Affaire C-125/10
Merck Sharp & Dohme Corp., anciennement Merck & Co. Inc.
contre
Deutsches Patent- und Markenamt
(demande de décision préjudicielle, introduite par le Bundespatentgericht)
«Propriété intellectuelle et industrielle — Brevets — Règlement (CEE) nº 1768/92 — Article 13 — Certificat complémentaire de protection pour les médicaments — Possibilité de délivrer ce certificat dans le cas où la période écoulée entre la date du dépôt de la demande du brevet de base et la date de la première autorisation de mise sur le marché dans l’Union est inférieure à cinq ans — Règlement (CE) nº 1901/2006 — Article 36 — Prorogation de la durée du certificat complémentaire de protection»
Sommaire de l'arrêt
Rapprochement des législations — Législations uniformes — Propriété industrielle et commerciale — Droit de brevet — Certificat complémentaire de protection pour les médicaments — Durée du certificat
(Règlement du Parlement européen et du Conseil nº 1901/2006, art. 36; règlement du Conseil nº 1768/92, art. 13)
L’article 13 du règlement nº 1768/92, concernant la création d’un certificat complémentaire de protection pour les médicaments, tel que modifié par le règlement nº 1901/2006, relatif aux médicaments à usage pédiatrique, lu en combinaison avec l’article 36 du règlement nº 1901/2006, doit être interprété en ce sens que des médicaments peuvent faire l’objet de la délivrance d’un certificat complémentaire de protection lorsque la période qui s’est écoulée entre la date du dépôt de la demande du brevet
de base et la date de la première autorisation de mise sur le marché dans l’Union européenne est inférieure à cinq ans. Dans ce cas, le délai de prorogation pédiatrique prévu par ce dernier règlement commence à courir à compter de la date déterminée, en déduisant de la date d’échéance du brevet la différence entre cinq ans et la durée de la période écoulée entre le dépôt de la demande de brevet et l’obtention de la première autorisation de mise sur le marché.
Si une demande de certificat complémentaire de protection devait être refusée au motif que le calcul prévu à l’article 13, paragraphe 1, du règlement nº 1768/92 aboutit à une durée négative ou nulle, le titulaire du brevet de base ne pourrait pas obtenir une prorogation de la protection conférée par un tel brevet, même s’il a réalisé l’ensemble des études selon le plan d’investigation pédiatrique approuvé, au sens de l’article 36 du règlement nº 1901/2006. Un tel refus serait susceptible de porter
atteinte à l’effet utile du règlement nº 1901/2006 et pourrait avoir pour conséquence de mettre en péril les objectifs poursuivis par ce règlement, à savoir celui consistant à compenser les efforts dispensés afin d’évaluer les effets pédiatriques du médicament en cause.
Par conséquent, il découle de la lecture combinée des règlements nº 1768/92 et nº 1901/2006 que le certificat complémentaire de protection et la prorogation pédiatrique confèrent ensemble au titulaire d’un brevet de base un droit exclusif d’une durée maximale de quinze ans et six mois à compter de la date de l’octroi de la première autorisation de mise sur le marché du médicament en question dans l’Union.
Il résulte de cette durée maximale qu’une prorogation pédiatrique a une utilité si la durée négative d’un certificat complémentaire de protection ne dépasse pas six mois. En d’autres termes, l’objectif du règlement nº 1901/2006 est atteint lorsque le titulaire du brevet de base a obtenu sa première autorisation de mise sur le marché du médicament en question dans l’Union dans une période comprise entre quatre ans et demi et cinq ans depuis la demande du brevet de base. Dès lors, un certificat
complémentaire de protection peut être octroyé alors qu’il s’est écoulé moins de cinq ans entre la demande de brevet de base et la date d’obtention d’une telle autorisation de mise sur le marché.
Il s’ensuit que la délivrance d’un certificat complémentaire de protection ne saurait être refusée du seul fait que la durée déterminée conformément aux modalités de calcul prévues à l’article 13, paragraphe 1, du règlement nº 1768/92 n’est pas positive.
