ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
18 octobre 2012 ( *1 )
«Manquement d’État — Recevabilité — Règlement no 1234/2007 — Article 115 — Annexe XV — Point I, paragraphe 2 — Appendice à l’annexe XV — Partie A — Dénominations de vente ‘beurre’ et ‘matière grasse laitière à tartiner’ — Dénomination de vente ‘pomazánkové máslo’ (beurre tartinable) — Liste de dérogations»
Dans l’affaire C‑37/11,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 25 janvier 2011,
Commission européenne, représentée par Mmes Z. Malůšková et H. Tserepa-Lacombe, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
contre
République tchèque, représentée par MM. M. Smolek et T. Müller ainsi que par Mme J. Očková, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LA COUR (première chambre),
composée de M. A. Tizzano, faisant fonction de président de la première chambre, MM. A. Borg Barthet, E. Levits (rapporteur), J.-J. Kasel et M. Safjan, juges,
avocat général: M. P. Mengozzi,
greffier: M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en définissant, à l’article 1er, paragraphe 2, sous q), de l’arrêté du ministère de l’Agriculture no 77/2003, du 6 mars 2003, le pomazánkové máslo comme un produit laitier fabriqué à partir de crème acidifiée enrichie en lait en poudre ou en babeurre en poudre, d’une teneur en poids de matières grasses laitières égale ou supérieure à 31 % et d’une teneur en poids de matières sèches égale ou supérieure à 42 %, et en
autorisant la commercialisation d’un tel produit sous la dénomination de vente «pomazánkové máslo», la République tchèque a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 115 du règlement (CE) no 1234/2007 du Conseil, du 22 octobre 2007, portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur (règlement «OCM unique») (JO L 299, p. 1, et rectificatif JO 2009, L 144, p. 27), lu en combinaison
avec le point I, paragraphe 2, premier et deuxième alinéas, de l’annexe XV de ce règlement ainsi que la partie A, points 1 et 4, de l’appendice à cette annexe.
Le cadre juridique
La réglementation de l’Union
2 Le règlement no 1234/2007 a remplacé le règlement (CE) no 2991/94 du Conseil, du 5 décembre 1994, établissant des normes pour les matières grasses tartinables (JO L 316, p. 2), dont il a repris l’ensemble des dispositions. Le règlement no 1234/2007 fixe les règles relatives à l’utilisation de la dénomination de vente du beurre et des autres matières grasses tartinables.
3 L’article 115 de ce règlement, intitulé «Normes de commercialisation des matières grasses», prévoit:
«[...] [L]es normes établies à l’annexe XV s’appliquent aux produits suivants, dont la teneur en matières grasses est au minimum de 10 % mais inférieure à 90 % en poids et qui sont destinés à la consommation humaine:
a) matières grasses du lait relevant des codes NC 0405 et ex 2106;
[...]»
4 L’article 121, sous c), du règlement no 1234/2007 dispose:
«La Commission arrête les modalités d’application du présent chapitre, lesquelles peuvent notamment porter sur:
[...]
c) en ce qui concerne les normes relatives aux matières grasses tartinables visées à l’article 115:
i) la liste des produits visés à l’annexe XV, point I 2), troisième alinéa, point a), établie sur la base des listes transmises à la Commission par les États membres;
[...]»
5 En ce qui concerne les dénominations de vente, le point I, paragraphe 2, premier et deuxième alinéas, de l’annexe XV du règlement no 1234/2007, énonce:
«Les dénominations de vente pour [les matières grasses tartinables] sont celles figurant à l’appendice de la présente annexe, sans préjudice des dispositions du point II 2) ou des points III 2) et 3) de la présente annexe.
Les dénominations de vente mentionnées à l’appendice sont réservées aux produits qui y sont définis.»
6 La partie A de l’appendice à l’annexe XV du règlement no 1234/2007 décrit, d’une part, le beurre comme étant un «produit ayant une teneur en matières grasses laitières égale ou supérieure à 80 % et inférieure à 90 % et des teneurs maximales en eau de 16 % et en matières sèches non grasses de 2 %» et, d’autre part, la matière grasse laitière à tartiner X % comme étant un «produit dont la teneur en matières grasses laitières figure parmi les suivantes», à savoir «moins de 39 %», «supérieure à 41 %
mais inférieure à 60 %» et «supérieure à 62 % mais inférieure à 80 %».
