ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE DE L’UNION EUROPÉENNE (première chambre)
14 novembre 2006 (*)
« Fonctionnaires – Pensions –Droits à pension acquis avant l’entrée au service des Communautés – Transfert au régime communautaire – Calcul des annuités – Article 11, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut – Non application, en raison de l’introduction de l’euro, de dispositions relatives à la conversion monétaire du montant transféré »
Dans l’affaire F‑100/05,
ayant pour objet un recours introduit au titre des articles 236 CE et 152 EA,
Eleni Chatziioannidou, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Auderghem (Belgique), représentée par M^e S. A. Pappas, avocat,
partie requérante,
contre
Commission des Communautés européennes, représentée par M. D. Martin et M^me K. Herrmann, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie défenderesse,
LE TRIBUNAL (première chambre),
composé de MM. H. Kreppel, président, H. Tagaras et S. Gervasoni (rapporteur), juges,
greffier : M. S. Boni, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 septembre 2006,
rend le présent
Arrêt
1 Par requête parvenue au greffe du Tribunal de première instance des Communautés européennes le 13 octobre 2005 par télécopie (le dépôt de l’original étant intervenu le 17 octobre suivant), M^me Chatziioannidou demande l’annulation de la décision du 8 juillet 2005 par laquelle l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») a rejeté sa réclamation tendant à un nouveau calcul des annuités de pension résultant du transfert, vers le régime communautaire, de l’équivalent
actuariel des droits à pension qu’elle a acquis en Grèce.
Cadre juridique
Règlements du Conseil relatifs à l’introduction de l’euro
2 Aux termes de l’article 3 du règlement (CE) n° 1103/97 du Conseil, du 17 juin 1997, fixant certaines dispositions relatives à l’introduction de l’euro (JO L 162, p. 1) :
« [l’]introduction de l’euro n’a pas pour effet de modifier les termes d’un instrument juridique ou de libérer ou de dispenser de son exécution, et elle ne donne pas à une partie le droit de modifier un tel instrument ou d’y mettre fin unilatéralement. La présente disposition s’applique sans préjudice de ce que les parties sont convenues. »
3 L’article 14 du règlement (CE) n° 974/98 du Conseil, du 3 mai 1998, concernant l’introduction de l’euro (JO L 139, p. 1), dispose :
« Les références aux unités monétaires nationales qui figurent dans des instruments juridiques existant à la fin de la période transitoire doivent être lues comme des références à l’unité euro en appliquant les taux de conversion respectifs. Les règles relatives à l’arrondissage des sommes d’argent arrêtées par le règlement (CE) n° 1103/97 s’appliquent. »
4 En vertu de l’article 13 du règlement n° 974/98, l’article 14 précité s’applique « à compter de la fin de la période transitoire », période qui est définie, à l’article 1^er de ce règlement, « comme la période commençant le 1^er janvier 1999 et prenant fin le 31 décembre 2001 ».
Statut des fonctionnaires et ses dispositions générales d’exécution
5 Aux termes de l’article 11, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut des fonctionnaires des Communautés européennes, dans sa rédaction en vigueur antérieurement au 1^er mai 2004 (ci-après le « statut ») :
« Le fonctionnaire qui entre au service des Communautés après avoir :
– cessé ses activités auprès d’une administration, d’une organisation nationale ou internationale
ou
– exercé une activité salariée ou non salariée,
a la faculté, au moment de sa titularisation, de faire verser aux Communautés, soit l’équivalent actuariel, soit le forfait de rachat des droits à pension d’ancienneté qu’il a acquis au titre des activités visées ci-dessus.
En pareil cas, l’institution où le fonctionnaire est en service détermine, compte tenu du grade de titularisation, le nombre des annuités qu’elle prend en compte d’après son propre régime au titre de la période de service antérieur sur la base du montant de l’équivalent actuariel ou du forfait de rachat. »
6 Par décision du 2 juillet 1969, la Commission a adopté les dispositions générales d’exécution de l’article 11, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut, modifiées ultérieurement par décisions de la Commission du 4 février 1972 et du 16 mars 1977 (Informations administratives n° 789 du 16 avril 1993, ci-après les « DGE »).
