ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
16 octobre 2008 ( *1 )
«Code communautaire relatif aux médicaments à usage humain — Autorisation de mise sur le marché — Médicaments essentiellement similaires — Procédure abrégée — Procédure de reconnaissance mutuelle — Motifs de refus — Responsabilité d’un État membre — Violation caractérisée du droit communautaire»
Dans l’affaire C-452/06,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court) (Royaume-Uni), par décision du 3 novembre 2006, parvenue à la Cour le 9 novembre 2006, dans la procédure
The Queen, à la demande de:
Synthon BV,
contre
Licensing Authority of the Department of Health,
en présence de:
SmithKline Beecham plc,
LA COUR (première chambre),
composée de M. P. Jann, président de chambre, MM. M. Ilešič, A. Tizzano, (rapporteur), A. Borg Barthet, et E. Levits, juges,
avocat général: M. Y. Bot,
greffier: M. J. Swedenborg, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 25 octobre 2007,
considérant les observations présentées:
— pour Synthon BV, par M. G. Barling, QC, MM. S. Kon et C. Firth, solicitors, ainsi que par Mme S. Ford, barrister,
— pour SmithKline Beecham plc, par M. I. Dodds-Smith et Mme R. Hughes, solicitors, ainsi que par Mme J. Stratford, barrister,
— pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mmes T. Harris et V. Jackson, en qualité d’agents, assistées de M. P. Sales, QC, et de M. J. Coppel, barrister,
— pour le gouvernement néerlandais, par M. M. de Grave, en qualité d’agent,
— pour le gouvernement polonais, par Mme E. Ośniecka-Tamecka ainsi que par MM. P. Dabrowski et T. Krawczyk, en qualité d’agents,
— pour la Commission des Communautés européennes, par M. B. Stromsky et Mme D. Lawunmi, en qualité d’agents,
— pour le gouvernement norvégien, par MM. L. Gåseide Røsås et I. Alvik, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 10 juillet 2008,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 28 de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO L 311, p. 67).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Synthon BV (ci-après «Synthon»), société de droit néerlandais opérant dans le secteur pharmaceutique, à la Licensing Authority of the Department of Health du Royaume-Uni (ci-après la «Licensing Authority») au sujet de la légalité de la décision par laquelle cette dernière a rejeté une demande de reconnaissance mutuelle d’autorisation de mise sur le marché d’un médicament présentée par Synthon.
Le cadre réglementaire
La réglementation communautaire
3 La directive 2001/83 a codifié et réuni dans un texte unique les directives concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives aux médicaments à usage humain, parmi lesquelles figuraient la directive 65/65/CEE du Conseil, du 26 janvier 1965, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux médicaments (JO 1965, 22, p. 369), telle que modifiée par la directive 93/39/CEE du Conseil, du 14
juin 1993 (JO L 214, p. 22, ci-après la «directive 65/65»), ainsi que la deuxième directive 75/319/CEE du Conseil, du 20 mai 1975, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives aux spécialités pharmaceutiques (JO L 147, p. 13), telle que modifiée par la directive 2000/38/CE de la Commission, du 5 juin 2000 (JO L 139, p. 28, ci-après la «directive 75/319»).
4 Le titre III de la directive 2001/83 énonce les conditions et les procédures de mise sur le marché des médicaments à usage humain. Les conditions que doit remplir la demande d’autorisation de mise sur le marché sont prévues au chapitre 1 de ce titre.
5 À cet égard, l’article 6 de cette directive dispose:
«1. Aucun médicament ne peut être mis sur le marché d’un État membre sans qu’une autorisation de mise sur le marché n’ait été délivrée par l’autorité compétente de cet État membre [ci-après l’«État membre concerné»], conformément à la présente directive, ou qu’une autorisation n’ait été délivrée conformément au règlement (CEE) no 2309/93 [du Conseil, du 22 juillet 1993, établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance des médicaments à usage humain et à usage
vétérinaire et instituant une agence européenne pour l’évaluation des médicaments (JO L 214, p. 1)].
