CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. NIILO JÄÄSKINEN
présentées le 28 février 2013 ( 1 )
Affaire C‑94/12
Swm Costruzioni 2 SpA,
Mannocchi Luigino DI
contre
Provincia di Fermo
[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunale amministrativo regionale per le Marche (Italie)]
«Directive 2004/18/CE — Passation des marchés publics de travaux — Capacité économique et financière d’un opérateur économique — Capacités techniques et/ou professionnelles d’un opérateur économique — Recours aux capacités de plus d’une entreprise auxiliaire»
I – Introduction
1. Les entreprises désireuses de participer à une procédure d’adjudication pour un marché public de travaux peuvent avoir à respecter des niveaux minimaux en matière de capacité économique et financière ainsi que de capacités techniques et/ou professionnelles, conformément aux articles 47 et 48 de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services ( 2 ). Un
opérateur économique peut posséder de telles capacités lui-même, ou remplir ces exigences en faisant valoir les capacités «d’autres entités, quelle que soit la nature juridique des liens existant entre lui-même et ces entités» ( 3 ).
2. La présente demande de décision préjudicielle concerne la question de savoir si une législation nationale qui limite à une le nombre des entités dont un opérateur économique désireux de participer à une procédure d’adjudication pour un marché public de travaux peut faire valoir les capacités est conforme à la directive 2004/18, notamment à ses articles 47, paragraphe 2, et 48, paragraphe 3. Pour répondre à cette question, la Cour doit définir l’étendue de la marge d’appréciation dont disposent
les États membres pour transposer les dispositions codifiant la jurisprudence de la Cour antérieure à la directive 2004/18.
II – Le cadre juridique
A – Le droit de l’Union
3. L’article 47, paragraphe 2, de la directive 2004/18, intitulé «Capacité économique et financière», énonce:
«Un opérateur économique peut, le cas échéant et pour un marché déterminé, faire valoir les capacités d’autres entités, quelle que soit la nature juridique des liens existant entre lui-même et ces entités. Il doit, dans ce cas, prouver au pouvoir adjudicateur qu’il disposera des moyens nécessaires, par exemple, par la production de l’engagement de ces entités à cet effet.»
4. L’article 48, paragraphe 3, de la directive 2004/18, intitulé «Capacités techniques et/ou professionnelles», dispose:
«Un opérateur économique peut, le cas échéant et pour un marché déterminé, faire valoir les capacités d’autres entités, quelle que soit la nature juridique des liens existant entre lui-même et ces entités. Il doit, dans ce cas, prouver au pouvoir adjudicateur que, pour l’exécution du marché, il disposera des moyens nécessaires, par exemple, par la production de l’engagement de ces entités de mettre à la disposition de l’opérateur économique les moyens nécessaires.»
5. L’article 52, paragraphe 1, de la directive 2004/18, intitulé «Listes officielles d’opérateurs économiques agréés et certification par des organismes de droit public ou privé», prévoit:
«Les États membres peuvent instaurer soit des listes officielles d’entrepreneurs, de fournisseurs ou de prestataires de services agréés soit une certification par des organismes de certification publics ou privés.
Les États membres adaptent les conditions d’inscription sur ces listes ainsi que celles pour la délivrance de certificats par les organismes de certification à l’article 45, paragraphe 1 et paragraphe 2, points a) à d) et g), à l’article 46, à l’article 47, paragraphes 1, 4 et 5, à l’article 48, paragraphes 1, 2, 5 et 6, à l’article 49 et, le cas échéant, à l’article 50.
Les États membres les adaptent également à l’article 47, paragraphe 2, et à l’article 48, paragraphe 3, pour les demandes d’inscription présentées par des opérateurs économiques faisant partie d’un groupe et faisant valoir des moyens mis à leur disposition par les autres sociétés du groupe. Ces opérateurs doivent prouver, dans ce cas, à l’autorité établissant la liste officielle qu’ils disposeront de ces moyens pendant toute la durée de validité du certificat attestant leur inscription à la liste
officielle et que ces sociétés continuent à remplir, pendant cette même durée, les exigences en matière de sélection qualitative prévues aux articles visés au deuxième alinéa dont ces opérateurs se prévalent pour leur inscription.»
