CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. M. POIARES MADURO
présentées le 21 mai 2008 ( 1 )
Affaire C-127/07
Société Arcelor Atlantique et Lorraine e.a.
contre
Premier ministre e.a.
«Environnement — Prévention et réduction intégrées de la pollution — Système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre — Directive 2003/87/CE — Champ d’application — Inclusion des installations du secteur sidérurgique — Exclusion des installations des secteurs de la chimie et des métaux non ferreux — Principe d’égalité de traitement»
1. La question qui fait l’objet du présent renvoi préjudiciel porte sur la compatibilité avec le principe d’égalité du système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre instauré par une directive communautaire et suppose la mise en œuvre d’appréciations de fait complexes. Il peut sembler paradoxal que pareille question technique ait pour origine un arrêt d’une importance majeure sur les rapports entre droit constitutionnel national et droit communautaire. Quelque vingt ans après le
prononcé par la même juridiction de renvoi de l’arrêt Nicolo ( 2 ) qui réglait la question de la primauté du droit communautaire sur les lois, l’arrêt Arcelor rendu par l’Assemblée du contentieux du Conseil d’État le 8 février 2007 précise en effet, en termes de principe, les relations entre la Constitution française et le droit communautaire ainsi que les modalités de la coopération entre la Cour de justice et le juge administratif français, lorsque ce dernier est saisi d’une critique de la
constitutionnalité d’une directive communautaire. L’apparent paradoxe tient alors au fait que, comme on le verra, la mise en cause de la validité de la directive au regard du principe communautaire d’égalité est née d’une contestation de la constitutionnalité de cette dernière. La présente affaire donne alors à la Cour l’occasion de préciser, elle aussi, la nature des rapports entre constitutions nationales et droit communautaire. Elle pourra ainsi dissiper certaines craintes d’un éventuel
conflit qui, on le verra, ne sont absolument pas justifiées, étant donné les fondements constitutionnels communs sur lesquels reposent les ordres juridiques nationaux et communautaire.
2. La question préjudicielle en elle-même n’est pas non plus sans portée. Elle met en cause la légalité d’un texte législatif qui constitue l’un des jalons principaux de la politique de la Communauté en matière de protection de l’environnement. Elle invite la Cour à se prononcer sur les rapports, par nature dialectiques, entre la pratique de l’expérimentation législative et les exigences normatives de l’égalité de traitement.
I — Le cadre juridique
3. Le texte mis en cause dans la présente affaire a été pris dans l’optique de l’exécution par la Communauté et ses États membres des engagements souscrits au titre du protocole de Kyoto à la convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques (ci-après le «protocole de Kyoto»). Adopté le 11 décembre 1997, ledit protocole tend à réduire le total des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 5 % par rapport au niveau de 1990 au cours de la période 2008-2012. Approuvé par la
Communauté par décision du 25 avril 2002, il contient les engagements de la Communauté européenne et de ses États membres de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 8 % par rapport au niveau de 1990 au cours de la période allant de 2008 à 2012, engagements que la Communauté et ses États membres ont convenu de remplir conjointement.
4. Sans attendre l’entrée en vigueur du protocole de Kyoto qui a eu lieu le 16 février 2005, la Communauté et ses États membres ont décidé de se conformer par anticipation aux obligations souscrites. À cet effet, le Parlement européen et le Conseil ont adopté, le 13 octobre 2003, sur le fondement de l’article 175, paragraphe 1 CE, la directive 2003/87/CE ( 3 ). Celle-ci est entrée en vigueur le 25 octobre 2003 et la date limite de sa transposition a été fixée au 1er janvier 2005.
5. Afin de favoriser la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans des conditions économiquement efficaces et performantes, la directive 2003/87 établit un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre. Au cours d’une première phase allant de 2005 à 2007, la directive ne couvre, aux termes de son article 4, que l’un des gaz à effet de serre indiqués à son annexe II, à savoir le dioxyde de carbone (ou CO2), et les seules émissions résultant des activités listées dans son
annexe I. Le système d’échange de quotas qu’elle institue ne s’applique donc, au cours de cette première phase, qu’aux activités menées dans le secteur de l’énergie, à la production et à la transformation de métaux ferreux (fonte, acier), à l’industrie minérale (ciment, verre, céramique) et à la fabrication de pâte à papier, de papier et de carton. Un réexamen est néanmoins prévu à l’article 30 de la directive 2003/87 qui aura pour objet une modification éventuelle de l’annexe I de celle-ci afin
d’y inclure d’autres activités et les émissions d’autres gaz à effet de serre.
6. En vertu de l’article 4 de la directive 2003/87, toute installation se livrant à une activité ainsi visée à l’annexe I de cette directive et entraînant des émissions de CO2 doit détenir une autorisation délivrée par l’autorité compétente, celle-ci n’étant délivrée que si l’exploitant est en mesure de surveiller et de déclarer les émissions de CO2. La quantité totale de quotas attribuée par chaque État membre aux exploitants des installations visées à ladite annexe I se fait sur la base d’un plan
national d’allocation de quotas. Celui-ci précise, pour la première période de trois ans et puis pour des périodes de cinq ans suivantes, non seulement la quantité totale de quotas que l’État membre a l’intention d’allouer pour la période considérée mais aussi les critères sur la base desquels il se propose de les attribuer.
7. L’article 10 de la directive prévoit l’obligation pour les États membres d’allouer au moins 95 % des quotas à titre gratuit pour la première phase et au moins 90 % pour la deuxième période. Aux termes de l’article 12 enfin, les quotas peuvent être transférés entre personnes dans la Communauté et entre personnes dans la Communauté et personnes dans des pays tiers.
8. La transposition en droit français de la directive 2003/87 a été effectuée par une ordonnance du 15 avril 2004 portant création d’un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre, les modalités d’application étant renvoyées à un décret en Conseil d’État. Sur ce fondement, le décret no 2004-832 du 19 août 2004 a été adopté.
II — Le litige au principal et la question préjudicielle
9. La société Arcelor et d’autres entreprises sidérurgiques ont, le 12 juillet 2005, demandé au Président de la République, au Premier ministre, au ministre de l’écologie et du développement durable et au ministre délégué à l’industrie l’abrogation de l’article 1er du décret no 2004-832 du 19 août 2004 en tant qu’il rend ce décret applicable aux installations du secteur sidérurgique. N’ayant pas obtenu gain de cause, les requérantes ont, le 15 novembre 2005, formé devant le Conseil d’État un recours
pour excès de pouvoir contre les refus implicites d’abrogation et demandé à ce qu’il soit enjoint aux autorités administratives compétentes de procéder à l’abrogation sollicitée. À l’appui de leur recours, elles ont invoqué la violation de plusieurs principes de valeur constitutionnelle, tels que le droit de propriété, la liberté d’entreprendre et le principe d’égalité.
10. Dans son arrêt de renvoi, le Conseil d’État a relevé qu’en soumettant les activités sidérurgiques au système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre, l’article 1er du décret litigieux ne fait que reprendre, à l’identique, le contenu de la directive 2003/87. En effet, l’annexe I de ladite directive, qui fixe la liste des activités auxquelles elle s’applique, mentionne notamment, au titre des émissions de dioxyde de carbone, les activités de «production et transformation des métaux
ferreux», c’est-à-dire les «installations de grillage ou de frittage de minerai métallique, y compris de minerai sulfuré» et les «installations pour la production de fonte et d’acier (fusion primaire ou secondaire), y compris les équipements pour coulée continue d’une capacité de plus de 2, 5 tonnes par heure». De même, l’article 1er du décret du 19 août 2004 dispose que «le présent décret s’applique aux installations classées pour la protection de l’environnement produisant ou transformant des
métaux ferreux, produisant de l’énergie, des produits minéraux, du papier ou de la pâte à papier et répondant aux critères fixés dans l’annexe au présent décret, au titre de leur rejet de dioxyde de carbone dans l’atmosphère»; et, aux termes du point II-A de l’annexe audit décret, sont visées au titre des activités de production et de transformation des métaux ferreux, les «installations de grillage ou de frittage de minerai métallique, y compris de minerai sulfuré» et les «installations pour la
production de fonte ou d’acier (fusion primaire ou secondaire) y compris les équipements pour coulée continue d’une capacité de plus de 2, 5 tonnes par heure». Comme le relève à juste titre le Conseil d’État, cette reproduction du contenu de la directive était imposée par cette dernière qui exclut la possibilité pour un État membre de soustraire des activités visées à son annexe I au champ d’application du système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre.