[…]»
6 L’article 8 de la directive 2001/83, reprenant en substance l’article 4 de la directive 65/65, prévoit les conditions tenant au contenu de la demande d’autorisation de mise sur le marché et dispose notamment:
«1. En vue de l’octroi d’une autorisation de mise sur le marché d’un médicament ne relevant pas d’une procédure instituée par le règlement (CEE) no 2309/93, une demande doit être introduite auprès de l’autorité compétente de l’État membre concerné.
[…]
3. À la demande doivent être joints les renseignements et les documents suivants, présentés conformément à l’annexe I:
[…]
i) résultat des essais:
— physico-chimiques, biologiques ou microbiologiques,
— toxicologiques et pharmacologiques,
— cliniques;
[…]»
7 L’article 10, paragraphe 1, de la directive 2001/83, remplaçant en substance l’article 4, deuxième alinéa, point 8, de la directive 65/65, prévoit la possibilité de déposer une demande abrégée (ci-après la «procédure abrégée»). Il dispose notamment:
«1. Par dérogation à l’article 8, paragraphe 3, point i), et sans préjudice du droit relatif à la protection de la propriété industrielle et commerciale:
a) le demandeur n’est pas tenu de fournir les résultats des essais toxicologiques, pharmacologiques et cliniques s’il peut démontrer:
[…]
iii) […] que le médicament est essentiellement similaire à un médicament autorisé [(ci-après le «produit de référence»)], selon les dispositions communautaires en vigueur, depuis au moins six ans dans la Communauté et commercialisé dans l’État membre concerné par la demande […]»
8 Le chapitre 4 du titre III de la directive 2001/83 régit la procédure de reconnaissance mutuelle des autorisations de mise sur le marché. En particulier, l’article 28 de cette directive, reprenant en substance l’article 9 de la directive 75/319, prévoit:
«[…]
2. Afin d’obtenir la reconnaissance, suivant les procédures prévues au présent chapitre, par un ou plusieurs États membres, de l’autorisation délivrée par un État membre [(ci-après l’«État membre de référence»)], le titulaire de l’autorisation soumet une demande de mise sur le marché à l’autorité compétente du ou des États membres concernés, ainsi que les informations et documents visés à l’article 8, à l’article 10, paragraphe 1, et à l’article 11. Il atteste l’identité de ce dossier avec celui
accepté par l’État membre de référence ou identifie les additions ou modifications qu’il contient. […] De plus, il certifie que tous les dossiers déposés dans le cadre de cette procédure sont identiques.
[…]
4. Sauf dans le cas exceptionnel visé à l’article 29, paragraphe 1, chaque État membre reconnaît l’autorisation de mise sur le marché octroyée par l’État membre de référence dans les quatre-vingt-dix jours suivant la réception de la demande et du rapport d’évaluation. Il en informe l’État membre de référence, les autres États membres concernés par la demande, l’[Agence européenne pour l’évaluation des médicaments] et le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché.»
9 L’article 29 de la directive 2001/83, reprenant en substance le texte de l’article 10 de la directive 75/319, est ainsi rédigé:
«1. Lorsqu’un État membre considère qu’il y a des motifs de supposer que l’autorisation de mise sur le marché du médicament concerné peut présenter un risque pour la santé publique, il en informe immédiatement le demandeur, l’État membre de référence, les autres États membres concernés par la demande et l’[Agence européenne pour l’évaluation des médicaments]. L’État membre motive sa position de façon détaillée et indique quelles mesures seraient susceptibles de corriger les insuffisances de la
demande.
2. Tous les États membres concernés déploient tous leurs efforts pour se mettre d’accord sur les mesures à prendre concernant la demande. Ils offrent au demandeur la possibilité de faire connaître son point de vue oralement ou par écrit. Cependant, si les États membres ne sont pas parvenus à un accord dans le délai visé à l’article 28, paragraphe 4, ils en informent immédiatement l’agence en vue de la saisine du comité, pour application de la procédure prévue à l’article 32.
3. Dans le délai visé à l’article 28, paragraphe 4, les États membres concernés doivent fournir au comité une description détaillée des questions sur lesquelles l’accord n’a pu se faire et les raisons du désaccord. Une copie de ce document est fournie au demandeur.
4. Dès qu’il est informé que la question a été soumise au comité, le demandeur lui communique immédiatement copie des renseignements et documents visés à l’article 28, paragraphe 2.»
