ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
2 décembre 2009 ( *1 )
«Pourvoi — Aides d’État — Exonération du droit d’accise sur les huiles minérales — Règlement (CE) no 659/1999 — Article 1er, sous b), v) — Défaut de motivation — Office du juge — Moyen d’ordre public soulevé d’office par le juge communautaire — Violation du principe du contradictoire — Portée de l’obligation de motivation»
Dans l’affaire C-89/08 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduit le 26 février 2008,
Commission européenne, représentée par MM. V. Di Bucci et N. Khan, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
les autres parties à la procédure étant:
Irlande, représentée par M. D. O’Hagan, en qualité d’agent, assisté de M. P. McGarry, BL, ayant élu domicile à Luxembourg,
République française, représentée par M. G. de Bergues et Mme A.-L. Vendrolini, en qualité d’agents,
République italienne, représentée par M. R. Adam, en qualité d’agent, assisté de M. G. Aiello, avvocato dello Stato, ayant élu domicile à Luxembourg,
Eurallumina SpA, établie à Portoscuso (Italie), représentée par M. R. Denton, solicitor,
Aughinish Alumina Ltd, établie à Askeaton (Irlande), représentée par M. J. Handoll et Mme C. Waterson, solicitors,
parties demanderesses en première instance,
LA COUR (grande chambre),
composée de M. V. Skouris, président, MM. A. Tizzano, K. Lenaerts, E. Levits, présidents de chambre, MM. A. Rosas, P. Kūris (rapporteur), A. Borg Barthet, J. Malenovský, U. Lõhmus, A. O’Caoimh et J.-J. Kasel, juges,
avocat général: M. Y. Bot,
greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 24 mars 2009,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 12 mai 2009,
rend le présent
Arrêt
1 Par son pourvoi, la Commission des Communautés européennes demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 12 décembre 2007, Irlande e.a./Commission (T-50/06, T-56/06, T-60/06, T-62/06 et T-69/06, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a annulé la décision 2006/323/CE de la Commission, du 7 décembre 2005, concernant l’exonération du droit d’accise sur les huiles minérales utilisées comme combustible pour la production d’alumine dans la
région de Gardanne, dans la région du Shannon et en Sardaigne, mise en œuvre respectivement par la France, l’Irlande et l’Italie (JO 2006, L 119, p. 12, ci-après la «décision litigieuse»).
Le cadre juridique
Les directives relatives aux droits d’accise sur les huiles minérales
2 Les droits d’accise sur les huiles minérales ont fait l’objet de plusieurs directives, à savoir les directives 92/81/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant l’harmonisation des structures des droits d’accises sur les huiles minérales (JO L 316, p. 12), 92/82/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant le rapprochement des taux d’accises sur les huiles minérales (JO L 316, p. 19), et 2003/96/CE du Conseil, du 27 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits
énergétiques et de l’électricité (JO L 283, p. 51), qui a abrogé les directives 92/81 et 92/82 avec effet au 31 décembre 2003.
3 L’article 8, paragraphe 4, de la directive 92/81 permettait au Conseil de l’Union européenne, sur proposition de la Commission, d’autoriser un État membre à introduire des exonérations ou des réductions de taux d’accise autres que celles prévues par ladite directive.
4 La directive 2003/96 a prévu, à son article 2, paragraphe 4, sous b), deuxième tiret, qu’elle ne s’appliquait pas aux produits énergétiques à double usage, c’est-à-dire à ceux qui sont destinés à être utilisés à la fois comme combustible et pour des usages autres que ceux de carburant ou de combustible. Ainsi, depuis le 1er janvier 2004, date d’entrée en application de cette directive, il n’y a plus de taux minimal d’accise sur le fioul lourd utilisé dans la production d’alumine. En outre, à son
article 18, paragraphe 1, la directive 2003/96 a autorisé les États membres, sous réserve d’un examen préalable du Conseil, à continuer à appliquer, jusqu’au 31 décembre 2006, les taux réduits ou les exonérations énumérés à son annexe II, laquelle mentionne les exonérations de droits d’accise du fioul lourd utilisé comme combustible dans la production d’alumine dans la région de Gardanne, dans la région du Shannon et en Sardaigne.
Le règlement (CE) no 659/1999
5 Aux termes de l’article 1er, sous b), du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88 CE] (JO L 83, p. 1), on entend par «aide existante»:
«[…]
v) toute aide qui est réputée existante parce qu’il peut être établi qu’elle ne constituait pas une aide au moment de sa mise en vigueur, mais qui est devenue une aide par la suite en raison de l’évolution du marché commun et sans avoir été modifiée par l’État membre. Les mesures qui deviennent une aide suite à la libéralisation d’une activité par le droit communautaire ne sont pas considérées comme une aide existante après la date fixée pour la libéralisation».
Les antécédents du litige
6 L’Irlande, la République italienne et la République française exonèrent de droit d’accise les huiles minérales utilisées pour la production d’alumine, respectivement dans la région du Shannon depuis 1983, en Sardaigne depuis 1993 et dans la région de Gardanne depuis 1997 (ci-après les «exonérations litigieuses»).
