CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. PEDRO CRUZ VILLALÓN
présentées le 3 février 2011 (1)
Affaire C‑446/09
Koninklijke Philips Electronics NV
contre
Lucheng Meijing Industrial Company Ltd
Far East Sourcing Ltd
Röhlig Hong Kong Ltd
Röhlig Belgium NV
[demande de décision préjudicielle formée par le rechtbank van eerste aanleg te Antwerpen (Belgique)]
Affaire C-495/09
Nokia Corporation
contre
Her Majesty’s Commissioners of Revenue and Customs
[demande de décision préjudicielle formée par la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) (Royaume-Uni)]
«Marchandises en transit externe – Droits de propriété intellectuelle – Règlements (CE) n° 3295/94 et n° 1383/2003 – Assimilation des marchandises en transit aux marchandises produites sur le territoire de l’Union (‘fiction de la fabrication’) – Conditions de l’intervention des autorités douanières dans le cas de marchandises en transit contrefaites ou pirates – Soupçons d’atteinte à un droit de propriété intellectuelle»
Table des matières
I – Introduction
II – Le cadre juridique
A – Le règlement n° 3295/94
B – Le règlement n° 1383/2003
III – Les litiges au principal et les questions préjudicielles
A – L’affaire Philips
B – L’affaire Nokia
IV – La procédure devant la Cour
V – Observation préliminaire: similitudes et différences entre les affaires Nokia et Philips
VI – Analyse de la question préjudicielle dans l’affaire Philips
A – La «fiction de la fabrication» ne découle pas du libellé de la disposition invoquée
B – L’interprétation proposée par Philips va au-delà des objectifs de l’ancien règlement douanier
C – Le bilan global de la jurisprudence ne va pas en faveur de la «fiction de la fabrication»
D – Conclusion
VII – Analyse de la question préjudicielle dans l’affaire Nokia
A – Considérations préliminaires
B – Les articles 1er, 4 et 9 du règlement de 2003 prévoient un critère spécifique pour justifier l’intervention: les «soupçons» de violation
C – Les autorités douanières ne peuvent pas anticiper le sens que prendra la future décision sur le fond
D – Des exigences excessives en matière de preuve pourraient rendre inutile l’étendue du champ d’application du règlement
E – Le règlement de 2003 introduit le critère des «soupçons»
VIII – Conclusion
A – Concernant la question préjudicielle du rechtbank van eerste aanleg te Antwerpen (affaire C-446/09)
B – Concernant la question préjudicielle de la Court of Appeal (England & Wales) (affaire C-495/09)
I – Introduction
1. Dans les présentes affaires jointes, deux juridictions nationales posent chacune une question préjudicielle portant sur l’interprétation de la réglementation de l’Union relative à la conduite que doivent tenir des autorités douanières confrontées à d’éventuelles violations de droits de propriété intellectuelle.
2. Plus concrètement, les deux affaires concernent des marchandises présumées de contrefaçon ou pirates qui étaient en «transit externe», une forme du régime douanier suspensif qui, conformément à l’article 91, paragraphe 1, sous a), du code des douanes communautaire (2), permet «la circulation d’un point à un autre du territoire douanier de la Communauté […] de marchandises non communautaires sans que ces marchandises soient soumises aux droits à l’importation et aux autres impositions ni
aux mesures de politique commerciale». Comme il ressort de la jurisprudence, ce «transit externe» repose sur une fiction juridique, car tout se passe comme si ces marchandises non communautaires n’étaient jamais entrées sur le territoire d’un État membre (3).
3. Dans la première de ces affaires, Koninklijke Philips Electronics NV contre Lucheng Meijing Industrial Company Ltd et autres, (C‑446/09, ci-après l’«affaire Philips»), la demanderesse au principal demande que, dans le cadre de la fiction juridique que constitue le transit externe, il soit fait application d’une autre fiction, baptisée «fiction de la fabrication», en vertu de laquelle les marchandises non communautaires en transit seraient traitées comme si elles avaient été fabriquées dans
l’État membre sur le territoire duquel elles se trouvent et seraient donc soumises à la réglementation protectrice de la propriété intellectuelle applicable dans ledit État membre. Cette approche permettrait d’éviter la charge relative à la preuve du fait que ces marchandises vont être commercialisées dans l’Union, qui constitue une condition en principe indispensable pour obtenir la protection de tout droit de propriété intellectuelle.
4. Dans la seconde affaire, Nokia Corporation contre Her Majesty’s Commissioners of Revenue and Customs (C-495/09, ci-après l’«affaire Nokia»), les autorités douanières britanniques ont rejeté la demande d’intervention de cette société, relative à des marchandises apparemment contrefaites, au motif que leur destination était la Colombie et qu’il n’existait pas d’indices en ce sens que ces marchandises seraient détournées vers le marché de l’Union européenne. La juridiction de renvoi demande à
la Cour si une telle preuve est indispensable pour que les marchandises puissent être qualifiées de «contrefaçons» aux fins de la réglementation douanière et que les autorités douanières puissent, en définitive, procéder à leur retenue.
5. Les présentes affaires jointes permettront ainsi à la Cour, sur le fond d’une situation jurisprudentielle quelque peu embrouillée, de préciser si les règlements douaniers ont une incidence ou non sur le régime matériel de la propriété intellectuelle dans le contexte de marchandises en transit et de déterminer les possibilités d’action des autorités douanières confrontées à de telles marchandises.
II – Le cadre juridique
6. Les présentes questions préjudicielles ont pour objet la réglementation communautaire relative à la conduite des autorités douanières confrontées à d’éventuelles violations des droits de propriété intellectuelle.
7. En particulier, l’affaire Philips porte sur le règlement (CE) n° 3295/94 du Conseil, du 22 décembre 1994, fixant certaines mesures concernant l’introduction dans la Communauté et l’exportation et la réexportation hors de la Communauté de marchandises portant atteinte à certains droits de propriété intellectuelle (4) (ci‑après l’«ancien règlement douanier» ou le «règlement de 1994»). En revanche, dans l’affaire Nokia, c’est le règlement (CE) n° 1383/2003 du Conseil, du 22 juillet 2003,
concernant l’intervention des autorités douanières à l’égard de marchandises soupçonnées de porter atteinte à certains droits de propriété intellectuelle ainsi que les mesures à prendre à l’égard de marchandises portant atteinte à certains droits de propriété intellectuelle (5) (ci-après le «nouveau règlement douanier» ou le «règlement de 2003»), qui a abrogé et remplacé le règlement de 1994, qui s’applique.
8. Ces deux règlements ont été adoptés sur le fondement de l’article 133 CE (6), relatif à la politique commerciale commune, dont le paragraphe 1 dispose que «[l]a politique commerciale commune est fondée sur des principes uniformes, notamment en ce qui concerne les modifications tarifaires, la conclusion d’accords tarifaires et commerciaux, l’uniformisation des mesures de libération, la politique d’exportation, ainsi que les mesures de défense commerciale, dont celles à prendre en cas de
dumping et de subventions» (7).
9. Aussi bien l’ancien que le nouveau règlement douanier délimitent leur champ d’application en renvoyant aux différentes situations douanières dans lesquelles peuvent se trouver les marchandises susceptibles de faire l’objet d’une intervention et en définissant, à cette fin, la notion de «marchandises portant atteinte à un droit de propriété intellectuelle».
10. Les deux règlements prévoient une première intervention préalable des autorités douanières (article 4 des deux règlements), suivie d’une éventuelle demande d’intervention introduite par le titulaire du droit de propriété intellectuelle (article 3 du règlement de 1994 et article 5 du règlement de 2003), de l’éventuelle acceptation de cette dernière, de l’adoption des mesures adéquates et, le cas échéant, de l’ouverture d’une procédure «au fond» devant l’autorité compétente.
A – Le règlement n° 3295/94 (8)
11. L’article 1^er définit le champ d’application du règlement:
«1. Le présent règlement détermine:
a) les conditions d’intervention des autorités douanières lorsque des marchandises soupçonnées d’être des marchandises visées au paragraphe 2, point a), sont:
– déclarées pour la mise en libre pratique, l’exportation ou la réexportation conformément à l’article 61 du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire,
– découvertes à l’occasion d’un contrôle effectué sur des marchandises, sous surveillance douanière conformément à l’article 37 du règlement (CEE) n° 2913/92, placées sous un régime suspensif au sens de l’article 84, paragraphe 1, point a), dudit règlement, réexportées moyennant notification ou placées en zone franche ou entrepôt franc au sens de l’article 166 dudit règlement; et
b) les mesures à prendre par les autorités compétentes à l’égard de ces mêmes marchandises lorsqu’il est établi qu’elles sont effectivement des marchandises visées au paragraphe 2, point a).
