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26/01/2012 | CJUE | N°C-301/10

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Commission européenne contre Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord., 26/01/2012, C-301/10


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 26 janvier 2012 ( 1 )

Affaire C‑301/10

Commission européenne

contre

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord

«Directive 91/271/CEE — Systèmes de collecte — Traitement des eaux urbaines résiduaires — Notions de ‘rendement suffisant’ et de ‘connaissances techniques les plus avancées, sans entraîner des coûts excessifs’»

1.  La présente affaire tire son origine d’un recours introduit par la Commission europ

éenne contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord pour violation alléguée de la directive 91/271/CEE ( 2 ) (ci-aprè...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 26 janvier 2012 ( 1 )

Affaire C‑301/10

Commission européenne

contre

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord

«Directive 91/271/CEE — Systèmes de collecte — Traitement des eaux urbaines résiduaires — Notions de ‘rendement suffisant’ et de ‘connaissances techniques les plus avancées, sans entraîner des coûts excessifs’»

1.  La présente affaire tire son origine d’un recours introduit par la Commission européenne contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord pour violation alléguée de la directive 91/271/CEE ( 2 ) (ci-après, également, la «directive»), qui concerne la collecte et le traitement des eaux urbaines résiduaires. Ce recours fait partie d’une série d’actions analogues engagées par la Commission contre de nombreux États membres en ce qui concerne différentes parties de la directive; il se
distingue cependant de la majeure partie de celles-ci par le fait que le cœur du litige n’a pas trait à l’appréciation de circonstances de fait, mais à l’interprétation de certaines notions qui sont présentes dans le texte normatif, sans toutefois être assorties d’une définition précise. Comme nous le verrons, la détermination des obligations que la directive impose aux États membres et, partant, le bien-fondé du recours de la Commission dépendent de la signification qu’il convient d’attribuer à
ces notions.

I – Cadre juridique

2. Les dispositions de la directive qui sont pertinentes en l’espèce sont, en particulier, les articles 3, 4 et 10 de celle-ci, ainsi que son annexe I.

3. L’article 3 introduit le principe général en vertu duquel les États membres doivent faire en sorte que toutes les agglomérations d’une dimension supérieure à un certain seuil ( 3 ) soient équipées de systèmes de collecte des eaux urbaines résiduaires. Pour les localités visées par le présent recours, la date limite prévue par la directive pour se conformer à l’article 3 était le 31 décembre 2000.

4. L’article 4 prévoit, en l’assortissant de modalités et d’un calendrier en grande partie analogues à ceux de l’article 3, l’obligation que «les eaux urbaines résiduaires qui pénètrent dans les systèmes de collecte soient, avant d’être rejetées, soumises à un traitement secondaire ou à un traitement équivalent».

5. Il n’est pas contesté que toutes les localités qui font l’objet du présent recours sont soumises tant aux obligations de l’article 3 qu’à celles de l’article 4.

6. L’article 10, qui décrit les caractéristiques que doivent posséder les stations d’épuration visées à l’article 4, est formulé dans les termes suivants:

«Les États membres veillent à ce que les stations d’épuration des eaux urbaines résiduaires construites pour satisfaire aux exigences des articles 4, 5, 6 et 7 soient conçues, construites, exploitées et entretenues de manière à avoir un rendement suffisant dans toutes les conditions climatiques normales du lieu où elles sont situées. Il convient de tenir compte des variations saisonnières de la charge lors de la conception de ces installations.»

7. L’annexe I de la directive contient quelques indications techniques supplémentaires. En particulier, son point A est consacré aux systèmes de collecte et prévoit ce qui suit:

«Les systèmes de collecte tiennent compte des prescriptions en matière de traitement des eaux usées.

La conception, la construction et l’entretien des systèmes de collecte sont entrepris sur la base des connaissances techniques les plus avancées, sans entraîner des coûts excessifs, notamment en ce qui concerne:

— le volume et les caractéristiques des eaux urbaines résiduaires,

— la prévention des fuites,

— la limitation de la pollution des eaux réceptrices résultant des surcharges dues aux pluies d’orage.»

8. Le point A reproduit ci-dessus s’accompagne en outre d’une note de bas de page libellée comme suit:

«Étant donné qu’en pratique il n’est pas possible de construire des systèmes de collecte et des stations d’épuration permettant de traiter toutes les eaux usées dans des situations telles que la survenance de précipitations exceptionnellement fortes, les États membres décident des mesures à prendre pour limiter la pollution résultant des surcharges dues aux pluies d’orage. Ces mesures pourraient se fonder sur les taux de dilution ou la capacité par rapport au débit par temps sec ou indiquer un
nombre acceptable de surcharges chaque année.»

9. La même note s’applique également au point B de l’annexe, qui indique certaines prescriptions auxquelles les stations d’épuration doivent nécessairement satisfaire.

II – Les faits et la procédure précontentieuse

10. Le recours de la Commission concerne quatre localités: Whitburn, Beckton, Crossness et Mogden.

11. La première (Whitburn) se trouve au nord-est de l’Angleterre. Pour ce qui est de celle-ci, la Commission allègue seulement la violation de l’article 3 de la directive, relatif aux systèmes de collecte.

12. Les trois autres localités sont quant à elles situées dans la région de Londres et font partie du système de collecte et de traitement des eaux résiduaires de la capitale. Dans le cas de Beckton et de Crossness, la Commission allègue la violation tant de l’article 3, concernant les systèmes de collecte, que des articles 4 et 10, relatifs aux stations d’épuration. En revanche, pour ce qui est de Mogden, seule la violation des articles 4 et 10 est alléguée.

13. La phase précontentieuse de la présente affaire a été particulièrement longue et complexe et il n’est pas nécessaire de la décrire en détail. Elle peut être résumée sommairement de la façon suivante.

14. Agissant à la suite d’une plainte qu’elle avait déjà reçue au cours de l’année 2000 et après avoir mené avec les autorités britanniques des discussions qui sont restées infructueuses, la Commission a adressé au Royaume-Uni, le 3 avril 2003, une première lettre de mise en demeure relative à la situation de Whitburn.

15. Par la suite, ayant reçu des plaintes relatives à des eaux usées non traitées rejetées en grande quantité dans la Tamise en 2004-2005, la Commission a contacté les autorités du Royaume-Uni à ce sujet et a envoyé, le 21 mars 2005, une lettre de mise en demeure concernant la situation dans la région de Londres.

16. N’étant pas satisfaite par les réponses fournies par les autorités du Royaume-Uni, la Commission a émis, le 10 avril 2006, un premier avis motivé faisant état de la violation de l’article 3 et de l’annexe I de la directive pour ce qui est de Whitburn et de la violation des articles 3, 4, et 10, ainsi que de l’annexe I, pour ce qui est de Londres.

17. Sur la base des informations qu’elle a reçues ensuite de la part des autorités du Royaume-Uni, la Commission a, le 1er décembre 2008, émis un avis motivé complémentaire, dans lequel elle a en particulier réduit l’objet de ses griefs en ce qui concerne la région de Londres, en le limitant aux zones de Beckton, de Crossness et de Mogden.

18. D’autres échanges de correspondance et discussions entre la Commission et les autorités du Royaume-Uni ont eu lieu par la suite, sans toutefois aboutir à une solution. Par conséquent, n’étant pas satisfaite par les réponses fournies par le Royaume-Uni aux avis motivés, la Commission a introduit le présent recours.

III – La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

19. Le recours est parvenu au greffe de la Cour le 16 juin 2010. À la suite de l’échange habituel des mémoires écrits, les parties ont été entendues lors de l’audience du 10 novembre 2011.

20. La Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

— constater que, en ne procédant pas, d’une part, à la mise en place de systèmes de collecte appropriés, conformément à l’article 3, paragraphes 1 et 2, et à l’annexe I, point A, de la directive, à Whitburn et dans les systèmes de collecte de Beckton et de Crossness à Londres, et d’autre part, au traitement approprié des eaux résiduaires des stations d’épuration de Beckton, de Crossness et de Mogden à Londres, conformément aux articles 4, paragraphes 1 et 3, et 10, ainsi qu’à l’annexe I,
point B, de la directive, le Royaume-Uni a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions susmentionnées;

— condamner le Royaume-Uni aux dépens.

21. Le Royaume-Uni conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

— rejeter le recours;

— condamner la Commission aux dépens.

IV – Sur le manquement

A – Considérations liminaires

22. Comme nous l’avons déjà relevé ci-dessus et comme les parties elles-mêmes l’ont souligné à plusieurs reprises, les faits qui sont à l’origine de l’affaire ne sont quasiment pas litigieux, à l’exception de certains aspects secondaires. Le nœud du litige est donc essentiellement juridique; il tourne autour de la nécessité de définir certains concepts clés figurant dans la directive.

