ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
21 juin 2012 (*)
«Manquement d’État – Environnement – Directive 2000/60/CE – Politique de l’Union dans le domaine de l’eau – Plans de gestion de district hydrographique – Publication et notification à la Commission – Absence – Information et consultation du public concernant les projets de plans de gestion – Absence»
Dans l’affaire C‑223/11,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 13 mai 2011,
Commission européenne, représentée par MM. P. Guerra e Andrade et I. Chatzigiannis, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
contre
République portugaise, représentée par M. L. Inez Fernandes, en qualité d’agent,
partie défenderesse,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. M. Safjan, président de chambre, MM. E. Levits (rapporteur) et J.-J. Kasel, juges,
avocat général: M. N. Jääskinen,
greffier: M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que:
– en omettant de publier les plans de gestion de district hydrographique (ci-après les «PGDH») nationaux et internationaux;
– en omettant de publier et de soumettre aux observations du public, y compris des utilisateurs, les projets de PGDH, et
– en omettant de transmettre à la Commission les copies de ces plans,
la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu, respectivement, de l’article 13, paragraphe 6, de la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2000, établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau (JO L 327, p. 1), lu conjointement avec les paragraphes 1 et 2 de cet article, de l’article 14, paragraphe 1, sous c), de cette directive et de l’article 15, paragraphe 1, de ladite directive.
Le cadre juridique
2 En vertu de son article 1^er, la directive 2000/60 a pour objet d’établir un cadre pour la protection des eaux intérieures de surface, des eaux de transition, des eaux côtières et des eaux souterraines.
3 Aux termes de l’article 2, point 15, de cette directive, un district hydrographique est «une zone terrestre et maritime, composée d’un ou plusieurs bassins hydrographiques ainsi que des eaux souterraines et eaux côtières associées, identifiée conformément à l’article 3, paragraphe 1, comme principale unité aux fins de la gestion des bassins hydrographiques».
4 L’article 3, paragraphe 1, de ladite directive prévoit:
«Les États membres recensent les bassins hydrographiques qui se trouvent sur leur territoire national et, aux fins de la présente directive, les rattachent à des districts hydrographiques [...]»
5 L’article 13 de la directive 2000/60, intitulé «Plans de gestion de district hydrographique», dispose:
«1. Les États membres veillent à ce qu’un [PGDH] soit élaboré pour chaque district hydrographique entièrement situé sur leur territoire.
2. Dans le cas d’un district hydrographique international situé entièrement sur le territoire de la Communauté, les États membres en assurent la coordination en vue de produire un seul [PGDH] international. En l’absence d’un tel plan, les États membres produisent un [PGDH] couvrant au moins les parties du district hydrographique international situées sur leur territoire en vue de réaliser les objectifs de la présente directive.
3. Dans le cas d’un district hydrographique international s’étendant au-delà des limites de la Communauté, les États membres s’efforcent de produire un seul [PGDH] et, s’ils ne peuvent le faire, le plan couvrira au moins la portion du district hydrographique international située sur le territoire de l’État membre concerné.
[...]
6. Les [PGDH] sont publiés au plus tard neuf ans après la date d’entrée en vigueur de la présente directive.
[...]»
6 L’article 14 de cette directive, relatif à l’information et à la consultation du public, énonce:
«1. Les États membres encouragent la participation active de toutes les parties concernées à la mise en œuvre de la présente directive, notamment à la production, à la révision et à la mise à jour des [PGDH]. Les États membres veillent à ce que, pour chaque district hydrographique, soient publiés et soumis aux observations du public, y compris des utilisateurs:
a) un calendrier et un programme de travail pour l’élaboration du plan, y compris un relevé des mesures qui seront prises en matière de consultation, trois ans au moins avant le début de la période de référence du plan;
b) une synthèse provisoire des questions importantes qui se posent dans le bassin hydrographique en matière de gestion de l’eau, deux ans au moins avant le début de la période de référence du plan;
c) un [PGDH], un an au moins avant le début de la période de référence du plan.
Sur demande, les documents de référence et les informations utilisées pour l’élaboration du projet de plan de gestion sont mis à disposition.
2. Les États membres prévoient au moins six mois pour la formulation par écrit des observations sur ces documents, afin de permettre une consultation et une participation actives.
[...]»
7 L’article 15 de ladite directive, intitulé «Notification», dispose à son paragraphe 1:
«Les États membres communiquent des copies des [PGDH] et de toutes les mises à jour subséquentes à la Commission et aux autres États membres concernés dans les trois mois qui suivent leur publication:
a) pour les districts hydrographiques entièrement situés sur le territoire d’un État membre, tous les plans de gestion couvrant ce territoire national et publiés conformément à l’article 13;
b) dans le cas des districts hydrographiques internationaux, au moins la partie du plan de gestion intéressant le territoire de l’État membre.
