouvoir discrétionnaire des États membres.
27. La République italienne souligne, enfin, que les caractéristiques techniques des véhicules sont importantes du point de vue de la sécurité routière. À cet égard, les autorités italiennes considèrent que, en l’absence de normes d’homologation relatives aux véhicules tractant une remorque, les conditions de sécurité requises ne sont pas réunies.
B — Appréciation
28. Le recours de la Commission tend à faire constater par la Cour que, en interdisant aux cyclomoteurs de tirer une remorque, la réglementation italienne introduit une entrave à la libre circulation des marchandises contraire au traité.
29. Il convient de relever, à titre liminaire, que les dispositions de droit dérivé qui ont été invoquées ne réglementent pas les caractéristiques techniques auxquelles doivent satisfaire les cyclomoteurs tractant une remorque. Les mesures nationales concernant cette question ne font donc pas l’objet d’une harmonisation au niveau communautaire.
30. Néanmoins, en l’absence de règles communes ou harmonisées, les États membres restent tenus de respecter les libertés fondamentales consacrées par le traité, au nombre desquelles figure la liberté de circulation des marchandises ( 15 ).
31. Cette liberté garantit notamment, aux termes de l’article 28 CE, la prohibition entre les États membres des restrictions quantitatives à l’importation ainsi que de toutes les mesures d’effet équivalent.
32. Il résulte d’une jurisprudence établie que constitue une mesure d’effet équivalant à une restriction quantitative, prohibée par l’article 28 CE, toute mesure étatique susceptible d’entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire ( 16 ). Ainsi, bien qu’une mesure n’ait pas pour objet de régler les échanges de marchandises entre les États membres, ce qui est déterminant c’est son effet sur le commerce intracommunautaire, qu’il soit actuel ou
potentiel.
33. En outre, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, en l’absence d’harmonisation des législations, des mesures indistinctement applicables aux produits nationaux et aux produits importés d’autres États membres sont susceptibles de constituer des restrictions à la libre circulation des marchandises ( 17 ).
34. Ces mesures peuvent néanmoins être justifiées si elles poursuivent des objectifs légitimes. En effet, il est jugé de manière constante qu’une réglementation nationale qui entrave la libre circulation des marchandises n’est pas nécessairement contraire au droit communautaire si elle peut être justifiée par l’une des raisons d’intérêt général énumérées à l’article 30 CE ou par l’une des exigences impératives consacrées par la jurisprudence de la Cour dans le cas où la réglementation nationale est
indistinctement applicable ( 18 ).
35. Toutefois, ainsi que le souligne la Cour, toute dérogation au principe fondamental de la libre circulation des marchandises doit faire l’objet d’une interprétation stricte ( 19 ). Chacune des justifications énoncées à l’article 30 CE doit donc être conçue de manière restrictive et cet article ne peut être étendu à des hypothèses autres que celles qui y sont limitativement énoncées. Dans ces conditions, il appartient aux autorités nationales de démontrer, d’une part, que leur réglementation est
nécessaire pour réaliser l’objectif visé et, d’autre part, que ladite réglementation est proportionnée au regard de celui-ci ( 20 ).
36. C’est à la lumière des principes ainsi rappelés qu’il convient d’examiner si la réglementation nationale en cause constitue une entrave à la libre circulation des marchandises prohibée par l’article 28 CE et, dans l’affirmative, si celle-ci peut trouver une justification.
1. Sur l’existence d’une entrave à la libre circulation des marchandises
37. Nous pensons que la réglementation nationale en cause dans le présent litige constitue une mesure d’effet équivalant à une restriction quantitative prohibée par l’article 28 CE.
38. D’une part, il ressort du dossier que l’interdiction en cause présente le caractère d’une mesure indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits importés des autres États membres. La République italienne souligne, en effet, dans son mémoire en duplique, que la mesure d’interdiction concerne toutes les remorques, indépendamment du lieu de leur fabrication ( 21 ).
