Affaire C-163/10
Procédure pénale
contre
Aldo Patriciello
(demande de décision préjudicielle, introduite par le Tribunale di Isernia)
«Membre du Parlement européen — Protocole sur les privilèges et immunités — Article 8 — Procédure pénale au titre du délit de dénonciation calomnieuse — Déclarations effectuées en dehors de l’enceinte du Parlement — Notion d’‘opinion exprimée dans l’exercice des fonctions parlementaires’ — Immunité — Conditions»
Sommaire de l'arrêt
Privilèges et immunités de l'Union européenne — Membres du Parlement européen — Immunité pour les opinions exprimées et les votes émis dans l'exercice de leurs fonctions
(Protocole sur les privilèges et immunités de l'Union européenne, art. 8)
L’article 8 du protocole sur les privilèges et immunités de l'Union européenne doit être interprété en ce sens qu’une déclaration effectuée par un député européen en dehors du Parlement européen ayant donné lieu à des poursuites pénales dans son État membre d’origine au titre du délit de dénonciation calomnieuse ne constitue une opinion exprimée dans l’exercice des fonctions parlementaires relevant de l’immunité prévue à cette disposition que lorsque cette déclaration correspond à une appréciation
subjective qui présente un lien direct et évident avec l’exercice de telles fonctions. Il appartient à la juridiction nationale de déterminer si ces conditions sont remplies dans un cas d'espèce.
(cf. point 41 et disp.)
ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
6 septembre 2011 (*)
«Membre du Parlement européen – Protocole sur les privilèges et immunités – Article 8 – Procédure pénale au titre du délit de dénonciation calomnieuse – Déclarations effectuées en dehors de l’enceinte du Parlement – Notion d’‘opinion exprimée dans l’exercice des fonctions parlementaires’ – Immunité – Conditions»
Dans l’affaire C‑163/10,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunale di Isernia (Italie), par décision du 9 mars 2010, parvenue à la Cour le 2 avril 2010, dans la procédure pénale contre
Aldo Patriciello,
LA COUR (grande chambre),
composée de M. V. Skouris, président, MM. A. Tizzano, J. N. Cunha Rodrigues, K. Lenaerts, J.-C. Bonichot et J.-J. Kasel, présidents de chambre, MM. G. Arestis, A. Borg Barthet, M. Ilešič, J. Malenovský, A. Ó Caoimh (rapporteur), M^me C. Toader et M. M. Safjan, juges,
avocat général: M. N. Jääskinen,
greffier: M^me A. Impellizzeri, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 15 février 2011,
considérant les observations présentées:
– pour M. Patriciello, par M^es G. Ranaldi et G. Scalese, avvocati, ainsi que par M^me S. Fortunato, assistente,
– pour le gouvernement italien, par M^me G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M^me M. Russo, avvocato dello Stato,
– pour le gouvernement hellénique, par M. K. Georgiadis ainsi que par M^mes M. Germani et G. Papagianni, en qualité d’agents,
– pour le Parlement européen, par MM. H. Krück, A. Caiola et N. Lorenz, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par M^me I. Martínez del Peral et M. C. Zadra, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 9 juin 2011,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 8 du protocole sur les privilèges et immunités de l’Union européenne, annexé aux traités UE, FUE et CEEA (ci-après le «protocole»).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre M. Patriciello, membre du Parlement européen, au titre du délit de dénonciation calomnieuse.
Le cadre juridique
La réglementation de l’Union
3 L’article 8 du protocole dispose:
«Les membres du Parlement européen ne peuvent être recherchés, détenus ou poursuivis en raison des opinions ou votes émis par eux dans l’exercice de leurs fonctions.»
4 L’article 9 du protocole prévoit:
«Pendant la durée des sessions du Parlement européen, les membres de celui-ci bénéficient:
a) sur leur territoire national, des immunités reconnues aux membres du Parlement de leur pays,
[...]»
5 L’article 18 du protocole énonce:
«Pour l’application du présent protocole, les institutions de l’Union agissent de concert avec les autorités responsables des États membres intéressés.»
