ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)
1er octobre 2009 ( *1 )
«Demande de décision préjudicielle — Régimes de sécurité sociale — Prestations d’invalidité — Règlement (CEE) no 1408/71 — Article 40, paragraphe 3 — Régimes d’indemnisation distincts selon les États membres — Désavantages pour les travailleurs migrants — Cotisations à fonds perdus»
Dans l’affaire C-3/08,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le tribunal du travail de Nivelles (Belgique), par décision du 18 décembre 2007, parvenue à la Cour le , dans la procédure
Ketty Leyman
contre
Institut national d’assurance maladie-invalidité (INAMI),
LA COUR (quatrième chambre),
composée de M. K. Lenaerts, président de chambre, M. T. von Danwitz, Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteur), MM. G. Arestis et J. Malenovský, juges,
avocat général: M. M. Poiares Maduro,
greffier: M. M.-A. Gaudissart, chef d’unité,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 17 décembre 2008,
considérant les observations présentées:
— pour Mme Leyman, par Me E. Piret, avocat,
— pour le gouvernement belge, par Mme L. Van den Broeck, en qualité d’agent,
— pour le gouvernement néerlandais, par Mmes C. Wissels et M. Noort, en qualité d’agents,
— pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme V. Jackson, en qualité d’agent, assistée de M. T. Ward, barrister,
— pour le Conseil de l’Union européenne, par Mme M. Veiga et M. D. Canga Fano, en qualité d’agents,
— pour la Commission des Communautés européennes, par MM. M. van Hoof et V. Kreuschitz, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 19 février 2009,
rend le présent
Arrêt
1 La demande préjudicielle porte sur l’article 40, paragraphe 3, du règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du (JO 1997, L 28, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 647/2005 du Parlement européen et du
Conseil, du (JO L 117, p. 1, ci-après le «règlement no 1408/71»), ainsi que sur la compatibilité avec le droit communautaire de certains aspects de la législation belge en matière de prestations d’invalidité.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Leyman, une ressortissante belge, à l’Institut national d’assurance maladie-invalidité (INAMI) au sujet de la date à compter de laquelle elle est en droit de percevoir une indemnité d’invalidité.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
3 L’article 13 du règlement no 1408/71 énonce:
«1. Sous réserve des articles 14 quater et 14 septies, les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre. Cette législation est déterminée conformément aux dispositions du présent titre.
2. Sous réserve des articles 14 à 17:
a) la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d’un État membre est soumise à la législation de cet État, même si elle réside sur le territoire d’un autre État membre ou si l’entreprise ou l’employeur qui l’occupe a son siège ou son domicile sur le territoire d’un autre État membre;
[…]»
4 L’article 37 du règlement no 1408/71 dispose:
«1. Le travailleur salarié ou non salarié qui a été soumis successivement ou alternativement aux législations de deux ou plusieurs États membres et qui a accompli des périodes d’assurance exclusivement sous des législations selon lesquelles le montant des prestations d’invalidité est indépendant de la durée des périodes d’assurance bénéficie des prestations conformément à l’article 39. Cet article ne concerne pas les majorations ou suppléments de pension pour enfants qui sont accordés
conformément aux dispositions du chapitre 8.
2. L’annexe IV partie A mentionne, pour chaque État membre intéressé, les législations en vigueur sur son territoire qui sont du type visé au paragraphe 1.»
5 L’article 40 du règlement no 1408/71 est libellé comme suit:
«1. Le travailleur salarié ou non salarié qui a été soumis successivement ou alternativement aux législations de deux ou plusieurs États membres, dont l’une au moins n’est pas du type visé à l’article 37 paragraphe 1, bénéficie des prestations conformément aux dispositions du chapitre 3, qui sont applicables par analogie, compte tenu des dispositions du paragraphe 4.