23. Ce que la Commission reproche au Royaume-Uni, dans toutes les quatre localités concernées, c’est le rejet de quantités excessives d’eaux résiduaires qui n’ont pas fait l’objet d’un traitement préalable. Cette situation serait causée en particulier par un usage excessif, de l’avis de la Commission, des déversoirs d’orage des réseaux d’assainissement unitaires («combined sewer overflows», ci-après les «déversoirs d’orage»). Il s’agit de dispositifs qui permettent, quand un système de collecte est
surchargé, de déverser directement dans l’environnement (en général, dans la mer ou dans un fleuve) des eaux qui n’ont pas été préalablement traitées.

24. Comme l’indique leur nom, les déversoirs d’orage sont une composante essentielle, en particulier, des réseaux d’assainissement dits «unitaires», dans lesquels un système de collecte unique recueille tant les eaux ménagères et/ou industrielles usées, produites par les immeubles d’habitation et les activités industrielles, que les eaux de ruissellement, causées par les précipitations. Comme on le conçoit aisément, un système de collecte de ce type est particulièrement exposé à des variations de
charge dues aux précipitations: en effet, pendant les épisodes pluvieux, la quantité des eaux qui transitent dans le système de collecte augmente de manière importante. Les systèmes de collecte de construction récente recueillent souvent séparément les eaux de ruissellement, mais, dans le cas des réseaux unitaires déjà existants, une telle modification est souvent impossible, parce qu’elle suppose des travaux d’adaptation complexes et d’un coût prohibitif. La plupart des systèmes de collecte
visés dans la présente affaire sont de type unitaire.

B – Sur l’interprétation de la directive

25. Avant de passer à l’examen des différents griefs soulevés par la Commission, il convient d’examiner certains aspects fondamentaux de la directive.

26. Il y a lieu de rappeler tout d’abord que, comme la Cour l’a déjà indiqué, l’objectif de la directive est large: il ne se limite pas à la protection des écosystèmes aquatiques, mais entend préserver de manière générale «l’homme, la faune, la flore, le sol, l’eau, l’air et les paysages» de toute influence négative. L’interprétation du texte normatif doit donc toujours tenir compte de ce large objectif ( 4 ).

27. Dans certains domaines, la directive met à la charge des États membres des obligations chiffrées, dont le respect peut être vérifié avec une relative facilité: on peut citer, par exemple, la définition du «traitement primaire» à l’article 2, point 7, ou bien les conditions prévues par le tableau 1 de l’annexe I en matière de stations d’épuration.

28. En revanche, les dispositions de la directive sont dépourvues de références chiffrées/quantitatives précises à d’autres égards et elles sont, par conséquent, susceptibles de faire l’objet d’interprétations divergentes; il appartient, en dernière analyse, au juge de l’Union d’indiquer laquelle de ces interprétations est correcte. Comme on le devine aisément, dans la présente affaire, nous nous trouvons précisément dans une situation du second type évoqué. À l’évidence, la Cour ne saurait créer
arbitrairement des références chiffrées que le législateur a voulu éviter. Toutefois, ce qu’elle peut faire, c’est fournir des définitions qui, en précisant dans la mesure du possible ce que le texte normatif indique, constituent des éléments d’interprétation raisonnables.

29. Nous observons cependant à ce sujet que, dans le domaine considéré en l’espèce, l’absence de points de repère précis est particulièrement problématique. Non seulement la directive contient certaines notions génériques et imprécises, qui plus est dans des domaines très techniques, mais la Commission elle-même n’a pas élaboré à cet égard, ne serait-ce que de manière unilatérale, des lignes directrices qui permettraient de percevoir clairement l’interprétation donnée aux normes par ses services. À
notre avis, une telle intervention clarificatrice émanant, si ce n’est du législateur, tout au moins de la Commission, sous la forme de l’élaboration et de la publication d’éléments d’interprétation adéquats, serait tout à fait opportune.

30. Dans ce contexte, nous passons maintenant en revue les principales notions qui doivent être interprétées dans la présente affaire.

1. «Rendement suffisant» des stations d’épuration

31. La notion de «rendement suffisant» figure à l’article 10 de la directive; elle vise uniquement les stations d’épuration et non les systèmes de collecte. Il s’agit d’une notion qui était présente dès la première proposition de directive, avancée par la Commission en 1989 ( 5 ) et qui est restée substantiellement inchangée jusqu’au texte définitif. Plus précisément, comme nous l’avons vu ci-dessus en rappelant le texte de l’article 10, la directive parle de «rendement suffisant dans toutes les
conditions climatiques normales du lieu où [les stations d’épuration] sont situées».

32. Il nous semble indiscutable que cette norme doit être interprétée en ce sens qu’elle exige que, de manière générale, les stations d’épuration soient en mesure de traiter la totalité des eaux résiduaires produites, dans des conditions normales, dans une localité donnée. Cela a également été confirmé par la jurisprudence de la Cour. La Cour a constaté l’existence d’un manquement dans des cas dans lesquels la collecte et/ou le traitement concernaient 80 ou 90 % des eaux résiduaires produites par
une agglomération ( 6 ). Une telle approche restrictive concorde d’ailleurs avec l’objectif particulièrement large de la directive, que nous avons rappelé ci-dessus. En outre, comme l’indique la disposition elle-même, les variations saisonnières doivent être prises en considération lors de la conception des stations d’épuration. En d’autres termes, les variations climatiques saisonnières qui sont prévisibles ne sauraient justifier l’absence de traitement des eaux résiduaires. Le fait que la
directive parle de variations «saisonnières» implique qu’il s’agit, en principe, de variations régulières qui se répètent, généralement selon un cycle annuel. Inversement, une variation de charge tout à fait irrégulière et imprévisible peut, conformément à l’article 10, justifier une absence de traitement.

33. Ce que nous avons relevé au point précédent ne doit toutefois pas être interprété de manière excessivement rigide, en ce sens qu’une absence de traitement des eaux résiduaires peut uniquement être justifiée dans le cas d’événements qui se produisent, en moyenne, moins d’une fois par an (pour lesquels on ne peut manifestement plus parler de caractère «saisonnier»). En effet, l’article 10 doit être lu en combinaison avec la note 1 de l’annexe I, que nous examinerons ci-après, laquelle admet que
les États membres peuvent prévoir un nombre annuel maximal acceptable de surcharges.

34. En d’autres termes, en vertu de l’article 10 de la directive, l’absence de traitement des eaux résiduaires ne peut être admise qu’en présence de conditions qui sortent de l’ordinaire. Il n’est pas possible de définir de manière plus précise cette situation, étant donné que le législateur a volontairement évité de la clarifier en des termes chiffrés plus précis. Toutefois, ce qui est indiscutable, c’est l’incompatibilité avec la directive d’une station d’épuration conçue de manière à déverser
régulièrement dans l’environnement des eaux résiduaires non traitées.

35. Dans ce contexte, étant donné l’existence d’une obligation de principe claire et l’absence d’une quantification exacte des dérogations possibles à cette obligation, il est à notre avis tout à fait légitime que la Commission, dans l’exercice de sa fonction de contrôle du respect du droit de l’Union, adopte des lignes directrices internes qui traduisent les indications du législateur en des chiffres déterminés et vérifiables, sur la base desquels elle peut évaluer, dans chaque cas concret,
l’opportunité d’introduire un recours en manquement contre un État. Il va de soi que, dans chaque cas, il appartient à la Cour de justice, en sa qualité de juge du manquement, de procéder à l’appréciation ultime: dans ce cadre, toutes les circonstances de chaque situation spécifique pourront et devront être prises en considération.

36. Comme nous y avons déjà fait allusion précédemment, le problème en l’espèce consiste toutefois dans le fait que la Commission non seulement n’a publié aucune indication à cet égard, mais ne semble même pas suivre, en interne, une pratique bien définie en la matière. Cela complique à l’évidence la tâche de la Commission, ainsi que celle du juge de l’Union.

2. «Précipitations exceptionnellement fortes» et «pluies d’orage»

37. Ces deux notions sont utilisées par le législateur à l’annexe I de la directive, notamment dans la note 1 de celle-ci. Il convient de rappeler encore une fois ci-dessous une partie du texte de cette note (c’est nous qui soulignons):

«Étant donné qu’en pratique il n’est pas possible de construire des systèmes de collecte et des stations d’épuration permettant de traiter toutes les eaux usées dans des situations telles que la survenance de précipitations exceptionnellement fortes, les États membres décident des mesures à prendre pour limiter la pollution résultant des surcharges dues aux pluies d’orage.»

