CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. PEDRO CRUZ VILLALÓN
présentées le 5 septembre 2013 ( 1 )
Affaire C‑327/12
Ministero dello Sviluppo economico,
Autorità per la vigilanza sui contratti pubblici di lavori, servizi e forniture
contre
SOA Nazionale Costruttori – Organismo di Attestazione SpA
[demande de décision préjudicielle formée par le Consiglio di Stato (Italie)]
«Sociétés privées chargées de vérifier et de certifier que les conditions légalement requises des entreprises soumissionnaires dans des appels d’offres de travaux publics sont remplies — Tarifs minimaux obligatoires fixés par le gouvernement — Article 106 TFUE — Règles de concurrence — Notion d’‘entreprise’ — Notion de ‘droits spéciaux ou exclusifs’ — Liberté d’établissement — Article 49 TFUE — Justification»
1. Par la présente question préjudicielle, le Consiglio di Stato (Italie) exprime des doutes quant à la conformité avec le droit de l’Union du régime juridique italien de tarifs minimaux obligatoires applicables aux sociétés dénommées «sociétés organismes d’attestation» (ci-après «SOA»), habilitées à émettre des certificats de viabilité aux entreprises souhaitant participer à des procédures de passation de travaux publics.
2. La présente affaire permettra à la Cour de se prononcer une fois de plus sur un régime tarifaire national obligatoire, dans un contexte toutefois inédit. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Arduino ( 2 ), la Cour a déjà eu l’occasion d’examiner le régime italien de tarifs minimaux obligatoires applicable à la profession d’avocat au regard des règles de concurrence (articles 101 TFUE et 106 TFUE). Par la suite, l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Cipolla e.a. ( 3 ) a permis à la Cour
d’examiner de nouveau cette réglementation, cette fois du point de vue de la libre prestation de services (article 54 TFUE). Quant à la présente affaire, elle concerne des organismes semi-publics qui opèrent sur un marché concurrentiel et dont la fonction consiste à émettre des certificats d’une importance juridique et économique considérable, circonstances qui définissent à elles seules le caractère singulier de l’affaire.
I – Le cadre juridique
A – Le cadre juridique de l’Union
3. La directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO L 134, p. 114), prévoit à son article 52 la possibilité pour les États membres de créer des organismes de certification, publics ou privés, dans les termes suivants:
«Article 52
Listes officielles d’opérateurs économiques agréés et certification par des organismes de droit public ou privé
1. Les États membres peuvent instaurer soit des listes officielles d’entrepreneurs, de fournisseurs ou de prestataires de services agréés soit une certification par des organismes de certification publics ou privés.
Les États membres adaptent les conditions d’inscription sur ces listes ainsi que celles pour la délivrance de certificats par les organismes de certification à l’article 45, paragraphe 1 et paragraphe 2, points a) à d) et g), à l’article 46, à l’article 47, paragraphes 1, 4 et 5, à l’article 48, paragraphes 1, 2, 5 et 6, à l’article 49 et, le cas échéant, à l’article 50.
Les États membres les adaptent également à l’article 47, paragraphe 2, et à l’article 48, paragraphe 3, pour les demandes d’inscription présentées par des opérateurs économiques faisant partie d’un groupe et faisant valoir des moyens mis à leur disposition par les autres sociétés du groupe. Ces opérateurs doivent, dans ce cas, prouver à l’autorité établissant la liste officielle qu’ils disposeront de ces moyens pendant toute la durée de validité du certificat attestant leur inscription à la liste
officielle et que ces sociétés continuent à remplir pendant cette même durée les exigences en matière de sélection qualitative prévues aux articles visés au deuxième alinéa dont ces opérateurs se prévalent pour leur inscription.
2. Les opérateurs économiques inscrits sur des listes officielles ou ayant un certificat peuvent présenter aux pouvoirs adjudicateurs, à l’occasion de chaque marché, un certificat d’inscription délivré par l’autorité compétente ou le certificat délivré par l’organisme de certification compétent. Ces certificats indiquent les références qui ont permis l’inscription sur la liste/la certification ainsi que la classification que cette liste comporte.
3. L’inscription certifiée par les organismes compétents sur des listes officielles ou le certificat délivré par l’organisme de certification ne constitue une présomption d’aptitude, à l’égard des pouvoirs adjudicateurs des autres États membres, que par rapport à l’article 45, paragraphe 1 et paragraphe 2, points a) à d) et g), à l’article 46, à l’article 47, paragraphe 1, points b) et c), et à l’article 48, paragraphe 2, points a) i), b), e), g) et h), pour les entrepreneurs, paragraphe 2,
points a) ii), b), c), d) et j), pour les fournisseurs, et paragraphe 2, points a) ii) et c) à i), pour les prestataires de services.
4. Les renseignements qui peuvent être déduits de l’inscription sur des listes officielles ou de la certification ne peuvent être mis en cause sans justification. En ce qui concerne le versement des cotisations de sécurité sociale et le paiement des impôts et taxes, une attestation supplémentaire peut être exigée, à l’occasion de chaque marché, de tout opérateur économique.
Le bénéfice du paragraphe 3 et du premier alinéa du présent paragraphe n’est accordé par les pouvoirs adjudicateurs des autres États membres qu’aux opérateurs économiques établis dans l’État membre qui a dressé la liste officielle.
5. Pour l’inscription des opérateurs économiques des autres États membres sur une liste officielle ou pour leur certification par les organismes visés au paragraphe 1, il ne peut être exigé d’autres preuves et déclarations que celles demandées aux opérateurs économiques nationaux et, en tout cas, pas d’autres que celles prévues aux articles 45 à 49 et, le cas échéant, à l’article 50.
Toutefois, une telle inscription ou certification ne peut pas être imposée aux opérateurs économiques des autres États membres en vue de leur participation à un marché public. Les pouvoirs adjudicateurs reconnaissent les certificats équivalents des organismes établis dans d’autres États membres. Ils acceptent également d’autres moyens de preuves équivalents.
[…]
7. Les organismes de certification visés au paragraphe 1 sont des organismes qui répondent aux normes européennes en matière de certification.
[…]»
B – Le cadre juridique italien
4. La loi no 109, du 11 février 1994, portant réforme du cadre législatif italien du secteur des travaux publics, a introduit le système dit «d’agrément unique», qui s’applique obligatoirement à toute entreprise désirant participer à une procédure de passation de travaux publics d’un montant supérieur à 150 000 euros. Conformément à la faculté reconnue aux États membres par l’article 52 de la directive 2004/18, la législation exige des entreprises concernées qu’elles obtiennent un certificat
constatant que les conditions techniques et financières minimales sont remplies, certificat dont la délivrance incombe exclusivement aux SOA.
