ORDONNANCE DE LA COUR (septième chambre)
28 février 2013 (*)
«Pourvoi – Marque communautaire – Règlement (CE) nº 40/90 – Article 51, paragraphe 1, sous b) – Marque communautaire figurative Pollo Tropical CHICKEN ON THE GRILL – Demande en nullité présentée par le titulaire de la marque nationale figurative Pollo Tropical CHICKEN ON THE GRILL et de la marque nationale verbale POLLO TROPICAL – Causes de nullité absolue – Mauvaise foi – Irrecevabilité»
Dans l’affaire C‑171/12 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 10 avril 2012,
Carrols Corp., établie à New York (États-Unis), représentée par M^e I. Temiño Ceniceros, abogado,
partie requérante,
les autres parties à la procédure étant:
Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par M. J. Crespo Carrillo, en qualité d’agent,
partie défenderesse en première instance,
Giulio Gambettola, demeurant à Los Realejos (Espagne), représenté par M^e F. Brandolini Kujman, abogado,
partie intervenante en première instance,
LA COUR (septième chambre),
composée de M. G. Arestis, président de chambre, MM. J.‑C. Bonichot et J. L. da Cruz Vilaça (rapporteur), juges,
avocat général: M. Y. Bot,
greffier: M. A. Calot Escobar,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 181 du règlement de procédure de la Cour,
rend la présente
Ordonnance
1 Par son pourvoi, Carrols Corp. (ci-après «Carrols») demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 1^er février 2012, Carrols/OHMI – Gambettola (Pollo Tropical CHICKEN ON THE GRILL) (T-291/09, non encore publié au Recueil, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision de la première chambre de recours de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) du 7 mai 2009
(affaire R 632/2008-1) relative à une procédure de nullité entre Carrols et M. Gambettola (ci-après la «décision litigieuse»).
Le cadre juridique
2 Sous le titre «Causes de nullité absolue», l’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) n° 422/2004 du Conseil, du 19 février 2004 (JO L 70, p. 1, ci‑après le «règlement n° 40/94»), dispose:
«La nullité de la marque communautaire est déclarée, sur demande présentée auprès de l’Office ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon:
[...]
b) lorsque le demandeur était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande de marque.»
3 Le règlement n° 40/94 a été abrogé et remplacé par le règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO L 78, p. 1), entré en vigueur le 13 avril 2009. Néanmoins, le présent litige demeure régi, compte tenu de la date des faits, par le règlement n° 40/94.
Les antécédents du litige
4 Le 20 juin 1994, M. Gambettola a déposé auprès de l’Oficina Española de Patentes y Marcas (Office des brevets et des marques espagnol, ci‑après l’«OEPM») une demande d’enregistrement de la marque espagnole figurative suivante:
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5 Cette marque a été enregistrée le 20 décembre 1995.
6 Carrols a déposé, le 21 octobre 1994, deux demandes d’enregistrement auprès de l’OEPM, l’une concernant la marque verbale POLLO TROPICAL et l’autre concernant la marque figurative Pollo Tropical CHICKEN ON THE GRILL, en se prévalant de la marque américaine figurative suivante, qui avait été demandée le 25 avril 1994 et enregistrée aux États-Unis le 19 août 1997:
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7 Ces demandes ont été refusées le 22 janvier 1996 par l’OEPM en raison de l’opposition de M. Gambettola fondée sur sa marque espagnole.
8 Carrols a obtenu, le 9 juin 2000, l’enregistrement de la marque figurative du Royaume-Uni Pollo Tropical CHICKEN ON THE GRILL, demandée le 30 juin 1999 pour des services de restauration relevant de la classe 42, et qui se présente ainsi:
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9 Carrols a également obtenu, le 19 juin 2000, l’enregistrement de la marque verbale du Royaume-Uni POLLO TROPICAL, demandée le 30 juin 1999 pour des services de restauration relevant de la classe 42.
10 Le 22 novembre 2002, M. Gambettola a présenté une demande d’enregistrement de marque communautaire à l’OHMI, en vertu du règlement n° 40/94. La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe figuratif suivant:
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11 Les produits et les services pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent des classes 25, 41 et 43 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent, pour chacune de ces classes, à la description suivante:
– classe 25: «Vêtements confectionnés»;
– classe 41: «Discothèques»;
– classe 43: «Services de restauration (alimentation)».
12 La demande de marque communautaire a été publiée au Bulletin des marques communautaires n° 75/2003, du 29 septembre 2003. La marque a été enregistrée le 21 avril 2004.
13 Le 22 janvier 2007, Carrols a déposé auprès de l’OHMI une demande en nullité de la marque communautaire en invoquant, notamment, que l’enregistrement de celle-ci avait été demandé de mauvaise foi par M. Gambettola. Par décision du 17 mars 2008, la division d’annulation a rejeté cette demande.
