ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
3 juillet 2012 ( *1 )
«Protection juridique des programmes d’ordinateur — Commercialisation de licences de programmes d’ordinateur d’occasion téléchargés à partir d’Internet — Directive 2009/24/CE — Articles 4, paragraphe 2, et 5, paragraphe 1 — Épuisement du droit de distribution — Notion d’‘acquéreur légitime’»
Dans l’affaire C‑128/11,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesgerichtshof (Allemagne), par décision du 3 février 2011, parvenue à la Cour le 14 mars 2011, dans la procédure
UsedSoft GmbH
contre
Oracle International Corp.,
LA COUR (grande chambre),
composée de M. V. Skouris, président, MM. A. Tizzano, J. N. Cunha Rodrigues, K. Lenaerts (rapporteur), J.-C. Bonichot et Mme A. Prechal, présidents de chambre, MM. K. Schiemann, E. Juhász, A. Borg Barthet, D. Šváby et Mme M. Berger, juges,
avocat général: M. Y. Bot,
greffier: M. K. Malacek, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 6 mars 2012,
considérant les observations présentées:
— pour UsedSoft GmbH, par Mes B. Ackermann et A. Meisterernst, Rechtsanwälte,
— pour Oracle International Corp., par Mes T. Heydn et U. Hornung, Rechtsanwälte,
— pour l’Irlande, par M. D. O’Hagan, en qualité d’agent,
— pour le gouvernement espagnol, par Mme N. Díaz Abad, en qualité d’agent,
— pour le gouvernement français, par M. J. Gstalter, en qualité d’agent,
— pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. S. Fiorentino, avvocato dello Stato,
— pour la Commission européenne, par Mme J. Samnadda et M. F. W. Bulst, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 24 avril 2012,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 4, paragraphe 2, et 5, paragraphe 1, de la directive 2009/24/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur (JO L 111, p. 16).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant UsedSoft GmbH (ci-après «UsedSoft») à Oracle International Corp. (ci-après «Oracle») au sujet de la commercialisation par UsedSoft de licences de programmes d’ordinateur d’occasion d’Oracle.
Le cadre juridique
Le droit international
3 L’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) a adopté à Genève, le 20 décembre 1996, le traité de l’OMPI sur le droit d’auteur (ci-après le «traité sur le droit d’auteur»). Ce traité a été approuvé au nom de la Communauté européenne par la décision 2000/278/CE du Conseil, du 16 mars 2000 (JO L 89, p. 6).
4 L’article 4 du traité sur le droit d’auteur, intitulé «Programmes d’ordinateur», est libellé comme suit:
«Les programmes d’ordinateur sont protégés en tant qu’œuvres littéraires au sens de l’article 2 de la Convention de Berne. La protection prévue s’applique aux programmes d’ordinateur quel qu’en soit le mode ou la forme d’expression.»
5 L’article 6 du traité sur le droit d’auteur, intitulé «Droit de distribution», prévoit:
«1. Les auteurs d’œuvres littéraires et artistiques jouissent du droit exclusif d’autoriser la mise à la disposition du public de l’original et d’exemplaires de leurs œuvres par la vente ou tout autre transfert de propriété.
2. Aucune disposition du présent traité ne porte atteinte à la faculté qu’ont les Parties contractantes de déterminer les conditions éventuelles dans lesquelles l’épuisement du droit prévu à l’alinéa 1) s’applique après la première vente ou autre opération de transfert de propriété de l’original ou d’un exemplaire de l’œuvre, effectuées avec l’autorisation de l’auteur.»
6 L’article 8 du traité sur le droit d’auteur dispose:
«[…] les auteurs d’œuvres littéraires et artistiques jouissent du droit exclusif d’autoriser toute communication au public de leurs œuvres par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit de manière individualisée.»
7 Dans les déclarations communes concernant les articles 6 et 7 du traité sur le droit d’auteur, il est énoncé:
«Aux fins de ces articles, les expressions ‘exemplaires’ et ‘original et exemplaires’, dans le contexte du droit de distribution et du droit de location prévus par ces articles, désignent exclusivement les exemplaires fixés qui peuvent être mis en circulation en tant qu’objets tangibles.»
Le droit de l’Union
La directive 2001/29
8 Les considérants 28 et 29 de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO L 167, p. 10), disposent:
«(28) La protection du droit d’auteur en application de la présente directive inclut le droit exclusif de contrôler la distribution d’une œuvre incorporée à un bien matériel. La première vente dans la Communauté de l’original d’une œuvre ou des copies de celle-ci par le titulaire du droit ou avec son consentement épuise le droit de contrôler la revente de cet objet dans la Communauté. Ce droit ne doit pas être épuisé par la vente de l’original ou de copies de celui-ci hors de la Communauté par le
titulaire du droit ou avec son consentement. Les droits de location et de prêt des auteurs ont été établis par la directive 92/100/CEE. Le droit de distribution prévu par la présente directive n’affecte pas les dispositions en matière de droits de location et de prêt figurant au chapitre I de ladite directive.
(29) La question de l’épuisement du droit ne se pose pas dans le cas des services, en particulier lorsqu’il s’agit de services en ligne. Cette considération vaut également pour la copie physique d’une œuvre ou d’un autre objet réalisée par l’utilisateur d’un tel service avec le consentement du titulaire du droit. Il en va par conséquent de même pour la location et le prêt de l’original de l’œuvre ou de copies de celle-ci, qui sont par nature des services. Contrairement aux CD-ROM ou aux CD-I, pour
lesquels la propriété intellectuelle est incorporée dans un support physique, à savoir une marchandise, tout service en ligne constitue en fait un acte devant être soumis à autorisation dès lors que le droit d’auteur ou le droit voisin en dispose ainsi.»
9 Conformément à l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29, celle-ci «laisse intactes et n’affecte en aucune façon les dispositions communautaires existantes concernant […] la protection juridique des programmes d’ordinateur».
10 L’article 3 de la directive 2001/29 dispose:
«1. Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement.
[…]
3. Les droits visés aux paragraphes 1 et 2 ne sont pas épuisés par un acte de communication au public, ou de mise à la disposition du public, au sens du présent article.»
11 L’article 4 de ladite directive, intitulé «Droit de distribution», énonce:
«1. Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute forme de distribution au public, par la vente ou autrement, de l’original de leurs œuvres ou de copies de celles-ci.