5. En vertu du décret no 34 du président de la République, du 25 janvier 2000 (ci-après le «décret no 34/2000»), modifié et complété en 2010 par le décret no 207 du président de la République, du 5 octobre 2010 (ci-après le «décret no 207/2010»), il est constant que les SOA sont des sociétés anonymes à capital privé régies par le droit privé et autorisées à exercer leur activité sur le marché après autorisation de l’Autorità per la vigilanza sui contratti pubblici di lavori, servizi e forniture
(Autorité de surveillance des marchés publics de travaux, de services et de fournitures). La réglementation susmentionnée énumère les conditions nécessaires à l’autorisation des SOA, ainsi que les critères d’autonomie et d’indépendance qu’elles doivent respecter dans l’exercice de leurs activités. De plus, l’objet exclusif de leur activité est la certification des entreprises participant à des procédures de passation de travaux publics.
6. L’article 70, paragraphes 4 et 5, du décret no 207/2010 énonce les règles suivantes en ce qui concerne les tarifs des SOA:
«4. Toute attestation d’agrément et tout renouvellement d’attestation ainsi que toutes les activités complémentaires de révision ou de modification sont soumis au paiement d’une contrepartie déterminée en fonction du montant global et du nombre de catégories générales ou spécialisées pour lesquelles l’agrément est demandé, conformément aux formules figurant à l’annexe C, partie I. Pour les groupements stables, la contrepartie due aux SOA pour chaque activité est réduite de 50 %; pour les
entreprises agréées jusqu’à la classe de montant II, la contrepartie due aux SOA pour chaque activité est réduite de 20 %.
5. Les montants déterminés conformément au paragraphe 4 sont considérés comme la contrepartie minimale de la prestation. Le paiement d’une contrepartie supérieure au double du montant déterminé selon les critères visés au paragraphe 4 ne peut être prévu. Toute clause contraire est nulle. […]»
7. Le décret no 207/2010 établit également le système de calcul du prix de base, de sorte que les tarifs varient en fonction du montant du ou des marchés de travaux publics auxquels participera l’entreprise demandant la certification, ainsi que du nombre d’appels d’offres auxquels elle souhaite concourir. À cette fin, les travaux publics sont classés par «catégories», subdivisées en «classes», dans le but d’adapter chaque type de procédure aux conditions que la SOA devra vérifier.
8. Il est constant en l’espèce qu’une trentaine de SOA opèrent actuellement en Italie et qu’elles sont en concurrence sur le marché du secteur.
II – Les faits et la procédure au principal
9. À la suite de l’entrée en vigueur du décret-loi no 223/2006, relatif à l’abrogation des tarifs minimaux obligatoires dans l’exercice de certaines activités professionnelles (également dénommé «décret Bersani»), l’administration italienne a déclaré, par deux décisions, l’une émanant de l’Autorità per la vigilanza sui contratti pubblici di lavori, servizi e forniture et l’autre du Ministero dello Sviluppo economico (ministère du Développement économique), que ledit décret-loi n’était pas applicable
aux services rendus par les SOA.
10. SOA Nazionale Costruttori – Organismo di Attestazione SpA (ci-après «SOA Nazionale Costruttori») a formé un recours administratif contre les deux décisions devant le Tribunale amministrativo regionale del Lazio. L’Associazione Unionsoa (Associazione Nazionale Società Organismi di Attestazione) et SOA CQOP SpA (ci-après «CQOP») sont intervenues au soutien des administrations défenderesses en qualité de parties intervenantes.
11. Il est constant en l’espèce que la requérante en première instance, SOA Nazionale Costruttori, est actuellement en liquidation.
12. Le 18 mai 2011, le Tribunale amministrativo regionale del Lazio a accueilli le recours administratif, en déclarant le décret-loi no 223/2006 applicable aux services rendus par les SOA.
13. Le Ministero dello Sviluppo economico, l’Autorità per la vigilanza sui contratti pubblici di lavori, servizi e forniture, auteurs des décisions annulées, ainsi que les parties intervenantes dans la procédure au principal ont formé un recours devant le Consiglio di Stato.
14. Par une ordonnance du 6 mars 2012, le Consiglio di Stato a décidé de poser une question préjudicielle à la Cour. Dans cette décision, la juridiction de renvoi a résolu une partie du recours et suspendu la partie restante dans l’attente de la réponse de la Cour à sa question concernant la compatibilité avec le droit de l’Union d’un régime de tarifs minimaux obligatoires tel que celui prévu par les décrets no 34/2000 et no 207/2010.
III – La question préjudicielle et la procédure devant la Cour
15. Le 10 juillet 2012 a été enregistrée au greffe de la Cour la demande de décision préjudicielle présentée par le Consiglio di Stato, formulée dans les termes suivants:
«Les principes communautaires en matière de concurrence et les articles 101, 102 et 106 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne font-ils obstacle à l’application des tarifs prévus par les décrets du président de la République no 34, du 25 janvier 2000, et no 207, du 5 octobre 2010, pour l’activité d’attestation des sociétés organismes d’attestation (SOA)?»
16. SOA Nazionale Costruttori, l’Associazione Unionsoa, CQOP, la République italienne et la Commission européenne ont présenté des observations.
17. Lors de l’audience tenue le 16 mai 2013, les intervenantes susmentionnées ont présenté des observations orales.
IV – Sur la recevabilité
18. L’Associazione Unionsoa a affirmé que la question préjudicielle est irrecevable dans la mesure où elle est hypothétique. Selon elle, étant donné que SOA Nazionale Costruttori est actuellement en liquidation, il convient à juste titre de s’interroger sur les conséquences pratiques d’une éventuelle décision préjudicielle de la Cour sur la procédure devant le Consiglio di Stato. SOA Nazionale Costruttori soutient au contraire que la décision de la Cour conserve en tout état de cause son utilité, en
vue de l’exercice futur d’une action en dommages et intérêts.
19. Selon une jurisprudence constante de la Cour, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du
droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées ( 4 ).
20. Ce n’est cependant pas le cas de la question posée par le Consiglio di Stato, puisque, comme l’a confirmé SOA Nazionale Costruttori elle-même, la réponse de la Cour, indépendamment de son incidence éventuelle, aura aussi des effets sur la situation future de SOA Nazionale Costruttori, au cas où celle-ci exercerait une action en dommages et intérêts. Par conséquent, j’estime que la présente procédure conserve un rapport suffisant avec la réalité et l’objet du litige au principal, qui empêche de
la qualifier d’hypothétique. Selon moi, les considérations qui précèdent devraient conduire la Cour à déclarer la question préjudicielle recevable.
