ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
28 février 2013 ( *1 )
«Ordre des experts-comptables — Réglementation relative au système de formation obligatoire des experts-comptables — Article 101 TFUE — Association d’entreprises — Restriction de la concurrence — Justifications — Article 106, paragraphe 2, TFUE»
Dans l’affaire C‑1/12,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunal da Relação de Lisboa (Portugal), par décision du 15 novembre 2011, parvenue à la Cour le 3 janvier 2012, dans la procédure
Ordem dos Técnicos Oficiais de Contas
contre
Autoridade da Concorrência,
en présence de:
Ministério Público,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de Mme R. Silva de Lapuerta, président de chambre, MM. G. Arestis, J.-C. Bonichot, A. Arabadjiev (rapporteur) et J. L. da Cruz Vilaça, juges,
avocat général: M. P. Mengozzi,
greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 13 décembre 2012,
considérant les observations présentées:
— pour l’Ordem dos Técnicos Oficiais de Contas, par Mês D. Abecassis, L. Vilhena de Freitas et R. Leandro Vasconcelos, advogados,
— pour le Ministério Público, par Mme F. de Jesus Marques de Oliveira, procuradora-geral adjunta,
— pour le gouvernement portugais, par M. L. Inez Fernandes, en qualité d’agent, assisté de Mme M. Caldeira, advogada,
— pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mme F. Varrone, avvocato dello Stato,
— pour le gouvernement néerlandais, par Mme C. Wissels, en qualité d’agent,
— pour le gouvernement polonais, par MM. B. Majczyna et M. Szpunar, en qualité d’agents,
— pour la Commission européenne, par MM. N. Khan, L. Parpala et P. Guerra e Andrade, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 56 TFUE, 101 TFUE, 102 TFUE et 106 TFUE.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant l’Ordem dos Técnicos Oficiais de Contas (Ordre des experts-comptables, ci-après l’«OTOC») à l’Autoridade da Concorrência (Autorité de la concurrence, ci-après l’«AdC») au sujet, notamment, de la compatibilité avec l’article 101 TFUE du règlement relatif à l’obtention de crédits de formation (Regulamento da Formação de Créditos, Diário da República, 2e série, no 133, du 12 juillet 2007, ci-après le «règlement litigieux»). Ce règlement
a été adopté le 18 mai 2007 par la Chambre des experts-comptables, à laquelle a succédé l’OTOC.
Le cadre juridique
Le statut de l’OTOC
3 L’article 1er du statut de l’Ordre des experts-comptables (ci-après le «statut de l’OTOC»), qui figure à l’annexe I du décret-loi no 310/2009, du 26 octobre 2009, est libellé comme suit:
«L’[OTOC] est une personne morale de droit public, de type associatif, à laquelle il incombe de représenter, par l’inscription obligatoire des experts-comptables, les intérêts professionnels de ceux-ci et de surveiller tous les aspects liés à l’exercice de leurs fonctions.»
4 L’article 3, paragraphe 1, de ce statut dispose:
«1. Les attributions de l’ordre sont les suivantes:
a) accorder le titre professionnel d’expert-comptable et délivrer la carte professionnelle y afférente;
b) défendre la dignité et le prestige de la profession, veiller au respect des principes d’éthique et de déontologie ainsi que défendre les intérêts, les droits et les prérogatives de ses membres;
c) promouvoir le perfectionnement et la formation professionnelle de ses membres et y contribuer, notamment par l’organisation d’actions et de programmes de formation professionnelle, de cours et de conférences;
[...]
n) exercer un pouvoir disciplinaire sur les experts-comptables;
o) établir des principes et des règles d’éthique et de déontologie professionnelle;
[...]
r) mettre en place, organiser et exécuter des systèmes de contrôle de la qualité des services fournis par les experts-comptables;
s) concevoir, organiser et exécuter, pour ses membres, des systèmes de formation obligatoire;
[...]»
5 Aux termes de l’article 6 dudit statut:
«1. Les experts-comptables exercent les fonctions suivantes:
a) planifier, organiser et coordonner la comptabilité des entités qui tiennent, ou doivent tenir, une comptabilité dûment organisée selon les plans comptables officiellement applicables ou, selon le cas, le système de normalisation comptable en respectant les dispositions légales, les principes comptables en vigueur et les orientations des organismes compétents en matière de normalisation comptable;
b) assumer la responsabilité de la régularité technique, dans les domaines comptable et fiscal, des entités visées au point précédent;
c) signer, conjointement avec le représentant légal des entités visées sous a), les états financiers et les déclarations fiscales, témoignant de leur qualité, dans les termes et les conditions définis par l’ordre, sans préjudice de la compétence et des responsabilités conférées par la loi commerciale et fiscale aux organes concernés;
d) sur la base des éléments fournis par les contribuables dont ils sont chargés de la comptabilité, assumer la responsabilité du contrôle des actes déclaratifs pour la sécurité sociale et à des fins fiscales liées à la gestion des salaires.
2. Il incombe en outre aux experts-comptables:
a) d’exercer des fonctions de consultation dans les domaines de la comptabilité, de la fiscalité et de la sécurité sociale;
b) d’intervenir, en tant que représentants des assujettis dont ils sont chargés de la comptabilité, au stade administratif de la procédure fiscale, dans le cadre de questions relatives à leurs compétences spécifiques;
c) de remplir toute autre fonction définie par la loi, propre à l’exercice de leurs fonctions, notamment celle d’expert nommé par les tribunaux ou par d’autres entités publiques ou privées.
[...]».
6 Conformément à l’article 57, paragraphe 1, sous a), du statut de l’OTOC, les experts-comptables respectent tous les règlements et exécutent toutes les délibérations de l’OTOC.
7 Aux termes de l’article 59, paragraphe 2, de ce statut, constitue une infraction disciplinaire la «violation, par l’expert-comptable, par action ou par omission, même par négligence, de l’un des devoirs généraux ou spéciaux prévus par le [...] statut [...] ou par d’autres dispositions ou délibérations adoptées par l’Ordre».