2. Le droit de distribution dans la Communauté relatif à l’original ou à des copies d’une œuvre n’est épuisé qu’en cas de première vente ou premier autre transfert de propriété dans la Communauté de cet objet par le titulaire du droit ou avec son consentement.»
La directive 2009/24
12 En vertu du considérant 1 de la directive 2009/24, celle-ci procède à la codification de la directive 91/250/CEE du Conseil, du 14 mai 1991, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur (JO L 122, p. 42).
13 Il résulte du considérant 7 de la directive 2009/24 que, «[a]ux fins de [cette] directive, les termes ‘programme d’ordinateur’ visent les programmes sous quelque forme que ce soit, y compris ceux qui sont incorporés au matériel».
14 Selon le considérant 13 de ladite directive, «les opérations de chargement et d’exécution nécessaires à l’utilisation d’une copie d’un programme légitimement acquis, ainsi que la correction de ses erreurs, ne peuvent pas être interdites par contrat».
15 L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2009/24 énonce que «les États membres protègent les programmes d’ordinateur par le droit d’auteur en tant qu’œuvres littéraires au sens de la convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques».
16 Aux termes de l’article 1er, paragraphe 2, de cette directive «[l]a protection prévue par la présente directive s’applique à toute forme d’expression d’un programme d’ordinateur».
17 L’article 4 de ladite directive, intitulé «Actes soumis à restrictions», dispose:
«1. Sous réserve des articles 5 et 6, les droits exclusifs du titulaire au sens de l’article 2 comportent le droit de faire ou d’autoriser:
a) la reproduction permanente ou provisoire d’un programme d’ordinateur, en tout ou en partie, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit; lorsque le chargement, l’affichage, l’exécution, la transmission ou le stockage d’un programme d’ordinateur nécessitent une telle reproduction du programme, ces actes de reproduction sont soumis à l’autorisation du titulaire du droit;
b) la traduction, l’adaptation, l’arrangement et toute autre transformation d’un programme d’ordinateur et la reproduction du programme en résultant, sans préjudice des droits de la personne qui transforme le programme d’ordinateur;
c) toute forme de distribution, y compris la location, au public de l’original ou de copies d’un programme d’ordinateur.
2. La première vente d’une copie d’un programme d’ordinateur dans la Communauté par le titulaire du droit ou avec son consentement épuise le droit de distribution de cette copie dans la Communauté, à l’exception du droit de contrôler des locations ultérieures du programme d’ordinateur ou d’une copie de celui-ci.»
18 L’article 5 de la directive 2009/24, intitulé «Exceptions aux actes soumis à restrictions», dispose, à son paragraphe 1:
«Sauf dispositions contractuelles spécifiques, ne sont pas soumis à l’autorisation du titulaire les actes visés à l’article 4, paragraphe 1, points a) et b), lorsque ces actes sont nécessaires pour permettre à l’acquéreur légitime d’utiliser le programme d’ordinateur d’une manière conforme à sa destination, y compris pour corriger des erreurs.»
Le droit allemand
19 Les articles 69c et 69d de la loi sur le droit d’auteur et les droits voisins [Gesetz über Urheberrecht und verwandte Schutzrechte (Urheberrechtsgesetz)], du 9 septembre 1965, telle que modifiée (ci-après l’«UrhG»), transposent en droit interne, respectivement, les articles 4 et 5 de la directive 2009/24.
Les faits à l’origine du litige au principal et les questions préjudicielles
20 Oracle développe et distribue des programmes d’ordinateur. Elle est titulaire des droits d’utilisation exclusifs de ces programmes au titre du droit d’auteur. Elle est également titulaire des marques verbales allemandes et communautaires Oracle, qui sont enregistrées, entre autres, pour des programmes d’ordinateur.
21 Oracle distribue les programmes d’ordinateur en cause au principal, à savoir des logiciels de banques de données, dans 85 % des cas, par téléchargement au moyen d’Internet. Le client télécharge directement une copie du programme sur son ordinateur, à partir du site Internet d’Oracle. Il s’agit de programmes d’ordinateur fonctionnant sur le mode «client/serveur». Le droit d’utilisation concernant un tel programme, octroyé par un contrat de licence, inclut le droit de stocker de manière permanente
la copie de ce programme sur un serveur et de permettre à un certain nombre d’utilisateurs d’y accéder en la téléchargeant vers la mémoire centrale de leur station de travail. Dans le cadre d’un contrat de maintenance, des versions mises à jour du programme d’ordinateur concerné («updates») et des programmes permettant de corriger des erreurs («patches») peuvent être téléchargés à partir du site Internet d’Oracle. À la demande du client, les programmes d’ordinateur en cause peuvent également être
livrés sur CD-ROM ou DVD.
22 Oracle propose pour les programmes d’ordinateur en cause au principal des licences groupées pour au moins 25 utilisateurs chacune. Une entreprise ayant besoin d’acquérir une licence pour 27 utilisateurs doit ainsi acquérir deux licences.
23 Les contrats de licence d’Oracle portant sur les programmes d’ordinateur en cause au principal contiennent, sous l’intitulé «Droit concédé», la clause suivante:
«Le paiement des services vous donne un droit d’utilisation à durée indéterminée, non exclusif, non cessible et gratuit, réservé à un usage professionnel interne, pour tous les produits et services qu’Oracle développe et met à votre disposition sur le fondement du présent contrat.»
24 UsedSoft commercialise des licences d’occasion de programmes d’ordinateur, et notamment des licences d’utilisation se rapportant aux programmes d’ordinateur d’Oracle en cause au principal. UsedSoft acquiert à cet effet, auprès des clients d’Oracle, de telles licences d’utilisation, voire une partie de celles-ci lorsque les licences initialement acquises portent sur un nombre d’utilisateurs dépassant les besoins du premier acquéreur.
25 Au mois d’octobre de l’année 2005, UsedSoft a proposé des «promotions spéciales Oracle», dans le cadre desquelles elle offrait à la vente des licences «déjà utilisées» pour les programmes d’ordinateur d’Oracle en cause au principal. Elle indiquait ce faisant que toutes les licences étaient «à jour», en ce sens que le contrat de maintenance souscrit par le preneur de licence initial avec Oracle produisait encore ses effets et que la légalité de la vente initiale était confirmée par une attestation
notariée.