7 Les exonérations litigieuses ont été autorisées, respectivement, par les décisions 92/510/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, autorisant les États membres à continuer à appliquer à certaines huiles minérales utilisées à des fins spécifiques les réductions de taux d’accise ou les exonérations d’accises existantes, conformément à la procédure prévue à l’article 8 paragraphe 4 de la directive 92/81/CEE (JO L 316, p. 16), 93/697/CE du Conseil, du 13 décembre 1993, autorisant certains États membres à
appliquer ou à continuer à appliquer à certaines huiles minérales utilisées à des fins spécifiques des réductions ou des exonérations d’accise conformément à la procédure prévue à l’article 8 paragraphe 4 de la directive 92/81/CEE (JO L 321, p. 29), et 97/425/CE du Conseil, du 30 juin 1997, autorisant les États membres à appliquer ou à continuer à appliquer à certaines huiles minérales utilisées à des fins spécifiques les réductions de taux d’accise ou les exonérations d’accises existantes,
conformément à la procédure prévue à la directive 92/81/CEE (JO L 182, p. 22). Les exonérations litigieuses ont été prorogées par le Conseil à plusieurs reprises et en dernier lieu par la décision 2001/224/CE du Conseil, du 12 mars 2001, relative aux taux réduits et aux exonérations de droits d’accise sur certaines huiles minérales utilisées à des fins spécifiques (JO L 84, p. 23), jusqu’au 31 décembre 2006.
8 Au point 5 de ses motifs, la décision 2001/224 précisait qu’elle ne préjugeait pas de l’issue d’éventuelles procédures relatives aux distorsions de fonctionnement du marché unique qui pourraient être intentées notamment en vertu des articles 87 CE et 88 CE, et qu’elle ne dispensait pas les États membres, conformément à l’article 88 CE, de l’obligation de notifier à la Commission les aides d’État susceptibles d’être instituées.
9 Par trois décisions du 30 octobre 2001, la Commission a ouvert la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE à l’égard de chacune des exonérations litigieuses. À l’issue de cette procédure, la Commission a adopté la décision litigieuse, aux termes de laquelle:
— les exonérations des droits d’accise sur les huiles minérales lourdes utilisées dans la production d’alumine accordées par la République française, l’Irlande et la République italienne jusqu’au 31 décembre 2003 constituent des aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE;
— les aides accordées entre le 17 juillet 1990 et le 2 février 2002, dans la mesure où elles sont incompatibles avec le marché commun, ne sont pas récupérées parce que leur récupération serait contraire aux principes généraux du droit communautaire;
— les aides accordées entre le 3 février 2002 et le 31 décembre 2003 sont incompatibles avec le marché commun au sens de l’article 87, paragraphe 3, CE dans la mesure où les bénéficiaires ne se sont pas acquittés d’un droit d’au moins 13,01 euros par 1000 kg d’huile minérale lourde, et
— ces dernières aides doivent être récupérées.
10 Dans la décision litigieuse, la Commission a considéré que les exonérations litigieuses constituaient des aides nouvelles et non des aides existantes au sens de l’article 1er, sous b), du règlement no 659/1999. Elle a fondé cette appréciation sur le fait, notamment, que les exonérations litigieuses n’existaient pas avant l’entrée en vigueur du traité CE dans les États membres concernés, qu’elles n’avaient jamais été analysées ni autorisées sur la base des règles régissant les aides d’État et
qu’elles n’avaient jamais été notifiées.
11 En outre, au point 69 des motifs de la décision litigieuse, la Commission a relevé que l’article 1er, sous b), v), du règlement no 659/1999 n’était pas applicable au cas d’espèce.
12 Après avoir exposé dans quelle mesure les aides en cause étaient incompatibles avec le marché commun, la Commission a estimé que, au vu des décisions d’exonération et eu égard au fait que celles-ci avaient été adoptées sur sa proposition, la récupération des aides incompatibles accordées antérieurement au 2 février 2002, date de publication au Journal officiel des Communautés européennes des décisions d’ouverture de la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, serait contraire aux
principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique.
Les recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
13 Par requêtes déposées au greffe du Tribunal respectivement les 16, 17 et 23 février 2006, la République italienne, l’Irlande, la République française, Eurallumina SpA et Aughinish Alumina Ltd ont introduit des recours en annulation totale ou partielle de la décision litigieuse. Les différentes affaires ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l’arrêt.
14 À l’appui de leur recours, les requérantes ont invoqué en substance, selon l’arrêt attaqué, un ensemble de 23 moyens, tirés notamment de la qualification erronée des exonérations litigieuses comme étant des aides nouvelles alors qu’il s’agirait d’aides existantes, ainsi que de la violation des principes de protection de la confiance légitime, de sécurité juridique, de respect d’un délai raisonnable, de présomption de validité, lex specialis derogat legi generali, d’effet utile et de bonne
administration. Ont également été invoquées des violations de l’article 87 CE ainsi que de l’obligation de motivation s’agissant de l’application de cet article.
15 Toutefois, au point 46 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a indiqué que, nonobstant l’invocation de ces moyens, il estimait opportun, en l’espèce, de relever d’office un moyen tiré du défaut de motivation de la décision litigieuse, s’agissant de la non-application de l’article 1er, sous b), v), du règlement no 659/1999.
16 À cet égard, après avoir rappelé, au point 47 de l’arrêt attaqué, que le défaut ou l’insuffisance de motivation constitue un moyen d’ordre public devant être soulevé d’office par le juge communautaire, et cité, aux points 48 et 49 de cet arrêt, la jurisprudence relative à la portée de l’obligation de motivation d’un acte communautaire, le Tribunal a relevé, aux points 52 et 53 dudit arrêt, que la Commission, dans la décision litigieuse, avait examiné si les exonérations en cause constituaient des
aides nouvelles ou des aides existantes, mais s’était bornée, en ce qui concerne l’article 1er, sous b), v), du règlement no 659/1999, à énoncer que celui-ci n’était pas applicable en l’espèce, sans en indiquer les raisons.