7 Le point I, paragraphe 2, troisième alinéa, de l’annexe XV du règlement no 1234/2007 prévoit:
«Le présent point ne s’applique toutefois pas:
a) aux dénominations de produits dont la nature exacte ressort clairement de son utilisation traditionnelle et/ou dont la dénomination est manifestement utilisée pour décrire une qualité caractéristique du produit;
[...]»
8 Le règlement (CE) no 445/2007 de la Commission, du 23 avril 2007, portant certaines modalités d’application du règlement no 2991/94 et du règlement (CEE) no 1898/87 du Conseil concernant la protection de la dénomination du lait et des produits laitiers lors de leur commercialisation (JO L 106, p. 24), s’est substitué au règlement (CE) no 577/97 de la Commission, du 1er avril 1997, portant certaines modalités d’application du règlement no 2991/94 et du règlement no 1898/87 (JO L 87, p. 3), et
comprend, à son annexe I, la liste des produits bénéficiant de la dérogation prévue au point I, paragraphe 2, troisième alinéa, sous a), de l’annexe XV du règlement no 1234/2007.
La réglementation tchèque
9 L’arrêté no 77/2003 définit les exigences applicables au lait et aux produits laitiers, aux crèmes glacées et aux graisses et huiles comestibles.
10 En vertu de l’article 1er, paragraphe 2, de cet arrêté:
«Aux fins du présent arrêté, on entend en outre par:
[...]
q) ‘beurre à tartiner’, le produit laitier fabriqué à partir de crème acidifiée enrichie en lait en poudre ou en babeurre en poudre, d’une teneur en poids de matières grasses laitières égale ou supérieure à 31 % et d’une teneur en poids de matières sèches égale ou supérieure à 42 %».
Les antécédents du litige et la procédure précontentieuse
11 Le pomazánkové máslo (beurre à tartiner) est un produit similaire au beurre, qui est utilisé comme pâte à tartiner, mais également dans la confection de crèmes, de pâtes à tartiner et de pâtes.
12 Le pomazánkové máslo a une teneur minimale en poids de matières grasses de 31 %, une teneur minimale en matières sèches de 42 % et une teneur en eau pouvant atteindre 58 %.
13 Eu égard à ses caractéristiques, le pomazánkové máslo ne satisfait pas aux exigences énoncées à l’annexe XV du règlement no 1234/2007 pour être commercialisé sous la dénomination de vente «beurre».
14 Après le rejet d’une première demande d’application au pomazánkové máslo de la dérogation prévue au point I, paragraphe 2, troisième alinéa, sous a), de l’annexe XV du règlement no 1234/2007, la République tchèque a informé la Commission de ce qu’elle renonçait à l’inscription de ce produit à l’annexe du règlement no 577/97. Toutefois, le 14 mars 2007, cet État membre a réitéré sa demande. Le pomazánkové máslo n’a toutefois pas été inclus dans la liste figurant à l’annexe de ce règlement.
15 La République tchèque n’ayant pas modifié sa législation, la Commission lui a adressé, le 6 juin 2008, une lettre de mise en demeure, dans laquelle elle lui a rappelé que le pomazánkové máslo, ne contenant que 31 % de matières grasses laitières, ne pouvait être commercialisé sous l’appellation «máslo» (beurre), mais devait porter la dénomination «mléčná pomazánka X %» (matière grasse laitière à tartiner X %), en vertu de l’appendice à l’annexe XV du règlement no 1234/2007.
16 Dans sa réponse du 6 août 2008 à cette lettre de mise en demeure, la République tchèque reconnaissait que, si le pomazánkové máslo ne remplissait certes pas le critère tiré d’une teneur minimale en matières grasses laitières de 80 %, elle considérait, d’une part, que le consommateur distinguait clairement ce produit du beurre et, d’autre part, que ledit produit bénéficiait, de manière automatique, de la dérogation prévue au point I, paragraphe 2, troisième alinéa, sous a), de l’annexe XV du
règlement no 1234/2007, sans que la Commission ait à adopter une disposition d’application en ce sens.
17 Par une lettre du 3 novembre 2009, la Commission a adressé un avis motivé à cet État membre, réfutant les arguments invoqués par ce dernier et lui demandant de se conformer à cet avis motivé dans un délai de deux mois à compter de la réception de celui-ci.