11. Dès lors, critiquer la constitutionnalité du décret revenait à mettre indirectement en cause la conformité à la Constitution française de la directive elle-même. Sur ce point, le Conseil d’État commence par rappeler la suprématie de la Constitution dans l’ordre interne. Il relève cependant qu’il découle de l’acceptation du constituant à la participation de la République française à la construction européenne formulée à l’article 88-1 de la Constitution française du 4 octobre 1958«une obligation
constitutionnelle de transposition des directives», à laquelle il ne saurait donc en principe être fait obstacle. Il en découle que le contrôle du respect par une directive de principes et règles de valeur constitutionnelle ne peut être exercé par le Conseil d’État qu’en l’absence d’équivalence des protections, c’est-à-dire s’il n’existe pas de règle ou de principe général du droit communautaire qui, eu égard à sa nature et à sa portée, tel qu’il est interprété en l’état actuel de la
jurisprudence communautaire, garantisse par son application l’effectivité du respect de la disposition ou du principe constitutionnel invoqué. Si, à l’inverse, équivalence des protections il y a, le juge national effectue la «translation» ( 4 ) dans la sphère communautaire du conflit entre la norme communautaire et la norme constitutionnelle nationale: le moyen tiré de la méconnaissance de règles ou principes de valeur constitutionnelle est requalifié, si bien que la critique de la
constitutionnalité de la directive devient une contestation de sa validité au regard du droit communautaire; et l’appréciation du bien-fondé de ladite contestation est, en cas de difficulté sérieuse, renvoyée à la Cour de justice conformément à la jurisprudence Foto-Frost ( 5 ).
12. Appliquant la grille de contrôle ainsi dégagée, le Conseil d’État constate d’abord que le droit de propriété et la liberté d’entreprendre sont également garantis dans l’ordre juridique communautaire avec une portée équivalente et juge que la directive litigieuse ne saurait être regardée comme y portant atteinte. Quant au grief de violation du principe constitutionnel d’égalité qui résulterait d’un traitement uniforme de situations différentes, le juge administratif français le rejette comme
inopérant car le principe constitutionnel d’égalité, à la différence du principe communautaire d’égalité, n’oblige pas à traiter de manière différente des situations différentes ( 6 ).
13. Restait le moyen de méconnaissance du principe constitutionnel d’égalité qui serait occasionnée par le traitement différent de situations comparables. À cet égard, le Conseil d’État note qu’il y a un principe général du droit communautaire qui, par la portée que lui confère la jurisprudence de la Cour, «garantit l’effectivité du principe constitutionnel». Et la validité de la directive du 13 octobre 2003 au regard de ce principe communautaire d’égalité soulève une difficulté sérieuse. Les doutes
du juge de renvoi sur la validité sont nourris par les considérations suivantes: les industries du plastique et de l’aluminium seraient dans une situation comparable à celle des industries du secteur sidérurgique car elles émettent des gaz à effet de serre identiques à ceux dont la directive du 13 octobre 2003 a entendu limiter l’émission et sont en situation de concurrence avec l’industrie sidérurgique, dans la mesure où elles produisent des matériaux partiellement substituables à ceux produits
par celle-ci; or, elles sont soumises à un traitement différent car elles ne sont pas couvertes, en tant que telles, par le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre; l’existence d’une justification objective à pareille différence de traitement prête à caution, même si la décision de ne pas inclure immédiatement, en tant que telles, les industries du plastique et de l’aluminium dans le système a été prise en considération de leur part relative dans les émissions totales de
gaz à effet de serre et de la nécessité d’assurer la mise en place progressive d’un dispositif d’ensemble.
14. C’est pourquoi, le Conseil d’État juge nécessaire d’interroger la Cour de justice sur la question de la validité de la directive du 13 octobre 2003 au regard du principe d’égalité en tant qu’elle rend applicable le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre aux installations du secteur sidérurgique sans y inclure les industries de l’aluminium et du plastique.
III — Appréciation
15. Il peut sembler qu’étant invité à juger de la conformité de la directive du 13 octobre 2003 à la Constitution française, le Conseil d’État ait été confronté à l’exercice impossible de devoir concilier l’inconciliable: comment assurer la protection de la Constitution dans l’ordre juridique interne sans attenter à l’exigence existentielle de primauté du droit communautaire? Cette revendication concurrente de souveraineté juridique est la manifestation même du pluralisme juridique qui marque
l’originalité du processus d’intégration européenne. De la solution qui lui a été apportée par le juge de renvoi est née la présente question préjudicielle. Loin de déboucher sur une atteinte portée à l’application uniforme du droit communautaire, elle conduit le juge a quo à solliciter, par voie préjudicielle, le concours de la Cour de justice pour garantir le respect par les actes communautaires des valeurs et principes également reconnus par sa constitution nationale. Il ne saurait y avoir
dans cette invite de quoi nous étonner, l’Union étant elle-même fondée sur les principes constitutionnels communs aux États membres, comme le rappelle l’article 6, paragraphe 1, TUE. En réalité ce que le Conseil d’État demande à La Cour, c’est non pas de vérifier la conformité d’un acte communautaire avec certaines valeurs constitutionnelles nationales — il ne pourrait d’ailleurs pas le faire —, mais de contrôler sa légalité à la lumière de valeurs constitutionnelles européennes analogues. C’est
par cette voie que ce qui semblait, à première vue irréconciliable, a été en fait réconcilié. L’Union européenne et les ordres juridiques nationaux sont fondés sur les mêmes valeurs juridiques fondamentales. Tandis qu’il est du devoir des juges nationaux de garantir le respect de ces valeurs dans le champ d’application de leurs constitutions, il est de la responsabilité de la Cour d’en faire de même dans le cadre de l’ordre juridique communautaire.
16. L’article 6 TUE exprime le respect dû aux valeurs constitutionnelles nationales. Il indique aussi les remèdes propres à prévenir un réel conflit avec celles-ci, notamment en ancrant les fondements constitutionnels de l’Union dans les principes constitutionnels communs aux États membres. Par cette disposition, ces derniers se sont assurés que le droit de l’Union ne menacera pas les valeurs fondamentales de leurs constitutions. Simultanément toutefois, ils ont transféré le soin de protéger ces
valeurs dans le champ du droit communautaire à la Cour de justice. À cet égard, le Conseil d’État est dans le vrai s’il présume l’existence d’une identité entre les valeurs fondamentales de sa constitution et celles de l’ordre juridique communautaire. Il doit néanmoins être souligné que cette congruence structurelle ne saurait être garantie que sur un plan systémique et qu’elle ne saurait l’être qu’au niveau communautaire et par le biais des mécanismes prévus par le traité. C’est cette identité
systémique qui est rappelée dans l’article 6 TUE et qui garantit qu’il ne soit pas attenté aux constitutions nationales, même si celles-ci ne peuvent plus être utilisées comme normes de référence du contrôle de la légalité des actes communautaires. Si tel était le cas, dans la mesure où le contenu et les instruments de protection des constitutions nationales varient grandement, l’application d’actes communautaires pourrait être l’objet de dérogations dans un État membre et non dans un autre.
Pareil résultat contreviendrait aux principes énoncés dans l’article 6 TUE et, en particulier, à la compréhension de la Communauté comme étant une Communauté de droit. En d’autres termes, si les constitutions nationales pouvaient être invoquées pour imposer une application sélective et discriminatoire des normes communautaires sur le territoire de l’Union, paradoxalement la conformité de l’ordre juridique communautaire aux traditions constitutionnelles communes des États membres en serait
altérée. C’est pourquoi, dans l’affaire Internationale Handelsgesellschaft, la Cour a dit pour droit que «l’invocation d’atteintes portées, soit aux droits fondamentaux tels qu’ils sont formulés par la constitution d’un État membre, soit aux principes d’une structure constitutionnelle nationale ne saurait affecter la validité d’un acte de la Communauté ou son effet sur le territoire de cet État» ( 7 ). La primauté du droit communautaire constitue donc bien une exigence existentielle de l’ordre
juridique d’une Communauté de droit.