La réglementation nationale
10 Au Royaume-Uni, en vertu de la section 6 du Medicines Act 1968 et de la deuxième règle des Medicines for Human Use (Marketing Authorisations Etc.) Regulations 1994 (ci-après le «règlement de 1994»), la Licensing Authority est responsable de la délivrance des autorisations de mise sur le marché de médicaments à usage humain sur le territoire national.
11 La quatrième règle du règlement de 1994 précise que «toute demande visant à la délivrance, au renouvellement ou à la modification d’une autorisation de mise sur le marché au Royaume-Uni d’un médicament doit être déposée conformément aux dispositions communautaires applicables, sans préjudice des règles de droit communautaire sur les importations parallèles», et que «le demandeur doit respecter les dispositions de droit communautaire applicables lui imposant des obligations ainsi que les règles
applicables à la demande ou à sa prise en compte».
12 La cinquième règle dudit règlement prévoit que l’autorité délivrant une autorisation examine chaque demande de délivrance d’une autorisation de mise sur le marché conformément aux dispositions communautaires applicables.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
13 Souhaitant obtenir une autorisation de mise sur le marché au Danemark du Varox, médicament à usage humain, Synthon a introduit devant l’Agence danoise des médicaments (ci-après la «DMA») une demande conformément à la procédure abrégée.
14 En vue d’obtenir une telle autorisation, Synthon avait utilisé le Seroxat, médicament dont l’autorisation de mise sur le marché était détenue par SmithKline Beecham plc (ci-après «SKB»), comme produit de référence, étant donné que tant ce dernier médicament que le Varox contenaient la même fraction active, à savoir la paroxétine. Sur cette base, la DMA a considéré que la condition de similarité essentielle entre les deux médicaments en cause était remplie et a accordé à Synthon, le 23 octobre
2000, une autorisation de mise sur le marché du Varox.
15 Synthon a saisi la Licensing Authority d’une première demande de reconnaissance mutuelle de l’autorisation de mise sur le marché du Varox au Royaume-Uni, conformément à l’article 9 de la directive 75/319. Synthon a présenté cette demande en se référant à l’autorisation de mise sur le marché du Varox au Danemark déjà délivrée par la DMA.
16 Par lettre du 19 janvier 2001, la Licensing Authority a informé Synthon du rejet de sa demande de reconnaissance mutuelle. Cette décision était fondée sur une pratique générale de la Licensing Authority en vertu de laquelle des médicaments contenant des sels différents de la même fraction active ne pouvaient être considérés comme essentiellement similaires.
17 Le 21 novembre 2002, Synthon a, sur le fondement de l’article 28 de la directive 2001/83, déposé une deuxième demande de reconnaissance mutuelle que la défenderesse au principal a rejetée une nouvelle fois, pour les mêmes motifs. Le 28 février 2003, Synthon a, dès lors, introduit devant la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court), un recours visant à l’annulation de cette deuxième décision de la Licensing Authority, ainsi qu’une demande en dommages et
intérêts.
18 Par ailleurs, il ressort de la décision de renvoi que, au cours de l’année 2003, à la suite des modifications introduites à l’annexe I de la directive 2001/83 par la directive 2003/63/CE de la Commission, du 25 juin 2003 (JO L 159, p. 46), la Licensing Authority a modifié la pratique générale mentionnée ci-dessus et a déclaré qu’elle accepterait désormais les demandes faisant valoir une similarité essentielle entre des produits contenant différents sels de la même fraction active.
19 La Cour, saisie d’une demande de décision préjudicielle par l’Østre Landsret (Danemark) dans le cadre d’un autre litige opposant SKB à Synthon au sujet de la légalité de la décision de la DMA, du 23 octobre 2000, autorisant la mise sur le marché du Varox, a dit pour droit, dans son arrêt du 20 janvier 2005, SmithKline Beecham (C-74/03, Rec. p. I-595), que l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), iii), de la directive 65/65 doit être interprété en ce sens qu’il n’exclut pas qu’une demande
d’autorisation de mise sur le marché d’un médicament puisse être traitée dans le cadre de la procédure abrégée prévue à cette disposition lorsque ce médicament contient la même fraction active sur le plan thérapeutique que le médicament de référence, mais associée à un autre sel.