8 De telles infractions sont, conformément aux articles 63 et 64 du statut de l’OTOC, passibles de l’une des sanctions disciplinaires suivantes, à savoir un avertissement, une amende, une suspension jusqu’à trois ans et une radiation.
Le règlement relatif au contrôle de qualité
9 Le 30 mars 2004, la Chambre des experts-comptables a adopté le règlement relatif au contrôle de qualité (Regulamento do Controlo de Qualidade, Diário da República, 2e série, no 175, du 27 juillet 2004). L’article 4 de ce règlement dispose:
«1. L’évaluation du contrôle transversal passe par la vérification des éléments suivants:
[...]
e) l’obtention, au cours des deux dernières années, d’une moyenne annuelle de 35 crédits de formation dispensée par l’[OTOC] ou homologuée par [celui-ci];
[...]»
Le règlement litigieux
10 L’article 3 du règlement litigieux prévoit:
«Types de formation dispensée par l’[OTOC]
1. L’[OTOC] promeut les types de formation suivants:
a) formation institutionnelle;
b) formation professionnelle.
2. La formation institutionnelle consiste en des interventions réalisées par l’[OTOC] à l’intention de ses membres, d’une durée maximale de seize heures, dont l’objectif est notamment de sensibiliser les professionnels aux initiatives et aux modifications législatives ainsi qu’aux questions d’ordre éthique et déontologique.
3. La formation professionnelle consiste en des sessions d’étude et d’approfondissement de thématiques inhérentes à la profession, d’une durée minimale supérieure à seize heures.»
11 En vertu de l’article 5, paragraphe 1, dudit règlement, l’OTOC peut dispenser tout type de formation pertinente pour l’exercice de la profession concernée. Conformément au paragraphe 2 de cette disposition, la formation institutionnelle ne peut être dispensée que par l’OTOC.
12 Il ressort des articles 6 et 7 du même règlement que les établissements d’enseignement supérieur et les organismes habilités, en vertu de la loi, à dispenser des formations ainsi que les organismes inscrits auprès de l’OTOC peuvent dispenser des cours dans le cadre de la formation professionnelle des experts-comptables.
13 Les conditions auxquelles doivent répondre les organismes de formation pour être autorisés par l’OTOC à dispenser des cours donnant droit à des crédits de formation sont, aux termes de l’article 8, paragraphe 1, du règlement litigieux, les suivantes:
«(a) capacité prouvée à dispenser des formations;
(b) possession des moyens nécessaires (financiers, matériels et humains) pour dispenser des formations de qualité;
(c) aptitude prouvée des membres des organes de direction de l’organisme en cause et des personnes responsables de l’organisation de la formation;
(d) interventions de professeurs universitaires et/ou de personnalités aux compétences reconnues dans le cadre de la profession et/ou de professionnels aux compétences reconnues dans les domaines liés à l’exercice de la profession.»
14 Conformément à l’article 9 de ce règlement, la décision d’acceptation ou de rejet de l’inscription des organismes de formation aux fins de la réalisation d’actions de formation donnant droit à des crédits de formation est prise par la direction de l’OTOC dans un délai de trois mois à compter de l’introduction de la demande.
15 Les articles 10 à 12 dudit règlement régissent la procédure d’homologation des actions de formation donnant droit à des crédits de formation dispensées par des organismes autres que l’OTOC. La décision d’homologuer ou non une action de formation est prise par l’OTOC.
16 En vertu de l’article 15, paragraphe 1, du même règlement, la participation des experts-comptables à une action de formation institutionnelle ou professionnelle, pour autant que cette dernière est dispensée par l’OTOC ou homologuée par celui-ci, confère à ceux-ci 1,5 crédit par heure de formation. Conformément au paragraphe 2 de cet article 15, chaque expert-comptable est tenu d’obtenir 12 crédits de formation institutionnelle par an.
17 L’article 16 du règlement litigieux prévoit que les organismes de formation relevant de l’article 8 de ce règlement doivent s’acquitter, auprès de l’OTOC, d’une taxe aussi bien lors de la demande d’inscription en tant qu’organisme de formation qu’à l’occasion de la demande d’homologation de chacune des actions de formation qu’ils entendent réaliser. En vertu de l’article 17 dudit règlement, le montant de cette taxe correspond aux coûts totaux supportés par l’OTOC dans le cadre de ces procédures,
sans pour autant être fixé dans le règlement litigieux.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
18 L’AdC a reçu, en 2006 et en 2009, deux plaintes dénonçant le système de formation obligatoire des experts-comptables mis en place par l’OTOC.
19 Pendant cette période, de nombreux organismes de formation ont demandé à se faire inscrire auprès de l’OTOC, afin de pouvoir dispenser des actions de formation professionnelle destinées aux experts-comptables, en s’acquittant d’une taxe de 200 euros. Ces organismes ont également demandé au cours de ladite période l’homologation des actions de formation qu’ils entendaient réaliser, en s’acquittant d’une taxe de 100 euros par action envisagée.
20 Bien que l’OTOC ait fait droit à la plupart de ces demandes, il ressort du dossier dont dispose la Cour que l’OTOC a, dans certains cas, refusé d’homologuer des actions de formation.
21 En outre, deux organismes de formation ont expressément refusé de se faire inscrire auprès de l’OTOC, au motif que le règlement litigieux restreignait indûment leur liberté de réaliser des actions de formation destinées aux experts-comptables.
22 Il ressort également du dossier dont dispose la Cour que, dans certains cas, l’OTOC n’a pas pris de décision, alors que plus de cinq mois s’étaient écoulés depuis l’introduction de la demande d’homologation, ou a répondu à une telle demande dans un délai supérieur à un an.
23 Par une décision du 7 mai 2010 (ci-après la «décision contestée»), l’AdC a constaté, après avoir défini le marché pertinent comme étant celui de la formation obligatoire des experts-comptables sur l’ensemble du territoire national, que, en adoptant le règlement litigieux, l’OTOC avait enfreint les articles 101 TFUE et 102 TFUE et lui a infligé une amende.