6 L’article 6 du règlement intérieur du Parlement européen (JO 2005, L 44, p. 1, ci-après le «règlement intérieur»), intitulé «Levée de l’immunité», est libellé comme suit:
«1. Dans l’exercice de ses pouvoirs relatifs aux privilèges et aux immunités, le Parlement vise avant tout à conserver son intégrité en tant qu’assemblée législative démocratique et à assurer l’indépendance des députés dans l’accomplissement de leurs tâches.
[...]
3. Toute demande adressée au Président par un député ou un ancien député en vue de défendre l’immunité et les privilèges est communiquée en séance plénière et renvoyée à la commission compétente.
[...]»
7 L’article 7 de ce règlement, qui contient les règles sur les procédures relatives à l’immunité des députés européens, prévoit, à ses paragraphes 2, 6 et 7:
«2. La commission présente une proposition de décision qui se limite à recommander l’adoption ou le rejet de la demande de levée de l’immunité ou de défense de l’immunité et des privilèges.
[...]
6. Dans les cas de défense d’un privilège ou d’une immunité, la commission précise si les circonstances constituent une entrave d’ordre administratif ou autre à la liberté de déplacement des députés se rendant au lieu de réunion du Parlement ou en revenant, d’une part, ou à l’expression d’une opinion ou d’un vote dans l’exercice de leur mandat, d’autre part, ou encore si elles sont assimilables aux aspects de l’article [9] du protocole [...] qui ne relèvent pas du droit national, et présente
une proposition invitant l’autorité concernée à tirer les conclusions qui s’imposent.
7. La commission peut émettre un avis motivé sur la compétence de l’autorité en question et sur la recevabilité de la demande, mais ne se prononce en aucun cas sur la culpabilité ou la non-culpabilité du député ni sur l’opportunité ou non de le poursuivre au pénal pour les opinions ou actes qui lui sont imputés, même dans le cas où l’examen de la demande permet à la commission d’acquérir une connaissance approfondie de l’affaire.»
La réglementation nationale
8 Aux termes de l’article 68, premier alinéa, de la Constitution italienne:
«Les membres du Parlement ne peuvent être appelés à répondre des opinions exprimées et des votes qu’ils ont émis dans l’exercice de leurs fonctions.»
9 L’article 3, paragraphe 1, de la loi n° 140, portant dispositions pour la mise en œuvre de l’article 68 de la Constitution ainsi qu’en matière de procédure pénale à l’égard des personnes occupant les plus hauts postes de l’État (legge n. 140 – disposizioni per l’attuazione dell’articolo 68 della Costituzione nonché in materia di processi penali nei confronti delle alte cariche dello Stato), du 20 juin 2003 (GURI n° 142, du 21 juin 2003), prévoit ce qui suit:
«L’article 68, premier alinéa, de la Constitution s’applique en tout état de cause pour la présentation de projets ou de propositions de loi, d’amendements, d’ordres du jour, de motions et de résolutions, pour les questions et les interventions au sein des assemblées et des autres organes des chambres, pour toute expression du vote formulée, pour tout autre acte parlementaire, pour toute activité d’inspection, de divulgation, de critique et de dénonciation politique, connexes à la fonction de
député, exercées également à l’extérieur du parlement.»
Le litige au principal et la question préjudicielle
10 M. Patriciello est poursuivi, dans le cadre d’une procédure pénale engagée devant le Tribunale di Isernia, pour avoir accusé à tort de comportement illégal un agent de la police municipale de Pozzili (Italie) au cours d’une altercation, ayant eu lieu le 1^er août 2007, sur un parking public situé non loin d’un institut neurologique et à proximité de son lieu de résidence.
11 Il ressort de la décision de renvoi que M. Patriciello doit répondre, à cet égard, du délit de dénonciation calomnieuse prévu à l’article 368 du code pénal italien, avec la circonstance aggravante de l’avoir commis à l’égard d’un officier public dans l’exercice de ses fonctions au sens de l’article 61, paragraphe 10, de ce code. Les faits qui lui sont reprochés sont d’avoir affirmé que l’agent de la police municipale en cause avait falsifié les horaires en verbalisant plusieurs
automobilistes dont les véhicules étaient garés en infraction au code de la route et, partant, d’avoir accusé l’agent en question du délit de faux en écriture réprimé par l’article 477 dudit code. M. Patriciello aurait en outre réitéré ses allégations en présence de gendarmes intervenus sur les lieux afin de vérifier la réalité des infractions que M. Patriciello reprochait à l’agent de la police municipale.