17. L’article 6 TUE se borne à expliciter ce qui résultait déjà de cette exigence existentielle, à savoir que l’examen de la compatibilité des actes communautaires avec les valeurs et principes constitutionnels des États membres ne peut être effectué qu’au travers du droit communautaire lui-même et est limité, pour l’essentiel, aux valeurs fondamentales qui font partie de leurs traditions constitutionnelles communes. Le droit communautaire ayant ainsi intégré les valeurs constitutionnelles des États
membres, les constitutions nationales doivent adapter leurs prétentions à la suprématie, afin de respecter l’exigence existentielle de primauté du droit communautaire dans son champ d’application. Cela ne signifie pas que les juridictions nationales ne jouent aucun rôle dans l’interprétation à donner des principes généraux et droits fondamentaux communautaires. Il est au contraire inhérent à la nature même des valeurs constitutionnelles de l’Union en tant que valeurs constitutionnelles communes
aux États membres qu’elles doivent être précisées et développées par la Cour en dialogue constant avec les juges nationaux, notamment ceux qui sont chargés de l’interprétation authentique des constitutions nationales. L’instrument approprié de ce dialogue est le renvoi préjudiciel et c’est dans ce contexte que la présente question doit être comprise.
18. Sous le bénéfice de ces observations liminaires, il appert que le présent renvoi préjudiciel invite la Cour à répondre à deux interrogations. La première a trait aux points sur lesquels son contrôle de validité de la directive litigieuse peut être exercé. C’est la question de l’étendue de l’examen de validité. La seconde correspond à l’objet même de la question préjudicielle. C’est la question de la conformité de la directive contestée au principe d’égalité.
A — L’étendue de l’examen de validité
19. La question préjudicielle de validité soumise par le juge de renvoi ne porte que sur la conformité de la directive 2003/87 avec le principe d’égalité «en tant qu’elle rend applicable le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre aux installations du secteur sidérurgique sans y inclure les industries de l’aluminium et du plastique». Les requérantes au principal invitent cependant la Cour à étendre son examen de validité à d’autres moyens de légalité que, pour la plupart
d’entre eux, elles avaient déjà en substance soulevés dans le cadre de la procédure juridictionnelle nationale. Ces moyens sont tirés de la violation du principe d’égalité en ce que la directive emporterait également un traitement uniforme de situations différentes, de la méconnaissance de la liberté d’établissement, du droit de propriété, du droit au libre exercice des activités professionnelles et des principes de proportionnalité et de sécurité juridique.
20. Ces moyens soulevés par les demanderesses au principal sont-ils recevables? Jusqu’où peut porter le contrôle de légalité de la Cour saisie par une question préjudicielle en appréciation de validité?
21. Il est de principe que l’examen effectué par la Cour dans le cadre d’un renvoi préjudiciel est délimité par la question posée par le juge du fond. Les parties ne sauraient en changer la teneur ( 8 ) ni la Cour céder à leur invitation ( 9 ). La raison en est que l’article 234 CE institue une coopération directe entre la Cour de justice et les juridictions nationales par une procédure non contentieuse, étrangère à toute initiative des parties et au cours de laquelle celles-ci sont seulement
invitées à se faire entendre ( 10 ). La coopération juridictionnelle que cette disposition aménage est fondée sur une nette séparation des fonctions entre le juge national et la Cour, de sorte qu’il n’appartient qu’à celui-là, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il
pose à la Cour ( 11 ). À ces raisons de fond qui tiennent à l’essence même de la procédure préjudicielle s’en ajoute une autre d’ordre procédural, selon laquelle toute modification de la substance des questions préjudicielles affecterait l’obligation de la Cour d’assurer la possibilité aux gouvernements des États membres et aux parties intéressées de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut CE de la Cour (anciennement article 20), compte tenu du fait que, en vertu de
cette disposition, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux parties intéressées ( 12 ).
22. Certes, le respect de la compétence du juge national pour fixer le cadre de l’examen préjudiciel n’exclut pas une certaine flexibilité. Ainsi, si la question préjudicielle de validité est formulée de manière ouverte, c’est-à-dire si son libellé ne précise pas les causes d’invalidité autrement qu’à titre exemplatif, la Cour s’estime autorisée à procéder à l’examen de validité le plus large ( 13 ). Bien plus, elle fait parfois montre d’une grande liberté à l’égard du libellé des questions et
n’hésite pas, le cas échéant, à les reformuler. Il lui arrive même de transformer une question d’interprétation en une question de validité ( 14 ). Par ailleurs, l’interprétation donnée d’une mesure communautaire peut parfois la conduire à en examiner la validité ( 15 ), voire à en constater l’invalidité ( 16 ).
23. Toutefois, lorsque la question préjudicielle indique les causes d’invalidité, la Cour, sauf l’éventuel examen d’office d’un moyen d’ordre public ( 17 ), limite son contrôle à l’examen desdites causes à l’exclusion des moyens soulevés par les parties au principal qui n’ont pas été retenus par le juge de renvoi ( 18 ). Il y va de la confiance due au juge national en tant que juge communautaire et du respect de la mission qu’il exerce à ce titre, dont il suit que la Cour ne saurait revenir sur
l’appréciation portée par un juge national sur la légalité d’un acte communautaire, tant qu’elle ne risque pas de remettre en cause l’application uniforme du droit communautaire ( 19 ).
24. Aussi la Cour ne devrait-elle pas discuter des motifs d’invalidité de la directive 2003/87, évoqués par les demanderesses au principal dans leurs observations, tirés de la violation de principes autres que celui d’égalité. L’argument avancé par ces dernières, tiré de l’existence d’un recours en annulation contre la directive litigieuse pendant devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes, à l’appui duquel les moyens soulevés sont plus larges que la cause d’invalidité
renvoyée par le Conseil d’État, ne saurait conduire à une conclusion différente. Aligner en conséquence l’étendue de l’examen de la Cour sur celui du Tribunal serait méconnaître l’autonomie des deux voies de droit que constituent le recours en annulation et le renvoi préjudiciel, l’ordonnancement de chacune d’entre elles étant conçu en fonction de leur objet propre.
25. La Cour peut-elle néanmoins également examiner l’allégation de violation du principe d’égalité pour traitement identique de situations différentes que les requérantes au principal font valoir tant devant elle que devant le juge de renvoi? Il est vrai que, selon la portée que lui a conférée la jurisprudence de la Cour, le principe communautaire d’égalité tend à prohiber non seulement le traitement différent de situations comparables mais encore le traitement uniforme de situations différentes (
20 ). La difficulté naît de ce que la norme sur le fondement de laquelle les requérantes avaient, dans le cadre de la procédure au principal, soulevé le grief tiré du traitement uniforme de situations différentes n’était pas le principe communautaire d’égalité. Elles avaient invoqué le principe de droit constitutionnel français d’égalité, développant ainsi une critique de la constitutionnalité interne de la directive. Or, le principe français ne s’opposant pas au traitement identique de
situations différentes, le Conseil d’État a rejeté le moyen comme inopérant sans en examiner le bien-fondé. Autrement dit, en raison de la portée plus restreinte du droit interne en matière d’égalité, terrain sur lequel les requérantes se sont placées, l’argumentation de ces dernières ne contraignait pas le juge de renvoi à devoir arbitrer un conflit entre la directive et le droit constitutionnel national. Ledit juge n’avait donc pas, afin d’éviter la mise en œuvre d’un contrôle de conformité de
la directive à la Constitution française qui aurait pu faire obstacle à l’application du droit communautaire, à transférer le conflit dans la sphère communautaire par une requalification du moyen de constitutionnalité en moyen tiré de la méconnaissance du principe communautaire d’égalité et par le renvoi de son examen à la Cour de justice.
26. Le sort du moyen tiré du traitement uniforme de situations différentes eût sans doute été différent si les requérantes s’étaient fondées sur le principe communautaire d’égalité: le juge du principal en aurait examiné le bien-fondé et, en cas de doute sur la validité de la directive à cet égard, renvoyé à la Cour la question. En acceptant, ce nonobstant, de porter son examen sur cette dimension du principe d’égalité, la Cour pourrait donc donner l’impression, fâcheuse, de rattraper une erreur de
stratégie contentieuse.
27. À l’inverse, ne pas se prononcer sur ledit moyen reviendrait, en fin de compte, à aligner la portée du principe communautaire d’égalité sur celle, moins protectrice, du principe correspondant du droit français. Ce serait aller à l’encontre de l’autonomie du droit communautaire. Il me semble donc que la Cour devrait également examiner le grief tiré du traitement identique de situations différentes. Dans la mesure, en outre, où, ce faisant, le contrôle de validité resterait limité à la
vérification du respect du principe qui a motivé les doutes et le renvoi du juge a quo, il peut être soutenu, sans trop solliciter les solutions établies en la matière, que l’examen de la Cour resterait «dans le cadre de la question préjudicielle» qui lui est posée ( 21 ).