7 En vertu de l’article 4, paragraphe 4, des DGE, le montant transféré au compte des Communautés, en application de l’article 11, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut, dans une monnaie autre que le franc belge, est – pour la détermination du nombre d’annuités pour la période du 1^er janvier 1972 jusqu’à la date de la titularisation du fonctionnaire – converti en francs belges sur la base du taux actualisé moyen fixé par la Commission.
8 Ce taux actualisé reflète le taux de change moyen entre la monnaie nationale considérée et le franc belge sur l’ensemble de la période de paiement des cotisations auprès des organismes nationaux.
9 Depuis le 1^er janvier 2002, date à laquelle a pris fin la période transitoire d’introduction de l’euro visée à l’article 1^er du règlement n° 974/98, la Commission estime que, en application des dispositions précitées de l’article 14 dudit règlement, l’article 4, paragraphe 4, des DGE doit être lu comme suit :
« le montant transféré au compte des Communautés dans une monnaie autre que l’euro est – pour la détermination du nombre d’annuités – converti en euros […] ».
10 La Commission considère en conséquence que cette dernière disposition, dans sa version en vigueur antérieurement au 1^er janvier 2002, n’est plus applicable aux demandes de transfert de droits à pension à partir d’États membres, tels la Grèce, qui ont adopté l’euro. Lors de l’examen de ces demandes, la Commission détermine le nombre d’annuités en se fondant sur le seul montant en euros communiqué par l’organisme national de retraite.
11 Par décision du 28 avril 2004, la Commission a abrogé les DGE et adopté de nouvelles dispositions générales d’exécution des articles 11 et 12 de l’annexe VIII du statut (ci-après les « nouvelles DGE »), tel que modifié par le règlement (CE, Euratom) n° 723/2004 du Conseil, du 22 mars 2004 (JO L 124, p. 1).
12 Ces nouvelles DGE prévoient, en leur article 7, paragraphe 3, que le montant transféré aux Communautés dans une monnaie autre que l’euro est, pour la détermination du nombre d’annuités, converti en euros sur la base du taux mensuel fixé par la Commission pour l’exécution du budget pour le mois d’enregistrement de la demande.
Faits à l’origine du recours
13 La requérante, de nationalité grecque, a été recrutée à la Commission en qualité de fonctionnaire stagiaire le 1^er juin 2002 et titularisée le 1^er mars 2003.
14 Le 7 avril 2004, elle a sollicité, au titre de l’article 11, paragraphe 2, du statut et de ses DGE, le transfert, vers le régime communautaire, des droits à pension acquis, avant son entrée en service à la Commission, auprès de deux organismes de pension en Grèce (TEVE et IKA).
15 Par une note du 30 novembre 2004, le service compétent de la Commission a communiqué à la requérante la bonification d’annuités qui résulterait du transfert de ses droits acquis auprès de TEVE. Par une note du 16 février 2005, le même service l’a informée de la bonification relative aux droits acquis auprès de IKA. Ces bonifications ont été calculées à partir des montants transférables notifiés par TEVE (12 053,76 euros) et IKA (68 000,26 euros).
16 Le 10 mars 2005, la requérante a introduit une réclamation à l’encontre de ces notes (ci-après les « décisions litigieuses »), dans laquelle elle faisait valoir, notamment, que l’introduction de l’euro ne pouvait avoir légalement pour effet d’écarter l’application de l’article 4, paragraphe 4, des DGE.
17 Le 7 juillet 2005, l’AIPN a rejeté cette réclamation.
Procédure et conclusions des parties
18 Le présent recours a initialement été enregistré au greffe du Tribunal de première instance sous le numéro T‑387/05.
19 Par ordonnance du 15 décembre 2005, le Tribunal de première instance, en application de l’article 3, paragraphe 3, de la décision 2004/752/CE, Euratom du Conseil, du 2 novembre 2004, instituant le Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne (JO L 333, p. 7), a renvoyé l’affaire devant le Tribunal. Le recours a été enregistré au greffe du Tribunal sous le numéro F‑100/05.
