ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
7 novembre 2013 ( *1 )
«Procédure administrative nationale — Situation purement interne — Actes administratifs — Obligation de motivation — Possibilité de combler l’absence de motivation au cours d’une procédure juridictionnelle dirigée contre un acte administratif — Interprétation des articles 296, deuxième alinéa, TFUE et 41, paragraphe 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne — Incompétence de la Cour»
Dans l’affaire C‑313/12,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Corte dei conti, sezione giurisdizionale per la Regione Siciliana (Italie), par décision du 19 juin 2012, parvenue à la Cour le 28 juin 2012, dans la procédure
Giuseppa Romeo
contre
Regione Siciliana,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. T. von Danwitz (rapporteur), président de chambre, MM. E. Juhász, A. Rosas, D. Šváby et C. Vajda, juges,
avocat général: M. Y. Bot,
greffier: M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées:
— pour Mme Romeo, par Me M. Viaggio, avvocatessa,
— pour la Commission européenne, par Mme C. Cattabriga et M. H. Krämer, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du principe de motivation des actes de l’administration publique, visé à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, et de l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte»).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Romeo à la Regione Siciliana au sujet d’une décision prévoyant la réduction du montant de la pension de Mme Romeo et la récupération de montants versés pour des périodes écoulées.
Le droit italien
3 La loi no 241, du 7 août 1990, portant nouvelles règles relatives à la procédure administrative et au droit d’accès aux documents administratifs (GURI no 192, du 18 août 1990, p. 7), telle que modifiée par la loi no 15, du 11 février 2005 (GURI no 42, du 21 février 2005, p. 4, ci-après la «loi no 241/1990»), prévoit à son article 1er, paragraphe 1:
«L’activité administrative poursuit des objectifs fixés par la loi et elle est régie par les critères d’économie, d’efficacité, d’impartialité, de publicité et de transparence selon les modalités prévues par la présente loi et les autres dispositions régissant des procédures distinctes ainsi que par les principes tirés de l’ordre juridique communautaire.»
4 L’article 3, paragraphes 1 et 2, de la loi no 241/1990 dispose, en ce qui concerne l’obligation de motivation:
«1. Toute décision administrative [...] doit être motivée, sauf dans les cas prévus au paragraphe 2. La motivation doit indiquer les circonstances de fait ainsi que les motifs juridiques ayant conduit l’administration à prendre cette décision, eu égard aux résultats de l’examen préalable du dossier.
2. La motivation n’est pas requise pour les actes normatifs et les actes à portée générale.»
5 L’article 21 octies, paragraphe 2, premier alinéa, de la loi no 241/1990 est libellé comme suit:
«La décision adoptée en violation des règles de procédure ou des règles relatives à la forme des actes ne saurait être annulée lorsque, eu égard au fait qu’elle relève de la compétence liée de l’administration, il est manifeste que son dispositif n’aurait pu être différent de celui adopté en réalité.»
6 L’article 3 de la loi régionale de Sicile no 10, du 30 avril 1991, portant dispositions relatives aux décisions administratives, au droit d’accès aux documents administratifs et à l’amélioration du fonctionnement de l’activité administrative (ci-après la «loi régionale de Sicile no 10/1991»), reprend littéralement l’article 3 de la loi no 241/1990.
7 L’article 37 de la loi régionale de Sicile no 10/1991 dispose:
«Pour tout ce qui n’est pas prévu par la présente loi, sont appliquées, dans la mesure où elles sont compatibles, les dispositions de la loi no 241/1990, y compris les modifications et compléments successifs, ainsi que les mesures de mise en œuvre y afférentes.»
Le litige au principal et les questions préjudicielles
8 Mme Romeo, qui a été employée par la Regione Siciliana, est titulaire d’une pension que lui verse cette administration. Par une note datant de l’année 2007, la Regione Siciliana a informé Mme Romeo que le montant de sa pension, tel que fixé par un décret régional antérieur, était supérieur à celui qui lui était effectivement dû et que ce montant serait réduit, les sommes indûment versées devant faire l’objet d’une récupération concomitante.
9 Mme Romeo a introduit un recours en annulation contre cette note devant la Corte dei conti, sezione giurisdizionale per la Regione Siciliana, en invoquant un défaut total de motivation de l’acte ne permettant pas, notamment, de déterminer les éléments de fait et de droit justifiant la réduction de sa pension et la récupération des sommes indûment versées. Au cours de la procédure juridictionnelle, la Regione Siciliana a, en se fondant sur l’article 21 octies, paragraphe 2, premier alinéa, de la
loi no 241/1990, fait valoir que la note attaquée était légale et a fourni des compléments à la motivation de la mesure attaquée.