26 Les clients de UsedSoft, qui ne sont pas encore en possession du programme d’ordinateur concerné d’Oracle, téléchargent, après avoir acquis une telle licence d’occasion, une copie du programme directement à partir du site Internet d’Oracle. Quant aux clients qui disposent déjà de ce programme d’ordinateur et qui achètent en complément des licences pour des utilisateurs supplémentaires, UsedSoft les amène à copier le programme d’ordinateur vers les stations de travail desdits utilisateurs.
27 Oracle a introduit une action devant le Landgericht München I tendant à enjoindre à UsedSoft de cesser les pratiques mentionnées aux points 24 à 26 du présent arrêt. Cette juridiction a fait droit aux conclusions d’Oracle. L’appel interjeté par UsedSoft contre cette décision a été rejeté. Celle-ci a ensuite introduit un recours en «Revision» devant le Bundesgerichtshof.
28 Selon la juridiction de renvoi, les agissements de UsedSoft ainsi que de ses clients empiètent sur le droit exclusif d’Oracle de reproduction permanente ou provisoire des programmes d’ordinateur, au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la directive 2009/24. Les clients de UsedSoft ne peuvent pas, selon cette juridiction, se fonder sur un droit qui leur aurait été valablement transmis par Oracle aux fins de la reproduction des programmes d’ordinateur. Il ressort en effet des contrats de
licence d’Oracle que le droit d’utilisation des programmes est «non cessible». Par conséquent, les clients d’Oracle ne sont pas autorisés à transmettre à des tiers le droit de reproduction de ces programmes.
29 La solution du litige au principal dépend, selon la juridiction de renvoi, du point de savoir si les clients de UsedSoft peuvent se prévaloir avec succès de l’article 69d, paragraphe 1, de l’UrhG, qui transpose l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2009/24 en droit allemand.
30 À cet égard se pose, d’abord, la question de savoir si une personne qui, à l’instar des clients de UsedSoft, ne dispose pas d’un droit d’utilisation du programme d’ordinateur conféré par le titulaire du droit d’auteur, mais entend se prévaloir de l’épuisement du droit de distribution d’une copie du programme d’ordinateur, est un «acquéreur légitime» de cette copie, au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2009/24. La juridiction de renvoi estime que tel est le cas. Elle explique que
l’aptitude d’une copie d’un programme d’ordinateur à circuler sur le marché, qui résulte de l’épuisement des droits de distribution, serait largement dépourvue d’intérêt si l’acquéreur d’une telle copie n’avait pas le droit de reproduire le programme d’ordinateur. En effet, l’utilisation d’un programme d’ordinateur exige en règle générale la reproduction de celui-ci — à la différence de l’utilisation d’autres œuvres protégées par un droit d’auteur. L’article 5, paragraphe 1, de la directive
2009/24 servirait ainsi à garantir l’épuisement du droit de distribution prévu à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24.
31 Ensuite, la juridiction de renvoi se demande si, dans un cas comme celui de l’affaire au principal, le droit de distribution de la copie d’un programme d’ordinateur est épuisé, au sens de l’article 69c, point 3, seconde phrase, de l’UrhG, qui transpose l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24.
32 Plusieurs interprétations seraient envisageables. Premièrement, l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24 pourrait être applicable lorsque le titulaire du droit d’auteur autorise un client — après avoir conclu un contrat de licence — à réaliser une copie du programme d’ordinateur au moyen d’un téléchargement de ce programme à partir d’Internet et de son stockage sur l’ordinateur. La disposition en cause associerait la conséquence juridique de l’épuisement du droit de distribution à la
première vente d’une copie du programme et elle ne supposerait pas nécessairement la mise en circulation d’une copie physique du programme d’ordinateur. Deuxièmement, l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24 pourrait être applicable par analogie dans le cas de la vente qui a pour objet un programme d’ordinateur au moyen de la transmission en ligne. Selon les défenseurs de cette thèse, il y aurait sur ce point une lacune normative non intentionnelle («planwidrige Regelungslücke»), due au
fait que les auteurs de cette directive n’auraient ni envisagé ni réglé la transmission en ligne de programmes d’ordinateur. Troisièmement, l’article 4, paragraphe 2, de ladite directive ne serait pas applicable dès lors que l’épuisement du droit de distribution en vertu de cette disposition supposerait toujours la mise en circulation d’une copie physique du programme d’ordinateur par le titulaire du droit ou avec son consentement. Les auteurs de la directive 2009/24 auraient sciemment renoncé à
soumettre la transmission en ligne de programmes d’ordinateur à la règle de l’épuisement.
33 Enfin, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si la personne qui a acquis une licence d’occasion peut se prévaloir, pour la réalisation d’une copie du programme — comme le font, dans l’affaire au principal, les clients de UsedSoft en téléchargeant une copie du programme d’Oracle sur un ordinateur à partir du site Internet de cette société ou en la téléchargeant dans la mémoire centrale d’autres stations de travail — de l’épuisement du droit de distribution de la copie du
programme d’ordinateur que le premier acquéreur a, avec l’autorisation du titulaire du droit, réalisée en la téléchargeant au moyen d’Internet, lorsque ce premier acquéreur a effacé sa copie ou ne l’utilise plus. La juridiction de renvoi estime qu’une application par analogie de l’article 5, paragraphe 1, et de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24 n’est pas envisageable. L’épuisement du droit de distribution aurait uniquement vocation à garantir l’aptitude à circuler sur le marché
d’une copie d’un programme qui est matérialisée sur un support de données déterminé et vendue par le titulaire du droit ou avec son consentement. L’effet de l’épuisement ne devrait par conséquent pas être étendu au fonds immatériel de données transmis en ligne.
34 Dans ces conditions, le Bundesgerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) La personne qui peut se prévaloir d’un épuisement du droit de distribution de la copie d’un programme d’ordinateur est-elle un ‘acquéreur légitime’, au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2009/24?
2) En cas de réponse affirmative à la première question: le droit de distribution de la copie d’un programme d’ordinateur est-il épuisé, au sens du premier membre de phrase de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24, lorsque l’acquéreur a réalisé la copie, avec l’autorisation du titulaire du droit, en téléchargeant le programme sur un support informatique au moyen d’Internet?