14 Le 17 avril 2008, Carrols a formé un recours auprès de l’OHMI contre la décision de la division d’annulation. Par la décision litigieuse, la première chambre de recours de l’OHMI a rejeté ce recours, au motif que Carrols n’avait rapporté la preuve ni de l’usage des marques antérieures enregistrées au Royaume-Uni ni de la prétendue mauvaise foi de M. Gambettola.
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
15 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 juillet 2009, Carrols a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse. À l’appui de son recours, elle a invoqué un moyen unique, tiré de la violation de l’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 40/94, en ce que M. Gambettola était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande de marque communautaire.
16 Tout en s’appuyant sur les précisions que la jurisprudence de la Cour issue de l’arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli (C-529/07, Rec. p. I-4893), a apporté à la notion de mauvaise foi, le Tribunal a, premièrement, constaté, au point 62 de l’arrêt attaqué, que Carrols n’avait versé au dossier aucun élément de preuve qui permettrait de présumer que M. Gambettola ne pouvait ignorer l’existence de la marque américaine de Carrols.
17 Deuxièmement, après avoir relevé, notamment, qu’il ressortait du dossier que, le 9 juin 2006, soit avant le dépôt de la demande d’annulation de la marque communautaire, M. Gambettola avait signé un contrat de licence de sa marque, le Tribunal a, au point 67 de l’arrêt attaqué, entériné la considération de la première chambre de recours de l’OHMI selon laquelle il découlait des faits exposés que le dépôt de la marque communautaire en 2002 par M. Gambettola s’inscrivait dans le développement
commercial normal et prévisible de son activité de restauration.
18 Troisièmement, s’agissant des documents versés au dossier par Carrols en vue d’établir la notoriété de sa marque américaine antérieure, le Tribunal a considéré, au point 74 de l’arrêt attaqué, que lesdits documents n’étaient pas de nature à démontrer une telle notoriété eu égard au fait que, en ce qui concerne les données chiffrées, elles figuraient sur un simple papier libre, et que, s’agissant des autres documents, ils n’étaient pas datés. Par ailleurs, le Tribunal a ajouté que de simples
menus, des photos de restaurants, des graphiques ou des documents promotionnels qui ne viennent au soutien d’aucun document tangible et certain ne sauraient, isolément, constituer la preuve de la prétendue notoriété de la marque américaine. Ainsi, le Tribunal a conclu, au point 78 de l’arrêt attaqué, que les données qui ont été transmises par Carrols à l’OHMI étaient insuffisantes pour démontrer la notoriété de la marque américaine tant au moment de la demande d’enregistrement de la marque
communautaire qu’à celui de la demande d’enregistrement de la marque espagnole.
19 Quatrièmement, le Tribunal a constaté, au point 79 de l’arrêt attaqué, qu’il ne ressortait d’aucun élément versé au dossier que M. Gambettola n’avait aucune intention d’utiliser la marque lors du dépôt de cette dernière et que le dépôt de la demande de marque communautaire s’expliquait par son intention d’empêcher Carrols de commercialiser ses produits. Le Tribunal a encore relevé, au point 80 de l’arrêt attaqué, que, en revanche, alors même que Carrols avait obtenu l’enregistrement de deux
marques au Royaume-Uni identiques à la marque contestée, il est constant qu’elle a été en défaut de démontrer, tant devant la division d’annulation que devant la chambre de recours, la preuve de l’usage sérieux de ces deux marques, constatation qui n’a d’ailleurs pas été remise en cause dans le cadre de la procédure devant le Tribunal. Cette juridiction a ainsi considéré, au point 81 de l’arrêt attaqué, que c’était à juste titre que la chambre de recours avait pu estimer, eu égard à l’absence de
tout document relatif à l’usage des marques dont Carrols avait obtenu l’enregistrement au Royaume-Uni, que c’était cette dernière, et non M. Gambettola, qui n’a pas eu l’intention d’utiliser lesdites marques dont elle avait, pourtant, obtenu l’enregistrement.
20 Cinquièmement, le Tribunal a exposé, au point 85 de l’arrêt attaqué, que Carrols n’a pas démontré, ni même allégué, l’existence, avant le dépôt de la marque contestée, de relations directes ou indirectes entre les parties au litige qui pourraient expliquer la mauvaise foi de M. Gambettola.
21 Enfin, le Tribunal a relevé, aux points 88 et 90 de l’arrêt attaqué, que ni la proposition d’une compensation financière d’un montant de 5 millions de USD pour le transfert de la marque communautaire faite par M. Gambettola à Carrols, pour importante qu’elle soit, ni l’identité des signes en cause ne sauraient démontrer, en l’absence de tout autre élément pertinent, la mauvaise foi de M. Gambettola au moment de la demande d’enregistrement de la marque communautaire.