39. D’autre part, il ne saurait être contesté que, en interdisant aux cyclomoteurs, de façon générale et absolue, sur l’ensemble du territoire italien, de tirer une remorque, la réglementation nationale en cause entrave la libre circulation des marchandises et, en particulier, celle des remorques.
40. En effet, bien que cette interdiction ne concerne que les cyclomoteurs, il nous semble que l’attelage d’une remorque à ce type de véhicule constitue, dans les milieux ruraux notamment, un mode de transport normal et fréquent. Or, cette réglementation, bien qu’elle n’interdise pas l’importation et la mise sur le marché en Italie des remorques, a pour effet de limiter leur utilisation sur l’ensemble du territoire italien. Nous sommes donc d’avis qu’une telle interdiction est susceptible de limiter
les possibilités d’échanges entre la République italienne et les autres États membres et d’entraver l’importation et la commercialisation en Italie de remorques, en provenance desdits États, alors qu’elles y sont légalement fabriquées et commercialisées.
41. Dans ces conditions, il nous semble que la réglementation nationale en cause constitue une mesure d’effet équivalant à une restriction quantitative, en principe prohibée par l’article 28 CE.
42. Il convient toutefois d’examiner si cette réglementation, malgré ses effets restrictifs sur le commerce intracommunautaire, peut être justifiée par l’une des raisons d’intérêt général énumérées à l’article 30 CE ou par l’une des exigences impératives consacrées par la jurisprudence de la Cour et, le cas échéant, si une telle restriction est apte à atteindre l’objectif visé et proportionnée à celui-ci.
2. Sur la justification éventuelle de l’entrave
43. Dans le présent litige, la République italienne soutient que l’interdiction en cause a été édictée dans le but de garantir la sécurité des conducteurs. Ce motif n’est pas expressément mentionné à l’article 30 CE et cette disposition, ainsi que nous l’avons indiqué, est d’interprétation stricte.
44. Nous pensons toutefois que la protection de la sécurité routière constitue un motif légitime susceptible de justifier, dans certaines circonstances, une entrave aux échanges de marchandises dans la Communauté.
45. En effet, il est incontestable que la sécurité routière constitue un objectif reconnu et poursuivi par le droit communautaire ( 22 ).
46. En outre, il convient de noter que, parmi les motifs de justification mentionnés à l’article 30 CE, figurent la sécurité publique ainsi que la protection de la santé et de la vie des personnes. Nous pensons que chacun de ces motifs doit naturellement s’entendre comme incluant la prévention des accidents de la circulation.
47. Enfin, la Cour a déjà admis, dans un arrêt du 11 juin 1987, Gofette et Gilliard ( 23 ), relatif à une mesure de contrôle imposée comme condition préalable à l’immatriculation d’un véhicule importé d’un autre État membre, qu’une entrave à la libre circulation des marchandises peut être justifiée sur la base de l’article 30 CE lorsque cette mesure s’avère nécessaire en vue de garantir la sécurité routière ( 24 ).
48. Dans ces conditions, nous sommes d’avis que la réglementation nationale en cause pourrait être justifiée sur la base de l’article 30 CE dans la mesure où celle-ci serait, d’une part, de nature à garantir la sécurité des conducteurs et, d’autre part, proportionnée au regard de cet objectif.
49. En ce qui concerne, premièrement, l’aptitude de la mesure en cause à atteindre l’objectif visé, il nous semble qu’une réglementation nationale qui interdit aux cyclomoteurs de tracter une remorque est susceptible, dans certains cas, de répondre à des préoccupations de sécurité routière.
50. En effet, il nous semble que l’attelage d’une remorque à un cyclomoteur peut, dans certaines circonstances, constituer un danger pour la circulation dans la mesure où ce véhicule est lent et empiète d’une manière importante sur la chaussée. Nous pouvons dès lors concevoir que la circulation de ce type de véhicule soit limitée sur certaines voies, comme les autoroutes ou les itinéraires particulièrement dangereux.