3) En cas de réponse affirmative à la deuxième question également: la personne qui a acquis une licence de programme d’ordinateur ‘d’occasion’ peut-elle aussi se prévaloir, pour la réalisation d’une copie du programme en tant qu’‘acquéreur légitime’, en application de l’article 5, paragraphe 1, et du premier membre de phrase de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24, de l’épuisement du droit de distribution de la copie du programme d’ordinateur que le premier acquéreur a, avec
l’autorisation du titulaire du droit, réalisée en téléchargeant le programme sur un support informatique au moyen d’Internet, lorsque ce premier acquéreur a effacé sa copie ou ne l’utilise plus?»
Sur les questions préjudicielles
Sur la deuxième question
35 Par sa deuxième question, qu’il convient d’aborder en premier lieu, la juridiction de renvoi vise, en substance, à savoir si, et dans quelles conditions, le téléchargement au moyen d’Internet d’une copie d’un programme d’ordinateur, autorisé par le titulaire du droit d’auteur, peut donner lieu à un épuisement du droit de distribution de cette copie dans l’Union européenne, au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24.
36 Il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24, la première vente d’une copie d’un programme d’ordinateur dans l’Union, par le titulaire du droit d’auteur ou avec son consentement, épuise le droit de distribution de cette copie dans l’Union.
37 Il ressort de la décision de renvoi que le titulaire du droit d’auteur lui-même, en l’occurrence Oracle, met à la disposition de ses clients dans l’Union qui désirent utiliser son programme d’ordinateur, une copie de celui-ci, qui peut être téléchargée à partir de son site Internet.
38 Aux fins de déterminer si, dans une situation telle que celle en cause au principal, le droit de distribution du titulaire du droit d’auteur est épuisé, il importe de vérifier, en premier lieu, si la relation contractuelle entre ce titulaire et son client, dans le cadre de laquelle le téléchargement d’une copie du programme d’ordinateur concerné a eu lieu, peut être qualifiée de «première vente d’une copie d’un programme d’ordinateur», au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la directive
2009/24.
39 Selon une jurisprudence constante, il découle des exigences tant de l’application uniforme du droit de l’Union que du principe d’égalité que les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme (voir, notamment, arrêts du 16 juillet 2009, Infopaq International, C-5/08, Rec. p. I-6569, point 27; du 18 octobre 2011,
Brüstle, C-34/10, Rec. p. I-9821, point 25, ainsi que du 26 avril 2012, DR et TV2 Danmark, C‑510/10, point 33).
40 Or, le texte de la directive 2009/24 n’opère aucun renvoi aux droits nationaux en ce qui concerne la signification à retenir de la notion de «vente», figurant à l’article 4, paragraphe 2, de celle-ci. Il en résulte donc que cette notion doit être considérée, aux fins d’application de ladite directive, comme désignant une notion autonome du droit de l’Union, qui doit être interprétée de manière uniforme sur le territoire de cette dernière (voir, en ce sens, arrêt DR et TV2 Danmark, précité,
point 34).
41 Cette conclusion est confortée par l’objet et le but de la directive 2009/24. En effet, il ressort des considérants 4 et 5 de cette directive, qui est fondée sur l’article 95 CE, auquel correspond l’article 114 TFUE, que celle-ci a pour objectif de supprimer les différences entre les législations des États membres qui portent atteinte au fonctionnement du marché intérieur en ce qui concerne les programmes d’ordinateur. Or, une interprétation uniforme de cette notion de «vente» s’impose aux fins
d’éviter que la protection accordée par ladite directive aux titulaires du droit d’auteur puisse varier en fonction de la loi nationale applicable.
42 Selon une définition communément admise, la «vente» est une convention par laquelle une personne cède, moyennant le paiement d’un prix, à une autre personne ses droits de propriété sur un bien corporel ou incorporel lui appartenant. Il s’ensuit que l’opération commerciale donnant lieu, conformément à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24, à un épuisement du droit de distribution relatif à une copie d’un programme d’ordinateur implique que le droit de propriété sur cette copie a été
transféré.
43 Oracle soutient qu’elle ne procède pas à la vente de copies de ses programmes d’ordinateur en cause au principal. Elle explique à cet effet qu’elle met gratuitement à la disposition de ses clients, sur son site Internet, une copie du programme concerné et que ceux-ci peuvent procéder au téléchargement de cette copie. La copie ainsi téléchargée ne peut cependant être utilisée par ces clients que s’ils ont conclu un contrat de licence d’utilisation avec Oracle. Une telle licence donne aux clients
d’Oracle un droit d’utilisation à durée indéterminée, non exclusif et non cessible, du programme d’ordinateur concerné. Or, selon Oracle, ni la mise à la disposition gratuite de la copie ni la conclusion du contrat de licence d’utilisation n’impliquent un transfert du droit de propriété de cette copie.
44 À cet égard, il convient de relever que le téléchargement d’une copie d’un programme d’ordinateur et la conclusion d’un contrat de licence d’utilisation se rapportant à celle-ci forment un tout indivisible. En effet, le téléchargement d’une copie d’un programme d’ordinateur est dépourvu d’utilité si ladite copie ne peut pas être utilisée par son détenteur. Ces deux opérations doivent dès lors être examinées dans leur ensemble aux fins de leur qualification juridique (voir, par analogie, arrêt du
6 mai 2010, Club Hotel Loutraki e.a., C-145/08 et C-149/08, Rec. p. I-4165, points 48 et 49 ainsi que jurisprudence citée).
45 S’agissant du point de savoir si, dans une situation telle que celle en cause au principal, les opérations commerciales concernées impliquent le transfert du droit de propriété de la copie du programme d’ordinateur, il doit être constaté qu’il ressort de la décision de renvoi que le client d’Oracle, qui télécharge la copie du programme d’ordinateur concerné et qui conclut avec cette société un contrat de licence d’utilisation portant sur ladite copie, reçoit, moyennant le paiement d’un prix, un
droit d’utilisation de cette copie d’une durée illimitée. La mise à la disposition par Oracle d’une copie de son programme d’ordinateur et la conclusion d’un contrat de licence d’utilisation y afférente visent ainsi à rendre ladite copie utilisable par ses clients, de manière permanente, moyennant le paiement d’un prix destiné à permettre au titulaire du droit d’auteur d’obtenir une rémunération correspondant à la valeur économique de la copie de l’œuvre dont il est propriétaire.
46 Dans ces conditions, les opérations mentionnées au point 44 du présent arrêt, examinées dans leur ensemble, impliquent le transfert du droit de propriété de la copie du programme d’ordinateur concerné.