12 Par décision du 5 mai 2009, le Parlement européen, faisant suite à la demande de M. Patriciello au titre de l’article 6, paragraphe 3, de son règlement intérieur, a décidé, conformément au rapport de sa commission des affaires juridiques, de défendre l’immunité et les privilèges de ce dernier (ci-après la «décision de défense de l’immunité»). Ce rapport était motivé comme suit:
«En fait, dans ses déclarations, M. Patriciello s’était borné à émettre des commentaires sur des faits relevant du domaine public, à savoir le droit des citoyens à accéder facilement à un hôpital et à des soins de santé, ce qui a des incidences importantes sur la vie quotidienne de ses administrés.
M. [...] Patriciello n’a pas agi dans son propre intérêt, il n’a pas cherché à insulter la fonctionnaire mais il est intervenu dans l’intérêt général de ses électeurs, dans le cadre de ses activités politiques.
Ce faisant, il s’est acquitté de son devoir en tant que député au Parlement européen en exprimant son opinion sur une question d’intérêt public auprès de ses électeurs.
[...]
Sur la base des considérations qui précèdent, la commission des affaires juridiques, après avoir examiné les raisons en faveur ou à l’encontre de la défense de l’immunité, recommande que l’immunité de M. [...] Patriciello soit défendue.»
13 Dans sa décision de renvoi, le Tribunale di Isernia constate cependant que, en vertu de l’article 9, premier alinéa, sous a), du protocole, les députés européens bénéficient, pour ce qui concerne les faits commis sur le territoire national, des immunités et des privilèges dans les mêmes conditions de fond et de forme que celles prévues par le droit national. Or, selon l’article 68 de la Constitution italienne, le privilège de l’irresponsabilité ne s’étendrait aux activités
extraparlementaires que si elles sont étroitement liées à l’exercice des fonctions typiques et des finalités propres du mandat parlementaire.
14 Dans ces conditions, ladite juridiction estime que, sans préjudice de toute appréciation du caractère fondé ou non de l’accusation, elle ne peut, sur la base de son droit national, partager les raisons qui ont conduit le Parlement européen à adopter la décision de défense de l’immunité. En effet, la circonstance se trouvant à l’origine de la procédure pénale au principal ne serait liée à aucune expression d’opinions dans l’exercice des fonctions de député européen.
15 À cet égard, cette juridiction relève que, selon le ministère public, l’argument selon lequel M. Patriciello se serait limité à commenter des faits notoires, à savoir le droit des citoyens d’accéder aisément aux hôpitaux et aux soins de santé, sans intention d’insulter un officier public, semble dénué de fondement. En effet, M. Patriciello, même si cela reste à vérifier, aurait expressément accusé de faux en écriture un officier public en présence des forces de l’ordre. Or, un tel
comportement s’écarterait, à première vue, de l’intérêt général de ses électeurs et, comme tel, ne semblerait pas, même dans l’absolu, susceptible de relever du régime de l’immunité.
16 Toutefois, le Tribunale di Isernia observe que la décision de défense de l’immunité a été adoptée après avoir rappelé non seulement l’article 9, premier alinéa, sous a), du protocole, mais également l’article 8 de celui-ci. Or, la Cour aurait déjà jugé que, cette disposition ne faisant aucun renvoi aux droits nationaux, l’étendue de l’immunité prévue par celle-ci devrait être établie sur la base du seul droit de l’Union. En outre, même si la décision de défense de l’immunité constitue un
avis ne produisant pas d’effets contraignants à l’égard des juridictions nationales, la juridiction de renvoi serait tenue à une obligation de coopération loyale avec les institutions européennes en vertu des articles 4, paragraphe 3, TUE et 18 du protocole (arrêt du 21 octobre 2008, Marra, C‑200/07 et C‑201/07, Rec. p. I‑7929, points 26 et 39 à 41).