38. Il y a lieu de relever avant tout que les deux notions sont pertinentes tant pour ce qui est des systèmes de collecte que pour ce qui est des stations d’épuration. Dans les deux cas, le législateur a ici pris acte du fait que réaliser des installations parfaites, susceptibles de canaliser et de traiter toutes les eaux résiduaires sans aucune exception peut être concrètement impossible. En conséquence, les États membres sont appelés à prévoir des modalités pour limiter les dommages qui se
produisent inévitablement dans les cas dans lesquels toutes les eaux résiduaires ne sont pas collectées et/ou traitées.

39. Dans ses observations, le Royaume-Uni a soutenu que les situations dans lesquelles la directive admet que des eaux résiduaires puissent échapper à la capture et au traitement ne sont pas uniquement des situations de type exceptionnel: la note 1 de l’annexe I aurait un caractère illustratif et n’interdirait pas aux États membres, notamment sur la base d’une analyse coût/avantages, d’autoriser de tels épisodes, et ce même en dehors de circonstances exceptionnelles. Inversement, selon la
Commission, l’absence de collecte ou de traitement des eaux ne peut être admise que de manière tout à fait extraordinaire, en présence de situations exceptionnelles.

40. Bien que le texte à interpréter ne soit pas des plus limpides, nous considérons que la position de la Commission est correcte et que la note 1 précitée, loin de corroborer l’interprétation proposée par le Royaume-Uni, doit être entendue en ce sens que l’absence de collecte ou de traitement des eaux ne peut en aucun cas être considérée comme une situation «ordinaire» et compatible avec la directive, sous réserve de circonstances exceptionnelles.

41. Il est vrai que la directive mentionne la situation des «précipitations exceptionnellement fortes» à titre illustratif dans les diverses versions linguistiques («dans des situations telles que»). Elle admet par conséquent, implicitement, que l’absence de collecte ou de traitement des eaux peut également être admise dans d’autres situations. Elle n’indique toutefois pas quelles sont ces autres situations.

42. À la différence du Royaume-Uni, nous considérons qu’il doit néanmoins s’agir de situations caractérisées par leur nature exceptionnelle, tout en étant susceptibles d’être très variées. On ne saurait en aucun cas admettre que le rejet dans l’environnement d’eaux résiduaires non traitées puisse survenir dans des situations «ordinaires». Les arguments suivants, en particulier, plaident en ce sens.

43. En premier lieu, la note 1 doit être lue à la lumière de l’objectif général de la directive, qui est de garantir un niveau élevé de protection de l’environnement. Il serait absurde d’admettre que des eaux résiduaires non traitées puissent être rejetées régulièrement dans l’environnement, en dehors de circonstances exceptionnelles, pour la simple raison qu’un système de collecte ou une station d’épuration ont été conçus avec une capacité réduite.

44. En deuxième lieu, le fait que les précipitations exceptionnellement fortes ne sont que l’une des situations dans lesquelles des dérogations au principe de la collecte/du traitement intégral sont admises ne signifie pas que, dans les autres hypothèses dans lesquelles cela peut être admis, la condition du caractère exceptionnel ne doive pas être maintenue. Au contraire, un tel caractère est imposé par le contexte et l’objectif de la norme.

45. En troisième lieu, le passage à interpréter poursuit en indiquant que les États membres doivent prévoir des mesures pour limiter la pollution résultant des «surcharges dues aux pluies d’orage». Si le Royaume-Uni soutient que cette expression doit être comprise comme visant tout type de surcharges, la lecture de la directive montre que telle n’était pas la volonté du législateur. Bien que certaines versions linguistiques de cette formule soient plus neutres et se réfèrent de manière générale aux
surcharges dues aux pluies ( 7 ), ce n’est pas le cas de la plupart des autres versions et la nature exceptionnelle de la cause des surcharges est mise en évidence ( 8 ). En considérant, par conséquent, comme acquis que l’obligation de limiter les dommages environnementaux des surcharges ne concerne que celles qui sont liées à des événements exceptionnels, si les États pouvaient, de manière générale, également procéder à des rejets d’eaux non traitées dans des conditions «ordinaires», on se
trouverait dans une situation dans laquelle la directive imposerait de limiter les dommages causés par les surcharges liées à des circonstances exceptionnelles, mais non ceux causés par des surcharges dépourvues d’une telle justification. Cette situation serait absurde et, assurément, contraire à l’objectif de la directive. Il est dès lors évident que l’idée qui sous-tend la note 1 est que c’est seulement dans des circonstances exceptionnelles que les eaux résiduaires peuvent être rejetées dans
l’environnement sans avoir été préalablement collectées et traitées.

46. Nous relevons par ailleurs que, à notre connaissance, il y a au moins une version linguistique qui corrobore le raisonnement que nous venons de développer ( 9 ): nous nous référons à la version allemande, qui affirme que l’impossibilité de collecter et de traiter les eaux concerne des «situations extrêmes telles que, par exemple, la survenance de précipitations exceptionnellement fortes» ( 10 ). L’ajout de l’adjectif «extrêmes» confirme que, si elles peuvent être diverses, les situations admises
en vertu de la note 1 doivent en tout cas avoir un caractère exceptionnel.

47. Ce point ayant été clarifié, il reste toutefois deux questions. En premier lieu, quand peut-on considérer que l’on est en présence de «précipitations exceptionnellement fortes»? En second lieu, quelles autres situations exceptionnelles, différentes des événements climatiques, peuvent justifier l’absence de collecte ou de traitement des eaux?

48. Pour ce qui est de la première question, nous ne pouvons que répéter la constatation évidente, déjà formulée ci-dessus, selon laquelle la Cour ne saurait fixer des valeurs chiffrées que le législateur a jugé opportun de ne pas établir. Dans la même optique, il serait tout à fait raisonnable que la Commission élabore des lignes directrices de type quantitatif sur lesquelles elle fonderait sa propre activité de contrôle: la Cour reste bien entendu le juge ultime du caractère raisonnable de telles
lignes directrices. Toutefois, dans le cas qui nous occupe, il ne semble pas que la Commission ait fixé des lignes directrices parfaitement claires. À plusieurs reprises, tant au cours de la phase précontentieuse qu’au cours de la procédure devant la Cour, la Commission a certes indiqué que, de manière générale, le dépassement de la limite des 20 rejets par an constituerait un signal d’alarme quant à l’existence d’un éventuel manquement. Une telle référence chiffrée, malgré toutes ses limites et
sans préjudice de l’obligation de procéder à une appréciation au cas par cas, peut être raisonnable et acceptable, dans la mesure où il s’agit du résultat d’une réflexion fondée sur une comparaison entre les pratiques existant dans différents États membres.

49. Le problème réside toutefois dans le fait que la Commission elle-même ne semble pas tout à fait sûre du rôle à attribuer à la limite des 20 rejets. Non seulement elle n’a jamais fourni d’indication officielle à cet égard, mais elle a également semblé osciller, dans la présente affaire, et ce jusqu’à la fin, entre une conception de cette limite comme un seuil à ne pas dépasser par principe, sauf dans des circonstances exceptionnelles, et une conception beaucoup moins stricte, selon laquelle cela
ne constituerait qu’une indication dépourvue de tout effet immédiat.

50. La conséquence en est que, si, d’une part, on ne saurait reprocher au Royaume-Uni d’avoir articulé une grande partie de son raisonnement sur la règle des 20 rejets, seule indiquée avec une certaine clarté par la Commission au cours de la phase précontentieuse et, en particulier, dans son avis motivé complémentaire, d’autre part, la Cour est tenue de statuer sur le manquement allégué en se fondant directement sur la directive et sur les indications génériques de celle-ci. La position de la
Commission est trop fluctuante pour que l’on puisse considérer qu’elle a conduit son recours sur la base d’une pratique interne bien définie fondée sur la règle des 20 rejets, règle qui, dans ce cas, devrait elle-même faire l’objet du contrôle de la Cour.

51. En tout cas, nous sommes d’avis qu’une interprétation plus précise de la notion de «précipitations exceptionnellement fortes» doit nécessairement passer par la notion que nous examinerons ci-après, à savoir celle de «connaissances techniques les plus avancées, sans entraîner des coûts excessifs» (ou, en utilisant l’expression anglaise, «best technical knowledge not entailing excessive costs», d’où l’acronyme «BTKNEEC»). Il s’agit naturellement d’un concept tout à fait distinct qui se réfère non
à des événements climatiques, mais à des réalisations humaines. Nous considérons toutefois que, concrètement, l’unique façon raisonnable d’interpréter les obligations de la directive est de procéder, dans chaque cas d’espèce, à un examen de l’ensemble des circonstances, en réunissant en une seule appréciation le contrôle du caractère extraordinaire de l’événement et les dépenses qu’il faudrait engager pour réaliser des systèmes de collecte et des stations d’épuration suffisants pour éviter, dans
ce cas aussi, toute surcharge. En d’autres termes, nous estimons que la notion de «précipitations exceptionnellement fortes» n’est pas statique, mais peut également varier en fonction d’autres paramètres.