S’agissant de la question de savoir à quel moment la prorogation pédiatrique d’une durée de six mois doit commencer à courir, dans le cas où la période qui s’est écoulée entre la date du dépôt de la demande de brevet de base et la date de la première autorisation de mise sur le marché du médicament en question dans l’Union est inférieure à cinq ans, le point de départ de cette prorogation ne peut pas être fixé à partir de la date d’échéance du brevet de base, de sorte que la durée dudit certificat
soit considérée comme égale à zéro. En effet, une telle solution serait contraire aux modalités de calcul prévues à l’article 13, paragraphe 1, du règlement nº 1768/92, dans la mesure où cette disposition prévoit que la durée du certificat complémentaire de protection correspond à la période écoulée entre la date du dépôt de la demande du brevet de base et la date de la première autorisation de mise sur le marché dans l’Union, réduite d’une période de cinq ans. Partant, lorsque la durée d’un
certificat complémentaire de protection est négative, celle-ci ne peut être arrondie à zéro. Le délai de prorogation pédiatrique prévu par le règlement nº 1901/2006 commence à courir à compter de la date déterminée en déduisant de la date d’échéance du brevet la différence entre cinq ans et la durée de la période écoulée entre le dépôt de la demande de brevet et l’obtention de la première autorisation de mise sur le marché.
(points 37-42, 45 et disp.)
ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
8 décembre 2011 (*)
«Propriété intellectuelle et industrielle – Brevets – Règlement (CEE) n° 1768/92 – Article 13 – Certificat complémentaire de protection pour les médicaments – Possibilité de délivrer ce certificat dans le cas où la période écoulée entre la date du dépôt de la demande du brevet de base et la date de la première autorisation de mise sur le marché dans l’Union est inférieure à cinq ans – Règlement (CE) n° 1901/2006 – Article 36 – Prorogation de la durée du certificat complémentaire de protection»
Dans l’affaire C‑125/10,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundespatentgericht (Allemagne), par décision du 28 janvier 2010, parvenue à la Cour le 9 mars 2010, dans la procédure
Merck Sharp & Dohme Corp., anciennement Merck & Co. Inc.,
contre
Deutsches Patent- und Markenamt,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de M. J. N. Cunha Rodrigues, président de chambre, MM. U. Lõhmus (rapporteur), A. Rosas, A. Ó Caoimh et A. Arabadjiev, juges,
avocat général: M. Y. Bot,
greffier: M. K. Malacek, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 4 mai 2011,
considérant les observations présentées:
– pour Merck Sharp & Dohme Corp., anciennement Merck & Co. Inc., par M^es M. Heinemann, M. Gundt, A. Rollins et A. von Falck, Rechtsanwälte,
– pour le gouvernement français, par MM. G. de Bergues et S. Menez ainsi que par M^me R. Loosli-Surrans, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement lituanien, par M. D. Kriaučiūnas et M^me V. Balčiūnaitė, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement hongrois, par MM. M. Ficsor et M. Fehér ainsi que par M^me Z. Tóth, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement portugais, par MM. L. Inez Fernandes et P. A. Antunes, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M^me H. Walker, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par MM. G. Braun et F. W. Bulst, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 9 juin 2011,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 13, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 469/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 6 mai 2009, concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments (version codifiée) (JO L 152, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Merck Sharp & Dohme Corp., anciennement Merck & Co. Inc. (ci-après «Merck»), au Deutsches Patent- und Markenamt (Office allemand des brevets et des marques) au sujet du refus de ce dernier d’octroyer un certificat complémentaire de protection (ci-après le «CCP») pour la substance pharmaceutique sitagliptine.
Le cadre juridique
Le règlement (CEE) n° 1768/92
3 Les premier et deuxième considérants du règlement (CEE) n° 1768/92 du Conseil, du 18 juin 1992, concernant la création d’un certificat complémentaire de protection pour les médicaments (JO L 182, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) n° 1901/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006 (JO L 378, p. 1, ci-après le «règlement n° 1768/92»), sont rédigés comme suit:
«considérant que la recherche dans le domaine pharmaceutique contribue de façon décisive à l’amélioration continue de la santé publique;
considérant que les médicaments et notamment ceux résultant d’une recherche longue et coûteuse ne continueront à être développés dans la Communauté et en Europe que s’ils bénéficient d’une réglementation favorable prévoyant une protection suffisante pour encourager une telle recherche».
4 Les troisième à cinquième considérants de ce règlement énoncent que la période qui s’écoule entre le dépôt d’une demande de brevet pour un nouveau médicament et l’autorisation de mise sur le marché (ci-après l’«AMM») dudit médicament réduit la protection effective conférée par le brevet à une durée insuffisante pour amortir les investissements effectués dans la recherche, ce qui pénalise la recherche pharmaceutique et fait courir le risque d’un déplacement des centres de recherche hors des
États membres.