17 Dans ces conditions, le Tribunale di Isernia a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«Le fait délictueux allégué, imputé au député européen [M.] Patriciello (décrit dans le réquisitoire du ministère public et ayant déjà fait l’objet de la décision de défense de l’immunité [...]), qualifié de dénonciation calomnieuse au titre de l’article 368 du code pénal, constitue-t-il une opinion exprimée dans l’exercice de ses fonctions parlementaires en vertu de l’article [8] du protocole?»
Sur la question préjudicielle
18 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, ainsi que la Cour l’a déjà constaté, l’immunité parlementaire des députés européens, telle que prévue aux articles 8 et 9 du protocole, comprend les deux formes de protection habituellement reconnues aux membres des parlements nationaux des États membres, à savoir l’immunité en raison des opinions et des votes exprimés dans l’exercice des fonctions parlementaires ainsi que l’inviolabilité parlementaire, comportant, en principe, une protection
contre les poursuites judiciaires (voir arrêt Marra, précité, point 24).
19 Ainsi qu’il ressort du libellé même de la question posée, est seule pertinente dans le litige au principal l’interprétation de l’article 8 du protocole.
20 À cet égard, il y a lieu de constater, à l’instar du gouvernement italien, que, par sa question telle que libellée, la juridiction de renvoi demande à la Cour d’appliquer elle-même l’article 8 du protocole au litige dont elle est saisie, en se prononçant sur le point de savoir si les déclarations du député européen concerné qui ont donné lieu aux poursuites pénales au principal constituent une opinion exprimée dans l’exercice de ses fonctions parlementaires et, partant, relèvent de
l’immunité prévue à cette disposition.
21 Il convient de rappeler que, dans le cadre d’une procédure introduite en vertu de l’article 267 TFUE, la Cour n’a pas compétence pour appliquer les règles du droit de l’Union à une espèce déterminée. Elle peut toutefois fournir à la juridiction nationale tous éléments d’interprétation relevant du droit de l’Union qui pourraient lui être utiles pour sa décision (voir, notamment, arrêt du 10 juillet 2008, Feryn, C‑54/07, Rec. p. I‑5187, point 19 et jurisprudence citée).
22 Dans une affaire telle que celle au principal, il appartient dès lors à la juridiction de renvoi de décider si les déclarations en cause relèvent de l’immunité prévue à l’article 8 du protocole, en appréciant si les conditions de fond édictées à cette disposition pour la mise en œuvre de cette immunité sont remplies (voir arrêt Marra, précité, point 33).
23 En revanche, il incombe à la Cour de lui fournir toutes les indications nécessaires en vue de la guider dans cette appréciation, en reformulant, le cas échéant, la question qui lui est soumise (voir, notamment, arrêts du 11 mars 2008, Jager, C‑420/06, Rec. p. I‑1315, point 46, et du 14 octobre 2010, Fuß, C‑243/09, non encore publié au Recueil, point 39).
24 Or, à cet égard, il ressort du dossier soumis à la Cour que la juridiction de renvoi vise, en réalité, par sa question, à préciser les critères pertinents pour déterminer si une déclaration telle que celle en cause au principal, effectuée par un député européen en dehors de l’enceinte du Parlement européen et qui a donné lieu à des poursuites pénales dans son État membre d’origine au titre du délit de dénonciation calomnieuse, constitue une opinion exprimée dans l’exercice de ses fonctions
parlementaires au sens de l’article 8 du protocole.
25 Sur ce point, il y a lieu de souligner que, contrairement à l’inviolabilité parlementaire prévue à l’article 9, premier alinéa, sous a), du protocole, qui dépend du droit national, l’étendue de l’immunité prévue à l’article 8 du protocole doit être établie, en l’absence de renvoi aux droits nationaux, sur la seule base du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt Marra, précité, point 26).
26 Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, l’article 8 du protocole, qui constitue une disposition spéciale applicable à toute procédure judiciaire pour laquelle le député européen bénéficie de l’immunité en raison des opinions et des votes exprimés dans l’exercice des fonctions parlementaires, vise à protéger la libre expression et l’indépendance des députés européens, de sorte qu’elle fait obstacle à toute procédure judiciaire en raison de tels opinions et votes (voir, en ce sens, arrêt Marra,
précité, points 27 et 45).