17 Le Tribunal a jugé, aux points 56 à 63 de l’arrêt attaqué, que des circonstances particulières en l’espèce imposaient pourtant d’examiner la question de savoir si les exonérations litigieuses pouvaient être considérées comme des aides existantes en raison du fait qu’elles n’auraient pas constitué des aides au moment de leur mise en vigueur, mais qu’elles le seraient devenues par la suite en raison de l’évolution du marché commun et sans avoir été modifiées par les États membres concernés. Il a
estimé, dès lors, que la Commission se devait de motiver à suffisance de droit la décision litigieuse s’agissant de l’applicabilité de l’article 1er, sous b), v), du règlement no 659/1999.
18 Les circonstances particulières en cause sont exposées en substance, aux points 56 à 62 de l’arrêt attaqué, comme suit.
19 Premièrement, dans plusieurs décisions autorisant les exonérations litigieuses, il est indiqué que la Commission admet que ces exonérations n’entraînent pas de distorsion de concurrence et qu’elles n’entravent pas le bon fonctionnement du marché intérieur. Or, aucune indication, dans la décision litigieuse, ne permet de comprendre en quoi la notion de distorsion de la concurrence aurait une portée différente en matière fiscale et dans le domaine des aides d’État. Il est également mentionné, dans
plusieurs de ces décisions, que la Commission examinera régulièrement les exonérations en cause aux fins de garantir leur compatibilité avec le fonctionnement du marché intérieur et avec d’autres objectifs du traité.
20 Deuxièmement, au point 97 des motifs de la décision litigieuse, la Commission a reconnu, à tout le moins, que ces décisions d’autorisation, adoptées à la suite de ses propres propositions, ont pu laisser penser que les exonérations litigieuses ne pouvaient pas être qualifiées d’aides d’État lors de leur mise en vigueur. La circonstance que ce point des motifs figure dans la partie relative à la récupération des aides ne saurait en diminuer la portée.
21 Troisièmement, les exonérations litigieuses ont été autorisées et prorogées, de manière successive, par des décisions du Conseil adoptées sur proposition de la Commission et, mis à part la décision 2001/224, aucune de ces décisions ne faisait mention d’une contradiction possible avec les règles en matière d’aides d’État. Au point 96 des motifs de la décision litigieuse, la Commission souligne d’ailleurs elle-même que les intéressés ne s’attendent pas à ce que la Commission soumette au Conseil des
propositions incompatibles avec des dispositions du traité.
22 Le Tribunal a conclu, au point 64 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait violé l’obligation de motivation que lui impose l’article 253 CE, s’agissant de la non-application en l’espèce de l’article 1er, sous b), v), du règlement no 659/1999.
Conclusions des parties
23 La Commission demande à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour un nouvel examen et de réserver les dépens des deux instances.
24 La République française, l’Irlande, la République italienne, Eurallumina SpA et Aughinish Alumina Ltd prient la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner la Commission aux dépens.
25 À titre subsidiaire, Eurallumina SpA demande à la Cour, pour le cas où celle-ci accueillerait le sixième moyen du pourvoi, selon lequel le Tribunal ne pouvait pas annuler la décision litigieuse en tant que celle-ci a étendu la procédure formelle d’examen aux exonérations litigieuses postérieures au 31 décembre 2003, d’annuler l’arrêt attaqué uniquement sur ce point.
Sur le pourvoi
26 À l’appui de sa demande d’annulation de l’arrêt attaqué et de renvoi de l’affaire devant le Tribunal, la Commission avance six moyens.
27 Le premier moyen est tiré, en substance, de ce que le Tribunal a excédé ses pouvoirs en relevant d’office le moyen pris d’un défaut de motivation de la décision litigieuse. Le deuxième moyen est tiré de la violation du principe du contradictoire et des droits de la défense. Le troisième moyen est pris d’une violation des articles 230 CE et 253 CE, combinés avec l’article 88 CE et les règles relatives au déroulement de la procédure en matière d’aides d’État. Les quatrième et cinquième moyens sont
tirés, en substance, de la violation par le Tribunal de l’article 253 CE en ce qu’il a considéré à tort que la Commission avait violé l’obligation de motivation concernant l’applicabilité de l’article 1er, sous b), v), du règlement no 659/1999. Le sixième moyen tend à voir juger que le Tribunal ne pouvait pas annuler la décision litigieuse en ce que celle-ci étend la procédure formelle d’examen aux exonérations litigieuses postérieures au 31 décembre 2003.
Sur le premier moyen du pourvoi, tiré de ce que le Tribunal a excédé ses pouvoirs en relevant d’office un moyen pris d’un défaut de motivation de la décision litigieuse
Argumentation des parties
28 Le premier moyen du pourvoi est divisé en deux branches. Dans le cadre de la première branche, la Commission soutient que, en relevant d’office le moyen tiré d’un défaut de motivation de la décision litigieuse, le Tribunal est sorti du cadre du litige tel que défini par les parties, a violé le principe dispositif, a statué ultra petita et a ainsi excédé sa compétence et commis une erreur de procédure ayant porté atteinte à ses intérêts.
29 À l’appui de ces griefs, la Commission fait valoir que le moyen relevé d’office par le Tribunal est entièrement étranger aux 23 moyens soulevés par les demanderesses en première instance ainsi qu’aux faits résultant des dossiers des cinq affaires jointes qui ne révélaient aucune circonstance de nature à laisser penser que les exonérations litigieuses ne constituaient pas des aides lorsqu’elles avaient été instituées, mais qu’elles l’étaient devenues par la suite, en raison de l’évolution du
marché commun.