47 À cet égard, il est indifférent, dans une situation telle que celle en cause au principal, que la copie du programme d’ordinateur a été mise à la disposition du client par le titulaire du droit concerné au moyen d’un téléchargement à partir du site Internet de ce dernier ou au moyen d’un support matériel tel qu’un CD-ROM ou un DVD. En effet, même si dans ce dernier cas également, le titulaire du droit concerné dissocie formellement le droit du client d’utiliser la copie du programme d’ordinateur
fournie de l’opération consistant à transférer sur un support matériel la copie de ce programme au client, l’opération consistant à télécharger, au départ de ce support, une copie du programme d’ordinateur et celle consistant à conclure un contrat de licence restent indissociables dans le chef de l’acquéreur, pour les motifs exposés au point 44 du présent arrêt. Dès lors que l’acquéreur, qui télécharge une copie du programme d’ordinateur concerné au moyen d’un support matériel tel qu’un CD-ROM ou
un DVD et qui conclut un contrat de licence d’utilisation y afférente, reçoit le droit d’utiliser ladite copie pour une durée illimitée moyennant le paiement d’un prix, il doit être considéré que ces deux opérations impliquent également, dans le cas d’une mise à la disposition d’une copie du programme d’ordinateur concerné au moyen d’un support matériel tel qu’un CD-ROM ou un DVD, le transfert du droit de propriété de ladite copie.
48 Partant, il y a lieu de considérer que, dans une situation telle que celle en cause au principal, le transfert par le titulaire du droit d’auteur d’une copie d’un programme d’ordinateur à un client, accompagné de la conclusion, entre ces mêmes parties, d’un contrat de licence d’utilisation, constitue une «première vente d’une copie d’un programme d’ordinateur», au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24.
49 Ainsi que le souligne M. l’avocat général au point 59 de ses conclusions, à défaut d’une interprétation large du terme de «vente», au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24, comme englobant toutes les formes de commercialisation d’un produit qui se caractérisent par l’octroi d’un droit d’usage d’une copie du programme d’ordinateur, pour une durée illimitée, moyennant le paiement d’un prix destiné à permettre au titulaire du droit d’auteur d’obtenir une rémunération
correspondant à la valeur économique de la copie de l’œuvre dont il est propriétaire, l’effet utile de cette disposition se trouverait compromis, puisqu’il suffirait aux fournisseurs de qualifier le contrat de «licence» et non de «vente» pour contourner la règle de l’épuisement et priver celle-ci de toute portée.
50 En deuxième lieu, l’argument d’Oracle et de la Commission européenne selon lequel la mise à la disposition d’une copie d’un programme d’ordinateur sur le site Internet du titulaire du droit d’auteur constitue une «mise à la disposition du public», au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, qui, conformément à l’article 3, paragraphe 3, de cette directive, ne peut donner lieu à l’épuisement du droit de distribution de celle-ci ne saurait être retenu.
51 En effet, il ressort de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29 que celle-ci «laisse intactes et n’affecte en aucune façon les dispositions [du droit de l’Union] existantes concernant […] la protection juridique des programmes d’ordinateur» conférée par la directive 91/250, qui a été codifiée ultérieurement par la directive 2009/24. Les dispositions de la directive 2009/24, et notamment l’article 4, paragraphe 2, de celle-ci, constituant ainsi une lex specialis par rapport
aux dispositions de la directive 2001/29, si bien que, à supposer que la relation contractuelle en cause au principal ou un aspect de celle-ci puisse également relever de la notion de «communication au public», au sens de l’article 3, paragraphe 1, de cette dernière directive, il demeurerait que la «première vente d’une copie d’un programme d’ordinateur», au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24, donne, conformément à cette même disposition, lieu à l’épuisement du droit de
distribution de cette copie.
52 Par ailleurs, il ressort du point 46 du présent arrêt que, dans une situation telle que celle en cause au principal, le titulaire du droit d’auteur transfère le droit de propriété de la copie du programme d’ordinateur à son client. Or, ainsi que le relève M. l’avocat général au point 73 de ses conclusions, il ressort de l’article 6, paragraphe 1, du traité sur le droit d’auteur, à la lumière duquel les articles 3 et 4 de la directive 2001/29 doivent, dans la mesure du possible, être interprétés
(voir, en ce sens, arrêt du 17 avril 2008, Peek & Cloppenburg, C-456/06, Rec. p. I-2731, point 30), que l’existence d’un transfert du droit de propriété transforme l’«acte de communication au public», prévu à l’article 3 de cette directive, en un acte de distribution visé à l’article 4 de ladite directive, lequel peut donner lieu, si les conditions posées au paragraphe 2 de ce dernier article sont réunies, et à l’instar d’une «première vente d’une copie d’un programme d’ordinateur» visée à
l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24, à l’épuisement du droit de distribution.
53 En troisième lieu, il doit encore être examiné si, comme le soutiennent Oracle, les gouvernements ayant déposé des observations devant la Cour et la Commission, l’épuisement du droit de distribution visé à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24 ne se rapporte qu’à des biens tangibles et non à des copies immatérielles de programmes d’ordinateur téléchargées au moyen d’Internet. Ils se réfèrent à cet effet au libellé de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24, aux
considérants 28 et 29 de la directive 2001/29, à l’article 4 de cette dernière directive, lu conjointement avec l’article 8 du traité sur le droit d’auteur, et à la déclaration commune concernant les articles 6 et 7 dudit traité dont la transposition serait l’un des objectifs de la directive 2001/29.
54 Par ailleurs, selon la Commission, le considérant 29 de la directive 2001/29 confirmerait que «[la] question de l’épuisement du droit ne se pose pas dans le cas des services, en particulier lorsqu’il s’agit de services en ligne».
55 À cet égard, il y a lieu de constater d’abord qu’il ne ressort pas de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24 que l’épuisement du droit de distribution des copies de programmes d’ordinateur, visé à cette disposition, soit limité aux copies de programmes d’ordinateur se trouvant sur un support matériel, tel qu’un CD-ROM ou un DVD. Au contraire, il convient de considérer que ladite disposition, en se référant sans autre précision à la «vente d’une copie d’un programme d’ordinateur», ne
fait aucune distinction en fonction de la forme matérielle ou immatérielle de la copie en cause.