27 Il s’ensuit que, quels que soient le régime d’immunité prévu par le droit national ou les limites énoncées par celui-ci, lorsque les conditions de fond pour reconnaître l’immunité édictée à l’article 8 du protocole sont remplies, celle-ci ne peut pas être levée par le Parlement européen et la juridiction nationale compétente pour l’appliquer est tenue d’écarter l’action diligentée contre le député européen concerné (voir, en ce sens, arrêt Marra, précité, point 44).
28 Ainsi que l’ont soutenu tous les intéressés ayant fait valoir leurs observations dans le cadre de la présente affaire, les déclarations d’un député européen ne sauraient se voir priver du bénéfice de cette immunité du seul fait qu’elles ont été effectuées en dehors de l’enceinte du Parlement européen.
29 Certes, l’article 8 du protocole, eu égard à son objectif consistant à protéger la libre expression et l’indépendance des députés européens, et à son libellé, qui se réfère expressément, outre aux opinions, aux votes émis par les députés européens, a essentiellement vocation à s’appliquer aux déclarations effectuées par ces derniers dans l’enceinte même du Parlement européen.
30 Toutefois, il n’est pas exclu qu’une déclaration effectuée par de tels députés en dehors de cette enceinte puisse constituer une opinion exprimée dans l’exercice de leurs fonctions au sens de l’article 8 du protocole, l’existence d’une telle opinion étant fonction non pas du lieu où une déclaration a été effectuée, mais bien de sa nature et de son contenu.
31 En se référant aux opinions exprimées par les députés européens, l’article 8 du protocole est étroitement lié à la liberté d’expression. Or, la liberté d’expression, en tant que fondement essentiel d’une société démocratique et pluraliste reflétant les valeurs sur lesquelles l’Union, conformément à l’article 2 TUE, est fondée, constitue un droit fondamental garanti par l’article 11 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, laquelle, en vertu de l’article 6, paragraphe 1,
TUE, a la même valeur juridique que les traités. Cette liberté est également consacrée à l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950.
32 Dès lors, il y a lieu de considérer que la notion d’«opinion» au sens de l’article 8 du protocole doit être comprise dans un sens large, comme recouvrant les propos ou les déclarations qui, par leur contenu, correspondent à des assertions constitutives d’appréciations subjectives.
33 Il ressort également du libellé de l’article 8 du protocole que, pour être couverte par l’immunité, une opinion doit avoir été émise par un député européen «dans l’exercice de [ses] fonctions», impliquant ainsi l’exigence d’un lien entre l’opinion exprimée et les fonctions parlementaires.
34 S’agissant, comme dans l’affaire au principal, de déclarations d’un député européen faisant l’objet de poursuites pénales dans son État membre d’origine, il y a lieu de constater que l’immunité prévue à l’article 8 du protocole, ainsi qu’il ressort déjà du point 27 du présent arrêt, est susceptible d’empêcher définitivement les autorités judiciaires et les juridictions nationales d’exercer leurs compétences respectives en matière de poursuites et de sanctions des infractions pénales dans le
but d’assurer le respect de l’ordre public sur leur territoire et, corrélativement, de priver ainsi totalement les personnes lésées par ces déclarations de l’accès à la justice, y compris, le cas échéant, en vue d’obtenir devant les juridictions civiles la réparation du dommage subi.
35 Compte tenu de ces conséquences, il convient d’admettre que le lien entre l’opinion exprimée et les fonctions parlementaires doit être direct et s’imposer avec évidence.
36 Il convient, également, de considérer que, compte tenu des descriptions des conditions et du contenu des allégations du député européen en cause au principal, ceux-ci apparaissent relativement éloignés des fonctions d’un membre du Parlement européen et, par conséquent, sont difficilement susceptibles de présenter un lien direct avec un intérêt général préoccupant les citoyens. Ainsi, même si un tel lien pouvait être établi, il ne saurait s’imposer avec évidence.