30 Dans le cadre de la seconde branche, la Commission soutient que le moyen relevé d’office tient en réalité à la légalité au fond de la décision litigieuse et non à la motivation de celle-ci, la motivation exigée par le Tribunal n’étant pas nécessaire pour les intéressés ni pour le juge. Le Tribunal aurait donc ignoré la distinction reconnue par la jurisprudence entre un moyen concernant la motivation et un moyen de fond, et se serait substitué aux demanderesses en première instance en soulevant un
moyen que seules celles-ci pouvaient invoquer. Ce faisant, il aurait violé, d’une part, les dispositions combinées des articles 230 CE et 253 CE ainsi que, d’autre part, les règles relatives à la présentation des moyens dans la requête figurant à l’article 21 du statut de la Cour de justice et aux articles 44, paragraphe 1, et 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, en privant ces règles de toute portée pratique. Ces violations constitueraient également des irrégularités de
procédure ayant porté atteinte aux intérêts de la Commission.
31 Les défenderesses, pour s’opposer à ce moyen, rappellent en substance que le défaut de motivation, qui constitue une violation des formes substantielles, est un moyen d’ordre public que le juge communautaire doit soulever d’office. Il ne pourrait donc être reproché au Tribunal d’avoir statué ultra petita ni, d’ailleurs, d’avoir violé la règle contenue à l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal qui s’impose non pas à ce dernier mais au requérant.
32 Au demeurant, selon les défenderesses, le moyen tiré d’un défaut de motivation de la décision litigieuse n’était pas totalement étranger aux moyens invoqués par les demanderesses en première instance et aux faits de l’affaire. En particulier, auraient été exposées et discutées au cours de la procédure devant le Tribunal les circonstances particulières relevées par ce dernier aux points 56 à 62 de l’arrêt attaqué.
33 Le moyen soulevé d’office toucherait non pas au fond du droit mais bien à un simple défaut de motivation. D’ailleurs, dans l’arrêt attaqué, le Tribunal remettrait en cause non pas la qualification d’aides nouvelles retenue par la Commission, mais seulement l’absence de toute explication sur l’inapplicabilité de l’article 1er, sous b), v), du règlement no 659/1999. Le Tribunal n’aurait, dès lors, pas ignoré la distinction entre la motivation et le fond, et aurait jugé à bon droit qu’il était
nécessaire que la décision litigieuse soit motivée quant à l’applicabilité de cette disposition, la Commission se devant, dans le contexte de la présente affaire, d’indiquer les raisons qui l’ont conduite à qualifier les exonérations litigieuses d’aides nouvelles plutôt que d’aides existantes.
Appréciation de la Cour
34 Afin de statuer sur la première branche du moyen selon laquelle le Tribunal serait sorti du cadre du litige tel que défini par les parties, il convient de rappeler qu’il est de jurisprudence constante qu’un défaut ou une insuffisance de motivation relève de la violation des formes substantielles, au sens de l’article 230 CE, et constitue un moyen d’ordre public pouvant, voire devant, être soulevé d’office par le juge communautaire (voir, notamment, arrêts du 20 février 1997, Commission/Daffix,
C-166/95 P, Rec. p. I-983, point 24; du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C-367/95 P, Rec. p. I-1719, point 67; du 30 mars 2000, VBA/Florimex e.a., C-265/97 P, Rec. p. I-2061, point 114, ainsi que du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C-413/06 P, Rec. p. I-4951, point 174).
35 En relevant d’office un tel moyen, qui, par principe, n’a pas été invoqué par les parties, le juge communautaire ne sort pas du cadre du litige dont il est saisi et ne viole en aucune manière les règles de procédure relatives à la présentation de l’objet du litige et des moyens dans la requête.
36 Dès lors, en l’espèce, le Tribunal n’a pas excédé ses pouvoirs en relevant d’office un moyen pris d’un défaut de motivation de la décision litigieuse.
37 Il s’ensuit que la première branche du moyen n’est pas fondée.
38 S’agissant de la seconde branche du moyen, selon laquelle le Tribunal aurait en réalité relevé d’office un moyen tenant à la légalité au fond de la décision litigieuse, il y a lieu d’observer que le Tribunal a annulé celle-ci au motif, énoncé au point 63 de l’arrêt attaqué, que la Commission se devait, compte tenu des circonstances particulières énumérées aux points 56 à 62 dudit arrêt, d’examiner dans la présente affaire la question de l’applicabilité de l’article 1er, sous b), v), du règlement
no 659/1999 et de motiver la décision litigieuse à suffisance de droit sur ce point au lieu d’affirmer seulement que cette disposition n’était pas applicable en l’espèce.
39 Force est donc de constater que, dans l’arrêt attaqué, le Tribunal ne s’est nullement prononcé au fond sur l’applicabilité de ladite disposition ni, de manière plus générale, sur la question, débattue entre les parties, de savoir si les exonérations litigieuses constituaient des aides existantes ou des aides nouvelles.
40 Par conséquent, il ne peut être reproché au Tribunal d’avoir ignoré la distinction reconnue par la jurisprudence entre un moyen tiré d’un défaut ou d’une insuffisance de motivation qui est relevé d’office par le juge communautaire et un moyen portant sur la légalité au fond qui ne peut être examiné que s’il est invoqué par le requérant (voir arrêt Commission/Sytraval et Brink’s France, précité, point 67).
41 Partant, n’est également pas fondée la seconde branche du moyen.
42 Il résulte de tout ce qui précède que le premier moyen du pourvoi doit être rejeté.
Sur le deuxième moyen du pourvoi, tiré de ce que le Tribunal a violé le principe du contradictoire et les droits de la défense
Argumentation des parties
43 Observant que le moyen relevé d’office dans l’arrêt attaqué n’a pas été débattu ni même abordé au cours de la procédure écrite et orale devant le Tribunal, la Commission fait grief à ce dernier d’avoir violé les principes généraux du contradictoire et du respect des droits de la défense.
44 À cet égard, la Commission invoque la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la «CEDH»), et selon laquelle le juge doit lui-même respecter le principe du contradictoire, notamment lorsqu’il rejette un pourvoi ou tranche un litige sur la base d’un motif retenu d’office.
