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18/04/2013 | CJUE | N°C‑247/12

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Meliha Veli Mustafa contre Direktor na fond «Garantirani vzemania na rabotnitsite i sluzhitelite» kam Natsionalnia osiguritelen institut., 18/04/2013, C‑247/12


ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

18 avril 2013 ( *1 )

«Protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur — Directive 80/987/CEE — Directive 2002/74/CE — Directive 2008/94/CE — Articles 2 et 3 — Obligation de prévoir des garanties pour les créances des travailleurs salariés — Possibilité de limitation de la garantie aux créances antérieures à la transcription au registre du commerce du jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire — Jugement d’ouverture de la procédure de redressement judi

ciaire — Effets —
Poursuite des activités de l’employeur»

Dans l’affaire C‑247/12,

ayant...

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

18 avril 2013 ( *1 )

«Protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur — Directive 80/987/CEE — Directive 2002/74/CE — Directive 2008/94/CE — Articles 2 et 3 — Obligation de prévoir des garanties pour les créances des travailleurs salariés — Possibilité de limitation de la garantie aux créances antérieures à la transcription au registre du commerce du jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire — Jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire — Effets —
Poursuite des activités de l’employeur»

Dans l’affaire C‑247/12,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Varhoven administrativen sad (Bulgarie), par décision du 9 mai 2012, parvenue à la Cour le 21 mai 2012, dans la procédure

Meliha Veli Mustafa

contre

Direktor na fond «Garantirani vzemania na rabotnitsite i sluzhitelite» kam Natsionalnia osiguritelen institut,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. T. von Danwitz (rapporteur), président de chambre, MM. A. Rosas, E. Juhász, D. Šváby et C. Vajda, juges,

avocat général: M. Y. Bot,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

— pour le Direktor na fond «Garantirani vzemania na rabotnitsite i sluzhitelite» kam Natsionalnia osiguritelen institut, par Mme V. Karaivanova-Nacheva, en qualité d’agent,

— pour le gouvernement bulgare, par Mme D. Drambozova, en qualité d’agent,

— pour le gouvernement allemand, par Mme A. Wiedmann, en qualité d’agent,

— pour la Commission européenne, par MM. J. Enegren et D. Roussanov, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur (JO L 283, p. 23), telle que modifiée par la directive 2002/74/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 septembre 2002 (JO L 270, p. 10, ci-après la «directive 80/987»).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Mustafa au Direktor na fond «Garantirani vzemania na rabotnitsite i sluzhitelite» kam Natsionalnia osiguritelen institut (directeur du fonds «Créances garanties des travailleurs» près l’institut national de la sécurité sociale, ci-après le «Direktor»), au sujet du refus de celui-ci d’accorder le paiement de créances nées dans le chef de la requérante au principal contre son employeur en procédure d’insolvabilité.

Le cadre juridique

La réglementation de l’Union

3 La directive 80/987, dans sa version initiale, ayant été modifiée à plusieurs reprises et de façon substantielle, en particulier par la directive 2002/74, il a été procédé, dans un souci de clarté et de rationalité, à une codification de cette directive 80/987 par la directive 2008/94/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, relative à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur (JO L 283, p. 36).

4 Selon le considérant 4 de la directive 2008/94, dont le libellé est pratiquement identique à celui du considérant 5 de la directive 2002/74:

«En vue d’assurer une protection équitable des travailleurs salariés concernés, il est indiqué de définir l’état d’insolvabilité à la lumière des tendances législatives dans les États membres en la matière et de couvrir, par cette notion, également des procédures d’insolvabilité autres que la liquidation. Dans ce contexte, les États membres devraient avoir la faculté de prévoir, en vue de déterminer l’obligation de paiement de l’institution de garantie, que, lorsqu’une situation d’insolvabilité
donne lieu à plusieurs procédures d’insolvabilité, une telle situation est traitée comme s’il s’agissait d’une seule procédure d’insolvabilité.»