56 Ensuite, il y a lieu de rappeler que la directive 2009/24, qui concerne spécifiquement la protection juridique des programmes d’ordinateur, constitue une lex specialis par rapport à la directive 2001/29.
57 Or, il ressort de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2009/24 que la «protection prévue par [cette] directive s’applique à toute forme d’expression d’un programme d’ordinateur». Le considérant 7 de ladite directive précise à cet égard que les «programmes d’ordinateur» dont elle entend assurer la protection «visent les programmes sous quelque forme que ce soit, y compris ceux qui sont incorporés au matériel».
58 Les dispositions susmentionnées font ainsi clairement apparaître la volonté du législateur de l’Union d’assimiler, aux fins de la protection prévue par la directive 2009/24, les copies matérielles et immatérielles d’un programme d’ordinateur.
59 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que l’épuisement du droit de distribution prévu à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24 concerne à la fois les copies matérielles et immatérielles d’un programme d’ordinateur, et partant également les copies de programmes d’ordinateur qui, à l’occasion de leur première vente, ont été téléchargées au moyen d’Internet, sur l’ordinateur du premier acquéreur.
60 Certes, les notions utilisées dans les directives 2001/29 et 2009/24 doivent, en principe, avoir la même signification (voir arrêt du 4 octobre 2011, Football Association Premier League e.a., C-403/08 et C-429/08, Rec. p. I-9083, points 187 ainsi que 188). Toutefois, à supposer même que l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/29, interprété à la lumière des considérants 28 et 29 de celle-ci ainsi qu’à celle du traité sur le droit d’auteur, que la directive 2001/29 vise à mettre en œuvre
(arrêt du 9 février 2012, Luksan, C‑277/10, point 59), indiquerait, pour les œuvres relevant de cette directive, que l’épuisement du droit de distribution ne concerne que des objets tangibles, une telle circonstance ne serait pas, eu égard à la volonté différente exprimée par le législateur de l’Union dans le contexte précis de la directive 2009/24, de nature à affecter l’interprétation de l’article 4, paragraphe 2, de cette dernière directive.
61 Il convient encore d’ajouter que, d’un point de vue économique, la vente d’un programme d’ordinateur sur CD-ROM ou DVD et la vente d’un programme d’ordinateur par téléchargement au moyen d’Internet sont similaires. En effet, le mode de transmission en ligne est l’équivalent fonctionnel de la remise d’un support matériel. L’interprétation de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24 à la lumière du principe d’égalité de traitement confirme que l’épuisement du droit de distribution prévu à
ladite disposition prend effet après la première vente d’une copie d’un programme d’ordinateur dans l’Union par le titulaire du droit d’auteur ou avec son consentement, indépendamment du point de savoir si la vente porte sur une copie matérielle ou immatérielle dudit programme.
62 Quant à l’argument de la Commission selon lequel le droit de l’Union ne prévoirait pas pour les services l’épuisement du droit de distribution, il doit être rappelé que l’objectif du principe de l’épuisement du droit de distribution des œuvres protégées par le droit d’auteur est de limiter, afin d’éviter le cloisonnement des marchés, les restrictions à la distribution desdites œuvres à ce qui est nécessaire pour préserver l’objet spécifique de la propriété intellectuelle concernée (voir, en ce
sens, arrêts du 28 avril 1998, Metronome Musik, C-200/96, Rec. p. I-1953, point 14; du 22 septembre 1998, FDV, C-61/97, Rec. p. I-5171, point 13, ainsi que arrêt Football Association Premier League e.a., précité, point 106).
63 Limiter, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, l’application du principe de l’épuisement du droit de distribution prévu à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24 aux seules copies de programmes d’ordinateur vendues sur un support matériel permettrait au titulaire du droit d’auteur de contrôler la revente des copies qui ont été téléchargées au moyen d’Internet et d’exiger, à l’occasion de chaque revente, une nouvelle rémunération alors que la première vente de
la copie concernée aurait déjà permis audit titulaire d’obtenir une rémunération appropriée. Une telle restriction à la revente des copies de programmes d’ordinateur téléchargées au moyen d’Internet irait au-delà de ce qui est nécessaire pour préserver l’objet spécifique de la propriété intellectuelle en cause (voir, en ce sens, arrêt Football Association Premier League e.a., précité, points 105 ainsi que 106).
64 En quatrième lieu, il convient encore d’examiner si, comme le prétend Oracle, le contrat de maintenance conclu par le premier acquéreur empêche, en tout état de cause, l’épuisement du droit prévu à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24, dès lors que la copie du programme d’ordinateur que le premier acquéreur est susceptible de céder à un deuxième acquéreur correspondrait non plus à la copie qu’il aura téléchargée, mais à une nouvelle copie dudit programme.
65 À cet égard, il ressort de la décision de renvoi que les licences d’occasion proposées par UsedSoft sont «à jour» en ce que la vente de la copie du programme d’ordinateur par Oracle à son client a été accompagnée de la conclusion d’un contrat de maintenance se rapportant à cette copie.
66 Il y a lieu de relever que l’épuisement du droit de distribution de la copie d’un programme d’ordinateur au titre de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24 ne concerne que les copies qui ont fait l’objet d’une première vente dans l’Union par le titulaire du droit d’auteur ou avec son consentement. Il ne se rapporte pas à des contrats de services, tels que des contrats de maintenance, qui sont dissociables d’une telle vente et qui ont été conclus, le cas échéant pour une durée
déterminée, à l’occasion de ladite vente.
67 Néanmoins, la conclusion d’un contrat de maintenance, tels ceux en cause au principal, à l’occasion de la vente d’une copie immatérielle d’un programme d’ordinateur, a pour effet que la copie initialement achetée est réparée et mise à jour. Même dans l’hypothèse où le contrat de maintenance est de durée déterminée, il doit être constaté que les fonctionnalités corrigées, modifiées ou ajoutées sur la base d’un tel contrat font partie intégrante de la copie initialement téléchargée et peuvent être
utilisées par l’acquéreur de celle-ci sans limitation de durée, et ceci également dans le cas où cet acquéreur décide ultérieurement de ne pas renouveler son contrat de maintenance.
68 Dans de telles conditions, il y a lieu de considérer que l’épuisement du droit de distribution prévu à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24 s’étend à la copie du programme d’ordinateur vendue telle que corrigée et mise à jour par le titulaire du droit d’auteur.