51. Dans ces conditions, il ne saurait être exclu, selon nous, que cette mesure puisse concourir à la sécurité routière.
52. En ce qui concerne, deuxièmement, la proportionnalité de ladite mesure, il convient de rappeler que, même s’il appartient aux États membres, en l’absence de règles harmonisées relatives à la circulation des cyclomoteurs tractant une remorque, de décider du niveau auquel ils entendent assurer la sécurité des conducteurs et de la manière dont ce niveau doit être atteint, ceux-ci ne peuvent cependant le faire que dans les limites tracées par le traité et, en particulier, dans le respect du principe
de proportionnalité.
53. Pour qu’une réglementation nationale soit conforme à ce principe, il importe de vérifier si les moyens qu’elle met en œuvre ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer la protection des intérêts visés.
54. Il convient, tout d’abord, de constater qu’une mesure nationale, telle que celle en cause dans le présent litige, apporte une restriction importante à la liberté des échanges entre les États membres.
55. En effet, il ressort des éléments indiqués dans le dossier que la mesure en cause comporte une prohibition générale et absolue. Cette mesure ne se borne pas à interdire la circulation des cyclomoteurs tractant une remorque dans des localités précises ou sur des itinéraires particuliers, mais s’applique sur l’ensemble du territoire italien, quelles que soient les infrastructures routières et les conditions de circulation.
56. Il convient, ensuite, de relever que les autorités italiennes ne font état d’aucun élément précis de nature à démontrer que les exigences imposées sont proportionnées aux fins d’une protection effective de la sécurité des conducteurs.
57. D’une part, la République italienne se borne à constater, d’une manière tout à fait générale, que «le relief des différents territoires nationaux n’est pas uniforme» et que «les caractéristiques techniques des véhicules sont importantes pour la sécurité des personnes et de la circulation».
58. D’autre part, la République italienne ne conteste pas que l’interdiction en cause ne concerne que les cyclomoteurs immatriculés en Italie ( 25 ). Les véhicules immatriculés dans les autres États membres seraient donc autorisés à circuler avec une remorque sur les routes italiennes.
59. Enfin, il nous semble que la sécurité des conducteurs visée par la réglementation en cause peut être garantie par des mesures moins restrictives du commerce intracommunautaire. Nous pensons, par exemple, qu’une interdiction sectorielle, applicable sur les itinéraires jugés dangereux, comme les franchissements alpins ou les voies publiques particulièrement fréquentées, participe à la poursuite de cet objectif. À cet égard, l’intention affichée par la République italienne de modifier sa
réglementation conformément au droit communautaire, corrobore, selon nous, cette analyse.
60. En tout état de cause, nous considérons qu’il incombait aux autorités italiennes d’examiner attentivement, avant l’adoption d’une mesure aussi radicale qu’une interdiction générale et absolue, la possibilité de recourir à des mesures moins restrictives de la liberté de circulation et de ne les écarter que si leur caractère inadéquat, au regard de l’objectif poursuivi, était clairement établi.
61. Au vu de ce qui précède, nous sommes donc d’avis qu’une interdiction générale et absolue, telle que celle en cause dans le présent litige, ne constitue pas une mesure proportionnée à l’objectif visé par les autorités nationales.
62. Par conséquent, nous pensons que la réglementation nationale litigieuse, en méconnaissant le principe de proportionnalité, ne peut être valablement justifiée pour des motifs liés à la sécurité routière. Selon nous, cette réglementation doit donc être déclarée incompatible avec l’article 28 CE.
63. Cette analyse ne nous paraît pas pouvoir être sérieusement contredite par l’argument développé par la République italienne, selon lequel les derniers considérants des directives 93/93 et 97/24 autoriseraient les États membres à maintenir une telle réglementation.
64. En effet, il ressort d’une jurisprudence établie que «le préambule d’un acte communautaire n’a pas de valeur juridique contraignante et ne saurait être invoqué ni pour déroger aux dispositions mêmes de l’acte concerné ni pour interpréter ces dispositions dans un sens manifestement contraire à leur libellé» ( 26 ).