[...]»
8 En vertu de son article 25, la directive 2000/60 est entrée en vigueur le jour de sa publication, à savoir le 22 décembre 2000.
Les antécédents du litige et la procédure précontentieuse
9 Conformément à l’article 13, paragraphes 2 et 6, de la directive 2000/60, les États membres devaient, pour chaque district hydrographique international, produire un PGDH international ou, à défaut, un PGDH couvrant au moins les parties du district hydrographique international situées sur leur territoire au plus tard le 22 décembre 2009. En vertu de l’article 15, paragraphe 1, de cette directive, les États membres devaient ensuite, avant le 22 mars 2010, communiquer à la Commission des
copies des PGDH et de toutes les mises à jour subséquentes.
10 Dans une lettre de mise en demeure datée du 4 juin 2010, la Commission a fait grief à la République portugaise:
– de n’avoir pas, au 22 décembre 2009, adopté ni publié tous les PGDH en violation de l’article 13, paragraphe 6, de la directive 2000/60, lu conjointement avec les paragraphes 1 et 2 de cet article;
– de n’avoir pas transmis ces plans à la Commission au 22 mars 2010, en violation de l’article 15, paragraphe 1, de cette directive, et
– de ce que les informations reçues par la Commission n’indiquaient pas que le public avait eu la possibilité de participer à l’élaboration desdits plans, de sorte qu’il n’était pas établi que cet État membre avait satisfait aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 14, paragraphe 1, de ladite directive.
11 Dans sa réponse du 30 juillet 2010, la République portugaise a admis qu’il y avait un retard dans la transposition des articles 13 et 15 de la directive 2000/60. S’agissant de la mise en œuvre de l’article 14 de cette directive, elle a indiqué qu’elle serait en mesure de s’acquitter de ses obligations en matière d’information et de consultation du public dans le courant de l’année 2011.
12 Dans son avis motivé du 28 octobre 2010, la Commission a fait savoir que l’information et la consultation du public auraient dû être réalisées au plus tard le 22 décembre 2008, ce qui n’a pas été le cas. Dès lors, elle a maintenu ses griefs en invitant la République portugaise à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à cet avis dans un délai de deux mois à compter de sa réception.
13 La Commission, estimant que la République portugaise s’est contentée de réitérer sa position dans sa réponse du 10 janvier 2011, a décidé d’introduire le présent recours.
Sur le recours
Sur le premier grief, tiré de la violation de l’article 13, paragraphe 6, de la directive 2000/60, lu conjointement avec les paragraphes 1 et 2 de cet article
Argumentation des parties
14 La Commission fait valoir qu’elle n’a reçu aucune information sur les PGDH ni de notification de ceux-ci, lesquels auraient pourtant dû être publiés au plus tard le 22 décembre 2009 en vertu de l’article 13, paragraphe 6, de la directive 2000/60. Les plans auxquels se réfère la République portugaise ne correspondraient pas à ceux prévus par ladite directive.
15 La République portugaise souligne que, s’agissant de son territoire continental, la transposition effective de l’article 13, paragraphe 6, de la directive 2000/60, lu conjointement avec les paragraphes 1 et 2 de cet article, devrait être effective avant la fin du premier trimestre de l’année 2012. S’agissant du territoire de la région autonome des Açores, les PGDH auraient dû être mis à disposition ou conclus aux mois de septembre et de décembre 2011. S’agissant du territoire de la région
autonome de Madère, les travaux nécessaires seraient en voie de réalisation.
Appréciation de la Cour
16 Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé et que les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour (voir, notamment, arrêts du 17 janvier 2008, Commission/Allemagne, C‑152/05, Rec. p. I‑39, point 15, et du 15 mars 2012, Commission/Chypre, C‑340/10, non encore publié au
Recueil, point 27).
17 Ainsi qu’il résulte de l’article 13, paragraphe 6, de la directive 2000/60, les PGDH doivent être publiés au plus tard neuf ans après la date d’entrée en vigueur de cette directive. Aux termes de son article 25, la directive 2000/60 est entrée en vigueur le 22 décembre 2000. Dès lors, il appartenait à la République portugaise de prendre les dispositions nécessaires pour se conformer aux obligations qui lui incombent en vertu dudit article 13, paragraphe 6, au plus tard le 22 décembre 2009.