69 Il y a toutefois lieu de souligner que, si la licence acquise par le premier acquéreur porte sur un nombre d’utilisateurs dépassant les besoins de celui-ci, ainsi que cela est exposé aux points 22 et 24 du présent arrêt, cet acquéreur n’est pas autorisé, par l’effet de l’épuisement du droit de distribution prévu à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24, à scinder cette licence et à revendre uniquement le droit d’utilisation du programme d’ordinateur concerné correspondant à un nombre
d’utilisateurs qu’il aura déterminé.
70 En effet, l’acquéreur initial qui procède à la revente d’une copie matérielle ou immatérielle d’un programme d’ordinateur pour laquelle le droit de distribution appartenant au titulaire du droit d’auteur est épuisé, conformément à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24, doit, aux fins d’éviter la violation du droit exclusif à la reproduction d’un programme d’ordinateur appartenant à l’auteur de celui-ci, prévu à l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la directive 2009/24, rendre
inutilisable sa propre copie au moment de la revente de celle-ci. Or, dans une situation telle que celle évoquée au point précédent, le client du titulaire du droit d’auteur continuera à utiliser la copie du programme d’ordinateur installée sur son serveur et ne la rendra donc pas inutilisable.
71 Par ailleurs, même si l’acquéreur de droits d’utilisation supplémentaires du programme d’ordinateur concerné ne procédait pas à une nouvelle installation — ni, partant, à une nouvelle reproduction — dudit programme sur un serveur lui appartenant, il doit être constaté que l’effet de l’épuisement du droit de distribution prévu à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24 ne s’étendrait, en tout état de cause, pas à de tels droits d’utilisation. En effet, dans une telle hypothèse,
l’acquisition de droits d’utilisation supplémentaires ne se rapporte pas à la copie pour laquelle le droit de distribution a été épuisé au titre de ladite disposition. Elle tend au contraire uniquement à permettre une extension du nombre d’utilisateurs de la copie que l’acquéreur de droits supplémentaires avait lui-même déjà installée sur son serveur.
72 Sur le fondement de tout ce qui précède, il y a lieu de répondre à la deuxième question posée que l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24 doit être interprété en ce sens que le droit de distribution de la copie d’un programme d’ordinateur est épuisé si le titulaire du droit d’auteur, qui a autorisé, fût-il à titre gratuit, le téléchargement de cette copie sur un support informatique au moyen d’Internet, a également conféré, moyennant le paiement d’un prix destiné à lui permettre
d’obtenir une rémunération correspondant à la valeur économique de la copie de l’œuvre dont il est propriétaire, un droit d’usage de ladite copie, sans limitation de durée.
Sur les première et troisième questions
73 Par ses première et troisième questions, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si, et dans quelles conditions, l’acquéreur de licences d’occasion portant sur des programmes d’ordinateur, telles que celles vendues par UsedSoft, peut, par l’effet de l’épuisement du droit de distribution prévu à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24, être considéré comme un «acquéreur légitime», au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2009/24, qui, conformément à cette
dernière disposition, bénéficie du droit de reproduction du programme d’ordinateur concerné pour lui permettre d’utiliser ledit programme d’une manière conforme à sa destination.
74 Il ressort de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2009/24 que, sauf dispositions contractuelles spécifiques, la reproduction d’un programme d’ordinateur n’est pas soumise à l’autorisation de l’auteur du programme, lorsqu’une telle reproduction est nécessaire pour permettre à l’acquéreur légitime d’utiliser le programme d’ordinateur d’une manière conforme à sa destination, y compris pour corriger des erreurs.
75 Lorsque le client du titulaire du droit d’auteur procède à l’achat d’une copie d’un programme d’ordinateur se trouvant sur le site Internet dudit titulaire du droit, il effectue, en téléchargeant ladite copie sur son ordinateur, une reproduction de celle-ci qui est autorisée au titre de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2009/24. Il s’agit, en effet, d’une reproduction nécessaire pour permettre à l’acquéreur légitime d’utiliser le programme d’ordinateur d’une manière conforme à sa
destination.
76 Par ailleurs, le considérant 13 de la directive 2009/24 indique «que les opérations de chargement et d’exécution nécessaires à l’utilisation d’une copie d’un programme légitimement acquis[…] ne peuvent pas être interdites par contrat».
77 Il y a lieu de rappeler ensuite que le droit de distribution du titulaire du droit d’auteur est épuisé, conformément à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24, à l’occasion de la première vente dans l’Union, par ce titulaire ou avec son consentement, de toute copie, matérielle ou immatérielle, de son programme d’ordinateur. Il s’ensuit que, en vertu de cette disposition et nonobstant l’existence de dispositions contractuelles interdisant une cession ultérieure, le titulaire du droit
concerné ne peut plus s’opposer à la revente de cette copie.
78 Certes, ainsi qu’il ressort du point 70 du présent arrêt, l’acquéreur initial d’une copie matérielle ou immatérielle d’un programme d’ordinateur pour laquelle le droit de distribution du titulaire du droit d’auteur est épuisé, conformément à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24, qui procède à la revente de celle-ci, doit, aux fins d’éviter la violation du droit exclusif de ce titulaire à la reproduction de son programme d’ordinateur, prévu à l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la
directive 2009/24, rendre inutilisable la copie téléchargée sur son ordinateur au moment de la revente de celle-ci.
79 Ainsi que le relève à juste titre Oracle, la vérification du fait qu’une telle copie a été rendue inutilisable peut s’avérer difficile. Cependant, le titulaire du droit d’auteur qui distribue des copies d’un programme d’ordinateur gravées sur un support matériel tel qu’un CD-ROM ou un DVD est confronté à la même difficulté, car il ne peut que très difficilement vérifier si l’acquéreur initial n’a pas créé des copies du programme d’ordinateur qu’il continuerait à utiliser après avoir vendu son
support matériel. Pour résoudre cette difficulté, il est loisible au distributeur — «classique» ou «digital» — d’employer des mesures techniques de protection comme des clés de produit.
80 Dès lors que le titulaire du droit d’auteur ne peut pas s’opposer à la revente d’une copie d’un programme d’ordinateur pour laquelle le droit de distribution dudit titulaire est épuisé en vertu de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24, il y a lieu de considérer que le deuxième acquéreur de cette copie, ainsi que tout acquéreur ultérieur, constitue un «acquéreur légitime» de celle-ci, au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2009/24.