18 Dans ledit avis motivé, la Commission invoquait, notamment, le fait que le règlement no 445/2007 constitue une forme impérative de mise en œuvre de la dérogation visée au point I, paragraphe 2, troisième alinéa, sous a), de l’annexe XV du règlement no 1234/2007, de sorte qu’il ne saurait être fait une application implicite de cette disposition. En outre, cette institution soulignait que la République tchèque n’avait jamais contesté, dans les délais de recours prévus à cet effet, le rejet de sa
demande d’inscription du pomazánkové máslo sur la liste figurant à l’annexe I du règlement no 445/2007. Dès lors, un réexamen de cette décision n’aurait plus été possible.
19 Dans sa réponse du 22 décembre 2009, la République tchèque faisait valoir que le point I, paragraphe 2, troisième alinéa, sous a), de l’annexe XV du règlement no 1234/2007 constitue une disposition directement applicable permettant de faire bénéficier tout produit remplissant les critères prévus de la dérogation envisagée par cette disposition, sans qu’une intervention de la Commission soit nécessaire. À cet égard, cet État membre considérait que le pomazánkové máslo satisfaisait à l’ensemble de
ces critères.
20 La Commission, n’étant pas satisfaite de cette réponse, a introduit le présent recours.
Sur le recours
Argumentation des parties
21 À titre principal, la Commission reproche à la République tchèque une violation du point I, paragraphe 2, de l’annexe XV du règlement no 1234/2007, lu en combinaison avec la partie A, points 1 et 4, de l’appendice à ladite annexe.
22 Dans la mesure où le pomazánkové máslo n’a pas une teneur en matières grasses laitières supérieure ou égale à 80 % et une teneur maximale en eau de 16 %, il ne pourrait être commercialisé sous une dénomination de vente contenant le mot «beurre», soit «máslo» en langue tchèque.
23 Or, en permettant l’usage de la dénomination «beurre» pour la pâte à tartiner en cause, la législation tchèque compromettrait les objectifs poursuivis par le règlement no 1234/2007 qui vise à prévenir le consommateur de tout risque de confusion quant au produit qu’il acquiert et à garantir une concurrence loyale.
24 Le produit en cause devrait impérativement être commercialisé sous la dénomination de vente «matière grasse laitière à tartiner X %», en vertu du point I, paragraphe 2, premier alinéa, de l’annexe XV du règlement no 1234/2007, lu en combinaison avec la partie A, point 4, de l’appendice à ladite annexe.
25 De surcroît, la Commission souligne que, pour qu’un produit qui ne remplit pas les critères prévus au point I, paragraphe 2, de l’annexe XV du règlement no 1234/2007, lu en combinaison avec la partie A, point 1, de l’appendice à ladite annexe, soit commercialisé sous la dénomination «beurre», il doit être inscrit à l’annexe I du règlement no 445/2007. Or, ce ne serait pas le cas du pomazánkové máslo.
26 Une demande en ce sens présentée par la République tchèque aurait été rejetée par des lettres des 23 septembre 2005 et 27 août 2007, sans que ce rejet ait été contesté. Dans ces conditions, cet État membre ne pourrait plus se prévaloir de l’illégalité dudit rejet pour se défendre dans le cadre du présent recours en manquement.
27 À titre subsidiaire, la Commission rappelle que l’inscription d’un produit sur la liste annexée au règlement no 445/2007 est impérative aux fins de la mise en œuvre, en ce qui concerne ce produit, de la dérogation prévue à l’annexe XV du règlement no 1234/2007. Une telle inscription requerrait nécessairement l’intervention de la Commission, ainsi que cela résulterait de l’article 121, sous c), i), dudit règlement.
28 Pour ce faire, la Commission recevrait les demandes d’inscription des États membres et déciderait d’inscrire ou non le produit concerné sur la liste prévue à l’annexe XV du règlement no 1234/2007. En aucun cas un produit ne pourrait relever de cette dérogation uniquement parce qu’il remplit objectivement les exigences fixées au point I, paragraphe 2, de ladite annexe.
29 En tout état de cause, tel ne serait pas le cas du pomazánkové máslo, celui-ci ne disposant pas, en particulier, d’une nature suffisamment distincte de celle du produit protégé, à savoir le beurre.
30 À titre principal, la République tchèque fait valoir que le présent recours en manquement doit être déclaré irrecevable.