5 Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2008/94:

«Aux fins de la présente directive, un employeur est considéré comme se trouvant en état d’insolvabilité lorsqu’a été demandée l’ouverture d’une procédure collective fondée sur l’insolvabilité de l’employeur, prévue par les dispositions législatives, réglementaires et administratives d’un État membre, qui entraîne le dessaisissement partiel ou total de cet employeur ainsi que la désignation d’un syndic, ou une personne exerçant une fonction similaire, et que l’autorité qui est compétente en vertu
desdites dispositions a:

а) soit décidé l’ouverture de la procédure,

b) soit constaté la fermeture définitive de l’entreprise ou de l’établissement de l’employeur, ainsi que l’insuffisance de l’actif disponible pour justifier l’ouverture de la procédure.»

6 L’article 3 de ladite directive prévoit:

«Les États membres prennent les mesures nécessaires afin que les institutions de garantie assurent, sous réserve de l’article 4, le paiement des créances impayées des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail y compris, lorsque le droit national le prévoit, des dédommagements pour cessation de la relation de travail.

Les créances prises en charge par l’institution de garantie sont les rémunérations impayées correspondant à une période se situant avant et/ou, le cas échéant, après une date déterminée par les États membres.»

7 Aux termes de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive 2008/94:

«1.   Les États membres ont la faculté de limiter l’obligation de paiement des institutions de garantie visée à l’article 3.

2.   Lorsque les États membres font usage de la faculté visée au paragraphe 1, ils fixent la durée de la période donnant lieu au paiement des créances impayées par l’institution de garantie. Cette durée ne peut toutefois être inférieure à une période portant sur la rémunération des trois derniers mois de la relation de travail se situant avant et/ou après la date visée à l’article 3, deuxième alinéa.

Les États membres peuvent inscrire cette période minimale de trois mois dans une période de référence dont la durée ne peut être inférieure à six mois.

Les États membres qui prévoient une période de référence d’au moins dix-huit mois peuvent limiter à huit semaines la période donnant lieu au paiement des créances impayées par l’institution de garantie. Dans ce cas, les périodes les plus favorables au travailleur salarié sont retenues pour le calcul de la période minimale.»

8 L’article 11, premier alinéa, de cette directive dispose:

«La présente directive ne porte pas atteinte à la faculté des États membres d’appliquer ou d’introduire des dispositions législatives, réglementaires ou administratives plus favorables aux travailleurs salariés.»

La réglementation bulgare

9 L’article 6 de la loi sur la protection des créances des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur (Zakon za garantiranite vzemania na rabotnitsite i sluzhitelite pri nesastoyatelnost na rabotodatelia), dans sa version entrée en vigueur le 5 mars 2011 (ci-après la «loi sur la protection des créances des salariés»), prévoit:

«Le droit à des créances garanties naît dans le chef des travailleurs […] à compter de la date de transcription au registre du commerce du jugement:

1. d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire;

2. d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire et de constatation concomitante de la cessation des paiements;

3. d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, de cessation des activités de l’entreprise, de constatation de cessation des paiements de la part du débiteur et de suspension de la procédure pour actif insuffisant aux fins de la prise en charge des dépens.»

10 Conformément à l’article 22, paragraphe 1, point 1, de la loi sur la protection des créances des salariés, les créances garanties sont d’un montant équivalant aux trois derniers salaires calculés, mais impayés, et aux indemnités compensatrices de congés pour les six derniers mois civils précédant le mois au cours duquel le jugement visé à l’article 6 de ladite loi a été transcrit, mais sans dépasser le montant maximal des créances garanties en pareille hypothèse, si le travailleur a entretenu une
relation de travail avec le même employeur pendant au moins trois mois.

11 Selon l’article 25 de la loi sur la protection des créances des salariés, la protection des créances est accordée sur la base d’une déclaration envoyée par le travailleur salarié dans un délai de 30 jours à compter de la date de transcription du jugement visé à l’article 6 de cette loi.

12 L’article 607, paragraphe 1, de la loi sur le commerce (Targovski zakon), dans sa version entrée en vigueur le 3 mai 2011 (ci-après le «TZ»), prévoit que la procédure de redressement judiciaire a pour finalité d’assurer la satisfaction équitable des créanciers et la possibilité d’un redressement de l’entreprise du débiteur.