2. Aux fins du présent règlement, on entend par:
a) ‘marchandises portant atteinte à un droit de propriété intellectuelle’:
– les ‘marchandises de contrefaçon’, à savoir:
– les marchandises, y compris leur conditionnement, sur lesquelles a été apposée sans autorisation une marque de fabrique ou de commerce qui est identique à la marque de fabrique ou de commerce dûment enregistrée pour les mêmes types de marchandises, ou qui ne peut être distinguée dans ses aspects essentiels de cette marque de fabrique ou de commerce et qui de ce fait porte atteinte aux droits du titulaire de la marque en question selon la législation communautaire ou celle de l’État membre
où la demande d’intervention des autorités douanières est faite,
[…]
– les ‘marchandises pirates’, à savoir: les marchandises qui sont, ou qui contiennent, des copies fabriquées sans le consentement du titulaire du droit d’auteur ou des droits voisins ou du titulaire d’un droit relatif au dessin ou modèle enregistré ou non en droit national, ou d’une personne dûment autorisée par le titulaire dans le pays de production dans les cas où la réalisation de ces copies porte atteinte au droit en question selon la législation communautaire ou celle de l’État membre
où la demande d’intervention des autorités douanières est faite,
[…]»
12. Conformément à l’article 6:
«1. Lorsqu’un bureau de douane, auquel la décision donnant droit à la demande du titulaire du droit a été transmise en application de l’article 5, constate, le cas échéant après consultation du demandeur, que des marchandises se trouvant dans l’une des situations visées à l’article 1^er, paragraphe 1, point a), correspondent à la description des marchandises visées à l’article 1^er, paragraphe 2, point a), contenues dans ladite décision, il suspend l’octroi de la mainlevée ou procède à la
retenue desdites marchandises. […]
2. Les dispositions en vigueur dans l’État membre sur le territoire duquel les marchandises se trouvent dans l’une des situations visées à l’article 1^er, paragraphe 1, point a), sont applicables pour:
a) la saisine de l’autorité compétente pour statuer au fond et pour l’information immédiate du service ou du bureau de douane visé au paragraphe 1 de la réalisation de cette saisine, à moins que celle-ci ne soit effectuée par ledit service ou bureau;
b) l’établissement de la décision à prendre par cette autorité. En l’absence d’une réglementation communautaire en la matière, les critères à retenir pour l’établissement de cette décision sont les mêmes que ceux qui servent à déterminer si des marchandises produites dans l’État membre concerné violent les droits du titulaire. […]»
B – Le règlement n° 1383/2003
13. Son article 1^er dispose ce qui suit:
«1. Le présent règlement détermine les conditions d’intervention des autorités douanières lorsque des marchandises sont soupçonnées d’être des marchandises portant atteinte aux droits de propriété intellectuelle dans les situations suivantes:
a) quand elles sont déclarées pour la mise en libre pratique, l’exportation ou la réexportation conformément à l’article 61 du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire;
b) quand elles sont découvertes à l’occasion d’un contrôle de marchandises introduites sur le territoire douanier de la Communauté ou en sortant conformément aux articles 37 et 183 du règlement (CEE) n° 2913/92, placées sous un régime suspensif au sens de l’article 84, paragraphe 1, point a), dudit règlement, en voie de réexportation moyennant notification conformément à l’article 182, paragraphe 2, dudit règlement ou placées en zone franche ou en entrepôt franc au sens de l’article 166 dudit
règlement.
2. Le présent règlement détermine également les mesures à prendre par les autorités compétentes lorsqu’il est établi que les marchandises visées au paragraphe 1 portent atteinte aux droits de propriété intellectuelle.»
14. L’article 2, paragraphe 1, du règlement de 2003 définit ce qu’il convient d’entendre par «marchandises portant atteinte à un droit de propriété intellectuelle» aux fins de ce règlement:
«a) les ‘marchandises de contrefaçon’, à savoir:
i) les marchandises, y compris leur conditionnement, sur lesquelles a été apposée sans autorisation une marque de fabrique ou de commerce identique à la marque de fabrique ou de commerce valablement enregistrée pour le même type de marchandises ou qui ne peut être distinguée dans ses aspects essentiels de cette marque de fabrique ou de commerce et qui, de ce fait, porte atteinte aux droits du titulaire de la marque en question, en vertu du droit communautaire et notamment du règlement (CE)
n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire ou en vertu du droit interne de l’État membre dans lequel la demande d’intervention des autorités douanières est introduite;
[…]
b) les ‘marchandises pirates’ […]»
15. L’article 9 du règlement de 2003 concerne les conditions d’intervention des autorités douanières. Son paragraphe 1 dispose ce qui suit: «[l]orsqu’un bureau de douane auquel la décision faisant droit à la demande du titulaire du droit a été transmise en application de l’article 8 constate, au besoin après consultation du demandeur, que des marchandises se trouvant dans l’une des situations visées à l’article 1^er, paragraphe 1, sont soupçonnées de porter atteinte à un droit de propriété
intellectuelle couvert par cette décision, il suspend la mainlevée ou procède à la retenue desdites marchandises. […]».
16. Conformément à l’article 10 de ce règlement, «[l]es dispositions de droit en vigueur dans l’État membre sur le territoire duquel les marchandises se trouvent dans l’une des situations visées à l’article 1^er, paragraphe 1, sont applicables pour déterminer s’il y a eu violation d’un droit de propriété intellectuelle au regard du droit national. […]».
III – Les litiges au principal et les questions préjudicielles
A – L’affaire Philips
17. Le 7 novembre 2002, l’Antwerpse Opsporingsinspectie van de Administratie der Douane en Accijnzen (Inspection de recherche de l’administration des douanes et accises d’Anvers) a retenu un chargement de rasoirs provenant de Shanghai. Il était soupçonné que les marchandises puissent enfreindre les droits de propriété intellectuelle de Koninklijke Philips Electronics NV (ci-après «Philips»), en particulier les enregistrements internationaux relatifs à des rasoirs déposés, pour le Benelux (entre
autres), auprès de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) sous les numéros DM-034.562, le 9 juin 1995, et DM-045.971, le 29 juillet 1998, ainsi que les droits d’auteur pour ce qui est de l’aspect extérieur de ces rasoirs.
18. La demanderesse au principal a introduit, le 12 novembre 2002, une demande générale d’intervention auprès de la Centrale Administratie der Douane en Accijnzen te Brussel (administration centrale des douanes et accises à Bruxelles), qui a été approuvée le 13 novembre 2002.
19. Les autorités douanières ont ensuite envoyé à Philips une photographie du rasoir «Golden Shaver» et l’ont informée du fait que les sociétés suivantes étaient impliquées dans la production ou la commercialisation des rasoirs en cause: Lucheng Meijing Industrial Company Ltd, fabricant chinois de rasoirs; Far East Sourcing Ltd, établie à Hong Kong, transporteur des marchandises; Röhlig Hong Kong Ltd, expéditeur des marchandises à Hong Kong, agissant sur ordre du déclarant ou du destinataire
des marchandises; Röhlig Belgium NV, expéditeur des marchandises en Belgique, agissant sur ordre du déclarant ou du destinataire des marchandises.
20. Selon la déclaration en douane réalisée par le représentant de Röhlig Belgium NV le 29 mars 2003, à Anvers, les marchandises ont été déclarées pour le régime d’admission temporaire, sans qu’aucun pays de destination ne soit mentionné. Auparavant, lors de leur arrivée à Anvers, les marchandises avaient fait l’objet d’une déclaration sommaire conformément à l’article 49 du code des douanes communautaire.
21. Le 11 décembre 2002, Philips a formé un recours devant le rechtbank van eerste aanleg te Antwerpen (tribunal de première instance d’Anvers, ci-après le «rechtbank») visant à ce qu’il soit constaté et confirmé qu’il existe une violation de ses droits de propriété intellectuelle. Selon la demanderesse au principal, le rechtbank devrait, en application de l’article 6, paragraphe 2, sous b), du règlement de 1994, se fonder sur la fiction selon laquelle les rasoirs saisis auraient été fabriqués
en Belgique, pour ensuite appliquer le droit belge en vue d’établir l’existence de la violation.
22. Avant de dire droit, le rechtbank van eerste aanleg te Antwerpen a saisi la Cour de la question préjudicielle suivante:
«L’article 6, paragraphe 2, sous b), du règlement (CE) n° 3295/94 du Conseil, du 22 décembre 1994 (ci-après l’‘ancien règlement douanier’) constitue-t-il une règle de droit communautaire uniformisée qui s’impose à la juridiction de l’État membre saisie, conformément à l’article 7 du règlement, par le titulaire du droit et cette règle emporte-t-elle que la juridiction ne peut pas tenir compte, pour statuer, du statut d’admission temporaire ou du statut de transit et qu’elle doit appliquer la fiction
selon laquelle les marchandises ont été fabriquées dans cet État membre, et que, par conséquent, elle doit se prononcer par application du droit de cet État membre sur la question de savoir si les marchandises concernées portent atteinte au droit intellectuel en question?»
B – L’affaire Nokia
23. En juillet 2008, à l’aéroport de Heathrow, Her Majesty’s Commissioners of Revenue and Customs (les autorités douanières du Royaume-Uni, ci-après les «HMRC») ont arrêté et contrôlé un envoi de marchandises en provenance de Hong Kong et à destination de la Colombie. L’envoi contenait approximativement 400 téléphones mobiles, des batteries, des manuels, des boîtes et des kits mains‑libres, tous revêtus de la marque «Nokia».
24. Par lettre du 30 juillet 2008, les HMRC ont envoyé des échantillons de ces marchandises à Nokia Corporation (ci-après «Nokia»). Après vérification desdits échantillons, Nokia a informé les HMRC qu’ils étaient contrefaits et leur a demandé si elles étaient disposées à saisir les marchandises.
25. Le 6 août 2008, les HMRC ont répondu que, après avoir pris des conseils juridiques, elles avaient du mal à comprendre comment des marchandises pouvaient être considérées comme des «marchandises de contrefaçon» au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous a), i), du règlement de 2003 sans qu’il soit prouvé qu’elles pourraient être détournées vers le marché de l’Union. À défaut de cette preuve, les HMRC ont conclu qu’il n’était pas légal de priver le propriétaire de ses marchandises.