45 Elle fait valoir, en outre, que le principe du contradictoire constitue un principe général de procédure devant les juridictions communautaires, qui s’est vu reconnaître par la Cour le rang de droit fondamental, et que le Tribunal avait la possibilité d’ordonner la réouverture de la procédure orale afin d’inviter les parties à débattre du moyen qu’il entendait soulever d’office.
46 Les défenderesses soutiennent, en substance, que, en vertu de l’article 62 du règlement de procédure du Tribunal, cette juridiction dispose du pouvoir discrétionnaire d’ordonner la réouverture des débats et qu’il découle de cet article ainsi que de l’article 113 du même règlement que l’obligation d’entendre les parties avant de soulever d’office un moyen ne s’impose qu’en ce qui concerne les moyens aboutissant à l’irrecevabilité du recours ou à un non-lieu à statuer. D’ailleurs, observent-elles,
lorsque la Cour entend relever d’office un moyen d’ordre public, elle ne rouvre pas nécessairement la procédure orale.
47 Elles font valoir que, ainsi que le reconnaît la Commission, la CEDH ne s’applique pas aux personnes morales de droit public et que, même si le principe du contradictoire constitue un droit fondamental, son application doit être adaptée en fonction de la qualité des parties et des circonstances concrètes de l’affaire.
48 En l’espèce, selon les défenderesses, le principe du contradictoire a été respecté, l’arrêt attaqué n’étant pas fondé sur des documents ou des faits que la Commission a ignorés. De plus, le moyen relevé d’office ne toucherait pas au fond de l’affaire, mais concernerait la violation d’une forme substantielle.
49 En outre, les intérêts de la Communauté européenne n’auraient pas été affectés, car les droits de celle-ci n’auraient pas été bafoués dès lors, d’une part, que la Commission n’a pas été déclarée responsable civilement ou pénalement ni ne s’est vu infliger une sanction et, d’autre part, que la réouverture des débats n’aurait pu permettre à la Commission d’avancer des arguments conduisant le Tribunal à ne pas retenir d’office le moyen tiré d’un défaut de motivation, un tel défaut ne pouvant être
réparé a posteriori.
Appréciation de la Cour
50 Le principe du contradictoire fait partie des droits de la défense. Il s’applique à toute procédure susceptible d’aboutir à une décision d’une institution communautaire affectant de manière sensible les intérêts d’une personne (voir, notamment, arrêts du 10 juillet 2001, Ismeri Europa/Cour des comptes, C-315/99 P, Rec. p. I-5281, point 28 et jurisprudence citée, ainsi que Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, précité, point 61).
51 Les juridictions communautaires veillent à faire respecter devant elles et à respecter elles-mêmes le principe du contradictoire.
52 Ainsi, la Cour a-t-elle déjà jugé, d’une part, que le principe du contradictoire implique, en règle générale, le droit pour les parties à un procès de prendre connaissance des preuves et des observations présentées devant le juge et de les discuter (arrêt du 14 février 2008, Varec, C-450/06, Rec. p. I-581, point 47), et, d’autre part, que ce serait violer un principe élémentaire du droit que de fonder une décision judiciaire sur des faits et documents dont les parties, ou l’une d’entre elles,
n’ont pu prendre connaissance et sur lesquels elles n’ont donc pas été en mesure de prendre position (arrêts du 22 mars 1961, Snupat/Haute Autorité, 42/59 et 49/59, Rec. p. 101, 156; du 10 janvier 2002, Plant e.a./Commission et South Wales Small Mines, C-480/99 P, Rec. p. I-265, point 24, ainsi que du 2 octobre 2003, Corus UK/Commission, C-199/99 P, Rec. p. I-11177, point 19).
53 Le principe du contradictoire doit bénéficier à toute partie à un procès dont est saisi le juge communautaire, quelle que soit sa qualité juridique. Les institutions communautaires peuvent aussi, par conséquent, s’en prévaloir lorsqu’elles sont parties à un tel procès.
54 Le juge doit lui-même respecter le principe du contradictoire, notamment lorsqu’il tranche un litige sur la base d’un motif retenu d’office (voir, par analogie, dans le domaine des droits de l’homme, Cour eur. D. H., arrêts Skondrianos c. Grèce du 18 décembre 2003, § 29 et 30; Clinique des Acacias et autres c. France du 13 octobre 2005, § 38, ainsi que Prikyan et Angelova c. Bulgarie du 16 février 2006, § 42).
55 Ainsi que M. l’avocat général l’a fait valoir en substance aux points 93 à 107 de ses conclusions, le principe du contradictoire, en règle générale, ne confère pas seulement à chaque partie à un procès le droit de prendre connaissance des pièces et des observations soumises au juge par son adversaire, et de les discuter, et ne s’oppose pas seulement à ce que le juge communautaire fonde sa décision sur des faits et des documents dont les parties, ou l’une d’entre elles, n’ont pu prendre
connaissance et sur lesquels elles n’ont donc pas été en mesure de prendre position. Il implique, également, en règle générale, le droit des parties de prendre connaissance des moyens de droit relevés d’office par le juge, sur lesquels celui-ci entend fonder sa décision, et de les discuter.
56 En effet, pour satisfaire aux exigences liées au droit à un procès équitable, il importe que les parties aient connaissance et puissent débattre contradictoirement tant des éléments de fait que des éléments de droit qui sont décisifs pour l’issue de la procédure.
57 Par conséquent, hors les cas particuliers tels que, notamment, ceux prévus par les règlements de procédure des juridictions communautaires, le juge communautaire ne peut fonder sa décision sur un moyen de droit relevé d’office, fût-il d’ordre public et, comme en l’espèce, tiré d’un défaut de motivation de la décision litigieuse, sans avoir invité au préalable les parties à présenter leurs observations sur ledit moyen.