31 Selon cet État membre, la Commission a omis de saisir le comité de gestion prévu à l’article 4 de la décision 1999/468/CE du Conseil, du 28 juin 1999, fixant les modalités de l’exercice des compétences d’exécution conférées à la Commission (JO L 184, p. 23), avant de rejeter sa demande d’inscription du pomazánkové máslo sur la liste annexée au règlement no 445/2007. Or, la Commission aurait eu l’obligation d’entamer la procédure de saisine de ce comité, dès lors qu’elle avait reçu une demande
d’un État membre et, en particulier, si elle n’y était pas favorable.
32 Dans ces conditions, par le présent recours, la Commission opposerait son propre manquement à la République tchèque, dans la mesure où la conformité de la législation nationale en cause devrait être appréciée par rapport à un acte du droit de l’Union résultant d’un comportement illégal de cette institution.
33 Sur ce point, la Commission rétorque que le respect des conditions de recevabilité de son recours ne doit être apprécié qu’au regard de l’article 258 TFUE. En outre, l’objet du recours se limiterait à vérifier que la législation nationale est conforme au droit de d’Union, à savoir au point I, paragraphe 2, de l’annexe XV du règlement no 1234/2007, lu en combinaison avec la partie A, point 1, de l’appendice à ladite annexe.
34 À titre subsidiaire, quant au bien-fondé dudit recours en manquement, la République tchèque souligne, en premier lieu, que ni le graphisme de l’inscription pomazánkové máslo ni les questions de distorsions de concurrence ne sont pertinentes, contrairement à ce qu’avance la Commission.
35 En deuxième lieu, cet État membre n’aurait jamais eu l’occasion de contester une quelconque décision de la Commission concernant la non-inscription du pomazánkové máslo sur la liste annexée au règlement no 445/2007.
36 D’une part, les lettres de la Commission des 23 septembre 2005 et 27 août 2007 ne pourraient être qualifiées d’«actes» au sens de l’article 263 TFUE. D’autre part, compte tenu des vices de procédure qui caractériseraient l’adoption de ces actes, ceux-ci seraient nécessairement inexistants.
37 En troisième lieu, la dérogation en matière de dénomination traditionnelle, visée au point I, paragraphe 2, troisième alinéa, sous a), de l’annexe XV du règlement no 1234/2007, permettrait l’usage de la dénomination «beurre» de manière implicite, sans autorisation préalable, dès lors que le produit en cause satisferait au critère prévu à cette disposition, à savoir l’utilisation traditionnelle de la dénomination en cause. Partant, la liste annexée au règlement no 445/2007 n’aurait pas un
caractère impératif.
38 En quatrième lieu, la République tchèque conteste les critères d’application de la dérogation prévue au point I, paragraphe 2, troisième alinéa, sous a), de l’annexe XV du règlement no 1234/2007, tels que retenus par la Commission.
39 Selon la Commission, tout d’abord, les lettres des 23 septembre 2005 et 27 août 2007 indiquaient clairement que la demande d’inscription du pomazánkové máslo sur la liste annexée au règlement no 445/2007 était rejetée et elles constituaient, dès lors, des actes susceptibles de faire l’objet d’un recours, au sens de l’article 263 TFUE.
40 Cette institution fait valoir, ensuite, qu’elle n’était pas contrainte d’engager la procédure de gestion prévue aux articles 4 et 7 de la décision 1999/468, dès lors qu’elle avait adopté une décision de ne pas inscrire le pomazánkové máslo sur ladite liste.
41 Enfin, elle rappelle que la dérogation prévue au point I, paragraphe 2, troisième alinéa, sous a), de l’annexe XV du règlement no 1234/2007 ne peut bénéficier à des produits susceptibles de se substituer aux produits dont la dénomination est protégée par ledit règlement.
Appréciation de la Cour
Sur la recevabilité
42 À titre liminaire, il convient de rappeler que, antérieurement à l’introduction, par la Commission, de la présente procédure en manquement, la République tchèque avait présenté, à plusieurs reprises, des demandes tendant à l’inscription du pomazánkové máslo sur la liste figurant à l’annexe I du règlement no 445/2007, lesquelles ont été rejetées.
43 À cet égard, ledit État membre fait valoir, premièrement, que la décision de rejet de sa demande d’inscription du pomazánkové máslo sur ladite liste est entachée d’un vice de procédure, de sorte que, par son recours en manquement, la Commission tenterait de lui opposer un comportement illégal. Deuxièmement, le fait d’admettre la recevabilité du présent recours en manquement porterait atteinte à l’intégrité du système de voies de recours institué par le traité FUE.
