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14/09/2010 | CJUE | N°F-79/09

CJUE | CJUE, Arrêt du Tribunal de la fonction publique, AE contre Commission européenne., 14/09/2010, F-79/09


ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
DE L’UNION EUROPÉENNE (première chambre)

14 septembre 2010 (*)

« Fonction publique — Fonctionnaires — Sécurité sociale — Assurance accidents et maladies professionnelles — Article 73 du statut — Refus de reconnaissance de l’origine professionnelle d’une maladie — Hypersensibilité aux champs électromagnétiques »

Dans l’affaire F-79/09,

ayant pour objet un recours introduit au titre des articles 236 CE et 152 EA,

AE, fonctionnaire de la Commission européenne, demeurant

à Muchamiel (Espagne), représenté par M^es L. Levi et M. Vandenbussche, avocats,

partie requérante,

co...

ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
DE L’UNION EUROPÉENNE (première chambre)

14 septembre 2010 (*)

« Fonction publique — Fonctionnaires — Sécurité sociale — Assurance accidents et maladies professionnelles — Article 73 du statut — Refus de reconnaissance de l’origine professionnelle d’une maladie — Hypersensibilité aux champs électromagnétiques »

Dans l’affaire F-79/09,

ayant pour objet un recours introduit au titre des articles 236 CE et 152 EA,

AE, fonctionnaire de la Commission européenne, demeurant à Muchamiel (Espagne), représenté par M^es L. Levi et M. Vandenbussche, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée initialement par MM. J. Currall et D. Martin, en qualité d’agents, puis par MM. J. Currall et J. Baquero Cruz, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(première chambre),

composé de M. S. Gervasoni (rapporteur), président, M. S. Van Raepenbusch et M^me M. I. Rofes i Pujol, juges,

greffier : M. J. Tomac, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 mai 2010,

rend le présent

Arrêt

1 Par requête parvenue au greffe du Tribunal le 22 septembre 2009 par télécopie (le dépôt de l’original étant intervenu le 24 septembre suivant), AE demande l’annulation de la décision du 15 décembre 2008, par laquelle la Commission des Communautés européennes a refusé de reconnaître comme maladie professionnelle l’affection dont il est atteint, et celle de la décision de la Commission rejetant sa réclamation contre ladite décision, ainsi que la condamnation de la Commission au paiement d’une
somme de 12 000 euros en réparation du préjudice moral qu’il estime avoir subi.

Cadre juridique

2 Aux termes de l’article 73 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut ») :

« 1. Dans les conditions fixées par une réglementation établie d’un commun accord des institutions [de l’Union], après avis du comité du statut, le fonctionnaire est couvert, dès le jour de son entrée en service, contre les risques de maladie professionnelle et les risques d’accident. […] ».

3 Le 13 décembre 2005, les institutions de l’Union ont arrêté une réglementation commune relative à la couverture des risques d’accident et de maladie professionnelle des fonctionnaires de l’Union, laquelle est entrée en vigueur le 1^er janvier 2006 (ci-après la « nouvelle réglementation de couverture »). Jusqu’à cette date était applicable la réglementation commune relative à la couverture des risques d’accident et de maladie professionnelle des fonctionnaires de l’Union, modifiée en dernier
lieu le 18 juillet 1997 (ci-après la « réglementation de couverture »).

4 L’article 30 de la nouvelle réglementation de couverture prévoit les dispositions transitoires suivantes :

« La réglementation [de couverture] est abrogée.

Toutefois, elle demeure applicable pour tout projet de décision adopté en vertu de l’article 20, paragraphe 1, avant le 1^er janvier 2006 […] »

5 Dans le présent litige, le projet de décision visé par l’article 30 de la nouvelle réglementation de couverture a été adopté le 26 mai 2005, c’est-à-dire avant le 1^er janvier 2006. En conséquence, en vertu des dispositions précitées dudit article 30, la réglementation de couverture demeurait applicable à ce projet de décision.

6 Aux termes de l’article 3 de la réglementation de couverture :

« 1. Sont considérées comme maladies professionnelles les maladies qui figurent à la ‘liste européenne des maladies professionnelles’ annexée à la recommandation de la Commission du 22 mai 1990 […] et à ses compléments éventuels, dans la mesure où le fonctionnaire a été exposé, dans son activité professionnelle auprès [de l’Union européenne], aux risques de contracter ces maladies.

2. Est également considérée comme maladie professionnelle toute maladie ou aggravation d’une maladie préexistante ne figurant pas à la liste visée au paragraphe 1, lorsqu’il est suffisamment établi qu’elle trouve son origine dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice des fonctions au service [de l’Union européenne.] »

7 En vertu de l’article 17, paragraphe 1, de la réglementation de couverture, le fonctionnaire qui demande l’application de ladite réglementation pour cause de maladie professionnelle doit faire une déclaration à l’administration de l’institution dont il relève dans un délai raisonnable suivant le début de la maladie ou la date de la première constatation médicale.

8 L’article 17, paragraphe 2, de la réglementation de couverture prévoit que l’administration procède à une enquête en vue de recueillir tous les éléments permettant d’établir la nature de l’affection, son origine professionnelle ainsi que les circonstances dans lesquelles elle s’est produite. Au vu du rapport d’enquête, le ou les médecins désignés par l’institution émettent les conclusions prévues à l’article 19 de ladite réglementation.

9 Selon l’article 18 de la réglementation de couverture, l’administration peut solliciter toute expertise médicale nécessaire pour l’application de ladite réglementation.

10 L’article 19 de la réglementation de couverture dispose que les décisions relatives à la reconnaissance de l’origine professionnelle de la maladie ainsi qu’à la fixation du degré d’invalidité permanente sont prises par l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») suivant la procédure prévue à l’article 21, à savoir sur la base des conclusions émises par le ou les médecins désignés par les institutions et, si le fonctionnaire le demande, après consultation de la
commission médicale prévue à l’article 23 de ladite réglementation.

11 L’article 21 de la réglementation de couverture énonce que, avant de prendre une décision en vertu de l’article 19, l’AIPN notifie au fonctionnaire le projet de décision, accompagné des conclusions du ou des médecins désignés par l’institution. Le fonctionnaire peut, dans un délai de 60 jours, demander que la commission médicale prévue à l’article 23 donne son avis.

12 En vertu de l’article 23, paragraphe 1, de la réglementation de couverture, la commission médicale est composée de trois médecins désignés, le premier, par l’AIPN, le deuxième, par le fonctionnaire et le troisième, d’un commun accord par les deux médecins ainsi désignés. Au terme de ses travaux, la commission médicale consigne ses conclusions dans un rapport adressé à l’AIPN et au fonctionnaire.

13 À la différence de l’article 22 de la nouvelle réglementation de couverture, lequel exige que le troisième médecin, quel que soit son mode de désignation, dispose d’une expertise en matière d’évaluation et de réparation du dommage corporel, l’article 23, paragraphe 1, de la réglementation de couverture ne fixe aucune exigence de spécialisation ou d’expertise du troisième médecin.

14 Aux termes de l’article 23, paragraphe 2, de la réglementation de couverture :

« Les frais des travaux de la commission médicale sont supportés par l’institution dont relève le fonctionnaire.

[...]

Lorsque l’avis de la commission médicale est conforme au projet de décision de l’[AIPN] notifié au fonctionnaire ou à ses ayants droit en vertu de l’article 21, ceux-ci doivent supporter les honoraires et frais accessoires du médecin qu’ils ont choisi et la moitié des honoraires et frais accessoires du troisième médecin, le solde étant à la charge de l’institution, sauf lorsqu’il s’agit d’un accident survenu dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice des fonctions ou sur le chemin du travail.

Toutefois, dans des cas exceptionnels et par décision de l’[AIPN] prise après avis du médecin désigné par celle-ci, tous les frais visés aux alinéas précédents peuvent être pris à charge par l’institution. »

Faits à l’origine du litige

15 Le requérant est entré au service de l’Union en juillet 1996, affecté en qualité d’administrateur à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (OHMI, ci-après l’« Office ») à Alicante (Espagne). Son dossier médical ne mentionnait alors aucune affection particulière.

16 À partir de l’année 2000, il a travaillé dans un bâtiment de l’Office nouvellement construit, à Agua Amarga, à deux kilomètres au sud d’Alicante. En janvier 2001, des équipements amplificateurs de signaux de téléphonie mobile ont été installés à l’intérieur de ce bâtiment car l’intensité des signaux n’était pas suffisante pour assurer une bonne réception par les téléphones portables dans ces locaux. Le requérant soutient que la structure du bâtiment se présentait comme une cage de Faraday,
étanche aux champs électriques et aux ondes électromagnétiques, lesquelles se réfléchissaient à l’intérieur de la cage, ce qui augmentait sensiblement le niveau d’exposition des occupants du bâtiment à de telles ondes.