58 D’ailleurs, dans le contexte, analogue, de l’article 6 de la CEDH, la Cour a jugé que c’est précisément au regard de cet article et de la finalité même du droit de tout intéressé à une procédure contradictoire et à un procès équitable au sens de cette disposition que la Cour peut d’office ou sur proposition de l’avocat général, ou encore à la demande des parties, ordonner la réouverture de la procédure orale, conformément à l’article 61 de son règlement de procédure, si elle considère qu’elle est
insuffisamment éclairée ou que l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les parties (voir ordonnance du 4 février 2000, Emesa Sugar, C-17/98, Rec. p. I-665, points 8, 9 et 18, ainsi que arrêt du 10 février 2000, Deutsche Post, C-270/97 et C-271/97, Rec. p. I-929, point 30).
59 Le pouvoir discrétionnaire dont dispose à cet égard le Tribunal, en vertu de l’article 62 de son règlement de procédure, ne saurait être exercé sans tenir compte de l’obligation de respecter le principe du contradictoire.
60 En l’espèce, il ressort du dossier et de l’audience devant la Cour que le Tribunal a, par l’arrêt attaqué, annulé la décision litigieuse sur le fondement d’un moyen relevé d’office tiré d’une violation de l’article 253 CE sans avoir invité au préalable les parties, au cours de la procédure écrite ou de la procédure orale, à présenter leurs observations sur ledit moyen. Ce faisant, le Tribunal a méconnu le principe du contradictoire.
61 Contrairement à ce qu’affirment les défenderesses, le non-respect du principe du contradictoire a porté atteinte aux intérêts de la Commission, au sens de l’article 58 du statut de la Cour de justice. En effet, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 114 à 118 de ses conclusions, si, certes, un défaut de motivation constitue un vice qui, en principe, ne peut être réparé, la constatation d’un tel défaut procède néanmoins d’une appréciation qui doit, selon une jurisprudence constante,
prendre en considération un certain nombre d’éléments, ainsi que l’a d’ailleurs rappelé le Tribunal aux points 48 et 49 de l’arrêt attaqué. Une telle appréciation peut se prêter à une discussion, en particulier lorsqu’elle porte non sur une absence totale de motivation, mais sur la motivation d’un point précis de fait et de droit. En l’occurrence, la Commission aurait pu notamment, si elle avait été mise en mesure de présenter ses observations, faire valoir les mêmes arguments que ceux avancés
dans le cadre des quatrième et cinquième moyens du présent pourvoi, exposés aux points 64 à 67 du présent arrêt.
62 Il y a lieu, pour l’ensemble de ces motifs, d’accueillir le deuxième moyen avancé par la Commission.
63 Au demeurant, la Cour estime opportun en l’espèce, pour une bonne administration de la justice, d’examiner également, ensemble, les quatrième et cinquième moyens du pourvoi par lesquels la Commission fait valoir en substance que le Tribunal a violé l’article 253 CE en ce qu’il a considéré que la Commission avait violé l’obligation de motivation imposée par cet article concernant l’applicabilité de l’article 1er, sous b), v), du règlement no 659/1999.
Sur les quatrième et cinquième moyens du pourvoi, tirés d’une violation de l’article 253 CE
Argumentation des parties
64 Par son quatrième moyen, la Commission fait grief au Tribunal d’avoir violé l’article 253 CE, en liaison avec les articles 87, paragraphe 1, CE ainsi que 88, paragraphe 1, CE et avec les règles relatives au déroulement de la procédure en matière d’aides d’État.
65 Au soutien de ce moyen, la Commission fait valoir, notamment, que la motivation de la décision litigieuse démontre que les exonérations litigieuses ont toujours constitué des aides depuis qu’elles ont été instituées, ladite décision exposant à suffisance de droit et conformément aux exigences de la jurisprudence que lesdites exonérations étaient de nature à affecter les échanges entre les États membres et à causer des distorsions de concurrence. Dans ces conditions, il n’était pas nécessaire,
selon elle, d’expliquer plus en détail les raisons pour lesquelles l’article 1er, sous b), v), du règlement no 659/1999 n’était pas applicable. En outre, à supposer que les exonérations litigieuses n’aient pas constitué des aides lorsqu’elles ont été instituées, il en découlerait qu’elles ne seraient toujours pas des aides, comme le faisaient valoir à tort certaines demanderesses en première instance, et non qu’elles seraient des aides existantes comme l’a envisagé le Tribunal.
66 Dans le cadre de son cinquième moyen, la Commission soutient que le Tribunal a encore violé l’article 253 CE, en liaison avec les articles 87, paragraphe 1, CE, 88, paragraphe 1, CE et 1er, sous b), v), du règlement no 659/1999, ainsi que l’obligation de motiver ses arrêts.
67 À l’appui de ce moyen, la Commission fait valoir, notamment, que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que des circonstances particulières, tenant toutes au comportement du Conseil ou de la Commission, exigeaient que la décision litigieuse contienne une motivation spécifique quant à l’applicabilité de l’article 1er, sous b), v), du règlement no 659/1999, alors que la notion d’aide d’État, existante ou nouvelle, ayant un caractère objectif, ne saurait dépendre du comportement ou
des déclarations des institutions, a fortiori lorsque ce comportement ou ces déclarations sont étrangers à une procédure de contrôle des aides. De plus, une telle appréciation serait en contradiction avec ce qu’a jugé la Cour dans l’arrêt du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission (C-182/03 et C-217/03, Rec. p. I-5479).