24 L’OTOC a demandé l’annulation de cette décision devant le tribunal do comércio de Lisboa.
25 Ce tribunal a tout d’abord jugé que, d’une part, en imposant à tous les experts-comptables l’obligation d’obtenir une moyenne de 35 crédits de formation par an au cours des deux dernières années dans le cadre d’une formation dispensée par l’OTOC ou approuvée par celui-ci, dont 12 crédits obtenus dans le cadre de la formation exclusivement dispensée par l’OTOC lui-même, et, d’autre part, en décidant quels sont les organismes de formation autorisés à dispenser une formation et les actions de
formation permettant d’obtenir des crédits de formation, l’OTOC a causé une distorsion de concurrence sur le marché de la formation obligatoire des experts-comptables. Il a également considéré que le règlement litigieux était susceptible d’entraver les échanges entre les États membres.
26 Ensuite, le tribunal do comércio de Lisboa a rejeté l’argument selon lequel les restrictions de la concurrence résultant dudit règlement étaient nécessaires pour garantir le bon exercice de la profession d’expert-comptable.
27 Enfin, cette juridiction a estimé que l’OTOC n’avait pas abusé de sa position dominante sur le marché pertinent. Elle a donc annulé la décision contestée sur ce point.
28 L’OTOC a demandé l’annulation de la décision du tribunal do comércio de Lisboa devant la juridiction de renvoi en faisant valoir qu’il est chargé d’une mission de service public découlant directement de la loi et consistant en la promotion et la contribution à la formation de ses membres. Son activité de formation ne relèverait donc pas de la sphère des échanges économiques et échapperait, par conséquent, au champ d’application de l’article 101 TFUE. En tout état de cause, cet article ne
trouverait pas à s’appliquer en l’espèce, ainsi qu’il découlerait des points 97 et suivants de l’arrêt du 19 février 2002, Wouters e.a. (C-309/99, Rec. p. I-1577), dès lors que les effets restrictifs éventuels du comportement de l’OTOC seraient justifiés par la nécessité de garantir le bon exercice de la profession d’expert-comptable. Par ailleurs, le règlement litigieux contribuerait à améliorer l’offre, la distribution et la promotion du progrès technique ou économique et réserverait aux
utilisateurs une partie équitable des bénéfices au sens de l’article 101, paragraphe 3, TFUE. En outre, la mise en place d’un système de formation obligatoire destiné aux experts-comptables constituerait un service d’intérêt économique général, au sens de l’article 106, paragraphe 2, TFUE.
29 C’est dans ces conditions que le Tribunal da Relação de Lisboa a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Une entité telle que l’[OTOC] doit-elle être considérée dans son ensemble comme une association d’entreprises aux fins de l’application des règles communautaires de concurrence (marché de la formation)? Le cas échéant, faut-il interpréter [l’article] 101, paragraphe 2, TFUE en ce sens qu’une entité qui, comme l’OTOC, adopte, pour satisfaire à des exigences légales, des règles contraignantes d’application générale relatives à la formation obligatoire des experts-comptables, afin de garantir
aux citoyens la fourniture d’un service crédible et de qualité, est également soumise à ces règles communautaires de concurrence?
2) Si une entité telle que l’OTOC est tenue, en vertu de la loi, de mettre en place un système de formation obligatoire pour ses membres, [l’article] 101 TFUE peut-il être interprété en ce sens qu’il permet de remettre en cause la création, par l’OTOC et par le règlement qui l’a institué, d’un système de formation exigé en vertu de la loi, pour autant qu’il se borne strictement à satisfaire à l’exigence légale? Cette matière échappe-t-elle, au contraire, au champ d’application de
l’article 101 TFUE et doit-elle être appréciée au regard des [...] articles 56 TFUE et suivants?
3) Compte tenu du fait que dans l’arrêt Wouters [e.a.], [précité,] ainsi que dans des arrêts similaires, il était question d’une réglementation ayant une influence sur l’activité économique des membres de l’ordre professionnel en cause, les [...] articles 101 TFUE et 102 TFUE s’opposent-ils à une réglementation relative à la formation des experts-comptables qui n’a aucune influence directe sur l’activité économique de ces professionnels?
4) À la lumière du droit de la concurrence de l’Union (sur le marché de la formation), un ordre professionnel peut-il exiger, pour l’exercice de la profession qu’il représente, une formation donnée que lui seul dispense?»
Sur les questions préjudicielles
Sur les première à troisième questions
Observations liminaires
30 Il ressort du dossier dont dispose la Cour que l’AdC a constaté, dans la décision contestée, que, en adoptant le règlement litigieux, l’OTOC avait enfreint tant l’article 101 TFUE que l’article 102 TFUE. Or, cette décision a été, par la suite, annulée par le tribunal do comércio de Lisboa en tant que, par celle-ci, ladite autorité avait constaté une infraction à l’article 102 TFUE. Devant la juridiction de renvoi, l’OTOC demande l’annulation de la décision de ce tribunal uniquement en tant que
celui-ci a confirmé la constatation d’une infraction à l’article 101 TFUE.
31 Il apparaît ainsi de façon manifeste que, en l’état du litige au principal, l’interprétation sollicitée des articles 56 TFUE et suivants, ainsi que 102 TFUE, n’a aucun rapport avec l’objet de ce litige, de sorte qu’elle est dépourvue de pertinence pour la solution de ce dernier. En effet, d’une part, la compatibilité du règlement litigieux avec les articles 56 TFUE et suivants ne fait pas l’objet de la décision contestée et, d’autre part, l’annulation partielle de celle-ci par le tribunal do
comércio de Lisboa, en tant qu’elle constate une infraction à l’article 102 TFUE, n’a pas été contestée devant la juridiction de renvoi.