13 L’article 630, paragraphe 1, du TZ, régit le contenu du jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, qui, premièrement, constate l’insolvabilité et fixe la date de sa survenance, deuxièmement, ouvre la procédure de redressement judiciaire, troisièmement, désigne un liquidateur à titre provisoire, quatrièmement, autorise des saisies conservatoires sur les biens meubles, une saisie immobilière ou d’autres mesures conservatoires et, cinquièmement, fixe la date de la première
assemblée des créanciers.

14 Conformément à l’article 710 du TZ, le tribunal constate que le débiteur est en état de cessation des paiements si le plan prévu à l’article 696 du TZ n’a pas été proposé dans le délai légal, ou bien si le plan proposé n’a pas été adopté ou ratifié, de même que dans les cas visés aux articles 630, paragraphe 2, 632, paragraphe 1, et 709, paragraphe 1, du TZ.

15 Par le «jugement de constatation de la cessation des paiements», dont l’article 711 du TZ détermine le contenu, le tribunal, premièrement, constate que le débiteur est en état de cessation des paiements et ordonne la cessation des activités de l’entreprise, deuxièmement, ordonne des saisies complètes sur le patrimoine du débiteur, troisièmement, met un terme aux prérogatives des organes sociaux du débiteur personne morale, quatrièmement, prive le débiteur du droit d’administrer les biens compris
dans la masse de la faillite et d’en disposer et, cinquièmement, ordonne la liquidation et le partage des biens compris dans la masse de la faillite.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

16 La requérante au principal a travaillé sur le fondement d’un contrat de travail sans interruption entre le 19 juin 2006 et le 20 avril 2011 pour Orfey – Kardzhali EOOD (ci-après «Orfey»).

17 Par jugement du 25 février 2010, pris sur le fondement de l’article 630, paragraphe 1, du TZ, l’Okrazhen sad Kardzhali a constaté qu’Orfey était insolvable à compter du 22 juillet 2009, ouvert une procédure de redressement judiciaire, ordonné la poursuite des activités d’Orfey, désigné un liquidateur à titre provisoire et fixé la date de la première assemblée des créanciers. Ce jugement a été transcrit au registre du commerce le 2 mars 2010.

18 Par jugement du 13 mai 2011, pris sur le fondement des articles 710 et 711 du TZ, l’Okrazhen sad Kardzhali a constaté qu’Orfey était en état de cessation des paiements et a ordonné tant la cessation des activités que la liquidation et le partage des biens compris dans la masse de la faillite. Ce jugement a été transcrit au registre du commerce le 20 mai 2011.

19 Il est constant, dans l’affaire au principal, que Mme Mustafa détient des créances exigibles mais impayées contre Orfey au titre d’une rémunération brute pour le mois d’avril 2011 et d’une indemnité compensatrice de congés annuels également née postérieurement au 2 mars 2010. Par demande du 16 juin 2011, elle a réclamé au fonds de garantie le paiement de ces créances.

20 Le Direktor a rejeté cette demande aux motifs, d’une part, que la demande n’a pas été soumise dans le délai légal de 30 jours à compter de la date de transcription au registre du commerce du jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire et, d’autre part, que la créance alléguée est née après ladite transcription. Or, le fonds de garantie n’interviendrait que pour les salaires et les indemnités compensatrices de congés impayés nés au cours des six derniers mois civils précédant
le mois au cours duquel le jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire a été transcrit au registre du commerce.

21 La requérante au principal a alors formé un recours contre cette décision devant l’Administrativen sad Kardzhali, qui a également été rejeté au motif que les créances étaient nées après la date de transcription au registre du commerce du jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire d’Orfey. Par la suite, la requérante au principal s’est pourvue devant le Varhoven administrativen sad.