68 En réponse au quatrième moyen, les défenderesses exposent notamment que les motifs de l’inapplicabilité de l’article 1er, sous b), v), du règlement no 659/1999 ne se déduisent pas clairement de la décision litigieuse qui, partant, ne répond pas à l’exigence d’une motivation claire et non équivoque. Par ailleurs, ce que le Tribunal aurait reproché à la Commission, c’est de ne pas avoir exposé les motifs pour lesquels elle a considéré que les exonérations litigieuses faussaient la concurrence dans
le marché commun alors qu’elle semblait avoir antérieurement une appréciation contraire. Dans ce contexte, le Tribunal aurait jugé à juste titre, au regard de la jurisprudence, que la Commission se devait d’indiquer les raisons montrant qu’elle avait procédé à une analyse justifiant sa conclusion. Par ce moyen, la Commission chercherait en réalité à pallier le défaut de motivation affectant la décision litigieuse et à obtenir de la Cour qu’elle se prononce sur des questions de fond qui ne sont
pas liées à ce défaut.
69 En réponse au cinquième moyen, les défenderesses soutiennent que le Tribunal n’a pas remis en cause le caractère objectif de la notion d’aide d’État, mais a seulement considéré que, au vu des décisions antérieures du Conseil et de la confiance légitime qu’elles ont fait naître quant à la légalité des exonérations litigieuses, la Commission devait expliquer, dans sa décision, les raisons conduisant objectivement à exclure l’application de l’article 1er, sous b), v), du règlement no 659/1999. La
motivation d’une décision devant figurer dans le corps même de celle-ci, les explications fournies par la Commission ne pourraient suppléer l’absence de motivation.
Appréciation de la Cour
70 En vertu de l’article 1er, sous b), v), du règlement no 659/1999, est réputée existante une aide qui ne constituait pas une aide au moment de sa mise en vigueur, mais qui est devenue une aide par la suite en raison de l’évolution du marché commun et sans avoir été modifiée par l’État membre.
71 La notion d’évolution du marché commun peut être comprise comme une modification du contexte économique et juridique dans le secteur concerné par la mesure en cause, et ne vise pas, par exemple, l’hypothèse dans laquelle la Commission change son appréciation sur le fondement d’une application plus rigoureuse des règles en matière d’aides d’État (voir arrêt Belgique et Forum 187/Commission, précité, point 71).
72 Plus généralement, la notion d’aide d’État, existante ou nouvelle, répond à une situation objective. Ainsi que le fait valoir la Commission, cette notion ne saurait dépendre du comportement ou des déclarations des institutions.
73 C’est pourquoi la Cour, après avoir rappelé que l’obligation de motivation d’un acte communautaire prévue à l’article 253 CE doit être adaptée à la nature de cet acte, a jugé, au point 137 de l’arrêt Belgique et Forum 187/Commission, précité, qu’il n’y a pas lieu d’imposer à la Commission d’indiquer les raisons pour lesquelles elle avait fait une appréciation différente du régime en cause dans ses décisions antérieures.
74 Or, cela vaut a fortiori lorsque l’appréciation éventuellement différente portée antérieurement par la Commission sur la mesure nationale en cause l’a été, comme en l’espèce, dans le cadre d’une procédure autre que celle du contrôle des aides d’État.
75 Par conséquent, les circonstances relevées aux points 56 à 62 de l’arrêt attaqué, qui tiennent principalement au fait, d’une part, que la Commission avait estimé, lors de l’adoption par le Conseil des décisions d’autorisation des exonérations litigieuses, que celles-ci n’entraînaient pas de distorsions de concurrence et n’entravaient pas le bon fonctionnement du marché commun, et, d’autre part, que lesdites décisions pouvaient laisser penser que les mêmes exonérations ne pouvaient être qualifiées
d’aides d’État, n’étaient pas de nature à obliger, en principe, la Commission à motiver la décision litigieuse quant à l’inapplicabilité de l’article 1er, sous b), v), du règlement no 659/1999.
76 C’est dès lors par des motifs erronés en droit que le Tribunal a annulé la décision litigieuse en considérant que, compte tenu de ces circonstances, la Commission se devait en l’espèce d’examiner la question de l’applicabilité de cette disposition et de motiver spécifiquement ladite décision sur ce point et que, en s’abstenant de le faire, elle avait violé l’article 253 CE.
77 En outre, selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 253 CE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de
l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes directement et individuellement concernées par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que
de l’ensemble des règles régissant la matière concernée (voir, notamment, arrêts précités Commission/Sytraval et Brink’s France, point 63 et jurisprudence citée, ainsi que Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, point 166 et jurisprudence citée).
78 Or, en l’espèce, aux points 58 à 64 des motifs de la décision litigieuse, la Commission a d’abord exposé les raisons pour lesquelles elle considère que les exonérations litigieuses constituent des aides incompatibles avec le marché commun, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, en constatant qu’elles confèrent un avantage à certaines entreprises, que cet avantage est octroyé au moyen de ressources de l’État, qu’elles affectent les échanges entre les États membres et qu’elles sont de nature à
fausser ou à menacer de fausser la concurrence.
79 En particulier, au point 60 des motifs de la décision litigieuse, la Commission a relevé que les exonérations litigieuses réduisent le coût d’une matière première et confèrent donc un avantage à leurs bénéficiaires, qui se trouvent dans une situation plus favorable que d’autres entreprises qui utilisent des huiles minérales dans d’autres secteurs ou régions. Aux points 61 et 62 des motifs de ladite décision, elle a indiqué, d’une part, que les observations des bénéficiaires et de la République
française confirmaient que les réductions des droits d’accise visent explicitement à renforcer la compétitivité desdits bénéficiaires par rapport à leurs concurrents en réduisant leurs coûts et, d’autre part, que l’alumine, également produite en Grèce, en Espagne, en Allemagne et en Hongrie, fait l’objet d’un commerce entre États membres, de sorte qu’il peut être présumé que les exonérations litigieuses affectent les échanges intracommunautaires et faussent ou menacent de fausser la concurrence.