44 D’emblée, il y a lieu de rappeler que la Commission fonde son recours sur une violation, par la République tchèque, des dispositions du règlement no 1234/2007.
45 Dès lors, c’est à tort que la République tchèque fait valoir que, par son recours, la Commission tendrait à lui opposer sa propre défaillance. En effet, cet État membre ne conteste pas que le pomazánkové máslo ne satisfait pas aux exigences requises en vertu de la partie A de l’appendice à l’annexe XV du règlement no 1234/2007 pour être commercialisé sous la dénomination de vente «beurre». De même, il est constant que la liste figurant à l’annexe I du règlement no 445/2007 n’inclut pas le produit
dénommé «pomazánkové máslo».
46 En tout état de cause, il convient de rappeler que le système de voies de recours institué par le traité distingue les recours visés aux articles 258 TFUE et 259 TFUE, qui tendent à faire constater qu’un État membre a manqué aux obligations qui lui incombent, et les recours visés aux articles 263 TFUE et 265 TFUE, qui tendent à faire contrôler la légalité des actes ou des abstentions des institutions de l’Union. Ces voies de recours poursuivent des objectifs distincts et sont soumises à des
modalités différentes. Un État membre ne saurait donc utilement, en l’absence d’une disposition du traité l’y autorisant expressément, invoquer l’illégalité d’une décision dont il est le destinataire comme moyen de défense à l’encontre d’un recours en manquement fondé sur le non-respect de cette décision. Il ne pourrait en être autrement que si l’acte en cause était affecté de vices particulièrement graves et évidents, au point de pouvoir être qualifié d’acte inexistant (voir arrêts du 1er juin
2006, Commission/Italie, C‑207/05, points 40 à 43, ainsi que du 20 septembre 2007, Commission/Espagne, C-177/06, Rec. p. I-7689, points 30 et 31).
47 Par conséquent, d’une part, la République tchèque ne saurait utilement faire valoir, dans le cadre du présent recours en manquement, des arguments remettant en cause la légalité de la décision de la Commission de ne pas inscrire le produit concerné sur la liste figurant à l’annexe I du règlement no 445/2007.
48 En effet, il appartenait à cet État membre de contester la légalité de cette décision au moyen du recours prévu à l’article 263 TFUE, dans le délai imparti par cette disposition, et de faire valoir, dans ce cadre uniquement, les arguments visant à remettre en cause la légalité de ladite décision.
49 D’autre part, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la gravité des conséquences qui se rattachent à la constatation de l’inexistence d’un acte des institutions de l’Union postule que, pour des raisons de sécurité juridique, cette constatation soit réservée à des hypothèses tout à fait extrêmes (voir arrêt du 5 octobre 2004, Commission/Grèce, C-475/01, Rec. p. I-8923, point 20).
50 En l’occurrence, à considérer même que la Commission n’ait pas respecté la procédure prescrite par le règlement no 1234/2007 pour l’adoption de la décision refusant l’inscription du pomazánkové máslo sur la liste figurant à l’annexe I du règlement no 445/2007, un tel vice de procédure ne saurait remettre en question l’existence même de cette décision.
51 En tout état de cause, il faut souligner que l’inexistence alléguée de la décision de refus d’inscription adoptée par la Commission ne saurait avoir une quelconque influence sur la situation de manquement dans laquelle se trouve la République tchèque, la constatation de l’inexistence ne pouvant, a priori dans les circonstances rappelées au point 45 du présent arrêt, se substituer à une décision de la Commission d’inscrire le pomazánkové máslo sur ladite liste.
52 Partant, il convient de considérer que le recours de la Commission est recevable.
Sur le fond
53 À titre liminaire, il convient de rappeler que la République tchèque reconnaît que le pomazánkové máslo ne remplit pas les caractéristiques prévues au point I, paragraphe 2, de l’annexe XV du règlement no 1234/2007, lu en combinaison avec la partie A, point 1, de l’appendice à ladite annexe, pour être commercialisé sous la dénomination «beurre». De même, il est constant que ce produit n’est pas inscrit sur la liste figurant à l’annexe I du règlement no 445/2007, répertoriant les produits qui ne
sont pas soumis à des restrictions en matière de dénominations réservées car leur nature exacte ressort clairement de leur utilisation traditionnelle et/ou leur dénomination est manifestement utilisée pour décrire l’une de leurs qualités caractéristiques.
