CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. PAOLO MENGOZZI
présentées le 6 septembre 2011 ( 1 )
Affaire C-249/10 P
Brosmann Footwear (HK) Ltd,
Seasonable Footwear (Zhongshan) Ltd,
Lung Pao Footwear (Guangzhou) Ltd,
Risen Footwear (HK) Co. Ltd
contre
Conseil de l’Union européenne
«Pourvoi — Politique commerciale commune — Dumping — Articles 2, paragraphe 7, 3, paragraphe 7, 5, paragraphe 4, 9, paragraphes 5 et 6, 17, paragraphe 3, du règlement (CE) no 384/96 — Importations de certaines chaussures à dessus en cuir originaires de la République populaire de Chine et du Viêt Nam — Statut d’entreprise évoluant dans les conditions d’une économie de marché — Traitement individuel — Méthode de l’échantillonnage — Coopération de l’industrie de l’Union»
I – Introduction
1. Par leur pourvoi, Brosmann Footwear (HK) Ltd, Seasonable Footwear (Zhongshan) Ltd, Lung Pao Footwear (Guangzhou) Ltd et Risen Footwear (HK) Co. Ltd (ci-après, ensemble, «Brosmann Footwear e.a.») demandent à la Cour d’annuler l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 4 mars 2010, Brosmann Footwear (HK) e.a./Conseil ( 2 ) (ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté leur recours en annulation partielle dirigé contre le règlement (CE) no 1472/2006 du Conseil, du 5 octobre 2006,
instituant un droit antidumping définitif et portant perception définitive du droit provisoire institué sur les importations de certaines chaussures à dessus en cuir originaires de la République populaire de Chine et du Viêt Nam ( 3 ) (ci-après le «règlement définitif»).
2. Pour l’essentiel, l’intérêt de la présente affaire porte sur l’articulation de certaines dispositions du règlement (CE) no 384/96 du Conseil, du 22 décembre 1995, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne ( 4 ), tel que modifié par le règlement (CE) no 461/2004 du Conseil, du 8 mars 2004 ( 5 ) (ci-après le «règlement de base»).
3. En substance, le pourvoi invite notamment à examiner la portée de l’article 17 du règlement de base qui accorde à la Commission européenne la possibilité de limiter son enquête à un échantillon représentatif des exportateurs ou des producteurs du pays tiers concerné et de ne pas examiner les demandes de calcul de «marge de dumping individuelle» formulées par des entreprises ne figurant pas dans l’échantillon, mais ayant présenté les renseignements nécessaires dans les délais impartis, «dans le
cas où le nombre d’exportateurs ou de producteurs est si important que des examens individuels compliqueraient indûment la tâche et empêcheraient d’achever l’enquête en temps utile».
4. À cet égard, il s’agit plus particulièrement de vérifier si le Tribunal a jugé à bon droit que, sur la base de l’article 17, paragraphe 3, du règlement de base, la Commission était également habilitée, au vu du nombre d’exportateurs ou de producteurs concernés, à refuser d’examiner les demandes d’octroi du statut d’entreprise évoluant dans les conditions d’une économie de marché (ci-après le «SEM»), régies par l’article 2, paragraphe 7, sous b) et c), du règlement de base ainsi que les demandes
dites «de traitement individuel» (ci-après le «TI»), visées à l’article 9, paragraphe 5, de ce même règlement, introduites par les exportateurs ou les producteurs qui n’ont pas été retenus dans l’échantillon.
II – Les antécédents du litige et l’arrêt attaqué
5. Les parties requérantes au pourvoi, à savoir Brosmann Footwear e.a., sont des sociétés productrices et exportatrices de chaussures établies en Chine.
6. À la suite d’une plainte déposée le 30 mai 2005 par la Confédération européenne de l’industrie de la chaussure (CEC), la Commission a ouvert une procédure antidumping concernant les importations de certaines chaussures à dessus en cuir originaires de la République populaire de Chine et du Viêt Nam. L’avis d’ouverture de cette procédure a été publié au Journal officiel de l’Union européenne du 7 juillet 2005 ( 6 ) (ci-après l’«avis d’ouverture»).
7. Compte tenu du nombre important apparent de parties concernées par cette procédure, il était envisagé, au point 5.1, sous a), de l’avis d’ouverture, de recourir à la technique de l’échantillonnage, conformément à l’article 17 du règlement de base.
8. L’avis d’ouverture indiquait également à son point 5.1, sous b), que les producteurs-exportateurs sollicitant le calcul d’une marge individuelle en vue de l’application des articles 17, paragraphe 3, et 9, paragraphe 6, du règlement de base devaient renvoyer un questionnaire dûment rempli dans le délai fixé par ledit avis, à savoir dans les quarante jours à compter de la date de publication de l’avis au Journal officiel de l’Union européenne.
9. Le point 5.1, sous e), de l’avis d’ouverture, intitulé «statut de société opérant dans les conditions d’une économie de marché», précisait que la valeur normale des chaussures à dessus en cuir mises en vente par des producteurs estimant opérer dans de telles conditions, conformément à l’article 2, paragraphe 7, point c), du règlement de base, serait déterminée conformément à l’article 2, paragraphe 7, sous b), de ce même règlement. Les producteurs qui avaient l’intention de présenter une demande
SEM étaient requis de s’assurer que leurs demandes parviennent à la Commission dans le délai spécifique indiqué au point 6, sous d), de l’avis d’ouverture, à savoir dans les quinze jours suivant la publication dudit avis.
10. Conformément au point 6, sous d), de l’avis d’ouverture, ce même délai s’appliquait aussi aux demandes de TI introduites conformément à l’article 9, paragraphe 5, du règlement de base.
11. Brosmann Footwear e.a. ont pris contact avec la Commission en lui fournissant, dans les délais requis, les informations mentionnées au point 5.1, sous a), i), et sous e), de l’avis d’ouverture afin de faire partie de l’échantillon des producteurs-exportateurs que cette institution se proposait d’établir selon l’article 17 du règlement de base et afin de se voir octroyer le SEM ou, à défaut, de bénéficier du TI.
12. Le 23 mars 2006, la Commission a adopté le règlement (CE) no 553/2006, instituant un droit antidumping provisoire sur les importations de certaines chaussures à dessus en cuir originaires de la République populaire de Chine et du Viêt Nam ( 7 ) (ci-après le «règlement provisoire»).
13. Selon le neuvième considérant du règlement provisoire, l’enquête relative au dumping et au préjudice a couvert la période comprise entre le 1er avril 2004 et le 31 mars 2005 (ci-après la «période d’enquête»). L’examen des tendances utiles à l’appréciation du préjudice a porté sur la période allant du 1er janvier 2001 au 31 mars 2005.
14. Compte tenu de la nécessité d’établir une valeur normale pour ce qui concerne les produits des producteurs-exportateurs chinois et vietnamiens auxquels le SEM pouvait ne pas être accordé, une visite de vérification destinée à établir la valeur normale sur la base de données concernant un pays analogue, en l’occurrence la République fédérative du Brésil, a été effectuée dans les locaux de trois sociétés brésiliennes (huitième considérant du règlement provisoire).
15. Dans le cadre de la détermination du dumping, la Commission a eu recours à la technique d’échantillonnage. Selon le cinquante-cinquième considérant du règlement provisoire, parmi les producteurs-exportateurs chinois qui se sont manifestés afin d’être inclus dans l’échantillon, 154 ont exporté vers la Communauté européenne pendant la période d’enquête. Selon ce même considérant, ces sociétés ont été considérées, dans un premier temps, comme ayant coopéré et ont été prises en compte aux fins de la
constitution de l’échantillon.
16. Il résulte du cinquante-septième considérant du règlement provisoire que la Commission a finalement retenu un échantillon comprenant treize producteurs-exportateurs chinois représentant plus de 20 % du volume des exportations chinoises vers la Communauté. Il ressort des soixante-septième à soixante-neuvième considérants du règlement provisoire que les demandes d’octroi du SEM de ces producteurs-exportateurs ont toutes été rejetées par la Commission. Selon les quatre-vingt-onzième à
quatre-vingt-quatorzième considérants du règlement provisoire, les demandes de TI de ces producteurs-exportateurs ont également toutes été écartées.
17. Conformément au soixante-deuxième considérant du règlement provisoire, les producteurs-exportateurs non retenus dans l’échantillon ont été informés que tout droit antidumping les concernant serait calculé selon les dispositions de l’article 9, paragraphe 6, du règlement de base. Aux termes du soixante-quatrième considérant du règlement provisoire, quatre producteurs-exportateurs chinois non retenus dans l’échantillon ont sollicité le calcul d’une marge de dumping individuelle selon les
articles 9, paragraphe 6, et 17, paragraphe 3, du règlement de base. Ces demandes n’ont toutefois pas été examinées dans la mesure où la Commission a estimé, en application de l’article 17, paragraphe 3, du règlement de base, qu’un tel examen individuel compliquerait indûment sa tâche et l’empêcherait d’achever l’enquête en temps utile. Dans ces conditions, la marge de dumping de ces producteurs-exportateurs a été déterminée en établissant la moyenne pondérée des marges de dumping des sociétés
constituant l’échantillon (cent trente-cinquième et cent quarante-troisième considérants du règlement provisoire).
18. En ce qui concerne la définition de l’industrie communautaire, la Commission a relevé, au cent cinquantième considérant du règlement provisoire, que les plaignants représentaient 42 % de la production communautaire totale du produit concerné. Selon les soixante-cinquième et cent cinquante et unième considérants du règlement provisoire, la Commission a sélectionné un échantillon de dix producteurs communautaires établi sur la base du volume de production et de l’implantation de ceux-ci. Les
producteurs inclus dans l’échantillon représenteraient 10 % de la production des plaignants. Ainsi, il a été considéré que les 814 producteurs communautaires au nom desquels avait été déposée la plainte constituaient «l’industrie communautaire» au sens de l’article 5, paragraphe 4, du règlement de base (cent cinquante-deuxième considérant du règlement provisoire).