B — La validité de la directive 2003/87 au regard du principe d’égalité
28. Le principe général d’égalité, en tant que principe général de droit communautaire, impose que «des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié» ( 22 ).
29. L’examen de validité de la directive litigieuse au regard du principe communautaire d’égalité doit, on l’a dit, porter sur les deux dimensions que lui reconnaît la jurisprudence de la Cour.
30. Avant d’y procéder, il convient de rappeler l’objet et l’intensité du contrôle du respect du principe d’égalité mis en œuvre par la Cour.
31. Le principe d’égalité crée une présomption, en vertu de laquelle toute différence de traitement constitue une discrimination, à moins que le législateur n’avance une justification acceptable ( 23 ), c’est-à-dire objective et raisonnable ( 24 ). Dans tout système juridictionnel, l’intensité du contrôle exercé sur cette justification et sur la différence de traitement qui en découle varie selon le domaine et selon les motifs de différenciation retenus par le législateur ( 25 ).
32. Si ce dernier utilise des classifications suspectes, c’est-à-dire liées à la race, le sexe, l’origine ethnique, les opinions politiques ou religieuses (…), le contrôle sera très serré et pourra s’étendre jusqu’à un contrôle strict de proportionnalité. De même en droit communautaire, la prévention marquée exprimée par le traité à l’égard de certains critères de différenciation, tels que la nationalité (article 12 CE) ou les critères énoncés dans l’article 13 CE, créé une présomption de
discrimination qui déclenche, là aussi, un contrôle juridictionnel incluant généralement un examen strict de proportionnalité.
33. Dans certains domaines en revanche, en particulier celui de la réglementation économique et sociale, et dès lors que le législateur ne recourt pas à de telles classifications suspectes, c’est-à-dire dès lors que seule l’égalité devant la loi est en cause, le degré d’intensité du contrôle est moins élevé. Ce constat vaut pour tous les systèmes judiciaires nationaux, même si les marqueurs de cette limitation du contrôle («reasonableness», «rational basis», erreur manifeste, «Willkürverbot», …) et
l’ampleur de celle-ci peuvent varier. Trois justifications à ce degré moindre de contrôle peuvent être avancées. Premièrement, comme le principe d’égalité peut être invoqué contre tout type de mesures gouvernementales, quels que soient les intérêts ou activités affectés, si les juges exerçaient toujours un contrôle approfondi, ils soumettraient souvent les choix économiques et sociaux du législateur à une seconde appréciation, ce qui mettrait en cause à la fois leur légitimité et leur capacité
de traitement judiciaire. Deuxièmement, toute activité législative implique des choix et emporte des effets redistributifs: en principe, bien que ces choix et effets redistributifs favorisent inévitablement certaines catégories sociales ou économiques aux dépens d’autres, ils ne constituent pas des discriminations et il revient au processus politique de discuter, définir et répartir ces effets redistributifs. Troisièmement, ce n’est que lorsque des groupes spécifiques, qui sont souvent
sous-représentés dans le processus de décision politique, sont identifiés et protégés par la loi que les juges sont légitimés à mettre en œuvre un contrôle plus strict des différenciations de traitement décidées par le politique.
34. Des considérations analogues conduisent également, en droit communautaire, à la reconnaissance d’un pouvoir discrétionnaire au titulaire du pouvoir normatif et à la limitation consécutive du contrôle juridictionnel. Effectuer des choix et arbitrer entre des intérêts divergents supposant la mise en œuvre d’appréciations complexes, une large marge d’appréciation a été concédée à cet effet par la Cour au législateur communautaire, que ce soit en matière agricole ( 26 ), sociale ( 27 ),
commerciale ( 28 ) ou encore dans le domaine des transports ( 29 ). Il en a aussi été ainsi en matière de politique environnementale «en raison de la nécessité de la mise en balance de certains des objectifs et principes visés à l’article 130 R du traité CE (devenu, après modification, article 174 CE) ainsi que de la complexité de la mise en œuvre des critères que le législateur communautaire doit respecter dans le cadre de la mise en œuvre de la politique de l’environnement» ( 30 ).
35. En conséquence, afin de respecter le pouvoir discrétionnaire des institutions et de ne pas empiéter, au mépris de la séparation des pouvoirs, sur les responsabilités politiques qui leur incombent en substituant son appréciation à celle réservée auxdites institutions ( 31 ), la Cour borne son contrôle, à partir du moment où ne sont pas en cause des classifications suspectes, à la recherche d’une erreur manifeste d’appréciation commise dans les choix législatifs opérés. Cette limitation du
contrôle juridictionnel s’observe dans ces domaines, y compris lorsqu’il s’agit de vérifier la compatibilité de la mesure prise avec les principes généraux du droit communautaire et, en particulier, avec le principe d’égalité ( 32 ).
36. Cette limitation du contrôle juridictionnel ne saurait être vue comme une absence de contrôle. Quand le contrôle restreint porte sur le respect du principe d’égalité, il peut être schématiquement présenté de la manière suivante:
— la Cour recherche en premier lieu si les différenciations effectuées par le législateur obéissent à des critères objectifs, c’est-à-dire en rapport avec un but légalement admissible poursuivi par la législation en cause ( 33 );
— la Cour veille aussi, toujours dans un souci de prévenir l’arbitraire, au maintien de la cohérence interne de la législation en cause, c’est-à-dire au respect des critères objectifs retenus par le législateur et à la pondération qu’il a décidé d’en faire;
— la Cour vérifie, enfin, l’adéquation entre la différence de traitement instituée et le but poursuivi et, dans cette optique, se borne le plus souvent à contrôler que la mesure prise n’est pas manifestement inappropriée.
37. Qu’est-ce alors qu’une erreur manifeste? Même s’il s’agit d’un standard jurisprudentiel dont la Cour définit les contours à l’occasion de chaque affaire, il ressort d’une systématisation de sa jurisprudence que l’erreur manifeste, c’est d’abord l’erreur évidente. Certes théoriquement, l’évidence peut être débusquée «avec l’enthousiasme d’un détective myope» ( 34 ) ou, au contraire, traquée «à la manière (…) des plus grands héros de la littérature policière» ( 35 ). Mais, là encore, il appert
d’une lecture attentive de la jurisprudence communautaire qu’en général, n’est pas évidente une erreur qui n’est pas incontestable: si un doute subsiste, si le requérant ne parvient pas à établir que l’autorité attraite devant la Cour a tort; si, dit autrement encore, l’autorité communautaire «a pu» ou «pouvait» prendre l’acte ( 36 ), c’est-à-dire qu’elle a pu avoir raison, la requête est repoussée. L’erreur manifeste, c’est aussi l’erreur grave, tant il est vrai que l’erreur qui atteint un
certain seuil de gravité en devient évidente ( 37 ). Ainsi comprise, la notion d’erreur manifeste d’appréciation n’est pas bien éloignée de celle de «reasonableness»ou d’«unreasonableness», limite de l’examen, par les tribunaux britanniques, de la légalité des actes administratifs discrétionnaires ( 38 ). Ce n’est, du reste, certainement pas un hasard si la Cour a, dans certains arrêts, après avoir rappelé la restriction de son contrôle, en la matière, à l’erreur manifeste d’appréciation, rejeté
le moyen, parce que l’autorité communautaire «pouvait raisonnablement» effectuer l’appréciation contestée ( 39 ), parce que celle-ci était «raisonnablement admissible» ( 40 ). Elle apparaît également proche du concept d’arbitraire, particulièrement utilisé en droit allemand ( 41 ).
38. Recherche d’un vice grave, évident, sanction de l’appréciation déraisonnable, censure de l’arbitraire, le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation ne tend donc pas à ce que la mesure dont l’adoption requérait des appréciations complexes fût la meilleure possible; une certaine marge d’erreur est consentie au législateur, pourvu que le seuil du manifeste ne soit pas franchi.
39. Tels sont, je crois, l’objet et l’intensité du contrôle du respect du principe d’égalité mis en œuvre par la Cour en matière économique ( 42 ) et c’est donc à pareil examen que je vais à présent me livrer dans cette affaire aux fins de réponse à la question préjudicielle posée.
1. Sur le traitement différent de situations comparables
40. La question posée par le Conseil d’État français porte, rappelons-le, sur «la validité de la directive du 13 octobre 2003 au regard du principe d’égalité en tant qu’elle rend applicable le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre aux installations du secteur sidérurgique sans y inclure les industries de l’aluminium et du plastique». Il ressort des motifs de l’arrêt du juge a quo que les doutes qui ont motivé le renvoi de ladite question préjudicielle ont trait à l’existence
d’une justification objective de cette différence de traitement instituée par la directive contestée entre d’une part, le secteur sidérurgique et d’autre part, les secteurs du plastique et de l’aluminium, alors que lesdits secteurs se trouveraient dans des situations comparables.