65. En l’espèce, aucun des considérants visés par la République italienne n’est repris dans le corps même des directives. Or, ainsi que nous l’avions déjà souligné au point 70 de nos conclusions dans l’affaire Meta Fackler ( 27 ), si le préambule d’une directive permet, en principe, de donner à la Cour des indications sur l’intention du législateur et sur le sens à donner aux dispositions de celle-ci, il n’en reste pas moins que, lorsqu’une notion figurant dans un considérant ne trouve pas sa
concrétisation dans le corps même de la directive, c’est bien le contenu de celle-ci qui doit primer.
66. En tout état de cause, la Cour a itérativement jugé qu’une disposition de droit dérivé, en l’occurrence une directive, «ne saurait être interprété[e] comme autorisant les États membres à imposer des conditions qui seraient contraires aux règles du traité relatives à la circulation de marchandises» ( 28 ).
67. Dans ces conditions, nous pensons que la République italienne ne peut valablement se fonder sur les considérants des directives 93/93 et 97/24 pour justifier l’interdiction édictée par la réglementation litigieuse.
68. Compte tenu de ce qui précède, nous pensons que la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE, en adoptant et en maintenant en vigueur une réglementation qui interdit aux cyclomoteurs, immatriculés en Italie, de tirer une remorque.
V — Sur les dépens
69. Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République italienne et celle-ci ayant succombé en l’essentiel de ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
VI — Conclusion
70. Eu égard à l’ensemble de ces considérations, nous proposons à la Cour de:
— constater que la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE, en adoptant et en maintenant en vigueur une réglementation qui interdit aux cyclomoteurs, immatriculés en Italie, de tirer une remorque;
— condamner la République italienne aux dépens.
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( 1 ) Langue originale: le français.
( 2 ) Directive du 30 juin 1992, relative à la réception des véhicules à moteur à deux ou trois roues (JO L 225, p. 72).
( 3 ) Aux termes de l’article 2, point 6, de la directive 92/61, il faut entendre par «réception» l’acte par lequel un État membre constate qu’un type de véhicule satisfait aussi bien aux prescriptions techniques établies par des directives particulières qu’aux vérifications de l’exactitude des données du constructeur, énumérées à l’annexe I de ladite directive.
( 4 ) Voir premier à troisième, douzième et dernier considérants.
( 5 ) Voir dernier considérant.
( 6 ) Idem.
( 7 ) Voir huitième considérant.
( 8 ) Conformément à l’article 1er, paragraphe 2, premier tiret, de la directive 92/61, il faut entendre par «cyclomoteurs» les «véhicules à deux ou trois roues équipés d’un moteur d’une cylindrée ne dépassant pas 50 centimètres cubes si à combustion interne et ayant une vitesse maximale par construction ne dépassant pas 45 kilomètres par heure».
( 9 ) Directive du 29 octobre 1993, relative aux masses et dimensions des véhicules à moteur à deux ou trois roues (JO L 311, p. 76).
( 10 ) Directive du 17 juin 1997, relative à certains éléments ou caractéristiques des véhicules à moteur à deux ou trois roues (JO L 226, p. 1).
( 11 ) Voir derniers considérants desdites directives.
( 12 ) GURI no 114, du 18 mai 1992, ci-après le «code de la route».
( 13 ) Les trolleybus sont des véhicules à moteur électrique ne circulant pas sur des rails et qui sont reliés à une ligne aérienne de contact pour leur alimentation.
( 14 ) La République italienne note, à cet égard, qu’une telle réglementation existe déjà pour les remorques tractées par d’autres types de véhicules.