V – Sur le fond
A – Observation liminaire
21. Le Consiglio di Stato demande à la Cour si le régime italien de tarifs minimaux obligatoires applicable aux SOA est compatible avec les articles 101 TFUE, 102 TFUE et 106 TFUE, dispositions qui concernent toutes le régime de concurrence dans le marché intérieur. Toutefois, la Commission, dans ses observations tant écrites qu’orales, a soutenu qu’il n’y avait pas lieu d’invoquer ces dispositions, proposant au contraire que la réglementation nationale attaquée soit examinée au regard de la liberté
d’établissement. Pour les motifs exposés ci‑dessous, cette position de principe de la Commission s’appuie sur de solides raisons. Ce n’est en effet pas pour rien que la Cour s’est adressée par écrit aux participants à la présente procédure préjudicielle, pour les inviter à se prononcer lors de l’audience sur la compatibilité de la réglementation litigieuse avec l’article 49 TFUE.
22. Comme je vais maintenant l’expliquer, je souscris à la thèse défendue par la Commission. En d’autres termes, je considère que la question préjudicielle doit être en partie reformulée. En premier lieu, j’examinerai l’applicabilité des articles 101 TFUE, 102 TFUE et 106 TFUE, ainsi que nous le suggère le Consiglio di Stato. En second lieu, après avoir écarté la pertinence de ces dispositions pour la résolution de la présente affaire, je me concentrerai sur le régime de tarifs minimaux obligatoires
au regard de la liberté d’établissement consacrée à l’article 49 TFUE. Le fait que les parties aient eu l’occasion de se prononcer sur ce deuxième élément durant l’audience, sur proposition de la Cour, nous permet d’aborder le sujet sans risquer de violer le principe du contradictoire.
B – Les tarifs minimaux obligatoires et les articles 101 TFUE, 102 TFUE et 106 TFUE
23. Le Consiglio di Stato considère que les SOA sont des «entreprises», au sens des articles 101 TFUE, 102 TFUE et 106 TFUE. Sur cette base de départ, le Consiglio di Stato estime qu’il est nécessaire de déterminer s’il s’agit d’entreprises titulaires de «droits spéciaux ou exclusifs» et, si tel est le cas, jusqu’à quel point le régime de tarifs minimaux obligatoires viole les articles 101 TFUE, 102 TFUE et 106 TFUE lus conjointement.
24. Sur ce point, les intervenants ont défendu des positions opposées. D’une part, l’Associazione Unionsoa, CQOP et le gouvernement italien considèrent, avec certaines nuances, que les SOA sont effectivement des «entreprises» titulaires de «droits spéciaux ou exclusifs», dont le régime de tarifs minimaux obligatoires est justifié par l’objectif de garantir l’indépendance et la qualité du service. D’autre part, SOA Nazionale Costruttori, tout en admettant la pertinence des articles 101 TFUE, 102 TFUE
et 106 TFUE, arrive à la conclusion contraire. Selon elle, le régime d’indépendance et de qualité du service est garanti par les règles auxquelles les SOA sont assujetties, y compris un sévère régime de sanctions. Selon SOA Nazionale Costruttori, ces dispositions suffiraient en elles-mêmes à assurer l’indépendance et la qualité du service.
25. La Commission a proposé une approche très différente du problème. Elle estime que les articles 101 TFUE, 102 TFUE et 106 TFUE ne sont pas applicables à la présente procédure, parce que celle-ci a pour objet une activité réglementaire étatique (le régime de tarifs minimaux obligatoires, approuvé par décret). La Commission soutient que, dans ces circonstances, la disposition pertinente est l’article 49 TFUE, qui garantit la liberté d’établissement.
26. De même, la circonstance que les SOA exercent des fonctions liées à l’autorité publique est apparue tout au long des mémoires et des interventions orales de tous les intervenants, même s’ils n’ont pas toujours abordé les mêmes points. Alors que, pour l’Associazione Unionsoa, CQOP et le gouvernement italien, ces fonctions de certification autrefois assurées par l’État confirmeraient la présence de «droits spéciaux ou exclusifs», qui justifierait à son tour la légalité de la réglementation
litigieuse, pour SOA Nazionale Costruttori et la Commission, cette circonstance n’aurait pas d’incidence sur la solution du litige, que ce soit dans l’interprétation de l’article 106 TFUE ou de l’article 49 TFUE.
27. Certes, l’article 106 TFUE, interprété conjointement avec l’article 101 TFUE ou 102 TFUE, permet aux États membres de charger certaines entreprises d’une mission qui pourrait en principe affecter le fonctionnement du marché. Cependant, les conditions dans lesquelles il est permis aux États membres de décider de ce type de mesures sont très strictes et ces dernières doivent être examinées au regard du principe de proportionnalité. En l’espèce, j’estime que les conditions nécessaires à
l’application du régime spécial de l’article 106 TFUE ne sont pas réunies, ce qui nous dispense de considérer la proportionnalité de la mesure litigieuse.
28. En effet, pour apprécier la conformité d’une mesure nationale avec l’article 106 TFUE, que ce soit en relation avec l’article 101 TFUE ou avec l’article 102 TFUE, il faut que le bénéficiaire de la mesure soit une «entreprise» et qu’il dispose de «droits spéciaux ou exclusifs». Tel est le point de départ pour déterminer si les dispositions susmentionnées sont applicables à un comportement étatique.
29. Il est indubitable que les SOA, dans leur configuration actuelle, constituent des «entreprises», au sens de l’article 106 TFUE. Une abondante jurisprudence de la Cour confirme ce constat. Dès les années 90, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Höfner et Elser ( 5 ), la Cour a déclaré que la notion d’«entreprise» comprend toute entité «exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement» . De plus, il convient d’entendre par
«activité économique»«toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné» ( 6 ).
30. Le fait que l’«entreprise» exerce des fonctions liées à l’autorité publique n’exclut pas nécessairement l’application de l’article 106 TFUE. Dans la mesure où l’activité implique une participation active au marché par l’offre de biens et de services permettant d’obtenir, directement ou indirectement, un rendement, il y a lieu de considérer que l’«entreprise» relève du champ d’application des articles 101 TFUE, 102 TFUE et 106 TFUE ( 7 ).
31. Tel est précisément le cas des SOA, entreprises privées à but lucratif chargées de rendre un service de certification technique, en échange duquel elles perçoivent une contrepartie. Le fait que la certification soit assortie d’une présomption de légalité, ce qui a une incidence directe sur les procédures publiques d’appel d’offres, ne change rien au fait que les SOA sont des acteurs économiques opérant sur un marché concurrentiel. Par conséquent, j’estime que les conditions exigées par la
jurisprudence pour considérer qu’une entité constitue une «entreprise», au sens des articles 101 TFUE, 102 TFUE et 106 TFUE, sont parfaitement remplies.
32. La deuxième condition, relative à l’attribution par l’État de «droits spéciaux ou exclusifs», pourrait soulever plus de difficultés. La jurisprudence a entretenu une certaine ambiguïté sur la définition de ces droits, mais leurs principales caractéristiques sont déjà suffisamment déterminées. En effet, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Ambulanz Glöckner ( 8 ), la Cour, conformément à la proposition de l’avocat général Jacobs, a considéré que constituent des «droits spéciaux ou exclusifs»
les mesures «législatives» qui confèrent une protection «à un nombre limité d’entreprises et [sont] de nature à affecter substantiellement la capacité des autres entreprises à exercer l’activité économique en cause sur le même territoire, dans des conditions substantiellement équivalentes».