17 Par une note du 19 mars 2001 adressée au chef des services généraux de l’Office, et en copie, notamment, aux membres du comité de l’hygiène et de la sécurité au travail (ci-après le « CHST »), à deux membres du comité du personnel et au médecin du travail de l’Office, le requérant a informé son employeur qu’il était atteint de certains troubles, notamment de « forts maux de tête au travail […] ainsi que de [microtremblements] au niveau du cœur […] maux […] très proches de ceux que l’on a
après avoir utilisé un téléphone mobile pendant plus d’une demi-heure ». Le requérant insistait sur le fait que ces maux de tête « cess[ai]ent plus ou moins deux heures après [s]a présence au travail » et indiquait qu’il se sentait « plus irritable, plus nerveux et plus fatigué » et qu’il souffrait de troubles du sommeil et de la concentration. Selon son « pronostic », il se serait agi de « radiations ou champs électriques, voire magnétiques ». Le requérant affirmait que de nombreux autres agents de
l’Office auraient ressenti des effets très proches, voire identiques et soulignait qu’il était donc important de mettre en œuvre au plus vite une action d’analyse complète dans le domaine des radiations. Cette note comportait la signature « pour soutien » de six autres agents de l’Office.

18 À la suite de cette note, l’Office a pris deux mesures. D’une part, au cours de l’été 2001, le requérant a été réaffecté dans les anciens bâtiments de l’Office. D’autre part, au cours des mois de juin et juillet 2001, une analyse externe portant sur les champs électromagnétiques (ci-après les « CEM ») présents dans les différents bâtiments de l’Office à Alicante a été effectuée à la suite de la demande du CHST. Il ressort du rapport d’analyse établi le 11 juillet 2001 que les CEM alors
mesurés — en moyenne de 4,52 volts par mètre (V/m) avec des pics maximums de 5,72 V/m — étaient inférieurs aux valeurs maximales établies par la recommandation du Conseil 1999/519/CE, du 12 juillet 1999, relative à la limitation de l’exposition du public aux champs électromagnétiques [de 0 herz (Hz) à 300 gigaherz (GHz)] (JO L 199, p. 59, ci-après la « recommandation du Conseil du 12 juillet 1999 »). Le requérant affirme cependant que ce rapport n’a pas pris en considération le fait que, même en
deçà de ces valeurs maximales, les CEM auraient des effets nocifs pour la santé. En outre, le requérant prétend que, le jour de la prise de mesures dans le bâtiment d’Agua Amarga, les téléphones portables n’auraient capté aucun signal dans les parkings des sous-sols, contrairement à la situation normale. Cette affirmation est contestée par la Commission, qui soutient que les mesures auraient été effectuées sur trois jours.

19 Le 31 mai 2002, le requérant a été muté, à sa demande, dans les services de la Commission à Bruxelles (Belgique), où il a été installé dans un local non équipé de répétiteurs de téléphonie mobile. Le requérant prétend que de nombreux bâtiments alentour étaient équipés de tels répétiteurs ou d’antennes-relais et qu’il avait mesuré, dans son bureau situé au 8^ème étage, des pulsations de 0,7 V/m, voire même de 0,9 V/m la fenêtre ouverte.

20 Ses troubles persistant, le requérant a, par note du 18 octobre 2002, demandé au chef du service médical de la Commission de reconnaître la « pathologie particulière » dont il souffrait. Deux certificats du docteur P. étaient annexés à cette note. Dans le premier de ces documents, le docteur P. indiquait : « [j]e […] certifie avoir donné mes soins [à l’intéressé] au cours de son séjour à Alicante. Ce patient a présenté progressivement une hypersensibilité aux [CEM] générés par divers
appareils en particulier ordinateurs, téléphones portables et antennes d’émission, câbles électriques, aboutissant au tableau ‘d’allergie électrique’ décrit par Smith et Monro ». Dans le second document, le docteur P. certifiait que l’état de santé du requérant imposait l’utilisation d’un écran plat et non d’un écran à tube cathodique.

21 La demande d’attribution d’un écran plat du type recommandé par le docteur P. a été rejetée par le service médical de la Commission, le médecin-conseil ayant estimé, dans un avis du 12 novembre 2002, qu’il n’était « pas en possession d’arguments médicaux scientifiques » justifiant une telle demande. Le requérant s’est alors adressé au responsable informatique de sa direction générale, lequel a mis à sa disposition un tel écran, en décembre 2002.

22 À la fin de l’année 2002, le requérant a été installé au sous-sol du bâtiment, où les pulsations oscillaient, selon lui, entre 0,1 et 0,2 V/m.

23 Les troubles du requérant ont eu de graves répercussions psychiques. À partir de juillet 2003, il a été placé en congé de maladie pour un état dépressif majeur.

24 Le 17 décembre 2003, le requérant a demandé l’ouverture d’une procédure d’invalidité, sur la base de l’article 78 du statut. Lors de sa réunion du 2 avril 2004, la commission d’invalidité a conclu à l’unanimité que le requérant était atteint d’une invalidité permanente considérée comme totale et estimé nécessaire que l’intéressé subisse un examen médical de révision après un délai de deux ans. La commission a cependant, « [d]ans l’état actuel du débat scientifique en cours, [renoncé]
provisoirement à se prononcer sur l’origine professionnelle ou pas du trouble et [estimé] que le principe de précaution s’impos[ait] ».

25 Par décision du 16 avril 2004, le requérant a été mis à la retraite et admis au bénéfice d’une pension d’invalidité au titre de l’article 78, paragraphe 3, du statut, avec effet au 1^er mai 2004. Le 31 juillet 2006, suite à la consultation d’un médecin à Alicante, la Commission a décidé de maintenir le requérant en position d’invalidité. Le 25 mai 2009, suite à un rapport établi par le médecin du requérant, la Commission a à nouveau maintenu ce dernier en invalidité, avec un nouveau contrôle
prévu après un délai de deux ans.

26 Par lettre du 6 mai 2004, le requérant a demandé la reconnaissance de l’origine professionnelle de son affection. À cette lettre était joint un rapport du docteur P., du 30 mars 2004, dans lequel ce praticien indiquait notamment que la maladie du requérant lui semblait liée à une exposition aux CEM sur son lieu de travail et que l’hypersensibilité électrique avait été récemment reconnue comme une maladie professionnelle dans des pays comme la Suède. Dans ladite lettre, le requérant
s’interrogeait également sur la régularité de l’avis de la commission d’invalidité du 2 avril 2004. Il considérait que, en ne se prononçant pas sur l’origine professionnelle ou non de son affection, la commission d’invalidité n’avait pas épuisé son mandat, et se demandait sur la base de quelle règle la Commission avait pu décider que sa pension d’invalidité reposerait nécessairement sur l’article 78, paragraphe 3, du statut.

27 Le 30 septembre 2004, une enquête a été ouverte par l’administration, conformément à l’article 17, paragraphe 2, de la réglementation de couverture, en vue de recueillir tous les éléments permettant d’établir la nature de l’affection, son origine professionnelle ainsi que les circonstances dans lesquelles elle s’est produite. Le 19 octobre 2004, le requérant a produit un dossier complémentaire. Par lettre du 22 décembre 2004, les conseils du requérant ont attiré l’attention de
l’administration sur des éléments juridiques et scientifiques justifiant, à leurs yeux, la reconnaissance de l’origine professionnelle de sa maladie. Dans cette lettre, qui était accompagnée du témoignage d’un ancien collègue du requérant se disant atteint de troubles comparables, les conseils du requérant soulignaient que les niveaux de référence fixés dans la recommandation du Conseil du 12 juillet 1999 ne tenaient compte que des effets thermiques à court terme des CEM et ne prenaient pas en
considération leurs effets non thermiques, lesquels apparaîtraient sur l’organisme pour des expositions nettement plus faibles.

28 Le 22 février 2005, le requérant a été examiné par le docteur C., médecin commis par l’AIPN. Dans son rapport du 6 mars 2005, qui se concluait par un avis défavorable à la reconnaissance de l’origine professionnelle de la maladie du requérant, ce médecin a porté notamment les constatations suivantes : « […] Le problème d’une hypersensibilité laisse suspecter qu’il s’agit d’une sensibilité personnelle et individuelle et dont la cause devrait, au départ, être interne à l’intéressé. […] nous
n’avons retrouvé aucun élément probant permettant de considérer que [le requérant] a été exposé à des quantités anormales d’ondes électromagnétiques. D’autre part, nous n’avons retrouvé dans le dossier aucun document médical ou pièce médicale mettant en évidence des modifications à caractère biologique imputables justement à ces expositions électromagnétiques. […] la preuve n’est nullement apportée par l’intéressé que la symptomatologie, qu’il considère comme étant imputable à une hypersensibilité
aux ondes électromagnétiques, doive s’inscrire dans le cadre de cette exposition aux ondes électromagnétiques et que celle-ci constitue une maladie professionnelle. Nous ferons également remarquer que l’affection proposée par l’intéressé comme étant une maladie professionnelle n’est pas reprise sur la liste officielle des maladies professionnelles reconnues par la Commission ».