41. Ecartons immédiatement l’objection avancée par la Commission et le Parlement selon laquelle, à la supposer établie, la différence de traitement de situations comparables ne constituerait pas une discrimination en ce qu’elle n’emporterait, par elle-même, pas de désavantage pour la sidérurgie par rapport à l’aluminium et au plastique. Les deux institutions font valoir que les États membres restent libres de la quantité totale de quotas qu’ils ont l’intention d’allouer, de leur répartition entre
les secteurs et qu’ils peuvent donc octroyer au secteur de la sidérurgie des quotas couvrant la totalité de ses besoins. Elles avancent encore que les États membres peuvent soumettre les secteurs non inclus à des mesures nationales plus contraignantes que le système d’échange de quotas, afin de respecter leurs engagements de réduction des gaz à effet de serre contractés au titre du protocole de Kyoto. Cette objection revient à soutenir que la discrimination que la directive impose ou autorise
peut être corrigée par la politique des États membres. Or, l’existence d’une discrimination s’apprécie au regard du texte mis en cause et du dispositif qu’il aménage. Ladite objection ne saurait donc prospérer.
42. Pour bien circonscrire l’objet de la question posée, il convient de préciser d’emblée que rechercher si un traitement différent de situations comparables est objectivement justifié, c’est-à-dire est fondé sur un critère objectif, revient en réalité à déterminer si la différence de traitement se justifie par une différence de situations ( 43 ). Les situations ne sont, en effet, jamais identiques en tous points, l’égalité ne peut jamais résider dans la totalité des termes de la comparaison. Dès
lors, le choix du tertium comparationis qui permettra au législateur communautaire d’isoler parmi l’infinité des traits caractéristiques des situations à comparer ceux qui se révéleront pertinents pour décider de leur similitude acquiert une importance déterminante. Or, la jurisprudence impose que le critère retenu soit «objectif» ( 44 ), c’est-à-dire en rapport avec l’objet et le but de la réglementation à appliquer ( 45 ). En d’autres termes, c’est au regard des finalités de la mesure en cause
que doit être déterminée l’analogie des situations concernées. Par conséquent, dans la mesure où le critère de différenciation objective, comme le critère de comparaison des situations, doit se rapporter au but poursuivi, s’en prévaloir pour justifier une différence de traitement de situations similaires revient, en fin de compte, à estimer l’identité de situations invoquée comme non pertinente au regard de l’objectif visé. En d’autres termes, la question de validité qui fait l’objet du présent
renvoi préjudiciel invite la Cour à vérifier si l’inclusion du secteur sidérurgique dans le champ du système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre et l’exclusion de celui-ci des secteurs de l’aluminium et du plastique se justifient par des considérations objectives, c’est-à-dire qui soient fonction de l’objet et du but de la directive contestée.
43. Or, aux termes de l’article 1er de ladite directive, le système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre tend à «favoriser la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans des conditions économiques efficaces et performantes». Au regard de cet objectif, même si l’existence d’une relation de concurrence entre les opérateurs économiques concernés peut jouer un rôle, elle ne saurait être considérée en elle-même comme déterminante. À supposer même que, comme le
soutiennent le juge de renvoi et les requérantes au principal, les industries de l’acier et de l’aluminium soient en concurrence, il n’en résulterait pas pour autant qu’elles doivent être considérées comme étant dans des situations comparables indépendamment des objectifs visés ( 46 ) et comme devant, par conséquent, être traitées de la même manière au regard du système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre.
44. Il n’en demeure pas moins que l’objectif poursuivi de réduction des émissions de gaz à effet de serre commanderait a priori la soumission de tous les secteurs industriels émetteurs à la directive litigieuse et, par conséquent, également des secteurs des métaux non-ferreux et de l’industrie chimique. Mais la mise en place par la Communauté d’un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre s’inscrit dans le cadre d’une approche «step by step», appelée aussi «learning by doing».
Comme toutes les institutions intervenantes l’ont souligné, le système instauré par la directive 2003/87 était le premier de ce genre dans le monde. Il devait servir d’exemple non seulement pour les acteurs impliqués dans la Communauté mais encore pour les États tiers et, à cet effet, impérativement démontrer son efficacité. La nouveauté du dispositif, la complexité du mécanisme de suivi, notification et vérification des émissions dont il supposait la mise en place recommandaient une certaine
prudence. Il convenait d’éviter de mettre en place dès le départ un système dont le champ d’application aurait englobé la plupart des secteurs industriels et la plupart des gaz à effet de serre. Trop d’ambition risquait de mener à l’échec comme nous le rappelle la sagesse populaire par son adage: «qui trop embrasse mal étreint».
45. De fait, particulièrement dans des domaines qui comportent des risques sociétaux inédits et/ou dans lesquels le législateur initie de nouvelles politiques, il est souvent sage, et devenu commun, d’agir avec prudence en expérimentant, dans des champs limités, le nouveau dispositif. Aussi bien, les droits des États membres admettent, voire consacrent le recours à l’expérimentation législative ( 47 ). La jurisprudence de la Cour elle-même a reconnu la légitimité d’une harmonisation législative par
étapes ( 48 ), compte tenu, notamment de la «complexité de la matière» ( 49 ) à régler. Et elle a concédé au législateur une marge d’appréciation pour décider de l’opportunité et du rythme d’une harmonisation par étapes ( 50 ).
46. Il est alors de la nature même de l’expérimentation législative d’entrer en tension avec le principe d’égalité. L’idée même de «learning by doing» suppose, en effet, l’application de la nouvelle politique à seulement un nombre limité de ses sujets potentiels dans un premier temps; elle conduit à une délimitation artificielle de son champ d’application, afin d’en tester les conséquences avant toute extension de ses règles à tous les opérateurs qui pourraient, au regard de ses objectifs, y être
soumis. Pour autant, la reconnaissance de la légitimité de l’expérimentation législative ne saurait désamorcer toute critique éventuelle au regard du principe d’égalité. Les discriminations qu’une législation expérimentale implique inévitablement ne sauraient être compatibles avec le principe d’égalité que si certaines conditions sont satisfaites.
47. Il faut d’abord que les mesures expérimentales présentent un caractère transitoire. Tel est bien le cas de la directive litigieuse. Son article 30 prévoit une révision dudit texte sur la base de «l’expérience acquise» et des «progrès réalisés dans la surveillance des émissions des gaz à effet de serre» en vue d’inclure dans le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre d’autres secteurs industriels et les émissions d’autres gaz à effet de serre. En application de cette
disposition, la Commission a proposé l’inclusion des activités aériennes ( 51 ). Surtout, en vue de réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 20 % par rapport à leurs niveaux de 1990, elle a suggéré d’étendre le système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre d’une part, aux émissions de CO2 liées aux produits pétrochimiques, à l’ammoniac et à l’aluminium et d’autre part, aux émissions de N2O provenant de la production d’acide nitrique, adipique et
glyoxylique, ainsi qu’aux émissions de PCF provenant du secteur de l’aluminium ( 52 ).
48. Il faut ensuite que la délimitation du champ d’application de la mesure expérimentale obéisse à des critères objectifs. En l’espèce, l’exclusion ou l’inclusion dans le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre doit donc répondre à des considérations en rapport avec les finalités poursuivies par la directive. Comme je l’ai déjà rappelé, celle-ci vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre au moindre coût, c’est-à-dire tout en nuisant le moins possible au
développement économique et à l’emploi ( 53 ). À cet effet, le législateur communautaire a décidé d’appliquer en priorité le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre aux émissions de dioxyde de carbone, dès lors que le CO2 représentait en 1999 plus de 80 % des émissions de gaz à effet de serre dans la Communauté et que la surveillance des émissions de dioxyde de carbone pouvait produire des données de bonne qualité, sur une base constante, tandis que la surveillance des
émissions des autres gaz à effet de serre posait encore trop de problèmes ( 54 ). Et il n’a soumis à la directive litigieuse que les secteurs industriels qui étaient les plus grands émetteurs de CO2 au motif que, plus les quantités d’émissions provenant d’un secteur industriel sont élevées, moins le poids des coûts fixes (comptabilisation et déclaration des émissions, vérification de celles-ci par un organisme indépendant, formation et emploi du personnel nécessaire pour gérer l’échange
d’émissions) que génère l’application du système d’échange de quotas et qui doivent être supportés par tous les opérateurs qui y participent se fera sentir; pour les petits émetteurs, qui ne disposent que d’un volume limité de quotas pouvant être échangés, les éventuels bénéfices qu’ils peuvent retirer d’un système d’échange de quotas sont, en revanche, nécessairement moins importants que ceux pouvant être retirés par des grands émetteurs.