26. Le 20 août 2008, Nokia a saisi les HMRC d’une réclamation visant à la communication des noms et adresses de l’expéditeur et du destinataire ainsi que de tout autre document pertinent relatif à l’envoi en leur possession. Même après communication de cette documentation, Nokia n’a pas pu identifier l’expéditeur et le destinataire et en a conclu qu’ils avaient tous deux pris des mesures pour dissimuler leur identité.
27. Après avoir de nouveau mis en demeure les HMRC, Nokia a saisi la justice le 31 octobre 2008.
28. Par jugement du 29 juillet 2009, le juge Kitchin, de la High Court of Justice (England & Wales) (Chancery Division), a considéré que le règlement de 2003 n’habilitait pas ou n’obligeait pas les autorités douanières à retenir ou à saisir des marchandises de contrefaçon en transit lorsqu’il n’y a pas de preuve indiquant que les marchandises seront détournées vers le marché des États membres, au motif que ces marchandises ne sont pas des «marchandises de contrefaçon» au sens de l’article 2,
paragraphe 1, sous a), i), du règlement de 2003.
29. La décision du juge Kitchin a fait l’objet d’un recours devant la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division, ci-après la «Court of Appeal»). Compte tenu, justement, de l’affaire Philips ainsi que des divergences de conception apparaissant entre différentes juridictions nationales et «étant donné la nécessité d’une approche cohérente et sûre des questions d’interprétation du règlement» de 2003, la Court of Appeal a saisi la Cour de la question préjudicielle suivante:
«Les marchandises non communautaires revêtues d’une marque communautaire qui sont soumises à la surveillance douanière dans un État membre et qui sont en transit en provenance d’un État tiers et à destination d’un autre État tiers peuvent-elles constituer des ‘marchandises de contrefaçon’ au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) n° 1383/2003, s’il n’y a pas de preuve suggérant que ces marchandises seront mises sur le marché dans la Communauté européenne, soit conformément à
un régime douanier soit au moyen d’un détournement illicite?»
IV – La procédure devant la Cour
30. La demande de décision préjudicielle dans l’affaire Philips a été enregistrée au greffe de la Cour le 17 novembre 2009, alors que celle relative à l’affaire Nokia l’a été le 2 décembre 2009.
31. Des observations écrites ont été déposées, dans l’affaire Philips, par la demanderesse (Philips), par Far East Sourcing, par les gouvernements belge, italien et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission européenne, et, dans l’affaire Nokia, par la demanderesse (Nokia), par l’International Trademark Association, par les gouvernements portugais, polonais, tchèque, finlandais, italien et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission.
32. À l’occasion des audiences, qui se sont tenues le 18 novembre 2010, des observations orales ont été formulées, dans l’affaire Philips, par la demanderesse, par Far East Sourcing, par les gouvernements belge, tchèque et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission et, dans l’affaire Nokia, par l’entreprise demanderesse, par l’International Trademark Association, par les gouvernements tchèque, français, polonais, finlandais et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission.
33. Par ordonnance du 11 janvier 2011, les deux affaires ont été jointes aux fins des conclusions et de l’arrêt.
V – Observation préliminaire: similitudes et différences entre les affaires Nokia et Philips
34. Indépendamment des nombreuses coïncidences qui existent entre les présentes affaires jointes, il est fondamental de signaler dès maintenant la principale différence entre ces affaires, afin de préciser la spécificité de chacune d’entre elles.
35. Premièrement, le cadre réglementaire est différent, en conséquence de l’évolution qu’a connue la réglementation douanière de l’Union. Ainsi, dans l’affaire Philips, les faits sont régis par l’ancien règlement douanier, alors que c’est le nouveau règlement douanier qui s’applique dans l’affaire Nokia. De plus, les questions préjudicielles portent sur des dispositions différentes de ces deux règlements.
36. Deuxièmement, les deux affaires se différencient au niveau du type de droit de propriété intellectuelle qui est en cause: droits d’auteur et dessins et modèles enregistrés dans l’affaire Philips (9), droit à la marque dans l’affaire Nokia (10).
37. Mais la différence la plus importante entre les deux affaires réside dans l’objet du litige à l’origine des questions préjudicielles et à la résolution duquel est destinée la réponse de la Cour. Dans les deux affaires, les faits tournent autour de la retenue douanière de marchandises en transit, mais, si la procédure au principal dans la seconde affaire, Nokia, porte sur la légalité des agissements des autorités douanières britanniques, qui ont mis fin à la retenue des marchandises au motif
qu’il n’existait pas d’atteinte «actuelle» ou «réelle» à la marque en cause, la première affaire, Philips, est soumise à la Cour à un stade ultérieur, qualitativement différent, dans lequel, après l’intervention des autorités douanières belges sur des marchandises de ce type et dans le contexte décrit ci-dessus, le titulaire du droit de propriété intellectuelle prétendument violé saisit la justice pour que l’existence de cette violation soit reconnue, avec les conséquences qui en découlent.
38. Cette remarque est d’autant plus opportune que certaines des observations présentées dans les affaires en cause présentent un certain degré de confusion en ce qui concerne ces deux dimensions de la protection des droits de propriété intellectuelle. C’est pourquoi je pense qu’il est nécessaire, dès à présent, de faire une distinction, conformément aux règlements en cause, entre les trois étapes successives par lesquelles peuvent passer les autorités d’un État membre confrontées à
l’éventuelle violation d’un droit de propriété intellectuelle en ce qui concerne des marchandises en transit.
39. Une première phase, à caractère «préparatoire», est ouverte lorsque, en présence de «motifs suffisants de soupçonner» l’existence d’une violation de la propriété intellectuelle, les autorités douanières adoptent des «mesures antérieures» consistant en une suspension de la mainlevée ou une retenue des marchandises, pendant un délai de trois jours ouvrables dans les deux cas (11).
40. La deuxième phase débute lorsque, à la demande du titulaire du droit prétendument violé (12) et si les soupçons persistent, les autorités confirment la suspension de la mainlevée ou la retenue des marchandises (13). Cette phase continue à présenter un caractère administratif et provisoire, mais elle implique une intervention plus «stable» que celle de l’étape précédente.
41. À partir de ce moment, dans une troisième et dernière phase, les cas de figure suivants peuvent se présenter: a) le propriétaire des marchandises qui ont fait l’objet de l’intervention renonce à ces dernières, qui peuvent alors être détruites sous contrôle des douanes (14); b) dans un délai de dix jours à compter de la notification de l’intervention de la deuxième phase, le titulaire du droit de propriété intellectuelle prétendument violé saisit l’«autorité compétente» (normalement une
autorité judiciaire) pour qu’il soit constaté, dans le cadre d’une procédure sur le fond, que cette violation s’est produite (15); c) le titulaire des droits n’agit pas dans ce délai de dix jours [c’est-à-dire que les options a) et b) ne sont pas exercées] et les autorités douanières octroient la mainlevée des marchandises ou lèvent la mesure de retenue (16).
42. En fin de compte, pour dire les choses de la manière la plus concise possible, il est demandé à la Cour, dans l’affaire Nokia, si, pour procéder à la retenue de marchandises dans le cadre de ce que nous avons appelé la «deuxième phase», les autorités douanières doivent disposer ou non d’éléments de preuve en ce sens que ces marchandises seront, d’une manière ou d’une autre, commercialisées sur le marché de l’Union, alors que, dans l’affaire Philips, la question vise en fin de compte à
savoir si une telle commercialisation est ou non nécessaire pour que, dans le cadre de la procédure sur le fond qui clôturera éventuellement la «troisième phase», l’atteinte à un droit de propriété intellectuelle puisse ou non être reconnue.
43. Il convient de garder à l’esprit cette différence essentielle en vue d’apporter une réponse utile aux juridictions nationales en cause. Les différences relatives à la nature des deux affaires rendent souhaitable de leur apporter une réponse séparément, suivant le numéro d’affaire, même si cette approche intervertit l’ordre chronologique des deux modes de protection contre les marchandises de contrefaçon ou pirates.
VI – Analyse de la question préjudicielle dans l’affaire Philips
44. Le rechtbank interroge la Cour sur la manière de procéder à la vérification d’une violation de droits de propriété intellectuelle lorsque sont en cause des marchandises ayant fait l’objet d’une intervention alors qu’elles se trouvaient en transit.
45. Comme je l’ai indiqué, au-delà de l’approche adoptée par les autorités douanières dans cette affaire, c’est donc la reconnaissance (judiciaire en l’espèce) de l’existence réelle et effective d’une violation de droits de propriété intellectuelle, avec toutes les conséquences qui en découlent (17), qui est en jeu dans l’affaire Philips.
46. Plus concrètement, le rechtbank demande s’il découle de l’article 6, paragraphe 2, sous b), du règlement de 1994 que l’appréciation relative à cette violation doit être réalisée en faisant abstraction de la situation douanière des marchandises et, plus particulièrement, en recourant à la fiction qui, d’après le rechtbank, résulterait implicitement de cette disposition, et selon laquelle lesdites marchandises ont été fabriquées dans l’État membre dans lequel elles se trouvent (18).
47. Le rechtbank s’interroge ainsi expressément sur la conformité au droit de l’Union de la «fiction de la fabrication», dont la conséquence la plus importante serait la possibilité de déclarer qu’une marchandise non communautaire en transit peut porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle comme s’il s’agissait d’une marchandise fabriquée de manière illégale dans l’État membre dans lequel elle est en transit, indépendamment de la question de savoir si elle est destinée ou non au
marché de l’Union (19).
