CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. YVES BOT
présentées le 9 septembre 2008 ( 1 )
Affaire C-169/07
Hartlauer Handelsgesellschaft mbH
contre
Wiener Landesregierung et Oberösterreichische Landesregierung
«Liberté d’établissement — Sécurité sociale — Système national de santé financé par l’État — Système de prestations en nature — Système de remboursement des frais avancés par l’assuré — Autorisation de création d’une policlinique privée dispensant des soins dentaires ambulatoires — Critère d’évaluation des besoins justifiant la création d’un établissement de santé — Objectif visant à maintenir un service médical ou hospitalier de qualité, équilibré et accessible à tous — Objectif visant à prévenir
un risque d’atteinte grave à l’équilibre financier du système de sécurité sociale — Cohérence — Proportionnalité»
1. Dans le cadre de la présente procédure préjudicielle, le Verwaltungsgerichtshof (Autriche) interroge la Cour sur la compatibilité avec le droit communautaire d’une réglementation nationale qui soumet la création et l’exploitation d’un établissement de santé à l’obtention d’une autorisation administrative préalable fondée sur une évaluation des besoins de santé de la population.
2. En vertu de la législation autrichienne, l’autorisation de créer et d’exploiter un établissement de santé, sous la forme d’une policlinique autonome, n’est délivrée que s’il existe un besoin concernant les prestations offertes par l’établissement de santé projeté. Cette évaluation est réalisée au niveau de chaque Land et prend en compte l’offre de soins existante proposée par les prestataires de services conventionnés, que ce soit des établissements de santé publics ou privés d’utilité publique,
des installations appartenant aux caisses ou des dentistes libéraux.
3. Ce renvoi préjudiciel a été présenté dans le cadre de litiges opposant une entreprise allemande, Hartlauer Handelsgesellschaft mbH ( 2 ), d’une part, à la Wiener Landesregierung (gouvernement du Land de Vienne) et, d’autre part, à l’Oberösterreichische Landesregierung (gouvernement du Land de Haute-Autriche). Hartlauer avait sollicité l’autorisation de créer dans ces Länder un établissement de santé privé sous la forme d’une policlinique dentaire autonome. La Wiener Landesregierung, par décision
du 29 août 2001, et l’Oberösterreichische Landesregierung, par décision du 20 septembre 2006, ont décidé de ne pas délivrer cette autorisation (ci-après, respectivement, la «première décision attaquée» et la «seconde décision attaquée») au motif qu’il n’existait, selon elles, aucun besoin concernant les prestations que Hartlauer envisageait d’offrir.
4. La juridiction de renvoi s’interroge sur la compatibilité de la législation autrichienne avec le principe de la liberté d’établissement garanti à l’article 43 CE.
5. Dans le cadre des présentes conclusions, nous indiquerons qu’une réglementation nationale qui soumet la création et l’exploitation d’un établissement de santé à l’obtention d’une autorisation préalable fondée sur une évaluation des besoins de santé de la population constitue une restriction à la liberté d’établissement.
6. Nous exposerons également que, si un État membre peut valablement imposer des restrictions à l’exercice de cette liberté dans le but de maintenir l’équilibre financier de son système de sécurité sociale et de garantir, sur son territoire, une prise en charge médicale qui soit de qualité, équilibrée et accessible à tous les affiliés, il importe cependant que la mesure en cause soit propre à atteindre cet objectif et qu’elle n’excède pas ce qui est nécessaire à cet effet. Dans ce cadre, nous nous
interrogerons sur la proportionnalité de la législation en cause dans la mesure où l’établissement, sur le territoire autrichien, d’un cabinet de groupe dentaire peut être autorisé sans qu’il soit nécessaire de procéder à une évaluation des besoins de santé de la population. À défaut d’éléments suffisants, nous proposerons à la Cour de renvoyer à la juridiction nationale le soin d’apprécier si ces deux entités exercent leur activité sur le même marché.
I — Le cadre juridique
A — Le droit communautaire
7. L’article 43, premier alinéa, CE prohibe les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre sur le territoire d’un autre État membre. Selon l’article 43, second alinéa, CE, la liberté d’établissement comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises.
8. En vertu de l’article 48, premier alinéa, CE, les droits instaurés par l’article 43 CE bénéficient également aux sociétés constituées en conformité de la législation d’un État membre et qui ont leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de la Communauté européenne.
9. Aux termes de l’article 47, paragraphe 3, CE, la libération progressive des restrictions à la liberté d’établissement, en ce qui concerne les professions médicales, paramédicales et pharmaceutiques, est subordonnée à la coordination de leurs conditions d’exercice dans les différents États membres. Les soins dans le domaine dentaire ont fait l’objet des directives 78/686/CEE ( 3 ) et 78/687/CEE ( 4 ).
10. Le Conseil de l’Union européenne et la Commission des Communautés européennes ont admis que l’effet direct de l’article 43 CE, reconnu dans l’arrêt Reyners ( 5 ) à compter du 1er janvier 1970, date de la fin de la période de transition, valait également pour les professions de santé ( 6 ). En outre, les activités médicales, paramédicales et pharmaceutiques ont fait l’objet de directives de coordination ( 7 ).
11. Selon l’article 46, paragraphe 1, CE, l’article 43 CE ne fait pas obstacle aux restrictions justifiées pour des raisons de santé publique.
12. Enfin, conformément à l’article 152 CE, la Communauté ne dispose que d’une compétence limitée dans le domaine de la santé publique. L’action de la Communauté doit ainsi respecter pleinement les responsabilités des États membres en matière d’organisation et de fourniture de services de santé et de soins médicaux.
B — Le droit national
13. C’est dans le cadre de ses compétences réservées que la République d’Autriche a organisé son système de santé et a aménagé la fourniture des soins médicaux sur son territoire.
1. La réglementation relative à la création et à l’exploitation d’établissements de santé
14. En vertu de l’article 12, paragraphe 1, point 1, de la loi constitutionnelle fédérale (Bundes-Verfassungsgesetz, ci-après le «B-VG»), la réglementation relative aux établissements de santé est édictée par l’État fédéral. Les mesures d’application du B-VG sont ensuite adoptées par les Länder.
a) La réglementation fédérale
15. Lors de l’adoption de la première décision attaquée, la création et l’exploitation des établissements de santé étaient régies, en Autriche, par la loi fédérale relative aux établissements hospitaliers (Krankenanstaltengesetz) ( 8 ). Le KAG a été modifié en 2006 — année au cours de laquelle la seconde décision attaquée a été adoptée — par la loi fédérale relative aux établissements de santé et de cure (Bundesgesetz über Krankenanstalten und Kuranstalten) ( 9 ).
16. Les dispositions applicables aux présents litiges, à savoir les articles 1er à 3 du KAG et du KAKuG, sont rédigées en des termes quasi identiques. Pour des raisons de clarté, nous nous référerons uniquement aux dispositions du KAKuG, dans leur version en vigueur lors de l’adoption de la seconde décision attaquée ( 10 ).
17. L’article 1er du KAKuG définit les établissements de santé comme des installations destinées à constater et à surveiller l’état de santé des patients par des examens, à procéder à des interventions chirurgicales, à prévenir et à guérir des maladies par des traitements, à procéder à des accouchements et à des mesures d’aide médicale à la procréation, ainsi qu’à prendre en charge, sur le plan médical, et à soigner des malades souffrant d’affections chroniques.
18. Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, point 7, du KAKuG, les policliniques autonomes (centres de radiologie, policliniques dentaires et installations similaires) sont des établissements de santé. Ce sont des installations, autonomes sur le plan organisationnel, ayant pour objet l’examen ou le traitement des personnes dont l’état n’exige pas l’hospitalisation. La destination d’une policlinique autonome ne se trouve pas modifiée lorsque cette policlinique dispose d’un nombre approprié de lits,
indispensables à un hébergement de courte durée nécessaire en vue d’exécuter des mesures ambulatoires ( 11 ) de diagnostic et thérapeutiques.
19. En vertu de l’article 3, paragraphe 1, du KAKuG, la création et l’exploitation d’un établissement de santé requièrent une autorisation du gouvernement du Land. La demande d’autorisation doit identifier avec précision l’objet et les prestations de l’établissement de santé projeté.