19. En ce qui concerne l’identité des producteurs communautaires retenus dans l’échantillon, la Commission a relevé que certains d’entre eux avaient, dans la Communauté, des clients qui s’approvisionnaient aussi en Chine et au Viêt Nam et qui bénéficiaient donc directement des importations en cause. Lesdits producteurs se trouveraient par conséquent dans «une situation délicate», certains de leurs clients étant susceptibles de leur tenir rigueur d’avoir déposé ou soutenu une plainte portant sur des
pratiques présumées de dumping préjudiciable. Ces producteurs estimaient donc qu’ils pouvaient être la «cible de représailles» de la part de certains de leurs clients, qui pouvaient éventuellement aller jusqu’à mettre fin à leurs relations commerciales. La Commission a donc fait droit à la demande de traitement confidentiel des sociétés retenues dans l’échantillon en ce qui concerne la divulgation de leur nom (huitième considérant du règlement provisoire).
20. Le 5 octobre 2006, le Conseil de l’Union européenne a adopté le règlement définitif. En vertu de ce règlement, le Conseil a institué un droit antidumping définitif sur les importations de chaussures à dessus en cuir naturel ou reconstitué, à l’exclusion des chaussures de sport, des STAF, des pantoufles et d’autres chaussures d’intérieur et de chaussures avec coquille de protection originaires de Chine et relevant de plusieurs codes de la nomenclature combinée (article 1er du règlement
définitif).
21. En ce qui concerne la représentativité de l’échantillon des producteurs chinois, le Conseil a souligné, au quarante-quatrième considérant du règlement définitif, que les entreprises en faisant partie représentaient plus de 12 % des exportations vers la Communauté provenant des producteurs ayant coopéré à l’enquête. Dès lors que l’article 17 du règlement de base ne prévoirait pas de seuil concernant le niveau de représentativité, l’échantillon constitué serait représentatif au sens de cette
disposition.
22. Selon le soixante-douzième considérant du règlement définitif, le Conseil a décidé d’accorder le SEM à l’un des producteurs-exportateurs retenus dans l’échantillon, à savoir l’entreprise Golden Step, eu égard au changement dans les circonstances relatives à cette société.
23. Selon l’article 1er, paragraphe 3, du règlement définitif, le taux de droit antidumping définitif applicable au prix net franco frontière communautaire, avant dédouanement, a été établi à 16,5 %, pour les chaussures issues de la production des onze sociétés chinoises retenues dans l’échantillon, mais auxquelles le SEM a été refusé. Ce taux a été fixé à 9,7 % pour Golden Step. Selon l’article 3 du règlement définitif, ces taux étaient applicables pendant une période de deux ans.
24. En ce qui concerne les questions liées aux demandes formulées par plusieurs sociétés visant l’octroi du SEM et/ou d’un TI, sur lesquelles la Commission ne s’était pas prononcée, le Conseil a décidé que le fait que la Commission n’ait pas répondu individuellement à chaque demande qui lui avait été présentée à cet égard ne constituait pas une violation du règlement de base.
25. Le taux de droit antidumping applicable aux chaussures issues de la production de ces sociétés, y compris Brosmann Footwear e.a., a été fixé à 16,5 %.
26. S’agissant de l’échantillon des producteurs communautaires, le Conseil a rejeté, aux cinquante-troisième à cinquante-neuvième considérants du règlement définitif, l’ensemble des griefs mettant en cause sa représentativité et, dès lors, a confirmé les appréciations que la Commission avait effectuées dans le règlement provisoire.
27. S’agissant de la définition de l’industrie communautaire, le Conseil a souligné, au cent cinquante-septième considérant du règlement définitif, qu’aucun des plaignants n’avait omis de coopérer à l’enquête. Les questionnaires complets relatifs au préjudice n’auraient été envoyés qu’aux producteurs communautaires retenus dans l’échantillon, ce qui résulterait de la nature même de l’échantillonnage (cent cinquante-huitième considérant du règlement définitif).
28. À l’appui de leur recours en annulation partielle du règlement définitif devant le Tribunal, Brosmann Footwear e.a. ont soulevé huit moyens. Parmi ces moyens figuraient ceux tirés, premièrement, de la violation des articles 2, paragraphe 7, sous b), et 9, paragraphe 5, du règlement de base, ainsi que de la violation des principes d’égalité de traitement et de protection de la confiance légitime, deuxièmement, de la violation des articles 2, paragraphe 7, sous c), et 18 du règlement de base ainsi
que de la violation des droits de la défense, troisièmement, d’une erreur manifeste d’appréciation et de la violation de l’article 5, paragraphe 4, du règlement de base, quatrièmement, d’une erreur manifeste d’appréciation ainsi que de la violation de l’article 3, paragraphe 2, du règlement de base et de l’article 253 CE et, cinquièmement, d’une erreur manifeste d’appréciation et de la violation de l’article 3, paragraphe 2, du règlement de base.
29. Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté l’ensemble de ces moyens et a condamné Brosmann Footwear e.a. aux dépens de la procédure de première instance.
III – La procédure devant la Cour et les conclusions des parties
30. Le 18 mai 2010, Brosmann Footwear e.a. ont introduit un pourvoi devant la Cour contre l’arrêt attaqué.
31. Brosmann Footwear e.a. concluent à ce qu’il plaise à la Cour:
— annuler l’arrêt attaqué, dans la mesure où le Tribunal n’a pas annulé le règlement définitif et dans la mesure où il les a condamnées aux dépens de la procédure devant le Tribunal;
— adopter une décision finale et annuler le règlement définitif, et
— condamner le Conseil aux dépens de l’instance et de la procédure devant le Tribunal.
32. Dans son mémoire en réponse, le Conseil conclut à ce qu’il plaise à la Cour:
— rejeter le pourvoi;
— à titre subsidiaire, renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et
— à titre plus subsidiaire, rejeter le recours et, en tout état de cause, condamner Brosmann Footwear e.a. aux dépens de l’instance.
33. Dans son mémoire en réponse, la Commission invite la Cour à rejeter le pourvoi et à condamner Brosmann Footwear e.a. aux dépens exposés par la Commission.
IV – Analyse
34. À l’appui de leur pourvoi, Brosmann Footwear e.a. invoquent, en substance, cinq moyens qui se rapportent aux cinq moyens soulevés en première instance énumérés au point 28 des présentes conclusions.
35. Les deux premiers moyens du pourvoi sont essentiellement tirés d’erreurs de droit qu’aurait commises le Tribunal dans l’interprétation du règlement de base selon laquelle les institutions pourraient être exonérées d’examiner les demandes SEM/TI des producteurs-exportateurs qui ne figurent pas dans l’échantillon. Le troisième moyen du pourvoi est tiré de diverses erreurs de droit et d’une dénaturation des éléments de preuve se rapportant au degré suffisant de coopération de l’industrie
communautaire au cours de l’enquête et au déroulement de cette dernière. Le quatrième moyen du pourvoi est tiré d’une erreur de droit et d’une dénaturation des éléments de preuve quant à l’évaluation du préjudice causé à l’industrie communautaire. Enfin, dans le cinquième moyen du pourvoi, Brosmann Footwear e.a. reprochent au Tribunal d’avoir erré en droit et dénaturé les éléments de preuve relatifs à l’évaluation du lien de causalité entre le dumping et le préjudice subi par l’industrie
communautaire.
A – Sur les premier et deuxième moyens du pourvoi, tirés d’erreurs de droit se rapportant à l’exonération des institutions de l’obligation d’examiner les demandes SEM/TI des producteurs-exportateurs non échantillonnés
36. Avant d’exposer et d’examiner les deux premiers moyens du pourvoi, il importe de rappeler les considérations essentielles ayant conduit le Tribunal à rejeter la thèse de Brosmann Footwear e.a. en première instance selon laquelle, en substance, il incombait aux institutions d’examiner les demandes SEM/TI des producteurs-exportateurs chinois n’ayant pas été inclus dans l’échantillon retenu durant l’enquête antidumping.
1. Considérations du Tribunal
37. Tout d’abord, au point 72 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé que le recours à l’échantillonnage, en tant que technique permettant de faire face au nombre important de plaignants, d’exportateurs, d’importateurs, de types de produits ou de transactions, constituait une limitation de l’enquête, conformément aux articles 17, paragraphes 1 et 3, et 9, paragraphe 6, du règlement de base. Au regard de ces mêmes articles, le Tribunal a précisé que le recours à cette technique de l’échantillonnage
est toutefois sujet au respect de deux obligations, à savoir, d’une part, que l’échantillon constitué soit représentatif et, d’autre part, que la marge de dumping établie pour les producteurs ne faisant pas partie de l’échantillon n’excède pas la marge moyenne pondérée de dumping établie pour les parties constituant l’échantillon (point 73 de l’arrêt attaqué).
38. Le Tribunal a rappelé que ces dispositions donnent à chaque producteur non échantillonné la possibilité de demander le calcul d’une marge de dumping individuelle, à condition qu’il présente tous les renseignements nécessaires dans les délais prévus à cet effet et que cette opération ne complique pas indûment la tâche de la Commission ni n’empêche l’achèvement de l’enquête en temps utile (point 74 de l’arrêt attaqué).
39. Après avoir également exposé le contenu de l’article 2, paragraphe 7, sous b), du règlement de base, le Tribunal a jugé, au point 76 de l’arrêt attaqué, que «les producteurs qui ne font pas partie de l’échantillon ne peuvent demander le calcul d’une marge de dumping individuelle, qui présuppose l’acceptation d’une demande de SEM/TI lorsqu’il s’agit des pays concernés par l’article 2, paragraphe 7, sous b), du règlement de base, que sur la base de l’article 17, paragraphe 3, de ce règlement.
Toutefois, cette dernière disposition donne à la Commission le pouvoir d’apprécier si, eu égard au nombre de demandes de SEM/TI, leur examen compliquerait indûment sa tâche et empêcherait l’achèvement de l’enquête en temps utile».