48. Le recours à cette fiction juridique, qui constitue le point central de la question, permettrait avant tout de contourner l’exigence d’«usage dans la vie des affaires», qui est requise aussi bien par l’article 9 du règlement n° 40/94 que par l’article 5 de la directive 89/104 ou l’article 12 de la directive 98/71 pour la constatation de l’atteinte, respectivement, à une marque communautaire, à une marque nationale ou à un dessin ou modèle.
49. L’objet spécifique des droits de propriété intellectuelle réside en effet dans l’octroi, au titulaire d’une marque, d’un dessin ou d’un modèle, du droit exclusif de l’utiliser et d’interdire aux tiers son «usage dans la vie des affaires». Le droit matériel fait ainsi dépendre la protection des droits de propriété intellectuelle de l’existence d’une commercialisation des produits ou des services en cause.
50. Avant d’apporter une réponse à cette proposition d’interprétation de l’article 6, paragraphe 2, sous b), il convient déjà de signaler que la jurisprudence a eu l’occasion de préciser qu’un transit n’implique pas, en lui-même, une commercialisation des marchandises concernées et ne porte donc pas atteinte à l’objet spécifique du droit de la marque (20).
51. Dans ces conditions, pour pouvoir déclarer que des marchandises en transit portent atteinte à un droit de propriété intellectuelle, il semble indispensable d’établir qu’elles vont être commercialisées dans le territoire pour lequel le droit est protégé. L’application de la «fiction de la fabrication» impliquerait que les règlements douaniers ont étendu la protection de ces droits par rapport à ce qui est prévu dans les dispositions de droit matériel précitées, en autorisant une protection
dissociée de la véritable «commercialisation» ou de l’«usage dans la vie des affaires» sur le territoire de l’État membre en cause.
52. Eu égard à ce qui précède, il semble difficile de soutenir, comme le fait Philips dans ses observations écrites, que cette «fiction de la fabrication» ne constitue pas un nouveau critère de définition de l’atteinte aux droits de propriété intellectuelle et ne modifie pas le droit matériel relatif à ces droits (21).
53. Selon moi, comme nous le verrons, l’interprétation fondée sur la «fiction de la fabrication» ne ressort pas du libellé des articles invoqués à l’appui de cette interprétation, va au-delà des objectifs du règlement douanier et contredit la jurisprudence en la matière.
A – La «fiction de la fabrication» ne découle pas du libellé de la disposition invoquée
54. En premier lieu, je considère que la «fiction de la fabrication» peut difficilement être élaborée sur le fondement du libellé de l’article 6, paragraphe 2, sous b), du règlement de 1994, dont il convient de rappeler les termes exacts: «[l]es dispositions en vigueur dans l’État membre sur le territoire duquel les marchandises se trouvent dans l’une des situations visées à l’article 1^er, paragraphe 1, point a), sont applicables pour: […] b) l’établissement de la décision à prendre par cette
autorité. En l’absence d’une réglementation communautaire en la matière, les critères à retenir pour l’établissement de cette décision sont les mêmes que ceux qui servent à déterminer si des marchandises produites dans l’État membre concerné violent les droits du titulaire».
55. Avant tout, le fait que, en vertu de cette disposition, l’«autorité compétente», pour adopter sa décision sur le fond, doive utiliser les mêmes critères que ceux qui s’appliquent en vue de déterminer si les marchandises produites dans l’État membre en cause portent atteinte aux droits du titulaire ne signifie en rien que les marchandises non communautaires en transit doivent être traitées, à tous égards, comme s’il s’agissait de marchandises fabriquées illégalement dans l’État en question.
56. Au contraire, comme l’ont suggéré la Commission et le Royaume-Uni, une lecture attentive de cette disposition montre que, avec cette formulation, le législateur de l’Union a voulu, «en l’absence d’une réglementation communautaire en la matière», établir de manière subsidiaire une règle de conflit de lois qui permette de déterminer la règle matérielle que l’autorité compétente (en l’espèce, le juge belge) devra appliquer pour statuer sur le fond et donc apprécier s’il existe ou non une
atteinte à la propriété intellectuelle. Cette précision est indispensable (comme l’a souligné la Commission, il existe 27 législations nationales différentes susceptibles d’être appliquées dans ce cas de figure) et elle constitue une application naturelle du principe de territorialité qui régit ces droits (22).
57. D’autre part, ce n’est qu’ainsi que la formulation relative au caractère subsidiaire de la règle («en l’absence d’une réglementation communautaire en la matière») prend un sens. Si l’on reconnaissait que l’article 6 introduit une «fiction de la fabrication», faudrait-il exclure son application, par exemple, aux marques communautaires régies par le règlement n° 40/94, en leur accordant ainsi un niveau de protection inférieur à celui d’autres droits de propriété intellectuelle?
58. Cette conclusion est renforcée par les dispositions de l’article 10 du nouveau règlement douanier, qui reprend en bonne partie le contenu de l’article 6, paragraphe 2, sous b), du règlement de 1994. Cet article 10, qui est rédigé en des termes plus clairs, dispose que «[l]es dispositions de droit en vigueur dans l’État membre sur le territoire duquel les marchandises se trouvent dans l’une des situations visées à l’article 1^er, paragraphe 1, sont applicables pour déterminer s’il y a eu
violation d’un droit de propriété intellectuelle au regard du droit national». L’article correspondant du nouveau règlement douanier a donc abandonné la formulation faisant référence à la «fabrication», pour prendre un caractère encore plus évident de règle de conflit (23).
B – L’interprétation proposée par Philips va au-delà des objectifs de l’ancien règlement douanier
59. En deuxième lieu, il semble clair que l’application de la «fiction de la fabrication» à ce type de marchandises implique la possibilité d’interdire leur simple placement en régime suspensif (transit ou dépôt temporaire), indépendamment de leur destination, ce qui va manifestement au-delà des objectifs poursuivis par la réglementation douanière de l’Union.
60. Conformément au deuxième considérant du règlement de 1994, l’objectif de ses dispositions est d’«empêcher, dans toute la mesure du possible, la mise sur le marché de [marchandises de contrefaçon et de marchandises pirates] et d’adopter à cette fin des mesures permettant de faire face efficacement à cette activité illégale sans pour autant entraver la liberté du commerce légitime», dans la mesure où la commercialisation de ces marchandises «porte un préjudice considérable aux fabricants et
négociants respectueux des lois ainsi qu’aux titulaires des droits d’auteur et droits voisins et trompe les consommateurs» (24).
61. Ce deuxième considérant reflète donc la volonté du législateur communautaire de rendre le contenu de la réglementation douanière compatible avec le régime ordinaire de protection des droits de propriété intellectuelle qui est fondé, comme je l’ai rappelé, sur l’«usage dans la vie des affaires».
62. Il s’agit, en effet, d’éviter la «mise sur le marché» dans l’Union des marchandises de contrefaçon et des marchandises pirates, et non pas d’interdire leur transit avant même de savoir quelle est leur destination. L’attribution au titulaire du droit prétendument violé d’une telle faculté entraverait la liberté du commerce légitime que le règlement de 1994 dit vouloir préserver en tout cas et constituerait une extension du contenu normal des droits de propriété intellectuelle.
63. Il est vrai qu’il ne faut pas oublier le contenu du troisième considérant du règlement de 1994 («dans la mesure où les marchandises de contrefaçon, les marchandises pirates et les marchandises assimilées sont importées des pays tiers, il importe d’interdire leur mise en libre pratique dans la Communauté ou leur placement sous un régime suspensif») (25). Cependant, ce troisième considérant, notamment sa partie finale, ne peut pas être compris indépendamment du deuxième considérant, reproduit
ci-dessus. En effet, si on le lit en combinaison avec ce deuxième considérant, il est manifeste qu’il fait référence à l’interdiction qui pourra être décidée par l’autorité compétente si elle établit finalement l’existence d’une atteinte à un droit de propriété intellectuelle après avoir constaté que les marchandises vont effectivement être commercialisées sur le marché de l’Union. Ce n’est qu’ainsi que l’existence d’une procédure d’intervention des autorités douanières qui, comme l’indique ensuite
le troisième considérant, vise à «assurer dans les meilleures conditions le respect de cette interdiction», prend un sens.
64. Aussi bien Philips que les gouvernements belge et italien ont soutenu que la «fiction de la fabrication» est indispensable pour garantir l’application du règlement de 1994 (et du nouveau règlement de 2003) aux marchandises en transit externe, visées à l’article 1^er dudit règlement, et, en définitive, pour que les autorités douanières puissent intervenir dans des cas tels que l’espèce. Toutefois, comme je l’ai déjà indiqué, ce type d’arguments est fondé sur une confusion entre les
conditions nécessaires pour l’intervention des autorités douanières et les conditions plus strictes requises pour que l’autorité compétente procède à une constatation définitive de l’atteinte à la propriété intellectuelle.
65. D’autre part, il convient de garder à l’esprit que la protection des droits de propriété intellectuelle est fondée sur le principe de territorialité. En vertu de ce principe, les titulaires ne peuvent interdire les utilisations indues de leur droit que dans les États dans lesquels ledit droit jouit d’une protection (26). Étant donné que le transit ne constitue pas un «usage dans la vie des affaires», le recours à la fiction de la fabrication constituerait une exception importante à ce
principe de territorialité, ce qui, de ce point de vue également, irait au-delà des objectifs de l’ancien règlement douanier (27).