5 Les huitième et neuvième considérants du même règlement énoncent:
«considérant que la durée de la protection conférée par le [CCP] doit être déterminée de telle sorte qu’elle permette une protection effective suffisante; que, à [cet] effet, le titulaire, à la fois d’un brevet et d’un [CCP], doit pouvoir bénéficier au total de quinze années d’exclusivité au maximum à partir de la première [AMM], dans la Communauté, du médicament en question;
considérant néanmoins que tous les intérêts en jeu, y compris ceux de la santé publique, dans un secteur aussi complexe et sensible que le secteur pharmaceutique doivent être pris en compte; que, à cet effet, le [CCP] ne saurait être délivré pour une durée supérieure à cinq ans; que la protection qu’il confère doit en outre être strictement limitée au produit couvert par l’[AMM] en tant que médicament».
6 Aux termes de l’article 3 du règlement n° 1768/92, intitulé «Conditions d’obtention du [CCP]»:
«Le [CCP] est délivré, si, dans l’État membre où est présentée la demande visée à l’article 7 et à la date de cette demande:
a) le produit est protégé par un brevet de base en vigueur;
b) le produit, en tant que médicament, a obtenu une [AMM] en cours de validité conformément à la directive 65/65/CEE [du Conseil, du 26 janvier 1965, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives aux médicaments (JO 1965, 22, p. 369), telle que modifiée par la directive 89/341/CEE du Conseil, du 3 mai 1989 (JO L 142, p. 11),] ou à la directive 81/851/CEE [du Conseil, du 28 septembre 1981, concernant le rapprochement des législations des
États membres relatives aux médicaments vétérinaires (JO L 317, p. 1), telle que modifiée par la directive 90/676/CEE du Conseil, du 13 décembre 1990 (JO L 373, p. 15),] suivant les cas. [...];
c) le produit n’a pas déjà fait l’objet d’un [CCP];
d) l’[AMM] mentionnée au point b) est la première [AMM] du produit, en tant que médicament.»
7 L’article 7, paragraphe 1, dudit règlement prévoit que «[l]a demande de [CCP] doit être déposée dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle le produit, en tant que médicament, a obtenu l’[AMM]».
8 L’article 8 du règlement n° 1768/92 énumère les mentions que la demande de CCP doit contenir. Il prévoit, notamment, à son paragraphe 1, sous d), i), que, si la demande de CCP contient une demande de prorogation, elle doit inclure une copie de la déclaration attestant la conformité à un plan d’investigation pédiatrique visé à l’article 36 du règlement n° 1901/2006.
9 L’article 10 du règlement n° 1768/92, qui prévoit les conditions de délivrance du CCP ou du rejet de la demande de celui-ci, dispose à ses paragraphes 1 et 2:
«1. Lorsque la demande de [CCP] et le produit qui en fait l’objet satisfont aux conditions prévues par le présent règlement, l’autorité visée à l’article 9 paragraphe 1 délivre le [CCP].
2. Sous réserve du paragraphe 3, l’autorité visée à l’article 9 paragraphe 1 rejette la demande de [CCP] si cette demande ou le produit qui en fait l’objet ne satisfait pas aux conditions prévues par le présent règlement.»
10 L’article 13 de ce règlement, intitulé «Durée du [CCP]», est libellé comme suit:
«1. Le [CCP] produit effet au terme légal du brevet de base pour une durée égale à la période écoulée entre la date du dépôt de la demande du brevet de base et la date de la première [AMM] dans la Communauté, réduite d’une période de cinq ans.
2. Nonobstant le paragraphe 1, la durée du [CCP] ne peut être supérieure à cinq ans à compter de la date à laquelle il produit effet.
3. Les périodes prévues aux paragraphes 1 et 2 sont prorogées de six mois en cas d’application de l’article 36 du règlement (CE) n° 1901/2006. Dans ce cas, la période prévue au paragraphe 1 du présent article ne peut faire l’objet que d’une seule prorogation.»
11 L’article 14, sous a), du règlement n° 1768/92 prévoit que le CCP s’éteint «au terme de la durée prévue à l’article 13».