20. Conformément à l’article 3, paragraphe 2, sous a), du KAKuG, cette autorisation peut uniquement être accordée lorsque, eu égard à l’objet de l’établissement indiqué dans la demande et aux prestations qu’il est prévu d’offrir, ainsi qu’au plan pour les établissements de santé du Land respectivement concerné, tout comme au regard des soins déjà offerts par les établissements de santé publics, privés d’utilité publique et autres établissements de santé conventionnés, ainsi que, lorsqu’il s’agit de
la création d’un établissement de santé sous forme de policlinique autonome, également au regard des soins offerts par les services de soins ambulatoires desdits établissements de santé et les médecins libéraux conventionnés, les installations appartenant aux caisses et les installations conventionnées, s’agissant de policliniques dentaires, également au regard des praticiens de l’art dentaire et«Dentisten» libéraux conventionnés, il existe un besoin.
b) Les mesures d’application adoptées par les Länder
21. À l’époque pertinente pour le litige concernant la Wiener Landesregierung, la loi fédérale applicable était le KAG. D’après la décision de renvoi ( 12 ), nous comprenons que celui-ci a été mis en œuvre dans ce Land par la loi du Land de Vienne de 1987, relative aux établissements de santé (Wiener Krankenanstaltengesetz 1987) ( 13 ).
22. Conformément à l’article 4, paragraphe 2, du Wr. KAG, l’autorisation de créer un établissement de santé, tel qu’une policlinique autonome, peut uniquement être accordée lorsque:
«[…]
a) eu égard à l’objet de l’établissement indiqué dans la demande et aux prestations qu’il est prévu d’offrir, au regard des soins déjà offerts par les établissements de santé publics, privés d’utilité publique et autres établissements de santé conventionnés, ainsi que, lorsqu’il s’agit de la création d’un établissement de santé sous forme de policlinique autonome, également au regard des soins offerts par les médecins libéraux conventionnés, les installations appartenant aux caisses et les
installations conventionnées, s’agissant de policliniques dentaires, également au regard des ‘Dentisten’ libéraux conventionnés, il existe un besoin.
[…]»
23. À l’époque pertinente pour le litige impliquant l’Oberösterreichische Landesregierung, la loi fédérale applicable était le KAKuG. D’après la décision de renvoi ( 14 ), nous comprenons que celui-ci a été mis en œuvre par la loi du Land de Haute-Autriche de 1997, relative aux établissements de santé (Oberösterreichisches Krankenanstaltengesetz 1997) ( 15 ).
24. L’article 5 de l’Oö. KAG est rédigé de la manière suivante:
«1. […] l’autorisation de créer un établissement de santé doit être accordée lorsque
1) il existe un besoin au sens du paragraphe 2,
[…]
2. Le besoin pour un établissement de santé, avec l’objet indiqué dans la demande et l’offre de prestations prévue, s’apprécie, en prenant en considération le plafond du nombre de lits fixé par le plan pour les établissements de santé du Land de Haute-Autriche […], au regard des soins déjà offerts, dans un rayon approprié, par les établissements de santé publics, privés d’utilité publique et autres établissements de santé conventionnés, ainsi que, lorsqu’il s’agit de la création d’un
établissement de santé sous forme de policlinique autonome, également au regard des soins offerts par les services de soins ambulatoires des établissements de santé susmentionnés et les médecins libéraux conventionnés, les installations appartenant aux caisses et les installations conventionnées, s’agissant de policliniques dentaires, également au regard des ‘Dentisten’ libéraux conventionnés. […]»
25. La législation pertinente aux fins du contrôle de la seconde décision attaquée diffère donc de celle en vigueur lors de l’adoption de la première décision attaquée, dans la mesure où, depuis l’adoption du KAKuG, la vérification des besoins doit prendre en considération les soins offerts par les services de soins ambulatoires des établissements de santé publics, privés d’utilité publique et autres établissements de santé conventionnés visés par la loi.
2. La réglementation relative à l’exercice de la profession de praticien de l’art dentaire
26. L’exercice de la profession médicale est régi, en Autriche, par la loi relative à la profession médicale (Ärztegesetz), du 10 novembre 1998 ( 16 ). Cette loi a été adoptée après l’adhésion de la République d’Autriche à l’Union européenne, afin d’établir, notamment, un nouveau système de formation pour l’accès à la spécialisation en art dentaire. Depuis le 1er janvier 2006, l’exercice de la profession de praticien de l’art dentaire est réglementé par la loi relative à la profession de praticien
de l’art dentaire (Zahnärztegesetz) ( 17 ).
27. Un cabinet de groupe, au sens des articles 52 bis de la loi relative à la profession médicale, telle que modifiée, et 26 de la loi relative à la profession de praticien de l’art dentaire, telle que modifiée, peut uniquement être créé sous la forme juridique d’une société à but lucratif en nom collectif ( 18 ). Celle-ci peut uniquement comprendre des associés personnellement responsables autorisés à exercer la profession de dentiste à titre indépendant. Contrairement aux policliniques,
l’embauche, à titre salarié, d’autres médecins ou praticiens de l’art dentaire n’est pas autorisée.
3. La réglementation relative au régime de sécurité sociale
28. La République d’Autriche a fixé, dans sa législation nationale, les modalités de fonctionnement de son régime de sécurité sociale et a établi, pour chacun des risques, le niveau des prestations ainsi que leur mode et leur niveau de financement.
29. La République d’Autriche a organisé un régime d’assurance maladie obligatoire géré par les caisses de maladie. Le financement de celui-ci est assuré au moyen des cotisations des assurés et des employeurs, ainsi qu’au moyen d’une contribution que l’État verse chaque année, à charge de son budget, à la caisse générale de l’assurance maladie.
30. Le système de sécurité sociale autrichien est mixte ( 19 ). Il repose, d’une part, sur le régime de prestations en nature, dans le cadre duquel la sécurité sociale paie, en tout ou en partie, pour le compte du patient, les soins médicaux et hospitaliers qu’il reçoit et, d’autre part, sur le régime du remboursement, dans le cadre duquel la sécurité sociale rembourse au patient, en tout ou en partie, les frais qu’il a exposés pour ces soins.
31. Le régime de prestations en nature est établi par la loi relative à l’assurance sociale générale (Allgemeines Sozialversicherungsgesetz) ( 20 ).
32. Ce régime repose sur un système de conventions-cadres conclues entre la fédération nationale des organismes de sécurité sociale et les organes respectifs de représentation légale des prestataires.
33. Le contenu de ces conventions-cadres est fixé, comme suit, à l’article 342 de l’ASVG:
«[…]
1. Détermination du nombre et de la répartition géographique au niveau local des médecins et des cabinets de groupe conventionnés dans le but d’assurer, au sens de l’article 338, paragraphe 2, première phrase, un accès suffisant des assurés et des membres de leur famille aux prestations médicales en tenant compte des conditions locales et des conditions de transport ainsi que de la densité et de la structure démographique; en règle générale, le patient doit avoir le choix entre au moins deux
médecins conventionnés ou un médecin conventionné et un cabinet de groupe conventionné accessibles dans un laps de temps raisonnable;
2. Sélection des médecins et des cabinets de groupe conventionnés, conclusion et résiliation des accords à conclure avec ces derniers (conventions individuelles);
3. Droits et obligations des médecins et des cabinets de groupe conventionnés, notamment en ce qui concerne leurs droits à rémunération des prestations médicales;
[…]»
34. Aux termes de l’article 338, paragraphe 3, de l’ASVG, ces dispositions sont applicables mutatis mutandis à la réglementation des rapports entre les organismes de sécurité sociale et les établissements de santé. En effet, les caisses signent, avec les établissements de soins et les praticiens indépendants, des conventions dans lesquelles sont fixés à l’avance le contenu et la qualité des prestations ainsi que l’intervention financière de la caisse signataire.
35. En vertu de la réglementation autrichienne, lorsque l’assuré recourt non pas aux partenaires conventionnés de l’assurance maladie, mais au médecin de son choix, il bénéficie d’un remboursement des frais de traitement encourus à concurrence de 80% du montant que l’organisme d’assurance aurait dû prendre en charge s’il avait fait appel à un prestataire conventionné ( 21 ).
II — Le cadre factuel
36. Par la première décision attaquée, la Wiener Landesregierung a refusé d’accorder à Hartlauer une autorisation de créer, dans le 21e arrondissement de Vienne, un établissement de santé privé sous forme de policlinique dentaire autonome. Cette décision était fondée sur l’article 4 du Wr. KAG.
37. La Wiener Landesregierung s’est appuyée sur un rapport d’expertise remis par l’administration. Celui-ci concluait que l’offre de soins dentaires était assurée d’une manière suffisante à Vienne par les établissements de santé publics, les établissements privés d’utilité publique et autres établissements de santé conventionnés, les médecins libéraux conventionnés, les installations appartenant aux caisses et les installations conventionnées ainsi que les «Dentisten» conventionnés, proposant des
prestations comparables. Cette appréciation a été effectuée en fonction du rapport existant entre le nombre d’habitants et le nombre de praticiens de l’art dentaire (1 praticien pour 2207 habitants de Vienne en 1999). Partant des constatations de l’expert, la Wiener Landesregierung a conclu que la création d’un établissement de santé n’aurait pas pour effet de faciliter, d’accélérer, d’intensifier ou d’améliorer d’une autre manière de façon substantielle la prise en charge médicale dans le
domaine dentaire des habitants de Vienne et qu’il n’existait donc pas de besoin pour la policlinique dentaire projetée.