C – Le bilan global de la jurisprudence ne va pas en faveur de la «fiction de la fabrication»
66. Il convient d’achever la réponse que je propose à la question posée dans l’affaire Philips en accordant une attention particulière à la jurisprudence en la matière, qui est fréquemment invoquée par les uns ou les autres en fonction de leurs intérêts respectifs. J’anticipe d’une certaine manière la conclusion de la présente section en indiquant que j’estime que la «fiction de la fabrication» n’est pas compatible avec la jurisprudence récente en la matière, qui ressort pour l’essentiel des
arrêts Class International (28) et Montex Holdings (29).
67. En 2005, dans l’arrêt Class International, la Cour a jugé que la directive 89/104 et le règlement nº 40/94 doivent être interprétés en ce sens que le titulaire d’une marque ne peut s’opposer à la seule introduction dans la Communauté, sous le régime douanier du transit externe ou celui de l’entrepôt douanier, de produits d’origine revêtus de cette marque et qui, auparavant, n’ont pas déjà été mis dans le commerce dans la Communauté par ledit titulaire ou avec son consentement. Dans de tels
cas de figure, il incombe au titulaire de la marque d’apporter la preuve des circonstances qui permettent l’exercice du droit d’interdiction, en prouvant soit la mise en libre pratique de marchandises non communautaires revêtues de la marque, soit l’offre ou la vente de telles marchandises qui implique nécessairement la mise dans le commerce dans la Communauté.
68. Cette appréciation était en harmonie avec l’arrêt Rioglass et Transremar, précité, dans lequel la Cour a jugé que le simple transit de marchandises n’implique pas leur «commercialisation» aux fins de l’obtention de la protection prévue par la réglementation matérielle sur les marques.
69. Un an plus tard, dans le même esprit, la Cour a jugé, dans l’arrêt Montex Holdings, que l’article 5, paragraphes 1 et 3, de la directive 89/104 doit être interprété en ce sens que le titulaire d’une marque ne peut interdire le transit, dans un État membre dans lequel cette marque est protégée, de produits revêtus de la marque et placés sous le régime du transit externe, à destination d’un autre État membre dans lequel une telle protection n’existe pas, que lorsque ces produits «font l’objet
d’un acte d’un tiers effectué pendant qu’ils sont placés sous le régime du transit externe et qui implique nécessairement leur mise dans le commerce dans ledit État membre de transit».
70. En résumé, c’est sans équivoque que la Cour juge, dans ces deux arrêts, que l’«usage dans la vie des affaires» constitue une condition essentielle pour le déclenchement de la protection des droits de propriété intellectuelle et elle le fait dans des termes qui ne laissent aucune place à la «fiction de la fabrication». Il est vrai qu’il s’agit d’arrêts rendus en interprétation de la réglementation matérielle en matière de marques (la directive 89/104 et le règlement n° 40/94) et qui ne
portent pas sur les règlements relatifs à l’intervention des autorités douanières. Il convient toutefois de garder à l’esprit que les dispositions de ces règlements dont l’interprétation est en cause en l’espèce touchent, à titre exceptionnel, au domaine de la portée matérielle des droits de propriété intellectuelle.
71. À cet égard, il convient de mentionner le point 40 de l’arrêt Montex Holdings, qui indique de manière expresse qu’«aucune des dispositions du règlement n° 3295/94 n’instaure un nouveau critère aux fins de vérifier l’existence d’une atteinte au droit des marques ou pour déterminer s’il s’agit d’un usage de la marque susceptible d’être interdit en raison du fait qu’il porte atteinte à ce droit». Eu égard à cette précision de la jurisprudence, le règlement de 1994 ne laisse donc pas de place
pour la «fiction de la fabrication» qui, comme je l’ai déjà indiqué, implique une redéfinition des droits de propriété intellectuelle.
72. Il existe cependant une jurisprudence antérieure qui porte, de plus, spécifiquement sur les règlements douaniers, dont les discordances par rapport aux jurisprudences Class International et Montex Holdings ne sauraient être radicalement déniées, et qui a été largement invoquée par les parties qui, dans la présente affaire, se sont prononcées en faveur de la thèse de la «fiction de la fabrication». Il s’agit en particulier de l’arrêt Polo/Lauren (30), de 2000, et de l’arrêt Rolex (31), de
2004.
73. En effet, aussi bien dans l’arrêt Polo/Lauren que dans l’arrêt Rolex, la Cour a jugé que le règlement de 1994 s’applique aux marchandises non communautaires qui se trouvent en transit dans un État membre, à destination d’un État tiers, sans faire de référence particulière à la nécessité de prouver que ces marchandises sont destinées au marché communautaire. En ces termes, les différences évidentes entre les deux groupes d’arrêts expliquent pourquoi ces arrêts ont fréquemment été critiqués
pour leur caractère contradictoire (32).
74. En premier lieu, il convient de préciser, à ce sujet, que la Cour était consciente de cette discordance et c’est pourquoi elle s’est souciée de préciser que les conclusions des arrêts Class International et Montex Holdings ne sont pas remises en cause par la jurisprudence antérieure à ces arrêts (33).
75. En deuxième lieu, il convient de tenir compte du fait que les deux premiers arrêts étaient focalisés sur des questions telles que la validité du règlement de 1994 et son fondement juridique (dans le cas de l’arrêt Polo/Lauren) et l’existence d’une lex previa pénale (dans le cas de l’arrêt Rolex), l’analyse de la question de savoir si les biens étaient destinés au territoire de l’Union étant restée relativement secondaire.
76. Finalement, il y a lieu de souligner que l’arrêt Polo/Lauren accorde une grande importance au risque d’introduction frauduleuse de marchandises de contrefaçon sur le marché de l’Union et en déduit que ledit transit est «susceptible d’avoir une incidence directe sur le marché intérieur» (34).
77. Toutefois, indépendamment de l’ensemble de ces circonstances, il convient de reconnaître qu’il existe un certain degré de discordance entre les deux groupes d’arrêts. Si l’on souhaite accorder une certaine pertinence à cette discordance, je considère alors que ce sont les arrêts les plus récents (Class International et Montex Holdings) qui reflètent de la manière la plus juste la position de la Cour.
78. En tout cas, j’estime que la confusion qui est apparue dans l’interprétation de cette série d’arrêts résulte en grande partie du fait que, jusqu’à maintenant, la Cour a adapté ses réponses à la règle invoquée dans chaque question préjudicielle, sans nécessairement tenir compte de l’objet du litige dans le cadre duquel se posait ladite question.
79. Dans les affaires qui sont maintenant soumises à la Cour, cette dernière devra donc préciser dans quelles circonstances chacune de ces dispositions doit être appliquée et définir les conditions nécessaires pour que soit franchi le seuil au-delà duquel l’action des autorités douanières, d’une part, et la reconnaissance (normalement judiciaire) de l’atteinte au droit, d’autre part, sont justifiées (35).
D – Conclusion
80. Eu égard à ce qui précède, je propose de répondre à la question du rechtbank que l’article 6, paragraphe 2, sous b), du règlement de 1994 ne saurait être interprété en ce sens que l’organe (en l’espèce, juridictionnel) de l’État membre saisi, conformément à l’article 7 dudit règlement, par le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle peut ignorer le statut d’admission temporaire ou le statut de transit des marchandises en cause, et donc en ce sens que cet organe peut faire
application d’une fiction selon laquelle ces marchandises ont été fabriquées dans l’État membre concerné en vue de statuer sur la question de savoir si, en application du droit de cet État membre, lesdites marchandises portent ou non atteinte au droit de propriété intellectuelle en cause.
VII – Analyse de la question préjudicielle dans l’affaire Nokia
A – Considérations préliminaires
81. Comme je l’ai indiqué, à la différence de l’affaire Philips, la Court of Appeal pose sa question, dans l’affaire Nokia, dans le cadre d’une procédure portant sur la légalité d’une décision des douanes britanniques rejetant la demande de retenue de certaines marchandises en transit présentée par Nokia.
82. Formellement, le renvoi préjudiciel se présente comme une question d’interprétation de la notion de «marchandises de contrefaçon» au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous a), du règlement de 2003: «les marchandises, y compris leur conditionnement, sur lesquelles a été apposée sans autorisation une marque de fabrique ou de commerce identique à la marque de fabrique ou de commerce valablement enregistrée pour le même type de marchandises ou qui ne peut être distinguée dans ses aspects
essentiels de cette marque de fabrique ou de commerce et qui, de ce fait, porte atteinte aux droits du titulaire de la marque en question, en vertu du droit communautaire et notamment du règlement (CE) n° 40/94 […] ou en vertu du droit interne de l’État membre dans lequel la demande d’intervention des autorités douanières est introduite».
83. En ces termes, il appartient à la Cour de déterminer si cette disposition crée une notion autonome de «marchandises de contrefaçon», dissociée de la réglementation matérielle relative à l’intervention des autorités douanières.
84. Je considère que, même s’il est introduit par l’expression «de ce fait» (36), le renvoi effectué par la disposition en cause à la réglementation matérielle en matière de marques est inconditionnel et que la thèse de la «notion autonome» qui est évoquée par certaines parties ne saurait donc être accueillie. Ainsi, pour qu’il existe une «marchandise de contrefaçon» au sens du règlement de 2003, il doit être prouvé que les produits en cause sont destinés au marché de l’Union européenne. Si tel
n’est pas le cas, les marchandises en transit ne remplissent pas la condition de l’«usage dans la vie des affaires» qui est requise aussi bien par le règlement n° 40/94 que par les législations nationales sur les marques.