( 15 ) Il convient de rappeler que, aux termes de l’article 3, paragraphe 1, sous c), CE, l’action de la Communauté européenne comporte un marché intérieur caractérisé par l’abolition, entre les États membres, des obstacles, notamment, à la libre circulation des marchandises. En outre, l’article 14, paragraphe 2, CE prévoit que «[l]e marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises […] est assurée selon les dispositions du présent
traité», celles-ci figurant notamment aux articles 28 CE et suivants. Voir, en ce sens, arrêt du 9 décembre 1997, Commission/France (C-265/95, Rec. p. I-6959, points 24 et suiv.).
( 16 ) Voir, notamment, arrêts du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard (C-267/91 et C-268/91, Rec. p. I-6097, point 11), ainsi que du 14 septembre 2006, Alfa Vita Vassilopoulos et Carrefour Marinopoulos (C-158/04 et C-159/04, Rec. p. I-8135, point 15 et jurisprudence citée).
( 17 ) Voir, notamment, arrêt du 20 février 1979, Rewe-Zentral, dit «Cassis de Dijon» (120/78, Rec. p. 649, points 6, 14 et 15).
( 18 ) Voir, en ce sens, arrêt Alfa Vita Vassilopoulos et Carrefour Marinopoulos, précité (point 20 et jurisprudence citée). Il convient de rappeler qu’une justification fondée sur l’article 30 CE ou sur l’une des exigences fondamentales reconnues par le droit communautaire est exclue lorsque des directives communautaires prévoient l’harmonisation des mesures nécessaires à la réalisation de l’objectif spécifique poursuivi. Dans ce cas, en effet, des mesures de protection doivent être prises dans le
cadre défini par la directive d’harmonisation (voir, notamment, arrêt du 23 mai 1996, Hedley Lomas, C-5/94, Rec. p. I-2553, point 18).
( 19 ) Voir, notamment, arrêt du 19 mars 1991, Commission/Grèce (C-205/89, Rec. p. I-1361, point 9).
( 20 ) Voir, à titre d’illustration, arrêt du 5 février 2004, Commission/Italie (C-270/02, Rec. p. I-1559, point 22).
( 21 ) Point 2.
( 22 ) Voir, notamment, recommandation de la Commission, du 6 avril 2004, relative à l’application de la réglementation dans le domaine de la sécurité routière (JO L 111, p. 75); communication de la Commission, du 2 juin 2003, concernant le programme d’action européen pour la sécurité routière — Réduire de moitié le nombre de victimes de la route dans l’Union européenne d’ici 2010: une responsabilité partagée [COM(2003) 311 final], et résolution du Conseil, du 26 juin 2000, relative au renforcement
de la sécurité routière (JO C 218, p. 1).
( 23 ) 406/85, Rec. p. 2525 (point 7).
( 24 ) Il convient également de signaler l’arrêt du 5 octobre 1994, Van Schaik (C-55/93, Rec. p. I-4837), dans lequel la Cour, saisie d’une question préjudicielle relative, notamment, à l’interprétation de l’article 49 CE (libre prestation des services), a considéré que les exigences de sécurité routière constituent des raisons impérieuses d’intérêt général justifiant une réglementation d’un État membre qui exclut la délivrance des certificats de contrôle pour les voitures immatriculées dans cet
État par des garages établis dans un autre État membre (point 19).
( 25 ) Point 2 du mémoire en défense.
( 26 ) Voir, notamment, arrêt du 24 novembre 2005, Deutsches Milch-Kontor (C-136/04, Rec. p. I-10095, point 32 et jurisprudence citée).
( 27 ) Arrêt du 12 mai 2005 (C-444/03, Rec. p. I-3913).
( 28 ) Arrêt du 9 juin 1992, Delhaize et Le Lion (C-47/90, Rec. p. I-3669, point 26). Voir, également, arrêt du 2 février 1994, Verband Sozialer Wettbewerb, dit «Clinique» (C-315/92, Rec. p. I-317, point 12), dans lequel la Cour a dit pour droit qu’une «directive doit […], comme toute réglementation de droit dérivé, être interprétée à la lumière des règles du traité relatives à la libre circulation des marchandises».