40. Le Tribunal en a déduit que, premièrement, en cas de recours à la technique de l’échantillonnage, le règlement de base n’octroie pas aux opérateurs ne faisant pas partie de l’échantillon un droit inconditionnel à bénéficier du calcul d’une marge de dumping individuelle, l’acceptation d’une telle demande dépendant en effet de la décision de la Commission relative à l’application de l’article 17, paragraphe 3, du règlement de base (point 77 de l’arrêt attaqué). Deuxièmement, l’octroi du SEM ou
d’un TI ne servant, conformément à l’article 2, paragraphe 7, sous b), du règlement de base, qu’à déterminer la méthode de calcul de la valeur normale en vue d’un calcul des marges de dumping individuelles, la Commission n’était pas tenue d’examiner les demandes de SEM/TI provenant des opérateurs ne faisant pas partie de l’échantillon, lorsqu’elle a conclu, dans le cadre de l’application de l’article 17, paragraphe 3, du règlement de base, que le calcul de telles marges compliquerait indûment sa
tâche et l’empêcherait d’achever l’enquête en temps utile (point 78 de l’arrêt attaqué) et, troisièmement, en l’espèce, il n’était pas contesté que le calcul des marges de dumping individuelles pour l’ensemble des opérateurs ne faisant pas partie de l’échantillon et ayant formulé des demandes en ce sens aurait indûment compliqué la tâche des institutions et empêché l’achèvement de l’enquête en temps utile (point 79 de l’arrêt attaqué).
41. Le Tribunal en a conclu que l’argumentation de Brosmann Footwear e.a., selon laquelle l’article 2, paragraphe 7, sous b) et c), du règlement de base obligeait la Commission à examiner les demandes de SEM/TI provenant des opérateurs ne faisant pas partie de l’échantillon, y compris lorsqu’une marge de dumping individuelle ne leur serait pas appliquée, devait être rejetée (point 80 de l’arrêt attaqué).
42. Le Tribunal a également écarté leur argument tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement, d’une part, entre les sociétés appartenant à l’échantillon et celles n’y appartenant pas au motif que ces deux catégories de sociétés se trouvaient dans des situations différentes (point 81 de l’arrêt attaqué) et, d’autre part, entre les sociétés ne faisant pas partie de l’échantillon, parmi celles qui auraient «mérité» le SEM ou un TI et celles dont la demande de SEM ou de TI aurait de toute
manière était rejetée, au motif que, eu égard à la marge d’appréciation accordée par l’article 17, paragraphe 3, du règlement de base, la Commission n’était pas tenue de se prononcer sur l’ensemble des demandes SEM/TI (points 83 à 85 de l’arrêt attaqué).
43. Concernant le non-respect du délai de trois mois prévu à l’article 2, paragraphe 7, sous c), du règlement de base pour statuer sur une demande SEM, le Tribunal a jugé, au point 92 de l’arrêt attaqué, que, à la lumière de ses appréciations antérieures selon lesquelles «la Commission n’avait pas commis d’erreur en s’abstenant d’examiner les demandes SEM/TI» de Brosmann Footwear e.a., ces sociétés n’étaient «pas fondées à invoquer le dépassement du[dit] délai […] dès lors que ce délai concern[ait]
les cas dans lesquels la Commission [était] tenue d’examiner lesdites demandes».
2. Arguments des parties
44. Dans le cadre de leur premier moyen, Brosmann Footwear e.a. critiquent l’appréciation du Tribunal exposée au point 78 de l’arrêt attaqué selon laquelle les institutions n’étaient pas tenues d’examiner leurs demandes de SEM/TI. À cet égard, Brosmann Footwear e.a. soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, au même point dudit arrêt, que l’octroi du SEM ou d’un TI ne sert qu’à déterminer la méthode de calcul de la valeur normale en vue d’un calcul des marges de dumping
individuelles.
45. En procédant de la sorte, le Tribunal aurait erronément réduit, aux points 76 à 85 de l’arrêt attaqué, la demande de SEM/TI de Brosmann Footwear e.a. à une demande de calcul de marge de dumping individuelle au sens de l’article 17 du règlement de base. Or, Brosmann Footwear e.a. n’auraient pas sollicité un calcul de marges de dumping individuelles ni d’un taux de droits individuels. Elles auraient en revanche demandé la reconnaissance du fait qu’elles opèrent dans une «Chine connaissant une
économie de marché» et dès lors que le taux du droit moyen pondéré applicable aux producteurs opérant dans une «Chine connaissant une économie de marché» (c’est-à-dire ceux bénéficiant d’un SEM ou d’un TI inclus dans l’échantillon) leur soit accordé. En l’occurrence, Brosmann Footwear e.a. précisent que tous les producteurs non inclus dans l’échantillon, mais qui «méritaient» l’octroi du SEM auraient dû se voir accorder un droit antidumping égal à celui reconnu à Golden Step (9,7 %), seule
société de l’échantillon ayant bénéficié du SEM et non du droit moyen pondéré de l’ensemble des entreprises ayant été retenues dans l’échantillon (16,5 %). Reconnaître que les institutions peuvent procéder autrement reviendrait à méconnaître le principe d’égalité de traitement.
46. Partant, selon Brosmann Footwear e.a., le Tribunal ne pouvait juger qu’il était loisible aux institutions de ne pas examiner les demandes SEM/TI en recourant à la justification, applicable aux demandes de calcul de marge de dumping individuelle, selon laquelle le nombre de demandes était si important que leur examen les auraient empêchées d’achever l’enquête en temps utile.
47. Quant au deuxième moyen de leur pourvoi, Brosmann Footwear e.a. font en premier lieu valoir que le Tribunal aurait méconnu l’article 2, paragraphe 7, sous c), du règlement de base en considérant, au point 92 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’était pas tenue de respecter le délai impératif maximal de trois mois prévu audit article pour examiner les demandes SEM/TI des entreprises non échantillonnées.
48. En second lieu, Brosmann Footwear e.a. affirment que le Tribunal aurait violé son obligation de motivation en n’indiquant pas les raisons pour lesquelles il n’a pas examiné l’allégation selon laquelle les institutions auraient violé l’article 2, paragraphe 7, sous c), du règlement de base en ne se prononçant pas sur le SEM et/ou le TI des producteurs chinois faisant partie de l’échantillon, dans les trois mois à compter de l’ouverture de l’enquête.
49. Le Conseil et la Commission proposent de rejeter ces deux moyens du pourvoi.
50. Selon le Conseil, le Tribunal a, à juste titre, expliqué les liens qui existent entre les articles 17 et 2, paragraphe 7, du règlement de base. Lors du recours à l’échantillonnage, seuls les exportateurs faisant partie de l’échantillon ou les exportateurs qui n’en font pas partie et dont la demande de marge de dumping individuelle a été accueillie conformément à l’article 17, paragraphe 3, du règlement de base peuvent obtenir une marge de dumping individuelle. Les exportateurs ne faisant pas
partie de l’échantillon et dont ladite demande n’a pas été accueillie conformément à l’article 17, paragraphe 3, dudit règlement ne peuvent pas obtenir une marge de dumping individuelle, qu’ils soient ou non établis dans un pays à économie de marché. Partant, le Conseil estime que, dans le cas d’un pays n’ayant pas une économie de marché, les demandes SEM/TI ont pour objet de permettre aux sociétés ne faisant pas partie de l’échantillon, ou à celles dont la demande a été accueillie conformément
à l’article 17, paragraphe 3, du règlement de base, d’obtenir une marge de dumping individuelle. L’allégation de Brosmann Footwear e.a. serait de toute manière dénuée de pertinence, car elles soulignent elles-mêmes à juste titre qu’elles n’ont pas revendiqué le droit de bénéficier d’une marge de dumping individuelle.
51. L’appréciation du Tribunal exposée au point 78 de l’arrêt attaqué serait également fondée, le Tribunal n’ayant pas indiqué que Brosmann Footwear e.a. auraient sollicité le SEM et/ou le TI pour obtenir une marge de dumping individuelle. Les autres prétendues erreurs de droit invoquées par Brosmann Footwear e.a. seraient soit non étayées, soit irrecevables.
52. La Commission ajoute que, conformément à ce que le Tribunal a jugé, il n’existerait aucune obligation pour les institutions d’évaluer chaque demande SEM/TI, y compris lorsqu’elles décident d’avoir recours à l’échantillonnage. Comme l’aurait jugé le Tribunal au point 77 de l’arrêt attaqué, les institutions pouvaient se limiter à examiner les demandes comprises dans l’échantillon, puisque, en l’espèce, ainsi que le Tribunal l’a indiqué au point 84 de l’arrêt attaqué, il ne serait pas contesté que
le calcul de marges de dumping individuelles pour l’ensemble des opérateurs ne faisant pas partie de l’échantillon et ayant formulé des demandes en ce sens aurait indûment compliqué la tâche des institutions et empêché l’achèvement de l’enquête en temps utile.
53. S’agissant du deuxième moyen du pourvoi, le Conseil et la Commission sont d’avis qu’il est partiellement non fondé et partiellement irrecevable. Quant au prétendu dépassement du délai de trois mois pour examiner les demandes SEM/TI de Brosmann Footwear e.a., ces institutions renvoient à l’appréciation du Tribunal effectuée au point 92 de l’arrêt attaqué. Ainsi, dans la mesure où il n’incombait pas aux institutions d’examiner les demandes SEM/TI des sociétés non échantillonnées, le Conseil et la
Commission soutiennent que le délai de trois mois, visé à l’article 2, paragraphe 7, sous c), du règlement de base, ne présentait aucune pertinence à leur égard. Quant à la méconnaissance du même délai dans l’examen des demandes SEM/TI des sociétés ayant été retenues dans l’échantillon, le Conseil et la Commission considèrent que cette branche n’a pas été soulevée devant le Tribunal et constitue donc un moyen nouveau irrecevable au stade du pourvoi.
3. Analyse
54. Ces deux premiers moyens du pourvoi touchent à la question de la portée de l’article 17, paragraphe 3, du règlement de base.