85. Comme nous l’avons vu dans le cadre de l’affaire Philips, cette condition est indispensable pour que puisse être confirmée – par la voie judiciaire ou d’une autre manière – l’existence d’une atteinte au droit à la marque dans la procédure sur le fond. Or, la présente affaire porte sur la question de savoir si cette preuve est également nécessaire dans le contexte de la phase préalable d’intervention des autorités douanières.
86. C’est ce critère que les autorités douanières britanniques ont invoqué, sur le fondement de l’article 2 du règlement de 2003, pour refuser d’intervenir sur des marchandises en transit, au motif qu’il n’existait pas de preuves que ces marchandises étaient destinées au marché de l’Union.
87. Toutefois, si la question vise à clarifier ce que sont des «marchandises de contrefaçon» aux fins du règlement ou, ce qui revient au même, quelles conditions doivent être réunies pour que les autorités douanières puissent intervenir, il semble évident que l’article 2 du règlement de 2003, sur lequel se focalise la question préjudicielle, ne peut pas être analysé isolément.
88. Au contraire, je considère qu’il convient en particulier de tenir compte de l’article 1^er du règlement de 2003, qui définit son champ d’application, ainsi que des articles 4 et 9 dudit règlement, qui précisent les conditions de l’intervention des autorités douanières. Or l’ensemble de ces dispositions emploient, comme nous le verrons ci-après, la notion de «soupçons» en tant que critère pour cette intervention (37).
89. D’autre part, une interprétation extensive et isolée de l’article 2, utilisé comme seule disposition de référence pour déterminer la possibilité d’action des autorités douanières, serait difficilement conciliable avec les objectifs du règlement de 2003 et avec les compétences que ce dernier attribue aux autorités douanières, ainsi qu’avec la jurisprudence en la matière (38).
B – Les articles 1^er, 4 et 9 du règlement de 2003 prévoient un critère spécifique pour justifier l’intervention: les «soupçons» de violation
90. Contrairement à l’article 2 du règlement de 2003, qui se contente de définir ce qu’il faut entendre, «aux fins du présent règlement», par marchandises qui portent atteinte à un droit de propriété intellectuelle, les articles 1^er, 4 et 9 font expressément référence à la possibilité d’intervention des autorités douanières si elles nourrissent des «soupçons» que les marchandises, quelle que soit leur situation douanière, «portent atteinte» à un droit de propriété intellectuelle.
91. Comme je l’ai indiqué plus haut, le règlement de 2003 (et, avant lui, celui de 1994) distingue clairement entre la phase de l’intervention des autorités douanières et celle de la constatation matérielle de la violation. La première phase est typiquement administrative et préventive, alors que la deuxième est généralement judiciaire et implique en tout cas une décision sur le fond de l’affaire, qui est normalement définitive.
92. Or, de la même manière que, dans chacune de ces phases, le règlement de 2003 attribue la décision à des autorités différentes, il soumet également cette décision à des exigences différentes, plus strictes dans le cas de la décision sur le fond, car seule cette dernière peut aboutir à l’interdiction de l’usage dans la vie des affaires, au sein de l’Union, de la marque en question (39). En revanche, les mesures adoptées par les autorités douanières présentent un caractère provisoire et
préventif, et il est donc logique que le seuil à partir duquel ces autorités peuvent agir se situe à un niveau inférieur d’exigence.
93. Ce n’est qu’ainsi que s’explique le fait que l’article 5, paragraphe 5, du règlement de 2003, qui définit de manière exhaustive le contenu de la demande d’intervention des autorités douanières, exige seulement que cette demande contienne «toutes les informations nécessaires pour que les autorités douanières puissent reconnaître facilement les marchandises en question» et, en particulier, les «informations spécifiques dont le titulaire du droit pourrait disposer concernant la nature ou le
type de fraude» (40).
94. Parallèlement, cette disposition requiert une «justification établissant que le demandeur est titulaire du droit pour les marchandises en question» et impose audit titulaire de fournir une déclaration par laquelle il accepte sa responsabilité envers les personnes concernées, pour le cas où la procédure ne serait pas poursuivie à cause d’un acte ou d’une omission du titulaire du droit ou pour le cas où il serait établi par la suite que les marchandises en question ne portent pas atteinte à
un droit de propriété intellectuelle (article 6, paragraphe 1). Le «lieu de destination prévu» pour les marchandises tout comme d’autres informations telles que la «date d’arrivée ou de départ prévue des marchandises» ne doivent être communiqués dans la demande qu’«[à] titre indicatif, et [si les titulaires des droits] les connaissent».
95. Il s’agit donc de localiser les marchandises suspectes et de garantir un certain degré de sérieux de la demande d’intervention, mais, évidemment, il ne s’agit pas encore de constater la violation du droit invoqué. Si le législateur avait voulu exiger, déjà à ce stade, des preuves concluantes de l’existence d’une violation du droit (même potentielle), il l’aurait fait de manière expresse.
C – Les autorités douanières ne peuvent pas anticiper le sens que prendra la future décision sur le fond
96. D’autre part, il est évident qu’il n’appartient pas aux autorités douanières de se prononcer de manière définitive sur la question de savoir si une atteinte à des droits de propriété intellectuelle s’est produite ou non. Si l’on déduisait de l’article 2 du règlement de 2003 que ce dernier requiert le même niveau de preuve de la violation pour la retenue douanière des marchandises que pour leur retrait définitif du commerce ou leur destruction, la décision des autorités douanières
anticiperait déjà, d’une certaine manière, le résultat de la procédure sur le fond, qui se déroulera éventuellement ultérieurement et dont l’issue sera décidée par une autorité différente.
97. En définitive, le contrôle préventif ne saurait être subordonné à la preuve d’une violation du droit de propriété intellectuelle. En tant que mesure préventive, il revêt un caractère provisoire (pas plus de dix jours) et il est logique qu’il soit décidé sur le fondement de données provisoires ou de «soupçons» (41).
D – Des exigences excessives en matière de preuve pourraient rendre inutile l’étendue du champ d’application du règlement
98. Ce type d’exigences en matière de preuve pourrait en pratique empêcher toute intervention préventive sur des marchandises en transit externe, et ce bien qu’elles relèvent expressément du champ d’application du règlement de 2003.
99. L’évolution de la réglementation douanière constitue la preuve la plus manifeste de l’importance que le législateur communautaire a accordée à la couverture de l’ensemble des situations douanières dans lesquelles peuvent se trouver les marchandises de contrefaçon ou pirates (42). Ainsi, l’article 1^er du règlement de 2003 inclut, dans son champ d’application, aussi bien les marchandises déclarées pour la mise en libre pratique, l’exportation ou la réexportation que les marchandises
découvertes à l’occasion de leur introduction sur le territoire de l’Union ou de leur sortie de ce dernier, ou les marchandises en voie de réexportation moyennant notification, les marchandises placées en zone franche ou en entrepôt franc, ou encore les marchandises placées sous un régime suspensif. Conformément à l’article 84, paragraphe 1, sous a), du code des douanes communautaire, ce régime suspensif comprend notamment le transit externe, l’entrepôt douanier et l’admission temporaire.
100. Ce type de régimes douaniers peut être utilisé frauduleusement en tant qu’instrument pour l’entrée de marchandises destinées à être commercialisées illégalement dans l’Union, dans la mesure où rien n’oblige le destinataire, dans un premier temps, à déclarer leur destination ou même à révéler son identité.
101. Compte tenu des difficultés que pose ce type de situations en matière de preuve, si les soupçons d’irrégularité ne suffisaient pas pour déclencher une intervention préventive de la part des autorités douanières, alors l’étendue avec laquelle l’article 1^er du règlement de 2003 définit son champ d’application n’aurait aucune utilité et augmenterait le risque d’utilisation abusive des régimes suspensifs en vue d’éviter une saisie des marchandises.
E – Le règlement de 2003 introduit le critère des «soupçons»
102. Eu égard à ce qui précède, je considère que la définition des «marchandises de contrefaçon» figurant à l’article 2, paragraphe 1, sous a), du règlement de 2003 constitue un élément d’aide à l’application des autres dispositions dudit règlement et doit faire l’objet d’une interprétation qui permette une application adéquate de celles-ci.
103. Comme il ressort de son titre, le règlement de 2003 porte aussi bien sur l’«intervention des autorités douanières à l’égard de marchandises soupçonnées de porter atteinte à certains droits de propriété intellectuelle» que sur les «mesures à prendre à l’égard de marchandises portant atteinte à certains droits de propriété intellectuelle».
104. En ce qui concerne ce deuxième aspect, il sera nécessaire de constater que les marchandises sont «de contrefaçon» ou «pirates» au sens de l’article 2. À cet effet, comme je l’ai déjà conclu dans le cadre de l’affaire Philips, il conviendra de recourir aux critères prévus par la réglementation matérielle sur les marques et les autres droits de propriété intellectuelle. Le renvoi que l’article 2 fait à cette réglementation matérielle doit donc être entendu en ce sens.
105. En revanche, pour que les autorités douanières puissent retenir certaines marchandises, il suffit qu’il existe des «soupçons» qu’elles remplissent les critères de la définition de l’article 2, y compris les critères définis par la réglementation matérielle à laquelle cet article renvoie. Le règlement de 2003 n’exige rien de plus, à l’instar de la jurisprudence.