38. Pour des raisons identiques, l’Oberösterreichische Landesregierung a refusé, par la seconde décision attaquée, d’accorder à Hartlauer une autorisation de créer une policlinique dentaire autonome dans la ville de Wels. Cette décision était fondée sur les articles 4 et 5 de l’Oö. KAG.
39. Aux fins de son examen, l’Oberösterreichische Landesregierung s’est appuyée sur les observations du conseil de l’ordre autrichien des praticiens de l’art dentaire. Cet examen a été effectué sur la base d’un critère relatif au délai d’attente pour obtenir une consultation auprès des prestataires mentionnés à l’article 5, paragraphe 2, de l’Oö. KAG, y compris ceux travaillant auprès des services de soins ambulatoires des établissements de santé concernés. L’Oberösterreichische Landesregierung a
conclu qu’il n’existait aucun besoin pour la policlinique en cause, les délais d’attente n’étant pas inacceptables, selon elle, et la prise en charge des patients dans le bassin de santé de cette policlinique étant suffisante.
40. Hartlauer a donc introduit un recours contre chacune de ces décisions devant le Verwaltungsgerichtshof qui a joint les deux procédures.
III — Les questions préjudicielles
41. Le Verwaltungsgerichtshof éprouve des doutes quant à la compatibilité de la réglementation en cause avec la liberté d’établissement garantie par l’article 43 CE. Bien que cette réglementation ne soit pas discriminatoire à l’égard des entreprises établies dans les autres États membres, la juridiction de renvoi se demande si elle n’est pas susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice de cette liberté fondamentale.
42. Dans un arrêt du 7 mars 1992, le Verfassungsgerichtshof (Autriche) a déjà indiqué que la réglementation en cause constitue une atteinte disproportionnée au droit au libre exercice des activités professionnelles garanti par l’article 6, paragraphe 1, de la loi fondamentale relative aux droits généraux des citoyens (Staatsgrundgesetz über die allgemeinen Rechte der Staatsbürger) lorsqu’elle a pour effet de protéger de la concurrence des établissements de santé privés à but lucratif.
43. En revanche, dans un arrêt du 10 mars 1999, cette même juridiction a jugé que la prise en charge médicale de la population par des établissements d’utilité publique a rang de priorité. Ces établissements, qui exerceraient leurs activités dans le cadre de leur mission de service public, constitueraient un élément essentiel du système de prise en charge médicale, garantissant ainsi la protection de la santé publique. Il conviendrait donc d’assurer leur existence économique. Dans ces conditions,
une réglementation qui tend à protéger lesdits établissements de la concurrence serait compatible avec l’article 6 de la loi fondamentale relative aux droits généraux des citoyens, pour autant, néanmoins, qu’elle ne soit pas disproportionnée. Le Verfassungsgerichtshof a considéré que la réglementation litigieuse participait à l’équilibre du régime d’assurance maladie autrichien dont la logique voudrait que les prestations soient fournies en priorité par des médecins libéraux conventionnés.
44. C’est au vu de ces considérations que le Verwaltungsgerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) L’article 43 CE (lu en liaison avec l’article 48 CE) fait-il obstacle à l’application d’une règle nationale en vertu de laquelle une autorisation est nécessaire pour créer un établissement de santé privé sous forme de policlinique dentaire autonome (policlinique dentaire) et cette autorisation doit être refusée lorsque, eu égard à l’objet de l’établissement indiqué dans la demande et aux prestations qu’il est prévu d’offrir, il n’existe, au regard des soins déjà offerts par les médecins
libéraux conventionnés, les installations appartenant aux caisses et les installations conventionnées ainsi que par les ‘Dentisten’ conventionnés, aucun besoin pour la policlinique dentaire projetée?
2) Cela a-t-il une incidence sur la réponse à la première question si la vérification des besoins doit, en outre, prendre en considération les soins offerts par les services de soins ambulatoires des établissements de santé publics, privés d’utilité publique et autres établissements de santé conventionnés?»
IV — Appréciation
A — Observations liminaires
45. Ainsi que nous l’avons indiqué, la Communauté ne dispose que d’une compétence limitée dans le domaine de la santé publique. Elle ne peut donc agir qu’en complément de l’action des États membres et son action doit respecter pleinement les responsabilités de ces États en matière d’organisation, de planification et de fourniture de services de santé.
46. Pour autant, la Cour a admis que cette limitation du pouvoir normatif de la Communauté ne met pas en cause l’obligation pour les États membres de respecter le droit communautaire et, en particulier, les dispositions relatives aux libertés de circulation, lorsqu’ils exercent leurs compétences réservées ( 22 ). La réalisation des libertés fondamentales garanties par le traité oblige donc inévitablement les États membres à apporter des adaptations à l’organisation de leur système de santé.
47. L’application du principe de libre circulation des biens et des services peut, par exemple, avoir des incidences sur les procédures d’homologation des équipements médicaux ou sur les conditions d’approvisionnement en médicaments des hôpitaux ( 23 ). La mise en œuvre de ce principe a également conduit le législateur communautaire à unifier les procédures d’autorisation de mise sur le marché des médicaments et à réglementer le traitement des déchets.
48. La Cour a également défini un certain nombre de principes fondamentaux liés à la mobilité des patients au sein de la Communauté et au financement des prestations transfrontalières de services médicaux. Nous pensons, notamment, aux arrêts Kohll ( 24 ), Smits et Peerbooms, précité, Müller-Fauré et van Riet ( 25 ), Watts ( 26 ), ainsi que Stamatelaki, précité. Toutes ces affaires s’inscrivent dans un contexte particulier dans lequel différents systèmes de santé nationaux coexistent dans le cadre
d’un marché intérieur commun à 27 États membres. Elles ont donné à la Cour l’occasion de préciser les conditions dans lesquelles les patients peuvent, en vertu de l’article 49 CE, bénéficier d’un traitement médical dans un autre État membre et être remboursés des frais exposés pour ce traitement par les régimes d’assurance maladie nationaux auxquels ils sont affiliés.
49. En ce qui concerne la mobilité des professionnels de la santé au sein de la Communauté, la Cour s’est prononcée à de nombreuses reprises sur les conditions d’accès et d’exercice des activités de médecin ou de dentiste sous l’angle de la reconnaissance mutuelle des diplômes ( 27 ).
50. En revanche, il nous semble que la Cour n’a jamais été invitée à se prononcer sur la compatibilité de réglementations nationales qui, comme celle en cause au principal, soumettent l’établissement des professionnels de santé dans l’État membre d’accueil à des considérations économiques et sociales afférentes au marché de la prestation des soins de santé.
51. À cet égard, il est important de garder à l’esprit que si la santé demeure un service par nature «public», elle a un coût que les États membres cherchent à identifier et à maîtriser le mieux possible.
52. Les prestations de soins de santé, dans l’ensemble de ces États, sont essentiellement rémunérées par des fonds publics, ce qui induit des comportements spécifiques et rend complexes les mécanismes de financement.
53. Les relations financières entre le patient et le prestataire de soins de santé nécessitent l’intervention de différents acteurs qui vont assurer la collecte des ressources, leur mise en commun ainsi que leur allocation. Ces étapes doivent permettre au système de financement d’assurer un accès égal pour tous les affiliés à des soins de qualité. Elles doivent permettre également d’utiliser de manière efficace des ressources publiques limitées.
54. À cette fin, les États membres tentent de trouver de nouvelles sources de financement en faisant appel au secteur privé. L’introduction de mécanismes de marché dans le secteur de la santé a transformé la délimitation entre le secteur public et le secteur privé de la santé et de nouveaux types d’établissements de santé émergent avec de nouveaux mécanismes de financement. Les établissements publics de santé ne sont ainsi plus les seuls à participer au service public de la santé puisque des
établissements privés peuvent également y être associés ( 28 ). Les établissements privés peuvent exercer leur activité dans un but lucratif, tels que les cliniques, ou dans un but non lucratif, tels que les établissements détenus par des fondations, des congrégations religieuses ou des mutuelles. L’appartenance à l’un ou l’autre des secteurs a des incidences sur le régime juridique qui est applicable à ces établissements ainsi que sur le système de financement dont ils bénéficient.