33. Cette définition des «droits spéciaux ou exclusifs» est en accord avec l’évolution observée de la jurisprudence ( 9 ). De manière générale, les «droits» doivent être attribués par un instrument matériellement «législatif», doté donc d’une certaine solennité et d’une certaine stabilité. Il doit aussi s’agir de «droits» ayant vocation à comporter un certain élément de privilège, c’est-à-dire qu’ils doivent placer les opérateurs dans une situation d’avantage concurrentiel par rapport aux autres.
L’avantage peut résulter d’une attribution ponctuelle à plusieurs opérateurs, situation qui relèverait de la catégorie des «droits spéciaux» ( 10 ). Dans le cas où l’avantage est attribué à un seul opérateur, il s’agirait donc d’un «droit exclusif».
34. Les SOA se caractérisent par le fait qu’elles exercent un pouvoir qui appartenait autrefois à l’État italien: l’évaluation préalable des entreprises concernant leur capacité technique et économique à exécuter des travaux publics. Dans le cas des SOA, cette évaluation donne éventuellement lieu à une certification, sous la forme d’un document qui a certes un caractère privé, mais qui est doté d’une force probante spéciale en vertu de la loi. En ce sens, il convient de reconnaître que les SOA
exercent une fonction qui leur est expressément confiée par une mesure à caractère «législatif» et pour laquelle les entreprises disposent de pouvoirs spéciaux dont les autres opérateurs économiques ne disposent pas.
35. Il se trouve toutefois que les SOA opèrent sur un marché très limité, en ce sens qu’il n’y a pas de concurrence avec d’autres services similaires. En d’autres termes, la certification des entreprises de travaux publics est un service qui, en tant que tel, n’est en concurrence directe ou indirecte avec aucun autre service, étant donné qu’il n’existe pas de services similaires auxquels une entreprise pourrait recourir afin de pouvoir participer à des marchés de travaux publics en Italie. Dans un
tel contexte, c’est-à-dire un marché que l’on pourrait qualifier d’«étanche», le fait que toutes les SOA exercent les pouvoirs spéciaux que le législateur a décidé de confier au secteur privé exclut tout risque d’avantage concurrentiel aux dépens d’autres opérateurs du marché. Aucun secteur ne se voit porter préjudice par l’attribution aux SOA, en vertu de la loi, du pouvoir d’émettre des certificats tels que ceux ici considérés. Par conséquent, il n’est pas possible de conclure que l’État
italien aurait attribué aux SOA des «droits spéciaux ou exclusifs», au sens de l’article 106 TFUE. Cette conclusion implique manifestement l’inapplicabilité de cette disposition au cas d’espèce.
36. Nonobstant la conclusion qui précède et ainsi que la Commission l’a relevé à juste titre, le fait que l’article 106 TFUE ne soit pas applicable n’implique pas nécessairement que l’activité étatique, en l’espèce un régime de tarifs minimaux obligatoires, soit dispensée de tout contrôle au regard des dispositions du traité en matière de concurrence. Même lorsqu’un État membre n’attribue pas de «droits spéciaux ou exclusifs» à une ou plusieurs «entreprises», il est évidemment possible que
l’activité étatique viole les articles 101 TFUE ou 102 TFUE, interprétés en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, TUE, c’est-à-dire eu égard au principe de coopération loyale. Une jurisprudence constante de la Cour confirme que la conjonction des règles de concurrence et du principe de coopération loyale oblige les États membres à ne pas prendre ou maintenir en vigueur des mesures, même de nature législative ou réglementaire, susceptibles d’éliminer l’effet utile des règles de concurrence
applicables aux entreprises. Tel serait le cas, selon la jurisprudence, «lorsqu’un État membre soit impose ou favorise la conclusion d’ententes […], soit retire à sa propre réglementation son caractère étatique en délégant à des opérateurs privés la responsabilité de prendre des décisions d’intervention en matière économique» ( 11 ).
37. La Cour a déjà eu l’occasion d’appliquer cette jurisprudence à une hypothèse de tarifs minimaux obligatoires, plus précisément les tarifs des avocats italiens, approuvés par le gouvernement sur proposition d’un organisme représentatif de la profession. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Arduino, précité, puis dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Cipolla e.a., précité, la Cour a conclu que la décision du gouvernement approuvant un régime de tarifs minimaux obligatoires sur proposition
d’un organisme professionnel ne constituait pas une «[délégation] à des opérateurs privés [de] la responsabilité de prendre des décisions d’intervention d’intérêt économique», puisque le gouvernement était libre à tout moment de s’écarter de la proposition et de décider du régime tarifaire qu’il considérait le plus approprié.
38. À la différence de l’hypothèse qui précède, il n’est en l’espèce même pas possible d’affirmer que les SOA ou l’une de leurs organisations représentatives participent à la procédure d’adoption des tarifs minimaux obligatoires. Ainsi qu’il ressort des documents produits devant la Cour, il s’agit d’une décision strictement publique, qui incombe au gouvernement sur la base de certains critères prédéfinis. En définitive, l’absence de concertation dans l’adoption de cette décision ne transforme pas le
régime tarifaire des SOA en mesure étatique déléguée à des opérateurs privés, de même qu’elle n’impose pas non plus ni ne favorise la conclusion d’«ententes», au sens de la jurisprudence précitée. Par conséquent, je considère que les articles 101 TFUE et 102 TFUE, en combinaison avec l’article 4 TUE, ne sont pas non plus applicables.
39. En conclusion, pour résumer ce qui a été exposé jusqu’ici, j’estime que le statut général des SOA ne fait pas apparaître une attribution de «droits spéciaux ou exclusifs», ce qui exclut l’application à l’espèce de l’article 106, paragraphe 1, TFUE. De plus, eu égard à l’objet concret du présent litige, il n’y a pas lieu non plus d’appliquer les articles 101 TFUE et 102 TFUE, en combinaison avec l’article 4 TUE, dans la mesure où le régime italien de tarifs minimaux obligatoires applicable aux
SOA n’impose pas ni ne favorise la conclusion d’ententes et ne retire pas non plus à la réglementation son caractère étatique en délégant à des opérateurs privés la responsabilité de prendre des décisions d’intervention en matière économique.
C – Les tarifs minimaux obligatoires et l’article 49 TFUE
40. Nonobstant ce qui précède, la Commission considère que la présente affaire devrait être examinée sous l’angle de la liberté d’établissement. Ainsi, elle invite la Cour à se prononcer sur l’interprétation de l’article 49 TFUE dans une hypothèse comme celle de l’espèce. Ainsi que nous l’avons déjà indiqué, eu égard à cette proposition de la Commission, la Cour a adressé aux parties une question écrite avant la tenue de l’audience, en les invitant à prendre position sur ce point.