20 Sur la base de ces nouveaux éléments, Synthon a déposé, au mois d’avril 2005, une troisième demande de reconnaissance mutuelle et la Licensing Authority lui a octroyé, le 6 février 2006, l’autorisation de mise sur le marché du Varox au Royaume-Uni.
21 La requérante au principal a néanmoins maintenu son recours contre la décision de la Licensing Authority du 28 février 2003 afin d’obtenir un arrêt déclaratoire ainsi qu’une condamnation de la défenderesse au principal au versement de dommages et intérêts.
22 Dans le cadre de cette procédure, la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court), a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Lorsque:
— un État membre reçoit une demande, présentée en vertu de l’article 28 de la directive [2001/83], de reconnaissance mutuelle sur son territoire d’une autorisation de mise sur le marché d’un médicament délivrée par un autre État membre;
— que cette autorisation de mise sur le marché a été délivrée par l’État membre de référence conformément à la [procédure abrégée], au motif que le produit est essentiellement similaire à un autre médicament qui a déjà été autorisé dans la Communauté durant la période exigée, et
— que l’État membre concerné applique une procédure de validation de la demande durant laquelle il vérifie qu’elle contient les renseignements et documents exigés par les articles 8, 10, paragraphe 1, sous a), iii), et 28 de la directive [2001/83], et que les renseignements fournis sont compatibles avec la base juridique sur laquelle la demande est présentée;
a) est-il compatible avec la directive [2001/83] et, en particulier, son article 28, que l’État membre concerné vérifie que le produit est essentiellement similaire au produit de référence (sans porter aucune appréciation matérielle), qu’il refuse d’accepter et qu’il examine la demande et qu’il ne reconnaisse pas l’autorisation de mise sur le marché délivrée par l’État membre de référence au motif qu’il estime que le produit n’est pas essentiellement similaire au produit de référence, ou
b) l’État membre concerné est-il tenu de reconnaître l’autorisation de mise sur le marché délivrée par l’État membre de référence dans les 90 jours de la réception de la demande et du rapport d’évaluation conformément à l’article 28, paragraphe 4, de la directive [2001/83], à moins que l’État membre concerné n’invoque la procédure visée aux articles 29 à 34 de la directive [2001/83] (qui est applicable lorsqu’il y a des motifs de supposer que l’autorisation de mise sur le marché du
médicament concerné peut présenter un risque pour la santé publique au sens de l’article 29 de la directive [2001/83])?
2) Si la première question, sous a), reçoit une réponse négative, que la première question, sous b), reçoit une réponse positive, et si l’État membre concerné rejette la demande au stade de la validation au motif que le produit n’est pas essentiellement similaire au produit de référence, s’abstenant ainsi de reconnaître l’autorisation de mise sur le marché délivrée par l’État membre de référence ou d’invoquer la procédure visée aux articles 29 à 34 de la directive [2001/83], cette abstention de
l’État membre concerné de reconnaître l’autorisation de mise sur le marché délivrée par l’État membre de référence dans les circonstances exposées ci-dessus constitue-t-elle une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire au sens de la deuxième condition énoncée dans l’arrêt [du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame, C-46/93 et C-48/93, Rec. p. I-1029]? À titre subsidiaire, quels facteurs le juge national doit-il prendre en compte pour déterminer si cette abstention
constitue une violation suffisamment caractérisée?
3) Si l’abstention de l’État membre concerné de reconnaître l’autorisation de mise sur le marché délivrée par l’État membre de référence, comme exposé dans la première question, est fondée sur une pratique générale adoptée par l’État membre concerné, selon laquelle des sels différents [de la même fraction active] ne peuvent, en droit, être considérés comme étant essentiellement similaires, le fait pour l’État membre concerné de s’abstenir de reconnaître l’autorisation de mise sur le marché
délivrée par l’État membre de référence dans les circonstances exposées ci-dessus constitue-t-il une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire au sens de la deuxième condition énoncée dans l’arrêt [Brasserie du pêcheur et Factortame, précité]? À titre subsidiaire, quels facteurs le juge national doit-il prendre en compte pour déterminer si cette abstention constitue une violation suffisamment caractérisée?»