52. Dans ce contexte, la notion de BTKNEEC, bien qu’elle ne vise formellement que les systèmes de collecte à l’annexe I, doit selon nous également être prise en considération pour ce qui est des stations d’épuration. En effet, ce concept semble être le plus adapté pour garantir la poursuite des objectifs ambitieux de la directive sans perdre de vue le réalisme nécessaire en ce qui concerne les possibilités économiques et techniques.

53. Pour ce qui est enfin de la seconde question, qui vise les situations exceptionnelles possibles autres que les événements météorologiques, il faut également souligner à cet égard la nécessité de prévoir des marges suffisamment larges pour prendre en considération des situations qui sont non seulement exceptionnelles, mais également imprévisibles. À titre de simple exemple, on peut mentionner les situations de panne générale d’électricité qui devraient avoir pour conséquence que les stations
d’épuration ne fonctionneraient plus ou des catastrophes naturelles qui, si elles ne sont pas liées à des précipitations (comme dans le cas de tremblements de terre), pourraient néanmoins endommager ou rendre temporairement non opérationnels les stations d’épuration ou les systèmes de collecte. Dans de tels cas, il ne fait pas de doute que l’on ne serait pas en présence d’une violation de la directive. Toutefois, il est tout aussi certain que, même dans de tels cas, les États auraient
l’obligation d’adopter des mesures pour limiter la pollution, conformément à la note 1 de l’annexe I, même si les eaux rejetées sans traitement ne proviendraient pas nécessairement de précipitations. Toute autre interprétation se heurterait à l’obligation d’assurer l’effet utile de la directive et d’en respecter les objectifs.

3. Connaissances techniques les plus avancées, sans entraîner des coûts excessifs (BTKNEEC)

54. La définition de la notion de BTKNEEC est l’un des aspects de la présente affaire dont les parties ont débattu le plus longtemps et le plus âprement, tant dans leurs observations écrites qu’à l’audience. Il s’agit d’une notion qui figure au point A de l’annexe I: elle ne vise par conséquent, d’un point de vue formel, que les systèmes de collecte et non les stations d’épuration. Toutefois, comme nous avons tenté de l’expliquer dans les points précédents, nous estimons que le concept de BTKNEEC
peut être considéré comme l’un des aspects clés de la directive, utile pour en interpréter toutes les dispositions, y compris celles qui concernent les stations d’épuration. En effet, il permet de concilier de façon adéquate la nécessité de garantir l’effet utile de la directive et celle de ne pas mettre à la charge des États des obligations dont il leur serait impossible de s’acquitter. Bien qu’exprimé en des termes différents, le concept de «rendement suffisant» des stations d’épuration, visé
à l’article 10, répond à la même logique et peut lui aussi être considéré comme une expression de la clause du BTKNEEC.

55. Selon l’interprétation du Royaume-Uni, la notion de BTKNEEC est l’axe central d’une règle qui, de manière générale, autorise les États membres à exercer un large pouvoir d’appréciation pour décider, en se fondant essentiellement sur une analyse coût/avantages, quel doit être le niveau adéquat de collecte et de traitement des eaux résiduaires. Dans le cadre de cette analyse, notamment, le Royaume-Uni considère qu’il est essentiel de prendre toujours en considération l’impact des rejets d’eaux non
traitées sur les eaux réceptrices: en d’autres termes, les principes de la directive seraient toujours respectés et il n’y aurait aucune infraction dans les cas dans lesquels, bien que les eaux collectées et/ou traitées ne représentent qu’une partie des eaux résiduaires produites, les rejets ne se traduisent pas par des dommages environnementaux significatifs.

56. En revanche, selon l’interprétation de la Commission, le concept de BTKNEEC a pour seule conséquence, en pratique, de reconnaître aux États membres une liberté de choix entre les systèmes envisageables pour atteindre un objectif qui, sauf dans des cas exceptionnels, est intangible: celui consistant à garantir la collecte et le traitement de 100 % des eaux résiduaires produites. En d’autres termes, selon la Commission, la norme en question signifierait simplement que les États peuvent choisir,
parmi les solutions alternatives techniquement envisageables pour obtenir le résultat nécessaire, celle qui est la moins coûteuse.

57. Il nous semble que, tout bien considéré, il y a lieu de rejeter tant l’interprétation du Royaume-Uni que celle de la Commission. En effet, bien que différentes, toutes deux se caractérisent par une lecture poussée à l’extrême de la norme à interpréter. D’un côté, si l’on suivait la position défendue par le Royaume-Uni, on finirait par reconnaître aux États membres une marge d’appréciation si large que cela priverait – entièrement ou quasiment – d’effet utile la directive dans son ensemble et, en
particulier, les dispositions qui imposent aux États membres de doter de systèmes de collecte et de stations d’épuration toutes les agglomérations de dimensions supérieures à une certaine taille minimale. D’un autre côté, l’interprétation de la Commission, si elle est probablement plus proche de l’esprit de la norme telle que l’a entendue le législateur, risque de priver d’effet utile, si ce n’est la directive dans son ensemble, tout au moins la clause du BTKNEEC ( 11 ). En effet, il ne serait
pas rationnel de considérer que, en mentionnant explicitement la nécessité de faire appel aux connaissances techniques les plus avancées, sans entraîner des coûts excessifs, les auteurs de la directive auraient seulement reconnu aux États membres la liberté de choisir, parmi les systèmes techniques envisageables pour parvenir à un résultat final unique, le système le moins coûteux. En revanche, il est manifeste que, par cette clause, le législateur a voulu atténuer les effets éventuellement
«excessifs» d’une application trop rigide de la directive et a créé la possibilité que, dans certains cas, des effets négatifs sur l’environnement soient admis.

58. À notre avis, l’interprétation correcte de la clause du BTKNEEC se situe à mi-chemin entre les deux positions extrêmes que nous venons de résumer.

59. En particulier, la clause du BTKNEEC doit être considérée comme une sorte de «soupape de sécurité» qui permet d’éviter de mettre à la charge des États membres des obligations irréalistes ou des coûts de réalisation tout à fait disproportionnés À cet égard, il convient cependant de clarifier certains points.

60. En premier lieu, la clause constitue un mécanisme de nature exceptionnelle qui ne saurait être utilisé pour vider de sa substance le principe, affirmé dans la jurisprudence même de la Cour, selon lequel la collecte et le traitement doivent concerner, en général, la totalité des eaux résiduaires. Il convient d’autant plus de souligner ce caractère exceptionnel qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, en ce qui concerne précisément la directive 91/271, que le coût des travaux nécessaires pour
la mise en conformité est en soi dépourvu de pertinence ( 12 ).

61. En deuxième lieu, il est évident que le recours à cette clause ne saurait être lié, dans l’abstrait, à certaines circonstances prédéterminées. Il n’est donc pas possible, par exemple, de déterminer a priori un niveau de coûts au-delà duquel l’obligation de collecter et de traiter 100 % des eaux résiduaires disparaîtrait automatiquement. En revanche, la clause du BTKNEEC suppose toujours et quoi qu’il en soit une analyse complète de toutes les circonstances de chaque cas concret, auxquelles elle
doit nécessairement être adaptée.

62. En troisième lieu, on peut également prendre en compte dans ce contexte, comme l’a vivement recommandé le Royaume-Uni dans ses observations écrites et à l’audience, les effets sur l’environnement des rejets d’eaux non traitées. Le caractère disproportionné du coût de certains travaux et, partant, l’absence de nécessité de les réaliser concrètement peuvent être appréciés sur des fondements plus solides si l’on tient également compte des conséquences sur l’environnement de cette absence de
réalisation. Il est manifeste que le fait de ne pas réaliser certains travaux et de tolérer, par conséquent, certains rejets d’eaux non traitées dans l’environnement sera d’autant plus acceptable que les dommages potentiels susceptibles d’être produits par les eaux non traitées seront minimes.

63. Toutefois, la possibilité de prendre en considération le critère des effets dommageables sur l’environnement des eaux non traitées ne signifie pas, contrairement à ce que soutient le Royaume-Uni, qu’il constitue l’unique critère en fonction duquel la conformité à la directive doit être appréciée. Comme la Commission l’a relevé à juste titre à l’audience, la directive ne mentionne pas de seuils de pollution acceptables: elle prévoit l’obligation fondamentale de doter les agglomérations urbaines
de systèmes de collecte et de stations d’épuration. Dans les arrêts récents que nous avons cités ci-dessus ( 13 ), après avoir constaté que le taux de couverture des systèmes de collecte de certaines agglomérations n’atteignait pas 100 %, la Cour n’a pas examiné si cela produisait des effets dommageables sur l’environnement et a conclu au contraire, automatiquement, à l’existence d’une infraction des États membres intéressés.