B – Le droit national
6. L’article 49, paragraphe 6, du décret législatif no 163/2006 dispose, s’agissant de la participation à des procédures d’adjudication, que «pour les travaux, le soumissionnaire ne peut faire valoir qu’une seule entreprise auxiliaire pour chacune des catégories de qualification. L’appel d’offres peut autoriser le recours à plusieurs entreprises auxiliaires eu égard au montant de l’appel d’offres ou à la spécificité des prestations, sans préjudice de l’interdiction d’utilisation fractionnée, par le
soumissionnaire, de chacun des critères économico-financier et technico-organisationnel visés à l’article 40, paragraphe 3, sous b), qui ont permis la délivrance de l’attestation dans une catégorie».
III – Le litige de la procédure au principal et la question déférée
7. La partie requérante au principal, Raggruppamento Temporaneo Imprese (ci-après «RTI»), un consortium soumissionnaire ad hoc composé de Swm Costruzioni 2 SpA (chef de file) et de Mannocchi Luigino DI, lesquelles ont également la qualité de parties requérantes dans la procédure au principal, a participé à la procédure d’adjudication relative à un marché public de travaux pour la modernisation et l’extension de la Strada Provinciale (route provinciale) no 238 Valdaso.
8. La principale partie requérante, Swm Costruzioni 2 SpA, a fait valoir, s’agissant des travaux de modernisation et d’extension, les capacités de deux entreprises de la même catégorie de qualifications, afin de satisfaire aux exigences en matière de certification imposées par la Società Organismo di Attestazione, l’organisme de certification habilité à vérifier si les entreprises ont les qualifications nécessaires pour participer à des procédures d’adjudication et remplissent les exigences à cet
effet.
9. Le 2 août 2011, le pouvoir adjudicateur, la Provincia di Fermo, a envoyé à RTI sa décision datée du même jour l’écartant de la procédure d’adjudication. Cette décision était motivée par la violation de l’interdiction de faire valoir les capacités de plus d’une entreprise de la même catégorie, prévue à l’article 49, paragraphe 6, du décret législatif no 163/2006.
10. RTI a contesté cette décision par un recours formé le 5 août 2011 devant la juridiction de renvoi, le Tribunale amministrativo regionale per le Marche (Italie). Le recours de RTI était fondé sur l’argument selon lequel l’article 49, paragraphe 6, du décret législatif no 163/2006 n’était pas compatible avec les dispositions pertinentes de la directive 2004/18. Le Tribunale amministrativo regionale per le Marche a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle
suivante:
«L’article 47, paragraphe 2, de la directive 2004/18/CE doit-il être interprété en ce sens qu’il fait obstacle, en principe, à une réglementation d’un État membre, telle que la réglementation italienne contenue à l’article 49, paragraphe 6, du décret législatif no 163/2006, qui interdit, sauf cas particuliers, de faire valoir plus d’une entreprise auxiliaire, en prévoyant que ‘pour les travaux, le soumissionnaire ne peut faire valoir qu’une seule entreprise auxiliaire pour chacune des catégories
de qualification. L’appel d’offres peut autoriser le recours à plusieurs entreprises auxiliaires eu égard au montant de l’appel d’offres ou à la spécificité des prestations […]’?».
11. Swm Costruzioni 2 SpA. et Mannocchi Luigino DI, ainsi que le gouvernement italien et la Commission européenne, ont présenté des observations écrites.
IV – La portée de la question déférée
12. Le gouvernement italien relève que la procédure au principal concerne les capacités techniques et professionnelles d’une entreprise, et non sa capacité économique et financière, de sorte que l’article 48, paragraphe 3, de la directive 2004/18 constitue la disposition pertinente. La juridiction de renvoi s’est néanmoins référée uniquement à l’article 47, paragraphe 2, de la directive 2004/18, qui concerne la capacité économique et financière des entreprises participantes.