2. Toutefois, l’intéressé qui est atteint d’une incapacité de travail suivie d’invalidité alors qu’il se trouve soumis à une législation mentionnée à l’annexe IV partie A bénéficie des prestations conformément à l’article 37 paragraphe 1, aux conditions suivantes:
— qu’il satisfasse aux conditions requises par cette législation ou d’autres législations du même type, compte tenu le cas échéant de l’article 38, mais sans qu’il doive être fait appel à des périodes d’assurance accomplies sous les législations non mentionnées à l’annexe IV partie A
et
— qu’il ne remplisse pas les conditions requises pour l’ouverture du droit à prestations d’invalidité au titre d’une législation non mentionnée à l’annexe IV partie A
et
— qu’il ne fasse pas valoir d’éventuels droits à prestations de vieillesse, compte tenu de l’article 44 paragraphe 2 deuxième phrase.
a) Pour déterminer le droit aux prestations en vertu de la législation d’un État membre, mentionnée à l’annexe IV partie A, qui subordonne l’octroi des prestations d’invalidité à la condition que, pendant une période déterminée, l’intéressé ait bénéficié des prestations en espèces de maladie ou ait été incapable de travailler, lorsqu’un travailleur salarié ou non salarié, qui a été soumis à cette législation, est atteint d’une incapacité de travail suivie d’invalidité alors qu’il se trouve soumis
à la législation d’un autre État membre, il est tenu compte, sans préjudice de l’article 37 paragraphe 1:
i) de toute période pendant laquelle il a bénéficié, au titre de la législation du deuxième État membre, pour cette incapacité de travail, de prestations en espèces de maladie ou, au lieu de celles-ci, du maintien de son salaire;
ii) de toute période pendant laquelle il a bénéficié, au titre de la législation du deuxième État membre, pour l’invalidité qui a suivi cette incapacité de travail, de prestations au sens du présent chapitre 2 et du chapitre 3 qui suit,
comme s’il s’agissait d’une période pendant laquelle des prestations en espèces de maladie lui ont été servies en vertu de la législation du premier État membre ou pendant laquelle il a été incapable de travailler au sens de cette législation.
b) Le droit aux prestations d’invalidité s’ouvre au regard de la législation du premier État membre soit à l’expiration de la période préalable d’indemnisation de la maladie, prescrite par cette législation, soit à l’expiration de la période préalable d’incapacité de travail, prescrite par cette législation, et au plus tôt:
i) à la date d’ouverture du droit aux prestations visées au point a) ii) en vertu de la législation du second État membre
ou
ii) le jour suivant le dernier jour où l’intéressé a droit aux prestations en espèces de maladie en vertu de la législation du second État membre.
4. La décision prise par l’institution d’un État membre au sujet de l’état d’invalidité du requérant s’impose à l’institution de tout autre État membre concerné, à condition que la concordance des conditions relatives à l’état d’invalidité entre les législations de ces États soit reconnue à l’annexe V.»
6 L’annexe IV, partie A, du règlement no 1408/71 mentionne le régime général d’invalidité belge parmi les législations en vigueur du type de celles visées à l’article 37, paragraphe 1, de ce règlement, mais elle ne fait pas mention du régime luxembourgeois.
7 L’annexe V du même règlement reconnaît la concordance entre le régime général d’invalidité belge et le régime d’invalidité ouvriers et employés du Grand-Duché de Luxembourg, en ce qui concerne les conditions relatives à l’état d’invalidité.
Les législations belge et luxembourgeoise
8 Aux termes de l’article 87 de la loi belge du 14 juillet 1994, relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités (ci-après la «loi de 1994»):
«Le titulaire […] en état d’incapacité de travail […] reçoit pour chaque jour ouvrable de la période d’un an prenant cours à la date de début de son incapacité de travail […] une indemnité dite ‘indemnité d’incapacité primaire’.»
9 Aux termes de l’article 93 de la loi de 1994:
«Lorsque l’incapacité de travail se prolonge au-delà de la période d’incapacité primaire, il est payé pour chaque jour ouvrable de l’incapacité de travail […] une indemnité dite ‘indemnité d’invalidité’.»