64. On ne saurait dès lors accueillir l’argument du Royaume-Uni selon lequel, aux dates limites fixées par la directive pour la réalisation des systèmes de collecte et des stations d’épuration, la seule chose qui importait était que les agglomérations urbaines disposent de telles installations, quel que soit le rendement que ces dernières pouvaient atteindre. Si l’on pousse ce raisonnement à l’extrême, la réalisation d’un système capable de traiter, par exemple, seulement 50 % des eaux résiduaires
d’une ville serait suffisante pour assurer la conformité à la directive et l’amélioration du rendement pour arriver à 100 % ne découlerait pas de l’obligation législative de se conformer à la directive dans les délais prévus, mais constituerait uniquement une amélioration de l’efficacité du système pour laquelle aucun calendrier ne serait prévu et, en substance, aucun contrôle ne serait permis. Il est évident qu’une telle interprétation ne correspond ni à la volonté du législateur ni à la
jurisprudence de la Cour en la matière.

65. En outre, pour préserver l’effet utile de la directive, il est indispensable que, lorsque la collecte ou le traitement de 100 % des eaux résiduaires – sauf, bien entendu, en cas d’événements exceptionnels, cas dans lequel la Commission elle-même admet la possibilité d’un non-traitement – sont impossibles ou particulièrement difficiles, ce soit à l’État membre intéressé d’apporter la preuve de l’applicabilité de la clause du BTKNEEC. En effet, dans des situations de ce type, il existe entre
l’État membre et la Commission une nette inégalité en matière d’accès à l’information: la Commission ne dispose pas d’instruments autonomes pour apprécier la situation concrète et doit se fonder sur les informations qui lui sont fournies, en particulier, par l’État membre intéressé. Cette situation est d’ailleurs conforme à la jurisprudence de la Cour selon laquelle, même si, dans le cadre des procédures en manquement, la charge de la preuve est supportée par la Commission, une fois que cette
dernière a fourni un commencement de preuve des faits sur lesquels elle fonde son recours, il appartient à l’État membre, sur la base des informations plus complètes dont il dispose, d’apporter la preuve détaillée que l’infraction n’existe pas en réalité ( 14 ).

4. Synthèse

66. Si l’on résume les observations développées ci-dessus au sujet de la portée générale des obligations prévues par la directive, il y a lieu de relever que celle-ci impose aux États membres, de manière générale, de doter les agglomérations urbaines de systèmes de collecte et de stations d’épuration qui soient capables, hors circonstances exceptionnelles, d’assurer la collecte et le traitement de toutes les eaux résiduaires produites. L’obligation de collecte et de traitement intégral ne s’étend
pas aux cas dans lesquels ceux-ci sont impossibles d’un point de vue technologique ou bien entraîneraient des coûts tout à fait disproportionnés, eu égard notamment au caractère limité de l’impact négatif sur l’environnement.

67. Concrètement, ce que nous proposons, c’est un contrôle s’articulant en deux phases pour ce qui est tant des systèmes de collecte que des stations d’épuration. Dans une première phase, il convient de vérifier si les rejets peuvent être considérés comme un événement exceptionnel ou, mieux, comme un aspect non «ordinaire» du fonctionnement du système de collecte ou de la station d’épuration. Dans une seconde phase, lorsque la première a démontré la nature non exceptionnelle des cas de rejet dans
l’environnement d’eaux non traitées, il faut procéder à la vérification au regard de la clause du BTKNEEC. Dans cette phase, la charge de la preuve qui, dans la première phase, était répartie selon le mode habituel entre la Commission et l’État membre, incombe intégralement à ce dernier. En effet, il appartient à l’État de démontrer qu’atteindre un niveau supérieur de collecte ou de traitement des eaux serait technologiquement impossible ou se traduirait par des coûts tout à fait
disproportionnés par rapport aux avantages que cela comporterait pour l’environnement.

68. Les obligations incombant aux États membres ayant été clarifiées à titre préliminaire, nous pouvons passer à l’examen des différents griefs soulevés par la Commission à l’encontre du Royaume-Uni.

C – Sur la situation de Whitburn

1. Les faits et les positions des parties

69. Le manquement allégué par la Commission pour ce qui est de Whitburn concerne uniquement, comme nous l’avons vu, l’article 3 de la directive, relatif aux systèmes de collecte. En revanche, l’absence ou l’insuffisance des stations d’épuration ne sont pas alléguées.

70. Whitburn fait partie de l’agglomération de Sunderland, qui est desservie par un système de collecte principal unique de type unitaire, dans lequel pénètrent aussi bien les eaux urbaines résiduaires que les eaux de ruissellement. Dans des conditions normales, les eaux du système de collecte de Whitburn sont acheminées, grâce à plusieurs stations de pompage (Seaburn, Roker, puis St. Peters), vers la station d’épuration de Hendon, qui assure le traitement des eaux provenant de toute
l’agglomération.

71. Lorsque le volume des eaux recueillies dans le système de collecte de Whitburn dépasse 4,5 fois le débit par temps sec ( 15 ), les eaux excédentaires sont déviées vers un tunnel intercepteur qui a une capacité opérationnelle de 7000 m3. Lorsque le volume des eaux présentes dans le système de collecte diminue, les eaux stockées dans le tunnel sont renvoyées dans le système de collecte et dirigées vers la station de Hendon, pour être finalement traitées. Toutefois, si la capacité opérationnelle du
tunnel est dépassée, les eaux excédentaires sont rejetées directement dans la mer, sans subir d’autre traitement qu’un filtrage mécanique à travers un dégrilleur d’un maillage de 6 mm. Ces rejets sont effectués au moyen d’un émissaire en mer de 1,2 km de long.

72. Au cours des années qui ont précédé la date fixée dans l’avis motivé (le 1er février 2009), les rejets d’eaux non traitées à Whitburn étaient ceux qui sont indiqués dans le tableau ci-dessous. Les données ont été fournies par la Commission, mais n’ont pas été contestées par le Royaume-Uni.

Année Nombre de rejets Volume rejeté (m3)
2005 27 (1) 542 070
2006 25 248 130
2007 28 478 620
2008 47 732 150

73. Selon la Commission, ces données témoignent d’une quantité excessive de rejets dans l’environnement d’eaux non traitées, incompatible avec les obligations mises à la charge des États membres par la directive.

74. La Commission se fonde largement, à l’appui de sa position, sur un rapport présenté le 25 février 2002 par un inspecteur indépendant désigné par le ministère de l’Environnement du Royaume-Uni (ci-après l’«inspecteur») à la suite de la demande, déposée par la société gérant le système de Whitburn, visant à ce que certains changements soient apportés à son autorisation de gestion du système. Ce rapport contient des observations très critiques en ce qui concerne le système de collecte de Whitburn,
considéré comme insuffisant pour limiter de manière adéquate les rejets dans l’environnement d’eaux non traitées ( 16 ). Selon l’inspecteur, l’insuffisance du système de collecte de Whitburn avait pour conséquence des rejets fréquents d’eaux non traitées, même en période de précipitations modérées ou inexistantes. Au cours des années qui ont suivi le rapport de l’inspecteur, il n’y a eu, selon la Commission, aucune modification physique du système de collecte de Whitburn. L’unique changement
intervenu concerne les modalités de gestion du tunnel d’interception des eaux en cas de surcharge: grâce à ces nouvelles modalités, les cas de rejets sont devenus plus rares, mais le volume des eaux non traitées rejetées dans l’environnement est resté substantiellement le même entre 2001 et 2008, variant entre un maximum de 732150 m3 (en 2008) et un minimum de 248130 m3 (en 2006).

75. De telles quantités d’eaux non traitées correspondent, aux dires de la Commission, à celles d’une agglomération ayant un nombre d’habitants variant entre plus de 3700 (si l’on prend en considération les volumes de 2006) et plus de 11000 (si l’on prend en considération les volumes de 2008), en tout cas supérieur à l’équivalent habitant de 2000 au-delà duquel la directive prévoit l’obligation de doter une agglomération de systèmes de collecte et de stations d’épuration. En d’autres termes, c’est
comme s’il existait une agglomération entière de cette taille qui serait dépourvue de toute forme de collecte et de traitement des eaux résiduaires.

76. La gravité de la violation de la directive est accrue, selon la Commission, par la proximité, par rapport à l’émissaire en mer, de plages sur lesquelles ont été signalés fréquemment des détritus provenant, selon toute probabilité, du système de collecte de Whitburn.

77. Le Royaume-Uni ne conteste pas la plus grande partie des faits indiqués par la Commission, sauf pour ce qui des détritus échoués sur les plages. En effet, selon lui, ces détritus ne sauraient venir du système de Whitburn, étant donné que l’émissaire en mer utilisé pour le rejet est équipé de dégrilleurs: les détritus, dont l’apparition est d’ailleurs moins fréquente ces dernières années, doivent par conséquent avoir une provenance différente. Pour le reste, les faits relatifs à Whitburn sont
constants et la défense du Royaume-Uni se fonde essentiellement sur l’interprétation de la directive.