20 Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure de Tribunal de première instance, applicable mutatis mutandis au Tribunal, en vertu de l’article 3, paragraphe 4, de la décision 2004/752, jusqu’à l’entrée en vigueur du règlement de procédure de ce dernier, le Tribunal a invité le Conseil à indiquer si le passage à l’euro avait impliqué la modification, pour la période du 1^er janvier 2002 au 1^er mai 2004, des règles applicables aux
transferts des droits à pension de ses fonctionnaires vers le régime communautaire.
21 Lors de l’audience qui s’est tenue le 19 septembre 2006, la représentante de la Commission a produit une note du 12 septembre 2006, signée par le directeur de l’office de gestion et de liquidation des droits individuels de la Commission, indiquant que le Parlement européen, la Cour des comptes des Communautés européennes, le Comité économique et social européen ainsi que le Comité des régions auraient suivi la même pratique que celle de la Commission en cause dans le présent litige, à la
différence de la Cour de justice et du Conseil.
22 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler le rejet de sa réclamation ;
– condamner la Commission aux dépens.
23 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– déclarer la requête irrecevable, en ce qu’elle tend à l’annulation de la note du 30 novembre 2004 ;
– pour le surplus, rejeter la requête comme non fondée ;
– statuer sur les dépens comme de droit.
Sur l’objet du recours
24 Même formellement dirigé contre le rejet de la réclamation de la requérante, le recours a pour effet de saisir le Tribunal des actes faisant grief contre lesquels la réclamation a été présentée. Le recours doit donc être considéré comme dirigé contre les décisions litigieuses (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 17 janvier 1989, Vainker/Parlement, 293/87, Rec p. I‑23, point 8).
En droit
Sur la recevabilité des conclusions tendant à l’annulation de la note du 30 novembre 2004
Arguments des parties
25 La Commission soutient que ladite note n’a fait l’objet d’une réclamation que le 10 mars 2005, soit après l’expiration du délai de trois mois fixé par l’article 90, paragraphe 2, du statut. Cette partie de la réclamation serait donc irrecevable et les conclusions susmentionnées devraient, dès lors, être également déclarées irrecevables.
26 La requérante fait valoir qu’elle était en congé du 3 au 12 décembre 2004 et qu’elle n’a donc pas été en mesure de prendre connaissance de ladite note avant le 13 décembre 2004. La Commission n’établissant pas à quelle autre date cette note aurait été notifiée, la réclamation dirigée contre celle-ci ne serait pas tardive.
Appréciation du Tribunal
27 Dans son mémoire en réplique, la requérante a fourni, d’une part, un document émanant de la compagnie aérienne Olympic Airways, daté du 30 décembre 2005, indiquant qu’elle avait voyagé sur des vols de cette compagnie, les 3 et 12 décembre 2004, et, d’autre part, son rapport de congés 2004 faisant apparaître une période de congé correspondant à ces dates.
28 La Commission n’a pas contesté dans son mémoire en duplique l’allégation selon laquelle la requérante n’aurait pris connaissance de la note du 30 novembre 2004 qu’à son retour de congés, soit le 13 décembre 2004. Si la Commission a fait valoir à l’audience que la requérante n’aurait pas retourné l’avis de réception de la note en cause, elle n’a apporté aucun élément au soutien de cette argumentation. La Commission n’a ainsi fourni aucune précision ni aucun élément de preuve établissant que
ladite note aurait été notifiée à la requérante à une autre date que le 13 décembre 2004.
29 Les conclusions dirigées contre cette note ne peuvent, dès lors, être considérées comme tardives.
30 En conséquence, l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission à leur encontre doit être écartée.
Sur le fond
31 La requérante invoque deux moyens à l’appui de ces conclusions, à savoir la violation de l’article 3 du règlement n° 1103/97 et des buts de sécurité et continuité juridiques par les décisions litigieuses, ainsi que la méconnaissance du principe de non-discrimination. Il convient d’examiner tout particulièrement le premier moyen invoqué.