81 Partant, en cas de revente de la copie du programme d’ordinateur par le premier acquéreur de celle-ci, le nouvel acquéreur pourra procéder, conformément à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2009/24, au téléchargement sur son ordinateur de la copie qui lui aura été vendue par le premier acquéreur. Un tel téléchargement doit être regardé comme la reproduction nécessaire d’un programme d’ordinateur devant permettre à ce nouvel acquéreur d’utiliser ce programme d’une manière conforme à sa
destination.
82 L’argument d’Oracle, de l’Irlande ainsi que des gouvernements français et italien selon lequel la notion d’«acquéreur légitime», figurant à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2009/24, ne viserait que l’acquéreur habilité, en vertu d’un contrat de licence conclu directement avec le titulaire du droit d’auteur, à utiliser le programme d’ordinateur ne saurait être accueilli.
83 En effet, un tel argument aurait pour effet de permettre au titulaire du droit d’auteur d’empêcher l’utilisation effective de toute copie d’occasion à l’égard de laquelle son droit de distribution a été épuisé, conformément à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24, en invoquant son droit exclusif de reproduction posé à l’article 4, paragraphe 1, sous a), de cette directive et priverait ainsi d’effet utile l’épuisement du droit de distribution prévu audit article 4, paragraphe 2.
84 S’agissant d’une situation telle que celle en cause au principal, il doit être rappelé qu’il a été constaté, aux points 44 et 48 du présent arrêt, que le téléchargement sur le serveur du client de la copie du programme d’ordinateur se trouvant sur le site Internet du titulaire du droit et la conclusion d’un contrat de licence d’utilisation se rapportant à cette copie forment un tout indivisible qui doit être qualifié, dans son ensemble, comme une vente. Or, eu égard à ce lien indivisible entre la
copie se trouvant sur le site Internet du titulaire du droit d’auteur telle que ultérieurement corrigée et mise à jour, d’une part, et la licence d’utilisation se rapportant à celle-ci, d’autre part, la revente de la licence d’utilisation emporte la revente de «cette copie», au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24, et bénéficie ainsi de l’épuisement du droit de distribution prévu à cette dernière disposition, et ce nonobstant la clause contenue dans le contrat de licence et
reproduite au point 23 du présent arrêt.
85 Ainsi qu’il ressort du point 81 du présent arrêt, il s’ensuit que le nouvel acquéreur de la licence d’utilisation, tel que le client de UsedSoft, pourra, en tant qu’«acquéreur légitime», au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2009/24, de la copie corrigée et mise à jour du programme d’ordinateur concerné, procéder au téléchargement de cette copie à partir du site Internet du titulaire du droit d’auteur, ledit téléchargement constituant la reproduction nécessaire d’un programme
d’ordinateur permettant au nouvel acquéreur d’utiliser ce programme d’une manière conforme à sa destination.
86 Il convient toutefois de rappeler que, si la licence acquise par le premier acquéreur porte sur un nombre d’utilisateurs dépassant les besoins de celui-ci, cet acquéreur n’est pas autorisé, par l’effet de l’épuisement du droit de distribution prévu à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24, à scinder cette licence et à revendre uniquement le droit d’utilisation du programme d’ordinateur concerné correspondant à un nombre d’utilisateurs qu’il aura déterminé, ainsi que cela est exposé
aux points 69 à 71 du présent arrêt.
87 Par ailleurs, il doit être souligné que le titulaire du droit d’auteur, tel qu’Oracle, est en droit, en cas de revente d’une licence d’utilisation emportant la revente d’une copie d’un programme d’ordinateur téléchargée à partir de son site Internet, de s’assurer, par tous les moyens techniques à sa disposition, que la copie dont dispose encore le vendeur soit rendue inutilisable.
88 Il résulte des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de répondre aux première et troisième questions posées que les articles 4, paragraphe 2, et 5, paragraphe 1, de la directive 2009/24 doivent être interprétés en ce sens que, en cas de revente d’une licence d’utilisation emportant la revente d’une copie d’un programme d’ordinateur téléchargée à partir du site Internet du titulaire du droit d’auteur, licence qui avait été initialement octroyée au premier acquéreur par ledit titulaire du
droit sans limitation de durée et moyennant le paiement d’un prix destiné à permettre à ce dernier d’obtenir une rémunération correspondant à la valeur économique de ladite copie de son œuvre, le second acquéreur de ladite licence ainsi que tout acquéreur ultérieur de cette dernière pourront se prévaloir de l’épuisement du droit de distribution prévu à l’article 4, paragraphe 2, de cette directive et, partant, pourront être considérés comme des acquéreurs légitimes d’une copie d’un programme
d’ordinateur, au sens de l’article 5, paragraphe 1, de ladite directive, et bénéficier du droit de reproduction prévu à cette dernière disposition.
Sur les dépens
89 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:
1) L’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur, doit être interprété en ce sens que le droit de distribution de la copie d’un programme d’ordinateur est épuisé si le titulaire du droit d’auteur, qui a autorisé, fût-il à titre gratuit, le téléchargement de cette copie sur un support informatique au moyen d’Internet, a également conféré, moyennant le paiement d’un prix
destiné à lui permettre d’obtenir une rémunération correspondant à la valeur économique de la copie de l’œuvre dont il est propriétaire, un droit d’usage de ladite copie, sans limitation de durée.
2) Les articles 4, paragraphe 2, et 5, paragraphe 1, de la directive 2009/24 doivent être interprétés en ce sens que, en cas de revente d’une licence d’utilisation emportant la revente d’une copie d’un programme d’ordinateur téléchargée à partir du site Internet du titulaire du droit d’auteur, licence qui avait été initialement octroyée au premier acquéreur par ledit titulaire du droit sans limitation de durée et moyennant le paiement d’un prix destiné à permettre à ce dernier d’obtenir une
rémunération correspondant à la valeur économique de ladite copie de son œuvre, le second acquéreur de ladite licence ainsi que tout acquéreur ultérieur de cette dernière pourront se prévaloir de l’épuisement du droit de distribution prévu à l’article 4, paragraphe 2, de cette directive et, partant, pourront être considérés comme des acquéreurs légitimes d’une copie d’un programme d’ordinateur, au sens de l’article 5, paragraphe 1, de ladite directive, et bénéficier du droit de reproduction
prévu à cette dernière disposition.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure: l’allemand.