13. Je considère à cet égard qu’il est suffisant de se référer à la jurisprudence constante qui prévoit que l’ordonnance de renvoi d’une juridiction nationale fournit la base permettant de déterminer la portée de la question de droit de l’Union à interpréter, mais que la Cour n’est pas totalement liée par la formulation de la ou des question(s) posée(s). Il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler la question afin de donner au juge de renvoi une réponse utile qui lui permette de trancher le
litige dont il est saisi ( 4 ).
14. Les articles 47 et 48 de la directive 2004/18 sont cités conjointement dans l’article 44, paragraphe 2, de ladite directive, afin de permettre aux pouvoirs adjudicateurs d’«exiger des niveaux minimaux de capacités [...] auxquels les candidats et les soumissionnaires doivent satisfaire». Ces deux articles suivent la même logique, et les mêmes principes d’interprétation valent pour appliquer l’un et l’autre. Dans l’arrêt Strong Segurança ( 5 ), la Cour a relevé au passage que les articles 48,
paragraphe 3, et 47, paragraphe 2, de la directive 2004/18 sont en substance identiques. Ces deux dispositions codifient le principe juridique développé dans la jurisprudence de la Cour rendue à propos des directives antérieures en matière de marchés publics s’agissant des critères applicables en matière de sélection qualitative des candidats ou des soumissionnaires ( 6 ).
15. Au cours de la procédure écrite, la Cour a demandé aux parties de présenter leurs observations sur la pertinence, pour la présente affaire, de l’article 44, paragraphe 2, de la directive 2004/18, qui constitue la disposition générale relative à la vérification de l’aptitude et au choix des participants ainsi qu’à la passation de marchés ( 7 ). Seule la Commission a répondu dans le délai imparti et conclu qu’un examen dudit article 44, paragraphe 2, n’était pas pertinent en l’espèce.
16. Par conséquent, je considère que, afin de donner au Tribunale amministrativo regionale per le Marche une réponse utile dans la procédure au principal, l’arrêt de la Cour doit se concentrer sur l’interprétation à la fois de l’article 47, paragraphe 2, et de l’article 48, paragraphe 3, de la directive 2004/18.
V – Appréciation
17. À mon sens, une interprétation littérale des articles 47, paragraphe 2, et 48, paragraphe 3, de la directive 2004/18 ne plaide pas en faveur de la position selon laquelle une disposition nationale telle que l’article 49, paragraphe 6, du décret législatif no 163/2006 respecte le droit de l’Union des marchés publics.
18. Les articles 47, paragraphe 2, et 48, paragraphe 3, de la directive 2004/18 prévoient expressément que les opérateurs économiques peuvent, pour un marché déterminé, faire valoir les capacités d’autres entités pour établir qu’ils remplissent les exigences en matière de capacité économique et financière ainsi que de capacités techniques et professionnelles. En d’autres termes, ces dispositions se réfèrent à d’autres entités au pluriel. Il est utile d’observer que les articles 47, paragraphe 3,
et 48, paragraphe 4, de la directive 2004/18 prévoient la même possibilité pour les opérateurs économiques appartenant à un groupe.
19. L’article 52 de la directive 2004/18 prévoit la même possibilité s’agissant de l’inscription sur les listes officielles d’opérateurs économiques agréés ou de la délivrance de certificats permettant de participer à des procédures d’adjudication. Le libellé de l’article 52, paragraphe 1, de la directive 2004/18 indique aussi, par l’utilisation du pluriel autres sociétés, que le législateur de l’Union n’avait pas l’intention d’imposer de restrictions concernant le nombre d’entreprises auxiliaires
dont un soumissionnaire éventuel peut faire valoir la capacité.
20. Les articles 47, paragraphe 2, 48, paragraphe 3, et 52 de la directive 2004/18 codifient la jurisprudence constante de la Cour rendue à propos des directives antérieures en matière de marchés publics. Dans l’arrêt du 14 avril 1994, Ballast Nedam Groep, précité, la Cour a conclu qu’une holding qui n’exécute pas de travaux elle-même ne peut pas être empêchée de participer à des procédures de marchés publics de travaux au motif que ses filiales qui effectuent les travaux sont des personnes morales
distinctes, s’il peut être établi qu’elle a effectivement à sa disposition les ressources des filiales qui sont nécessaires pour exécuter le marché.