41. Lors de l’audience, seuls le gouvernement italien et la Commission ont répondu à cette invitation, en adoptant des positions contraires. Tandis que la Commission a exclu que l’activité des SOA constitue une activité liée à l’exercice de l’autorité publique, la République italienne a considéré que tel est bien le cas. En ce qui concerne l’atteinte à la liberté, la Commission a estimé qu’il s’agissait d’une mesure restrictive privée de justification, dans la mesure où elle irait au-delà de ce qui
est nécessaire pour atteindre les objectifs légitimes d’intérêt général poursuivis. Au contraire, la République italienne a considéré que la garantie de la qualité et de l’indépendance du service rendu par les SOA justifierait parfaitement que des tarifs minimaux obligatoires soient imposés.
42. Avant d’en venir au fond de la question, il convient d’aborder un aspect auquel la République italienne a fait référence au cours de l’audience. Selon cet État membre, la présente affaire se caractérise par la circonstance que tous les faits ont eu lieu à l’intérieur d’un même État. SOA Nazionale Costruttori, société en liquidation établie en Italie, attaque une mesure italienne, sans que ses concurrents directs soient des entreprises établies dans d’autres États membres qui fournissent des
services en Italie. Par conséquent, toujours selon le gouvernement italien, il n’existe aucun élément transfrontalier qui justifierait l’applicabilité de la liberté d’établissement.
43. Même s’il est vrai que tous les éléments de la présente affaire se limitent au territoire d’un seul État, j’estime que la Cour est compétente pour se prononcer sur la liberté d’établissement. En effet, une jurisprudence constante et bien établie déclare que la Cour peut se prononcer sur une question purement interne si la réponse qu’elle donne permet à la juridiction de renvoi de statuer sur une discrimination à rebours eu égard à son droit interne. Cette possibilité, qui existe dans la
jurisprudence de la Cour depuis l’arrêt Guimont ( 12 ), s’applique exclusivement aux libertés de circulation, et notamment, depuis les arrêts Cipolla e.a., Blanco Pérez et Chao Gómez, et Duomo Gpa e.a. ( 13 ), à la liberté d’établissement. Partant, la Cour, aux seules fins d’interpréter l’article 49 TFUE, est compétente pour se prononcer sur l’interprétation de cette disposition dans une affaire comme celle de l’espèce.
1. La dérogation de l’article 51 TFUE, fondée sur la présence d’activités participant à l’exercice de l’autorité publique
44. Le gouvernement italien, ainsi que, de façon indirecte, l’Associazione Unionsoa et CQOP considèrent que les activités des SOA entraînent une délégation de puissance publique qui les soustrait au champ d’application des libertés. Selon eux, les SOA exercent une activité matériellement administrative, qui transforme lesdites entités en pouvoir adjudicateur, au moins pour ce qui concerne l’évaluation des conditions techniques et financières exigées des entreprises soumissionnaires.
45. Certes, les SOA ont repris une responsabilité qui était traditionnellement exercée par l’administration publique italienne, mais il est également vrai que la jurisprudence de la Cour a déjà eu l’occasion de se prononcer à diverses reprises sur l’article 51 TFUE, sans avoir jusqu’à présent constaté l’application de cette disposition à une activité économique. En effet, la jurisprudence s’est distinguée par une interprétation extrêmement restrictive de ladite disposition: un exemple représentatif
de cette tendance est le cas des notaires, dont l’activité n’a pas été qualifiée par la Cour d’exercice de l’autorité publique ( 14 ).
46. Eu égard à ce qui précède, il est difficile de conclure qu’une SOA, dont le but lucratif au sein d’un marché concurrentiel est évident, puisse bénéficier de l’article 51 TFUE. Le fait que l’activité des SOA n’entraîne pas d’exercice de l’autorité publique au sens de ladite disposition est confirmé par les arrêts de la Cour dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts Commission/Portugal ( 15 ) et Commission/Allemagne ( 16 ), qui concernent toutes deux des entreprises chargées d’activités de
certification en vertu de la loi.
47. En effet, dans l’arrêt Commission/Portugal, précité, la Cour devait déterminer si l’activité des entreprises chargées de l’inspection technique des véhicules impliquait un exercice de l’«autorité publique», au sens de l’article 51 TFUE. L’activité d’inspection est, on le sait, une forme d’activité de certification déléguée à des entreprises privées. Toutefois, dans cette affaire, la Cour a indiqué que «la décision de certifier ou non le contrôle technique, ne faisant, en substance, que réaliser
le constat des résultats de la visite technique, est, d’une part, dépourvue de l’autonomie décisionnelle propre à l’exercice de prérogatives de puissance publique et, d’autre part, prise dans le cadre d’une surveillance étatique directe» ( 17 ). Par conséquent, la Cour a conclu que les entreprises d’inspection étaient soumises aux règles de libre circulation du traité.
48. La Cour est parvenue au même résultat en examinant la question de savoir si les organismes privés chargés du contrôle des produits issus de l’agriculture biologique exerçaient une activité liée à l’exercice de l’autorité publique. De même que dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Commission/Portugal, précité, l’arrêt Commission/Allemagne, précité, a souligné l’importance de la supervision de l’État sur les organismes privés de certification. La Cour a souligné que «les organismes privés
exercent leur activité sous la supervision active de l’autorité publique compétente qui, en dernier lieu, est responsable des contrôles et des décisions desdits organismes, ainsi que le démontrent les obligations incombant à ladite autorité rappelées au point précédent du présent arrêt» ( 18 ). Par voie de conséquence, la véritable mission publique resterait aux mains de l’État, et non des entreprises de certification, de sorte que celles-ci resteraient soumises aux libertés de circulation.
49. Si nous nous arrêtons maintenant sur l’activité exercée par les SOA, il convient de relever que leur fonction consiste effectivement à délivrer des attestations certifiant que les conditions techniques prédéfinies par la loi sont remplies. Bien que la délivrance de ces attestations conserve certains des éléments qui caractérisaient autrefois l’activité lorsqu’elle était exercée par l’État, puisqu’il s’agit d’actes revêtus d’une présomption de légalité similaire à celle que possèdent les actes de
l’administration, il est également vrai qu’il s’agit d’une activité réglementée et technique. Les SOA ont une marge d’appréciation, mais celle-ci est technique et s’exerce dans le cadre de certains critères prédéfinis par les règles adoptées par le législateur et le gouvernement. De plus, le fait qu’il existe de stricts mécanismes de supervision publique des activités exercées par les SOA, avec des conséquences disciplinaires, sur la base du respect de conditions également prédéfinies par la
loi, confirme que la présence de l’autorité publique, ne serait-ce que pour la surveillance, demeure importante dans le secteur de la certification des entreprises de travaux publics.