55. La santé devient ainsi un service rendu d’une façon de plus en plus diversifiée et l’ouverture de ce marché à des prestataires établis dans d’autres États membres accentue ce mouvement.
B — Sur la première question préjudicielle
56. Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 43 CE et 48 CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation d’un État membre qui soumet la création et l’exploitation d’un établissement de santé, sous la forme d’une policlinique dentaire autonome, à l’obtention d’une autorisation administrative préalable fondée sur une évaluation des besoins de santé de la population.
57. Comme nous l’avons indiqué dans le cadre de nos observations liminaires, le droit communautaire n’harmonise pas la fourniture des services de santé. Les États membres sont donc en droit d’organiser leur système de santé et d’aménager la fourniture des soins médicaux sur leur territoire selon les priorités sanitaires qu’ils ont fixées. En l’absence de règles communes ou harmonisées, ces derniers restent, en outre, libres de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé
publique et de la manière dont ce niveau doit être atteint, dans le respect du principe de proportionnalité ( 29 ).
58. Il ressort néanmoins d’une jurisprudence constante que dans l’exercice de cette compétence réservée, les États membres sont tenus de respecter le droit communautaire et, notamment, les dispositions relatives aux libertés de circulation garanties par le traité ( 30 ).
59. Un acte hospitalier, médical ou paramédical, tel que des prestations de soins dentaires, constitue une activité économique qui doit être soumise, en tant que telle, aux règles du marché intérieur. Cette analyse se trouve corroborée par les termes de l’article 47, paragraphe 3, CE, en ce qui concerne la liberté d’établissement.
60. Ainsi, les mesures prises par un État membre pour réglementer l’offre de soins hospitaliers ou médicaux ne doivent pas porter atteinte aux règles du traité relatives aux libertés de circulation, parmi lesquelles figure la liberté d’établissement ( 31 ).
61. C’est en effet au regard de cette liberté que la compatibilité de la législation autrichienne doit être examinée, puisque, dans une situation telle que celle à l’origine des litiges au principal, une entreprise légalement établie en Allemagne souhaite s’implanter sur le territoire autrichien afin d’y offrir des prestations de soins dentaires.
62. La liberté d’établissement instaurée par les articles 43 CE et 48 CE confère aux sociétés constituées en conformité avec la législation d’un État membre le droit d’accéder à une activité indépendante dans un autre État membre et d’y exercer cette activité à titre permanent dans les mêmes conditions que les sociétés ayant leur siège dans cet État. Cette liberté fondamentale s’étend à la constitution et à la gestion d’entreprises ainsi qu’à la création d’agences, de succursales et de filiales.
L’article 43 CE impose la suppression des mesures discriminatoires.
63. Il ressort également d’une jurisprudence constante que toutes les mesures qui, même indistinctement applicables, interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice, par les ressortissants communautaires, de la liberté d’établissement constituent des restrictions contraires au traité ( 32 ).
1. Sur l’existence d’une restriction à la liberté d’établissement
64. Conformément à la législation autrichienne, la création et l’exploitation d’un établissement de santé sous la forme d’une policlinique dentaire ne sont autorisées que s’il existe un besoin concernant les prestations que cet établissement envisage d’offrir. Cette législation s’applique indistinctement à toutes les entités désireuses de créer et d’exploiter un établissement de santé, sans distinction relative à l’État d’origine.
65. En vertu de l’article 3, paragraphe 2, sous a), du KAG, qui était la disposition applicable lors de l’adoption de la première décision attaquée, l’existence d’un besoin s’apprécie, notamment, compte tenu des soins déjà offerts par les établissements de santé publics, privés d’utilité publique et les autres établissements de santé conventionnés, les médecins libéraux conventionnés, les installations appartenant aux caisses et les installations conventionnées ainsi que les «Dentisten» libéraux
conventionnés.
66. Conformément à l’article 3, paragraphe 2, sous a), du KAKuG, qui était la disposition applicable lors de l’adoption de la seconde décision attaquée, l’existence d’un besoin s’apprécie également au regard des prestations offertes par les services de soins ambulatoires desdits établissements de santé.
67. Dans le cadre de cette évaluation des besoins, les autorités compétentes prennent donc uniquement en compte les soins offerts par les partenaires conventionnés de l’assurance maladie.
68. Selon la juridiction de renvoi, un besoin existerait dès lors que la création de la policlinique aurait pour effet de faciliter, d’accélérer, d’intensifier ou d’améliorer d’une autre manière d’une façon substantielle la prise en charge médicale de la population.
69. Il n’existe donc aucun besoin lorsque l’offre de soins existante est apte à satisfaire la demande existant dans le bassin de santé de l’établissement projeté.
70. L’évaluation des besoins de santé de la population est réalisée au niveau local, par le Land concerné, selon des méthodes différentes. Ainsi, dans le Land de Vienne, cette évaluation a été effectuée en fonction du rapport existant entre le nombre d’habitants et le nombre de praticiens de l’art dentaire dans le bassin de santé de la policlinique projetée. Il ressort des éléments du dossier que ce nombre ne serait pas fixé à l’avance. L’expertise médicale en cause aurait constaté que les besoins
seraient «déjà couverts par les établissements de même type existants» et que la situation serait «globalement bonne» ( 33 ). En revanche, dans le Land de Haute-Autriche, l’existence d’un besoin a été déterminée sur la base du délai d’attente pour obtenir une consultation. L’évaluation a été effectuée compte tenu des réponses apportées par les praticiens de l’art dentaire exerçant dans le bassin de santé de la policlinique projetée.
71. Dans le cadre des présents litiges, il nous semble évident que la réglementation en cause constitue une entrave au droit garanti par l’article 43 CE ( 34 ), et ce nonobstant l’absence de discrimination tenant à la nationalité des professionnels concernés ( 35 ).
72. En instituant une procédure d’autorisation préalable à la création et à l’exploitation d’un établissement de santé, cette réglementation restreint par son objet même la liberté d’établissement.
73. Bien qu’elle ne prive pas les entreprises établies dans un autre État membre de s’implanter en Autriche, ladite réglementation exige l’obtention d’une autorisation administrative qui n’est délivrée que s’il existe un besoin de santé de la population. Ce besoin est évalué au regard de considérations économiques et sociales afférentes au marché des soins de santé.
74. Comme le reconnaît elle-même la République d’Autriche, la réglementation en cause tend à limiter le nombre des prestataires de soins de santé sur le territoire, et ce afin de mieux protéger de la concurrence les prestataires conventionnés déjà établis sur le marché ( 36 ). Ainsi, si l’offre de soins proposée dans le cadre de l’assurance maladie est suffisante, la création d’un établissement de santé, tel qu’une policlinique, est refusée. Cela a été le cas dans les affaires au principal. Une
telle législation rend donc plus difficile ou, en tous les cas, moins attrayant la création et l’exploitation d’un établissement de santé sur le territoire autrichien ( 37 ).
75. Au regard de ce qui précède, nous considérons donc qu’une législation nationale qui soumet la création et l’exploitation d’un établissement de santé à l’obtention d’une autorisation préalable fondée sur une évaluation des besoins de santé de la population constitue une entrave à la liberté d’établissement garantie par l’article 43 CE.
2. Sur la justification de la restriction à la liberté d’établissement constatée
76. Une restriction telle que celle prévue par la législation autrichienne peut néanmoins être conforme au droit communautaire si elle satisfait aux quatre conditions suivantes. Elle doit, tout d’abord, être appliquée de manière non discriminatoire. Elle doit, ensuite, être justifiée par un motif légitime ou une raison impérieuse d’intérêt général. Elle doit, enfin, être propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre ( 38 ).
a) La législation autrichienne est indistinctement applicable
77. Ainsi que nous l’avons indiqué, la législation en cause s’applique à toutes les entités désireuses de créer et d’exploiter un établissement de santé, sans distinction relative à leur État d’origine.
b) La protection de la santé publique et le maintien de l’équilibre financier du système de sécurité sociale peuvent justifier des mesures restrictives à la liberté d’établissement des établissements de santé
78. Selon une jurisprudence constante, la santé et la vie des personnes occupent le premier rang parmi les intérêts protégés par le traité, permettant ainsi aux États membres de restreindre les libertés de circulation ( 39 ).
79. La Cour a eu l’occasion de préciser les motifs susceptibles d’être invoqués par les États membres pour justifier des obstacles à la libre prestation des services dans le domaine de la fourniture des soins médicaux et hospitaliers ( 40 ).
80. La Cour a ainsi reconnu qu’un risque d’atteinte grave à l’équilibre financier du système de sécurité sociale d’un État membre peut constituer une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une entrave au principe de libre prestation des services.