21. Dans l’arrêt du 18 décembre 1997, Ballast Nedam Groep, précité, la Cour a réaffirmé, en la précisant, la position qu’elle avait énoncée dans l’arrêt du 14 avril 1994, Ballast Nedam Groep, précité, et conclu qu’en évaluant la capacité technique d’une société mère, les autorités publiques qui dressent des listes d’entrepreneurs agréés ont l’obligation de prendre en compte la capacité technique des entreprises appartenant au même groupe.
22. Dans l’arrêt Holst Italia, précité, la Cour a appliqué la jurisprudence Ballast Nedam Groep, précitée, à une situation dans laquelle l’entreprise désireuse de participer à une adjudication n’était pas la personne morale dominante du groupe d’entreprises, et confirmé qu’une telle entreprise pouvait faire état des capacités d’autres entreprises du groupe, quelle que soit la nature juridique des liens qu’elle entretient avec celles-ci ( 8 ). La Cour a énoncé qu’un soumissionnaire ne peut être
écarté d’une procédure au seul motif qu’il entend mettre en œuvre des moyens qu’il ne détient pas en propre, mais qui appartiennent à une ou plusieurs entités autres que lui-même ( 9 ).
23. La jurisprudence ultérieure a confirmé cette position de la Cour selon laquelle le droit de l’Union n’exige pas que la personne désireuse de conclure un marché avec un pouvoir adjudicateur soit en mesure de réaliser directement la prestation convenue avec ses propres ressources pour pouvoir être qualifiée d’opérateur économique remplissant les conditions pour participer à une adjudication ( 10 ). La Cour a souligné que les entreprises souhaitant participer à une procédure d’adjudication doivent
établir qu’elles ont effectivement la disposition des moyens des autres entités qui sont nécessaires à l’exécution du marché. La charge de la preuve pèse sur le soumissionnaire qui invoque les ressources d’autres personnes ( 11 ).
24. Tant l’article 47, paragraphe 2, que l’article 48, paragraphe 3, de la directive 2004/18 prévoient, en des termes presque identiques, qu’«un opérateur économique peut [...] faire valoir les capacités d’autres entités». Ce libellé laisse entendre qu’est reconnu aux opérateurs économiques un droit à choisir cette méthode pour satisfaire aux critères de sélection, à la condition qu’ils puissent établir qu’ils ont effectivement à leur disposition les ressources des autres entités nécessaires pour
exécuter le marché.
25. Lorsque la capacité d’une entreprise à exécuter un marché public de travaux a été contestée dans un cas particulier, il incombe aux juridictions nationales d’examiner si les preuves adéquates ont été produites. Ainsi que je l’ai déjà observé, ce principe a été énoncé dans la jurisprudence de la Cour qui est désormais codifiée dans les articles 47, paragraphe 2, et 48, paragraphe 3, de la directive 2004/18 ( 12 ).
26. En outre, rien dans l’article 52 de la directive 2004/18 ne laisse entendre que cette disposition visait à limiter la portée des articles 47, paragraphe 2, et 48, paragraphe 3, de cette directive qui concernent la coopération entre des opérateurs économiques dans le contexte d’une adjudication pour un marché déterminé. Au contraire, ledit article 52, paragraphe 1, exige que les conditions applicables pour figurer sur des listes d’entrepreneurs, de fournisseurs ou de prestataires de services
agréés ou les conditions de certification soient adaptées au principe qui sous-tend les articles 47, paragraphe 2, et 48, paragraphe 3, de ladite directive en ce qui concerne les demandes d’inscription soumises par les opérateurs économiques appartenant à un groupe et faisant valoir que des ressources sont mises à leur disposition par d’autres sociétés du groupe.