22 Par conséquent, le Tribunal a rejeté le recours.
Les conclusions des parties devant la Cour
23 Par son pourvoi, Carrols demande à la Cour:
– d’annuler l’arrêt attaqué, et
– de faire droit à ses conclusions présentées en première instance.
24 L’OHMI demande à la Cour:
– à titre principal, de déclarer le pourvoi irrecevable;
– à titre subsidiaire, de rejeter le pourvoi pour absence manifeste de fondement, et
– de condamner Carrols aux dépens.
25 M. Gambettola conclut au rejet du pourvoi ainsi qu’à la condamnation de Carrols aux dépens.
Sur le pourvoi
26 En vertu de l’article 181 de son règlement de procédure, lorsqu’un pourvoi est, en tout ou en partie, manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, la Cour peut, à tout moment, sur rapport du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de le rejeter totalement ou partiellement par voie d’ordonnance motivée.
Argumentation des parties
27 À l’appui de son pourvoi, Carrols invoque un moyen unique, tiré de la violation, par le Tribunal, de l’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 40/94.
28 Carrols reproche au Tribunal d’avoir conclu que l’identité des signes ne saurait démontrer, en l’absence de tout autre élément pertinent, la mauvaise foi de M. Gambettola. Selon Carrols, les faits du litige sont pertinents étant donné que, reliés entre eux et associés à l’identité des signes, ils permettent d’établir la mauvaise foi de M. Gambettola.
29 À cet égard, Carrols soutient, notamment, que c’est à tort que le Tribunal a décidé qu’il ne ressortait d’aucun élément du dossier que la connaissance par M. Gambettola de la marque américaine devait être présumée.
30 S’agissant du fait que le Tribunal a confirmé la considération de l’OHMI selon laquelle il découlait des circonstances de l’espèce que le dépôt de la demande de marque communautaire par M. Gambettola ne faisait que s’inscrire dans le développement commercial normal et prévisible de son activité de restauration, Carrols prétend que le Tribunal aurait dû exiger de M. Gambettola qu’il fournisse une explication vraisemblable sur la nécessité, dans ce contexte, du dépôt d’une marque
communautaire.
31 Carrols reproche également au Tribunal d’avoir conclu qu’il ne saurait être considéré que l’absence d’utilisation de ses marques au Royaume-Uni était due à l’existence de la marque espagnole. Elle observe que, en procédant de la sorte, le Tribunal procède de nouveau à une appréciation manifestement erronée des éléments de preuve.
32 L’OHMI et M. Gambettola concluent à l’irrecevabilité du pourvoi, dans la mesure où l’argumentation de Carrols repose sur la seule critique de l’appréciation des faits réalisée par le Tribunal. À titre subsidiaire, ils soutiennent que le pourvoi est non fondé.
Appréciation de la Cour
33 Par son moyen unique, Carrols fait valoir, en substance, que les faits qui se trouvent à l’origine du litige et les éléments de preuve qui ont été soumis au Tribunal auraient dû amener cette juridiction à conclure à la mauvaise foi de M. Gambettola lors du dépôt de la demande de marque communautaire.
34 Il apparaît manifeste que, par l’ensemble de ses arguments, Carrols se borne à remettre en cause les appréciations de nature factuelle du Tribunal dans le cadre de son analyse des éléments de preuve pertinents en l’espèce et vise ainsi à obtenir de la Cour qu’elle substitue sa propre appréciation à celle du Tribunal.
35 En vertu de l’article 256, paragraphe 1, TFUE et de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le pourvoi est limité aux questions de droit. Le Tribunal est seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents. L’appréciation des faits ne constitue donc pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi (voir, notamment, arrêts du 21 juin 2001, Moccia
Irme e.a./Commission, C‑280/99 P à C-282/99 P, Rec. p. I-4717, point 78; du 18 décembre 2008, Les Éditions Albert René/OHMI, C-16/06 P, Rec. p. I-10053, point 68, et du 26 juin 2012, Pologne/Commission, C‑335/09 P, non encore publié au Recueil, point 24).
36 Des lors qu’aucune dénaturation des faits ou des éléments de preuve n’est alléguée en l’occurrence, il y a lieu d’écarter le moyen unique comme manifestement irrecevable.
37 Par conséquent, le pourvoi doit être rejeté comme manifestement irrecevable.
Sur les dépens
38 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Carrols ayant succombé en son moyen et l’OHMI ayant conclu à sa condamnation, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (septième chambre) ordonne:
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Carrols Corp. est condamnée aux dépens.
Signatures
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* Langue de procédure: l’espagnol.