Arguments des parties
32 La requérante soutient qu’en remplaçant mécaniquement, à l’article 4, paragraphe 4, des DGE, les termes « francs belges » par « euros », en application de l’article 14 du règlement n° 974/98, la Commission a modifié sur le fond la réglementation applicable au transfert de droits à pension. La nouvelle pratique de la Commission, se traduisant par la suppression du recours au taux actualisé moyen de conversion pour calculer les bonifications d’annuités, aurait eu pour effet de réduire nettement
le nombre d’annuités auxquelles la requérante aurait eu droit avant l’introduction de l’euro. La Commission aurait ainsi substantiellement affecté les droits à pension de la requérante, en méconnaissance de l’article 3 du règlement n° 1103/97 ainsi que du but principal de sécurité juridique recherché tant par ce règlement que par le règlement n° 974/98 et attesté par les considérants 4 et 7 du règlement n° 1103/97. La Commission aurait également porté atteinte au principe général du droit rappelé au
considérant 7 dudit règlement, selon lequel la continuité des contrats et autres instruments juridiques n’est pas affectée par l’introduction d’une nouvelle monnaie. En outre, le règlement n° 974/98 n’aurait pas imposé, contrairement à ce que prétend la Commission, le remplacement systématique des mentions des devises nationales dans les textes juridiques par le terme « euro ». Le considérant 20 de ce règlement aurait d’ailleurs prévu que, pour des raisons de clarté, il pourrait dans certains cas
être souhaitable de reformuler les textes existants. En l’espèce, la continuité juridique aurait pu être assurée par une reformulation de l’article 4, paragraphe 4, des DGE. Le Conseil n’aurait d’ailleurs pas modifié les conditions d’application de cette disposition lors de l’introduction de l’euro.
33 La Commission rétorque qu’elle était dans une situation de compétence liée et devait se conformer à l’article 14 du règlement n° 974/98 en remplaçant la mention « francs belges » par le terme « euros » dans l’article 4, paragraphe 4, des DGE. L’introduction de l’euro aurait ainsi rendu cette dernière disposition caduque et, donc, inapplicable, à compter du 1^er janvier 2002, aux demandes de transfert de droits à pension acquis dans des États membres ayant adopté l’euro. La seule manière de
remettre en cause le mode de calcul appliqué depuis cette date aurait été d’invoquer l’illégalité du règlement n° 974/98, ce que la requérante n’aurait pas fait. Par ailleurs, l’article 3 du règlement n° 1103/97 viserait seulement à garantir la continuité des engagements déjà souscrits par les citoyens et les entreprises (arrêt de la Cour du 14 septembre 2004, Verbraucher-Zentrale Hamburg, C‑19/03, Rec. p. I‑8183, point 31), hypothèse qui ne serait pas celle du présent litige. En tout état de cause,
ainsi que la Cour l’aurait jugé, le calcul de la valeur financière réelle des contributions versées par la requérante aux régimes de pension grecs relèverait de la seule compétence des autorités nationales administrant ces régimes. En outre, depuis le 1^er janvier 2002, il n’y aurait plus eu de justification économique, dans la zone euro, à ce que ces contributions soient augmentées suite à leur transfert de la Grèce vers la Belgique. La Commission précise, à toutes fins utiles, que le mécanisme du
taux de change moyen avait eu pour effet de revaloriser indûment les droits à pension transférés de pays dont les monnaies s’étaient significativement dépréciées par rapport aux autres sur une longue période, aux dépens du budget communautaire et en méconnaissance du principe de neutralité budgétaire qui doit gouverner le transfert de droits à pension. Il aurait donc dû être mis fin beaucoup plus tôt à ce mécanisme, qui a été complètement abrogé par les nouvelles DGE. Quant à l’argument tiré de la
pratique administrative du Conseil, il ne serait nullement étayé et, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité des actes de la Commission.