78. Le Royaume-Uni insiste en particulier sur le fait que la qualité des eaux dans lesquelles les rejets sont effectués n’a pas subi d’effets négatifs du fait des rejets, comme le montre également le fait que les eaux au large des plages locales ont toujours respecté les limites prévues par le droit de l’Union pour la baignade ( 17 ).

79. Le Royaume-Uni s’est également fondé sur une étude, réalisée en 2010, visant à examiner la situation de Whitburn à la lumière de l’avis motivé et de l’avis motivé complémentaire de la Commission. Cette étude a évalué en particulier les conséquences possibles d’une réduction du nombre de rejets en deçà du seuil de 20 par an, comme la Commission semblait l’exiger, en particulier dans l’avis motivé complémentaire. L’étude a établi que, pour maintenir le nombre de rejets à moins de 20 par an, la
seule solution possible serait d’augmenter la capacité du tunnel intercepteur pour la porter à 10 800 m3. Toutefois, une telle modification n’apporterait qu’une amélioration minime, égale à environ 0,31 %, de la qualité des eaux réceptrices, calculée en utilisant les paramètres normalement utilisés pour évaluer les eaux de baignade. Pour ces raisons, l’étude n’a pas recommandé de modification du système de collecte de Whitburn.

2. Analyse

80. Pour vérifier si nous nous trouvons en présence d’un manquement du Royaume-Uni en ce qui concerne la situation de Whitburn, nous utiliserons le modèle s’articulant en deux phases que nous avons proposé ci-dessus.

81. Pour ce qui est, en premier lieu, de la nature non exceptionnelle des rejets d’eaux non traitées, nous sommes d’avis que la Commission a démontré cette circonstance à suffisance de droit. Comme nous l’avons relevé antérieurement, malgré une amélioration de la situation au cours des dernières années, le système de collecte de Whitburn continue à rejeter régulièrement dans l’environnement des eaux non traitées, ce que le Royaume-Uni n’a d’ailleurs pas contesté. Comme nous l’avons déjà noté, il
n’est pas possible d’indiquer un nombre de rejets constituant une limite fixe entre événements exceptionnels et événements récurrents: comme nous l’avons vu, la Commission se réfère souvent au chiffre de 20 rejets; un rapport demandé par le gouvernement du Royaume-Uni en ce qui concerne la situation de Londres ( 18 ) a quant à lui considéré comme raisonnable une limite encore plus restrictive, égale à 12 rejets par an. De toute manière, indépendamment du modèle adopté, la situation de Whitburn
était sans aucun doute caractérisée, à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, par des rejets dont le nombre et l’intensité témoignaient d’une réalité récurrente et assurément non occasionnelle. Comme le montre le tableau reproduit au point 72, 25 à 47 rejets ont été effectués tous les ans de 2006 à 2008. Un tel chiffre ne correspond assurément pas à un événement exceptionnel; du reste, le Royaume-Uni n’a pas non plus argué de la nature exceptionnelle des rejets à Whitburn.

82. Il reste à voir si, face à cette démonstration effectuée par la Commission, le Royaume-Uni a réussi à prouver l’applicabilité au cas d’espèce de la clause du BTKNEEC, en d’autres termes, si réduire le nombre de rejets suppose des solutions technologiquement impossibles ou des coûts absolument disproportionnés par rapport aux avantages.

83. À cet égard, le document clé est, à notre avis, l’étude réalisée en 2010 que nous avons évoquée ci-dessus, au point 79. Elle établit clairement, tout d’abord, qu’une réduction considérable des rejets d’eaux non traitées à Whitburn ne soulèverait pas d’obstacle particulier du point de vue technologique; en effet, cela supposerait en substance un élargissement du tunnel d’interception existant et le Royaume-Uni n’a à aucun moment indiqué qu’une telle solution serait impraticable.

84. Parallèlement, l’étude a calculé quelle serait, concrètement, l’amélioration de la qualité des eaux réceptrices qui pourrait être obtenue grâce à l’élargissement du tunnel et à la réduction subséquente des rejets. Le raisonnement, suivant en cela les indications fournies par la Commission au cours de la phase précontentieuse, a été effectué par référence à un plafond de 20 rejets. L’étude a fait état d’une amélioration de seulement 0,3 % de la qualité des eaux et a conclu, par conséquent, que le
rapport coût/avantages ne justifiait pas d’intervention supplémentaire à Whitburn.

85. Dans ce contexte, il y a également lieu de rappeler que, selon ce qui a été observé par le Royaume-Uni, lequel n’a pas été contredit par la Commission sur ce point, la qualité des eaux marines au large de Whitburn est plutôt élevée et respecte toujours les paramètres fixés par la réglementation de l’Union en matière d’eaux de baignade. Bien que le fait que les eaux réceptrices conviennent à la baignade ne soit pas directement pertinent pour apprécier la conformité à la directive 91/271, cela
peut, comme nous l’avons déjà relevé, entrer en ligne de compte, dans le cadre d’un examen d’ensemble, aux fins de l’application éventuelle de la clause du BTKNEEC. Il semble donc raisonnable que, dans une telle situation, les autorités nationales aient décidé de ne pas engager de coûteux travaux de modification qui n’aboutiraient qu’à une amélioration tout à fait marginale de la situation environnementale.

86. À la lumière des observations qui précèdent, nous considérons que le raisonnement développé par le Royaume-Uni est valable et que, dans le cas d’espèce, la Commission n’a pas réussi à prouver l’existence d’un manquement en ce qui concerne le système de collecte de Whitburn. En effet, bien que des eaux non traitées aient été rejetées régulièrement dans cette zone, le Royaume-Uni a démontré que d’éventuels travaux d’augmentation de la capacité du système de collecte, effectués pour se conformer
aux indications fournies par la Commission au cours de la phase précontentieuse, n’apporteraient que des avantages minimes, insuffisants pour justifier la réalisation des travaux. La première partie du recours de la Commission doit donc être rejetée comme non fondée.

D – Sur la situation de Beckton, de Crossness et de Mogden

1. Les faits et les positions des parties

87. Pour ce qui est de Londres, le recours de la Commission porte sur les trois zones de Beckton, de Crossness et de Mogden. Plus précisément, le recours concerne les stations d’épuration de ces trois localités, considérées comme insuffisantes pour assurer le respect de la directive et comme violant, par conséquent, les articles 4 et 10 de celle-ci. Pour ce qui est de Beckton et de Crossness, la Commission allègue en outre la violation de l’article 3 de la directive, en considérant donc également
les systèmes de collecte locaux comme insuffisants.

88. Toutes les trois localités mentionnées font partie du système de collecte et de traitement des eaux de Londres, qui dessert au total un équivalent habitant de plus de 9 millions. Il s’agit d’un système qui est en grande partie de type unitaire, qui a été conçu au cours du XIXe siècle et qui a été progressivement agrandi et modifié parallèlement à la croissance de l’agglomération urbaine.

89. Les problèmes rencontrés à Londres sont de deux types. En premier lieu, quand la capacité des systèmes de collecte est dépassée, les déversoirs d’orage interviennent, comme à Whitburn. Le système de Londres en compte 57, qui effectuent presque tous des rejets dans la Tamise et sont encoure dépourvus, selon le dossier, de systèmes de filtrage, ne serait-ce que rudimentaires, des eaux déversées. En second lieu, certaines des stations d’épuration vers lesquelles sont acheminées les eaux recueillies
par les systèmes de collecte ne sont pas en mesure, à certaines occasions, de traiter tous les volumes qu’elles reçoivent: dans ce cas, une partie des eaux sont rejetées après avoir fait l’objet d’un traitement minime.

90. Le principal élément de preuve sur lequel la Commission fonde ses arguments, en ce qui concerne Londres, est un rapport présenté, en février 2005, par un groupe de travail dans le cadre de la Thames Tideway Strategic Study (ci-après la «TTSS»). La TTSS a été créée en l’an 2000 par le gouvernement du Royaume-Uni, avec pour mission d’évaluer la situation environnementale de la Tamise.

91. Le rapport de la TTSS relève en particulier que, sur les 57 déversoirs d’orage du système de Londres, 36 ont un impact négatif sur l’environnement. En moyenne, environ 60 rejets d’eaux non traitées ont lieu tous les ans dans le cadre du système, même en période de précipitations limitées. Un volume variable de plusieurs millions de tonnes d’eaux non traitées est déversé tous les ans dans l’environnement, ce qui correspond à la production d’eaux résiduaires d’une agglomération de centaines de
milliers d’habitants. Le problème est d’autant plus grave que l’eau de la Tamise se déplace très lentement vers la mer, si bien que les eaux polluées rejetées ne se diluent qu’au bout d’un temps relativement long.