55. Il n’est pas contesté que l’article 17 du règlement de base autorise la Commission à recourir à la technique de l’échantillonnage, en particulier dans les cas où le nombre de plaignants ou d’exportateurs est important.
56. Par ailleurs, Brosmann Footwear e.a. ne critiquent pas plus l’appréciation du Tribunal, exposée au point 72 de l’arrêt attaqué, selon laquelle le recours à l’échantillonnage constitue une limitation de l’enquête.
57. Ainsi, comme l’a jugé le Tribunal, les exportateurs ou les producteurs non inclus dans l’échantillon ne font pas partie de l’enquête.
58. Il convient cependant de relever que l’article 17, paragraphe 3, du règlement de base tempère quelque peu cette affirmation dans le cas particulier des demandes de calcul de «marge de dumping individuelles».
59. En effet, il est prévu à cette disposition que, lorsque la Commission fait recours à la méthode de l’échantillonnage, l’exportateur ou le producteur ne figurant pas dans l’échantillon, mais qui a présenté les renseignements nécessaires dans les délais prévus, peut «néanmoins» bénéficier du calcul d’une «marge de dumping individuelle». Cette possibilité offerte au producteur ou à l’exportateur non échantillonné s’applique «sauf dans les cas où [leur] nombre est si important que des examens
individuels compliqueraient indûment la tâche et empêcheraient d’achever l’enquête en temps utile».
60. Je rappelle que, dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré, d’une part, aux points 76 et 77 de cet arrêt, que l’acceptation d’une demande de calcul de marge de dumping individuelle présupposait l’acceptation d’une demande de SEM/TI lorsqu’il s’agit des pays concernés par l’article 2, paragraphe 7, sous b), du règlement de base, sans toutefois que, en application de l’article 17, paragraphe 3, dudit règlement, un opérateur non échantillonné puisse jouir d’un droit inconditionnel au calcul de
ladite marge. D’autre part, il a jugé, au point 78 du même arrêt, que l’octroi d’un SEM ou d’un TI ne servant qu’à déterminer la méthode de calcul de la valeur normale en vue d’un calcul des marges de dumping individuelles, l’article 17, paragraphe 3, du règlement de base permettait à la Commission de ne pas examiner des demandes SEM/TI provenant d’opérateurs non échantillonnés si le calcul de telles marges compliquait indûment sa tâche et l’empêchait d’achever l’enquête en temps utile.
61. L’analyse effectuée aux points 76 et 77 de l’arrêt attaqué ne fait pas — à juste titre — l’objet des critiques de Brosmann Footwear e.a.
62. En effet, pour permettre à la Commission de procéder in fine au calcul de marges de dumping individuelles, les exportateurs ou producteurs d’un pays dépourvu d’économie de marché, mais membre de l’Organisation mondiale du commerce doivent soit, préalablement, pouvoir se prévaloir du SEM, c’est-à-dire satisfaire aux conditions énoncées à l’article 2, paragraphe 7, sous b) et c), du règlement de base, soit, dans l’hypothèse où ils ne bénéficient pas de l’application de ces dispositions et que dès
lors la valeur normale est calculée sur la base de l’article 2, paragraphe 7, sous a), du règlement de base, obtenir l’application d’un traitement individuel dont les conditions sont régies par l’article 9, paragraphe 5, du règlement de base.
63. Partant, ainsi que l’a jugé le Tribunal au point 76 de l’arrêt attaqué, le calcul d’une marge de dumping individuelle dépend de l’octroi soit du SEM, soit du TI. Ce calcul est néanmoins sujet à la réserve de l’article 17, paragraphe 3, du règlement de base selon laquelle l’examen individuel ne doive pas compliquer indûment la tâche de la Commission et l’empêcher d’achever l’enquête en temps utile, comme l’a indiqué le Tribunal au point 76 dudit arrêt.
64. Plus problématique est, à mes yeux, l’appréciation du Tribunal, exposée au point 78 de l’arrêt attaqué, selon laquelle, en substance, le SEM et le TI ne sont que fonctionnels au calcul des marges de dumping individuelles et que, partant, la Commission est autorisée à refuser d’examiner des demandes SEM/TI d’exportateurs non échantillonnés sur la base de l’article 17, paragraphe 3, du règlement de base dès lors que le calcul desdites marges aurait compliqué sa tâche et l’aurait empêché d’achever
l’enquête en temps utile.
65. En effet, s’il y a lieu d’admettre qu’une demande d’octroi du SEM ou d’un TI est une condition pour obtenir le calcul d’une marge de dumping individuelle, une telle demande ne vise pas nécessairement à solliciter le calcul de ladite marge. Les demandes d’octroi du SEM et de TI, d’une part, et une demande de calcul de marge de dumping individuelle, d’autre part, sont régies par des dispositions et des délais différents.
66. Ainsi, en l’espèce, l’avis d’ouverture précisait que les demandes SEM, introduites sur la base de l’article 2, paragraphe 7, sous b), du règlement de base et les demandes de TI, déposées conformément à l’article 9, paragraphe 5, du même règlement, devaient être adressées à la Commission dans les quinze jours à compter de la publication dudit avis, tandis que, s’agissant des demandes de calcul de marges de dumping individuelles, faites en application des articles 9, paragraphe 6, et 17,
paragraphe 3, du règlement de base, celles-ci devaient être adressées dans un délai de quarante jours à compter de la publication de l’avis d’ouverture. La note en bas de page 1 de ce même avis d’ouverture, à laquelle s’est référé le Tribunal au point 89 de l’arrêt attaqué, souligne du reste le caractère facultatif d’une demande de calcul de marge de dumping individuelle de la part d’exportateurs ou de producteurs qui ont demandé à bénéficier d’un SEM ou d’un TI. Comme l’indiquent également
Brosmann Footwear e.a., une demande de calcul de marge de dumping individuelle doit comporter des informations supplémentaires aux demandes d’octroi du SEM ou d’un TI.
67. Par ailleurs, il ressort du point 64 du règlement provisoire, mentionné au point 95 de l’arrêt attaqué, que seuls quatre producteurs-exportateurs chinois ne faisant pas partie de l’échantillon retenu par la Commission ont demandé le calcul d’une marge de dumping individuelle et ont communiqué les informations nécessaires à l’application des articles 9, paragraphe 6, et 17, paragraphe 3, du règlement de base dans les délais prescrits, tandis qu’il est constant que 141 producteurs-exportateurs
chinois avaient introduit des demandes d’octroi du SEM et/ou d’un TI, parmi lesquels Brosmann Footwear e.a., sans que ces dernières aient, en outre, rempli dans les délais prescrits, le questionnaire leur permettant de solliciter le calcul d’une marge de dumping individuelle.
68. Partant, il ressort très clairement tant du cadre juridique que des pièces de la présente affaire qu’un opérateur sollicitant un SEM ou un TI ne revendique pas nécessairement le calcul d’une marge de dumping individuelle. Il n’y est du reste pas obligé.
69. Dès lors qu’une demande SEM ou de TI ne se rattache pas nécessairement à une demande de calcul de marge de dumping individuelle, je ne vois pas comment, à défaut d’une demande spécifique de calcul de ladite marge, l’article 17, paragraphe 3, du règlement de base puisse être étendu au traitement des demandes SEM et/ou de TI d’exportateurs ou de producteurs non échantillonnés.
70. Je considère donc que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, au point 78 de l’arrêt attaqué, que l’article 17, paragraphe 3, du règlement de base autorisait la Commission à ne pas examiner les demandes SEM/TI des sociétés, qui, comme Brosmann Footwear e.a., ne faisaient pas partie de l’échantillon. En effet, cet article se limite à permettre à la Commission de ne pas examiner les demandes de calcul de marge de dumping individuelle d’une société non échantillonnée dans les
conditions qu’il prévoit.
71. En revanche, j’estime que cette erreur de droit est inopérante dans la mesure où elle ne peut entraîner l’annulation de l’arrêt attaqué.
72. À cet égard, il importe de rappeler que c’est à juste titre, et sans que cette appréciation fasse l’objet de critiques de la part de Brosmann Footwear e.a., que le Tribunal a jugé que l’échantillonnage constitue une limitation de l’enquête. Celle-ci ne porte donc pas sur les sociétés qui ne font pas partie de l’échantillon.
73. Comme je l’ai mentionné précédemment, la seule exception à cette limitation de l’enquête, quoique elle-même immédiatement tempérée, concerne l’examen des demandes de calcul de marge de dumping individuelle des exportateurs ou des producteurs non échantillonnés, prévue à l’article 17, paragraphe 3, du règlement de base. Cette exception devant recevoir une interprétation stricte, elle ne s’étend donc pas aux demandes SEM et de TI introduites par les producteurs ou exportateurs non échantillonnés.
74. Dans ces conditions, la Commission était en droit, sur la base de l’article 17, paragraphe 1, du règlement de base, de ne pas examiner les demandes SEM et de TI des sociétés ne faisant pas partie de l’échantillon. L’absence d’examen de ces demandes est inhérente au recours à la méthode de l’échantillonnage, indépendamment de l’application du paragraphe 3 dudit article.
75. Dans ce contexte, il y a lieu de relever que Brosmann Footwear e.a. ne contestent pas la composition de l’échantillon des producteurs-exportateurs chinois et son caractère représentatif. Elles se bornent, au point 22 du pourvoi, à critiquer l’interprétation de l’article 17 du règlement de base retenue par le Tribunal en prétendant que l’échantillonnage ne peut être valablement établi que s’il est effectué après que la Commission a statué sur les demandes SEM/TI.
76. Or, il ne saurait être soutenu que la limitation de l’enquête que comporte l’échantillonnage ne peut intervenir qu’après que la Commission a statué sur toutes les demandes SEM/TI, y compris donc celles introduites par les sociétés non échantillonnées. Dans la mesure où, ainsi que le prévoit l’article 5, paragraphe 10, du règlement de base, l’avis d’ouverture annonce l’ouverture d’une enquête et que les demandes SEM et TI ne peuvent être sollicitées qu’après cette ouverture, la limite à l’enquête
posée par le recours à la méthode de l’échantillonnage implique nécessairement que les demandes SEM et/ou TI des sociétés non incluses dans l’échantillon ne doivent pas être examinées.