Appréciation du Tribunal
34 Il ressort des productions écrites de la Commission et des précisions que sa représentante a apportées lors de l’audience que la lettre de l’article 4, paragraphe 4, des DGE n’a pas été modifiée le 1^er janvier 2002, à la fin de la période transitoire d’introduction de l’euro. La Commission a en effet estimé être dans l’obligation, à compter de cette date, sans même adopter un texte modifiant la lettre dudit paragraphe, de constater que cette disposition était, en vertu de l’article 14 du
règlement n° 974/1998, rendue inapplicable aux demandes de transfert de droits à pension acquis dans les États membres ayant adopté l’euro.
35 La Commission n’a pas seulement soutenu que l’introduction de l’euro avait eu pour effet de modifier les modalités de calcul des annuités de pension auxquelles les sommes transférées donnent droit. Pour justifier légalement son changement de pratique, elle a également fait valoir qu’elle était dans une situation de compétence liée et était donc tenue d’abandonner le mécanisme du taux de change moyen qu’elle avait jusqu’alors appliqué, celui-ci étant frappé de caducité.
36 Or, en estimant que la suppression de ce mécanisme était inévitablement liée à l’introduction de l’euro, la Commission a méconnu les dispositions du règlement n° 1103/97 qui visent à garantir que l’introduction de l’euro s’effectue, au nom du principe de sécurité juridique, dans la plus grande neutralité possible.
37 En effet, ainsi que la Cour l’a dit pour droit, il ressort des considérants 4 et 7, ainsi que de l’article 3 du règlement n° 1103/97, que ce règlement, conformément aux principes de sécurité juridique et de continuité des contrats et autres instruments juridiques, « vise à assurer que le passage à la monnaie unique s’effectuera sans affecter les engagements déjà souscrits par les citoyens et les entreprises » (voir, en ce sens, arrêt Verbraucher-Zentrale Hamburg, précité, point 31). La Cour,
au point 51 du même arrêt, a considéré que ledit règlement avait également fixé un « impératif de neutralité du passage à l’euro ». C’est à la lumière de ces considérations que la Cour a, dans l’arrêt Verbaucher-Zentrale Hamburg, estimé que les opérations d’arrondissage des sommes d’argent après leur conversion en euros devaient avoir la plus grande précision possible.
38 Contrairement à ce que soutient la Commission, le règlement n° 1103/97 n’a pas pour seul objet de garantir le maintien des engagements contractuels souscrits par les citoyens et les entreprises, à l’exclusion des engagements contractuels souscrits par les collectivités publiques. En effet, l’impératif de neutralité du passage à l’euro fixé par ce règlement, illustré notamment par ses dispositions visant à obtenir une grande précision dans les opérations de conversion monétaire liées à
l’introduction de l’euro, ne serait pas respecté si les collectivités publiques, tant au niveau national qu’au niveau communautaire, pouvaient invoquer le seul passage à la monnaie unique pour modifier leurs pratiques ou leurs réglementations. De même, aucune des dispositions dudit règlement ne permet de considérer que les employeurs publics, quels qu’ils soient, auraient été déliés de l’obligation d’assurer que le passage à l’euro s’effectue sans affecter, notamment, leurs relations avec leurs
agents.
39 Il résulte ainsi des buts poursuivis par le règlement n° 1103/97 que les institutions communautaires devaient s’efforcer de garantir que l’introduction de l’euro soit le plus neutre possible, notamment sur le contenu de la réglementation applicable à leurs agents.
40 La Commission fait cependant valoir qu’elle était tenue de se conformer à l’article 14 du règlement n° 974/98 et de constater que l’inapplicabilité de l’article 4, paragraphe 4, des DGE était une conséquence économique et logique inévitable de l’introduction de l’euro.