49. Privilégier le gaz le plus «responsable» de l’effet de serre et retenir les quantités émises de ce gaz par chaque secteur industriel constituent assurément des critères objectifs. Les requérantes au principal contestent pourtant que la quantité d’émissions de CO2 ait été le critère déterminant. Elles citent une statistique du Registre européen des émissions de polluant pour l’année 2001, d’après laquelle les émissions de CO2 du secteur chimique, dans son ensemble, représentaient 5,35 % et celle
du secteur de l’aluminium 2 % des émissions globales des activités industrielles dans l’Union européenne, tandis que celles du secteur de l’acier s’élevaient à 5,4 %, celles du secteur du verre, de la céramique et des matériaux de construction à 2,7 % et celles du secteur du papier et de l’impression à 1 %. Ces chiffres ne sauraient cependant être retenus car, comme l’ont fait observer les institutions intervenantes, elles ne distinguent pas entre les émissions directes ( 55 ) et indirectes ( 56
) de chacun des secteurs concernés. Or, dans la mesure où les émissions indirectes produites par des installations de combustion d’une puissance de combustion supérieure à 20 mégawatts sont elles-mêmes couvertes au titre du secteur de l’énergie, le législateur a décidé de ne tenir compte que des quantités des émissions directes de CO2 des autres secteurs. Le fait de ne prendre en compte les émissions de CO2 qu’au moment et dans le lieu où elles sont produites est, d’ailleurs, conforme aux
principes du pollueur-payeur et de correction à la source des atteintes à l’environnement énoncés à l’article 174 CE. À cet égard, selon une étude citée par toutes les institutions intervenantes et sur laquelle le législateur communautaire s’est fondé, le secteur de la sidérurgie ne se trouve pas, contrairement à ce que soutiennent les demanderesses au principal, dans la même situation que les secteurs de l’aluminium et du plastique: les émissions directes de CO2 de la sidérurgie (acier et
fonte) s’élevaient à 174,8 millions de tonnes en 1990 contre 16,2 millions de tonnes pour les métaux non ferreux et 26,2 millions de tonnes pour le secteur chimique.
50. Les requérantes au principal rétorquent que le secteur du papier et de la pâte à papier a été inclus, alors qu’il ne produisait que 10, 6 millions de tonnes d’émissions directes de CO2 en 1990, soit beaucoup moins que le secteur de l’industrie chimique et même moins que celui des métaux non ferreux. Mais le législateur communautaire a aussi tenu compte de la faisabilité administrative de l’inclusion des secteurs industriels dans le système d’échange de quotas. Le bon fonctionnement dudit système
présupposant la mise en place d’un mécanisme complexe de suivi au niveau de chaque installation, l’inclusion dès le départ des secteurs présentant un grand nombre d’installations par rapport au volume total d’émissions qu’ils occasionnaient risquait d’alourdir le mécanisme de suivi et, partant, de nuire à la qualité de la surveillance des émissions et à la fiabilité des données, sans procurer un bénéfice environnemental notable. Or, le nombre d’installations chimiques dans la Communauté était
particulièrement élevé, de l’ordre de34000 unités ( 57 ). Le secteur du papier, était, au contraire, très concentré. Cette prise en compte des difficultés administratives de gestion du système d’échange répond à l’objectif énoncé à l’article 1er de la directive contestée, réduire les émissions des effets de gaz à effet de serre «dans des conditions économiquement efficaces et performantes». En outre, la Cour a admis que le souci d’éviter des frais administratifs disproportionnés puisse
objectivement justifier une différence de traitement ( 58 ).
51. À cet argument de faisabilité administrative, les requérantes au principal ont cependant objecté lors de l’audience que seul un petit nombre d’installations était responsable de la très grande majorité des émissions de dioxyde de carbone du secteur chimique et que, pour décider de l’inclusion dans le système d’échange de quotas, il aurait donc fallu raisonner par installation et non par secteur entier, et inclure les installations chimiques qui dépassent un certain seuil d’émissions. Une telle
approche aurait néanmoins mis à mal l’égalité entre grandes et petites installations au sein d’un même secteur entre lesquelles la concurrence est totale.
52. Il reste que l’argument de l’efficacité administrative justifie moins l’exclusion du secteur de l’aluminium, dans la mesure où il connaît une concentration comparable à celle du secteur du papier. Mais ce dernier est très exposé à la concurrence internationale. Partant, ne pouvant intégrer le coût que génère sa soumission au système d’échange de quotas sans risque de pertes de marché, les installations d’aluminium peuvent être tentées par une délocalisation dans des pays tiers non soumis à des
objectifs Kyoto. Toute différente est à cet égard la situation du secteur du papier et de la pâte à papier: comme la Commission l’a fait valoir à l’audience, le risque de délocalisations est minimisé par le fait que les installations ne peuvent facilement s’éloigner de leurs sources d’approvisionnement en matières premières et la concurrence internationale l’est par la circonstance que le transport sur de longues distances de tels produits de faible valeur unitaire n’est pas rentable.
53. Certes, le secteur de la sidérurgie connaît également une très vive concurrence internationale et le risque de délocalisations vers des pays sans objectif Kyoto existe. Les émissions de CO2 émanant de ce secteur sont toutefois sans commune mesure avec celles provenant du secteur de l’aluminium, plus de 10 fois plus importantes, et justifiaient donc son inclusion dans le système d’échange de quotas dès le départ.
54. Des considérations qui précèdent, il ressort donc que, même si certaines des critiques émises par les requérantes au principal au regard du principe d’égalité ne sont pas dénuées de toute pertinence, si elles ont pu, à juste titre, faire naître chez le juge a quo des doutes sur la validité de la directive litigieuse qui ont motivé le présent renvoi, il n’apparaît pas, comme il a été démontré ci-dessus, que, dans la mise en œuvre du principe d’égalité, le choix des critères, la balance effectuée
entre ces derniers aient été déraisonnables, particulièrement dans un contexte d’expérimentation législative. Les arguments avancés par les institutions intervenantes pour défendre la mesure législative prise apparaissent défendables. Alors, sans doute d’autres options étaient-elles envisageables; peut-être même une meilleure solution existait-elle. Mais il n’appartient pas au juge de le dire. Lorsque plusieurs opinions peuvent se situer à égale distance de la vérité absolue et objective, quel
est le juge pouvant prendre sur lui d’en éliminer une? À s’engager dans cette voie, la Cour ferait perdre au contrôle de légalité son caractère objectif, elle serait conduite à substituer son appréciation de politique économique à celle du législateur communautaire ( 59 ) et, partant, à usurper les responsabilités politiques de ce dernier au mépris de la séparation des pouvoirs. Pour tous ces motifs, la directive n’apparaît pas entachée d’une violation du principe d’égalité.
55. Que la proposition de directive du 23 janvier 2008 décide d’inclure dans le cadre d’une deuxième phase l’aluminium et le secteur chimique, alors que la quantité d’émissions de CO2 provenant de ces secteurs, le nombre de leurs installations et leur degré d’exposition à la concurrence internationale n’ont pas varié ne saurait, contrairement à ce que soutiennent les requérantes au principal, infirmer cette conclusion et démontrer que l’exclusion initiale desdits secteurs était entachée d’une erreur
manifeste d’appréciation dans l’application du principe d’égalité. En effet, comme le Conseil et la Commission l’ont fait valoir à l’audience, l’appréciation des critères ne peut être la même au moment de la mise en place du système et lorsqu’on décide de la soumission de secteurs à un système qui a fait ses preuves. C’est, en quelque sorte, l’essence même de l’approche «step by step».
2. Sur le traitement uniforme de situations différentes
56. Les demanderesses au principal soutiennent que le secteur sidérurgique ne se trouve pas dans la même situation que les autres secteurs industriels qui entrent dans le champ d’application de la directive contestée. À la différence de ces derniers, il ne serait techniquement pas en mesure de réduire ces émissions de CO2 dans un avenir proche. Les installations sidérurgiques seraient donc contraintes d’acquérir des quotas supplémentaires, alors que, contrairement aux entreprises des autres secteurs
soumis au système d’échange de quotas, elles seraient exposées à une forte concurrence internationale, ce qui les empêcherait de répercuter le coût des quotas sur leurs clients sauf à perdre des parts de marchés. Il en résulterait une réduction substantielle de leurs marges bénéficiaires et, partant, une diminution de leurs possibilités d’investissement.