92. Selon le rapport de la TTSS, la situation des stations d’épuration n’est pas meilleure que celle des systèmes de collecte. Leur capacité est suffisante par temps sec, mais, en cas de précipitations, elles rejettent dans l’environnement des eaux qui ne sont que partiellement traitées, ce qui accroît la charge polluante déjà considérable causée par les déversoirs d’orage des systèmes de collecte.

93. En novembre 2005, la TTSS a établi un rapport complémentaire pour le gouvernement, dans lequel elle indique les solutions possibles au problème de la pollution de la Tamise. En particulier, la solution jugée la meilleure est fondée sur la construction d’un tunnel souterrain, ayant une longueur d’environ 30 km et une capacité prévue de 1,5 million de m3, en mesure de stocker les eaux excédentaires à l’occasion d’événements pluvieux, pour les réintroduire dans le système ultérieurement, afin de
permettre leur traitement.

94. En avril 2007, le gouvernement du Royaume-Uni a annoncé la décision de procéder à la réalisation de la proposition de la TTSS et notamment, donc, du nouveau tunnel. Dans la lettre adressée à la société de gestion du système de collecte et de traitement des eaux de Londres par le ministère de l’Environnement le 17 avril 2007, lettre qui a été produite par le Royaume-Uni, il est indiqué que le choix de procéder à la réalisation du tunnel vise «à donner à Londres un fleuve adapté au XXIe siècle et
à assurer le respect par le Royaume-Uni des obligations de la directive […]» ( 19 ). Il est apparu à l’audience que le gouvernement actuel du Royaume-Uni a également confirmé récemment son soutien à la réalisation du tunnel souterrain, dont l’achèvement est actuellement prévu en 2021-2023. Il est indiqué, en particulier, dans la déclaration ministérielle écrite adressée au Parlement le 3 novembre 2011 ( 20 ) que «la nécessité de renforcer le système de collecte de Londres qui, à certains égards,
atteint les limites de sa capacité même par temps sec, et de trouver une solution aux défis environnementaux que cela pose [...] reste convaincante». Les travaux de construction devraient débuter en 2016.

95. Le Royaume-Uni ne conteste pas les faits tels qu’ils ont été présentés par la Commission. Il souligne que, outre le projet de réalisation d’un nouveau grand tunnel souterrain, d’autres travaux sont en cours pour augmenter la capacité des stations d’épuration de Beckton, de Crossness et de Mogden. Ces travaux devraient être achevés entre 2012 et 2014. La construction d’un second tunnel, de moindre envergure, est également prévue, tunnel qui devrait être achevé dès 2014 et qui devrait réduire
considérablement les rejets d’eaux non traitées dans les zones de Beckton et de Crossness.

96. La défense du Royaume-Uni s’articule en particulier autour des dimensions tout à fait exceptionnelles du réseau d’assainissement de Londres et sur la complexité inévitable de toute intervention sur une série de systèmes de collecte conçus au cours du XIXe siècle. Dans cette optique, on ne saurait conclure à l’existence d’un manquement de la part du Royaume-Uni, lequel a commencé dès l’entrée en vigueur de la directive, à lancer toutes les activités d’étude et de planification nécessaires pour
réaliser la pleine conformité avec le droit de l’Union. La clause du BTKNEEC imposerait de ne pas considérer qu’une directive a été violée si, concrètement, un État membre a entrepris toutes les actions nécessaires, dans les délais les plus brefs concrètement envisageables, pour lui donner effet.

2. Analyse

97. Dans son premier avis motivé, la Commission avait contesté, de manière générale, le fonctionnement de l’ensemble du réseau d’assainissement de Londres. En revanche, dans l’avis motivé complémentaire, elle a décidé, après avoir examiné les arguments du Royaume-Uni en réponse à l’avis motivé, de réduire l’objet du recours à ses termes actuels.

98. Comme nous l’avons déjà indiqué, la Commission allègue en particulier l’insuffisance, aux fins du respect de la directive, des stations d’épuration de Beckton, de Crossness et de Mogden, ainsi que celle des systèmes de collecte qui aboutissent aux deux premières stations.

99. Il y a lieu de s’interroger, à titre liminaire, sur le type de preuve que la Commission doit rapporter en ce qui concerne le manquement. Nous ne nous référons pas ici à la charge de la preuve, la jurisprudence étant claire et constante sur ce point: il incombe à la Commission de démontrer le manquement, sans pouvoir se fonder sur une présomption quelconque ( 21 ). En revanche, ce à quoi nous nous référons ici, c’est l’objet de la démonstration de la Commission.

100. En effet, la lecture du recours montre que, si elle a décidé de limiter ses griefs à certaines parties spécifiques du système de collecte et de traitement des eaux résiduaires de Londres, la Commission n’a pas clairement indiqué quelles sont les spécificités des secteurs qui font l’objet du recours. Au contraire, elle a fondé toute son argumentation sur des preuves – le rapport de la TTSS en particulier – qui se réfèrent aux problèmes du système en général et non à ceux qui sont spécifiques aux
parties du système (les zones de Beckton, de Crossness et de Mogden) sur lesquelles porte le recours.

101. Il convient, par conséquent, de vérifier si les éléments de preuve fournis par la Commission, qui attestent d’une situation environnementale problématique à Londres en général, ont démontré le rôle spécifique de chacune des parties du système mentionnées dans la création de la situation d’ensemble ( 22 ).

102. Ce qui apparaît déterminant à cet égard, c’est la documentation que la Commission a jointe à la requête et, en particulier, la réponse apportée par le Royaume-Uni à l’avis motivé de la Commission le 15 juin 2006. Dans ce document, le Royaume-Uni, répondant à un grief relatif à l’ensemble du système de Londres, a, en substance, ramené le problème aux parties spécifiques du système auxquelles la Commission a, par la suite, décidé de limiter son recours. En particulier, s’il n’admet pas
formellement l’existence d’un manquement, le gouvernement du Royaume-Uni indique, dans les conclusions de ce document, qu’il «reconnaît qu’il est nécessaire d’augmenter la capacité des stations d’épuration de Beckton, Crossness et Mogden» et qu’il «reconnaît qu’il est nécessaire de prendre des mesures pour réduire la pollution provenant de certains déversoirs d’orage qui font partie des systèmes de collecte de Beckton et de Crossness».

103. À la lumière de ce document, nous estimons que les éléments fournis par la Commission, dans la mesure où ils font référence au réseau de Londres dans son ensemble, peuvent être considérés comme utilisables pour ce qui est spécifiquement des stations d’épuration de Beckton, de Crossness et de Mogden ainsi que des systèmes de collecte de Beckton et de Crossness. Le Royaume-Uni n’a d’ailleurs formulé aucune objection à cet égard.

104. Il reste à vérifier si les preuves apportées par la Commission sont suffisantes pour démontrer le manquement. Dans ce cas aussi, nous suivrons l’approche en deux temps que nous avons déjà utilisée en ce qui concerne la situation de Whitburn.

105. Pour ce qui est de l’existence du problème et de son caractère non occasionnel, le rapport de la TTSS sur lequel la Commission a fondé la partie essentielle de son recours constitue, à notre avis, une indication non seulement suffisante, mais également difficilement contestable, surtout qu’il s’agit d’un document élaboré à la demande du gouvernement du Royaume-Uni lui-même. En particulier, comme nous l’avons vu, ce rapport atteste de la fréquence considérable des rejets, ceux-ci concernant tant
des eaux non traitées provenant du système de collecte que des eaux ayant seulement fait l’objet d’un traitement minimal par les stations d’épuration. De plus, ces événements, loin d’être limités à des situations climatiques extraordinaires, se produisent régulièrement, même en cas de pluies modérées.

106. Il est dès lors possible de considérer que la Commission a démontré la nature non exceptionnelle et non occasionnelle des rejets qu’elle reproche au Royaume-Uni: cet État membre ne conteste d’ailleurs pas l’exactitude des données fournies par la Commission.

107. Il reste à contrôler, pour finir, si le gouvernement du Royaume-Uni a démontré l’impossibilité technique de se conformer à la directive ou la disproportion absolue des coûts par rapport aux avantages, lesquelles pourraient justifier, sur la base de la clause du BTKNEEC, une collecte et/ou un traitement non complets des eaux résiduaires.

108. À notre avis, la réponse est négative.

109. En effet, d’une part, le Royaume-Uni a indiqué qu’il a maintenant été décidé de réaliser un nouvel ouvrage important (un tunnel de stockage des eaux) qui sera en mesure, comme la Commission elle-même l’a observé au cours de la phase précontentieuse, de réaliser la conformité complète à la directive. Les solutions techniques pour parvenir à une amélioration de la situation existent donc et leur coût n’est pas à considérer comme disproportionné, étant donné que la décision de les mettre en œuvre
a déjà été prise.