32 Par conséquent, il y a lieu de considérer que les première à troisième questions préjudicielles ne visent que l’interprétation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
Sur les questions posées
33 Par ses première à troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble dans les limites précisées au point 32 du présent arrêt, la juridiction de renvoi demande, en substance, si un règlement tel que celui en cause au principal, adopté par un ordre professionnel tel que l’OTOC, doit être considéré comme une décision prise par une association d’entreprises, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Elle souhaite savoir, notamment, si la circonstance, d’une part, que l’OTOC est tenu, en
vertu de la loi, d’adopter des règles contraignantes d’application générale visant à mettre en place un système de formation obligatoire destiné à ses membres, afin de garantir aux citoyens la fourniture d’un service crédible et de qualité, et, d’autre part, que ces règles n’ont pas d’influence directe sur l’activité économique des experts-comptables a une incidence sur l’application de l’article 101 TFUE.
34 Afin de déterminer si un règlement tel que le règlement litigieux doit être considéré comme une décision d’une association d’entreprises au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, il convient d’examiner, en premier lieu, si les experts-comptables sont des entreprises au sens du droit de la concurrence de l’Union.
35 Selon une jurisprudence constante, dans le contexte du droit de la concurrence, la notion d’entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement (voir, notamment, arrêt Wouters e.a., précité, point 46 et jurisprudence citée).
36 À cet égard, il ressort d’une jurisprudence également constante que constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné (voir, notamment, arrêt Wouters e.a., précité, point 47 et jurisprudence citée).
37 En l’occurrence, il ressort du dossier dont dispose la Cour que les experts-comptables offrent, contre rémunération, des services comptables consistant notamment, aux termes de l’article 6 du statut de l’OTOC, en la planification, l’organisation et la coordination de la comptabilité des entités, la signature de leurs états financiers et de leurs déclarations fiscales, la consultation dans les domaines de la comptabilité, de la fiscalité et de la sécurité sociale, ainsi qu’en la représentation des
assujettis dont ils sont chargés de la comptabilité, au stade administratif de la procédure fiscale. En outre, il est constant que les experts-comptables assument, en tant que membres d’une profession libérale, les risques financiers afférents à l’exercice de ces activités, dès lors que, en cas de déséquilibre entre les dépenses et les recettes, l’expert-comptable est appelé à supporter lui-même le déficit constaté.
38 Dans ces conditions, les experts-comptables, compte tenu de la manière dont leur profession est régie au Portugal, exercent une activité économique et, partant, constituent des entreprises au sens de l’article 101 TFUE, sans que la nature complexe et technique des services qu’ils fournissent et la circonstance que l’exercice de leur profession est réglementé soient de nature à modifier une telle conclusion (voir, par analogie, arrêt Wouters e.a., précité, point 49).
39 En second lieu, il convient d’examiner la question de savoir si un ordre professionnel tel que l’OTOC doit être considéré comme une association d’entreprises au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, lorsqu’il adopte un règlement tel que le règlement litigieux ou, au contraire, comme une autorité publique.
40 Selon la jurisprudence de la Cour, une activité qui, par sa nature, les règles auxquelles elle est soumise et son objet, est étrangère à la sphère des échanges économiques ou se rattache à l’exercice de prérogatives de puissance publique échappe à l’application des règles de concurrence prévues par le traité FUE (voir, notamment, arrêt Wouters e.a., précité, point 57 et jurisprudence citée).
41 Or, premièrement, une réglementation telle que celle en cause au principal ne saurait être considérée comme étrangère à la sphère des échanges économiques.
42 Il est constant à cet égard, d’une part, que l’OTOC offre lui-même des actions de formation destinées aux experts-comptables et, d’autre part, que l’accès des autres prestataires souhaitant dispenser une telle formation est soumis aux normes figurant dans le règlement litigieux. Par conséquent, un tel règlement a un impact direct sur les échanges économiques sur le marché de la formation obligatoire des experts-comptables.
43 En outre, l’obligation, pour l’expert-comptable, de suivre une formation selon les modalités arrêtées par ce règlement est étroitement liée à l’exercice de son activité professionnelle, ainsi que le relèvent le gouvernement polonais et la Commission européenne. En effet, la méconnaissance de cette obligation pourrait ainsi entraîner, en application des articles 57, paragraphe 1, sous a), 59, paragraphe 2, 63 et 64 du statut de l’OTOC, des sanctions disciplinaires, telles que la suspension pour
une période maximale de trois ans ou la radiation de cet ordre professionnel.
44 À supposer même que ledit règlement n’aurait pas d’influence directe sur l’activité économique des experts-comptables eux-mêmes, ainsi que la juridiction de renvoi semble le suggérer dans le cadre de sa troisième question, cette circonstance ne serait pas de nature, à elle seule, à soustraire une décision d’une association d’entreprises au champ d’application de l’article 101 TFUE.
45 En effet, une telle décision peut être de nature à empêcher, à restreindre ou à fausser le jeu de la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, non seulement sur le marché sur lequel les membres d’un ordre professionnel exercent leur activité, mais également sur un autre marché sur lequel cet ordre professionnel exerce lui-même une activité économique.
46 Deuxièmement, lorsqu’il adopte un règlement tel que le règlement litigieux, un ordre professionnel tel que l’OTOC n’exerce pas de prérogatives typiques de puissance publique, mais apparaît plutôt comme l’organe de régulation d’une profession dont l’exercice constitue, par ailleurs, une activité économique.
47 En effet, d’une part, il n’est pas contesté que les organes directeurs de l’OTOC sont exclusivement composés de membres de ce dernier. En outre, les autorités nationales n’interviennent aucunement dans la désignation des membres de ces organes.
48 Il importe peu, à cet égard, que l’OTOC soit régi par un statut de droit public. En effet, selon ses propres termes, l’article 101 TFUE s’applique à des accords entre entreprises et à des décisions d’associations d’entreprises. Le cadre juridique dans lequel s’effectue la conclusion de tels accords et sont prises de telles décisions ainsi que la qualification juridique donnée à ce cadre par les différents ordres juridiques nationaux sont sans incidence sur l’applicabilité des règles de
concurrence de l’Union, et notamment de l’article 101 TFUE (arrêt Wouters e.a., précité, point 66 et jurisprudence citée).