10 En droit belge, la pension d’invalidité est indépendante de la durée de la période d’assurance.
11 En droit luxembourgeois, lorsque l’incapacité de travail est reconnue comme étant définitive ou permanente, le droit à une pension d’invalidité est ouvert dès le premier jour de la cessation de l’activité professionnelle. Le montant de la pension d’invalidité est lié à la durée de la période d’assurance.
12 La convention belgo-luxembourgeoise sur la sécurité sociale des travailleurs frontaliers et protocole final, signés à Arlon le 24 mars 1994 et approuvés par la loi du (Moniteur belge du , p. 16139), prévoit, pour les travailleurs frontaliers, le versement de l’indemnité d’invalidité belge avant la fin de la période d’incapacité primaire.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
13 Mme Leyman a exercé une activité salariée en Belgique de 1971 à 2003. Depuis 1999, elle réside au Luxembourg et, à compter du mois d’août de l’année 2003, elle est assujettie au système luxembourgeois de sécurité sociale.
14 Le 8 juillet 2005, les autorités compétentes luxembourgeoises ont reconnu que Mme Leyman était incapable de travailler pour la période allant du au , date de sa mise à la retraite. Une indemnité d’invalidité lui a donc été accordée, pour les périodes d’assurance accomplies au Luxembourg. Le montant mensuel de la pension allouée par l’institution luxembourgeoise à Mme Leyman est de 322,83 euros.
15 Saisi d’une demande d’indemnité pour cause d’invalidité par Mme Leyman pour les périodes d’assurance accomplies en Belgique, l’INAMI lui a, par décision du 23 juin 2006, accordé une telle indemnité d’un montant mensuel de 737,10 euros, à compter du , conformément, selon ledit institut, aux articles 40, paragraphe 3, sous b), du règlement no 1408/71 et 93 de la loi de 1994.
16 Mme Leyman a introduit devant la juridiction de renvoi un recours à l’encontre de ladite décision de l’INAMI, en demandant que le versement de l’indemnité d’invalidité qui lui a été ainsi octroyée soit effectué à compter du 8 juillet 2005.
17 C’est dans ce contexte que le tribunal du travail de Nivelles a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) L’article 40, [paragraphe] 3, [sous] b), du règlement [no] 1408/71 et l’article 93 [de la loi de 1994] sont-ils contraires à l’article 18 du traité CE en ce que, dans le cas d’un travailleur résidant et travaillant dans un pays de type A (en l’espèce, en Belgique) et allant s’installer dans un pays de type B (en l’espèce, le Grand-Duché de Luxembourg), ils ne permettent pas, durant la première année d’incapacité de travail, l’octroi d’une indemnité prenant en considération la période de
travail et de cotisation dans le pays de type A (la Belgique)[?]
2) L’article 40, [paragraphe] 3, [sous] b), du règlement [no] 1408/71 et l’article 93 [de la loi de 1994] sont-ils contraires à l’article 18 du traité CE en ce que, dans le cas d’un travailleur résidant et travaillant dans un pays de type A (en l’espèce, en Belgique) et allant s’installer dans un pays de type B (en l’espèce, le Grand-Duché de Luxembourg), ils créeraient une discrimination au détriment du travailleur exerçant son droit de libre circulation en ne lui permettant pas, durant la
première année d’incapacité de travail, l’octroi d’une indemnité prenant en considération la période de travail et de cotisation dans le pays de type A (la Belgique)[?]»
Sur les questions préjudicielles
18 À titre liminaire, il convient de constater que, si les questions posées par la juridiction de renvoi se réfèrent à l’article 18 CE, une situation telle que celle de l’affaire au principal relève des articles 39 CE et 42 CE.
19 En effet, il ressort tant de la décision de renvoi que des observations présentées devant la Cour que Mme Leyman s’est installée au Luxembourg en vue d’y exercer une activité salariée.
20 Or, il est de jurisprudence constante que l’article 18 CE, qui énonce de manière générale le droit, pour tout citoyen de l’Union, de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, trouve une expression spécifique dans l’article 39 CE en ce qui concerne la libre circulation des travailleurs (voir arrêts du 26 avril 2007, Alevizos, C-392/05, Rec. p. I-3505, point 66, et du , Hendrix, C-287/05, Rec. p. I-6909, point 61).