77. L’absence d’un tel examen n’emporte pas, contrairement à ce que soutiennent aussi Brosmann Footwear e.a., une violation du principe d’égalité de traitement, parmi les entreprises non échantillonnées, au préjudice des entreprises non échantillonnées qui auraient «mérité» le SEM ou un TI de sorte que, s’agissant du calcul de la marge du dumping, elles seraient traitées de manière identique aux sociétés non échantillonnées, mais dont les demandes de SEM et/ou de TI auraient été rejetées.
78. En effet, outre qu’une telle argumentation est par nature hypothétique dans le cas de Brosmann Footwear e.a., il importe de relever que l’article 9, paragraphe 6, du règlement de base prévoit que le droit antidumping des producteurs-exportateurs qui n’ont pas été inclus dans l’enquête ne doit pas excéder la marge moyenne pondérée de dumping établie pour les parties constituant l’échantillon. Cette disposition, dont la validité n’a jamais été contestée par Brosmann Footwear e.a., ne confère donc
aucun droit aux producteurs-exportateurs non échantillonnés qui ont sollicité un SEM ou un TI d’obtenir de la part des institutions un calcul de la moyenne pondérée de dumping autre que celui qui résulte de la prise en considération de l’ensemble des sociétés faisant partie de l’échantillon, indépendamment du fait que ces sociétés aient ou non obtenu elles-mêmes un SEM ou un TI.
79. Eu égard à ces considérations, et en dépit de l’erreur de droit commise par le Tribunal dans l’interprétation de l’article 17, paragraphe 3, du règlement de base, c’est néanmoins à juste titre qu’il a jugé, en substance, au point 92 de l’arrêt attaqué, s’agissant de l’argument tiré du dépassement du délai de trois mois accordé à la Commission pour examiner les demandes SEM/TI de Brosmann Footwear e.a., que ce délai ne concerne que l’examen des demandes formulées par les sociétés faisant l’objet
de l’enquête, c’est-à-dire les producteurs-exportateurs faisant partie de l’échantillon.
80. Quant au non respect de ce délai pour l’examen desdites demandes SEM/TI introduites par ces dernières sociétés, Brosmann Footwear e.a. ne sauraient, à mon sens, reprocher au Tribunal de ne pas y avoir répondu, dans la mesure où ce grief n’a pas été, en substance, soulevé en première instance. En effet, nonobstant la prétention du représentant Brosmann Footwear e.a., avancée lors de l’audience devant la Cour, selon laquelle ce grief avait été invoqué au point 67 de la requête, il ressort du
contexte dans lequel a été articulé ledit point que le non-respect du délai de trois mois ne visait que les demandes SEM/TI introduites par Brosmann Footwear e.a. et, à la rigueur, par les autres producteurs-exportateurs chinois non échantillonnés. En effet, ce point s’insère dans une branche de la requête tirée de la violation de l’article 2, paragraphe 7, sous c), du règlement de base ainsi que, notamment, des droits de la défense. Ces droits étant par nature subjectifs, cette branche, telle
qu’elle était formulée, ne pouvait, de toute évidence, valablement pas se référer aux sociétés chinoises échantillonnées dont les demandes SEM/TI avaient été examinées par les institutions. Je suggère donc d’écarter ce grief comme étant irrecevable au stade du pourvoi.
81. Pour l’ensemble de ces motifs, je propose de rejeter les deux premiers moyens du pourvoi, le premier comme étant inopérant, le deuxième comme étant non fondé.
B – Sur le troisième moyen du pourvoi, tiré d’erreurs de droit et d’une dénaturation des éléments de preuve se rapportant au degré suffisant de coopération de l’industrie communautaire au cours de l’enquête et au déroulement de cette dernière
82. Ce moyen se divise en deux branches tirées d’erreurs de droit et d’une dénaturation des éléments de preuve se rapportant respectivement au degré suffisant de coopération de l’industrie communautaire durant l’enquête et au déroulement de celle-ci.
1. Sur la première branche, tirée d’erreurs de droit et d’une dénaturation des éléments de preuve se rapportant au degré suffisant de coopération de l’industrie communautaire durant l’enquête
a) Arguments des parties
83. Selon Brosmann Footwear e.a., le Tribunal se serait borné à examiner si la plainte bénéficiait d’un soutien justifiant l’ouverture d’une enquête antidumping, mais n’aurait pas recherché si les institutions avaient établi à juste titre que les 804 producteurs communautaires non retenus dans l’échantillon, qui ont uniquement répondu au premier questionnaire transmis avant l’enquête (ci-après le «questionnaire sur la qualité pour agir»), avaient suffisamment coopéré pour déterminer «la qualité pour
agir durant l’enquête». En d’autres termes, le Tribunal n’aurait pas vérifié si les institutions avaient à bon droit considéré que l’exigence relative à la qualité pour agir demeurait remplie durant l’enquête. Ainsi, Brosmann Footwear e.a. font valoir qu’il n’est pas certain que le degré important de soutien dont a bénéficié la plainte avant l’ouverture de l’enquête soit identique au degré de coopération et de qualité pour agir une fois que l’enquête a été initiée. Le Tribunal aurait donc dû
constater que les institutions étaient tenues de vérifier la coopération des 804 plaignants en leur adressant le questionnaire d’échantillonnage. En effet, ainsi que le Tribunal l’aurait concédé au point 108 de l’arrêt attaqué, ce serait ce questionnaire qui serait normalement envoyé aux producteurs communautaires afin de vérifier leur coopération à l’enquête. Or, en considérant en substance, aux points 110 à 112 de l’arrêt attaqué, que les institutions étaient habilitées à ne pas adresser de
questionnaire d’échantillonnage aux 804 producteurs communautaires non échantillonnés dans le but de vérifier leur coopération durant l’enquête et en admettant que satisfaisait à cette vérification leur seule déclaration de soutien de la plainte, effectuée en réponse au questionnaire sur la qualité pour agir, le Tribunal aurait méconnu les articles 4, paragraphe 1, et 5, paragraphe 4, du règlement de base ainsi que l’obligation de motiver son arrêt.
84. Les appréciations exposées au point 111 de l’arrêt attaqué seraient également affectées d’une dénaturation des éléments de preuve, le Tribunal ne pouvant déduire du questionnaire sur la qualité pour agir que les producteurs communautaires étaient conscients que les informations qu’ils communiqueraient seraient susceptibles d’être vérifiées au cours de l’enquête et que les réponses à ce document étaient suffisantes pour établir l’existence d’une coopération durant l’enquête.
85. Pour l’ensemble de ces considérations, Brosmann Footwear e.a. allèguent que le Tribunal aurait donc dû conclure que seules les dix sociétés de l’Union ayant été incluses dans l’échantillon avaient coopéré à l’enquête, ce qui était toutefois insuffisant pour atteindre le seuil de 25 % requis pour satisfaire «à la qualité pour agir au cours de l’enquête». Dans ces conditions, ces sociétés ne pouvaient valablement représenter «l’industrie communautaire» aux fins de la procédure antidumping.
86. Le Conseil et la Commission proposent de rejeter cette première branche du troisième moyen. En substance, ces institutions estiment que les producteurs de l’Union, ayant répondu au questionnaire sur la qualité pour agir et confirmé qu’ils soutenaient la plainte, ont coopéré. En conséquence, les 814 sociétés doivent dès lors être considérées comme constituant «l’industrie communautaire» au sens de l’article 5, paragraphe 4, du règlement de base. Rien n’obligeait la Commission à vérifier de
nouveau si ces sociétés coopéraient après l’ouverture de l’enquête.
b) Analyse
87. Ainsi que le souligne l’article 6, paragraphe 2, du règlement de base, dans le cadre d’une enquête antidumping, la Commission adresse plusieurs types de questionnaires aux parties intéressées.
88. La nature et les fonctions de ces questionnaires ne sont cependant pas précisées par le règlement de base.
89. Comme cela a été mis en exergue par le Conseil et sans que cela soit contesté par Brosmann Footwear e.a., la Commission adresse, en règle générale, deux types de questionnaires aux producteurs de l’Union à l’origine d’une plainte.
90. Le questionnaire sur la qualité pour agir, dont la dénomination exacte, en l’espèce, comme rappelé au point 110 de l’arrêt attaqué, est «ouverture probable d’une enquête d’antidumping relative aux chaussures en cuir originaires de la République populaire de Chine et du Vietnam», correspond au questionnaire évaluant le degré de soutien de la plainte. En conséquence, ce questionnaire est transmis avant l’ouverture de l’enquête.
91. Le second questionnaire, dénommé questionnaire d’échantillonnage, est transmis aux producteurs de l’Union après l’ouverture de l’enquête. Ce questionnaire est généralement complété en deux étapes. En premier lieu, tous les producteurs reçoivent un court questionnaire d’échantillonnage où sont demandés les renseignements nécessaires, en particulier les volumes de production et de ventes et dont les réponses servent habituellement à réaliser l’échantillon représentatif. Dans le cadre de ce premier
questionnaire, la Commission demande également si, en cas de recours à la technique de l’échantillonnage, les producteurs de l’Union sont disposés à appartenir à l’échantillon, à fournir les données nécessaires pour l’évaluation du préjudice, ainsi qu’à permettre à la Commission de procéder à des vérifications sur place. En second lieu, une fois l’échantillon composé, la Commission adresse aux seuls producteurs de l’Union retenus dans l’échantillon la seconde partie du questionnaire — dit
«questionnaire complet d’échantillonnage» — qui porte sur l’évaluation du préjudice de l’industrie de l’Union.