Sur la première question
23 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 28 de la directive 2001/83 s’oppose à ce qu’un État membre, saisi d’une demande de reconnaissance mutuelle d’une autorisation de mise sur le marché d’un médicament à usage humain délivrée par un autre État membre dans le cadre de la procédure abrégée prévue à l’article 10, paragraphe 1, sous a), iii), de la même directive, puisse rejeter cette demande au motif que le médicament en cause n’est pas
essentiellement similaire au médicament de référence visé dans ladite autorisation de mise sur le marché.
24 Afin de répondre à cette question, il y a lieu de relever, à titre liminaire, que, contrairement à ce que suggèrent SKB ainsi que les gouvernements du Royaume-Uni et norvégien, la directive 2001/83 n’opère aucune distinction quant aux effets et à la portée des autorisations de mise sur le marché, selon que celles-ci ont été délivrées à la suite d’une procédure ordinaire ou d’une procédure abrégée.
25 Cette constatation vaut notamment en ce qui concerne la procédure de reconnaissance mutuelle instituée à l’article 28 de la directive 2001/83. En effet, conformément à l’objectif d’élimination de tout obstacle à la libre circulation des médicaments dans la Communauté visé aux douzième et quatorzième considérants de cette directive, il ressort de l’article 28, paragraphe 4, de celle-ci qu’une autorisation de mise sur le marché délivrée par un État membre doit en principe être reconnue par les
autorités compétentes des autres États membres dans les 90 jours suivant la réception de la demande et du rapport d’évaluation de l’État membre de référence, et cela indépendamment de la procédure suivie par celui-ci afin d’octroyer ladite autorisation.
26 Il convient ensuite de constater qu’une telle obligation de reconnaissance mutuelle est strictement encadrée par l’article 28 de la directive 2001/83.
27 D’une part, une demande de reconnaissance mutuelle doit être considérée comme valide dès lors que, conformément aux prescriptions de cet article 28, paragraphe 2, elle est accompagnée des informations et des documents visés aux articles 8, 10, paragraphe 1, et 11 de ladite directive, que le dossier présenté est identique à celui accepté par l’État membre de référence et que les éventuelles additions ou modifications qu’il contient ont été identifiées par le demandeur.
28 D’autre part, il résulte clairement du libellé de l’article 28, paragraphe 4, de la directive 2001/83 que l’existence d’un risque pour la santé publique, au sens de l’article 29, paragraphe 1, de celle-ci, constitue le seul motif qu’un État membre est en droit d’invoquer pour s’opposer à la reconnaissance d’une autorisation de mise sur le marché octroyée par un autre État membre. Par ailleurs, cet article 29 prévoit que l’État membre souhaitant se prévaloir d’un tel motif est tenu de se conformer
à une procédure d’information, de concertation et d’arbitrage spécifiquement prévue.
29 Il s’ensuit que, comme le font valoir Synthon, le gouvernement polonais et la Commission des Communautés européennes, un État membre saisi d’une demande de reconnaissance mutuelle au titre de l’article 28 de la directive 2001/83 ne saurait remettre en cause, pour un motif autre que celui tiré d’un risque pour la santé publique, des appréciations auxquelles se sont livrées les autorités de l’État de référence dans le cadre de la procédure d’évaluation du médicament, telles que celles portant sur
la similarité essentielle au sens de l’article 10, paragraphe 1, de cette directive.
30 Or, en l’espèce, il suffit de constater que, ainsi que l’a souligné le gouvernement néerlandais dans ses observations orales, la Licensing Authority n’a nullement indiqué dans sa décision de rejet de la demande de Synthon que l’analyse effectuée par la DMA, portant sur la similarité essentielle entre le Varox et le Seroxat, laissait supposer que la reconnaissance de l’autorisation de mise sur le marché pouvait présenter un risque pour la santé publique. A fortiori, il ne ressort pas du dossier
que la Licensing Authority ait engagé la procédure visée à l’article 29 de la directive 2001/83.
31 Dans ces conditions, ne saurait être retenue l’interprétation avancée par SKB ainsi que par les gouvernements du Royaume-Uni et norvégien, selon laquelle l’État membre saisi d’une demande de reconnaissance mutuelle serait en mesure, en dehors même de l’hypothèse d’un risque pour la santé publique visée audit article 29, de se livrer à une nouvelle appréciation des données relatives à la similarité essentielle qui ont amené l’État membre de référence à accepter une demande abrégée.