18 Or, force est de constater que, dans son mémoire en défense, la République portugaise envisage une éventuelle publication des PGDH à des dates ultérieures à celle prévue par cette disposition.
19 Par conséquent, il y a lieu d’accueillir le premier grief de la Commission.
Sur le deuxième grief, tiré de la violation de l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2000/60
Argumentation des parties
20 La Commission fait valoir qu’elle n’a reçu aucune notification relative à la publication et à la soumission aux observations du public des PGDH.
21 La République portugaise souligne que, s’agissant de son territoire continental, elle devrait avoir satisfait aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2000/60 au plus tard à la fin de l’année 2011. S’agissant du territoire de la région autonome des Açores, cet État membre mentionne, d’une part, deux journées de travail et à thème qui ont eu lieu, respectivement, en 2006 et en 2011, en vue de permettre la consultation et la
participation du public. D’autre part, des documents auraient été mis en ligne sur le portail Internet du gouvernement régional des Açores entre le mois de février et le mois de septembre 2010. S’agissant du territoire de la région autonome de Madère, la République portugaise indique que des consultations publiques sont prévues durant toute la procédure.
Appréciation de la Cour
22 Aux termes de l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2000/60, les États membres procèdent à la publication et à la soumission aux observations du public, pour chaque district hydrographique, d’un projet de plan de gestion, un an au moins avant le début de la période de référence du plan.
23 Premièrement, il y a lieu de constater que, s’agissant du territoire continental ainsi que du territoire de la région autonome de Madère, la République portugaise ne conteste pas le deuxième grief.
24 Deuxièmement, s’agissant du territoire de la région autonome des Açores, force est de souligner que les éléments mentionnés par cet État membre dans son mémoire en défense ne permettent pas d’identifier dans quelle mesure il s’est acquitté des obligations qui lui incombent en vertu de l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2000/60.
25 En tout état de cause, la République portugaise n’a pas indiqué si des projets de PGDH avaient été publiés et soumis au public dans le délai prévu.
26 Par conséquent, il y a lieu d’accueillir le deuxième grief de la Commission.
Sur le troisième grief, tiré de la violation de l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/60
Argumentation des parties
27 La Commission indique qu’elle n’a reçu aucune copie de PGDH national ou international.
28 La République portugaise fait valoir que la transposition de l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/60 pourra être effective avant la fin du premier trimestre de l’année 2012 s’agissant de son territoire continental. Cet État membre indique qu’il estimait pouvoir disposer d’une copie des PGDH pour le territoire de la région autonome des Açores au mois de septembre 2011.
Appréciation de la Cour
29 Ainsi qu’il a été rappelé au point 16 du présent arrêt, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé.
30 Or, aux termes de l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/60, les États membres communiquent des copies des PGDH à la Commission dans les trois mois qui suivent leur publication.
31 En l’occurrence, d’une part, il a été constaté, aux points 18 et 25 du présent arrêt, que la République portugaise n’avait pas procédé à la publication des PGDH requise conformément aux articles 13, paragraphe 6, et 14, paragraphe 1, de la directive 2000/60. D’autre part, il ressort manifestement du mémoire en défense de cet État membre qu’il n’avait procédé, au jour de l’envoi de son mémoire en défense, à aucune notification.
32 Par conséquent, il y a lieu d’accueillir le troisième grief de la Commission.
33 Il résulte de l’ensemble de ces considérations que la République portugaise, en omettant dans le délai prescrit:
– de publier les PGDH nationaux et internationaux;
– de publier et de soumettre aux observations du public, y compris des utilisateurs, les projets de PGDH, et
– de transmettre à la Commission les copies de ces plans,
a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu, respectivement, de l’article 13, paragraphe 6, de la directive 2000/60, lu conjointement avec les paragraphes 1 et 2 de cet article, de l’article 14, paragraphe 1, sous c), de cette directive et de l’article 15, paragraphe 1, de ladite directive.
Sur les dépens
34 En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République portugaise et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) déclare et arrête:
1) La République portugaise, en omettant dans le délai prescrit:
– de publier les plans de gestion de district hydrographique nationaux et internationaux;
– de publier et de soumettre aux observations du public, y compris des utilisateurs, les projets de plans de gestion de district hydrographique, et
– de transmettre à la Commission européenne les copies de ces plans,
a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu, respectivement, de l’article 13, paragraphe 6, de la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2000, établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau, lu conjointement avec les paragraphes 1 et 2 de cet article, de l’article 14, paragraphe 1, sous c), de cette directive et de l’article 15, paragraphe 1, de ladite directive.
2) La République portugaise est condamnée aux dépens.
Signatures
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* Langue de procédure: le portugais.