12 Le règlement n° 469/2009, codifiant et abrogeant le règlement n° 1768/92, est entré en vigueur le 6 juillet 2009. Son article 13 est libellé dans des termes identiques à l’article 13 du règlement n° 1768/92. Néanmoins, compte tenu des faits du litige au principal, le règlement n° 1768/92 demeure applicable à celui-ci.
Le règlement n° 1901/2006
13 Les vingt-sixième et vingt-septième considérants du règlement n° 1901/2006 énoncent:
«(26) Dans le cas des produits pour lesquels des données pédiatriques doivent être présentées, si toutes les mesures figurant dans le plan d’investigation pédiatrique approuvé sont réalisées, si le produit est autorisé dans tous les États membres et si des données pertinentes sur les résultats des études sont incluses dans les informations relatives au produit, une récompense devrait être accordée sous la forme d’une prorogation de six mois du [CCP] instauré par le règlement (CEE) n° 1768/92 [...]
(27) Une demande de prorogation du [CCP] en vertu du présent règlement ne devrait être admissible que quand un [CCP] est délivré au sens du règlement (CEE) n° 1768/92.»
14 Aux termes de l’article 36, paragraphes 1 et 4, du règlement n° 1901/2006:
«1. Lorsqu’une demande présentée conformément à l’article 7 ou 8 comprend les résultats de l’ensemble des études réalisées selon un plan d’investigation pédiatrique approuvé, le titulaire du brevet ou du [CCP] a droit à une prorogation de six mois de la période visée à l’article 13, paragraphes 1 et 2, du règlement (CEE) n° 1768/92 [(ci-après la «prorogation pédiatrique»)].
Le premier alinéa s’applique également lorsque la réalisation du plan d’investigation pédiatrique approuvé n’aboutit pas à l’autorisation d’une indication pédiatrique, mais que les résultats des études effectuées apparaissent dans le résumé des caractéristiques du produit et, le cas échéant, dans la notice du médicament concerné.
[...]
4. Les paragraphes 1, 2 et 3 s’appliquent aux produits qui sont couverts par un [CCP], conformément au règlement (CEE) n° 1768/92, ou par un brevet ouvrant droit au [CCP]. [...]»
Le litige au principal et la question préjudicielle
15 Merck est titulaire d’un brevet européen portant sur des composés inhibiteurs de la dipeptidyl peptidase pour le traitement ou la prévention du diabète. Ce brevet de base, valant également pour la République fédérale d’Allemagne, a été demandé le 5 juillet 2002.
16 Le 14 septembre 2007, Merck a sollicité du Deutsches Patent- und Markenamt la délivrance d’un CCP pour la substance pharmaceutique sitagliptine couverte par ledit brevet, le cas échéant pour la forme d’un sel acceptable au niveau pharmaceutique, en particulier pour le phosphate de sitagliptine monohydraté. Elle a indiqué comme date de la première AMM, dans l’Union européenne et en République fédérale d’Allemagne, le 21 mars 2007, qui est la date de l’autorisation européenne délivrée pour le
médicament contenant la substance phosphate de sitagliptine monohydraté. Ce médicament est commercialisé dans ledit État membre sous la marque Januvia.
17 Cette demande a été rejetée par décision du 1^er juillet 2008 au motif qu’il ne s’était écoulé qu’une période de quatre ans, huit mois et seize jours entre la date du dépôt de la demande de brevet de base et celle du jour de la délivrance de la première AMM, de sorte que le calcul de la durée du CCP aurait débouché, en vertu de l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 1768/92, sur une durée négative de trois mois et quatorze jours.
18 Merck a introduit un recours contre cette décision devant le Bundespatentgericht. Elle soutient que toutes les conditions pour l’obtention du CCP sont réunies en l’espèce, la durée du CCP ne faisant pas partie de ces conditions.
19 Merck fait valoir que même si le CCP ne peut pas déboucher sur une durée positive, celui-ci pourrait néanmoins avoir une durée zéro ou négative. Sa demande serait motivée par le souci de se réserver la possibilité de solliciter, à une date ultérieure, la prorogation de ce certificat. Un plan d’investigation pédiatrique a été autorisé, en ce sens, par l’autorité compétente le 27 mars 2009, les études prescrites dans ce plan devant être achevées avant l’année 2017.