57. L’argumentation des requérantes au principal ne saurait prospérer. Il convient de relever en premier lieu qu’à l’audience, le gouvernement français a contesté l’inaptitude des entreprises sidérurgiques à réduire significativement leurs émissions de dioxyde de carbone, évoquant plusieurs techniques pouvant être utilisées à cette fin. Bien plus, à supposer même que tel ne soit pas le cas et que l’industrie sidérurgique se trouve effectivement, à cet égard, dans une situation différente, le
législateur communautaire a pris dûment en compte ladite différence de situation. En effet, l’annexe III, point 3 de la directive 2003/87 fait obligation aux États membres, pour l’allocation de quotas, de tenir compte du potentiel, y compris le potentiel technologique, de réduction des émissions produites par les activités couvertes par le système d’échange de quotas. D’ailleurs, il ressort des échanges oraux lors de l’audience que toutes les émissions du groupe Arcelor ont été couvertes par des
quotas alloués gratuitement et que le bilan comptable d’Arcelor pour l’année 2006 fait même apparaître un gain tiré de la vente de quotas excédentaires. Aussi, et compte tenu de la limitation du contrôle liée au pouvoir discrétionnaire reconnu au législateur communautaire en la matière, le grief de violation du principe d’égalité tiré d’un traitement uniforme de situations différentes ne saurait être accueilli.
IV — Conclusion
58. Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre de la manière suivante à la question préjudicielle posée par le Conseil d’État:
«L’examen de la question posée n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 2003, établissant un système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil.»
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( 1 ) Langue originale: le français.
( 2 ) Voir Conseil d’État, Ass., 20 octobre 1989, Lebon p. 190.
( 3 ) Directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 2003, établissant un système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil, JO L 275, p. 32.
( 4 ) Pour reprendre l’heureuse expression du commissaire du gouvernement Matthias Guyomar dans ses conclusions sur cette affaire, RFDA 2007, p. 384, spécialement p. 394.
( 5 ) Arrêt du 22 octobre 1987 (314/85, Rec. p. 4199).
( 6 ) Voir, en ce sens, Conseil d’État, Ass., 28 mars 1997, Société Baxter, Lebon p. 114, et Conseil d’État, Sect., 19 mars 2007, Le Gac, requête no 300467 e.a.
( 7 ) Arrêt du 17 décembre 1970, Internationale Handelsgesellschaft (11/70, Rec. p. 1125, point 3).
( 8 ) Voir arrêts du 9 décembre 1965, Singer (44/65, Rec. p. 1191, spécialement p. 1198), et du 17 septembre 1998, Kainuun Liikenne et Pohjolan Liikenne (C-412/96, Rec. p. I-5141, point 23).
( 9 ) Voir arrêt du 12 février 2004, Slob (C-236/02, Rec. p. I-1861, point 29).
( 10 ) Voir par exemple, arrêt du 6 juillet 2000, ATB e.a. (C-402/98, Rec. p. I-5501, point 29).
( 11 ) Voir encore récemment, arrêts du 26 juin 2007, Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a. (C-305/05, Rec. p. I-5305, point 18), et du 15 avril 2008, Nuova Agricast (C-390/06, Rec. p. I-2577, point 43).
( 12 ) Voir notamment, arrêts du 30 janvier 1997, Wiljo (C-178/95, Rec. p. I-585, point 30), et du 20 mars 1997, Phytheron International (C-352/95, Rec. p. I-1729, point 14).
( 13 ) Voir par exemple, arrêts du 30 novembre 1978, Welding (87/78, Rec. p. 2457); du 7 juillet 1981, Rewe-Handelsgesellschaft Nord et Rewe-Markt Steffen (158/80, Rec. p. 1805), et du 17 juillet 1997, Affish (C-183/95, Rec. p. I-4315).
( 14 ) Voir par exemple, arrêts du 1er décembre 1965, Schwarze (16/65, Rec. p. 1081, spécialement p. 1094-1095), et du 15 octobre 1980, Roquette Frères (145/79, Rec. p. 2917, points 6 et 7).
( 15 ) Voir arrêts du 27 septembre 1988, Lenoir (313/86, Rec. p. 5391), et du 6 avril 2000, Polo/Lauren (C-383/98, Rec. p. I-2519).
( 16 ) Voir arrêts du 14 juin 1990, Weiser (C-37/89, Rec. p. I-2395), et du 7 septembre 1999, De Haan (C-61/98, Rec. p. I-5003).
( 17 ) Voir par exemple, arrêt du 18 février 1964, Rotterdam et Putterskoek (73/63 et 74/63, Rec. p. 1, 28).
( 18 ) Pour des exemples de refus particulièrement ferme d’examen de motifs d’invalidité soulevés par les parties au principal mais non visés par la juridiction de renvoi, voir arrêts précités Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a., points 17 à 19, et Nuova Agricast, points 42 à 44.
( 19 ) On oublie, en effet, trop souvent que l’arrêt Foto-Frost (précité) reconnaît au juge national le pouvoir d’examiner la validité des actes communautaires, seule la constatation de l’invalidité étant réservée à la Cour de justice.
( 20 ) Pour un rappel tout récent, voir arrêt du 23 octobre 2007, Pologne/Conseil (C-273/04, Rec. p. I-8925, point 86).
( 21 ) Arrêt du 28 octobre 1982, Dorca Marina e.a. (50/82 à 58/82, Rec. p. 3949, point 13).
( 22 ) Arrêts du 13 décembre 1984, Sermide (106/83, Rec. p. 4209, point 28); du 20 septembre 1988, Espagne/Conseil (203/86, Rec. p. 4563, point 25); du 19 mars 1992, Hierl (C-311/90, Rec. p. I-2061, point 18); du 5 octobre 1994, Crispoltoni e.a. (C-133/93, C-300/93 et C-362/93, Rec. p. I-4863, point 51); du 10 septembre 1996, Commission/Royaume-Uni (C-222/94, Rec. p. I-4025, point 34); du 9 septembre 2004, Espagne/Commission (C-304/01, Rec. p. I-7655, point 31), et Pologne/Conseil, précité, point
86.
( 23 ) Voir Benedettelli, M. V., Il giudizio di eguaglianza nell’ordinamento giuridico delle comunità europee, Dott. A. Milani, Padoue, 1989, p. 20.
( 24 ) Voir Hernu, R., Principe d’égalité et principe de non-discrimination dans la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, LGDJ 2003, p. 427 et suiv.
( 25 ) Voir en ce sens, pour une présentation d’ensemble de la jurisprudence du Tribunal constitutionnel fédéral allemand en la matière, Somek, A., «The Deadweight of formulae: what might have been the second germanization of american equal protection review», Journal of Constitutional Law, 1998-1999, p. 284; Sachs, M., «The Equality Rule Before the German Federal Constitutional Court», Saint-Louis-Warsaw transatlantic Law Journal, 1998, p. 139; voir aussi pour un rappel jurisprudentiel récent,
BverfGE, 13 mars 2007, 1BvF 1/05, § 79 à 82. La jurisprudence du Conseil constitutionnel français révèle également une gradation du contrôle juridictionnel en fonction des domaines d’application du principe d’égalité et des types de discriminations créées par le législateur (voir Mélin-Soucramanien, F., Le principe d’égalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Economica 1997, p. 130 à 162).
( 26 ) Voir arrêt du 5 octobre 1994, Allemagne/Conseil (C-280/93, Rec. p. I-4973, points 89 et 90).
( 27 ) Voir arrêt du 12 novembre 1996, Royaume-Uni/Conseil (C-84/94, Rec. p. I-5755, point 58).
( 28 ) Voir arrêt du 19 novembre 1998, Royaume-Uni/Conseil (C-150/94, Rec. p. I-7235, point 53).
( 29 ) Voir arrêt du 17 juillet 1997, SAM Schiffahrt et Stapf (C-248/95 et C-249/95, Rec. p. I-4475).
( 30 ) Arrêt du 15 décembre 2005, Grèce/Commission (C-86/03, Rec. p. I-10979, point 88). Voir aussi, arrêts du 14 juillet 1998, Safety Hi-Tech (C-284/95, Rec. p. I-4301, point 37), et Bettati (C-341/95, Rec. p. I-4355, point 35).