81. La Cour a également reconnu que l’objectif de maintenir, pour des raisons de santé publique, un service médical et hospitalier équilibré et accessible à tous peut relever de l’exception tirée de la sauvegarde de la santé publique, visée à l’article 46, paragraphe 1, CE, dans la mesure où un tel objectif contribue à la réalisation d’un niveau élevé de protection de la santé.
82. Enfin, la Cour a itérativement jugé que l’article 46 CE permet aux États membres de restreindre la libre prestation des services médicaux et hospitaliers, dans la mesure où le maintien d’une capacité de soins ou d’une compétence médicale sur le territoire national est essentiel pour la santé publique, voire pour la survie de sa population.
83. En ce qui concerne les prestations médicales dispensées dans un établissement hospitalier, la Cour a reconnu que le nombre des infrastructures hospitalières, leur répartition géographique, leur aménagement et les équipements dont elles sont pourvues, ou encore la nature des services médicaux qu’elles sont à même d’offrir, doivent pouvoir faire l’objet d’une planification de la part d’un État membre ( 41 ).
84. Selon la Cour, cette planification répond à plusieurs préoccupations.
85. Elle permet, d’une part, de garantir sur le territoire de l’État membre concerné une accessibilité suffisante et permanente à une gamme équilibrée de soins hospitaliers de qualité.
86. Elle vise, d’autre part, à assurer une maîtrise des coûts et à éviter un gaspillage des ressources financières, techniques et humaines dans un contexte marqué par une demande de soins médicaux en constante augmentation et par une offre nécessairement limitée par des impératifs budgétaires.
87. À cet égard, la République d’Autriche soutient que la réglementation en cause constitue un instrument de planification et de contrôle de l’offre de soins de santé.
88. L’exigence d’une autorisation préalable fondée sur une évaluation des besoins de santé de la population viserait à maintenir la prise en charge médicale et hospitalière offerte dans le cadre du conventionnement et participerait ainsi au maintien de l’équilibre financier du système de sécurité sociale autrichien.
89. Selon la République d’Autriche, une augmentation trop importante du nombre des prestataires sur le marché risquerait, en effet, d’entraîner l’éviction des prestataires conventionnés par les organismes d’assurance maladie. Les établissements de santé privés se concentreraient davantage sur l’offre des prestations les plus rentables, alors que les partenaires conventionnés seraient tenus de proposer un catalogue très complet de prestations dont certaines ne seraient pas intéressantes d’un point de
vue économique. Ces derniers pourraient donc disparaître du marché ou seraient amenés à quitter certaines régions, notamment rurales, pour s’établir dans les zones urbaines ce qui limiterait la prise en charge médicale des patients vivant dans les campagnes. La réglementation en cause, en contrôlant le nombre des prestataires de soins de santé sur le territoire, viserait ainsi à préserver les établissements de santé conventionnés d’une concurrence trop forte et permettrait d’éviter les
surcapacités et les déséquilibres dans l’offre de prestations médicales.
90. Nous sommes d’avis que les arguments avancés par la République d’Autriche pour encadrer la création et l’exploitation des établissements de santé sur son territoire constituent, au regard de la jurisprudence que nous venons de citer, des motifs valables pour restreindre la liberté d’établissement.
91. Nous considérons, d’une part, que cette jurisprudence, développée dans le cadre de l’application de l’article 49 CE, est parfaitement transposable au régime de la liberté d’établissement. En effet, l’article 46, paragraphe 1, CE, visée par la Cour et dans lequel figure la réserve tirée de la sauvegarde de la santé publique, est une disposition commune aux libertés d’établissement et de prestation de services ( 42 ).
92. Nous pensons, d’autre part, que le raisonnement adopté par la Cour dans le cadre de l’offre de soins hospitaliers peut être étendu aux prestations de soins dentaires, dès lors que celles-ci ne se limitent pas à des prestations de base, telles que des radiographies ou des soins préventifs (détartrage, polissage), mais peuvent également prendre la forme de véritables interventions chirurgicales, nécessitant l’intervention d’un personnel qualifié, telles que les extractions, l’élimination de
déformations esthétiques ou encore certains soins orthodontiques ( 43 ). Ainsi, certaines prestations de soins dentaires pourront être effectuées par un praticien à son cabinet ou dans un centre médical, alors que d’autres soins de chirurgie dentaire nécessiteront une hospitalisation de courte durée, dans le cadre par exemple d’un service de soins ambulatoires disposant d’un plateau technique important. Il peut ainsi être difficile d’établir une distinction entre les prestations hospitalières et
les prestations non hospitalières offertes dans ce domaine ( 44 ).
93. Il est, ensuite, nécessaire de relever que l’évaluation des besoins de santé de la population, prévue par la réglementation en cause, est un outil au service de la réalisation du «plan pour les établissements de santé». Ce plan est un instrument de planification sanitaire, élaboré au niveau de chaque Land, au regard des orientations définies par la République d’Autriche.
94. Ledit plan permet de déterminer de manière quantitative et qualitative l’offre de soins hospitalière et médicale à apporter et la répartition géographique de celle-ci. Il doit ainsi permettre de développer une offre de soins adaptée à l’état de santé de la population et à l’efficience des prises en charges existantes. Le plan doit assurer un accès à des soins de qualité et garantir une organisation sanitaire permettant le maintien et le développement d’activités de proximité. Il doit, enfin,
prévoir un juste équilibre en ce qui concerne la taille, la capacité et les équipements des établissements de santé.
95. La mise en œuvre de ce plan et la réalisation des objectifs qu’il poursuit dépendent de la viabilité financière du système de sécurité sociale. En effet, dans le cadre d’un système national de santé, tel que celui en cause, financé, en grande partie, par des fonds publics et dans lequel les ressources financières sont, par définition, limitées, le financement des soins de santé est traité en fonction de l’équilibre de l’offre et de la demande. La planification de l’offre de soins de santé et la
conclusion de conventions entre les organismes d’assurance maladie et les prestataires de santé permettent ainsi de mieux maîtriser les dépenses en les ajustant aux besoins de la population, selon les priorités fixées par les autorités nationales.
96. Au regard de ce qui précède, nous trouvons donc justifié qu’un État membre puisse encadrer la création et l’exploitation des établissements de santé sur son territoire en procédant à un contrôle préalable des besoins du marché afin de protéger la santé publique et de maintenir l’équilibre financier de son système de sécurité sociale.
c) La question de l’aptitude de la législation en cause à atteindre les buts qu’elle poursuit
97. Il convient à présent d’examiner si la législation autrichienne est apte à assurer une protection efficace de la santé publique et de l’équilibre financier du régime de sécurité sociale contre les risques liés à une extension incontrôlée de l’offre de soins dentaires.
98. Il convient donc de vérifier si les conditions requises pour l’obtention de l’autorisation administrative préalable en cause sont justifiées au regard des impératifs susvisés et si elles satisfont, par conséquent, à l’exigence de proportionnalité.
99. Nous considérons, premièrement, que le régime d’autorisation administrative préalable établi par la législation autrichienne encadre, conformément au droit, le pouvoir d’appréciation des autorités nationales compétentes.
100. À l’instar de ce que la Cour a jugé dans le cadre des affaires liées au régime de remboursement des soins de santé transfrontaliers, nous pensons qu’un régime d’autorisation administrative préalable à l’établissement d’un professionnel de santé ne peut pas légitimer un comportement discrétionnaire de la part des autorités nationales. Ceci reviendrait, en effet, à priver les dispositions communautaires, notamment celles relatives à une liberté fondamentale, de leur effet utile ( 45 ).
101. Selon la Cour, un tel régime doit être fondé sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance, de manière à encadrer l’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités nationales. Il doit, en outre, reposer sur un système procédural qui soit accessible et propre à garantir aux intéressés que leur demande sera traitée dans un délai raisonnable, avec objectivité et impartialité. Enfin, les refus d’autorisation doivent pouvoir être mis en cause dans le cadre d’un recours
juridictionnel ( 46 ). À cette fin, de tels refus d’autorisation, ou les avis sur lesquels ces refus sont éventuellement fondés, doivent viser les dispositions spécifiques sur lesquelles ils reposent et être dûment motivés au regard de ces dernières. De même, la Cour considère que les juridictions saisies d’un recours contre de telles décisions de refus doivent être à même, si elles l’estiment nécessaire, de s’entourer de l’avis d’experts indépendants offrant toutes les garanties d’objectivité
et d’impartialité ( 47 ).