49 D’autre part, le pouvoir réglementaire dont est investi l’OTOC n’est pas assorti de conditions ou de critères que cet ordre professionnel soit tenu d’observer lorsqu’il adopte des actes tels que le règlement litigieux. À cet égard, l’article 3, paragraphe 1, sous c) et s), du statut de l’OTOC se borne à attribuer à ce dernier les tâches, respectivement, de «promouvoir le perfectionnement et la formation professionnelle de ses membres et [d’]y contribuer, notamment par l’organisation d’actions et
de programmes de formation professionnelle, de cours et de conférences», et de «concevoir, organiser et exécuter, pour ses membres, des systèmes de formation obligatoire».
50 Ces dispositions laissent donc à l’OTOC une large marge d’appréciation quant aux principes, aux conditions et aux modalités auxquels le système de formation obligatoire des experts-comptables doit se conformer.
51 En particulier, le statut de l’OTOC n’octroie pas à ce dernier le droit exclusif de dispenser des actions de formation destinées aux experts-comptables et ne prescrit pas les conditions d’accès des organismes de formation au marché de la formation obligatoire des experts-comptables. Les règles afférentes à ces questions figurent, en revanche, dans le règlement litigieux.
52 Il est constant, en outre, que ce règlement a été adopté par l’OTOC sans l’intervention de l’État.
53 Le fait, invoqué par la juridiction de renvoi dans le cadre de sa deuxième question, que l’OTOC soit légalement tenu de mettre en place un système de formation obligatoire destiné à ses membres ne remet pas en cause les considérations qui précèdent.
54 Certes, lorsqu’un État membre octroie des pouvoirs normatifs à une association professionnelle, tout en définissant les critères d’intérêt général et les principes essentiels auxquels la réglementation ordinale doit se conformer ainsi qu’en conservant son pouvoir de décision en dernier ressort, les normes qui sont arrêtées par cette association professionnelle conservent un caractère étatique et échappent aux règles du traité applicables aux entreprises (voir, en ce sens, arrêt Wouters e.a.,
précité, point 68).
55 Toutefois, tel n’apparaît pas être le cas dans l’affaire au principal, ainsi qu’il ressort des points 49 à 52 du présent arrêt.
56 Dans de telles conditions, les normes relatives à l’obtention de crédits de formation arrêtées par l’ordre professionnel en cause au principal sont imputables à lui seul.
57 Quant à l’incidence que peut avoir sur l’application de l’article 101 TFUE la circonstance, invoquée par le requérant au principal, selon laquelle l’OTOC ne poursuit pas de but lucratif, il y a lieu de relever que celle-ci ne fait pas obstacle à ce que l’entité qui effectue des opérations sur le marché doive être considérée comme une entreprise, dès lors que l’offre de services correspondante se trouve en concurrence avec celle d’autres opérateurs qui poursuivent un but lucratif (voir, en ce
sens, arrêt du 10 janvier 2006, Cassa di Risparmio di Firenze e.a., C-222/04, Rec. p. I-289, points 122 et 123, ainsi que du 1er juillet 2008, MOTOE, C-49/07, Rec. p. I-4863, point 27).
58 Tel est précisément le cas dans l’affaire au principal. En effet, il ressort du dossier dont dispose la Cour que l’OTOC propose des actions de formation professionnelle destinées aux experts-comptables tout en se trouvant en concurrence avec d’autres organismes de formation qui poursuivent un but lucratif.
59 Au vu des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux première à troisième questions:
— Un règlement tel que le règlement litigieux, adopté par un ordre professionnel tel que l’OTOC, doit être considéré comme une décision prise par une association d’entreprises, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
— La circonstance qu’un ordre professionnel, tel que l’OTOC, soit légalement tenu de mettre en place un système de formation obligatoire destiné à ses membres n’est pas susceptible de soustraire au champ d’application de l’article 101 TFUE les normes arrêtées par cet ordre professionnel, pour autant que celles-ci sont imputables exclusivement à ce dernier.
— La circonstance que ces normes n’aient pas d’influence directe sur l’activité économique des membres dudit ordre professionnel n’affecte pas l’application de l’article 101 TFUE, dès lors que l’infraction reprochée au même ordre professionnel concerne un marché sur lequel celui-ci exerce lui-même une activité économique.
Sur la quatrième question
60 Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de la concurrence de l’Union s’oppose à ce qu’un ordre professionnel impose à ses membres de suivre une formation dispensée exclusivement par lui-même dans des conditions telles que celles en cause au principal.
61 Le gouvernement portugais relève que l’infraction à l’article 101 TFUE constatée dans la décision contestée et faisant l’objet du litige au principal ne se résume pas au fait d’imposer aux membres de l’OTOC une formation que seul celui-ci dispense.
62 À cet égard, il semble ressortir du dossier dont dispose la Cour et, en particulier, de la décision contestée ainsi que de celle du tribunal do comércio de Lisboa, et ainsi qu’il a été confirmé par l’OTOC et le gouvernement portugais lors de l’audience devant la Cour, que l’infraction à l’article 101 TFUE reprochée à l’OTOC consiste en l’adoption du règlement litigieux, en vertu duquel le marché de la formation obligatoire des experts-comptables a été, en substance, segmenté de manière
artificielle en réservant un tiers de celui-ci à l’OTOC lui-même, et en imposant, sur l’autre partie de ce marché, des conditions discriminatoires, au détriment des concurrents de cet ordre professionnel.
63 En vertu de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, sont incompatibles avec le marché intérieur les décisions d’associations d’entreprises qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence au sein du marché intérieur.
64 Il convient, dès lors, d’examiner si ces conditions sont remplies dans l’affaire au principal.
65 À cet égard, il est de jurisprudence constante que, pour être susceptibles d’affecter le commerce entre États membres, une décision, un accord ou une pratique doivent, sur la base d’un ensemble d’éléments objectifs de droit ou de fait, permettre d’envisager avec un degré de probabilité suffisant qu’ils exercent une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d’échanges entre États membres, et cela de manière à faire craindre qu’ils puissent entraver la réalisation
d’un marché unique entre États membres. Il faut, en outre, que cette influence ne soit pas insignifiante (voir, notamment, arrêt du 23 novembre 2006, Asnef-Equifax et Administración del Estado, C-238/05, Rec. p. I-11125, point 34 et jurisprudence citée).