21 Dans ces conditions, les questions posées doivent être comprises comme visant à savoir, en substance, si les articles 39 CE et 42 CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une condition telle que celle énoncée à l’article 93 de la loi de 1994, laquelle a été établie en conformité avec l’article 40, paragraphe 3, sous b), du règlement no 1408/71, en ce que cette condition aboutit à ce qu’une personne telle que Mme Leyman, qui, après avoir travaillé et résidé sur le territoire du
Royaume de Belgique — État membre dont la législation relève du type A — s’est installée dans un autre État membre, dont la législation relève du type B, soit privée de toute indemnité à charge de l’institution compétente du premier État membre durant la première année d’incapacité de travail et en ce qu’elle créerait ainsi une discrimination au détriment du travailleur exerçant son droit à la libre circulation.
22 À cet égard, il convient de rappeler d’emblée que le règlement no 1408/71, en vue de la coordination des régimes d’assurance invalidité des États membres, opère une distinction selon que le travailleur a été exclusivement soumis à des législations selon lesquelles le montant des prestations est indépendant de la durée des périodes d’assurance (législation dite de «type A») — situation visée aux articles 37 à 39 de ce règlement — ou qu’il a été soumis soit exclusivement à des législations selon
lesquelles le montant des prestations dépend de ladite durée (législation dite de «type B»), soit à des législations de ces deux types, situation visée à l’article 40 du même règlement.
23 Les travailleurs se trouvant dans la situation visée à l’article 40 du règlement no 1408/71 bénéficient des prestations d’invalidité conformément aux dispositions de ce règlement relatives à la vieillesse et au décès, qui sont applicables par analogie.
24 Si le système prévu pour les travailleurs se trouvant dans la situation visée aux articles 37 à 39 du règlement no 1408/71 implique, pour ce qui intéresse la présente procédure, qu’il n’y a qu’un seul État membre qui détermine, conformément à son ordre juridique, le droit aux prestations d’invalidité et qui verse ces dernières, le système prévu pour les travailleurs se trouvant dans la situation visée à l’article 40 de ce règlement implique, en principe, qu’il doit être procédé aux opérations de
liquidation des prestations d’invalidité au regard de toutes les législations auxquelles le travailleur a été assujetti et que, le cas échéant, ce dernier perçoive de chaque État membre concerné une prestation d’invalidité calculée, suivant les règles énoncées à l’article 46 du même règlement, en fonction des périodes d’assurance accomplies sous sa législation.
25 Dans l’affaire au principal, la requérante ayant été soumise à une législation de type A, à savoir le régime d’assurance invalidité belge, et à une législation de type B, à savoir le régime d’assurance invalidité luxembourgeois, des opérations de calcul et de liquidation ont été effectuées, conformément à l’article 46 du règlement no 1408/71, par les autorités compétentes belges et luxembourgeoises, ces autorités étant parvenues à déterminer le montant mensuel de la prestation d’invalidité dû
respectivement par celles-ci, lequel, au demeurant, n’est pas discuté par les parties au principal.
26 Toutefois, ces dernières sont en désaccord en ce qui concerne la date à partir de laquelle la prestation d’invalidité due en Belgique devrait être versée.
Sur le système d’assurance maladie-invalidité belge et l’indemnité d’incapacité primaire
27 Il ressort de la décision de renvoi ainsi que des observations soumises à la Cour, notamment par le gouvernement belge, que le système en vigueur en Belgique organise l’assurance maladie et l’assurance invalidité dans un seul ensemble, de sorte que le travailleur devenu incapable de travailler relève d’abord d’un régime relatif aux incapacités transitoires pour n’être soumis qu’après une certaine période à un régime destiné à couvrir les incapacités totales ou partielles de longue durée, sinon
définitives.