50. Par conséquent, eu égard aux arguments exposés, j’estime que les SOA ne sont pas des entreprises chargées d’une activité liée à l’exercice de l’autorité publique au sens de l’article 51 TFUE.
2. La liberté d’établissement de l’article 49 TFUE
a) Sur la restriction de la liberté
51. Tant le gouvernement italien que la Commission s’accordent sur le fait qu’un régime de tarifs minimaux obligatoires restreint la liberté d’établissement, dans la mesure où il s’agit d’une mesure susceptible de rendre moins attractive l’installation d’une activité économique dans un État membre. En effet, ainsi que cela a été admis au cours de la procédure, la restriction est patente, étant donné que l’impossibilité de réduire le prix d’un service peut entraîner un handicap concurrentiel, en
faveur des opérateurs nationaux déjà implantés sur le marché et qui jouissent d’une position évidemment plus favorable. La Cour est parvenue à la même conclusion en ce qui concerne les honoraires minimaux obligatoires des avocats dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Cipolla e.a., précité, mesure dont elle a estimé qu’elle «est de nature à rendre plus difficile l’accès des avocats établis dans un État membre autre que la République italienne au marché des prestations juridiques italien et,
dès lors, est propre à restreindre l’exercice de leurs activités de prestation de services dans ce dernier État membre» ( 19 ).
b) Sur la justification
52. S’agissant d’une mesure restrictive applicable sans distinction à toute entreprise exerçant l’activité de SOA en Italie, il reste à déterminer si cette mesure peut être considérée comme justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général. À cet égard, tant l’Associazione Unionsoa que CQOP et le gouvernement italien considèrent que les tarifs minimaux obligatoires sont une condition indispensable pour garantir la qualité et l’indépendance des services fournis par les SOA. Toutefois, ni SOA
Nazionale Costruttori ni la Commission ne considèrent que cette justification peut résister à un contrôle de proportionnalité.
53. La Cour a déclaré à plusieurs reprises que la protection des destinataires des services ainsi que la qualité desdits services peuvent constituer une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une restriction à la liberté de circulation ( 20 ). Or, il est également de jurisprudence constante qu’une réglementation visant ces objectifs est susceptible de dépasser ce qui est nécessaire si elle subordonne l’exercice professionnel de l’activité à des exigences disproportionnées. En
l’espèce, l’objectif des tarifs minimaux obligatoires est principalement d’assurer, d’une part, la qualité du service de certification et, d’autre part, l’indépendance des SOA dans l’exercice de leurs fonctions. J’estime qu’il s’agit d’objectifs tout à fait légitimes et inhérents à tout processus de privatisation, puisque le transfert d’une activité publique au secteur privé s’accompagne logiquement du désir de l’État de garantir que le service conserve un niveau de qualité et d’objectivité
équivalent à celui précédemment assuré par l’autorité publique. Toutefois, ce n’est pas la légitimité de l’objectif poursuivi qui est en cause dans la présente affaire, mais la proportionnalité de la mesure, à savoir les tarifs minimaux obligatoires, eu égard auxdits objectifs.
54. En ce qui concerne la qualité du service, tant le gouvernement italien que l’Associazione Unionsoa et CQOP ont souligné les conséquences du travail des SOA sur l’exécution des travaux publics. Ainsi, il est indiscutable que, comme le soutiennent ces intervenants, l’accomplissement efficace des tâches des SOA a des incidences directes sur l’exécution des travaux publics, puisque ce n’est qu’en garantissant la fiabilité technique et la solvabilité financière des entreprises soumissionnaires qu’il
sera possible d’assurer l’exécution effective des travaux. L’obligation de respecter certains tarifs minimaux permettrait donc d’assurer l’intégrité financière de la SOA, de sorte que, disposant de tarifs qui, en tout état de cause, couvrent les coûts du service, elle aura toujours les moyens nécessaires pour mener à bien son analyse.
55. L’indépendance des SOA est l’autre raison invoquée en vue de justifier la restriction. Pour que les SOA rendent efficacement leurs services, elles doivent disposer d’une autonomie suffisante par rapport à leurs clients. Un système de certification ne sert à rien si l’organisme de certification ne présente pas de garanties d’impartialité lorsqu’il vérifie qu’une entreprise réunit les conditions lui permettant d’obtenir ou non la certification correspondante. C’est ici qu’entrent en jeu les tarifs
minimaux obligatoires, puisqu’ils assurent ainsi à la SOA des moyens financiers suffisants garantissant l’autonomie de ses décisions.
56. Pour analyser l’adéquation de cette mesure au regard des objectifs poursuivis, il convient de commencer par souligner que la Cour a déclaré à plusieurs reprises qu’un système de tarifs minimaux obligatoires applicable à une activité professionnelle est en théorie un moyen adéquat d’assurer des objectifs légitimes tels que, par exemple, l’obtention de services de qualité ( 21 ). Toutefois, il s’agit d’une appréciation de départ, qui nécessite ensuite une analyse plus détaillée du contexte dans
lequel elle s’applique, en tenant compte, ainsi que la jurisprudence l’a souligné, du marché de référence et de la nature des services litigieux. Lorsque l’appréciation doit être effectuée dans le cadre d’une procédure préjudicielle, la tâche exige de plus un effort analytique conjoint, de la part tant de la Cour que du juge national.
57. En ce qui concerne le marché, il y a lieu de souligner en premier lieu que les SOA opèrent dans un contexte de libre concurrence, dans lequel il n’existe pas de numerus clausus des SOA autorisées. Il s’agit par conséquent d’un marché concurrentiel, sur lequel toute entreprise qui réunit les conditions requises pourra rendre le service de certification. Cependant, compte tenu des caractéristiques de l’activité et de la rigidité des conditions exigées pour fournir le service, il n’est pas
surprenant que le nombre de SOA soit relativement réduit. Même s’il ne s’agit pas d’un marché limité à deux ou trois opérateurs, il est constant en l’espèce que le nombre de SOA tourne actuellement autour de trente. Par conséquent, il ne s’agit pas d’un marché sur lequel il existe un nombre très élevé de professionnels, ni non plus une asymétrie de l’information entre le prestataire et le destinataire du service. Ces deux facteurs ont été déterminants, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt
Cipolla e.a., précité, pour apprécier les circonstances du marché italien des avocats. En l’espèce, toutefois, c’est la situation inverse qui se présente, à savoir, en plus du nombre relativement réduit d’opérateurs, il se trouve aussi que les destinataires du service sont tenus de garder obligatoirement une certaine distance, afin de permettre à la SOA d’agir en toute autonomie. Dans le cas des SOA, la relation prestataire-destinataire du service est radicalement différente de celle qui
pourrait se présenter dans le cas d’une relation avocat-client, dans laquelle la confiance et la défense d’un intérêt commun constituent des critères déterminants. Dans le cas d’une SOA, cette confiance et cette défense non seulement ne doivent pas exister, mais mettraient même radicalement en cause l’existence même des SOA.