102. En ce qui concerne les litiges au principal, il convient de relever que les articles 3 du KAG et du KAKuG ainsi que les mesures d’application adoptées par les Länder de Vienne et de Haute-Autriche ( 48 ) précisent les conditions dans lesquelles une autorisation de créer un établissement de santé peut être accordée. Cette législation fait l’objet d’une publication au Bundesgesetzblatt für die Republik Österreich ( 49 ) de sorte que ces conditions sont connues à l’avance. En ce qui concerne
l’évaluation des besoins de santé de la population, ces dispositions précisent les critères qu’il convient de prendre en compte, à savoir l’objet de l’établissement, les prestations qu’il envisage d’offrir, le plan pour les établissements de santé du Land concerné et enfin l’offre existante. En outre, il ressort de la décision de renvoi ( 50 ) que les première et seconde décisions attaquées ont visé les dispositions sur lesquelles elles reposent ( 51 ) et ont précisé les raisons pour lesquelles
les autorités ont considéré qu’il n’existait aucun besoin pour l’offre de soins que Hartlauer envisageait d’offrir. Enfin, comme le démontrent les affaires au principal, ces deux décisions ont pu faire l’objet d’un recours devant le Verwaltungsgerichtshof en vertu de l’article 131, paragraphe 1, point 1, du B-VG.
103. Nous pensons, deuxièmement, que l’évaluation des besoins à laquelle doivent procéder les autorités nationales compétentes avant d’autoriser la création et l’exploitation d’un établissement de santé est, à plusieurs égards, un moyen propre à atteindre les objectifs visés par la République d’Autriche.
104. D’une part, il nous semble que cette évaluation des besoins a bien pour effet d’organiser l’offre de soins de santé sur le territoire. Réalisée au niveau local et prenant en compte l’offre de soins existante, elle permet d’éviter que certains territoires géographiques, comme les zones rurales, ne soient pas suffisamment desservis, contrairement à d’autres territoires où il existerait une très forte concentration de dentistes, comme les zones urbaines. Ladite évaluation est donc nécessaire pour
que l’offre de prestations médicales et hospitalières puisse répondre, dans des conditions de qualité et de délais raisonnables, à la demande de soins de santé.
105. D’autre part, l’évaluation des besoins permet effectivement de prévenir les incidences négatives qui pourraient résulter d’une extension incontrôlée de l’offre de soins de santé et, notamment, pour la situation économique des prestataires conventionnés. Comme l’a relevé le Verfassungsgerichtshof, dans son arrêt du 10 mars 1999, précité, cette évaluation revient à protéger l’existence des personnes et des établissements qui exercent leurs activités dans le cadre de la mission de service public
de l’assurance maladie.
106. Dans un régime tel que celui en cause au principal, qui assure des prestations en nature aux affiliés, les organismes d’assurance maladie gèrent leur budget en concluant des conventions avec les praticiens et les établissements hospitaliers. Dans le cadre de ces conventions, les parties déterminent les prestations couvertes et précisent la disponibilité des services ainsi que la contribution économique que l’assurance maladie s’engage à apporter. Ce système permet de garantir le financement,
par avance, de tous les soins médicaux dont les assurés ont besoin, aussi bien en ce qui concerne les consultations externes qu’en ce qui concerne les prestations en milieu hospitalier de sorte que les caisses ne doivent pas, en principe, être confrontées à des paiements supplémentaires.
107. Dans ces conditions, il nous semble légitime que, dans un régime de sécurité sociale prévoyant à l’avance non seulement les moyens d’assurer les soins, mais également les praticiens et les établissements de santé qui les dispenseront, les autorités nationales souhaitent préserver d’une concurrence trop forte les prestataires conventionnés.
108. La Cour a d’ailleurs reconnu que, si les assurés pouvaient librement et en toutes circonstances faire appel à des établissements hospitaliers avec lesquels leur caisse de maladie n’a conclu aucune convention, qu’il s’agisse d’établissements situés dans l’État membre ou dans un autre État membre, «tout l’effort de planification opéré au travers du système de conventionnement, en vue de contribuer à garantir une offre de soins hospitaliers qui soit rationalisée, stable, équilibrée et accessible,
s’en trouverait du même coup compromis» ( 52 ). Ce raisonnement est, selon nous, transposable à l’offre de soins proposée par des policliniques.
109. Ainsi, en ne prenant en compte, dans l’examen de l’offre de soins existante, que les prestations offertes par les partenaires conventionnés de l’assurance maladie, cette évaluation des besoins de santé de la population permet de préserver le système de conventionnement et le régime de prestations en nature. Ce régime, nous le rappelons, permet à l’assuré de ne pas avancer les frais exposés pour les soins dont il a bénéficié. Ces frais sont, en effet, directement payés par l’organisme
d’assurance maladie. Ledit régime permet ainsi aux patients moins fortunés d’avoir accès à des soins médicaux et hospitaliers de qualité.
110. Par conséquent, il nous semble qu’une réglementation nationale qui soumet la création et l’exploitation d’un établissement de santé à une évaluation préalable des besoins de santé de la population est propre à assurer une prise en charge médicale qui soit de qualité, équilibrée et accessible à tous ainsi qu’à garantir l’équilibre financier du régime de sécurité sociale national. Une telle mesure est donc apte, selon nous, à protéger la santé publique.
111. Nous relevons, toutefois, que la réglementation en cause dans notre affaire ne s’applique pas aux cabinets de groupe, alors même que ce type de structure peut également avoir pour effet de concurrencer les installations conventionnées déjà établies sur le marché.
112. Nous nous interrogeons donc sur l’aptitude d’un régime, tel que celui qui résulte de la législation en cause au principal, à garantir la réalisation de ces objectifs, dans la mesure où l’établissement des cabinets de groupe sur le marché est autorisé sans qu’il soit nécessaire de procéder à une évaluation des besoins de santé de la population. Il nous semble donc que ce régime présente une incohérence. Néanmoins, les éléments d’information fournis au cours de la procédure écrite et de
l’audience ne nous permettent pas de comprendre les raisons d’une telle distinction entre ces deux types de structure.
113. Nous pensons, dès lors, que c’est au juge national qu’il appartiendra d’apprécier la proportionnalité si une réglementation telle que la législation autrichienne est de nature à répondre utilement aux objectifs qu’elle entend poursuivre, et ce au regard des observations que nous allons formuler.
114. Nous savons qu’un cabinet de groupe n’est pas, au sens de la législation autrichienne, un établissement de santé. Il peut uniquement être créé sous la forme juridique d’une société à but lucratif en nom collectif ( 53 ). Cette société peut, en outre, uniquement comprendre des associés personnellement responsables autorisés à exercer la profession de dentiste à titre indépendant, et ce contrairement aux policliniques au sein desquelles l’embauche, à titre salarié, est majoritaire.
115. Quant à l’organisation et à l’équipement de ces structures, les observations dont nous disposons à cet égard sont contradictoires. Ainsi, au cours de l’audience, la République d’Autriche s’est défendue de toute «discrimination cachée» entre ces entités, en soulignant que des limites étroites sont fixées à l’extension des cabinets de groupe, et ce sur le plan organisationnel, du personnel, de l’équipement et des locaux ( 54 ). Ces caractéristiques distingueraient les cabinets de groupe de façon
considérable des policliniques. Au contraire, la juridiction de renvoi relève que les locaux et l’équipement matériel des cabinets de groupe peuvent tout à fait s’approcher de ceux des policliniques. Ceci aurait donc pour conséquence que le patient souhaitant bénéficier d’une prestation médicale ne verrait pas, dans de nombreux cas, de différences extérieures entre une policlinique, considérée sur le plan juridique comme un établissement de santé, et un cabinet de groupe.
116. Au-delà des différences de forme juridique ou de statut du personnel, nous pensons qu’il convient en réalité de tenir compte de la nature des actes effectués par les deux entités, afin de déterminer la proportionnalité de la réglementation en cause.
117. À cet égard, nous pensons qu’une policlinique dentaire et un cabinet de groupe dentaire sont susceptibles d’exercer leur activité sur un même marché.
118. Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, point 7, du KAG et du KAKuG, une policlinique dentaire a pour objet l’examen ou le traitement des personnes dont l’état n’exige pas l’hospitalisation et peuvent disposer d’un centre de soins ambulatoires. Cet établissement peut donc offrir une large gamme de soins, recouvrant non seulement les soins dentaires de base, mais également les mesures ambulatoires, dont les actes de chirurgie ambulatoire, comme la pose d’implants dentaires, la réparation de
fractures, les greffes ou l’extraction de dents de sagesse.