29 Le 26 mai 2005, la Commission a, sur la base de l’avis du docteur C., adopté un projet de décision de rejet de la demande de reconnaissance de l’origine professionnelle de la maladie du 6 mai 2004.

30 Le 30 mai 2005, le requérant a marqué son désaccord avec ce projet de décision, a sollicité la convocation de la commission médicale prévue à l’article 23 de la réglementation de couverture, sur le fondement de l’article 21, alinéa 2, de ladite réglementation, et a désigné le docteur P. pour le représenter. La Commission a désigné le docteur C. pour la représenter.

31 Les deux médecins ainsi choisis n’ont pu s’entendre sur la désignation du troisième médecin. Selon la Commission, le docteur C., son représentant, s’est opposé au souhait du docteur P., représentant le requérant, que le troisième membre de la commission médicale soit un spécialiste des questions d’hypersensibilité aux CEM. Saisi par la Commission, le président de la Cour de justice des Communautés européennes a, le 15 mars 2006, désigné comme troisième médecin le docteur M., médecin du
travail, expert auprès de la cour d’appel de Metz (France), diplômé en médecine légale et réparation juridique du dommage corporel. En mai 2006, le requérant a informé la commission médicale qu’il serait désormais représenté par le docteur W., médecin spécialiste des pathologies liées à une exposition aux CEM.

32 La commission médicale s’est réunie le 3 novembre 2006 puis le 14 septembre 2007, réunion au cours de laquelle elle a examiné le requérant. En octobre 2007, la commission médicale a demandé la traduction de certaines pièces à la Commission, traduction fournie au cours du mois de novembre 2007. Le 15 mars 2008, le docteur M. a présenté un projet de rapport aux deux autres membres de la commission médicale. Le 22 avril 2008, le docteur W. a transmis aux deux autres membres de la commission
médicale de nouveaux documents scientifiques relatifs aux effets des CEM sur la santé.

33 Le 17 juillet 2008, la commission médicale a adopté son rapport, à la majorité de ses membres, le docteur W. ne l’ayant pas signé. Ce rapport était défavorable à la reconnaissance de l’origine professionnelle de l’affection du requérant. Dans ce document, le docteur M. et le docteur C. relevaient notamment qu’il n’existait pas actuellement de signes cliniques spécifiques de l’électrosensibilité ni de mécanismes biophysiques plausibles connus et que les études épidémiologiques ne permettaient
pas de déterminer clairement la cause des symptômes rapportés, les études de provocation n’ayant pas permis d’établir un lien direct de cause à effet entre l’apparition des symptômes et l’exposition aux CEM. En conclusion du rapport, il était indiqué : « […] l’affection dont est atteint [le requérant] (hypersensibilité aux [CEM]) ne figure pas sur la liste européenne des [m]aladies [p]rofessionnelles ; […] au plan médical, il n’est pas suffisamment établi que cette affection présente un rapport
direct avec les fonctions [du requérant] aux services des Communautés européennes, soit dans leur exercice, soit à l’occasion de leur exercice […] ». Les auteurs du rapport précisaient que les études remises le 22 avril 2008, postérieurement à l’examen du requérant, par le docteur W. n’étaient pas de nature à modifier leurs conclusions. Par lettre du 10 août 2008 adressée à ses deux collègues de la commission médicale, le docteur W. a motivé son désaccord. Le rapport de la commission médicale a été
envoyé à l’AIPN le 30 août 2008.

34 Par lettre du 15 décembre 2008, l’AIPN a informé le requérant de sa décision de confirmer le projet de décision du 26 mai 2005 et, en conséquence, de rejeter sa demande de reconnaissance de l’origine professionnelle de son affection (ci-après la « décision litigieuse »). À cette lettre était joint le rapport de la commission médicale dans son intégralité.

35 Le requérant affirme n’avoir reçu la lettre du 15 décembre 2008 que le 16 janvier 2009, affirmation non contestée par la Commission.

36 Par lettre de ses conseils du 15 avril 2009, le requérant a formé une réclamation à l’encontre de la décision litigieuse.

37 Par décision du 11 juin 2009, l’AIPN a rejeté la réclamation (ci-après la « décision de rejet de la réclamation »).

Conclusions des parties

38 Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– annuler la décision litigieuse ;

– annuler, pour autant que de besoin, la décision de rejet de la réclamation ;

– condamner la Commission à lui verser la somme de 12 000 euros en réparation du préjudice moral qu’il estime avoir subi ;

– condamner la Commission aux dépens.

39 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours comme non fondé ;

– condamner le requérant aux dépens.

En droit

40 À titre liminaire, il convient de relever que, outre l’annulation de la décision litigieuse, le requérant sollicite, en tant que de besoin, l’annulation de la décision de rejet de la réclamation.

41 Or, il convient de constater, au vu de la jurisprudence (arrêt de la Cour du 17 janvier 1989, Vainker/Parlement, 293/87, Rec. p. 23, point 8 ; arrêt du Tribunal de première instance du 10 juin 2004, Liakoura/Conseil, T-330/03, RecFP p. I-A-191 et II-859, point 13 ; arrêt du Tribunal du 15 décembre 2008, Skareby/Commission, F-34/07, RecFP p. I-A-1-477 et II-A-1-2637, point 27, faisant l’objet d’un pourvoi pendant devant le Tribunal de l’Union européenne, affaire T-91/09 P) et de la portée de
la décision de rejet de la réclamation, laquelle ne fait que confirmer en substance la décision litigieuse, que les conclusions en annulation de la décision de rejet de la réclamation sont, comme telles, dépourvues de contenu autonome et se confondent en réalité avec les conclusions en annulation de la décision litigieuse.

42 Il y a lieu, dès lors, de considérer que les conclusions en annulation sont dirigées uniquement contre la décision litigieuse.

43 À l’appui de ses conclusions, le requérant soulève quatre moyens :

– le premier, tiré de l’absence de compétence des auteurs du rapport de la commission médicale dans le domaine de l’hypersensibilité électrique et de la violation de l’effet utile de la réglementation de couverture ;

– le deuxième, tiré de la violation de l’obligation de motivation, de la violation du mandat confié à la commission médicale et de la méconnaissance des obligations de sollicitude et de bonne administration ;

– le troisième, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation ;

– le quatrième, tiré de la méconnaissance du délai raisonnable.

Sur le premier moyen, tiré de l’absence de compétence des auteurs du rapport de la commission médicale dans le domaine de l’hypersensibilité électrique et de la violation de l’effet utile de la réglementation de couverture

Arguments des parties

44 Le requérant soutient, en premier lieu, que, à la différence du docteur W., le médecin qu’il avait désigné et qui possédait un haut niveau de spécialisation et d’expertise en matière d’analyse des symptômes de l’hypersensibilité électrique, ni le docteur C., médecin désigné par la Commission, ni le docteur M., médecin désigné par le président de la Cour de justice, ne disposaient d’une quelconque connaissance de cette affection et qu’ils n’étaient donc pas en mesure de se prononcer
valablement, de manière objective et indépendante, sur sa demande. Le rapport de la commission médicale, que le docteur W. a refusé de signer, ne serait fondé sur aucun examen indépendant et impartial des effets nocifs des CEM sur la santé ni sur aucune recherche du nombre et du type de sources présentes sur le lieu de travail du requérant, ni non plus de leurs fréquence et niveau d’émission. Ce document superficiel et incomplet illustrerait l’absence de compétence de ses auteurs, alors que la
réglementation de couverture, en son article 22, soulignerait l’importance accordée à l’expertise et à la compétence des membres des commissions médicales.

45 En deuxième lieu, le requérant met en doute l’impartialité du docteur C. Lors d’un entretien qui a eu lieu le 22 février 2005, préalablement à la saisine de la commission médicale, ce praticien aurait mis en cause son honnêteté en l’accusant indirectement d’affabulation, manifestant ainsi son ignorance évidente de la pathologie concernée.

46 En troisième lieu, le requérant allègue que le refus des auteurs du rapport de la commission médicale de prendre en compte l’avis du docteur W., ainsi que celui du docteur P., dont le rapport médical avait été communiqué à la commission médicale, méconnaîtrait le principe de collégialité qui devrait présider aux travaux de toute commission médicale.