92. En l’occurrence, il est constant, comme le Tribunal l’a relevé au point 109 de l’arrêt attaqué, que la Commission a appliqué une procédure différente en raison du nombre exceptionnellement élevé de producteurs de l’Union. Ainsi a-t-elle composé l’échantillon sur la base des données collectées par le biais du questionnaire sur la qualité pour agir et n’a adressé le second questionnaire qu’aux sociétés de l’Union, à l’origine de la plainte, retenues dans l’échantillon, afin que ces dernières
fournissent notamment les données relatives à l’évaluation du préjudice. Les producteurs de l’Union non retenus dans l’échantillon, à savoir 804 sociétés sur les 814 producteurs au nom desquels la plainte a été déposée, n’ont donc pas reçu le court questionnaire d’échantillonnage.
93. De l’avis de Brosmann Footwear e.a., admettre, à l’instar du Tribunal, que la Commission puisse adopter une telle démarche serait contraire aux articles 4, paragraphe 1, et 5, paragraphe 4, du règlement de base. En effet, selon cette optique et dans ces circonstances, la Commission ne serait pas amenée à vérifier la coopération à l’enquête des sociétés non échantillonnées. Ces sociétés devraient donc être exclues de la définition de l’«industrie communautaire» au sens de l’article 5,
paragraphe 4, du règlement de base. Partant, cela devrait également conduire à considérer que les conditions exigées pour le soutien à la plainte, la coopération à l’enquête et l’évaluation du préjudice causé à l’industrie de l’Union par le dumping ne sont pas satisfaites.
94. Cette argumentation n’emporte pas ma conviction.
95. Il est constant tout d’abord, comme l’a relevé le Tribunal au point 103 de l’arrêt attaqué, que, aux termes de l’article 5, paragraphes 1 et 4, du règlement de base, une enquête antidumping est valablement ouverte — sauf application du paragraphe 6 dudit article, non applicable en l’espèce — si une plainte est déposée par ou au nom de «l’industrie communautaire». Une plainte est réputée avoir été déposée par ou au nom de l’industrie communautaire lorsqu’elle est soutenue par des producteurs de
l’Union représentant, s’agissant du produit similaire, plus de 50 % de la production totale du produit similaire générée par la partie de l’industrie communautaire exprimant son soutien ou son opposition à la plainte. En outre, les producteurs soutenant expressément la plainte doivent aussi représenter au moins 25 % de la production totale du produit similaire fabriqué par l’industrie communautaire.
96. Ainsi que l’a également jugé le Tribunal au point 105 de l’arrêt attaqué, appréciation à l’égard de laquelle Brosmann Footwear e.a. n’émettent aucune critique, le «soutien» d’une plainte déposée par ou au nom de «l’industrie communautaire», au sens de l’article 5, paragraphes 2 et 4, du règlement de base, implique pour le ou les plaignant(s) et les personnes au nom desquelles cette plainte a été déposée, premièrement, la fourniture des éléments que la Commission demande en vue de vérifier que
les conditions requises pour l’imposition d’un droit antidumping sont réunies et, deuxièmement, l’acceptation de se soumettre à tout contrôle que la Commission pourrait effectuer afin d’examiner si les éléments fournis correspondent à la réalité.
97. Ce second engagement représente la coopération à l’enquête, dont aucune définition positive n’est donnée par le règlement de base, mais dont il ressort des articles 6, paragraphe 8, et 18 du règlement de base qu’elle se réfère, en substance, à l’attitude des parties intéressées de participer au bon déroulement de l’enquête, notamment par leur engagement de donner accès ou de fournir des informations à la Commission et de se soumettre aux vérifications diligentées par cette dernière.
98. À cet égard, il importe de relever que le règlement de base ne prévoit aucune méthode particulière permettant d’identifier le soutien à la plainte ou de vérifier la coopération à l’enquête de la part des producteurs de l’Union. Brosmann Footwear e.a. concèdent du reste à plusieurs reprises dans leur pourvoi que, à l’instar de ce que le Tribunal a en substance jugé, il n’existe pas une méthode unique qui s’imposerait à la Commission ( 8 ). Eu égard à la large marge d’appréciation dont disposent
dès lors les institutions, c’est à juste titre que l’on ne saurait contraindre la Commission à suivre une démarche particulière quant à l’identification du soutien de la plainte ou de la vérification de la coopération à l’enquête de la part des producteurs de l’Union, en particulier lorsqu’il est constant, comme en l’espèce, qu’il existait un nombre exceptionnellement élevé de producteurs de l’Union à l’origine de la plainte.
99. Ensuite, s’il est clair que la coopération des sociétés échantillonnées doit être entière durant toute la durée de l’enquête, la coopération des producteurs de l’Union non retenus dans l’échantillon réside quant à elle dans la communication d’informations permettant, d’une part, de conclure ou non à l’appartenance desdits producteurs à «l’industrie communautaire» de sorte à vérifier leur soutien à la plainte ainsi que, d’autre part, de procéder à la constitution de l’échantillon. En effet,
conformément à l’article 17, paragraphe 1, du règlement de base, une fois l’échantillon composé, les producteurs de l’Union n’appartenant pas à celui-ci ne participent plus, par définition, à l’enquête.
100. Or, s’agissant du premier élément, à savoir la vérification du soutien à la plainte, Brosmann Footwear e.a. ne contestent pas la matérialité du contrôle opéré par le Tribunal à cet égard aux points 110 et 111 de l’arrêt attaqué. J’ajoute que, à la lumière de la précision faite au point précédent des présentes conclusions, contrairement à ce que soutiennent Brosmann Footwear e.a., il n’incombait pas au juge de première instance de vérifier «la qualité pour agir [des sociétés non échantillonnées]
au cours de l’enquête». En effet, pour autant qu’il faille comprendre par cette dernière expression la vérification de la coopération après la composition de l’échantillon, cette opération ne se manifeste pleinement qu’à l’égard des sociétés appartenant audit échantillon.
101. Quant au second élément, à savoir la constitution de l’échantillon, Brosmann Footwear e.a. relèvent à juste titre que, au point 164 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que la Commission disposait des renseignements nécessaires, sur le fondement du questionnaire adressé aux 814 producteurs de l’Union ( 9 ), pour procéder à ladite constitution sur la base des critères qu’elle a jugés pertinents. Bien que Brosmann Footwear e.a. allèguent que le Tribunal aurait dénaturé les éléments de preuve en
mentionnant que le questionnaire sur la qualité pour agir contenait des questions se rapportant à une période autre que celle de l’enquête, cette prétention est non seulement non étayée mais aussi et surtout, comme le Conseil l’a justement mis en exergue, infirmée par le contenu même de ce questionnaire qui portait, entre autres, sur la production de chaque société à l’origine de la plainte pour la période d’enquête ( 10 ).
102. Dans ces circonstances, je propose de rejeter la première branche du troisième moyen du pourvoi.
2. Sur la seconde branche, tirée d’erreurs de droit et d’une dénaturation des éléments de preuve se rapportant au déroulement de l’enquête
a) Arguments des parties
103. Brosmann Footwear e.a. soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit en ce qui concerne l’article 6, paragraphe 1, du règlement de base en admettant que les institutions pouvaient valablement utiliser des informations collectées avant l’avis d’ouverture aux fins de l’échantillonnage.
104. À titre subsidiaire, Brosmann Footwear e.a. allèguent que la Commission, en utilisant les informations communiquées dans le cadre du questionnaire sur la qualité pour agir, a débuté son enquête plus tôt que la date de l’avis d’ouverture. En conséquence, elles font valoir que la Commission n’a pas achevé l’enquête dans le délai de quinze mois prévu à l’article 6, paragraphe 9, du règlement de base.
105. Le Conseil et la Commission soutiennent que cette argumentation est infondée.
b) Analyse
106. Il est constant que les données collectées par la Commission dans le cadre des réponses au questionnaire sur la qualité pour agir l’ont été avant la publication de l’avis d’ouverture de l’enquête.
107. Toutefois, comme le Tribunal l’a relevé en substance au point 114 de l’arrêt attaqué, si la Commission doit recueillir et vérifier certaines informations communiquées par les plaignants avant l’ouverture de la procédure, aucune disposition du règlement de base ne l’empêche d’en tenir compte dans le cadre de l’enquête.
108. Le fait que la Commission commence l’enquête après l’avis d’ouverture, comme le précise l’article 6, paragraphe 1, du règlement de base, ne signifie pas que les informations mises à sa disposition avant l’enquête ne peuvent pas être utilisées durant l’enquête.
109. En conclure autrement reviendrait à contraindre la Commission à solliciter de la part des producteurs de l’Union à l’origine d’une plainte la communication répétée d’informations substantiellement identiques, sans égard à l’exigence de bonne administration et à la gestion efficace de ressources limitées, en particulier lorsque, comme en l’espèce, les plaignants sont en nombre exceptionnellement élevé.
110. De plus, comme je l’ai déjà mis en exergue, Brosmann Footwear e.a. ne contestent pas sérieusement le fait que les données collectées avant la publication de l’ouverture de l’enquête permettaient de composer l’échantillon des producteurs de l’Union à suffisance de droit.
111. En outre, s’agissant du respect du délai de quinze mois prévu pour l’imposition de droits définitifs à compter de la publication de l’ouverture de l’enquête, c’est à bon droit que le Tribunal a conclu, au point 118 de l’arrêt attaqué, que le règlement définitif avait pleinement respecté cette exigence du règlement de base. En effet, si la Commission a collecté des informations avant la publication de l’ouverture de l’enquête auprès des producteurs de l’Union à l’origine de la plainte, ces
informations, aux fins de la composition de l’échantillon, ont été exploitées et vérifiées après l’ouverture de ladite enquête. La Commission n’a donc pas initié l’enquête avant la publication de l’avis d’ouverture.
112. Pour ces raisons, je suggère de rejeter la seconde branche du troisième moyen du pourvoi, ainsi que ce moyen dans son intégralité.