106. Or, le problème est que la notion de «soupçons» est, dans ce contexte, intrinsèquement liée aux faits. Il ne fait pas de doute que l’on ne saurait entendre, par «soupçons», des constatations irréfutables, mais il convient d’éviter que ce critère conduise à un arbitraire total dans l’action des autorités douanières (43).
107. C’est pourquoi je considère que, pour que les autorités douanières puissent légitimement retenir des marchandises en transit soumises à leur contrôle, elles doivent au moins disposer d’un «commencement de preuve», c’est-à-dire un indice quelconque en ce sens que ces marchandises peuvent effectivement porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle.
108. Dans le cas concret de marchandises en transit, l’élément le plus difficile à prouver à ce stade est, de toute évidence, la destination des marchandises.
109. À cet effet, au moment de l’appréciation de ces «soupçons», il convient d’accorder une attention particulière au risque d’introduction frauduleuse des marchandises sur le marché de l’Union. Malgré toutes les précautions prises par le système de surveillance communautaire, ce risque existe, car il ne faut pas oublier que, même si le régime du transit externe est lui-même construit sur une fiction juridique, les marchandises se trouvent physiquement sur le territoire de l’Union.
110. Ainsi, en vertu de cette fiction, les marchandises placées sous le régime du transit externe ne sont soumises ni aux droits d’importation ni aux autres mesures de politique commerciale, comme si elles n’étaient pas entrées sur le territoire de l’Union. Or, comme l’indique clairement l’arrêt Polo/Lauren, ce transit «n’est pas une activité étrangère au marché intérieur» (44). En fin de compte, il s’agit d’évaluer si ce risque est tel qu’il permet de qualifier des marchandises de «suspectes» de
porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle.
111. Dans ces termes, et sans prétendre à l’exhaustivité, des circonstances telles que la durée excessive du transit, le type et le nombre de moyens de transport utilisés, la difficulté plus ou moins grande pour identifier l’expéditeur des marchandises ou l’absence d’informations sur leur destination physique ou leur destinataire pourraient, dans certaines circonstances, étayer un soupçon fondé selon lequel les marchandises en soi, qui semblent être des «contrefaçons» ou des marchandises «pirates»,
vont être introduites dans le commerce au sein de l’Union.
112. Je propose donc de répondre à la Court of Appeal que les marchandises non communautaires revêtues d’une marque communautaire qui sont soumises à la surveillance douanière dans un État membre et qui sont en transit en provenance d’un État tiers et à destination d’un autre État tiers peuvent faire l’objet d’une intervention des autorités douanières dès lors qu’il existe des motifs suffisants pour soupçonner qu’il s’agit de marchandises de contrefaçon et, en particulier, qu’elles seront mises sur
le marché dans l’Union européenne, soit conformément à un régime douanier, soit au moyen d’un détournement illicite, même s’il n’existe pas de preuves à cet égard.
VIII – Conclusion
113. Je suggère donc à la Cour de répondre aux questions comme suit:
A – Concernant la question préjudicielle du rechtbank van eerste aanleg te Antwerpen (affaire C-446/09)
«L’article 6, paragraphe 2, sous b), du règlement (CE) n° 3295/94 du Conseil, du 22 décembre 1994, fixant certaines mesures concernant l’introduction dans la Communauté et l’exportation et la réexportation hors de la Communauté de marchandises portant atteinte à certains droits de propriété intellectuelle, ne saurait être interprété en ce sens que l’organe juridictionnel de l’État membre saisi, conformément à l’article 7 dudit règlement, par le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle peut
ignorer le statut d’admission temporaire ou le statut de transit des marchandises en cause, et donc en ce sens que cet organe peut faire application d’une fiction selon laquelle ces marchandises ont été fabriquées dans l’État membre concerné en vue de statuer sur la question de savoir si, en application du droit de cet État membre, lesdites marchandises portent ou non atteinte au droit de propriété intellectuelle en cause.»
B – Concernant la question préjudicielle de la Court of Appeal (England & Wales) (affaire C-495/09)
«Les marchandises non communautaires revêtues d’une marque communautaire qui sont soumises à la surveillance douanière dans un État membre et qui sont en transit en provenance d’un État tiers et à destination d’un autre État tiers peuvent faire l’objet d’une intervention des autorités douanières dès lors qu’il existe des motifs suffisants pour soupçonner qu’il s’agit de marchandises de contrefaçon et, en particulier, qu’elles seront mises sur le marché dans l’Union européenne, soit conformément à un
régime douanier, soit au moyen d’un détournement illicite.»
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1 – Langue originale: l’espagnol.
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2 – Établi par le règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992 (JO L 302, p. 1).
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3 – Arrêt du 6 avril 2000, Polo/Lauren (C-383/98, Rec. p. I-2519, point 34).
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4 – JO L 341, p. 8. Règlement modifié par le règlement (CE) n° 241/1999 du Conseil, du 25 janvier 1999 (JO L 27, p. 1).
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5 – JO L 196, p. 7.
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6 – Avant le traité d’Amsterdam, il s’agissait de l’article 113 CE. Le règlement de 1994 fait référence à cette dernière numérotation, alors que le règlement de 2003 renvoie à l’article 133 CE.
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7 – Le nouvel article 207 TFUE, qui reprend pour l’essentiel le contenu de cette disposition, mentionne spécifiquement les «aspects commerciaux de la propriété intellectuelle».
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8 – Tel que modifié par le règlement n° 241/1999.
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9 – Auxquels s’appliquaient la directive 98/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 1998, sur la protection juridique des dessins ou modèles (JO L 289, p. 28), et la législation de transposition correspondante.
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10 – Régi par le règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), et par la législation nationale en matière de marques, qui a été harmonisée par la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1).
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11 – Article 4 du règlement de 1994 et article 4 du règlement de 2003.
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12 – Cette demande d’intervention est régie par l’article 3 du règlement de 1994 et par les articles 5 et 6 du règlement de 2003.
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13 – Article 6, paragraphe 1, du règlement de 1994 et article 9 du règlement de 2003.
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14 – Article 11, paragraphe 1, du règlement de 2003. Le règlement de 1994 ne prévoit pas cette procédure «simplifiée».
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15 – Articles 6, paragraphe 2, et 7, paragraphe 1, du règlement de 1994 et article 13, paragraphe 1, du règlement de 2003. Si la violation est constatée dans le cadre de cette procédure sur le fond, les marchandises pourront faire l’objet des mesures «définitives» prévues à l’article 8 du règlement de 1994 et aux articles 16 et 17 du règlement de 2003: interdiction d’entrée sur le territoire douanier de la Communauté, interdiction de la mise en libre pratique, interdiction de l’exportation, etc.,
ainsi que destruction des marchandises ou retrait de ces dernières des circuits commerciaux sans indemnisation et privation, pour les personnes concernées, du profit économique de l’opération.
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16 – Article 7, paragraphe 1, du règlement de 1994 et article 13, paragraphe 1, du règlement de 2003.
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17 – Notamment la destruction des marchandises en cause ou leur retrait des circuits commerciaux, sans indemnisation d’aucune sorte (article 8, paragraphe 1, du règlement de 1994 et article 17 du règlement de 2003).
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18 – Indépendamment de cela et ainsi qu’il a déjà été signalé, le rechtbank débute sa question en s’interrogeant sur la question de savoir si la disposition en cause constitue une «règle de droit communautaire uniformisée». Présentée en ces termes, la question n’appelle pas d’autre réponse que celle en vertu de laquelle le règlement de 1994 constitue, en tant que tel, une règle obligatoire en tous ses éléments, qui produit un effet direct dans l’ensemble de l’Union.
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19 – Cette «fiction de la fabrication» semble avoir été appliquée pour la première fois dans un arrêt rendu le 19 mars 2004 par le Hoge Raad der Nederlanden dans une affaire de brevets (LJN AO 0903, affaire Philips contre Postec et Princo). Elle a été reprise ultérieurement par le président du rechtbank Den Haag, dans un jugement du 18 juillet 2008, et par la juridiction de renvoi elle-même, dans un jugement du 9 octobre 2008. Cette fiction semble avoir été accueillie par une certaine doctrine: en
ce sens, voir Eijsvogels, F., «Some remarks on Montex Holdings Ltd/Diesel Spa», Boek9.nl, 24 novembre 2006, http://www.boek9.nl/default.aspX?id=2968, et Puts, A., «Goods in transit», 194 Trademark World 22-23 (février 2007).
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20 – Arrêt du 23 octobre 2003, Rioglass et Transremar (C-115/02, Rec. p. I-12705, point 27). Contrairement aux affaires examinées en l’espèce, cet arrêt portait sur un cas de marchandises fabriquées légalement dans un État membre, en transit dans un autre État membre, et destinées à un État tiers. Le débat se centrait donc sur la possibilité d’invoquer la libre circulation des marchandises à l’encontre d’une intervention des autorités douanières. Malgré cette différence essentielle, les
considérations exposées dans cet arrêt au sujet de la nature de la situation de transit de marchandises communautaires sont pleinement applicables au cas de figure du transit externe. Comme l’affirme l’avocat général Jacobs dans ses conclusions dans l’affaire Class International (arrêt du 18 octobre 2005, C-405/03, Rec. p. I-8735, sur lequel je reviendrai), «on peut penser que, si la Cour a adopté ce point de vue à propos de marchandises en libre pratique dans la Communauté, elle l’adopterait a
fortiori pour des marchandises pour lesquelles les formalités d’importation n’ont pas été accomplies» (point 32).