22 Cette juridiction relève que le litige au principal porte, notamment, sur la question de savoir si la garantie doit couvrir les créances d’un travailleur contre son employeur qui sont nées, d’une part, postérieurement à la transcription au registre du commerce du jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire de l’employeur constatant l’insolvabilité de celui-ci et, d’autre part, antérieurement à la transcription, au même registre, du jugement constatant la cessation des
paiements et ordonnant la cessation des activités de l’employeur ainsi que la liquidation et le partage des biens compris dans la masse de la faillite.

23 Soulignant que le droit bulgare prévoit uniquement une garantie des créances des travailleurs nées avant la date de transcription au registre du commerce du premier de ces deux jugements, la juridiction de renvoi émet des doutes quant à la compatibilité d’une telle réglementation nationale avec la directive 80/987, étant donné que ce jugement ne constate pas encore la «cessation des paiements» et ne fait pas cesser les activités de l’employeur.

24 Or, la juridiction de renvoi s’interroge sur le fait de savoir si la notion d’«insolvabilité», au sens de l’article 2 de la directive 80/987, correspond à la notion de «cessation des paiements», qui, selon le droit bulgare, est constatée non pas lors de l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire prononcée sur le fondement de l’article 630, paragraphe 1, du TZ, mais postérieurement, dans le cadre du jugement pris sur le fondement de l’article 711 du TZ, ordonnant concomitamment la
cessation des activités du débiteur. La juridiction de renvoi cherche donc à savoir si ladite directive doit être interprétée en ce sens qu’elle oblige les États membres à prévoir une garantie des créances salariales nées jusqu’à ce dernier jugement.

25 Dans ces conditions, le Varhoven administrativen sad a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) Faut-il que l’article 2, paragraphe 1, de la directive [80/987], lu en combinaison avec le considérant [5] de la directive [2002/74], soit interprété en ce sens qu’il met à la charge des États membres une obligation de prévoir des garanties pour les créances des travailleurs au cours de la procédure de redressement judiciaire à chaque étape de cette procédure, et ce jusqu’à la constatation de la cessation des paiements, et non pas seulement à l’ouverture de ladite procédure?

2) Une règle de droit national qui prévoit une possibilité de prise en charge, par l’institution de garantie, des créances impayées des travailleurs salariés résultant de relations de travail, nées seulement jusqu’à la date de transcription du jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, s’oppose-t-elle à l’article 2, paragraphe 1, de la directive [80/987], lorsque ledit jugement ne fait pas cesser les activités de la société employeur et ne constate pas que celle-ci est en
état de cessation des paiements?

3) En cas de réponses affirmatives aux deux questions précédentes, dans des cas comme celui en l’espèce, l’article 2, paragraphe 1, de la directive [80/987] est-il d’effet direct et directement applicable par la juridiction nationale?

4) En cas de réponses affirmatives aux trois questions précédentes, est-il possible de retenir, en application du principe d’effectivité et en l’absence de cadre juridique national précis pour ce qui est du délai pour exercer le droit d’exiger de la part de l’institution de garantie le paiement des créances des travailleurs, nées jusqu’à la date de transcription du jugement constatant que l’employeur est en état de cessation des paiements – et faisant cesser ses activités –, un délai de 30 jours,
fixé en droit national, pour l’exercice du droit susmentionné en d’autres hypothèses que celle précitée, en prenant pour point de départ la date de transcription au registre du commerce du jugement constatant la cessation des paiements?»

Sur les questions préjudicielles

26 Il convient d’observer, à titre liminaire, que, si les questions visent l’interprétation de la directive 80/987, les faits pertinents au principal ont toutefois eu lieu postérieurement à l’entrée en vigueur de la directive 2008/94, qui abroge et reprend, en substance, les dispositions pertinentes de la directive 80/987, et qui ne prévoit pas de délai de transposition. Dès lors, il convient de faire porter le présent examen sur les dispositions de la directive 2008/94.

Sur les première et deuxième questions

27 Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 2008/94 doit être interprétée en ce sens qu’elle oblige les États membres à prévoir des garanties pour les créances des travailleurs à chaque étape de la procédure d’insolvabilité de leur employeur et, en particulier, s’oppose à ce que les États membres prévoient une garantie uniquement pour les créances des travailleurs nées avant la transcription au
registre du commerce du jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, bien que ce jugement n’ordonne pas la cessation des activités de l’employeur.