20 La juridiction de renvoi s’interroge sur la question de savoir si l’entrée en vigueur du règlement n° 1901/2006 prévoyant une récompense sous la forme de la prorogation pédiatrique de six mois ne modifierait pas l’approche adoptée jusqu’à présent selon laquelle la délivrance du CCP n’est possible que si cinq années se sont écoulées entre la demande de brevet et la première AMM du médicament en question dans l’Union. Il importerait de savoir si, à la suite de l’entrée en vigueur de ce
règlement, il convient de délivrer des CCP d’une durée négative ou nulle.
21 Ainsi, ladite juridiction a indiqué qu’elle a estimé nécessaire de saisir la Cour d’une demande d’interprétation de l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 469/2009.
22 Dans ces conditions, le Bundespatentgericht a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«Des médicaments peuvent-ils faire l’objet de la délivrance d’un [CCP] lorsque la période qui s’est écoulée entre le dépôt de la demande du brevet de base et la date de la première [AMM] dans la Communauté est inférieure à cinq ans?»
Sur la question préjudicielle
23 À titre liminaire, il convient d’observer que, dans sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi se réfère au règlement n° 469/2009, codifiant et abrogeant le règlement n° 1768/92.
24 Or, le règlement n° 469/2009 étant entré en vigueur le 6 juillet 2009, soit postérieurement à l’adoption de la décision faisant l’objet du recours dans l’affaire au principal, c’est le règlement n° 1768/92 qui demeure applicable à cette dernière.
25 En outre, même si la durée de la prorogation pédiatrique est prévue à l’article 13, paragraphe 3, du règlement n° 1768/92, les conditions de son application sont fixées à l’article 36 du règlement n° 1901/2006. Dès lors, c’est à la lumière de ces deux règlements qu’il convient de répondre à la question posée par la juridiction de renvoi.
26 Ainsi, il y a lieu de considérer que, par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 13 du règlement n° 1768/92, lu en combinaison avec l’article 36 du règlement n° 1901/2006, doit être interprété en ce sens que des médicaments peuvent faire l’objet de la délivrance d’un CCP lorsque la période qui s’est écoulée entre la date du dépôt de la demande du brevet de base et la date de la première AMM dans l’Union est inférieure à cinq ans.
27 Au vu des indications figurant dans la demande de décision préjudicielle, cette juridiction souhaite également savoir si, en cas de réponse positive à ladite question, la prorogation d’une durée de six mois prévue à l’article 36 du règlement n° 1901/2006 doit commencer à courir avant la date d’expiration du brevet, à savoir à la date fixée en retenant une valeur négative pour le CCP, ou bien s’il faut, en arrondissant la durée du CCP à zéro, faire courir cette prorogation à compter de la
date d’expiration dudit brevet.
28 Il convient d’emblée de relever que l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 1768/92 prévoit que le CCP produit effet pour une durée égale à la période écoulée entre la date du dépôt de la demande du brevet de base et la date de la première AMM dans l’Union, réduite d’une période de cinq ans. Rien dans le libellé de ladite disposition ni d’aucune autre disposition de ce règlement ne permet de supposer que ce dernier s’oppose nécessairement à ce qu’un CCP ait une durée négative.
29 Il convient dès lors d’interpréter l’article 13 du règlement n° 1768/92 non pas exclusivement au regard de son libellé, mais également en considération de l’économie générale et des objectifs du système dans lequel il s’insère (voir, en ce sens, arrêts du 11 décembre 2003, Hässle, C‑127/00, Rec. p. I‑14781, point 55, et du 3 septembre 2009, AHP Manufacturing, C‑482/07, Rec. p. I‑7295, point 27).
30 En ce qui concerne, en premier lieu, l’économie générale du règlement n° 1768/92, il convient de constater que l’article 10 dudit règlement dispose que, lorsque la demande de CCP et le produit qui en fait l’objet satisfont aux conditions prévues par le même règlement, l’autorité compétente délivre ce certificat. Or, il convient de constater que la condition de la durée positive du CCP ne figure ni parmi les conditions d’obtention de fond d’un tel certificat, énumérées à l’article 3 du
règlement n° 1768/92, ni parmi celles de forme, visées aux articles 7 à 9 de celui‑ci.