41 Toutefois, ces arguments ne sont pas susceptibles d’être accueillis.
42 En effet, l’article 14 du règlement n° 974/98 ne saurait être interprété en ce sens qu’il permettrait de déroger aux buts susmentionnés du règlement n° 1103/97. Cet article a pour seul objet de faciliter la transition matérielle vers l’euro. En prévoyant que les références aux unités monétaires nationales figurant dans les instruments juridiques existant à la fin de la période transitoire doivent être lues comme des références à l’euro, cet article vise à dispenser les auteurs d’instruments
juridiques de toute obligation de reformulation et d’adoption de nouveaux instruments pour les seuls besoins du passage à l’euro.
43 Ainsi que l’a soutenu le représentant de la requérante à l’audience, l’article 14 du règlement n° 974/98 ne peut, compte tenu du règlement n° 1103/97, avoir pour finalité ni même pour effet d’habiliter les auteurs d’instruments juridiques à tirer parti de l’adoption de l’euro pour modifier le fond du droit applicable. Si cet article était interprété en ce sens qu’il leur permet de modifier la législation sans adoption de nouveaux textes, il créerait une situation d’incertitude sur le droit en
vigueur, ce qui serait en contradiction avec l’objectif de sécurité juridique poursuivi par le règlement n° 1103/97.
44 Dans le présent litige, la Commission n’a d’ailleurs pas été en mesure d’indiquer, en réponse aux questions du Tribunal lors de l’audience, selon quelles modalités la modification de la portée juridique de l’article 4, paragraphe 4, des DGE avait été portée à la connaissance du personnel.
45 C’est donc à tort que la Commission a estimé, sur la base de l’article 14 du règlement n° 974/98, être dans l’obligation de modifier la portée juridique de l’article 4, paragraphe 4, des DGE.
46 En outre, la Commission ne peut valablement prétendre que la suppression du mécanisme du taux de change moyen aurait été la conséquence inévitable de l’introduction de l’euro.
47 En effet, ainsi que l’indique à juste titre la requérante dans son mémoire en réplique, l’introduction de l’euro à compter du 1^er janvier 2002 ne pouvait avoir d’incidence sur le calcul des taux de change entre le franc belge et les autres monnaies nationales pour la période antérieure à cette date. Il est manifeste que l’adoption de l’euro n’a pu rétroactivement faire disparaître l’évolution passée des parités entre les monnaies des États membres ayant par la suite adopté la monnaie unique.
48 Le mécanisme du taux de change moyen actualisé avait précisément pour but de corriger les effets des fluctuations monétaires enregistrées au cours de l’ensemble de la période pendant laquelle le fonctionnaire concerné avait cotisé auprès d’un régime national de pension. Il avait pour objet de représenter le plus fidèlement possible, jusqu’à la date de la titularisation de ce fonctionnaire, la valeur en francs belges des sommes transférées, qui étaient exprimées en monnaie nationale.
49 Certes, l’adoption de l’euro a rendu sans objet, pour l’avenir, les opérations de conversion jusqu’alors pratiquées entre le franc belge et les monnaies nationales. Toutefois, la raison d’être du mécanisme du taux de change moyen actualisé pour les périodes antérieures au 1^er janvier 2002 n’a pas disparu à compter de cette date.
50 Quant à l’argument, présenté à l’audience comme étant « de bon sens » par la représentante de la Commission, tiré de ce que, à la date de la demande de transfert de la requérante, postérieure au 1^er janvier 2002, l’opération de conversion en euros d’un montant transféré exprimé en euros, était inconcevable, il ne peut être retenu.
51 En effet, l’objet même du mécanisme du taux de change moyen actualisé était d’opérer une conversion monétaire du montant transféré sur l’ensemble de la période de cotisation au régime national. L’article 4, paragraphe 4, sous b), quatrième alinéa, des DGE prévoyait ainsi seulement à titre dérogatoire, à la demande de l’agent, que le montant à transférer pouvait être converti sur la base du taux actualisé en vigueur à la date du transfert. La Commission ne pouvait donc, en méconnaissance de la
lettre même de l’article 4, paragraphe 4, des DGE considérer, à partir du 1^er janvier 2002, que la période pertinente pour les opérations de conversion était limitée à la date de la demande de transfert, toujours postérieure à la date d’introduction de l’euro.