28 Afin de répondre à ces questions, il convient de vérifier, d’une part, si une procédure collective fondée sur l’«insolvabilité», au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2008/94, peut être déclenchée par un jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire tel que celui prévu par le droit bulgare, ainsi que, d’autre part, si les articles 3 et 4 de cette directive permettent de déterminer la date de transcription au registre du commerce du jugement d’ouverture de la
procédure de redressement judiciaire en tant que date de référence avant laquelle les créances des travailleurs sont garanties.

29 Il ressort de la décision de renvoi que la procédure de redressement judiciaire a comporté deux décisions successives, la première ouvrant la procédure de redressement judiciaire et la seconde ordonnant la cessation des activités. Or, le droit bulgare prévoit que la période de référence donnant lieu à une garantie des créances se situe antérieurement à la transcription au registre du commerce de la décision d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, de sorte que seules les créances
des travailleurs nées avant cette date sont couvertes par ladite garantie, tandis que celles nées après ne le sont pas.

30 En premier lieu, il convient de relever que l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2008/94 ouvre le champ d’application de cette directive et, ce faisant, conditionne le déclenchement de la garantie telle que prévue par ladite directive (voir, en ce sens, arrêts du 10 juillet 1997, Bonifaci e.a. et Berto e.a., C-94/95 et C-95/95, Rec. p. I-3969, point 36, ainsi que Maso e.a., C-373/95, Rec. p. I-4051, point 46).

31 À cet égard, il résulte des termes mêmes de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2008/94 que, pour qu’un employeur soit considéré comme se trouvant en état d’insolvabilité, il est nécessaire qu’ait été demandée l’ouverture d’une procédure collective fondée sur l’insolvabilité de l’employeur, prévue par des dispositions législatives, réglementaires et administratives d’un État membre, qui entraîne le dessaisissement partiel ou total de cet employeur, ainsi que la désignation d’un syndic ou
d’une personne exerçant une fonction similaire, et que l’autorité compétente en vertu des dispositions nationales susmentionnées ait soit décidé l’ouverture de cette procédure, soit constaté la fermeture définitive de l’entreprise ou de l’établissement de l’employeur ainsi que l’insuffisance de l’actif disponible pour justifier l’ouverture d’une telle procédure.

32 Dès lors, il apparaît que, pour que la garantie prévue par la directive 2008/94 s’applique, deux conditions doivent être réunies. D’une part, l’ouverture d’une procédure collective fondée sur l’insolvabilité de l’employeur doit avoir été demandée et, d’autre part, soit une décision d’ouverture de cette procédure, soit, en cas d’insuffisance de l’actif pour justifier l’ouverture d’une telle procédure, une constatation de la fermeture définitive de l’entreprise doit être intervenue.

33 Or, en présence du prononcé d’une telle décision d’ouverture, l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2008/94 n’exige pas que la procédure collective en cause doive nécessairement aboutir à la cessation de l’activité de l’employeur.

34 Cette conclusion est corroborée par le considérant 4 de la directive 2008/94, qui énonce qu’il est indiqué de définir l’état d’insolvabilité à la lumière des tendances législatives dans les États membres et de couvrir par la définition de l’«état d’insolvabilité» également des procédures d’insolvabilité autres que la liquidation.

35 S’agissant du droit bulgare, il convient de relever que le libellé de l’article 630, paragraphe 1, du TZ indique expressément que le jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire constate l’insolvabilité et fixe la date de sa survenance. Or, cette disposition utilise le même terme pour désigner l’insolvabilité que celui apparaissant dans la version bulgare de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2008/94.

36 En outre, et comme le relève la Commission européenne, conformément à l’article 2, sous a), du règlement (CE) no 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d’insolvabilité (JO L 160, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 1791/2006 du Conseil, du 20 novembre 2006 (JO L 363, p. 1), l’annexe A de ce règlement détermine que la procédure de redressement judiciaire bulgare au titre des articles 607 et suivants du TZ constitue une «procédure d’insolvabilité», au sens de
l’article 1er, paragraphe 1, dudit règlement. Or, cette dernière disposition décrit les «procédures collectives fondées sur l’insolvabilité» de la même manière que l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2008/94, en ce qu’il est requis que ladite procédure entraîne le dessaisissement partiel ou total du débiteur ainsi que la désignation d’un syndic.