28 En particulier, en Belgique, un travailleur en état d’incapacité de travail relève dans un premier temps d’un régime d’assurance maladie pendant une période d’un an, au cours de laquelle il perçoit l’indemnité dite d’«incapacité primaire». Dans un second temps, à savoir après l’expiration de ladite période, si le travailleur continue à être dans l’incapacité de travailler, il est soumis à un régime d’assurance invalidité et perçoit une indemnité d’invalidité.
29 Ledit système n’opère donc pas une distinction du point de vue de l’état du travailleur entre incapacité temporaire, telle que la maladie, d’une part, et incapacité définitive, telle que l’invalidité, d’autre part. L’incapacité temporaire et l’invalidité ne se distinguent que par le fait que cette dernière constitue une prolongation au-delà d’une durée d’un an de la situation d’incapacité du travailleur.
30 En revanche, le système luxembourgeois distingue l’assurance maladie et l’assurance invalidité de sorte que, si le travailleur est reconnu en état d’incapacité temporaire, il ressortit au régime d’assurance maladie donnant droit à des indemnités de maladie, tandis que, s’il est reconnu en état d’incapacité définitive ou permanente, il relève d’un régime d’assurance invalidité donnant lieu à des indemnités d’invalidité.
31 Il s’ensuit que, dans des systèmes dans lesquels l’assurance maladie et l’assurance invalidité sont combinées, tels que le système belge, la reconnaissance d’une invalidité, sans qu’intervienne une période préalable d’incapacité, n’est pas envisagée et que, par conséquent, une telle reconnaissance accordée dans un autre État membre, tel que le Grand-Duché de Luxembourg, pose des difficultés de coordination des systèmes de sécurité sociale au cas où, comme dans l’affaire au principal, il doit être
procédé aux opérations de liquidation au regard des différents systèmes, en appliquant les règles des articles 40 et 46 du règlement no 1408/71.
32 En effet, si, selon la législation luxembourgeoise, le droit à l’indemnité d’invalidité est ouvert dès le premier jour d’incapacité de travail, une telle indemnité ne commence à être versée, en application de la législation belge, qu’après l’expiration d’une période d’un an, pendant laquelle le travailleur résidant en Belgique en état d’incapacité perçoit l’indemnité d’incapacité primaire.
33 Or, dans de telles situations, les autorités compétentes belges considèrent que l’article 40, paragraphe 3, sous b), du règlement no 1408/71 doit être interprété en ce sens que le droit à la prestation d’invalidité belge est ouvert à l’expiration de la période d’incapacité primaire d’un an. En outre, lesdites autorités n’accordent pas au travailleur une indemnité pour cette dernière incapacité.
Sur l’article 40, paragraphe 3, du règlement no 1408/71
34 Il convient de relever que l’article 40, paragraphe 3, du règlement no 1408/71 concerne le cas d’un travailleur ayant été soumis dans un État membre à une législation de type A, qui subordonne l’octroi des prestations d’invalidité à la condition que, pendant une période déterminée, l’intéressé ait bénéficié de prestations en espèces de maladie ou ait été incapable de travailler, lorsque ledit travailleur est atteint d’une incapacité de travail suivie d’invalidité alors qu’il se trouve soumis à la
législation d’un autre État membre.
35 La coordination prévue par ladite disposition prévoit, en premier lieu, de tenir compte de toute période pendant laquelle le travailleur a bénéficié, au titre de la législation du second État membre, soit de prestations en espèces de maladie ou du maintien de son salaire pour incapacité de travail, soit de prestations pour l’invalidité qui a suivi cette incapacité de travail, comme s’il s’agissait d’une période pendant laquelle des prestations en espèces de maladie lui ont été servies en vertu de
la législation du premier État membre ou pendant laquelle il a été incapable de travailler au sens de cette législation (article 40, paragraphe 3, sous a), du règlement no 1408/71).