31 En ce qui concerne, en second lieu, les objectifs poursuivis par le règlement n° 1768/92, il y a lieu de rappeler que l’objectif fondamental de ce règlement, tel qu’énoncé aux premier et deuxième considérants de celui-ci, consiste à garantir une protection suffisante pour encourager la recherche dans le domaine pharmaceutique, qui contribue de façon décisive à l’amélioration continue de la santé publique (voir, en ce sens, arrêt AHP Manufacturing, précité, point 30).
32 À cet égard, l’adoption dudit règlement est motivée, aux troisième, quatrième et huitième considérants de celui-ci, par la durée insuffisante de la protection effective conférée par le brevet pour amortir les investissements effectués dans la recherche pharmaceutique, compte tenu de la période qui s’écoule entre le dépôt d’une demande de brevet pour un nouveau médicament et la délivrance de l’AMM dudit médicament (voir, en ce sens, arrêt AHP Manufacturing, précité, point 30).
33 Le règlement n° 1768/92 vise ainsi à combler cette insuffisance par la création d’un CCP pour les médicaments. Outre cet objectif, ce règlement reconnaît également, ainsi qu’il ressort de son neuvième considérant, la nécessité, dans un secteur aussi complexe et sensible que le secteur pharmaceutique, de prendre en compte tous les intérêts en jeu, y compris ceux de la santé publique, en assurant que le monopole d’exploitation ainsi garanti n’excède pas ce qui est nécessaire à l’amortissement
des investissements et ne retarde pas abusivement le moment où le produit en cause tombe dans le domaine public (voir, en ce sens, arrêt AHP Manufacturing, précité, points 30 et 39).
34 Quant au règlement n° 1901/2006, lequel a modifié, notamment, l’article 13 du règlement n° 1768/92, dans sa version originale, il convient de constater que, ainsi qu’il ressort de son vingt-sixième considérant, il poursuit l’objectif de compenser les efforts dispensés afin d’évaluer les effets pédiatriques du médicament en cause, en accordant au titulaire d’un brevet de base qui a réalisé l’ensemble des recherches préconisées dans le plan d’investigation pédiatrique approuvé pour le
médicament en cause une récompense sous la forme d’une prorogation de six mois du CCP.
35 Certes, si un CCP ayant une durée négative ou nulle ne présente guère d’utilité en soi, il n’en reste pas moins que depuis l’adoption du règlement n° 1901/2006, un tel CCP est susceptible de revêtir une utilité pour le titulaire d’un brevet de base souhaitant obtenir la prorogation pédiatrique. En effet, l’article 13, paragraphe 3, du règlement n° 1768/92 prévoit une possibilité de proroger de six mois la durée du CCP, telle que calculée conformément au paragraphe 1 de cet article, et
permet, par conséquent, de proroger la période des quinze années d’exclusivité énoncées au huitième considérant du règlement n° 1768/92.
36 Or, ainsi qu’il résulte du vingt-septième considérant du règlement n° 1901/2006 et de la lecture conjointe des articles 13, paragraphe 3, du règlement n° 1768/92 et 36, paragraphe 1, du règlement n° 1901/2006, l’octroi de la prorogation pédiatrique n’est possible que si un CCP est délivré en vertu du règlement n° 1768/92.
37 Ainsi, si la demande de CCP devait être refusée au motif que le calcul prévu à l’article 13, paragraphe 1, de ce dernier règlement aboutit à une durée négative ou nulle, le titulaire du brevet de base ne pourrait pas obtenir une prorogation de la protection conférée par un tel brevet, même s’il a réalisé l’ensemble des études selon le plan d’investigation pédiatrique approuvé, au sens de l’article 36 du règlement n° 1901/2006. Un tel refus serait susceptible de porter atteinte à l’effet
utile du règlement n° 1901/2006 et pourrait avoir pour conséquence de mettre en péril les objectifs poursuivis par ce règlement, à savoir celui consistant à compenser les efforts dispensés afin d’évaluer les effets pédiatriques du médicament en cause.
38 Par conséquent, il y a lieu de considérer qu’il découle de la lecture combinée des règlements n^os 1768/92 et 1901/2006 que le CCP et la prorogation pédiatrique confèrent ensemble au titulaire d’un brevet de base un droit exclusif d’une durée maximale de quinze ans et six mois à compter de la date de l’octroi de la première AMM du médicament en question dans l’Union.