58. Par conséquent, en l’espèce, l’adéquation des tarifs minimaux obligatoires doit être appréciée dans le contexte d’un marché de dimensions réduites et sur lequel il est nécessaire de sauvegarder l’autonomie décisionnelle de la SOA face aux exigences ou aux intérêts éventuels de ses clients. De ce point de vue, le fait que l’État impose de manière contraignante un régime de tarifs minimaux obligatoires est une mesure en accord avec l’objectif visant à garantir la qualité du service et
l’indépendance des entreprises chargées de la certification.
59. Le caractère nécessaire de la mesure soulève davantage de questions. En effet, le fait que les tarifs minimaux obligatoires constituent des mesures adéquates pour assurer la bonne prestation du service n’implique pas automatiquement qu’il n’existe pas de mesures moins restrictives garantissant également ces objectifs. C’est ainsi que l’a compris la Commission dans ses observations écrites et orales, en considérant qu’il existe des éléments excessivement rigides qui ne justifieraient pas un tarif
minimal obligatoire. Pour sa part, SOA Nazionale Costruttori souligne que la qualité du service et l’indépendance des SOA sont garanties par un régime disciplinaire particulièrement sévère, qui relève de l’administration publique. Ce régime, toujours selon SOA Nazionale Costruttori, est suffisant pour atteindre les objectifs indiqués.
60. En vue de proposer une réponse sur ce point, je commencerai par analyser le cadre législatif applicable aux SOA et, comme cela vient d’être expliqué, le régime disciplinaire applicable à ces entreprises. Selon ce qui ressort du dossier, les décrets no 34/2000 et no 207/2010 prévoient un régime disciplinaire qui comporte des sanctions pécuniaires et même le retrait de l’autorisation des activités de la SOA. La surveillance et l’application de ce régime disciplinaire incombent à l’Autorità per la
vigilanza sui contratti pubblici di lavori, servizi e forniture.
61. Dans certaines circonstances, un régime de tarifs minimaux coexistant avec un régime disciplinaire peut certes s’avérer une charge excessive pour les opérateurs économiques. Cependant, le cas des SOA est très particulier et mérite donc une attention minutieuse, en raison de leur indépendance. Effectivement, ainsi que cela a déjà été indiqué, l’indépendance requise des SOA se traduit par le maintien d’une certaine distance par rapport au destinataire du service, afin de garantir l’impartialité et
l’autonomie décisionnelle de la prestation. C’est justement parce que la SOA doit agir dans un contexte d’autonomie renforcée face aux soumissionnaires que l’existence d’un régime disciplinaire peut se révéler insuffisant. Cette autonomie renforcée nécessite précisément un régime suffisamment complet, qui garantisse l’indépendance du prestataire de service. Ce souci de complétude peut se traduire par un régime disciplinaire sévère, accompagné de tarifs minimaux obligatoires.
62. En effet, dans un marché sur lequel plusieurs SOA seraient en concurrence tant sur la qualité que sur les prix, la possibilité de négocier un prix avec les futurs soumissionnaires exposerait au risque qu’il soit porté atteinte à l’autonomie qui doit obligatoirement caractériser une entreprise de ce type. Même s’il est vrai que la négociation sur le prix n’implique pas nécessairement que la SOA perde son indépendance ni son apparence d’entité indépendante, une telle négociation pourrait aboutir à
un tel résultat si le prix finalement convenu était anormalement bas. Par conséquent, j’estime qu’un régime de tarifs minimaux obligatoires, qui complète un régime disciplinaire relevant de l’administration publique, constitue une mesure nécessaire pour garantir l’indépendance obligatoire des SOA sur un marché tel que celui qui existe en Italie.
63. Indépendamment de ce qui précède, j’estime qu’il convient d’apporter une précision supplémentaire. Le fait que le régime de tarifs minimaux obligatoires s’avère nécessaire de manière générale ne signifie pas que le système de calcul actuellement en vigueur le soit dans tous ses éléments. Ainsi que la Commission l’a relevé à juste titre, le point faible du régime en cause réside dans la méthode de calcul des tarifs, qui, selon elle, ne fait pas toujours preuve d’un caractère proportionné.
64. En effet, rappelons que le système de calcul des tarifs minimaux obligatoires s’applique pour les travaux publics dont le montant dépasse 150000 euros: à partir de ce montant, on applique une formule basée, pour résumer, sur ledit montant, le nombre de marchés pour lesquels l’entreprise soumissionne et l’application d’un coefficient des prix à la consommation (ISTAT). Ainsi, si une entreprise participe à plusieurs procédures de passation de travaux publics, le tarif minimal obligatoire augmente
automatiquement en fonction du nombre de travaux. Il est constant en l’espèce qu’il n’y a pas lieu d’appliquer de critère de modération quelconque au montant minimal obligatoire résultant de la formule.
65. J’estime que ce système soulève des doutes sérieux quant à la nécessité de la mesure, précisément dans le cas où la certification est demandée pour plusieurs marchés de travaux publics. Comme je l’ai déjà dit, il est justifié qu’une entreprise soumissionnaire paie un montant minimal obligatoire lorsqu’elle se soumet à la certification de la SOA, tâche que cette dernière mènera à bien en tenant compte des conditions technico-financières de l’entreprise eu égard au marché de travaux publics pour
lequel elle concourt. Le fait qu’une SOA puisse multiplier automatiquement le montant de ses tarifs du fait qu’une entreprise participe à plusieurs appels d’offres ne semble pas avoir d’explication suffisante, ou du moins les intervenants à la présente procédure n’ont pas été en mesure de le justifier de façon adéquate. La structure, l’activité, le personnel, les ressources physiques ainsi que les autres caractéristiques de l’entreprise seront normalement les mêmes, puisqu’il est normal qu’une
entreprise disposant de suffisamment de ressources soit en mesure d’exécuter plusieurs opérations de travaux publics à la fois, que leur montant soit faible ou élevé.
66. Il est vrai que, dans l’hypothèse où une entreprise participe à plusieurs appels d’offres, la SOA doit évaluer la situation individuelle au regard de plusieurs marchés publics. En toute logique, la charge de travail qui incombe à la SOA est plus grande et il est acceptable que, dans de telles circonstances, le tarif minimal obligatoire reflète cette responsabilité accrue. Cependant, un système qui multiplie automatiquement le montant du tarif minimal obligatoire en fonction du nombre d’appels
d’offres auxquels il est pris part ne répond pas objectivement à cette charge accrue assumée par la SOA. Au contraire, ce système permet aux SOA de procéder à l’évaluation d’une seule entreprise, mais en appliquant un tarif minimal obligatoire très supérieur à celui exigé dans le cas d’une participation à un seul appel d’offres.