66 S’étendant à l’ensemble du territoire de l’État membre en question, un règlement tel que le règlement litigieux est susceptible d’affecter le commerce entre les États membres, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (voir par analogie, notamment, arrêt du 5 décembre 2006, Cipolla e.a., C-94/04 et C-202/04, Rec. p. I-11421, point 45 et jurisprudence citée).
67 Or, les conditions d’accès au marché de la formation obligatoire des experts-comptables imposées par le règlement litigieux apparaissent, au regard des considérations figurant aux points 73 à 92 du présent arrêt, susceptibles d’avoir une importance non négligeable dans le choix des entreprises établies dans des États membres autres que la République portugaise d’exercer ou non leurs activités dans ce dernier État membre.
68 S’agissant de la question de savoir si un règlement tel que le règlement litigieux a pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence au sein du marché intérieur, il convient de relever, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, que ce règlement vise à garantir la qualité des services offerts par les experts-comptables en mettant en place un système de formation obligatoire.
69 À supposer, par conséquent, que ledit règlement n’ait pas pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, il y a lieu d’examiner ses effets sur la concurrence dans le marché intérieur.
70 Selon une jurisprudence constante, l’appréciation des effets d’une décision d’une association d’entreprises au regard de l’article 101 TFUE implique la nécessité de prendre en considération le cadre concret dans lequel elle s’insère, notamment le contexte économique et juridique dans lequel opèrent les entreprises concernées, la nature des biens ou des services affectés, ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du marché ou des marchés en question (voir, notamment,
arrêt Asnef-Equifax et Administración del Estado, précité, point 49).
71 L’article 101, paragraphe 1, TFUE ne limite pas une telle appréciation aux seuls effets actuels, celle-ci devant également tenir compte des effets potentiels de la décision en cause sur la concurrence dans le marché intérieur (arrêt Asnef-Equifax et Administración del Estado, précité, point 50 et jurisprudence citée).
72 S’il appartient à la juridiction de renvoi d’examiner si le règlement litigieux a produit ou risque de produire des effets néfastes sur la concurrence dans le marché intérieur, il revient à la Cour de lui fournir à cette fin les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui lui permettent de se prononcer (voir, en ce sens, arrêt du 13 octobre 2011, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, C-439/09, Rec. p. I-9419, point 42).
73 À cet égard, la juridiction de renvoi doit, en premier lieu, prendre en considération la structure du marché de la formation obligatoire des experts-comptables, telle qu’elle résulte de ce règlement.
74 Ainsi, il convient de relever que ledit règlement a prévu deux types de formations, l’une, dite «institutionnelle», et l’autre, dite «professionnelle», différenciées en fonction de leur objet, des organismes autorisés à les dispenser et de la durée des actions de formation pouvant être prodiguées.
75 En ce qui concerne, premièrement, l’objet de la formation institutionnelle, tel qu’il est défini à l’article 3, paragraphe 2, du règlement litigieux, il convient de relever que celui-ci consiste en la sensibilisation des experts-comptables non seulement aux questions d’ordre éthique et déontologique, mais également aux «initiatives et modifications législatives». Or, il n’est pas exclu que les développements législatifs pertinents fassent également l’objet de la formation professionnelle,
laquelle consiste, conformément au paragraphe 3 de cet article 3, en des «sessions d’études et d’approfondissement de thématiques inhérentes à la profession». En outre, conformément à l’article 15, paragraphe 1, de ce règlement, chaque action de formation, tant institutionnelle que professionnelle – à condition qu’elle soit dispensée par l’OTOC ou homologuée par celui-ci – donne droit à 1,5 crédit par heure.
76 Ces éléments sont susceptibles de démontrer que ces deux types de formations pourraient être considérés, au moins en partie, comme interchangeables, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
77 Si tel devait être le cas, la distinction opérée par le règlement litigieux entre la formation institutionnelle et la formation professionnelle en fonction de l’objet de celles-ci ne se justifierait pas. À cet égard, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort du point 7 de la communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence (JO 1997, C 372, p. 5), le marché de produits à prendre en considération comprend tous les produits
et/ou services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l’usage auquel ils sont destinés.
78 La division du marché de la formation obligatoire des experts-comptables, telle qu’elle résulte du règlement litigieux, se traduit, deuxièmement, par la désignation des organismes autorisés à dispenser chacun des deux types de formations. À cet égard, il ressort de l’article 5, paragraphe 2, de ce règlement que la formation institutionnelle ne peut être prodiguée que par l’OTOC. En outre, sur la moyenne de 35 crédits annuels que les experts-comptables sont tenus d’obtenir au cours des deux
dernières années conformément à l’article 4, paragraphe 1, sous e), du règlement relatif au contrôle de qualité, 12 crédits doivent impérativement être obtenus dans le cadre de la formation institutionnelle, ainsi qu’il ressort de l’article 15, paragraphe 2, du règlement litigieux.
79 Il s’ensuit que ce dernier règlement réserve à l’OTOC une partie non négligeable du marché de la formation obligatoire des experts-comptables.
80 Troisièmement, ces deux types de formations se différencient par la durée respective des actions pouvant être dispensées dans le cadre de chacun de ceux-ci. Ainsi, l’article 3, paragraphes 2 et 3, dudit règlement prévoit que la formation institutionnelle est d’une durée maximale de seize heures, alors que la durée de la formation professionnelle doit être supérieure à seize heures.
81 Cette circonstance peut avoir comme conséquence, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, que les organismes de formation autres que l’OTOC qui souhaitent proposer des programmes de formation d’une durée brève soient empêchés de le faire.
82 Une telle règle apparaît donc susceptible d’entraîner des distorsions de concurrence sur le marché de la formation obligatoire des experts-comptables, en affectant le jeu normal de l’offre et de la demande.