47 Enfin, le requérant souligne que la commission médicale n’aurait pas consulté d’autre expert que le docteur W.

48 La Commission conteste l’ensemble de cette argumentation.

Appréciation du Tribunal

49 Le moyen se décompose en quatre griefs distincts, qu’il convient d’examiner successivement.

50 En ce qui concerne le premier grief, tiré de l’incompétence, d’un point de vue médical, des auteurs du rapport de la commission médicale, il y a lieu de relever, d’abord, que le requérant ne conteste pas la régularité formelle de la désignation des membres de la commission médicale. Les trois médecins ont été nommés par les personnes habilitées à le faire, la sauvegarde des intérêts du requérant étant ainsi dûment assurée par la présence d’un médecin ayant sa confiance et par la désignation
d’un médecin extérieur à l’administration, désigné par le président de la Cour de justice (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 14 juillet 1981, Suss/Commission, 186/80, Rec. p. 2041, point 9).

51 Ensuite, la réglementation de couverture, applicable au présent litige, ainsi que les parties l’ont admis à l’audience, ne fixe aucune exigence particulière de spécialisation des membres de la commission médicale et laisse une entière liberté dans le choix de son médecin tant au fonctionnaire concerné qu’à l’administration. Certes, l’article 22 de la nouvelle réglementation de couverture, auquel se réfère le requérant, prévoit que le troisième médecin dispose d’une « expertise en matière
d’évaluation et de réparation du dommage corporel ». Toutefois, cette disposition ne régit que la désignation du troisième médecin et ne porte donc nullement atteinte au droit du fonctionnaire concerné de désigner, en toute liberté, un médecin ayant sa confiance, ni au libre choix par l’administration du médecin la représentant au sein de la commission médicale (voir, en ce sens, sur ce dernier point, arrêt Suss/Commission, précité, points 9 à 11).

52 Enfin, en tout état de cause, il est constant que le docteur W. disposait d’une connaissance approfondie de l’hypersensibilité électrique et de l’analyse de ses symptômes et qu’elle a activement participé aux travaux de la commission médicale, même si elle n’a pas signé le rapport de celle-ci. La commission médicale a ainsi pu être éclairée par l’expertise particulièrement élevée de ce praticien. Les deux autres membres de la commission médicale ont donc pu prendre en considération les
éléments que cet expert a été en mesure de leur fournir, en particulier les publications scientifiques relatives aux effets des CEM sur la santé et les résultats de son analyse personnelle sur le niveau d’émission aux CEM auquel le requérant avait été exposé. Ainsi, même à supposer que les docteurs C. et M. ne justifiaient d’aucune connaissance particulière de l’hypersensibilité électrique, le requérant ne peut valablement soutenir que l’effet utile du rôle conféré à la commission médicale aurait
été méconnu et que l’avis de cette commission aurait été rendu en méconnaissance des données scientifiques pertinentes.

53 Ce premier grief n’est donc pas fondé.

54 En ce qui concerne le deuxième grief, par lequel est plus particulièrement critiquée l’attitude du docteur C., ce grief repose sur les seules allégations de l’intéressé, lesquelles sont contestées par la Commission. En outre, les reproches qui sont formulés portent sur l’attitude que ce médecin aurait eue avant l’ouverture de la procédure devant la commission médicale et ne sont donc pas susceptibles d’affecter directement la validité de ladite procédure. Enfin, même à supposer que le
docteur C. ait pu, lors de l’entretien qu’il a eu avec le requérant le 22 février 2005, manifester son scepticisme sur l’affection dont se plaignait le requérant, ce comportement du représentant de l’administration n’imposait pas à celle-ci de désigner un autre praticien pour la représenter au sein de la commission médicale. En effet, une telle commission n’est pas soumise aux mêmes exigences d’impartialité qu’une juridiction, la principale garantie apportée par cet organe de nature médicale tenant
à l’équilibre de sa composition. La Cour a ainsi jugé que la réglementation de couverture ne prévoit aucun droit de récusation des médecins désignés pour siéger au sein d’une commission médicale, les droits du fonctionnaire étant protégés par la présence de son médecin de confiance et par un médecin désigné en accord avec celui-ci (voir, en ce sens, arrêt Suss/Commission, précité, point 9).

55 Le deuxième grief doit donc être écarté.

56 En ce qui concerne le troisième grief, tiré d’une atteinte à la collégialité des travaux de la commission médicale, il a déjà été jugé que le rapport de la commission médicale n’est pas entaché d’un vice de forme du fait que l’un de ses membres a refusé de le signer, dès lors qu’il est établi que le membre qui s’est abstenu de signer a eu l’occasion de présenter son point de vue devant les deux autres membres (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal de première instance du 21 juin 1990,
Sabbatucci/Parlement, T-31/89, Rec. p. II-265, publication sommaire, point 2, et du 27 février 2003, Commission/Camacho-Fernandes, T-20/00 OP, RecFP p. I-A-75 et II-405, points 47 et 48).

57 Or, en l’espèce, le docteur W. a été mis en mesure de présenter ses observations et son analyse du dossier, ainsi qu’il a été dit aux points 18 et 19 du présent arrêt. Dès lors, le désaccord entre les docteurs C. et M., auteurs du rapport de la commission médicale, et le docteur W., qui s’est séparée de leur analyse, ne révèle aucune atteinte à la collégialité des travaux de cette commission ni aucune irrégularité de nature à vicier un tel rapport.

58 Le quatrième grief, tiré de ce que la commission médicale n’aurait pas consulté d’autre expert que le docteur W., ne peut davantage être accueilli. En effet, ainsi qu’il ressort du point 51 ci-dessus, le niveau d’expertise de ce praticien était tel qu’il pouvait dispenser les deux autres médecins de l’obligation de s’adresser à un autre expert de la matière concernée.

59 En conséquence, le premier moyen doit être rejeté.

Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation, de la violation du mandat confié à la commission médicale et de la méconnaissance des obligations de sollicitude et de bonne administration

Arguments des parties

60 Le requérant fait valoir que le rapport de la commission médicale du 17 juillet 2008 est entaché d’une insuffisance de motivation. Ce rapport omettrait en effet de se référer à plusieurs documents qui avaient été soumis à la commission médicale et qui étaient favorables à la demande de reconnaissance de l’origine professionnelle de l’affection en cause, notamment le rapport établi le 30 mars 2004 par le docteur P., spécialiste de l’hypersensibilité électrique qui avait personnellement suivi
l’état de santé du requérant, une lettre du 17 septembre 2002 du même praticien et le rapport du médecin d’Alicante, le docteur EA., rédigé dans le cadre de l’examen périodique de l’invalidité du requérant. De même, l’opinion du docteur W. ne serait pas mentionnée dans le rapport de la commission médicale.

61 Le rapport de la commission médicale du 17 juillet 2008 serait, dans son ensemble, superficiel et lacunaire, révélateur d’un manquement manifeste à l’obligation de sollicitude et de bonne administration qui incombe à la Commission. La commission médicale se serait seulement appuyée sur les résultats des mesures de CEM se trouvant dans le rapport de l’analyse externe effectuée en 2001 dans les bâtiments de l’Office. Elle n’aurait pas cherché à savoir, à travers des examens complémentaires ou
d’autres informations, si, concrètement, dans le cas du requérant, une relation était établie entre ses symptômes et l’exposition aux CEM. Elle n’aurait fait aucune différence entre les effets thermiques et non thermiques des CEM et les différents types de fréquence et d’exposition. Le fait que les symptômes de l’affection en cause ne soient pas « spécifiques » ne ferait pas obstacle à ce qu’ils caractérisent un diagnostic d’hypersensibilité électrique. Par ailleurs, contrairement aux énonciations
du rapport, le requérant n’aurait pas été la seule personne, parmi celles travaillant dans les mêmes bâtiments, qui aurait été atteinte de troubles. La commission médicale ne pourrait donc valablement, pour conclure à l’absence d’origine professionnelle de l’affection du requérant, se fonder sur le fait que celui-ci aurait été le seul, parmi d’autres personnes exposées aux mêmes CEM, à déclarer une maladie professionnelle. En tout état de cause, la commission médicale ne pourrait, sans porter
atteinte au secret médical, faire état d’informations relatives à l’existence et au contenu d’autres demandes de reconnaissance de l’origine professionnelle d’une maladie présentées par des agents de l’Union.

62 Enfin, lors de l’audience, le requérant a soutenu qu’une partie de ses troubles aurait été déclenchée par la crainte et l’angoisse que les CEM auxquels il aurait été exposé à l’occasion de l’exercice de ses fonctions n’aggravent son état de santé. La commission médicale aurait entaché son rapport d’insuffisance de motivation et n’aurait pas rempli son mandat en ne se prononçant pas sur cette dernière question.