54 La République tchèque considère, toutefois, que la dérogation prévue au point I, paragraphe 2, troisième alinéa, sous a), de l’annexe XV du règlement no 1234/2007 a vocation à s’appliquer sans autorisation préalable, dès lors que le produit en cause satisfait aux caractéristiques qui y sont prescrites.
55 Cette interprétation ne saurait cependant être retenue.
56 En effet, premièrement, il résulte du considérant 51 du règlement no 1234/2007 que le règlement no 2991/94 a défini des normes de commercialisation en ce qui concerne les produits laitiers, comportant une classification claire et distincte accompagnée de règles relatives à la dénomination, qu’il convient de maintenir, conformément aux objectifs poursuivis par le règlement no 1234/2007.
57 Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que, en vertu du septième considérant du règlement no 2991/94, ce dernier vise à établir une classification uniforme des matières grasses tartinables, dans le cadre de laquelle la dérogation prévue au point I, paragraphe 2, troisième alinéa, sous a), de l’annexe XV du règlement no 1234/2007 fait nécessairement figure d’exception.
58 Deuxièmement, l’article 121, sous c), i), du règlement no 1234/2007 habilite expressément la Commission à arrêter les modalités d’application des dérogations aux règles prescrites par ce règlement et, en particulier, à établir la liste des produits qui, sur la base des listes transmises par les États membres, bénéficient de ladite dérogation.
59 À cet égard, en vertu du considérant 4 du règlement no 445/2007, il est indiqué, afin de définir de façon précise la portée des dérogations prévues par le règlement no 2991/94, d’établir une liste exhaustive des dénominations concernées, accompagnée d’une description des produits auxquels elles se réfèrent.
60 Dès lors, il résulte de l’ensemble de ces éléments que la République tchèque ne saurait faire valoir que les produits qui satisfont aux exigences prévues au point I, paragraphe 2, troisième alinéa, sous a), de l’annexe XV du règlement no 1234/2007 peuvent bénéficier de la dérogation prévue par cette disposition sans une décision préalable de la Commission constatant que ces exigences sont remplies.
61 En effet, l’argumentation de cet État membre, si elle était suivie, remettrait en cause, d’une part, la compétence de la Commission, telle qu’elle a été déléguée à cette dernière par le Conseil de l’Union européenne en vertu de l’article 121, sous c), i), du règlement no 1234/2007, aux fins d’adopter les modalités d’application de ce règlement, ainsi que, d’autre part, l’effet utile dudit règlement, dans la mesure où ce dernier vise à uniformiser l’usage des dénominations commerciales, en vue de
préserver la concurrence et de protéger les consommateurs.
62 Dès lors, il résulte de l’ensemble de ces considérations que le recours de la Commission doit être considéré comme fondé.
63 Par conséquent, il convient de constater que, en autorisant la vente du pomazánkové máslo (beurre à tartiner) sous la dénomination «máslo» (beurre), alors même que ce produit a une teneur en matières grasses laitières inférieure à 80 % et des teneurs en eau et en matières sèches non grasses respectivement supérieures à 16 % et 2 %, la République tchèque a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 115 du règlement no 1234/2007, lu en combinaison avec le point I, paragraphe 2,
premier et deuxième alinéas, de l’annexe XV dudit règlement ainsi que la partie A, points 1 et 4, de l’appendice à cette annexe.
Sur les dépens
64 Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République tchèque et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:
1) En autorisant la vente du pomazánkové máslo (beurre à tartiner) sous la dénomination «máslo» (beurre), alors même que ce produit a une teneur en matières grasses laitières inférieure à 80 % et des teneurs en eau et en matières sèches non grasses respectivement supérieures à 16 % et 2 %, la République tchèque a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 115 du règlement (CE) no 1234/2007 du Conseil, du 22 octobre 2007, portant organisation commune des marchés dans le secteur
agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur (règlement «OCM unique»), lu en combinaison avec le point I, paragraphe 2, premier et deuxième alinéas, de l’annexe XV dudit règlement ainsi que la partie A, points 1 et 4, de l’appendice à cette annexe.
2) La République tchèque est condamnée aux dépens.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure: le tchèque.