( 31 ) Il ressort, en effet, d’une jurisprudence constante que la Cour fonde le pouvoir discrétionnaire, et la limitation consécutive de son contrôle, sur la nécessité, commandée par le principe de la séparation des pouvoirs, de respecter les «responsabilités politiques» que le traité confère au législateur communautaire et, par suite, de ne pas se substituer à ce dernier dans les choix qu'il est amené à effectuer [voir, par exemple, arrêts du 11 juillet 1989, Schräder HS Kraftfutter (265/87, Rec.
p. 2237, point 22), et du 13 novembre 1990, Fedesa e.a. (C-331/88, Rec. p. I-4023, point 14)].
( 32 ) Voir notamment, arrêt du 21 février 1990, Wuidart e.a. (C-267/88 à C-285/88, Rec. p. I-435, points 13 à 18). Voir aussi, arrêts du 26 mars 1987, Coopérative agricole d'approvisionnement des Avirons (58/86, Rec. p. 1525, points 14 à 17), et du 8 juin 1989, AGPB (167/88, Rec. p. 1653, points 29 à 33).
( 33 ) Voir point 42 des présentes conclusions.
( 34 ) Selon la jolie formule de Kornprobst, M., «L’erreur manifeste», Recueil Dalloz, 1965, Chronique, p. 121, spécialement p. 124.
( 35 ) Bourgois, J.-P., L’erreur manifeste d’appréciation, la décision administrative, le juge et la force de l’évidence, éd. L’Espace juridique, 1988, spécialement p. 231.
( 36 ) Voir par exemple, arrêts du 18 mars 1975, Deuka (78/74, Rec. p. 421, point 9), et du 13 décembre 1994, SMW Winzersekt (C-306/93, Rec. p. I-5555, points 25 à 27).
( 37 ) Voir la rédaction particulièrement éclairante de la Cour dans l’arrêt 17 juin 1965, Italie/Commission (32/64, Rec. p. 473, spécialement p. 486-487).
( 38 ) Sur la notion de «reasonableness» ou «unreasonableness», voir Mac Cormick, N., «On reasonableness», in Ch. Perelman et R. Van der Elst, Les notions à contenu variable en droit, éd. E. Bruylant, Bruxelles 1984, p. 131.
( 39 ) Arrêt Wuidart e.a., précité, points 16 à 18.
( 40 ) Arrêt du 10 mai 1979, Italie/Commission (12/78, Rec. p. 1731, points 30 et 31).
( 41 ) Il n’est de meilleure illustration de l’équipollence de ces différents marqueurs de la limitation du contrôle du principe d’égalité que de citer les extraits suivants de la jurisprudence du Tribunal constitutionnel fédéral de Karlsruhe: «[l]e principe d’égalité est violé lorsqu’on ne peut trouver, à la base d’une différence ou d’une égalité de traitement légale, une justification raisonnable, résultant de la nature des choses ou d’une quelconque raison objectivement plausible, bref, lorsque
la disposition doit être considérée comme arbitraire» [BverfGE, 23 octobre 1951, 1, 14 (52)], étant entendu qu’un comportement arbitraire consiste en une « inadéquation objective et manifeste de la mesure légale à la situation de fait qu’elle doit maîtriser » [BverfGE, 7 mai 1953, 2, 266 (281)].
( 42 ) Telle est également l’intensité du contrôle exercé par le Tribunal constitutionnel fédéral allemand sur une loi de transposition de la directive 2003/87 au regard du principe d’égalité garanti par la Loi fondamentale. Constatant que ladite directive avait laissé sur ce point une marge de manœuvre aux États membres dans l’accomplissement de l’obligation de transposition, il a jugé pouvoir contrôler la disposition législative contestée sans mettre en cause la constitutionnalité de la directive
elle-même. Puis, relevant l’existence d’une grande marge de liberté du législateur allemand en ce qui concerne les mesures législatives tendant à la protection de l’environnement, il a, réitérant une jurisprudence établie, limité son contrôle au respect du Willkürverbot (BverfGE, 13 mars 2007, 1BvF 1/05).
( 43 ) Voir en ce sens, Lenaerts, K., «L’égalité de traitement en droit communautaire», Cahiers de droit européen, 1991, p. 3, spécialement p. 11; Barents, R., «The significance of the Non-Discrimination Principle for the Common Agricultural Policy: between Competition and Intervention», Mélanges H. G. Schermers, vol. 2, Martinus Njhoff publishers, 1994, p. 527, spécialement p. 536.
( 44 ) Voir par exemple, arrêt du 13 juillet 1978, Milac (8/78, Rec. p. 1721, point 18); du 9 juillet 1985, Bozzetti (179/84, Rec. p. 2301, point 34), et du 29 juin 1995, SCAC (C-56/94, Rec. p. I-1769, point 28).
( 45 ) Dès 1971, en matière agricole, la Cour a, en effet, jugé que le caractère comparable ou non des situations «doit être apprécié à la lumière des objectifs du régime agricole de la Communauté» (arrêt du 27 octobre 1971, Rheinmühlen Düsseldorf, 6/71, Rec. p. 823, point 14). Voir aussi conclusions de l’avocat général Capotorti dans l’affaire Ruckdeschel e.a. (arrêt du 19 octobre 1977, 117/76 et 16/77, Rec. p. 1753, spécialement p. 1779).
( 46 ) Voir dans le même sens, arrêt du 11 mars 1987, Rau Lebensmittelwerke e.a./Commission (279/84, 280/84, 285/84 et 286/84, Rec. p. 1069, points 27 à 34): action «beurre de Noël» jugée non discriminatoire à l’égard de la margarine, produit concurrent, «compte tenu des différences objectives caractérisant les mécanismes juridiques et les conditions économiques des marchés concernés». Voir aussi, arrêt du Tribunal du 21 février 1995, Campo Ebro e.a./Conseil (T-472/93, Rec. p. II-421, points 84 et
suiv.): n’a pas été jugé contraire au principe d’égalité un règlement prévoyant l’octroi d’aides aux seuls producteurs de sucre, malgré l’existence d’un lien concurrentiel entre le sucre et l’isoglucose, dès lors que la situation de ces deux produits n’était pas comparable au regard du but recherché par le règlement en cause, qui était de compenser les surcoûts engendrés par le maintien de stocks de produits.
( 47 ) Le droit à l’expérimentation normative est ainsi reconnu aux collectivités territoriales par l’article 72 de la Constitution française du 4 octobre 1958 depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003.
( 48 ) Voir arrêts du 29 février 1984, Rewe-Zentrale (37/83, Rec. p. 1229, point 20); du 17 juin 1999, Socridis (C-166/98, Rec. p. I-3791, point 26), et du 13 juillet 2006, Sam Mc Cauley Chemists et Sadja (C-221/05, Rec. p. I-6869, point 26).
( 49 ) Voir arrêts du 29 février 1996, Skanavi et Chryssanthakopoulos (C-193/94, Rec. p. I-929, point 27), et du 13 mai 1997, Allemagne/Parlement et Conseil (C-233/94, Rec. p. I-2405, point 43).
( 50 ) Voir arrêt Rewe-Zentrale, précité, point 20; arrêt du 18 avril 1991, Assurances du crédit/Conseil et Commission (C-63/89, Rec. p. I-1799, point 11).
( 51 ) Proposition de directive du 20 décembre 2006, COM(2006) 818 final.
( 52 ) Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2003/87 afin d’améliorer et d’étendre le système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre du 23 janvier 2008, COM(2008) 16 final.
( 53 ) Voir cinquième considérant de la directive 2003/87.
( 54 ) Voir point 10 de l’exposé des motifs de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil, du 23 octobre 2001, COM(2001) 581 final.
( 55 ) C’est-à-dire les émissions qui correspondent aux gaz émis sur le lieu de production du produit, dans son cycle de production.
( 56 ) C’est-à-dire les émissions qui correspondent aux gaz émis en amont du cycle de production, par exemple par une centrale électrique qui produit l’énergie qui sera ensuite consommée lors du processus de production de certains produits.
( 57 ) Voir point 11 de l’exposé des motifs de la proposition de directive du 23 octobre 2001, précitée.
( 58 ) Voir arrêt du 23 février 1983, Wagner (8/82, Rec. p. 371, points 19 à 21).
( 59 ) Alors qu’éviter une telle dénaturation de son contrôle de légalité constitue la raison d’être même de la limitation de celui-ci [voir par exemple, arrêts du 14 mars 1973, Westzucker (57/72, Rec. p. 321, point 14), et du 13 mai 1997, Allemagne/Parlement et Conseil, précité, (point 56)].