36 En second lieu, il est prévu que le droit aux prestations d’invalidité est ouvert au regard de la législation du premier État membre soit à l’expiration de la période préalable d’indemnisation de la maladie, soit à l’expiration de la période préalable d’incapacité de travail, prescrite par cette législation, et au plus tôt à la date d’ouverture du droit aux prestations pour l’invalidité qui a suivi l’incapacité de travail, en vertu de la législation du second État membre, ou le jour suivant le
dernier jour où l’intéressé a droit aux prestations en espèces de maladie en vertu de la législation du second État membre (article 40, paragraphe 3, sous b), dudit règlement).
37 Il s’agit donc de deux types différents de règles de coordination.
38 D’une part, la règle prévue à l’article 40, paragraphe 3, sous a), du règlement no 1408/71 assimile et totalise les événements survenus pendant les périodes accomplies sous la législation du second État membre, aux fins de vérifier si les conditions exigées par la législation du premier État membre pour ouvrir le droit aux prestations d’invalidité sont remplies.
39 D’autre part, la règle énoncée à l’article 40, paragraphe 3, sous b), du règlement no 1408/71 fixe une limite temporelle pour l’ouverture du droit aux prestations d’invalidité dans le premier État membre, en reconnaissant, notamment, à celui-ci la possibilité de subordonner l’octroi de ces prestations à l’expiration d’une période préalable, pendant laquelle l’intéressé soit a été incapable de travailler, soit a bénéficié des prestations en espèces de maladie, possibilité dont le législateur belge
a fait usage en prévoyant, à l’article 93 de la loi de 1994, l’écoulement d’une période d’incapacité primaire d’un an avant l’ouverture du droit à de telles prestations.
Sur la libre circulation des travailleurs
40 En ce qui concerne la libre circulation des travailleurs, il convient de rappeler que l’article 42 CE laisse subsister des différences entre les régimes de sécurité sociale des divers États membres et, en conséquence, dans les droits des personnes qui y travaillent. Les différences de fond et de procédure entre ces régimes ne sont donc pas touchées par l’article 42 CE (voir arrêts du 7 février 1991, Rönfeldt, C-227/89, Rec. p. I-323, point 12, et du , van Munster, C-165/91, Rec. p. I-4661,
point 18).
41 Toutefois, il est constant que le but de l’article 39 CE ne serait pas atteint si, par suite de l’exercice de leur droit à la libre circulation, les travailleurs migrants devaient perdre des avantages de sécurité sociale que leur assure la législation d’un État membre. Une telle conséquence pourrait en effet dissuader le travailleur communautaire d’exercer son droit à la libre circulation et constituerait, dès lors, une entrave à cette liberté (voir arrêts du 4 octobre 1991, Paraschi, C-349/87,
Rec. p. I-4501, point 22, et van Munster, précité, point 27).
42 Or, en l’occurrence, il convient de constater que, si les articles 87 et 93 de la loi de 1994 n’opèrent pas une distinction entre les travailleurs qui ont exercé leur liberté de circulation et ceux qui ne l’ont pas exercée, l’application de ces articles conduit néanmoins à désavantager pendant la première année les travailleurs qui se trouvent dans une situation telle que celle de la requérante au principal par rapport aux travailleurs qui, étant également en situation d’incapacité définitive ou
permanente, n’ont pas exercé leur liberté de circulation.
43 En effet, si ces derniers travailleurs ont droit à l’indemnité d’incapacité primaire en Belgique, Mme Leyman n’a droit ni à cette indemnité ni à une autre indemnité analogue au Luxembourg, étant donné qu’elle perçoit déjà une prestation d’invalidité dans ce dernier État membre.
44 En outre, dans la mesure où le versement de l’indemnité d’invalidité pour les périodes de travail et de cotisation accomplies en Belgique ne commence à être effectué qu’après l’écoulement de la période d’incapacité primaire d’un an, l’application des articles 87 et 93 de la loi de 1994 préconisée par les autorités compétentes belges conduit les travailleurs se trouvant dans une situation telle que celle de Mme Leyman à avoir versé des cotisations sociales à fonds perdus en ce qui concerne la
première année d’incapacité.