110. Les arguments du Royaume-Uni qui font état de la complexité et de la longue durée des travaux devant être réalisés ne sauraient pas davantage être accueillis. En effet, il est de jurisprudence constante que le manquement doit être apprécié à la date fixée dans l’avis motivé (en l’occurrence, le 1er février 2009) et qu’un État membre ne peut obtenir le rejet du recours du seul fait que les activités et les travaux qui conduiront, dans le futur, à l’élimination du manquement sont en cours ( 23 ).
Il convient du reste de ne pas oublier non plus que la directive remonte à plus de 20 ans: elle ne saurait, par conséquent, être considérée comme un texte avec lequel les États membres n’ont pas eu le temps de se familiariser. En ce qui concerne précisément la directive 91/271, mais relativement à un article différent de ceux qui sont en discussion en l’espèce, la Cour a considéré que le délai du 9 septembre 2004, fixé dans l’avis motivé, était plus que suffisant ( 24 ).

111. Le Royaume-Uni a semblé suggérer, en particulier à l’audience, que la durée nécessairement longue des travaux devait être considérée comme un élément militant en faveur de l’application de la clause du BTKNEEC: lorsqu’un État membre doit réaliser des travaux à grande échelle pour se conformer au droit de l’Union, un manquement ne saurait lui être reproché si ces travaux sont en cours et avancent à un rythme normal et raisonnable.

112. Ce raisonnement ne saurait être accueilli. Comme nous l’avons vu, la clause du BTKNEEC doit être interprétée comme se référant aux solutions techniques qui, en général, peuvent être mises en œuvre et non au moment auquel cette mise en œuvre peut survenir. Le moment auquel il convient de se référer pour apprécier la conformité à un texte normatif de l’Union est celui fixé dans l’avis motivé de la Commission. Il en serait autrement si le Royaume-Uni avait démontré que la solution choisie pour
résoudre le problème – et donc, en particulier, le tunnel de stockage des eaux – n’était pas techniquement réalisable dans le passé. Dans ce cas, la clause du BTKNEEC pourrait valablement être invoquée. Toutefois, tel n’est pas le cas ici: à aucun moment, le Royaume-Uni n’a allégué que la réalisation du tunnel ou l’augmentation de la capacité des stations d’épuration ne seraient que récemment devenues techniquement possibles.

113. En conclusion, nous considérons par conséquent qu’il convient d’accueillir la partie du recours relative à la ville de Londres.

E – Sur les dépens

114. Comme nous l’avons indiqué ci-dessus, la Commission et le Royaume-Uni ont tous deux conclu à la condamnation de la partie adverse aux dépens. Étant donné que nous proposons à la Cour d’accueillir une des deux parties du recours de la Commission et de rejeter l’autre, nous considérons qu’il convient que la Cour fasse application de l’article 69, paragraphe 3, du règlement de procédure et compense par conséquent les dépens.

V – Conclusion

115. Eu égard aux observations qui précèdent, nous proposons à la Cour de statuer comme suit:

«– En ne procédant pas, d’une part, à la mise en place de systèmes de collecte appropriés, conformément à l’article 3 et à l’annexe I, point A, de la directive 91/271/CEE du Conseil, du 21 mai 1991, relative au traitement des eaux urbaines résiduaires, à Beckton et à Crossness et, d’autre part, au traitement approprié des eaux résiduaires dans les stations d’épuration de Beckton, de Crossness et de Mogden, conformément aux articles 4 et 10, ainsi qu’à l’annexe I, point B, de ladite directive,
le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions susmentionnées.

– Le recours est rejeté pour le surplus.

– Chaque partie supporte ses propres dépens.»

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( 1 ) Langue originale: l’italien.

( 2 ) Directive du Conseil, du 21 mai 1991, relative au traitement des eaux urbaines résiduaires (JO L 135, p. 40).

( 3 ) Fixé à un équivalent habitant égal à 2 000. La notion d’équivalent habitant est définie à l’article 2, point 6, mais n’est pas pertinente en l’espèce: en effet, il est constant que les obligations des articles 3 et 4 de la directive concernent toutes les localités mentionnées par la Commission dans son recours.

( 4 ) Arrêt du 23 septembre 2004, Commission/France (C-280/02, Rec. p. I-8573, points 16 et 17).

( 5 ) COM(89) 518 final (JO 1989, C 300, p. 8), article 9.

( 6 ) Arrêts du 7 mai 2009, Commission/Portugal (C‑530/07, points 28 et 53), et du 14 avril 2011, Commission/Espagne (C‑343/10, points 56 et 62).

( 7 ) Voir versions allemande («Regenüberläufen») et néerlandaise («hemelwater»).

( 8 ) Voir, outre la version française, la version italienne («piogge violente»), la version anglaise («storm») et la version espagnole («aguas de tormenta»). Il est établi que, lorsqu’une version linguistique isolée s’écarte des autres, elle ne peut, selon la jurisprudence constante de la Cour, être utilisée pour fonder une interprétation de la norme qui est contraire à la majorité des autres versions linguistiques. Voir, par exemple, arrêts du 27 mars 1990, Cricket St Thomas (C-372/88, Rec.
p. I-1345, point 18); du 19 avril 2007, Velvet & Steel Immobilien (C-455/05, Rec. p. I-3225, point 19), et du 25 mars 2010, Helmut Müller (C-451/08, Rec. p. I-2673, point 38).

( 9 ) Même si elle n’est, à l’évidence, pas déterminante. Comme nous venons de l’indiquer, le texte d’une seule version linguistique ne peut, à lui seul, servir de base à une interprétation contraire aux autres versions linguistiques.

(

10

)

«Extremsituationen, wie z.B. bei ungewöhnlich starken Niederschlägen.»

( 11 ) Incidemment, cette clause ne figurait pas dans la proposition initiale de la Commission et a seulement été insérée dans le texte final de la directive approuvé par le Conseil.

( 12 ) Arrêt du 30 novembre 2006, Commission/Italie (C‑293/05, point 35).

( 13 ) Note 6.

( 14 ) Voir, par exemple, arrêt du 10 décembre 2009, Commission/Royaume-Uni (C‑390/07, points 43 à 45). Pour une récapitulation en termes généraux de la charge de la preuve dans les procédures en manquement, voir également points 42 à 46 des conclusions présentées le 26 mars 2009 par l’avocat général Kokott dans les affaires Commission/Finlande (C‑335/07) et Commission/Suède (C‑438/07) (arrêts du 6 octobre 2009, Rec. p. I-9459 et p. I-9517).

( 15 ) Le débit par temps sec d’un système de collecte est le volume des eaux qui sont déversées dans celui-ci en l’absence de pluie.

( 16 ) Voir, en particulier points 16.5.1.4, 16.5.1.5, 16.5.1.7 à 16.5.1.9, 16.5.5.1, 16.5.11.2 et 16.5.11.3. Le rapport a toutefois exprimé un avis favorable à la modification des termes de l’autorisation existante de manière à autoriser la société de gestion à rejeter des eaux résiduaires non traitées, en utilisant l’émissaire en mer de Whitburn, en cas d’urgence. En revanche, les critiques de l’inspecteur se sont concentrées, comme nous l’avons laissé entendre, sur la gestion des rejets dans les
situations ordinaires.

( 17 ) Voir, à cet égard, directive 76/160/CEE du Conseil, du 8 décembre 1975, concernant la qualité des eaux de baignade (JO 1976, L 31, p. 1).

( 18 ) Il s’agit du rapport de la Thames Tideway Strategic Study (TTSS), sur lequel nous reviendrons aux points 90 et suiv. ci-dessous.

( 19 ) C’est nous qui soulignons.

( 20 ) Ce document, produit par le Royaume-Uni avant l’audience, a été admis par la Cour et versé au dossier.

( 21 ) Voir, par exemple, arrêt Commission/Suède (précité note 14, point 49 et jurisprudence citée).

( 22 ) Voir, par analogie, arrêt Commission/Finlande (précité note 14, point 88).

( 23 ) Voir, par exemple, arrêts du 24 juin 2004, Commission/Grèce (C‑119/02, points 52 à 54), et du 8 juillet 2004, Commission/Belgique (C‑27/03, points 39 à 40).

( 24 ) Arrêt Commission/Italie, précité note 12 (points 25 à 28).


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C-301/10
Date de la décision : 26/01/2012
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

Manquement d’État - Pollution et nuisances - Traitement des eaux urbaines résiduaires - Directive 91/271/CEE - Articles 3, 4 et 10 - Annexe I, points A et B.

Pollution

Environnement


Parties
Demandeurs : Commission européenne
Défendeurs : Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mengozzi

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2012:36

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