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21 – Si le législateur communautaire avait voulu redéfinir le régime matériel de ces droits de propriété intellectuelle dans les règlements douaniers, en conférant à leurs titulaires des facultés qui vont au-delà de ce que prévoit le droit matériel, il aurait alors invoqué les articles 100 A ou 235 du traité CE (articles 95 CE et 308 CE selon la numérotation postérieure au traité d’Amsterdam; aujourd’hui articles 114 TFUE et 352 TFUE), qui sont relatifs au fonctionnement du marché intérieur et qui
constituent le fondement juridique habituel des règles matérielles relatives aux droits de propriété intellectuelle.
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22 – En ce sens, voir arrêts du 10 novembre 1992, Exportur (C-3/91, Rec. p. I-5529, point 12), et du 22 juin 1994, IHT Internationale Heiztechnik et Danzinger (C-9/93, Rec. p. I-2789, point 22).
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23 – Dans le nouveau règlement douanier, la référence au critère de la fabrication figure uniquement dans le huitième considérant. Cependant, la partie finale de ce considérant présente aussi, clairement, le caractère d’une règle de conflit: «[l]es dispositions des États membres relatives aux compétences juridictionnelles et aux procédures judiciaires ne sont pas affectées par le présent règlement». Selon moi, si ces deux dispositions figurent dans le même considérant, c’est parce qu’elles ont la
même finalité: préciser la réglementation applicable à la procédure relative à la violation d’un droit de propriété intellectuelle. Par ailleurs, il apparaît peu probable qu’une règle d’une telle portée doive être déduite d’un simple considérant. En ce sens, voir van Hezewijk, J. K., «Montex and Rolex – Irreconciliable differences? A call for a better definition of counterfeit goods», International review of intellectual property and competition law, vol. 39 (2008), nº 7, p. 779.
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24 – C’est moi qui souligne. Dans le même sens, voir deuxième considérant du règlement de 2003.
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25 – C’est moi qui souligne.
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26 – Arrêt IHT Internationale Heiztechnik et Danzinger (précité, point 22). Voir, également, points 106 et suiv. de mes conclusions du 14 septembre 2010 dans l’affaire Anheuser‑Busch/Budějovický Budvar (C-96/09 P, pendante devant la Cour).
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27 – Philips a invoqué la communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen et au Comité économique et social européen sur la réaction des douanes face aux tendances les plus récentes de la contrefaçon et du piratage, du 11 octobre 2005 [COM(2005) 479 final, p. 8], qui indique que «[l]a législation communautaire des douanes dans ce domaine est considérée aujourd’hui comme la plus solide au monde […]. En réalisant des contrôles sur tous les mouvements de marchandises, notamment pendant
le transbordement, les douanes protègent non seulement l’Union européenne, mais aussi d’autres parties du monde et, en particulier, les pays les moins développés qui sont souvent visés par les fraudeurs». Toutefois, il est un fait qu’il ne ressort ni de la jurisprudence ni de la réglementation en vigueur qu’il serait possible d’étendre une protection strictement européenne à des États tiers grâce à une extension des mesures adoptées à la frontière. En ce sens, voir Große Ruse-Khan, H., et Jaeger,
T., «Policing patents worldwide? EC border measures against transiting generic drugs under EC and WTO intellectual property regimes», International review of intellectual property and competition law, vol. 40 (2009), nº 5, p. 502 à 538.
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28 – Précité.
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29 – Arrêt du 9 novembre 2006 (C-281/05, Rec. p. I-10881).
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30 – Précité.
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31 – Arrêt du 7 janvier 2004, X (C-60/02, Rec. p. I-651, ci-après l’«arrêt Rolex»).
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32 – Vrins, O., et Schneider, M., «Trademark use in transit: EU-phony or cacophony?», Journal of IP Law and Practice, 2005, vol. 1, nº 1, p. 45 et 46.
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33 – À cet égard, voir, notamment, points 35 à 40 de l’arrêt Montex Holdings ainsi que points 38 à 45 des conclusions présentées dans cette même affaire, le 4 juillet 2006, par l’avocat général Poiares Maduro, qui aborde le problème de manière plus précise et d’autant plus claire. L’arrêt Class International ne mentionne pas le problème de manière expresse, et ce probablement en raison du fait que, comme l’arrêt portait sur l’importation parallèle de marchandises originales, le règlement douanier
n’était simplement pas applicable (article 1^er, paragraphe 4, du règlement de 1994 et article 3 du règlement de 2003). Toutefois, les conclusions présentées par l’avocat général Jacobs dans cette affaire (précitées) contiennent une référence à l’arrêt Polo/Lauren et précisent que ce dernier a été rendu dans un contexte différent (point 34).
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34 – Point 34 de l’arrêt Polo/Lauren, précité.
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35 – Comme je l’exposerai dans mon analyse de l’affaire Nokia, il me semble évident que ce seuil ne peut pas être le même et que l’intervention préventive des autorités douanières pourra être basée sur un simple «commencement de preuve», plus ou moins fondé, mais sans qu’il soit nécessaire de prouver que les marchandises vont être commercialisées dans l’Union, car cela impliquerait déjà une constatation quasiment définitive de la violation, qui n’est requise que dans les affaires telles que l’espèce
(Philips).
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36 – «Por tanto» dans la version espagnole; «thereby» dans la version anglaise; «og som derved» dans la version danoise; «und damit» dans la version allemande; «e que pertanto» dans la version italienne; «die zodoende» dans la version néerlandaise; «por ese motivo» dans la version portugaise; «ja joka siten» dans la version finnoise, et «och som därigenom» dans la version suédoise.
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37 – Dans l’article 4, «motifs suffisants de soupçonner» et, dans l’article 9, «lorsqu’un bureau de douane […] constate […] que des marchandises […] sont soupçonnées».
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38 – Cependant, pour atteindre les objectifs du règlement de 2003, il n’est pas nécessaire de recourir, comme le suggère l’International Trademark Association, à la «fiction de la fabrication», que j’ai déjà eu l’occasion d’analyser en ce qui concerne l’affaire C-446/09 et qui ne paraît pas non plus défendable en l’espèce. En fait, la seule disposition du règlement de 2003 qui pourrait éventuellement servir de fondement à cette fiction est l’article 10, une règle de conflit de lois qui, en outre,
comme il ressort du titre du chapitre III du règlement, est applicable à la décision sur le fond et non aux conditions de l’intervention des autorités douanières, qui sont en cause en l’espèce.
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39 – En ce sens, Vrins et Schneider soulignent que l’objet de l’article 1^er, paragraphe 1, du règlement de 2003 ne saurait se confondre avec celui de l’article 16 dudit règlement: «alors que l’article 1^er, paragraphe 1, détermine les conditions de l’action des autorités douanières lorsqu’il existe des soupçons que les marchandises portent atteinte à un droit de propriété intellectuelle, l’article 16 prévoit que, une fois cette violation établie, après l’intervention de la douane conformément à
l’article 9 et à l’issue de la procédure prévue par l’article 13, les marchandises ne peuvent ni être mises en libre pratique ni être introduites sur le marché ou, simplement, circuler» (Vrins, O., et Schneider, M., Enforcement of intellectual property rights through border measures. Law and practice in the EU, Oxford University Press, 2006, p. 73).
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40 – C’est moi qui souligne.
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41 – Tout comme une preuve irréfutable de la destination des marchandises ne peut pas être exigée dans le cadre de cette phase, il ne semble pas non plus que les autorités douanières doivent, dans ce contexte, vérifier si d’autres conditions requises par la réglementation matérielle pour l’entrée en jeu de la protection du droit, qui impliquent parfois une analyse factuelle et juridique d’une certaine complexité, sont réunies. Il suffit de penser, par exemple, à l’appréciation du «risque de
confusion», qui est prévue par la réglementation matérielle en matière de marques, mais qui ne figure pas dans l’article 2 du règlement de 2003, probablement afin d’éviter aux autorités douanières la charge qu’impliquerait cette appréciation dans le cadre de cette phase. Au sujet des différences en ce qui concerne la définition des marchandises de contrefaçon dans la réglementation douanière et dans la réglementation substantielle en matière de marques, voir Hezewijk, J. K., op. cit., p. 785 et
suiv., et Vrins, O., et Schneider, M., op. cit., p. 97.
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42 – À cet égard, voir Lois Bastida, F., «El Reglamento (CE) nº 1383/2003, de lucha contra la piratería en materia de propiedad intelectual», Actas de derecho industrial y derecho de autor, T. XXIV (2003), p. 1228.
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43 – La réglementation douanière nuance parfois elle-même cette référence aux soupçons: par exemple, l’article 4 du règlement de 2003 exige qu’«il existe des motifs suffisants de soupçonner» et l’article 4 du règlement de 1994 fait référence à une situation dans laquelle «il apparaît de manière évidente au bureau de douane que la marchandise est une marchandise de contrefaçon ou une marchandise pirate». Ces deux dispositions portent sur la première intervention des autorités douanières, antérieure à
la demande du titulaire du droit.
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44 – Point 34. C’est pourquoi l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer considérait qu’«[i]l n’y a pas lieu d’étendre cette fiction au-delà du domaine pour lequel elle a été conçue» (point 21 des conclusions présentées le 16 décembre 1999 dans l’affaire Polo/Lauren). J’estime toutefois que cette circonstance ne peut pas conduire à remplacer la fiction par une assimilation totale des marchandises en transit aux marchandises mises en libre pratique ou fabriquées dans l’Union.