63 La Commission rejette l’ensemble des arguments venant au soutien du moyen.

Appréciation du Tribunal

64 Ainsi qu’il a été jugé, la mission qui incombe à la commission médicale prévue à l’article 23 de la réglementation de couverture de porter en toute objectivité et en toute indépendance une appréciation sur des questions d’ordre médical exige, d’une part, que cette commission dispose de l’ensemble des éléments susceptibles de lui être utiles et, d’autre part, que sa liberté d’appréciation soit entière. Les appréciations médicales proprement dites formulées par la commission médicale doivent
être considérées comme définitives lorsqu’elles ont été émises dans des conditions régulières. Le juge est uniquement habilité à vérifier, d’une part, si ladite commission a été constituée et a fonctionné régulièrement et, d’autre part, si son avis est régulier, notamment s’il contient une motivation permettant d’apprécier les considérations sur lesquelles il est fondé et s’il établit un lien compréhensible entre les constatations médicales qu’il comporte et les conclusions auxquelles il parvient
(arrêts du Tribunal de première instance du 15 décembre 1999, Latino/Commission, T-300/97, RecFP p. I-A-259 et II-1263, point 41 ; Nardone/Commission, T-27/98, RecFP p. I-A-267 et II-1293, points 30, 68 et 87, et du 26 février 2003, Latino/Commission, T-145/01, RecFP p. I-A-59 et II-337, point 47 ; arrêt du Tribunal du 28 juin 2006, Beau/Commission, F-39/05, RecFP p. I-A-1-51 et II-A-1-175, point 35).

65 Lorsque la commission médicale est saisie de questions d’ordre médical complexes se rapportant à un diagnostic difficile ou au lien de causalité entre l’affection dont est atteint l’intéressé et l’exercice de son activité professionnelle auprès d’une institution, il lui appartient notamment d’indiquer dans son avis les éléments du dossier sur lesquels elle s’appuie et de préciser, en cas de divergence significative, les raisons pour lesquelles elle s’écarte de certains rapports médicaux,
antérieurs et pertinents, plus favorables à l’intéressé (arrêt du 15 décembre 1999, Latino/Commission, précité, point 78).

66 En l’espèce, le rapport de la commission médicale se conforme aux exigences de motivation, de cohérence et de précision telles qu’elles ressortent de la jurisprudence qui vient d’être rappelée.

67 En premier lieu, sur un plan purement formel, les termes du rapport de la commission médicale sont suffisamment clairs et explicites pour permettre d’apprécier les considérations sur lesquelles il est fondé.

68 En effet, après l’exposé des faits et le rappel des « antécédents déclarés » du requérant, les auteurs du rapport résument l’état des connaissances scientifiques actuelles relatives à l’hypersensibilité électrique en se référant aux conclusions de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Tout en indiquant que ce « trouble » est reconnu par l’OMS depuis 2004, ils soulignent qu’il est difficile d’établir un diagnostic de l’hypersensibilité électromagnétique dans la mesure où il n’existe pas
de signes cliniques spécifiques associés à ce trouble — les symptômes différant d’un individu à l’autre — ni de mécanisme biophysique plausible connu, un mécanisme psychosomatique n’étant pas à exclure. Ils poursuivent en précisant que les symptômes et la souffrance des personnes concernées sont réels mais qu’ils ne peuvent être objectivement attribués aux CEM car, à ce jour, les études épidémiologiques ne permettent pas de déterminer clairement la cause réelle des symptômes rapportés et les études
de provocation n’ont pas permis d’établir un lien direct de cause à effet entre l’apparition des symptômes et l’exposition aux champs électriques, magnétiques ou électromagnétiques, quelle que soit leur fréquence. Les auteurs du rapport examinent ensuite le cas du requérant et mettent en relief les constatations suivantes, pour aboutir à la conclusion que, « au plan médical, il n’est pas suffisamment établi que cette affection présente un rapport direct avec les fonctions [du requérant] aux services
des Communautés européennes, soit dans leur exercice, soit à l’occasion de leur exercice » : les examens biologiques et radiologiques réalisés n’ont pas révélé d’anomalie, les mesures de CEM réalisées en 2001 sur le lieu de travail du requérant ont montré des niveaux d’émission de loin inférieurs aux normes en vigueur, l’invalidité du requérant a été prononcée pour trouble hypochondriaque et état dépressif majeur en rémission à la date de rédaction du rapport, les symptômes du requérant ne sont pas
spécifiques et l’intéressé a été le « seul cas de déclaration de maladie professionnelle » alors que d’autres personnes travaillent dans les mêmes locaux avec la même exposition aux CEM.

69 En deuxième lieu, les conclusions du rapport présentent un lien compréhensible avec les constatations sur lesquelles il s’appuie et répondent en cela à l’obligation de cohérence qui ressort de la jurisprudence rappelée ci-dessus.

70 En effet, contrairement à ce qu’affirme le requérant, la commission médicale, en se référant en particulier aux mesures effectuées sur son lieu de travail en 2001 et aux analyses médicales qu’il a subies, a bien cherché à établir si, concrètement, une relation existait entre ses symptômes et l’exposition aux CEM. En outre, en raison des incertitudes scientifiques qui subsistent sur les symptômes associés à l’hypersensibilité électromagnétique, quelle que soit la source incriminée, et du
constat porté par l’OMS de la difficulté de poser un diagnostic, il ne saurait être fait grief à la commission médicale de n’avoir fait aucune différence entre les effets thermiques et non thermiques des CEM et les différents types de fréquence et d’exposition. De même, contrairement à ce que soutient le requérant, il n’y a aucune incohérence, de la part de la commission médicale, à avoir constaté l’absence de caractère spécifique de ses symptômes, dès lors que les symptômes des personnes atteintes
de troubles liés aux CEM sont précisément dépourvus d’un tel caractère.

71 Par ailleurs, la commission médicale pouvait, de manière logique et compréhensible, tirer argument de ce que le requérant avait été le seul agent de l’Office à se dire atteint d’une maladie professionnelle pour estimer que le lien entre les troubles de l’intéressé et l’exercice de ses fonctions n’était pas établi. Certes, un tel élément d’appréciation ne saurait suffire à rapporter la preuve de l’absence de l’origine professionnelle de la maladie, dès lors que certaines personnes peuvent
être plus sensibles que d’autres à un même risque sanitaire. Toutefois, sa matérialité n’a pas été sérieusement contestée et il pouvait constituer un indice pertinent parmi d’autres à l’appui des conclusions de la commission médicale. Celle-ci pouvait d’ailleurs à bon droit chercher à connaître auprès de l’administration si d’autres personnes que le requérant avaient sollicité la reconnaissance du caractère professionnel des mêmes troubles. Cette information à caractère général pouvait être
communiquée à la commission médicale sans que cela porte une quelconque atteinte au secret médical.

72 En troisième lieu, il ne peut être valablement allégué que le rapport de la commission médicale serait superficiel, lacunaire et, comme tel, établi en violation de l’exigence de précision ressortant de la jurisprudence citée précédemment.

73 En effet, d’abord, il ressort des termes du rapport que ses auteurs se sont fondés sur les pièces pertinentes pour leur analyse : les informations relatives aux conditions d’exercice des fonctions du requérant, les données médicales le concernant, y compris les rapports ou constatations qui lui étaient favorables, émanant des docteurs P. et EA., les publications scientifiques relatives aux effets sanitaires des CEM, y compris celles, favorables au requérant, transmises le 22 avril 2008 par
le docteur W., et enfin les normes en vigueur relatives aux CEM. Il est également constant que le docteur W. a participé aux séances de la commission médicale tenues le 3 novembre 2006 et le 14 septembre 2007. Les allégations selon lesquelles la commission médicale aurait fait abstraction des pièces qui venaient au soutien de la demande du requérant manquent donc en fait. En outre, il ne saurait être exigé d’une commission médicale qu’elle mentionne de manière exhaustive dans son rapport toutes les
pièces qui lui ont été communiquées. Une telle obligation serait en effet disproportionnée et pourrait même aller à l’encontre de l’exigence de clarté et de cohérence des conclusions de la commission médicale.

74 Ensuite, s’il est exact que le rapport de la commission médicale ne comporte pas d’exposé spécifique des raisons pour lesquelles la commission a écarté les pièces ou avis favorables au requérant et, en particulier, ne se réfère pas au rapport établi le 30 mars 2004 par le docteur P., cette circonstance n’est pas de nature à vicier les travaux de la commission médicale. En effet, les motifs sur lesquels ce rapport est fondé, qui sont synthétisés au point 68 du présent arrêt, sont clairs,
précis et cohérents et constituent une réponse implicite suffisante aux arguments que le requérant et le docteur W. avaient avancés devant la commission médicale.

75 Enfin, si le requérant a fait valoir à l’audience que la commission médicale aurait omis de se prononcer sur le fait qu’une partie de ses troubles aurait été causée par la seule angoisse que les CEM n’aggravent son état de santé, force est de constater, avec la partie défenderesse, que le requérant n’a jamais prétendu, pas davantage au cours de la procédure écrite devant le Tribunal qu’au cours des travaux de la commission médicale, que ses troubles avaient une telle origine. Un tel grief
est donc constitutif d’un moyen nouveau, irrecevable en vertu de l’article 43 du règlement de procédure. En tout état de cause, même à supposer que ce grief soit recevable, il ne pourrait prospérer. En effet, il ne saurait être reproché à la commission médicale d’avoir omis de se prononcer sur un aspect du dossier médical du requérant qui ne lui avait pas été soumis.