67. Partant, eu égard à ce qui précède, une formule de calcul telle que celle qui a été décrite, qui, en cas de demande de certification pour plusieurs marchés de travaux publics, multiplie automatiquement le montant du tarif en fonction du nombre d’appels d’offres, irait au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs de qualité et d’indépendance poursuivis. Par conséquent, j’estime que, sur ce point spécifique, le régime de tarifs minimaux obligatoires applicable aux SOA, et
notamment sa formule de calcul en cas de demande de certification pour plusieurs marchés de travaux publics, n’est pas justifié par des raisons impérieuses d’intérêt général et n’est donc pas compatible avec l’article 49 TFUE.
VI – Conclusion
68. Eu égard aux arguments exposés, je propose à la Cour de répondre à la question préjudicielle posée par le Consiglio di Stato dans les termes suivants:
«Les articles 101 TFUE, 102 TFUE et 106 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’appliquent pas à un régime de tarifs minimaux obligatoires tel que celui prévu pour les sociétés organismes d’attestation.
L’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il fait obstacle à un régime de tarifs minimaux obligatoires tel que celui prévu pour les sociétés organismes d’attestation, dans la mesure où celui-ci prévoit une formule de calcul selon laquelle le tarif est automatiquement multiplié en fonction du nombre d’appels d’offres de marchés publics auxquels participe l’entreprise demandant la certification, élément qu’il incombe à la juridiction de renvoi de confirmer.»
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
( 1 ) Langue originale: l’espagnol.
( 2 ) Arrêt du 19 février 2002 (C-35/99, Rec. p. I-1529).
( 3 ) Arrêt du 5 décembre 2006 (C-94/04 et C-202/04, Rec. p. I-11421).
( 4 ) Voir, notamment, arrêt du 22 juin 2010, Melki et Abdeli (C-188/10 et C-189/10, Rec. p. I-5667, point 27 et jurisprudence citée).
( 5 ) Arrêt du 23 avril 1991 (C-41/90, Rec. p. I-1979, point 21). Voir, également, arrêts du 16 novembre 1995, Fédération française des sociétés d’assurance e.a. (C-244/94, Rec. p. I-4013, point 21); du 18 juin 1998, Commission/Italie (C-35/96, Rec. p. I-3851, point 36), ainsi que du 12 septembre 2000, Pavlov e.a. (C-180/98 à C-184/98, Rec. p. I-6451, point 74).
( 6 ) Arrêts du 16 juin 1987, Commission/Italie (118/85, Rec. p. 2599, point 7); du 18 juin 1998, Commission/Italie, précité (point 36), ainsi que Pavlov e.a., précité (point 75).
( 7 ) Ne constituent pas des entreprises des activités de protection de l’environnement (arrêt du 18 mars 1997, Diego Cali & Figli, C-343/95, Rec. p. I-1547, point 16) ou de contrôle aérien (arrêts du 19 janvier 1994, SAT Fluggesellschaft, C-364/92, Rec. p. I-43, point 30, ainsi que du 26 mars 2009, SELEX Sistemi Integrati, C-113/07 P, Rec. p. I-2207, points 91 et 92).
( 8 ) Arrêt du 25 octobre 2001 (C-475/99, Rec. p. I-8089).
( 9 ) Arrêts du 13 décembre 1991, GB-Inno-BM (C-18/88, Rec. p. I-5941); du 18 juin 1991, ERT (C-260/89, Rec. p. I-2925); du 27 avril 1994, Almelo (C-393/92, Rec. p. I-1477); du 5 octobre 1994, Centre d’insémination de la Crespelle (C‑323/93, p. I‑5077); du 14 décembre 1995, Banchero (C-387/93, Rec. p. I-4663), et du 16 janvier 1997, USSL no 47 di Biella (C-134/95, Rec. p. I-195).
( 10 ) Buendía Sierra, J. L., Exclusive Rights and State Monopolies under EC Law, Oxford University Press, Oxford, 2000.
( 11 ) Voir, notamment, arrêts du 29 janvier 1985, Cullet et Chambre syndicale des réparateurs automobiles et détaillants de produits pétroliers (231/83, Rec. p. 305, point 16); du 10 janvier 1985, Association des Centres distributeurs Leclerc et Thouars Distribution (229/83, Rec. p. 1, point 14); du 21 septembre 1988, Van Eycke (267/86, Rec. p. 4769, point 16); du 17 novembre 1993, Meng (C-2/91, Rec. p. I-5751, points 14 et 15); du 9 septembre 2003, CIF (C-198/01, Rec. p. I-8055, points 45 et 46);
ordonnance du 17 février 2005, Mauri (C-250/03, Rec. p. I-1267, points 29 à 31), ainsi que arrêt du 5 octobre 1995, Centro Servizi Spediporto (C-96/94, Rec. p. I-2883, points 20 et 21).
( 12 ) Arrêt du 5 décembre 2000 (C-448/98, Rec. p. I-10663, point 23), suivi, notamment, par les arrêts du 5 mars 2002, Reisch e.a. (C-515/99, C-519/99 à C-524/99 et C-526/99 à C-540/99, Rec. p. I-2157, point 26); du 11 septembre 2003, Anomar e.a. (C-6/01, Rec. p. I-8621, point 41), ainsi que du 30 mars 2006, Servizi Ausiliari Dottori Commercialisti (C-451/03, Rec. p. I-2941, point 29).
( 13 ) Respectivement, arrêts du 1er juin 2010 (C-570/07 et C-571/07, Rec. p. I-4629, point 39), ainsi que du 10 mai 2012 (C‑357/10 à C‑359/10, point 28).
( 14 ) Voir à titre d’exemple, parmi les différentes décisions relatives à la profession de notaire, arrêt du 24 mai 2011, Commission/Belgique (C-47/08, Rec. p. I-4105).
( 15 ) Arrêt du 22 octobre 2009 (C-438/08, Rec. p. I-10219).
( 16 ) Arrêt du 29 novembre 2007 (C-404/05, Rec. p. I-10239). Voir, également, arrêt du 29 novembre 2007, Commission/Autriche (C-393/05, Rec. p. I-10195, point 29).
( 17 ) Arrêt Commission/Portugal, précité (point 41).
( 18 ) Arrêt Commission/Allemagne, précité (point 44).
( 19 ) Arrêt Cipolla e.a., précité (point 58).
( 20 ) Voir, notamment, arrêt du 25 juillet 1991, Säger (C-76/90, Rec. p. I-4221, point 16), lequel précise que, «[à] cet égard, il y a lieu de relever d’abord qu’une réglementation nationale, telle que celle décrite par la juridiction nationale, vise manifestement à protéger les destinataires des services en question contre le préjudice qu’ils pourraient subir du fait de conseils juridiques qui leur seraient donnés par des personnes qui n’auraient pas les qualifications professionnelles ou morales
nécessaires».
( 21 ) Arrêt Cipolla e.a., précité (point 67).