32 Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 100 et 101 de ses conclusions, non seulement une telle interprétation irait à l’encontre du libellé même des articles 28 et 29 de la directive 2001/83, mais elle priverait ces dispositions de leur effet utile. En effet, si un État membre appelé à reconnaître une autorisation déjà octroyée par un autre État membre pouvait conditionner une telle reconnaissance à une deuxième appréciation de tout ou partie de la demande d’autorisation, cela
reviendrait à priver de tout sens la procédure de reconnaissance mutuelle instituée par le législateur communautaire et à compromettre sérieusement la réalisation des objectifs de la directive 2001/83 tels que, en particulier, la libre circulation des médicaments dans le marché intérieur, rappelée au point 25 du présent arrêt.
33 Il y a donc lieu de répondre à la première question que l’article 28 de la directive 2001/83 s’oppose à ce qu’un État membre, saisi d’une demande de reconnaissance mutuelle d’une autorisation de mise sur le marché d’un médicament à usage humain délivrée par un autre État membre dans le cadre de la procédure abrégée prévue à l’article 10, paragraphe 1, sous a), iii), de la même directive, rejette cette demande au motif que le médicament en cause n’est pas essentiellement similaire au médicament de
référence.
Sur les deuxième et troisième questions
34 Par ses deuxième et troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si l’abstention, de la part d’un État membre, de reconnaître, conformément à l’article 28 de la directive 2001/83, une autorisation de mise sur le marché d’un médicament à usage humain délivrée par un autre État membre dans le cadre de la procédure abrégée prévue à l’article 10, paragraphe 1, sous a), iii), de ladite directive, au motif que le médicament concerné
soit n’est pas essentiellement similaire au médicament de référence, soit appartient à une catégorie de médicaments pour lesquels une pratique générale de l’État membre concerné exclut qu’il puisse être considéré comme essentiellement similaire au médicament de référence, constitue une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire, susceptible d’engager la responsabilité de cet État membre.
35 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante (voir, notamment, arrêts Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, point 51; du 23 mai 1996, Hedley Lomas, C-5/94, Rec. p. I-2553, point 25, ainsi que du 25 janvier 2007, Robins e.a., C-278/05, Rec. p. I-1053, point 69), la responsabilité d’un État membre pour des dommages causés aux particuliers par une violation du droit communautaire suppose que:
— la règle de droit violée ait pour objet de conférer des droits aux particuliers;
— la violation soit suffisamment caractérisée;
— il existe un lien de causalité direct entre la violation de l’obligation qui incombe à l’État et le dommage subi par les personnes lésées.
36 S’il appartient, en principe, aux juridictions nationales de déterminer si les conditions de mise en jeu de la responsabilité de l’État membre pour violation du droit communautaire sont réunies, la Cour peut néanmoins préciser certaines circonstances dont les juridictions nationales sont susceptibles de tenir compte dans leur appréciation (arrêt du 18 janvier 2001, Stockholm Lindöpark, C-150/99, Rec. p. I-493, point 38).
37 S’agissant ainsi de la condition tenant à l’existence d’une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire, sur laquelle le juge national interroge la Cour, cette dernière a eu l’occasion de préciser qu’une telle violation est établie lorsqu’elle implique une méconnaissance manifeste et grave par l’État membre des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation, les éléments à prendre en considération à cet égard étant, notamment, le degré de clarté et de précision de la règle
violée ainsi que l’étendue de la marge d’appréciation que la règle enfreinte laisse aux autorités nationales (arrêts précités Brasserie du pêcheur et Factortame, points 55 et 56, ainsi que Robins e.a., point 70).
38 Cependant, dans l’hypothèse où l’État membre n’est pas confronté à des choix normatifs et dispose d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit communautaire peut suffire à établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée (arrêts précités Hedley Lomas, point 28, ainsi que Robins e.a., point 71).
39 Il s’ensuit que la marge d’appréciation de l’État membre, laquelle est largement tributaire du degré de clarté et de précision de la règle violée, constitue un critère important pour établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire (voir, en ce sens, arrêt Robins e.a., précité, points 72 et 73).
40 Dès lors, c’est à la lumière des principes rappelés aux points précédents du présent arrêt qu’il convient d’examiner les questions posées par la juridiction de renvoi.