76 Il résulte de ce qui précède que le rapport de la commission médicale n’est pas entaché d’irrégularité et ne révèle, ni dans ses termes ni dans son contenu, une atteinte aux devoirs de sollicitude et de bonne administration qui incombent à l’administration, et pas davantage une violation du mandat confié à ladite commission.

77 Le deuxième moyen doit donc être rejeté.

Sur le troisième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation

Arguments des parties

78 En premier lieu, le requérant soutient que, dans la décision de rejet de la réclamation, l’AIPN se serait fondée sur une conception erronée de la notion même de maladie professionnelle. En estimant que « la commission médicale a pu conclure à bon droit que [le requérant] aurait pu développer ces affections indépendamment de son travail à l’[Office] », l’AIPN aurait méconnu la jurisprudence selon laquelle une maladie peut avoir une origine professionnelle même si cette maladie n’a pas sa
cause essentielle ou prépondérante dans l’exercice des fonctions au service de l’Union (arrêts du Tribunal de première instance du 9 juillet 1997, S/Cour de justice, T-4/96, Rec. p. II-1125, points 79 et 80, et du 26 février 2003, Latino/Commission, précité, point 50).

79 En second lieu, l’examen de la totalité des documents figurant au dossier soumis à la commission médicale aurait dû conduire celle-ci à conclure à l’origine professionnelle de la maladie du requérant. Le docteur M., troisième médecin désigné par le président de la Cour de justice, qui aurait été initialement favorable au requérant, aurait complètement changé de position entre la première et la deuxième réunion de la commission médicale. Ce revirement, qui ne s’expliquerait pas au regard des
pièces du dossier, ferait douter des garanties d’indépendance de chaque médecin composant ladite commission. Par ailleurs, la commission médicale aurait dû déduire de toute une série d’études épidémiologiques et scientifiques versées au dossier que les CEM avaient des effets nuisibles pour la santé, notamment pour le système nerveux et l’activité cérébrale, à des niveaux d’exposition très faibles (0,1 microwatt/cm², soit 0,614 V/m). Le même constat aurait été fait, en application du principe de
précaution, dans de nombreuses décisions rendues par des tribunaux à travers l’Europe et le monde au cours des dernières années.

80 En troisième lieu, le rapport de la commission médicale aurait contenu tous les éléments concrets permettant de conclure à l’origine professionnelle de l’affection du requérant, notamment l’absence d’antécédents médicaux avant 2001, son exposition aux CEM dans le milieu professionnel avec apparition des premiers symptômes correspondant à ceux décrits par l’OMS comme caractéristiques de l’hypersensibilité électrique, la reconnaissance par la commission médicale qu’il est atteint
d’hypersensibilité aux CEM, et sa mise en invalidité en raison de ces troubles. La commission médicale aurait négligé ces éléments concrets, se bornant à une analyse abstraite et sans examen concret de l’effet des mesures de CEM constatées sur la santé du requérant.

81 La Commission réfute l’ensemble de ces critiques.

Appréciation du Tribunal

82 En vertu de l’article 3, paragraphe 2, de la réglementation de couverture, lorsque l’affection en cause ne figure pas sur la liste européenne des maladies professionnelles annexée à la recommandation 90/326/CEE de la Commission, du 22 mai 1990, concernant l’adoption d’une liste européenne des maladies professionnelles (JO L 160, p. 39) il appartient au fonctionnaire d’établir suffisamment que ses troubles trouvent leur origine dans l’exercice de ses fonctions ou à l’occasion de l’exercice de
ses fonctions au sein des institutions de l’Union. C’est la raison pour laquelle, en cas de doute sur une telle origine, l’autorité compétente est en droit de refuser d’admettre l’origine professionnelle de la maladie, aucune règle ni aucun principe ne prévoyant que le doute profite au fonctionnaire (voir, en ce sens, ordonnance de la Cour du 11 février 2004, Latino/Commission, C-180/03 P, Rec. p. I-1587, points 36 à 39).

83 Il a également été jugé que, dans les situations complexes dans lesquelles la maladie du fonctionnaire trouve son origine dans plusieurs causes, professionnelles et extraprofessionnelles, physiques ou psychiques, qui ont, chacune, contribué à son émergence, il appartient à la commission médicale de déterminer si l’exercice des fonctions au service des institutions de l’Union présente un rapport direct avec la maladie du fonctionnaire, par exemple, en qualité d’élément déclencheur de cette
maladie. Dans de tels cas, il n’est pas exigé, pour que la maladie soit reconnue d’origine professionnelle, qu’elle trouve sa cause unique, essentielle, prépondérante ou prédominante dans l’exercice des fonctions (voir, en ce sens, arrêt S/Cour de justice, précité, points 79 et 80).

84 En outre, ainsi qu’il a été dit au point 64 du présent arrêt, le contrôle du juge ne s’étend pas aux appréciations purement médicales portées par la commission médicale, lesquelles doivent être tenues pour définitives si elles sont intervenues dans des conditions régulières et ne sont pas fondées sur une conception erronée de la notion de maladie professionnelle. Il a par exemple été jugé que l’imputation de la maladie d’un fonctionnaire à la structure de sa personnalité et non à ses
conditions de travail ou à l’attitude de ses supérieurs hiérarchiques constitue une appréciation médicale dont le juge ne peut connaître que sous l’angle de sa motivation (arrêt du Tribunal de première instance du 12 juillet 1990, Vidrányi/Commission, T-154/89, Rec. p. II-445, points 48 à 50).

85 En l’espèce, il y a lieu de constater que, en dépit de son intitulé, le moyen est tiré à la fois d’une erreur de droit et d’une erreur manifeste d’appréciation.

86 En ce qui concerne, en premier lieu, l’argumentation relative à l’erreur de droit qui aurait été commise, le requérant borne sa critique à une seule phrase, contenue dans la décision de rejet de la réclamation.

87 Or, d’une part, ainsi qu’il a été dit au point 41 du présent arrêt, les conclusions formées contre la décision de rejet de la réclamation doivent, en raison de la portée de ladite décision, être regardées comme présentées à l’encontre de la décision litigieuse. En effet, le Tribunal ne relève pas d’éléments qui, dans les motifs de la décision de rejet de la réclamation, permettraient de penser que ladite décision est fondée sur une conception de la notion de maladie professionnelle qui
différerait de celle retenue par la commission médicale et par l’auteur de la décision litigieuse. Dans la décision de rejet de la réclamation, l’AIPN a d’ailleurs rappelé à cet égard qu’elle était tenue par les conclusions proprement médicales de la commission médicale. L’argumentation du requérant apparaît donc comme inopérante à l’appui des conclusions visant la décision litigieuse.

88 D’autre part, en tout état de cause, la constatation portée par l’AIPN, selon laquelle « la commission médicale a pu conclure à bon droit que [le requérant] aurait pu développer ces affections indépendamment de son travail à l’[Office] » n’est pas fondée sur une conception erronée de la notion de maladie professionnelle. En effet, par cette phrase, l’AIPN a seulement voulu signifier que les affections du requérant pouvaient trouver leur origine dans des éléments étrangers à l’exercice des
fonctions et n’a nullement exigé que lesdites affections trouvent leur cause essentielle ou prépondérante dans l’exercice des fonctions.

89 En ce qui concerne, en second lieu, l’erreur manifeste d’appréciation qui entacherait les conclusions de la commission médicale et, par suite, la décision litigieuse, il doit être relevé que, à la lumière de la réponse apportée aux deux premiers moyens et au grief relatif à l’erreur de droit, le requérant n’a pu établir que ces conclusions seraient intervenues dans des conditions irrégulières. Ainsi, eu égard au contrôle juridictionnel limité qu’il revient au Tribunal d’exercer, la critique
du requérant ne saurait prospérer.

90 D’autre part, en tout état de cause, aucun des arguments avancés par le requérant n’est de nature à établir l’existence d’une telle erreur manifeste.

91 En ce qui concerne le changement de position du docteur M., allégué par le requérant et contesté par la Commission, ce revirement n’est pas, par lui-même, révélateur d’une erreur d’analyse évidente ou grossière de la commission médicale. S’il peut être envisagé que le docteur C. a pu jouer un rôle dans ce revirement, cette circonstance ne traduit nullement une atteinte à l’indépendance des membres de la commission médicale, chaque médecin la composant restant libre d’exprimer son opinion et
de faire évoluer sa réflexion jusqu’à l’adoption des conclusions de cet organe collégial.