27. L’inscription sur une liste officielle ou la certification au titre de l’article 52 de la directive 2004/18 valent présomption de l’aptitude des entreprises inscrites ou certifiées s’agissant uniquement des conditions sur lesquelles reposent l’inscription ou la certification. Les pouvoirs adjudicateurs ont une marge d’appréciation pour déterminer le niveau de capacité économique et financière ainsi que le niveau des connaissances et compétences techniques requis afin de participer à un marché
donné et, le cas échéant, pour solliciter des preuves qui vont au-delà de la présomption créée par l’inscription ou la certification ( 13 ).
28. En outre, la Cour a jugé que la directive 92/50/CEE ( 14 ) ne s’opposait pas à une interdiction ou à une restriction du recours à la sous-traitance pour l’exécution de parties essentielles du marché lorsque précisément le pouvoir adjudicateur n’a pas été en mesure de vérifier les capacités techniques et économiques des sous-traitants lors de l’examen des offres et de la sélection du soumissionnaire le mieux-disant ( 15 ).
29. Cela semble indiquer qu’une disposition nationale écartant des procédures d’adjudication des opérateurs économiques se fondant sur les capacités de plus d’une autre entité serait contraire au droit des opérateurs économiques à choisir cette méthode pour satisfaire aux critères de sélection et, par conséquent, ne serait pas compatible avec la directive 2004/18. En effet, la Cour a énoncé qu’un soumissionnaire faisant valoir les capacités techniques et économiques de tiers auxquels il compte faire
appel si le marché lui est attribué ne peut être écarté que s’il n’est pas en mesure d’établir qu’il a effectivement la disposition de ces capacités ( 16 ).
30. Il s’ensuit qu’une disposition nationale telle que l’article 49, paragraphe 6, du décret législatif no 163/2006, qui n’interdit pas totalement de faire valoir les capacités d’entreprises auxiliaires afin de satisfaire aux critères de sélection, mais qui néanmoins impose une restriction quantitative qui n’est pas prévue en droit de l’Union relatif à cette possibilité, ne peut pas être compatible avec la directive 2004/18.
31. L’analyse des objectifs des articles 47, paragraphe 2, et 48, paragraphe 3, de la directive 2004/18 vient conforter cet argument. Selon la Cour, l’un des objectifs des règles de l’Union en matière de marchés publics est l’ouverture à la concurrence la plus large possible, et il est de l’intérêt du droit de l’Union que soit assurée la participation la plus large possible de soumissionnaires à un appel d’offres ( 17 ).
32. Cet objectif d’ouverture à la concurrence la plus large possible est envisagé non pas uniquement au regard de l’intérêt en matière de libre circulation des produits et des services, mais également dans l’intérêt des pouvoirs adjudicateurs, qui disposeront ainsi d’un choix élargi quant à l’offre la plus avantageuse ( 18 ). L’exclusion de soumissionnaires fondée sur le nombre d’autres entités participant à l’exécution du marché, qui n’autorise qu’une entreprise auxiliaire par catégorie de critères
qualitatifs, ne permet pas de procéder à un examen au cas par cas, réduisant ainsi les choix du pouvoir adjudicateur et affectant la concurrence effective.
33. Un autre objectif des règles en matière de marchés publics est d’ouvrir les marchés publics à tous les opérateurs économiques, quelle que soit leur taille. L’inclusion des petites et moyennes entreprises (PME) doit particulièrement être encouragée étant donné qu’il est considéré qu’elles constituent le tissu vivant de l’économie européenne ( 19 ). Les chances des PME de participer à des adjudications et de se voir confier des marchés publics de travaux sont réduites, entre autres, par la taille
des marchés. Pour cette raison, la possibilité des soumissionnaires de participer à des groupes faisant valoir les capacités d’entreprises auxiliaires est particulièrement importante pour faciliter l’accès des PME aux marchés ( 20 ).
34. Enfin, je traiterai la question de la marge d’appréciation des États membres pour transposer la directive 2004/18. La Commission et le gouvernement italien estiment qu’une disposition nationale telle que l’article 49, paragraphe 6, du décret législatif no 163/2006 relève de la marge d’appréciation laissée aux États membres pour transposer ladite directive.