C – Sur le quatrième moyen du pourvoi, tiré d’une erreur de droit et d’une dénaturation des éléments de preuve quant à l’évaluation du préjudice causé à l’industrie communautaire
1. Considérations du Tribunal
113. En première instance, Brosmann Footwear e.a. ont prétendu que les institutions s’étaient fondées sur des données non fiables afin d’évaluer les facteurs macroéconomiques et microéconomiques relatifs au préjudice subi par l’industrie communautaire. En particulier, Brosmann Footwear e.a. soutenaient, sur la base d’informations essentiellement recueillies dans la presse et transmises à la Commission, que certaines sociétés italiennes faisant probablement partie de l’échantillon des producteurs de
l’Union avaient présenté de faux renseignements et commis un certain nombre de fraudes au niveau national afin de pouvoir tirer profit d’aides ou d’infractions au code du travail.
114. Le Tribunal a rejeté ces prétentions.
115. Il a tout d’abord souligné, au point 168 de l’arrêt attaqué, qu’une entreprise puisse avoir commis des fraudes au niveau national n’implique pas nécessairement qu’elle ne coopère pas à une enquête antidumping de la Commission et qu’elle fournisse des informations incorrectes dans ce cadre. Une telle circonstance, à la supposer établie, ne permet pas en soi de conclure que les données fournies dans le cadre de l’enquête antidumping ne sont pas fiables si lesdites données n’ont aucun lien avec
lesdites fraudes. Par ailleurs, au point 169 de l’arrêt attaqué, le Tribunal, répondant à un argument concernant la condamnation d’un administrateur d’une des sociétés italiennes pour la tenue d’une comptabilité irrégulière, a jugé que les faits en cause concernaient une période antérieure de plusieurs années à la période d’enquête et ne sauraient remettre en cause la fiabilité des données fournies dans le cadre de l’enquête antidumping.
116. Ensuite, s’agissant notamment des allégations de Brosmann Footwear e.a. concernant les données faussées prétendument fournies par deux sociétés italiennes, le Tribunal a relevé, en substance, au point 173 de l’arrêt attaqué, que leur pertinence ne pourrait être constatée que si lesdites données étaient susceptibles de remettre en cause les facteurs (macroéconomiques et microéconomiques) pris en compte par le Conseil afin d’établir l’existence d’un préjudice dans le chef de l’industrie
communautaire.
117. Passant à l’examen de l’impact que pourraient avoir eu lesdites données sur les indicateurs de préjudice macroéconomiques, le Tribunal a écarté un à un, aux points 174 à 176 de l’arrêt attaqué, les arguments de Brosmann Footwear e.a. En particulier, s’agissant de l’invocation de fraudes commises par l’une des deux sociétés italiennes consistant dans la perception d’aides d’État aux fins de l’achat de nouvelles machines installées cependant dans un État tiers, le Tribunal a relevé, au point 176
de l’arrêt attaqué, que, à supposer même qu’une telle allégation soit établie, elle ne pourrait avoir qu’une incidence négative sur le niveau réel des investissements à l’intérieur du marché commun, confirmant ainsi les conclusions du Conseil à cet égard.
118. Quant à l’influence de ces données sur les indicateurs de préjudice microéconomiques, examinée aux points 178 et 179 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé, en substance, que, à supposer que les données communiquées par les deux sociétés italiennes aient pu affecter le calcul du prix de vente moyen des chaussures à dessus en cuir dans l’Union européenne, le critère du prix de vente moyen n’était pas un facteur déterminant en soi. En effet, à supposer que ce prix se situait en réalité à un
niveau supérieur, cela n’aurait pas suffi à remettre en cause les conclusions du Conseil relatives aux flux de liquidités, à la rentabilité, au rendement des investissements, à l’aptitude à mobiliser des capitaux et aux investissements, démontrant toutes une détérioration importante de la situation de l’industrie communautaire.
2. Arguments des parties
119. En premier lieu, Brosmann Footwear e.a. soutiennent que le Tribunal aurait commis une erreur de droit et une dénaturation des éléments de preuve en jugeant, au point 179 de l’arrêt attaqué, à propos des indicateurs de préjudice microéconomiques, qu’un niveau supérieur de prix de vente moyen des chaussures à dessus en cuir ne saurait remettre en cause les conclusions du Conseil relatives aux flux de liquidités, à la rentabilité, au rendement des investissements, à l’aptitude à mobiliser des
capitaux et aux investissements. Selon elles, un prix de vente plus élevé de ces chaussures aurait nécessairement eu des effets positifs sur chacun de ces facteurs et aurait notamment abouti à des marges bénéficiaires plus larges, à un flux de liquidités plus important. De même, s’agissant des indicateurs de préjudice macroéconomiques, Brosmann Footwear e.a. allèguent, d’une part, que le Tribunal se serait borné à renvoyer à l’appréciation du Conseil et n’aurait pas fait état d’une condamnation
pour faux enregistrements et fausses factures des sociétés italiennes mises en cause par Brosmann Footwear e.a., ce qui aurait impliqué que la Commission ne pouvait pas avoir confiance en l’exactitude des informations communiquées par lesdites sociétés. D’autre part, elles prétendent que le Tribunal aurait méconnu, au point 176 de l’arrêt attaqué, l’impact incontestable des fraudes sur la tendance en matière d’investissements, qui consistait à exagérer considérablement le déclin qui se serait
produit au cours de la période d’enquête.
120. En deuxième lieu, Brosmann Footwear e.a. considèrent que le Tribunal aurait entaché l’arrêt attaqué d’une erreur de droit en omettant de vérifier si les institutions avaient examiné avec soin et impartialité les informations qu’elles leur avaient transmises à propos du comportement frauduleux des sociétés italiennes ayant coopéré à l’enquête.
121. En troisième lieu, Brosmann Footwear e.a. estiment que le Tribunal a erré en droit en jugeant, au point 182 de l’arrêt attaqué, que le Conseil avait satisfait à son obligation de motivation.
122. Le Conseil soutient que le présent moyen du pourvoi est en partie irrecevable et en partie non fondé. La Commission se rallie à cette position.
3. Analyse
123. J’estime que ce moyen doit être déclaré pour partie irrecevable et pour partie non fondé.
124. Il importe de rappeler avant tout que, selon une jurisprudence constante, la Cour n’est pas compétente, dans le cadre du pourvoi, pour constater les faits ni, en principe, pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues à l’appui de ces faits. En effet, dès lors que ces preuves ont été obtenues régulièrement et que les principes généraux du droit ainsi que les règles de procédure applicables en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectés, il appartient au Tribunal
seul d’apprécier la valeur qu’il convient d’attribuer aux éléments qui lui ont été soumis. Cette appréciation ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces éléments, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour ( 11 ).
125. En l’occurrence, force est de constater que, par leur première série de griefs se rapportant, d’une part, à l’impact des fraudes à l’investissement, prétendument commises par les sociétés italiennes qu’elles mettent en cause, sur les indicateurs de préjudice macroéconomiques et, d’autre part, à l’influence d’une possible hausse du prix de vente moyen des chaussures à dessus en cuir dans l’Union sur les indicateurs de préjudice microéconomiques, Brosmann Footwear e.a. invitent la Cour à
réexaminer les appréciations factuelles opérées par le Tribunal aux points 176 et 179 de l’arrêt attaqué, réexamen pour lequel la Cour n’est pas compétente dans le cadre du pourvoi.
126. J’ajoute que Brosmann Footwear e.a. n’étayent aucunement la prétendue dénaturation des éléments de preuve qui aurait entachée les mêmes points de l’arrêt attaqué. Or, il est constant qu’une dénaturation doit apparaître de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves ( 12 ).
127. En outre, contrairement à ce que soutiennent Brosmann Footwear e.a., loin de purement renvoyer aux appréciations du Conseil à propos des indicateurs de préjudice macroéconomiques, le Tribunal a bien examiné l’influence des fraudes et des fausses factures alléguées sur les facteurs pris en compte par le Conseil afin d’établir l’existence d’un préjudice ou plus généralement sur la fiabilité des données communiquées à la Commission durant l’enquête antidumping par les sociétés italiennes en cause,
ainsi que l’attestent les points 169 et 174 à 176 de l’arrêt attaqué.
128. Partant, cette première série de griefs devrait être déclarée pour partie irrecevable et pour partie non fondée.
129. La constatation d’irrecevabilité devrait s’étendre, pour partie, aux deux autres griefs articulés par Brosmann Footwear e.a. au soutien du présent moyen, dirigés contre les points 174, 175, 178 et 181 de l’arrêt attaqué, griefs qui incluent tous deux une allégation de dénaturation des éléments de preuve, sans qu’elle soit accompagnée de la moindre démonstration.
130. Ensuite et pour le surplus, Brosmann Footwear e.a. ne sauraient reprocher au Tribunal de ne pas avoir répondu à leur prétention selon laquelle les informations pertinentes qu’elles avaient communiquées à la Commission à propos du comportement de deux sociétés italiennes devaient être examinées avec soin et impartialité, dès lors qu’une telle allégation, comme elles le mettent en exergue en renvoyant au point 69 de leur mémoire en réplique déposé en première instance, n’a été formulée que
tardivement dans une seule phrase dudit mémoire, qui plus est développée à titre subsidiaire dans le contexte du devoir de motivation qui incombe aux institutions.
131. En tout état de cause, il ressort de l’arrêt attaqué que, plutôt que de remettre en cause la matérialité du contenu des informations communiquées par Brosmann Footwear e.a. à la Commission concernant le comportement des deux sociétés italiennes mises en cause par Brosmann Footwear e.a., le Tribunal s’est attaché à examiner l’influence qu’étaient susceptibles d’avoir ces informations, à les supposer établies, sur l’évaluation du préjudice causé à l’industrie communautaire retenue par le Conseil.