92 Quant aux études et publications citées par le requérant au point 96 de sa requête, elles constituaient autant de pièces sérieuses versées au débat scientifique sur la dangerosité et les effets nocifs des CEM sur la santé mais ne représentaient cependant pas l’opinion majoritairement admise au sein de la communauté scientifique et auprès des pouvoirs publics. Ainsi que le soutient la Commission à juste titre, il ne peut être valablement allégué que, dans un contexte aussi incertain, le choix
fait par la commission médicale de se référer de manière privilégiée aux synthèses effectuées par l’OMS, lesquelles ont une portée particulière sur le plan international, serait manifestement erroné. En outre, si les études produites par le requérant renforçaient la thèse, non remise en doute par la commission médicale, selon laquelle l’hypersensibilité électrique est une affection reconnue par la communauté scientifique, ces études avaient un caractère général et n’étaient pas susceptibles de
fournir des éléments circonstanciés d’analyse du cas particulier du requérant. La commission médicale n’a donc pas commis d’erreur manifeste en ne se fondant pas sur ces documents.

93 L’argument tiré des nombreuses décisions judiciaires intervenues en Europe et dans le monde, par lesquelles a été ordonné le démontage d’antennes de téléphonie mobile, ne peut davantage être retenu. En effet, s’il ressort de ces décisions qu’une certaine conception du principe de précaution peut commander la limitation au strict minimum de l’exposition des personnes aux CEM et justifier le déplacement d’infrastructures de télécommunication, il n’est pas pour autant établi qu’une exposition
aux CEM à des niveaux inférieurs aux normes actuellement en vigueur aurait des effets nocifs pour la santé ni, a fortiori, qu’une exposition aux CEM à de tels niveaux pendant une période assez limitée — comme dans le cas du requérant — serait susceptible d’occasionner des troubles graves et chroniques, voire irréversibles.

94 Enfin, par les allégations énoncées au point 80 ci-dessus, le requérant met en relief les éléments qui étaient de nature à justifier, selon lui, la reconnaissance d’un lien entre ses affections et l’exercice de ses fonctions. Toutefois, par cette argumentation, il invite le Tribunal à substituer son analyse à celle de la commission médicale sur des appréciations de portée médicale, examen auquel le Tribunal ne saurait se livrer sans excéder les limites de son contrôle de légalité. En outre,
en tout état de cause, ces assertions reposent sur des prémisses en partie inexactes ou contestables : ainsi, il y a lieu de souligner que le requérant n’a pas été placé en invalidité en raison des troubles liés à sa sensibilité aux CEM mais à cause d’un état dépressif majeur ; de même, le requérant conteste la pertinence des mesures de CEM effectuées sur son poste de travail, alors que ces mesures étaient des données essentielles pour vérifier si les normes en vigueur étaient respectées dans son
environnement professionnel.

95 Il résulte de ce qui précède que le troisième moyen ne peut qu’être écarté.

Sur le quatrième moyen, tiré de la méconnaissance du délai raisonnable

Arguments des parties

96 Le requérant soutient que les délais de la procédure d’examen de sa demande de reconnaissance de l’origine professionnelle de sa maladie n’ont manifestement pas été raisonnables. Cette circonstance constituerait, en l’espèce, un motif d’annulation de la décision litigieuse et, en toute hypothèse, une faute à l’origine d’un préjudice moral que l’administration devrait être condamnée à réparer, moyennant une indemnité de 12 000 euros.

97 En particulier, il souligne qu’il n’a été examiné par le médecin, membre de la commission médicale, désigné par la Commission, que neuf mois après sa demande, que les travaux de la commission médicale ont été excessivement longs et que la décision litigieuse n’a été prise que quatre ans et neuf mois après la demande. Selon le requérant, des médecins spécialistes de l’hypersensibilité électrique auraient sans aucun doute mené la procédure avec plus célérité. L’AIPN ferait valoir à tort, dans
la décision de rejet de la réclamation, qu’il aurait lui-même contribué à l’allongement de la procédure. Au contraire, il ne serait intervenu dans la procédure que pour garantir ses droits à l’accès à certains documents et à ce que la commission médicale soit régulièrement composée.

98 La Commission estime avoir conduit la procédure d’examen de la demande du requérant avec la diligence requise, les délais ou retards étant largement imputables au comportement de l’intéressé. Un dépassement du délai raisonnable n’aurait, en toute hypothèse, aucune incidence sur la régularité des conclusions de la commission médicale et la légalité de la décision litigieuse. Il ne pourrait tout au plus qu’être source d’un préjudice moral, dont la responsabilité n’incomberait que partiellement
à la Commission et qui ne devrait être réparé que par un montant symbolique.

Appréciation du Tribunal

99 L’obligation d’observer un délai raisonnable dans la conduite des procédures administratives constitue un principe général du droit de l’Union dont le juge de l’Union assure le respect et qui est repris comme une composante du droit à une bonne administration par l’article 41, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (arrêt du Tribunal de première instance du 11 avril 2006, Angeletti/Commission, T-394/03, RecFP p. I-A-2-95 et II-A-2-441, point 162).

100 Toutefois, la violation du principe du respect du délai raisonnable ne justifie pas, en règle générale, l’annulation de la décision prise à l’issue d’une procédure administrative. En effet, ce n’est que lorsque l’écoulement excessif du temps est susceptible d’avoir une incidence sur le contenu même de la décision adoptée à l’issue de la procédure administrative que le non-respect du principe du délai raisonnable affecte la validité de la procédure administrative. Il peut en aller ainsi dans
des procédures de sanction, lorsque l’écoulement excessif du temps affecte la capacité des personnes concernées de se défendre effectivement (voir, en matière de concurrence, ordonnance de la Cour du 13 décembre 2000, SGA/Commission, C-39/00 P, Rec. p. I-11201, point 44 ; arrêt du Tribunal de première instance du 13 janvier 2004, JCB Service/Commission, T-67/01, Rec. p. II-49, points 36 et 40, ainsi que la jurisprudence citée).

101 Dans le présent litige, la violation du principe du respect du délai raisonnable ne devrait pas aboutir à l’annulation de la décision litigieuse. En effet, un éventuel délai excessif pour le traitement de la demande de reconnaissance de l’origine professionnelle de la maladie présentée par le requérant ne saurait, en principe, avoir d’incidence sur le contenu même de l’avis adopté par la commission médicale ni sur celui de la décision finale adoptée par la Commission. En effet, un tel délai
ne saurait, sauf situation exceptionnelle, modifier l’appréciation, par la commission médicale, de l’origine professionnelle ou non de la maladie du requérant. Le fait pour le Tribunal d’annuler la décision prise au vu de l’appréciation de la commission médicale aurait pour principale conséquence pratique l’effet pervers de prolonger encore la procédure au motif que celle-ci a déjà été trop longue (voir, en ce sens, arrêt Angeletti/Commission, précité, point 163 ; arrêt du Tribunal du 21 octobre
2009, V/Commission, F-33/08, RecFP p. I-A-1-403 et II-A-1-2159, point 211, faisant l’objet d’un pourvoi pendant devant le Tribunal de l’Union européenne, affaire T-510/09 P).

102 S’il est vrai que la longueur d’une procédure médicale est susceptible d’avoir une incidence sur l’appréciation de la gravité et des conséquences d’une pathologie et de rendre plus difficile l’examen de l’étiologie de celle-ci, il n’est en l’occurrence pas établi ni même allégué que la longueur excessive de la procédure aurait affecté les éléments de fond au vu desquels la commission médicale a rendu ses conclusions. L’écoulement excessif du temps, à supposer qu’il soit constaté, n’est donc
pas susceptible d’affecter la légalité desdites conclusions ni, par suite, celle de la décision litigieuse.

103 Néanmoins, il est nécessaire, en vue d’examiner le bien-fondé des conclusions en indemnité du requérant, d’apprécier si, dans les circonstances de l’espèce, la durée de la procédure a été déraisonnable au point d’occasionner un préjudice à l’intéressé.

104 À titre liminaire, il convient de relever que ces conclusions sont recevables. En effet, il a déjà été jugé que le juge de l’Union avait la faculté de condamner l’administration d’office au paiement d’une indemnité en cas de dépassement du délai raisonnable, une telle indemnité représentant la meilleure forme de réparation pour le fonctionnaire (voir, en ce sens, arrêt Angeletti/Commission, précité, points 164 à 167), à la condition que les parties aient été mises à même de présenter leurs
observations sur cette solution, ce qui a été le cas lors de l’audience dans la présente affaire (voir, notamment, arrêt de la Cour du 17 décembre 2009, M/EMEA, C-197/09 RX-II, Rec. p. I-12033, point 41 ; arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 12 mai 2010, Bui Van/Commission, T-491/08 P, point 88). En outre, le requérant a déjà sollicité l’indemnisation de ce préjudice au stade de sa réclamation, à travers une demande de condamnation de la Commission à lui verser un euro symbolique « à titre
provisionnel ». La Commission n’a d’ailleurs pas excipé de l’irrecevabilité des conclusions tendant à la réparation du préjudice moral allégué par le requérant et, lors de l’audience, s’en est remise sur ce point à la sagesse du Tribunal.