35. Selon la Commission, pour transposer correctement la directive 2004/18, il suffit que la possibilité de faire valoir la capacité d’une entreprise auxiliaire afin de respecter les niveaux de capacité économique et financière ainsi que de capacités techniques et/ou professionnelles ne soit pas exclue et que les principes énoncés dans la directive 2004/18 soient appliqués afin de garantir une sélection qualitative effective des soumissionnaires fondée sur des critères transparents, objectifs et non
discriminatoires.
36. Je ne conteste pas que les États membres disposent d’une marge d’appréciation relativement large pour transposer les directives relatives aux marchés publics. Néanmoins, celle-ci ne s’étend pas aux questions expressément couvertes par le législateur de l’Union, ce qui est à mon avis le cas de la possibilité de faire valoir les capacités de tiers dans le contexte de la présentation d’une offre en matière de marchés publics. Ainsi que je l’ai relevé ci-dessus, tant la jurisprudence de la Cour que
la directive 2004/18 autorisent expressément à faire valoir les capacités d’autres entités, quelle que soit la nature juridique des liens que l’entreprise a avec celles-ci.
37. Écarter les soumissionnaires qui font valoir les capacités de plus d’une entité auxiliaire par catégorie de critères de sélection qualitative favorise les grandes entreprises au détriment de consortiums ad hoc de PME. Il est probable que cela privilégie les acteurs locaux ou régionaux dominants, s’agissant de marchés publics de travaux qui correspondent à leurs capacités, mais qui dépassent la capacité des opérateurs de taille plus faible agissant seuls, et trop réduits pour intéresser des
entreprises nationales ou internationales plus importantes. Cela ne peut pas être considéré comme non discriminatoire.
38. Je souscris à l’avis du gouvernement italien lorsqu’il estime qu’il peut y avoir une différence entre les situations dans lesquelles un opérateur économique fait valoir la capacité économique et financière d’une autre entité et celles dans lesquelles il fait valoir des capacités techniques et/ou professionnelles. Dans certains cas, les capacités techniques et/ou professionnelles nécessaires doivent être possédées par une entité unique. Par exemple, si deux entreprises ayant une capacité de
50000 tonnes d’asphalte peuvent remplir ensemble la capacité requise de 100000 tonnes nécessaire pour la rénovation d’une autoroute, deux entreprises ayant chacune le niveau d’expertise requis pour la maintenance et la réparation d’horloges dans des gares ne remplissent pas automatiquement les critères de compétence requis pour effectuer des travaux de réparation d’horloges anciennes dans des églises médiévales.
39. Néanmoins, le problème tenant aux possibilités d’additionner certains types de capacités techniques et/ou professionnelles est indépendant, du point de vue qualitatif, du nombre d’entités sur les capacités desquelles un opérateur économique se fonde. Le fait que les opérateurs économiques puissent faire valoir les capacités d’autres entités pour remplir les conditions leur permettant de soumissionner n’évacue pas les réalités des procédures spécifiques d’adjudication. Ainsi, indépendamment du
point de savoir si un opérateur économique possède la capacité économique et financière ainsi que les capacités techniques et professionnelles par lui-même ou en faisant valoir les capacités d’autres opérateurs, il aura toujours à prouver qu’il remplit les critères prévus pour exécuter un marché public de travaux particulier.
40. En outre, l’article 48, paragraphe 5, de la directive 2004/18 prévoit, pour certaines catégories de marchés publics, des règles spécifiques pour évaluer les capacités d’opérateurs économiques en matière de savoir-faire, d’efficacité, d’expérience et de fiabilité. Cette disposition s’applique aussi aux opérateurs économiques qui font valoir les capacités techniques et/ou professionnelles d’autres entités. De plus, ainsi que je l’ai énoncé ci-dessus, dans le cas de listes officielles ou d’une
certification nationale, les pouvoirs adjudicateurs conservent une marge d’appréciation pour déterminer le niveau de capacité financière et économique ainsi que les connaissances et compétences techniques requises afin de participer à un marché donné.