83 Quatrièmement, alors que le règlement litigieux impose aux experts-comptables d’obtenir impérativement un minimum de 12 crédits de formation institutionnelle par an, aucune exigence analogue n’est prévue en ce qui concerne la formation professionnelle. Il s’ensuit, ainsi que le fait valoir le gouvernement portugais, que les experts-comptables peuvent choisir d’obtenir les 23 crédits restants soit dans le cadre de la formation professionnelle, soit dans le cadre de la formation institutionnelle.
Cette circonstance est également susceptible d’apporter un avantage concurrentiel aux actions de formation dispensées par l’OTOC dans le cadre de la formation institutionnelle, compte tenu, notamment, de la plus courte durée de celles-ci, ainsi qu’il a été relevé aux points 80 et 81 du présent arrêt, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
84 La juridiction de renvoi doit, en second lieu, examiner les conditions d’accès au marché en question des organismes autres que l’OTOC.
85 Il convient de relever, à cet égard, que les organismes de formation, à l’exception des établissements d’enseignement supérieur et des organismes habilités, en vertu de la loi, à dispenser des formations, qui souhaitent prodiguer des actions ouvrant droit aux crédits de formation, doivent se faire inscrire au préalable auprès de l’OTOC. Il appartient à la direction de ce dernier d’accepter ou de rejeter une demande d’inscription, ainsi qu’il ressort de l’article 9 du règlement litigieux.
86 De surcroît, si ces organismes souhaitent que les actions de formation qu’ils entendent réaliser ouvrent droit à des crédits de formation, ils doivent, en vertu de l’article 12 de ce règlement, présenter, pour chaque action, une demande d’homologation auprès de l’OTOC. Cette demande doit être introduite au minimum trois mois avant le début de l’action concernée et contenir un certain nombre d’informations, telles que le prix et le programme détaillé de l’action en cause. Le demandeur doit
également s’acquitter d’une taxe pour chaque action envisagée, laquelle revient à l’OTOC. La décision d’homologation ou de rejet est prise par la direction de cet ordre professionnel.
87 Il est constant, en outre, que, d’une part, l’OTOC dispense également des actions de formation professionnelle en concurrence avec d’autres organismes de formation et, d’autre part, la formation professionnelle dispensée par l’OTOC n’est soumise à aucune procédure d’homologation.
88 Or, un système de concurrence non faussée, tel que celui qui est prévu par le traité, ne peut être garanti que si l’égalité des chances entre les différents opérateurs économiques est assurée (arrêt MOTOE, précité, point 51).
89 Les éléments relevés aux points 85 à 87 du présent arrêt sont susceptibles d’avoir pour conséquence que le règlement litigieux n’assure pas l’égalité des chances entre les différents opérateurs économiques.
90 En effet, premièrement, les conditions devant être remplies par les organismes de formation afin, d’une part, de se faire inscrire auprès de l’OTOC et, d’autre part, de faire homologuer une action de formation professionnelle sont formulées, respectivement aux articles 8 et 12 du règlement litigieux, de façon peu précise.
91 Une telle réglementation, qui octroie à une personne morale telle que l’OTOC le pouvoir de se prononcer de manière unilatérale sur les demandes d’inscription ou d’homologation présentées en vue de l’organisation d’actions de formation, sans que ce pouvoir soit assorti, par cette réglementation, de limites, d’obligations ou d’un contrôle, pourrait conduire la personne morale investie dudit pouvoir à fausser la concurrence en favorisant les actions de formation qu’elle-même organise (voir, par
analogie, arrêt MOTOE, précité, point 52).
92 Deuxièmement, la façon dont la procédure d’homologation est organisée par le règlement litigieux est susceptible de limiter l’offre d’actions de formation proposées par des organismes autres que l’OTOC. En effet, le fait de devoir demander au préalable l’homologation de chaque action de formation envisagée, et ceci trois mois avant le début de cette dernière, peut jouer au détriment des concurrents de l’OTOC, dans la mesure où cette procédure les empêche d’offrir, dans l’immédiat, des actions de
formation d’actualité ouvrant droit auxdits crédits, tout en leur imposant de divulguer systématiquement des informations détaillées concernant toute action envisagée.
93 Il convient toutefois de relever que toute décision d’une association d’entreprises susceptible de restreindre la liberté d’action des parties ne tombe pas nécessairement sous le coup de l’interdiction édictée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE. En effet, aux fins de l’application de cette disposition à un cas d’espèce, il y a lieu, tout d’abord, de tenir compte du contexte global dans lequel la décision de l’association d’entreprises en cause a été prise ou déploie ses effets et, plus
particulièrement, de ses objectifs (voir, en ce sens, arrêt Wouters e.a., précité, point 97).
94 En l’espèce, il ressort de la décision de renvoi, ainsi qu’il a été relevé au point 68 du présent arrêt, que ledit règlement vise à garantir la qualité des services offerts par les experts-comptables.
95 En tant qu’il met en place un système de formation obligatoire des experts-comptables, lequel est susceptible d’assurer une nécessaire garantie de perfectionnement et de formation professionnelle continue, contribuant ainsi à une bonne administration en matière de comptabilité des entreprises et de fiscalité, ce règlement contribue effectivement à la poursuite de cet objectif.
96 Il convient, ensuite, d’examiner si les effets restrictifs qui découlent du règlement litigieux ont pu raisonnablement être considérés comme nécessaires pour garantir la qualité des services offerts par les experts-comptables et si lesdits effets ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer la poursuite de cet objectif (voir, en ce sens, arrêt Wouters e.a., précité, points 97, 107 et 109).
97 Il convient de relever à cet égard que les effets restrictifs de la concurrence susceptibles de découler dudit règlement consisteraient, en substance, ainsi qu’il découle des considérations figurant aux points 73 à 92 du présent arrêt, en l’élimination de la concurrence sur une partie substantielle du marché concerné et en la fixation de conditions discriminatoires sur l’autre partie de ce marché.
98 Or, l’élimination de la concurrence en ce qui concerne les actions de formation d’une durée inférieure à seize heures ne saurait en aucun cas être considérée comme nécessaire pour assurer la qualité des services offerts par les experts-comptables.