80 Aux points 65 à 70 des motifs de la décision litigieuse, la Commission a ensuite exposé les raisons pour lesquelles elle estime que les exonérations litigieuses constituent des aides nouvelles et non des aides existantes au regard des dispositions de l’article 1er du règlement no 659/1999. Elle a ainsi exposé que lesdites exonérations n’existaient pas avant l’entrée en vigueur du traité dans les trois États membres concernés, qu’elles n’avaient jamais été analysées ni autorisées sur la base des
règles régissant les aides d’État, qu’elles n’avaient jamais été notifiées et, enfin, que l’article 1er, sous b), v), dudit règlement n’était pas applicable au cas d’espèce.
81 Si la Commission n’a pas développé ce dernier point dans la décision litigieuse, il ressort cependant clairement de l’ensemble de ces motifs qu’elle a estimé que les exonérations litigieuses n’étaient pas devenues des aides d’État à la suite d’une évolution du marché commun, mais qu’elles l’étaient depuis l’origine, de sorte que l’article 1er, sous b), v), du règlement no 659/1999 n’avait pas vocation à s’appliquer en l’espèce.
82 Il est par ailleurs constant que les demanderesses en première instance n’avaient pas présenté d’observations faisant état d’une quelconque évolution du marché commun depuis l’instauration des exonérations litigieuses qui auraient dû conduire la Commission à exposer en réponse les raisons pour lesquelles elle considérait que l’article 1er, sous b), v), du règlement no 659/1999 n’était pas applicable en l’espèce.
83 Au surplus, il ressort également clairement des motifs de la décision litigieuse que, si la Commission avait estimé, lors de l’adoption par le Conseil des décisions d’autorisation des exonérations litigieuses, que celles-ci n’entraînaient pas de distorsion de la concurrence et n’entravaient pas le bon fonctionnement du marché intérieur, lesdites exonérations n’avaient cependant jamais été analysées ni autorisées au regard des règles régissant les aides d’État, en application desquelles elle est
parvenue à la conclusion contraire. Force est aussi de constater, à cet égard, que la circonstance que lesdites décisions ont été adoptées sur proposition de la Commission et ne mentionnaient pas de contradiction possible avec ces règles donne lieu dans la décision litigieuse, aux points 95 à 100 des motifs de celle-ci, à une motivation spécifique au terme de laquelle la Commission a conclu que la récupération des aides résultant des exonérations accordées jusqu’au 2 février 2002, auprès de leurs
bénéficiaires, serait contraire aux principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique.
84 Dès lors, eu égard notamment à la nature et au contenu de la décision litigieuse, aux règles régissant les aides d’État ainsi qu’à l’intérêt que les destinataires et les personnes directement et individuellement concernées par ladite décision pouvaient avoir à recevoir des explications, il apparaît que la motivation de cette dernière satisfait aux exigences de la jurisprudence rappelée au point 77 du présent arrêt et n’avait pas nécessairement à contenir des explications spécifiques, ainsi que le
fait valoir la Commission, concernant l’inapplicabilité en l’espèce de l’article 1er, sous b), v), du règlement no 659/1999.
85 Il s’ensuit que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que la Commission a violé l’obligation de motivation que lui impose l’article 253 CE, s’agissant de la non-application en l’espèce de l’article 1er, sous b), v), du règlement no 659/1999.
86 Par conséquent, les quatrième et cinquième moyens du pourvoi doivent être également accueillis.
87 Au vu de l’ensemble de ces considérations, il y a lieu, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres arguments et moyens des parties, d’annuler l’arrêt attaqué en tant que celui-ci a annulé la décision litigieuse au motif que, dans celle-ci, la Commission aurait violé l’obligation de motivation, s’agissant de la non-application en l’espèce de l’article 1er, sous b), v), du règlement no 659/1999, et en tant qu’il a condamné la Commission à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés
par les requérantes, y compris ceux afférents à la procédure de référé dans l’affaire T-69/06 R.
Sur le renvoi de l’affaire devant le Tribunal
88 Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice, cette dernière, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, peut soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal.
89 En l’occurrence, le Tribunal n’ayant statué, au fond, sur aucun des moyens avancés par les parties, la Cour considère que le présent litige n’est pas en état d’être jugé. Dès lors, il y a lieu de renvoyer les affaires jointes devant le Tribunal.
Sur les dépens
90 Les affaires étant renvoyées devant le Tribunal, il convient de réserver les dépens afférents à la procédure de pourvoi.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:
1) L’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 12 décembre 2007, Irlande e.a./Commission (T-50/06, T-56/06, T-60/06, T-62/06 et T-69/06), est annulé en tant que celui-ci a:
— annulé la décision 2006/323/CE de la Commission, du 7 décembre 2005, concernant l’exonération du droit d’accise sur les huiles minérales utilisées comme combustible pour la production d’alumine dans la région de Gardanne, dans la région du Shannon et en Sardaigne, mise en œuvre respectivement par la France, l’Irlande et l’Italie, au motif que, dans celle-ci, la Commission des Communautés européennes aurait violé l’obligation de motivation, s’agissant de la non-application en l’espèce de
l’article 1er, sous b), v), du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88 CE], et
— condamné la Commission des Communautés européennes à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par les requérantes, y compris ceux afférents à la procédure de référé dans l’affaire T-69/06 R.
2) Les affaires jointes T-50/06, T-56/06, T-60/06, T-62/06 et T-69/06 sont renvoyées devant le Tribunal de l’Union européenne.
3) Les dépens sont réservés.
Signatures
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( *1 ) Langues de procédure: le français, l’anglais et l’italien.