VI – Conclusion
41. Sur la base de ce qui précède, je propose que la Cour donne la réponse suivante au Tribunale amministrativo regionale per le Marche:
Les articles 47, paragraphe 2, et 48, paragraphe 3, de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, font obstacle à une législation nationale telle que celle en cause dans la procédure au principal, qui interdit, sauf cas particuliers, de faire valoir les capacités de plus d’une entreprise auxiliaire afin de satisfaire aux critères de sélection
concernant la capacité économique et financière ainsi que les capacités techniques et/ou professionnelles d’un opérateur économique.
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( 1 ) Langue originale: l’anglais.
( 2 ) JO L 134, p. 114.
( 3 ) Articles 47, paragraphe 2, et 48, paragraphe 3, de la directive 2004/18.
( 4 ) Voir arrêt du 11 juillet 2002, Marks & Spencer (C-62/00, Rec. p. I-6325, point 32 et jurisprudence citée). Voir aussi, en dernier lieu, arrêt du 21 juillet 2011, Stewart (C-503/09, Rec. p. I-6497, point 105).
( 5 ) Arrêt du 17 mars 2011 (C-95/10, Rec. p. I-1865, point 13).
( 6 ) Voir, notamment, arrêts du 14 avril 1994, Ballast Nedam Groep (C-389/92, Rec. p. I-1289); du 18 décembre 1997, Ballast Nedam Groep (C-5/97, Rec. p. I-7549), et du 2 décembre 1999, Holst Italia (C-176/98, Rec. p. I-8607).
( 7 ) L’article 44, paragraphe 2, de la directive 2004/18 prévoit:
«Les pouvoirs adjudicateurs peuvent exiger des niveaux minimaux de capacités, conformément aux articles 47 et 48, auxquels les candidats et les soumissionnaires doivent satisfaire.
L’étendue des informations visées aux articles 47 et 48 ainsi que les niveaux minimaux de capacités exigés pour un marché déterminé doivent être liés et proportionnés à l’objet du marché. Ces niveaux minimaux sont indiqués dans l’avis de marché.»
( 8 ) Arrêt Holst Italia, précité (point 31).
( 9 ) Arrêt Holst Italia, précité (point 26).
( 10 ) Voir, notamment, arrêt du 23 décembre 2009, CoNISMa (C-305/08, Rec. p. I-12129, point 41 et jurisprudence citée).
( 11 ) Voir arrêt du 18 mars 2004, Siemens et ARGE Telekom (C-314/01, Rec. p. I-2549, point 44 et jurisprudence citée).
( 12 ) Arrêts précités du 14 avril 1994, Ballast Nedam Groep (point 17) ainsi que Holst Italia (points 29 et 30).
( 13 ) Voir arrêt du 9 juillet 1987, CEI et Bellini (27/86 à 29/86, Rec. p. 3347, points 25 à 27).
( 14 ) Directive du Conseil du 18 juin 1992 portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1), abrogée par la directive 2004/18.
( 15 ) Arrêt Siemens et ARGE Telekom, précité (point 45).
( 16 ) Voir arrêt Siemens et ARGE Telekom, précité (point 46).
( 17 ) Voir arrêt CoNISMa, précité (point 37 et jurisprudence citée).
( 18 ) Voir arrêt CoNISMa, précité (point 37 et jurisprudence citée).
( 19 ) Voir, notamment, livre vert de la Commission sur la modernisation de la politique de l’UE en matière de marchés publics. Vers un marché européen des contrats publics plus performant [COM(2011) 15 final].
( 20 ) Le document d’orientation de la Commission intitulé «Code européen de bonnes pratiques facilitant l’accès des PME aux marchés publics» recommande de tirer profit de la possibilité pour les opérateurs économiques de faire valoir conjointement leurs capacités économiques et financières ainsi que leurs capacités techniques au stade de la sélection dans les procédures d’adjudication. Voir le document de travail de la Commission intitulé «Code européen des bonnes pratiques facilitant l’accès des
PME aux marchés publics» [SEC(2008) 2193].