En statuant sur le fond de l’argumentation de Brosmann Footwear e.a. et en considérant que les éléments apportés par ces sociétés ne présentaient pas de pertinence quant à la conclusion de l’existence d’un préjudice important de l’industrie communautaire, le Tribunal s’est donc implicitement mais nécessairement prononcé sur l’obligation des institutions d’examiner «avec soin et impartialité les éléments pertinents» de chaque cas espèce, en y répondant par la négative. En d’autres termes, ayant
conclu à l’absence de pertinence des données communiquées par Brosmann Footwear e.a., le Tribunal a en déduit implicitement que les institutions n’étaient aucunement obligées de les examiner.
132. Il s’ensuit que, à le supposer recevable, le deuxième grief exposé par Brosmann Footwear e.a. doit être considéré comme non fondé.
133. Enfin, quant à l’erreur de droit alléguée dans le cadre du troisième grief qui aurait entaché le point 181 de l’arrêt attaqué, les requérantes au pourvoi restent à défaut de la démontrer, le Tribunal s’étant borné à constater à bon droit que le Conseil avait clairement exposé dans le règlement définitif les raisons pour lesquelles il estimait que l’industrie communautaire avait subi un préjudice important.
134. En tout état de cause, les données litigieuses communiquées par Brosmann Footwear e.a. à la Commission ayant été considérées comme ne présentant aucune influence sur les indicateurs de préjudice, et partant ne présentant aucune pertinence quant à l’évaluation dudit préjudice subi par l’industrie communautaire, le Tribunal en a correctement déduit que le Conseil n’avait pas à motiver spécifiquement la raison pour laquelle ces données n’avaient pas été prises en considération à cette fin.
135. Au vu des considérations qui précèdent, je propose de rejeter le quatrième moyen du pourvoi.
D – Sur le cinquième moyen du pourvoi, tiré d’une erreur de droit et d’une dénaturation des éléments de preuve relatifs à l’évaluation du lien de causalité entre le dumping et le préjudice subi par l’industrie communautaire
1. Arguments des parties
136. Brosmann Footwear e.a. font valoir que le Tribunal aurait erré en droit et dénaturé les éléments de preuve affectant ainsi l’évaluation du lien de causalité entre le dumping et le préjudice subi par l’industrie communautaire, en violation de l’article 3 du règlement de base. Leurs critiques portent sur deux aspects.
137. D’une part, le Tribunal aurait omis de reconnaître le manque de compétitivité de l’industrie communautaire comme étant le principal facteur ayant causé un préjudice à cette dernière, indépendamment des importations de chaussures à dessus en cuir en provenance de Chine. En effet, le Tribunal aurait passé sous silence le fait, mis en évidence dans divers considérants du règlement définitif, que l’industrie communautaire n’aurait jamais réalisé de bénéfices raisonnables dans les quinze dernières
années ainsi que le fait que la perte constante de parts de marché de cette industrie sur le long terme serait due à l’absence relative de compétitivité de la production au sein de l’Union. Cette absence de compétitivité serait confirmée par la diminution des exportations de l’industrie communautaire.
138. D’autre part, Brosmann Footwear e.a. reprochent au Tribunal d’avoir ignoré le fait que la baisse supplémentaire des prix des producteurs-exportateurs chinois s’expliquait par une modification de l’assortiment des produits, après l’année 2002, conjointement à la levée des contingents. Cette modification de l’assortiment des produits expliquerait que le prix unitaire moyen des exportations en provenance de Chine aurait baissé plus fortement que le prix des exportations en provenance d’autres pays
tiers. Cet argument, pourtant exposé en première instance, ayant été rejeté sans explication par le Tribunal, ce dernier aurait également méconnu l’exigence de motiver ses décisions.
139. Le Conseil suggère de rejeter le présent moyen comme en partie irrecevable et en partie non fondé.
2. Analyse
140. Ainsi que le Tribunal l’a constaté à bon droit au point 190 de l’arrêt attaqué, lors de la détermination du préjudice de l’industrie communautaire, le Conseil et la Commission ont l’obligation d’examiner si le préjudice qu’ils entendent retenir découle effectivement des importations qui ont fait l’objet d’un dumping et d’écarter tout préjudice découlant d’autres facteurs, et notamment celui qui aurait sa cause dans le comportement propre des producteurs de l’Union ( 13 ). Cette obligation
découle en effet de l’article 3, paragraphe 7, du règlement de base.
141. Il est constant, en l’espèce, que, conformément audit article, les institutions ont effectivement vérifié le lien de causalité entre le préjudice subi par l’industrie communautaire et les importations de chaussures à dessus en cuir en provenance de Chine.
142. Il est tout aussi constant que le bien-fondé de leurs conclusions a été contrôlé par le Tribunal aux points 192 à 200 de l’arrêt attaqué, au regard des arguments de Brosmann Footwear e.a. exposés en première instance selon lesquels, en substance, les mauvais résultats à l’exportation de l’industrie communautaire, les importations en provenance d’autres pays tiers ainsi que la levée du régime des contingents tarifaires à compter du premier trimestre 2005 auraient dû entrer en ligne de compte
dans la détermination appropriée du lien de causalité ou étaient de nature à rompre ce lien.
143. Brosmann Footwear e.a. reprochent cependant au Tribunal, en premier lieu, d’avoir dénaturé les éléments de preuve en refusant de reconnaître que le manque de compétitivité de l’industrie de l’Union constituait le principal facteur à l’origine du préjudice de ladite industrie. Elles appuient leur prétention sur trois éléments qui auraient été ignorés par le Tribunal.
144. Indépendamment de la circonstance, d’une part, que deux de ces trois éléments n’ont pas été exposés en première instance et que le troisième n’aurait pu modifier l’appréciation du Tribunal dans la mesure où, ainsi que l’admettent implicitement Brosmann Footwear e.a., il avait déjà été pris en compte par le Conseil dans le règlement définitif ( 14 ) et, d’autre part, que la prétendue dénaturation des éléments de preuve ne résulte pas de façon manifeste des pièces du dossier, j’estime, à l’instar
du Conseil, qu’un «manque de compétitivité» ne constitue pas un autre facteur au sens de l’article 3, paragraphe 7, du règlement de base.
145. En effet, cette expression générique n’est, en réalité, que le résultat de facteurs tels que des coûts de production élevés, une absence d’investissements, une productivité insuffisante, des mauvais résultats à l’exportation, facteurs qui sont énumérés à l’article 3, paragraphe 7, du règlement de base ou qui, en tout état de cause, peuvent être pris en considération par les institutions au titre de cette disposition.
146. Dans ce contexte, c’est à bon droit que le Tribunal, en réponse à l’argumentation spécifique exposée par Brosmann Footwear e.a. en première instance, a examiné, au point 192 de l’arrêt attaqué, si les prétendus mauvais résultats à l’exportation de l’industrie de l’Union étaient susceptibles, au titre des autres facteurs mentionnés à l’article 3, paragraphe 7, du règlement de base, d’avoir causé un préjudice important à l’industrie de l’Union.
147. En second lieu, s’agissant de l’allégation selon laquelle le Tribunal aurait omis de statuer sur une baisse supplémentaire des prix des producteurs-exportateurs chinois en raison d’une modification de l’assortiment des produits à compter de l’année 2002, il importe de relever qu’elle n’a pas été formulée dans ces termes en première instance. Ainsi que cela ressort du point 106 du pourvoi, Brosmann Footwear e.a. avaient en effet fait valoir devant le Tribunal que la baisse des prix en cause
était due à la modification de l’assortiment des produits intervenue à la suite de la levée des contingents, soit à compter du mois de janvier 2005 et non à partir de l’année 2002. Brosmann Footwear e.a. ne peuvent donc pas désormais reprocher au Tribunal d’avoir omis de statuer sur un tel argument.
148. En tout état de cause, quant au fond, j’estime que rien n’oblige les institutions à rechercher, dans le cadre d’une enquête antidumping, l’origine d’une baisse supplémentaire de prix de produits importés dans l’Union faisant l’objet d’un dumping.
149. Je propose donc de rejeter le cinquième moyen du pourvoi ainsi que le pourvoi dans son intégralité.
V – Sur les dépens
150. Aux termes de l’article 122, premier alinéa, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Selon l’article 69, paragraphe 2, du même règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant conclu à la condamnation de Brosmann Footwear e.a. aux dépens de l’instance et ces dernières devant, selon moi, succomber en leurs
moyens, il y aurait lieu de les condamner aux dépens afférents au pourvoi.
VI – Conclusion
151. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose que la Cour déclare et arrête ce qui suit:
«1. Le pourvoi est rejeté.
2. Brosmann Footwear (HK) Ltd, Seasonable Footwear (Zhongshan) Ltd, Lung Pao Footwear (Guangzhou) Ltd et Risen Footwear (HK) Co. Ltd sont condamnées aux dépens.»
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
( 1 ) Langue originale: le français.
( 2 ) T-401/06, Rec. p. II-671.
( 3 ) JO L 275, p. 1.
( 4 ) JO 1996, L 56, p. 1.
( 5 ) JO L 77, p. 12.
( 6 ) JO C 166, 14.
( 7 ) JO L 98, p. 3.
( 8 ) Voir points 50 et 51 du pourvoi.
( 9 ) À noter que c’est sans aucun doute une erreur de plume qui a conduit le Tribunal à faire référence, dans ce point de l’arrêt attaqué, au questionnaire d’échantillonnage et non au questionnaire sur la qualité pour agir.
( 10 ) Voir annexe 7 du pourvoi (p. 289) qui contient des tableaux adressés aux producteurs de l’Union à l’origine de la plainte se référant aux années 2003, 2004 ainsi qu’au premier trimestre 2005.
( 11 ) Voir, notamment, arrêt du 18 mars 2010, Trubowest Handel et Makarov/Conseil et Commission (C-419/08 P, Rec. p. I-2259, point 31 et jurisprudence citée).
( 12 ) Voir arrêt Trubowest Handel et Makarov/Conseil et Commission, précité (point 32 et jurisprudence citée).
( 13 ) Voir, à cet égard, arrêt du 3 septembre 2009, Moser Baer India/Conseil (C-535/06 P, Rec. p. I-7051, point 87 et jurisprudence citée).
( 14 ) Voir point 137 des présentes conclusions.