45 À cet égard, la Cour a déjà jugé que le traité CE ne garantit pas à un travailleur que l’extension de ses activités dans plus d’un État membre ou leur transfert dans un autre État membre soient neutres en matière de sécurité sociale. Compte tenu des disparités des législations de sécurité sociale des États membres, une telle extension ou un tel transfert peuvent, selon les cas, être plus ou moins avantageux ou désavantageux pour le travailleur sur le plan de la protection sociale. Il en découle
que, même dans le cas où son application est ainsi moins favorable, une telle législation demeure conforme aux dispositions des articles 39 CE et 43 CE si elle ne désavantage pas le travailleur concerné par rapport à ceux qui exercent la totalité de leurs activités dans l’État membre où elle s’applique ou par rapport à ceux qui y étaient déjà précédemment assujettis et si elle ne conduit pas purement et simplement à verser des cotisations sociales à fonds perdus (voir arrêts du 19 mars 2002,
Hervein e.a., C-393/99 et C-394/99, Rec. p. I-2829, point 51, ainsi que du , Piatkowski, C-493/04, Rec. p. I-2369, point 34).
46 Or, dans une situation telle que celle au principal, si l’application des articles 87 et 93 de la loi de 1994 préconisée par les autorités compétentes belges aboutit au refus d’accorder une quelconque prestation au travailleur ayant exercé son droit à la libre circulation durant la première année d’incapacité, il y a lieu de constater qu’une telle application est contraire au droit communautaire, étant donné que, d’une part, elle désavantage ce travailleur par rapport à ceux qui sont dans le même
état d’incapacité définitive, mais n’ont pas exercé une telle liberté, et, d’autre part, elle conduit à verser des cotisations sociales à fonds perdus.
47 Il convient encore de rappeler que dans la mesure où, conformément à l’article 40, paragraphe 4, du règlement no 1408/71, la concordance des conditions relatives à l’état d’invalidité entre le régime général d’invalidité belge et le régime luxembourgeois est reconnue à l’annexe V du règlement no 1408/71, la décision prise par les autorités compétentes luxembourgeoises au sujet dudit état d’invalidité s’impose aux autorités compétentes belges.
48 En l’espèce, l’application de la législation nationale en cause au principal au travailleur migrant, opérée de la même façon qu’au travailleur sédentaire, produit des répercussions imprévues et peu compatibles avec le but de l’article 39 CE, liées au fait que le droit aux prestations d’invalidité du travailleur migrant est régi par deux législations divergentes, ainsi qu’il ressort des points 28 à 33 du présent arrêt (voir, par analogie, arrêt van Munster, précité, point 30).
49 Face à une telle divergence de législations, le principe de coopération loyale énoncé à l’article 10 CE oblige les autorités nationales compétentes à mettre en œuvre tous les moyens dont elles disposent pour réaliser le but de l’article 39 CE (voir arrêt van Munster, précité, point 32).
50 Au vu de tout ce qui précède, il convient de répondre aux questions posées que l’article 39 CE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que les autorités compétentes d’un État membre appliquent une législation nationale qui, conformément à l’article 40, paragraphe 3, sous b), du règlement no 1408/71, subordonne l’ouverture du droit aux prestations d’invalidité à l’écoulement d’une période d’incapacité primaire d’un an, lorsqu’une telle application a pour conséquence qu’un travailleur
migrant a versé au régime de sécurité sociale de cet État membre des cotisations à fonds perdus et est ainsi désavantagé par rapport à un travailleur sédentaire.
Sur les dépens
51 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:
L’article 39 CE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que les autorités compétentes d’un État membre appliquent une législation nationale qui, conformément à l’article 40, paragraphe 3, sous b), du règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour
par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du , tel que modifié par le règlement (CE) no 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, du , subordonne l’ouverture du droit aux prestations d’invalidité à l’écoulement d’une période d’incapacité primaire d’un an, lorsqu’une telle application a pour conséquence qu’un travailleur migrant a versé au régime de sécurité sociale de cet État membre des cotisations à fonds perdus et est ainsi désavantagé par rapport à un travailleur sédentaire.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure: le français.