99 De même, s’agissant des conditions d’accès au marché de la formation obligatoire des experts-comptables, l’objectif consistant à assurer la qualité des services offerts par ces derniers pourrait être atteint par la mise en place d’un système de contrôle organisé sur la base de critères clairement définis, transparents, non discriminatoires, contrôlables et susceptibles de garantir aux organismes de formation un égal accès au marché en cause.
100 Il s’ensuit que de telles restrictions semblent aller au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer la qualité des services offerts par les experts-comptables.
101 Le requérant au principal soutient que le règlement litigieux est couvert, en tout état de cause, par l’exemption prévue à l’article 101, paragraphe 3, TFUE ou relève de l’article 106, paragraphe 2, TFUE.
102 Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que l’applicabilité de l’exemption prévue à l’article 101, paragraphe 3, TFUE est subordonnée à quatre conditions cumulatives. Il faut, premièrement, que la décision concernée contribue à améliorer la production ou la distribution des produits ou des services en cause, ou à promouvoir le progrès technique ou économique, deuxièmement, qu’une partie équitable du profit qui en résulte soit réservée aux utilisateurs, troisièmement, qu’elle n’impose aucune
restriction non indispensable aux entreprises participantes et, quatrièmement, qu’elle ne leur donne pas la possibilité d’éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits ou des services en cause (voir, en ce sens, arrêt Asnef-Equifax et Administración del Estado, précité, point 65).
103 Dans la mesure où, premièrement, le règlement litigieux est susceptible de donner à l’OTOC la possibilité d’éliminer la concurrence pour une partie substantielle des services de formation destinés aux experts-comptables, ainsi qu’il a été constaté au point 97 du présent arrêt, et où, deuxièmement, pour les raisons invoquées aux points 98 à 100 du présent arrêt, les restrictions imposées par ce règlement ne sauraient être considérées comme indispensables, l’article 101, paragraphe 3, TFUE ne
trouve pas à s’appliquer dans un cas tel que celui au principal.
104 En ce qui concerne l’invocation de l’article 106, paragraphe 2, TFUE, il convient de rappeler que cette disposition prévoit que les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général sont soumises aux règles de concurrence dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie.
105 Force est de constater, à cet égard, qu’il ne ressort ni des pièces du dossier transmis par la juridiction nationale ni des observations déposées devant la Cour que la formation obligatoire des experts-comptables revêt un intérêt économique général qui présente des caractères spécifiques par rapport à celui que revêtent d’autres activités de la vie économique et que, à supposer même que tel soit le cas, l’application des règles du traité, en particulier de celles édictées en matière de
concurrence, serait de nature à faire échec à l’accomplissement d’une telle mission (voir, par analogie, arrêt du 10 décembre 1991, Merci convenzionali porto di Genova, C-179/90, Rec. p. I-5889, point 27).
106 En tout état de cause, les entreprises relevant de l’article 106, paragraphe 2, TFUE ne peuvent invoquer cette disposition du traité pour justifier une mesure contraire à l’article 101 TFUE que si les restrictions de la concurrence, voire l’exclusion de toute concurrence, sont nécessaires pour assurer l’accomplissement de la mission particulière qui leur a été impartie (voir, en ce sens, arrêts du 25 juin 1998, Dusseldorp e.a., C-203/96, Rec. p. I-4075, point 65; du 19 mai 1993, Corbeau,
C-320/91, Rec. p. I-2533, point 14, ainsi que du 27 avril 1994, Almelo, C-393/92, Rec. p. I-1477, point 46).
107 Or, pour les raisons invoquées aux points 98 à 100 du présent arrêt, les restrictions de la concurrence imposées par le règlement litigieux semblent aller au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l’accomplissement de la mission particulière qui a été impartie à l’OTOC, si bien que l’article 106, paragraphe 2, TFUE n’est pas d’application.
108 Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la quatrième question qu’un règlement qui met en place un système de formation obligatoire des experts-comptables afin de garantir la qualité des services offerts par ces derniers, tel que le règlement litigieux, adopté par un ordre professionnel tel que l’OTOC, constitue une restriction de la concurrence interdite par l’article 101 TFUE, pour autant que, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de
vérifier, il élimine la concurrence sur une partie substantielle du marché pertinent, au bénéfice de cet ordre professionnel, et qu’il impose, sur l’autre partie de ce marché, des conditions discriminatoires au détriment des concurrents dudit ordre professionnel.
Sur les dépens
109 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:
1) Un règlement tel que le règlement relatif à l’obtention de crédits de formation (Regulamento da Formação de Créditos), adopté par un ordre professionnel tel que l’Ordem dos Técnicos Oficiais de Contas (Ordre des experts-comptables), doit être considéré comme une décision prise par une association d’entreprises, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
La circonstance qu’un ordre professionnel, tel que l’Ordem dos Técnicos Oficiais de Contas, soit légalement tenu de mettre en place un système de formation obligatoire destiné à ses membres n’est pas susceptible de soustraire au champ d’application de l’article 101 TFUE les normes arrêtées par cet ordre professionnel, pour autant que celles-ci sont imputables exclusivement à ce dernier.
La circonstance que ces normes n’aient pas d’influence directe sur l’activité économique des membres dudit ordre professionnel n’affecte pas l’application de l’article 101 TFUE, dès lors que l’infraction reprochée au même ordre professionnel concerne un marché sur lequel celui-ci exerce lui-même une activité économique.
2) Un règlement qui met en place un système de formation obligatoire des experts-comptables afin de garantir la qualité des services offerts par ces derniers, tel que le règlement relatif à l’obtention de crédits de formation, adopté par un ordre professionnel tel que l’Ordem dos Técnicos Oficiais de Contas, constitue une restriction de la concurrence interdite par l’article 101 TFUE, pour autant que, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, il élimine la concurrence sur une
partie substantielle du marché pertinent, au bénéfice de cet ordre professionnel, et qu’il impose, sur l’autre partie de ce marché, des conditions discriminatoires au détriment des concurrents dudit ordre professionnel.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure: le portugais.