119. Un cabinet de groupe, dans lequel exercent des chirurgiens dentistes, peut également disposer d’un plateau technique important grâce auquel il peut proposer certains actes de chirurgie dentaire. Si ces opérations sont moins lourdes que celles que peuvent éventuellement proposer une policlinique dentaire, il n’en reste pas moins que ces deux structures peuvent offrir un certain nombre de prestations de même nature. À cet égard, l’article 153, paragraphe 3, de l’ASVG précise que les soins
dentaires (soins de chirurgie dentaire, soins conservateurs et orthopédie maxillaire) et la fourniture de prothèses dentaires sont proposés, sous forme de prestations en nature, par des praticiens de l’art dentaire, des «Dentisten», des cabinets de groupe ou des cliniques spécifiquement équipées à cet effet, telles que les policliniques.
120. Un cabinet de groupe dentaire peut donc concurrencer les prestataires conventionnés de la même façon qu’une policlinique dentaire. En outre, il n’est pas exclu que l’établissement d’un ou de plusieurs cabinets de groupe, dans lesquels seraient associés un nombre important de dentistes, puisse rompre l’équilibre prévu dans l’organisation et la planification de l’offre de soins dans une localité.
121. Par conséquent, il nous semble que l’aptitude d’un régime, tel que celui qui résulte de la législation autrichienne, à garantir la réalisation de l’objectif de protection de la santé publique peut prêter à discussion s’il est démontré que les cabinets de groupe dentaires et les policliniques dentaires ont le même objet et offrent, en réalité, des prestations de même nature.
122. Dans la mesure où nous ne disposons pas d’éléments suffisants quant à la nature des actes médicaux effectués dans un cabinet de groupe dentaire, nous proposons à la Cour de renvoyer cette analyse à la juridiction nationale.
123. Celle-ci devrait, tout d’abord, vérifier si ces deux entités exercent effectivement leur activité sur le même marché. Si tel est le cas, c’est à la juridiction nationale qu’il incombera alors d’apprécier si la législation autrichienne est de nature à répondre utilement aux objectifs susmentionnés, dès lors que l’établissement des cabinets de groupe est autorisé sans qu’il soit nécessaire de procéder à une évaluation préalable des besoins de santé de la population.
124. Au regard de ce qui précède, nous sommes donc d’avis que les articles 43 CE et 48 CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation d’un État membre qui soumet la création et l’exploitation d’un établissement de santé, sous la forme d’une policlinique dentaire autonome, à l’obtention d’une autorisation administrative préalable fondée sur une évaluation des besoins de santé de la population.
125. Nous considérons néanmoins que, dans le cadre d’une législation telle que celle en cause au principal, il appartient à la juridiction nationale d’apprécier si cette législation est apte à atteindre les objectifs qu’elle poursuit, dans la mesure où l’établissement d’un cabinet de groupe dentaire sur le territoire de la République d’Autriche est autorisé sans qu’il soit nécessaire de procéder à une évaluation des besoins de santé de la population.
C — Sur la seconde question préjudicielle
126. Par sa seconde question préjudicielle, le Verwaltungsgerichtshof demande à la Cour si le fait que les autorités nationales compétentes examinent, dans le cadre de leur évaluation des besoins de santé de la population, les soins offerts par les services de soins ambulatoires des établissements de santé publics, privés d’utilité publique et autres établissements de santé conventionnés a une incidence sur la réponse que nous proposons de donner à la première question préjudicielle.
127. Il ressort, en effet, de la décision de renvoi que la législation pertinente aux fins du contrôle de la seconde décision attaquée diffère, dans la mesure où, après l’entrée en vigueur du KAKuG, la vérification des besoins doit également prendre en considération les soins offerts dans le cadre des services de soins ambulatoires de ces établissements.
128. Nous sommes d’avis que la modification de cette législation est sans incidence sur la réponse que nous avons proposée d’apporter à la première question préjudicielle.
129. En effet, comme les policliniques, les établissements de santé publics et privés d’utilité publique, parmi lesquels figurent notamment les hôpitaux, peuvent disposer d’un service de soins ambulatoires. À cet effet, ils disposent d’un plateau technique, d’un coût particulièrement élevé, qu’il est nécessaire d’amortir. Ainsi que nous l’avons indiqué, les alternatives à l’hospitalisation se multiplient. Dans une mesure croissante, des patients, dont l’hospitalisation ne s’impose pas ou ne s’impose
plus sur le plan médical, sont soignés dans les services de soins ambulatoires des hôpitaux, et ce dans le but de transférer la prise en charge de certains groupes de patients du secteur «dans les murs» vers le secteur «hors les murs» ( 55 ), sans devoir renoncer aux prestations médicales qu’offrent les services de spécialité concernés desdits établissements.
130. Ainsi que l’a relevé la République d’Autriche, ces services de soins ambulatoires font aujourd’hui partie intégrante de l’organisation du système de santé national. Il est donc légitime pour les autorités nationales compétentes de les prendre en compte dans le cadre de l’offre de soins existante si elles souhaitent effectivement organiser et planifier la fourniture des services de santé d’une manière telle que l’équilibre financier du système de sécurité sociale soit maintenu et que la prise en
charge médicale de la population soit de qualité, équilibrée et accessible à tous les affiliés.
131. En outre, en ce qui concerne l’aptitude de la réglementation en cause à atteindre les objectifs qu’elle poursuit, le problème que nous avons exposé dans le cadre de l’examen de la première question préjudicielle se pose dans les mêmes termes, dans la mesure où un cabinet de groupe serait susceptible d’exécuter des soins ambulatoires.
132. Par conséquent, nous considérons que le fait que les autorités nationales compétentes examinent, dans le cadre de l’évaluation des besoins de santé de la population, les soins offerts par les services de soins ambulatoires des établissements de santé publics, privés d’utilité publique et autres établissements de santé conventionnés est sans incidence sur la réponse que nous avons proposée d’apporter à la première question préjudicielle.
V — Conclusion
133. Au vu des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions posées par le Verwaltungsgerichtshof:
«Les articles 43 CE et 48 CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation d’un État membre qui soumet la création et l’exploitation d’un établissement de santé, sous la forme d’une policlinique dentaire autonome, à l’obtention d’une autorisation administrative préalable fondée sur une évaluation des besoins de santé de la population.
Concernant une législation telle que celle en cause au principal, il appartient, néanmoins, à la juridiction nationale d’apprécier si cette législation est apte à atteindre les objectifs qu’elle poursuit, dans la mesure où l’établissement d’un cabinet de groupe dentaire sur le territoire de la République d’Autriche est autorisé sans qu’il soit nécessaire de procéder à une évaluation des besoins de santé de la population.»
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( 1 ) Langue originale: le français.
( 2 ) Ci-après «Hartlauer».
( 3 ) Directive du Conseil du 25 juillet 1978, visant à la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres du praticien de l’art dentaire et comportant des mesures destinées à faciliter l’exercice effectif du droit d’établissement et de libre prestation de services (JO L 233, p. 1).
( 4 ) Directive du Conseil du 25 juillet 1978, visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant les activités du praticien de l’art dentaire (JO L 233, p. 10). Cette directive, ainsi que la directive 78/686, a été abrogée et remplacée par la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 septembre 2005, relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles (JO L 255, p. 22).
( 5 ) Arrêt du 21 juin 1974 (2/74, Rec. p. 631).
( 6 ) Ainsi, au premier considérant de la directive 75/362/CEE du Conseil, du 16 juin 1975, visant à la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres de médecin et comportant des mesures destinées à faciliter l’exercice effectif du droit d’établissement et de libre prestation de services (JO L 167, p. 1), il est indiqué que, en application du traité, tout traitement discriminatoire fondé sur la nationalité en matière d’établissement et de prestation de services est interdit
depuis la fin de la période de transition.
( 7 ) Voir notamment, en ce qui concerne l’activité de médecin, les directives 75/362 et 75/363/CEE du Conseil, du 16 juin 1975, visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant les activités du médecin (JO L 167, p. 14). Les directives adoptées en ces matières ont été abrogées et remplacées par la directive 2005/36.
( 8 ) BGBl. I, 5/2001, ci-après le «KAG».
( 9 ) BGBl. I, 122/2006, ci-après le «KAKuG».
( 10 ) Dans le cadre des présentes conclusions, les modifications apportées par le KAKuG aux dispositions du KAG sont indiquées en italique.
( 11 ) Un traitement ambulatoire est un traitement qui ne nécessite pas l’hospitalisation du patient et permet la sortie de celui-ci le jour même de son admission, sans risque majoré.
( 12 ) Point 2.1.
( 13 ) LGBl. 23/1987. Loi telle que modifiée en 2001 (LGBl. 48/2001, ci-après le «Wr. KAG»).
( 14 ) Point 2.2.
( 15 ) LGBl. 132/1997. Loi telle que modifiée en 2005 (LGBl. 99/2005, ci-après l’«Oö. KAG»).