52 La suppression du mécanisme du taux de change moyen actualisé n’était donc pas une conséquence inévitable de l’introduction de l’euro (voir, par analogie, à propos de la suppression, lors du passage à l’euro, du système de taux spéciaux de conversion applicables au transfert de rémunération des agents de la Banque européenne d’investissement, l’arrêt du Tribunal de première instance du 6 mars 2001, Dunnett e.a./BEI, T‑192/99, Rec. p. II‑813, points 94 à 96).
53 D’ailleurs, il ressort de ses écrits, en particulier des points 31 à 33 de son mémoire en défense, que la Commission avait l’intention, pour des raisons indépendantes du passage à l’euro, notamment de caractère budgétaire, de remettre en cause ledit mécanisme.
54 Enfin, l’argument de la Commission, tiré de ce que le calcul de la valeur financière réelle des contributions versées par la requérante aux régimes de pension grecs relèverait de la seule compétence des autorités nationales administrant ces régimes et de ce que ces montants étaient exprimés en euros lors de leur communication à la Commission, n’est pas davantage susceptible d’être accueilli.
55 En effet, d’une part, ces montants ne pouvaient qu’être exprimés en euros lors de leur transmission, après le 1^er janvier 2002, aux services de la Commission, la période transitoire d’introduction de l’euro ayant pris fin à cette date. D’autre part, ainsi que la requérante l’a indiqué, la Commission appliquait, avant le 1^er janvier 2002, le taux de change moyen actualisé dans tous les cas, y compris lorsque ces actifs étaient libellés en francs belges par les organismes nationaux de
retraite concernés, de manière à garantir l’égalité de traitement entre tous les fonctionnaires sollicitant le transfert de droits à pension. La détermination par la Commission du nombre d’annuités de pension communautaire ne pouvait donc dépendre, pour les années pendant lesquelles des fluctuations monétaires existaient entre le franc belge et les monnaies nationales, de calculs effectués exclusivement au niveau national quant à la valeur des actifs transférés.
56 De telles opérations de conversion monétaire au niveau communautaire ne constituent d’ailleurs pas une ingérence dans les compétences des autorités nationales. Ainsi que le Tribunal de première instance l’a déjà jugé, l’opération de conversion des actifs transférés en annuités de pension communautaires incombe aux autorités administratives communautaires (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal de première instance du 15 décembre 1998, Bang-Hansen/Commission, T‑233/97, RecFP p. I‑A-625 et
II‑1889, point 38, et du 18 mars 2004, Radauer/Conseil, T‑67/02, RecFP p I‑A‑89 et II‑395, points 28 à 31).
57 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la décision par laquelle la Commission a estimé que l’article 4, paragraphe 4, des DGE était devenu inapplicable en raison de l’introduction de l’euro est illégale.
58 Par conséquent, les décisions litigieuses, prises en application de ladite décision, sont elles-mêmes illégales et, dès lors, sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen de la requête, doivent être annulées.
Sur les dépens
59 Ainsi que le Tribunal l’a jugé dans son arrêt du 26 avril 2006, Falcione/Commission (F‑16/05, non encore publié au Recueil, points 77 à 86), aussi longtemps que le règlement de procédure du Tribunal et, notamment, les dispositions particulières relatives aux dépens ne sont pas entrés en vigueur, il y a lieu de faire seulement application du règlement de procédure du Tribunal de première instance.
60 Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure de ce dernier Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé dans la présente instance, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (première chambre)
déclare et arrête :
1) Les décisions de la Commission des Communautés européennes du 30 novembre 2004 et du 20 février 2005 portant calcul des annuités de pension de la requérante à la suite du transfert vers le régime communautaire de l’équivalent actuariel des droits à pension acquis par celle-ci en Grèce sont annulées.
2) La Commission des Communautés européennes est condamnée aux dépens.
Kreppel Tagaras Gervasoni
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 novembre 2006.
Le greffier Le président
W. Hakenberg H. Kreppel
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* Langue de procédure : le français.