39 Il résulte de cette durée maximale qu’une prorogation pédiatrique a de l’utilité si la durée négative d’un CCP ne dépasse pas six mois. En d’autres termes, l’objectif du règlement n° 1901/2006 est atteint lorsque le titulaire du brevet de base a obtenu sa première AMM du médicament en question dans l’Union dans une période comprise entre quatre ans et demi et cinq ans depuis la demande du brevet de base. Dès lors, un CCP peut être octroyé alors qu’il s’est écoulé moins de cinq ans entre la
demande de brevet de base et la date d’obtention d’une telle AMM.
40 Il s’ensuit qu’il y a lieu de considérer que la délivrance d’un CCP ne saurait être refusée du seul fait que la durée déterminée conformément aux modalités de calcul prévues à l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 1768/92 n’est pas positive.
41 S’agissant de la question de savoir à quel moment la prorogation pédiatrique d’une durée de six mois doit commencer à courir, il convient de considérer que, dans le cas où la période qui s’est écoulée entre la date du dépôt de la demande de brevet de base et la date de la première AMM du médicament en question dans l’Union est inférieure à cinq ans, le point de départ de cette prorogation ne peut pas être fixé à partir de la date d’échéance du brevet de base, de sorte que la durée dudit
certificat soit considérée comme égale à zéro. En effet, une telle solution serait contraire aux modalités de calcul prévues à l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 1768/92, dans la mesure où cette disposition prévoit que la durée du CCP correspond à la période écoulée entre la date du dépôt de la demande du brevet de base et la date de la première AMM dans l’Union, réduite d’une période de cinq ans.
42 Partant, lorsque la durée d’un CCP est négative, celle-ci ne peut être arrondie à zéro. Le délai de prorogation pédiatrique prévu par le règlement n° 1901/2006 commence à courir à compter de la date déterminée en déduisant de la date d’échéance du brevet la différence entre cinq ans et la durée de la période écoulée entre le dépôt de la demande de brevet et l’obtention de la première AMM.
43 Ce n’est que dans l’hypothèse où la période entre le dépôt de la demande du brevet de base et la date de la première AMM dans l’Union du médicament en cause est exactement de cinq ans qu’un CCP peut avoir une durée égale à zéro et que le point de départ de la prorogation pédiatrique d’une durée de six mois est concomitant à la date d’échéance du brevet de base.
44 Dans les circonstances de l’affaire au principal, le CCP et la prorogation pédiatrique conféreraient ensemble au titulaire d’un brevet de base une durée de protection de deux mois et seize jours qui produit effet au terme légal du brevet de base. Dès lors, l’octroi d’un CCP de durée négative en l’espèce permet d’atteindre l’objectif du règlement n° 1901/2006.
45 Il résulte de l’ensemble de ce qui précède qu’il convient de répondre à la question posée que l’article 13 du règlement n° 1768/92, lu en combinaison avec l’article 36 du règlement n° 1901/2006, doit être interprété en ce sens que des médicaments peuvent faire l’objet de la délivrance d’un CCP lorsque la période qui s’est écoulée entre la date du dépôt de la demande du brevet de base et la date de la première AMM dans l’Union est inférieure à cinq ans. Dans ce cas, le délai de prorogation
pédiatrique prévu par ce dernier règlement commence à courir à compter de la date déterminée en déduisant de la date d’échéance du brevet la différence entre cinq ans et la durée de la période écoulée entre le dépôt de la demande de brevet et l’obtention de la première AMM.
Sur les dépens
46 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:
L’article 13 du règlement (CEE) n° 1768/92 du Conseil, du 18 juin 1992, concernant la création d’un certificat complémentaire de protection pour les médicaments, tel que modifié par le règlement (CE) n° 1901/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, lu en combinaison avec l’article 36 du règlement n° 1901/2006, doit être interprété en ce sens que des médicaments peuvent faire l’objet de la délivrance d’un certificat complémentaire de protection lorsque la période qui s’est
écoulée entre la date du dépôt de la demande du brevet de base et la date de la première autorisation de mise sur le marché dans l’Union européenne est inférieure à cinq ans. Dans ce cas, le délai de prorogation pédiatrique prévu par ce dernier règlement commence à courir à compter de la date déterminée en déduisant de la date d’échéance du brevet la différence entre cinq ans et la durée de la période écoulée entre le dépôt de la demande de brevet et l’obtention de la première autorisation de mise
sur le marché.
Signatures
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* Langue de procédure: l’allemand.