( 16 ) BGBl. I, 169/1998. Loi telle que modifiée en 2006 (BGBl. I, 122/2006). Les dispositions qui nous intéressent dans le cadre des présents litiges n’ont pas fait l’objet d’une modification substantielle. Nous les indiquerons.
( 17 ) BGBl. I, 126/2005. Loi telle que modifiée en 2006 (BGBl. I, 80/2006).
( 18 ) La réglementation relative à la création et à la gestion d’une société à but lucratif en nom collectif est fixée à l’article 105 du code des sociétés [Unternehmensgesetzbuch (BGBl. 219/1997), tel que modifié en 2006 (BGBl. I, 103/2006)].
( 19 ) Ainsi que l’a relevé l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer au point 46 de ses conclusions dans l’affaire Smits et Peerbooms (arrêt du 12 juillet 2001, C-157/99, Rec. p. I-5473), il existe, au sein de l’Union européenne, trois types de systèmes, à savoir les systèmes entièrement publics dans lesquels le financement est entièrement public et les soins sont prodigués gratuitement, les systèmes d’assurance privée dans lesquels les soins sont payés directement par le patient qui est ultérieurement
remboursé par sa caisse de maladie et les systèmes hybrides, tels que celui en cause dans l’affaire au principal.
( 20 ) BGBl. 189/1955. Loi telle que modifiée en 2006 (BGBl. I, 133/2006, ci-après l’«ASVG»).
( 21 ) Article 131, paragraphe 1, de l’ASVG.
( 22 ) Arrêt du 19 avril 2007, Stamatelaki (C-444/05, Rec. p. I-3185, point 23 et jurisprudence citée). Cette jurisprudence s’applique également en matière de fiscalité directe (arrêt du 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, C-196/04, Rec. p. I-7995, point 40); en matière pénale (arrêt du 2 février 1989, Cowan, 186/87, Rec. p. 195, point 19), ainsi qu’en matière de sécurité publique (arrêt du 11 janvier 2000, Kreil, C-285/98, Rec. p. I-69, points 15 et 16).
( 23 ) Voir, notamment, nos conclusions dans l’affaire Commission/Allemagne (C-141/07), pendante devant la Cour, concernant le régime d’approvisionnement d’un hôpital en médicaments.
( 24 ) Arrêt du 28 avril 1998 (C-158/96, Rec. p. I-1931).
( 25 ) Arrêt du 13 mai 2003 (C-385/99, Rec. p. I-4509).
( 26 ) Arrêt du 16 mai 2006 (C-372/04, Rec. p. I-4325).
( 27 ) Voir notamment, concernant la profession de pharmacien, arrêts du 13 juillet 2006, Sam Mc Cauley Chemists (Blackpool) et Sadja (C-221/05, Rec. p. I-6869), et du 8 mai 2008, Commission/Espagne (C-39/07, Rec. p. I-3435); concernant la profession de praticien de l’art dentaire, arrêt du 27 octobre 2005, Commission/Autriche (C-437/03, Rec. p. I-9373), et concernant la profession de médecin, arrêt du 16 mai 2002, Commission/Espagne (C-232/99, Rec. p. I-4235).
( 28 ) Il s’agit des «établissements privés d’utilité publique».
( 29 ) Voir, en ce sens, arrêts du 25 juillet 1991, Aragonesa de Publicidad Exterior et Publivía (C-1/90 et C-176/90, Rec. p. I-4151, point 16), ainsi que du 11 décembre 2003, Deutscher Apothekerverband (C-322/01, Rec. p. I-14887, point 103 et jurisprudence citée). C’est dans le cadre de l’examen de la justification d’une réglementation que la Cour prend en considération ce pouvoir d’appréciation des États membres (voir notamment, s’agissant d’une restriction à la liberté d’établissement et à la
libre prestation des services, arrêt du 6 mars 2007, Placanica e.a., C-338/04, C-359/04 et C-360/04, Rec. p. I-1891, point 48).
( 30 ) Voir, notamment, arrêt Watts, précité (point 92 et jurisprudence citée).
( 31 ) Voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 1991, ERT (C-260/89, Rec. p. I-2925, point 12).
( 32 ) Voir arrêts du 5 octobre 2004, CaixaBank France (C-442/02, Rec. p. I-8961, point 11 et jurisprudence citée); du 14 octobre 2004, Commission/Pays-Bas (C-299/02, Rec. p. I-9761, point 15); du 21 avril 2005, Commission/Grèce (C-140/03, Rec. p. I-3177, point 27), ainsi que du 17 juillet 2008, Corporación Dermoestética (C-500/06, Rec. p. I-5785, point 32 et jurisprudence citée).
( 33 ) Décision de renvoi (point 1.1).
( 34 ) Voir arrêt du 15 juin 2006, Commission/France (C-255/04, Rec. p. I-5251, point 29).
( 35 ) Comme le relève la République d’Autriche aux points 26 et 27 de ses observations, l’article 3 du KAKuG ne fait aucune distinction selon que le prestataire est un ressortissant national ou un ressortissant d’un autre État membre.
( 36 ) Point 38 de ses observations.
( 37 ) Par ailleurs, et à titre purement indicatif, nous souhaitons signaler qu’une mesure consistant à subordonner l’obtention d’une autorisation à la preuve de l’existence d’un besoin économique ou d’une demande du marché fait, depuis peu, l’objet d’un encadrement strict par la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO L 376, p. 36). Bien que cette directive ne soit pas applicable à l’offre de soins de santé
[voir vingt-deuxième considérant et article 2, sous f), de ladite directive], nous souhaitons néanmoins souligner que, aux termes de son article 14, point 5, il est interdit aux États membres de subordonner l’accès à une activité de services ou son exercice sur leur territoire à l’application au cas par cas d’une évaluation d’un besoin économique. Aux termes du huitième considérant de la directive 2006/123, ce type de mesures constitue en effet un obstacle à la liberté d’établissement des
prestataires dans les États membres.
( 38 ) Voir, notamment, arrêts du 5 juin 2005, Rosengren e.a. (C-170/04, Rec. p. I-4071, point 43), ainsi que Corporación Dermoestética, précité (point 35 et jurisprudence citée).
( 39 ) Arrêt Deutscher Apothekerverband, précité (point 103 et jurisprudence citée).
( 40 ) Voir jurisprudence citée au point 48 des présentes conclusions, relative au régime de remboursement des soins de santé transfrontaliers. Voir, en particulier, arrêt Stamatelaki, précité (points 30 à 32 et jurisprudence citée).
( 41 ) Arrêt Smits et Peerbooms, précité (points 76 à 80).
( 42 ) Voir arrêt Corporación Dermoestética, précité (point 37).
( 43 ) L’orthodontie est une partie de la médecine dentaire consacrée à la prévention et à la correction des malpositions dentaires et des déformations maxillaires, en particulier chez les enfants.
( 44 ) Nous souhaitons signaler, à cet égard, que, dans sa proposition de directive du Parlement européen et du Conseil, du 2 juillet 2008, relative à l’application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers, la Commission propose une définition communautaire de la notion de «soins hospitaliers». Aux termes de l’article 8, paragraphe 1, sous a) et b), de cette proposition, cette notion recouvre non seulement «les soins de santé qui nécessitent le séjour du patient concerné
à l’hôpital pour au moins une nuit», mais également les soins de santé qui nécessitent un recours à des infrastructures ou à des équipements médicaux hautement spécialisés et coûteux ou des traitements exposant le patient ou la population à un risque particulier.
( 45 ) Voir arrêt Watts, précité (point 115 et jurisprudence citée).
( 46 ) Ibidem (point 116 et jurisprudence citée).
( 47 ) Ibidem (point 117 et jurisprudence citée).
( 48 ) Voir, respectivement, articles 4 du Wr. KAG et 5 du Oö. KAG.
( 49 ) Journal officiel fédéral de la République d’Autriche.
( 50 ) Points 1.1 et 1.2.
( 51 ) À savoir, respectivement, l’article 4 du Wr. KAG ainsi que les articles 4 et 5 de l’Oö. KAG.
( 52 ) Voir arrêts précités Smits et Peerbooms (point 81); Müller-Fauré et van Riet (point 82), ainsi que Watts (point 111).
( 53 ) Au sens de l’article 105 du code des sociétés, tel que modifié.
( 54 ) Observations orales soumises par la République d’Autriche lors de l’audience du 26 février 2008.
( 55 ) La prise en charge de patients est réalisée hors les murs de l’hôpital par une équipe de professionnels médicaux, dans des structures de proximité et sur différents lieux de vie (entreprise, école, domicile).