37 Dès lors, l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2008/94 n’exige pas, pour que la garantie prévue par cette directive soit applicable, que la cessation des activités de l’employeur ait été ordonnée.

38 En second lieu, il convient de vérifier si les articles 3 et 4 de ladite directive permettent de déterminer la date de transcription au registre du commerce du jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire en tant que date de référence après laquelle les créances des travailleurs ne sont plus garanties.

39 À cet égard, l’article 3, second alinéa, de la directive 2008/94 donne aux États membres la faculté de déterminer la date avant et/ou, le cas échant, après laquelle se situe la période durant laquelle les créances correspondant à des rémunérations impayées sont prises en charge par l’institution de garantie.

40 S’agissant de la détermination de cette date par les États membres, il y a lieu de relever que l’article 3, paragraphe 2, de la directive 80/987, dans sa version initiale, avant sa modification par la directive 2002/74, ne prévoyait le choix pour les États membres que parmi trois dates de référence qu’il énumérait.

41 Or, les modifications apportées par la directive 2002/74 et maintenues par la directive 2008/94 ont supprimé la mention de ces trois dates et l’article 3, second alinéa, de cette dernière directive laisse dès lors aux États membres la liberté de déterminer une date appropriée.

42 Enfin, il convient de relever que l’article 11, premier alinéa, de la directive 2008/94 ne porte pas atteinte à la faculté des États membres d’appliquer ou d’introduire des dispositions législatives, réglementaires ou administratives plus favorables aux travailleurs salariés, et ainsi de prolonger la période de garantie d’une manière appropriée s’ils l’estiment opportun (voir, en ce sens, arrêt du 15 mai 2003, Mau, C-160/01, Rec. p. I-4791, point 32).

43 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre aux première et deuxième questions que la directive 2008/94 doit être interprétée en ce sens qu’elle n’oblige pas les États membres à prévoir des garanties pour les créances des travailleurs à chaque étape de la procédure d’insolvabilité de leur employeur. En particulier, elle ne s’oppose pas à ce que les États membres prévoient une garantie uniquement pour les créances des travailleurs nées avant la transcription au registre du commerce du
jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, bien que ce jugement n’ordonne pas la cessation des activités de l’employeur.

Sur les troisième et quatrième questions

44 Compte tenu de la réponse apportée aux première et deuxième questions, il n’y a pas lieu de répondre aux troisième et quatrième questions.

Sur les dépens

45 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit:

  La directive 2008/94/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, relative à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur, doit être interprétée en ce sens qu’elle n’oblige pas les États membres à prévoir des garanties pour les créances des travailleurs à chaque étape de la procédure d’insolvabilité de leur employeur. En particulier, elle ne s’oppose pas à ce que les États membres prévoient une garantie uniquement pour les créances des travailleurs
nées avant la transcription au registre du commerce du jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, bien que ce jugement n’ordonne pas la cessation des activités de l’employeur.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure: le bulgare.


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : C‑247/12
Date de la décision : 18/04/2013
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Varhoven administrativen sad.

Protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur – Directive 80/987/CEE – Directive 2002/74/CE – Directive 2008/94/CE – Articles 2 et 3 – Obligation de prévoir des garanties pour les créances des travailleurs salariés – Possibilité de limitation de la garantie aux créances antérieures à la transcription au registre du commerce du jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire – Jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire – Effets – Poursuite des activités de l’employeur.

Politique sociale


Parties
Demandeurs : Meliha Veli Mustafa
Défendeurs : Direktor na fond «Garantirani vzemania na rabotnitsite i sluzhitelite» kam Natsionalnia osiguritelen institut.

Composition du Tribunal
Avocat général : Bot
Rapporteur ?: von Danwitz

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2013:256

Source

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