41 Or, s’agissant de l’article 28 de la directive 2001/83, il résulte des points 27 à 29 du présent arrêt que cette disposition ne confère à l’État membre saisi d’une demande de reconnaissance mutuelle qu’une marge d’appréciation très restreinte en ce qui concerne les raisons pour lesquelles cet État est en droit de s’abstenir de reconnaître l’autorisation de mise sur le marché en question. En particulier, pour tout examen allant au-delà de la vérification de la validité de la demande au regard des
conditions posées audit article 28, l’État membre concerné, sauf dans l’hypothèse d’un risque pour la santé publique, doit s’en remettre aux appréciations et à l’évaluation scientifique effectuées par l’État membre de référence.
42 En tout état de cause, ainsi qu’il a été également rappelé au point 28 du présent arrêt, l’article 29 de la directive 2001/83 exclut de façon claire et précise toute possibilité pour ledit État membre de rejeter une demande de reconnaissance mutuelle sans avoir préalablement engagé la procédure prévue à cette disposition.
43 Dans ces conditions, une violation de l’article 28 de ladite directive, telle que celle commise par la Licensing Authority dans l’affaire au principal, suffit à établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire (voir, par analogie, notamment, arrêts Stockholm Lindöpark, précité, point 42, et du 17 avril 2007, AGM-COS.MET, C-470/03, Rec. p. I-2749, point 86).
44 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument du gouvernement du Royaume-Uni et de la Commission selon lequel la notion de médicament essentiellement similaire est complexe et n’a été clarifiée par la Cour, en ce qui concerne la question posée par l’affaire au principal, que par son arrêt SmithKline Beecham, précité.
45 En effet, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 130 de ses conclusions, à supposer même que l’article 10, paragraphe 1, sous a), iii), de la directive 2001/83 puisse présenter des difficultés d’interprétation en ce qui concerne cette notion dans le cadre de la procédure abrégée, force est de constater que cette dernière constitue une procédure totalement distincte de la procédure de reconnaissance mutuelle en cause dans l’affaire au principal. Dès lors, toute difficulté éventuelle
d’interprétation de ladite notion n’a aucune conséquence sur le caractère clair et précis des obligations imposées aux États membres dans le cadre de la reconnaissance d’une autorisation de mise sur le marché préalablement délivrée par un autre État membre en application de l’une des procédures prévues à cet effet par la même directive.
46 Il y a lieu, dès lors, de répondre aux deuxième et troisième questions que l’abstention de la part d’un État membre de reconnaître, conformément à l’article 28 de la directive 2001/83, une autorisation de mise sur le marché d’un médicament à usage humain délivrée par un autre État membre dans le cadre de la procédure abrégée prévue à l’article 10, paragraphe 1, sous a), iii), de cette directive, au motif que le médicament concerné soit n’est pas essentiellement similaire au médicament de
référence, soit appartient à une catégorie de médicaments pour lesquels une pratique générale de l’État membre concerné exclut qu’il puisse être considéré comme essentiellement similaire au médicament de référence, constitue une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire, susceptible d’engager la responsabilité de cet État membre.
Sur les dépens
47 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:
1) L’article 28 de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, s’oppose à ce qu’un État membre, saisi d’une demande de reconnaissance mutuelle d’une autorisation de mise sur le marché d’un médicament à usage humain délivrée par un autre État membre dans le cadre de la procédure abrégée prévue à l’article 10, paragraphe 1, sous a), iii), de la même directive, rejette cette demande au motif
que le médicament en cause n’est pas essentiellement similaire au médicament de référence.
2) L’abstention de la part d’un État membre de reconnaître, conformément à l’article 28 de la directive 2001/83, une autorisation de mise sur le marché d’un médicament à usage humain délivrée par un autre État membre dans le cadre de la procédure abrégée prévue à l’article 10, paragraphe 1, sous a), iii), de cette directive, au motif que le médicament concerné soit n’est pas essentiellement similaire au médicament de référence, soit appartient à une catégorie de médicaments pour lesquels une
pratique générale de l’État membre concerné exclut qu’il puisse être considéré comme essentiellement similaire au médicament de référence, constitue une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire, susceptible d’engager la responsabilité de cet État membre.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure: l’anglais.