37 C’est au regard de ces indications qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’apprécier, ce qui relève, ainsi qu’il a été rappelé aux points 21 et 22 du présent arrêt, de sa compétence exclusive, si la déclaration en cause dans l’affaire au principal peut être considérée comme l’expression d’une opinion dans l’exercice des fonctions parlementaires, de sorte que les conditions de fond pour reconnaître l’immunité prévue à l’article 8 du protocole sont remplies.
38 Si, au terme de cette appréciation, cette juridiction devait constater que tel est le cas, elle ne pourrait que tirer les conséquences de cette immunité en écartant, ainsi qu’il a été indiqué au point 27 du présent arrêt, l’action diligentée contre le député européen concerné (voir arrêt Marra, précité, points 33 et 44). Dans le cas contraire, en revanche, les conditions de fond de l’immunité n’étant pas remplies, ladite juridiction devrait poursuivre l’examen de l’action.
39 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, même si, comme dans l’affaire au principal, le Parlement européen, à la suite de la demande du député européen concerné, a adopté une décision de défense de l’immunité de ce dernier, cette décision, adoptée conformément à son règlement intérieur, constitue uniquement un avis qui ne produit aucun effet contraignant à l’égard des juridictions nationales, le protocole ne comportant aucune disposition prévoyant l’obligation pour ces dernières de remettre
audit Parlement la décision sur l’existence des conditions prévues à son article 8. Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, la circonstance que le droit d’un État membre, comme celui en cause au principal, prévoit une procédure de défense des membres du parlement national, permettant à celui-ci d’intervenir lorsque la juridiction nationale ne reconnaît pas cette immunité, n’implique pas la reconnaissance des mêmes pouvoirs au Parlement européen à l’égard des députés européens provenant de cet État,
l’article 8 du protocole ne prévoyant pas expressément une telle compétence et ne renvoyant pas aux règles de droit national (voir, en ce sens, arrêt Marra, précité, points 35 à 40).
40 En conséquence, contrairement à ce que le défendeur au principal a fait valoir lors de l’audience, si le Parlement européen et les juridictions nationales doivent certes, en vertu de l’obligation de coopération loyale entre les institutions européennes et les autorités nationales, telle que consacrée aux articles 4, paragraphe 3, TUE et 18 du protocole, coopérer aux fins d’éviter tout conflit dans l’interprétation et l’application des dispositions du protocole (arrêt Marra, précité, point
42), le droit de l’Union n’impose à la juridiction de renvoi aucune obligation particulière en ce qui concerne la motivation de ses décisions pour le cas où, tenant compte de l’interprétation fournie par le présent arrêt rendu en application de l’article 267 TFUE, elle déciderait de s’écarter de l’avis fourni par le Parlement européen, dont elle avait été informée, concernant l’application de l’article 8 du protocole aux faits au principal.
41 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la question posée que l’article 8 du protocole doit être interprété en ce sens qu’une déclaration effectuée par un député européen en dehors du Parlement européen ayant donné lieu à des poursuites pénales dans son État membre d’origine au titre du délit de dénonciation calomnieuse ne constitue une opinion exprimée dans l’exercice des fonctions parlementaires relevant de l’immunité prévue à cette disposition que lorsque cette déclaration
correspond à une appréciation subjective qui présente un lien direct et évident avec l’exercice de telles fonctions. Il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si ces conditions sont remplies dans l’affaire au principal.
Sur les dépens
42 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:
L’article 8 du protocole sur les privilèges et immunités de l’Union européenne, annexé aux traités UE, FUE et CEEA, doit être interprété en ce sens qu’une déclaration effectuée par un député européen en dehors du Parlement européen ayant donné lieu à des poursuites pénales dans son État membre d’origine au titre du délit de dénonciation calomnieuse ne constitue une opinion exprimée dans l’exercice des fonctions parlementaires relevant de l’immunité prévue à cette disposition que lorsque cette
déclaration correspond à une appréciation subjective qui présente un lien direct et évident avec l’exercice de telles fonctions. Il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si ces conditions sont remplies dans l’affaire au principal.
Signatures
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* Langue de procédure: l’italien.