105 Sur le fond, il doit être rappelé que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure administrative s’apprécie en fonction des circonstances propres à chaque affaire et, notamment, du contexte de celle-ci, des différentes étapes procédurales que la Commission a suivies, du comportement des parties au cours de la procédure, de la complexité ainsi que de l’enjeu du litige pour les différentes parties intéressées (arrêt du Tribunal de première instance du 22 octobre 1997, SCK et
FNK/Commission, T-213/95 et T-18/96, Rec. p. II-1739, point 55 ; voir également, par analogie, à propos de la procédure juridictionnelle, arrêts de la Cour du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C-185/95 P, Rec. p. I-8417, point 29, et du 16 juillet 2009, Der Grüne Punkt-Duales System Deutschland/Commission, C-385/07 P, Rec. p. I-6155, points 182 à 188).

106 Il a par ailleurs été jugé, en matière de fonction publique, que l’institution est responsable de la célérité des travaux des médecins qu’elle désigne pour émettre les conclusions prévues par les articles 19 et 21 de la réglementation de couverture (voir, pour des conclusions émises sous le régime de la nouvelle réglementation de couverture, arrêt du Tribunal du 1^er juillet 2010, Füller-Tomlinson/Parlement, F-97/08, point 167). Néanmoins, dans la mesure où il est établi qu’un retard dans les
travaux d’une commission médicale est attribuable au comportement dilatoire, voire obstructionniste, du fonctionnaire ou du médecin que celui-ci a désigné, l’institution ne doit pas être réputée responsable de ce retard (arrêt Angeletti/Commission, précité, point 154).

107 En l’espèce, la durée totale de la procédure de reconnaissance de l’origine professionnelle de la maladie du requérant a été de quatre ans et huit mois, la demande initiale du requérant ayant été introduite le 6 mai 2004 et la décision rejetant celle-ci ayant été adoptée le 15 décembre 2008.

108 Au vu de l’ensemble des éléments pertinents, à savoir la nature de la procédure conduite, son niveau de complexité, son enjeu pour le requérant et le comportement des parties, le Tribunal estime que cette durée ne peut être regardée comme raisonnable.

109 En premier lieu, il convient de relever qu’une telle procédure est limitée à l’examen de la situation médicale d’un fonctionnaire et sa durée ne devrait normalement pas avoisiner cinq ans, à moins que des circonstances exceptionnelles ne l’expliquent (voir, à titre de comparaison, à propos du délai raisonnable de jugement d’une affaire par le juge de l’Union, arrêt Baustahlgewebe/Commission, précité, point 29, et la jurisprudence citée, et points 46 et 47).

110 L’argumentation de la Commission, tirée de la faible disponibilité des médecins en général et du contrôle limité que l’institution pourrait exercer sur les commissions médicales, ne saurait être regardée comme de nature à justifier une telle durée, dès lors que de telles contraintes existent dans toute procédure de cette nature. En outre, les praticiens choisis sont liés, dans leurs fonctions de membres d’une commission médicale comme dans leur pratique professionnelle quotidienne, par un
devoir général de diligence.

111 En deuxième lieu, en ce qui concerne la complexité de la procédure en cause, il est vrai que le caractère atypique de l’affection du requérant et les divergences scientifiques sur les causes et les symptômes de celle-ci justifiaient que les travaux de la commission médicale soient approfondis. De plus, aucune des étapes de la procédure n’apparaît comme ayant subi un retard manifestement excessif, compte tenu du désaccord initial sur la désignation du troisième médecin membre de la commission
médicale et de la désignation par le requérant d’un nouveau médecin pour le représenter dans la commission.

112 Toutefois, la procédure de reconnaissance de l’origine professionnelle de la maladie du requérant n’a subi aucun incident majeur dans son déroulement, telles qu’une modification du mandat fixé à la commission médicale ou une évolution notable de l’état de santé du requérant. À cet égard, il y a lieu de relever que le requérant n’a été examiné que le 22 février 2005 par le docteur C., qu’il s’est écoulé un délai de dix mois entre la première et la deuxième réunion de la commission médicale, et
un délai de trois mois et demi entre la transmission du rapport de la commission médicale à la Commission et l’adoption de la décision litigieuse.

113 De tels délais, pris isolément, ne sont pas manifestement anormaux, mais l’accumulation de retards à chaque étape de la procédure a abouti à un délai qui, globalement analysé, ne peut être considéré comme raisonnable.

114 En troisième lieu, la situation personnelle du requérant militait en faveur d’une durée globale plus brève. En effet, d’une part, celui-ci était en invalidité depuis le 1^er mai 2004 et la fixation complète de ses droits statutaires, notamment le montant de sa pension d’invalidité, dépendait de l’appréciation du caractère professionnel ou non de sa maladie. D’autre part, la gravité des troubles ayant justifié sa mise en invalidité, à savoir un état dépressif majeur, justifiaient un traitement
particulièrement diligent de la procédure de reconnaissance de l’origine professionnelle de ses affections.

115 En quatrième lieu, s’agissant du comportement des parties, il y a lieu de rappeler, en ce qui concerne la Commission, qu’il est de la responsabilité de celle-ci en tant qu’institution de rappeler les membres des commissions médicales à leur obligation de diligence. Or la Commission n’établit pas avoir fait le nécessaire dans le présent litige. Il ne ressort à cet égard ni des pièces versées au cours de la procédure écrite ni de la chronologie des faits déposée à l’audience par la Commission
que les services de la Commission chargés d’assurer le suivi administratif des procédures conduites au titre de l’article 73 du statut, auraient insisté auprès des membres de la commission médicale pour qu’ils accélèrent le rythme de leurs travaux. Il paraît au contraire ressortir de cette chronologie que les membres de la commission médicale étaient eux-mêmes conscients de la durée inhabituellement longue de la procédure.

116 Il convient néanmoins de souligner que le requérant et le médecin que celui-ci a désigné pour le représenter au sein de la commission médicale portent une part de responsabilité dans les retards de la procédure. Le requérant a, en ce qui le concerne, changé de médecin pour le représenter au sein de la commission médicale, en mai 2006, ce qui a pu retarder de quelques mois la tenue de la première réunion de cette commission. Le docteur W. a, quant à elle, communiqué aux deux autres membres de
la commission médicale, à deux reprises avec un certain délai, des documents complémentaires, dont l’analyse a reporté l’achèvement des travaux de la commission à l’année 2008.

117 Eu égard aux considérations qui précèdent, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par le requérant, lié à l’état d’incertitude dans lequel il a été maintenu, en condamnant la Commission à lui verser la somme de 2 000 euros.

118 Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que les conclusions en annulation dirigées contre la décision litigieuse doivent être rejetées. La Commission est condamnée à verser 2 000 euros au requérant. Le surplus des conclusions du recours doit être rejeté.

Sur les dépens

119 Aux termes de l’article 87, paragraphe 1, du règlement de procédure, sous réserve des autres dispositions du chapitre relatif aux dépens, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En vertu du paragraphe 2 du même article, le Tribunal peut décider, lorsque l’équité l’exige, qu’une partie qui succombe n’est condamnée que partiellement aux dépens, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre. Selon l’article 89, paragraphe 2, du règlement de
procédure, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens.

120 Il résulte des motifs énoncés ci-dessus que le requérant est, sur plusieurs chefs, la partie qui succombe. En outre, la Commission a, dans ses conclusions, expressément conclu à ce qu’il soit condamné aux dépens.

121 Toutefois, le requérant a partiellement obtenu gain de cause sur ses conclusions en indemnité, le délai de la procédure d’examen de sa demande de reconnaissance de l’origine professionnelle de sa maladie n’étant pas raisonnable. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce en condamnant la Commission à supporter le quart des dépens du requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(première chambre)

déclare et arrête :

1) La Commission européenne est condamnée à verser à AE la somme de 2 000 euros.

2) Le surplus des conclusions du recours est rejeté.

3) La Commission européenne supporte, outre ses propres dépens, le quart des dépens du requérant.

4) Le requérant supporte les trois quarts de ses dépens.

Gervasoni Van Raepenbusch Rofes i Pujol

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 septembre 2010.

Le greffier Le président

W. Hakenberg S. Gervasoni

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* Langue de procédure : le français.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : F-79/09
Date de la décision : 14/09/2010
Type de recours : Recours de fonctionnaires - non fondé, Recours en responsabilité - fondé

Analyses

Fonction publique - Fonctionnaires - Sécurité sociale - Assurance accidents et maladies professionnelles - Article 73 du statut - Refus de reconnaissance de l’origine professionnelle d’une maladie - Hypersensibilité aux champs électromagnétiques.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : AE
Défendeurs : Commission européenne.

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Gervasoni

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:F:2010:99

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