10 La Corte dei conti, sezione giurisdizionale per la Regione Siciliana, a soulevé d’office la question de savoir si l’article 21 octies, paragraphe 2, premier alinéa, de la loi no 241/1990 est compatible avec le droit de l’Union et avec le principe de motivation des décisions administratives, prévu aux articles 3 de cette même loi et 3 de la loi régionale de Sicile no 10/1991.
11 Dans la décision de renvoi, la Corte dei conti, sezione giurisdizionale per la Regione Siciliana, fait état de considérations relatives à la compétence de la Cour pour répondre aux questions posées. Elle relève, tout d’abord, que, dans le contexte de l’affaire au principal, elle exerce des fonctions juridictionnelles. En effet, en matière de pensions, elle exercerait une compétence exclusive de fond et serait compétente pour annuler des actes administratifs. Ainsi, contrairement à ce qui a été
jugé dans les affaires ayant donné lieu aux ordonnances du 26 novembre 1999, ANAS (C-192/98, Rec. p. I-8583), et RAI (C-440/98, Rec. p. I-8597), dans lesquelles la Cour s’est déclarée incompétente pour statuer sur des questions posées par la Corte dei conti, cette dernière devrait, dans le cadre du présent litige, être considérée non pas comme une autorité administrative, mais comme une juridiction au sens de l’article 267 TFUE.
12 En outre, eu égard au renvoi au droit de l’Union prévu à l’article 1er, paragraphe 1, de la loi no 241/1990, la présente demande de décision préjudicielle se justifierait par la nécessité d’une application uniforme du principe de motivation pour tous les actes de l’administration en tant que principe de droit administratif européen. Certes, la Cour, saisie dans une affaire comparable par la Corte dei conti de questions identiques aux deuxième et troisième questions posées dans la présente
affaire, aurait jugé dans son arrêt du 21 décembre 2011, Cicala (C-482/10, Rec. p. I-14139), que l’article 1er, paragraphe 1, de la loi no 241/1990 ne contient pas de renvoi direct et inconditionnel aux articles 296, deuxième alinéa, TFUE et 41, paragraphe 2, sous c), de la Charte, et aurait, de ce fait, décliné sa compétence pour répondre aux questions posées.
13 Toutefois, il conviendrait de saisir de nouveau la Cour des mêmes questions ainsi que d’une question supplémentaire, eu égard à une décision du Consiglio di Stato du 10 mai 2011 (décision no 2755/2011), relative aux conséquences juridiques d’une illégalité d’un acte administratif en matière de planification faunistique et cynégétique. Cette dernière juridiction aurait, sur la base de l’article 1er du code de procédure administrative, annexé au décret législatif no 104 du 2 juillet 2010, prévoyant
que «la juridiction administrative garantit une protection pleine et effective, selon les principes de la Constitution et du droit européen», appliqué de manière directe et inconditionnelle l’article 264 TFUE dans une situation purement interne et aurait laissé inappliquées des règles procédurales nationales.
14 La Corte dei conti, sezione giurisdizionale per la Regione Siciliana, en tire la conclusion que le Consiglio di Stato s’est affranchi de l’arrêt Cicala, précité, en jugeant que l’article 264 TFUE s’appliquait, et se demande, au surplus, si cette juridiction a fait une exacte application de la jurisprudence de la Cour relative à cet article.
15 Eu égard à la décision susmentionnée du Consiglio di Stato, se pose, selon la Corte dei conti, sezione giurisdizionale per la Regione Siciliana, la question de savoir si une juridiction nationale a, sur le fondement d’une réglementation nationale renvoyant de manière directe et inconditionnelle au droit de l’Union, la faculté d’interpréter et d’appliquer de manière erronée ce droit.
16 S’agissant de la présente affaire, la Corte dei Conti, sezione giurisdizionale per la Regione Siciliana, estime que l’article 21 octies de la loi no 241/1990, tel qu’interprété par la jurisprudence nationale, est en contradiction avec la jurisprudence de la Cour en matière de motivation des actes administratifs. Si elle devait appliquer cet article 21 octies ainsi interprété, elle s’écarterait de la jurisprudence de la Cour relative à l’obligation de motivation, alors même qu’elle serait obligée
d’appliquer, eu égard à l’article 1er de la loi no 241/1990, la jurisprudence de la Cour.
17 En outre, si, certes, il s’agissait, en l’espèce, d’une problématique purement interne, il conviendrait, eu égard aux considérations qui précèdent, de déterminer si le principe du droit de l’Union relatif à l’obligation de motivation doit s’appliquer également aux actes administratifs nationaux en matière de pensions nationales.
18 Dans ces conditions, la Corte dei conti, sezione giurisdizionale per la Regione Siciliana, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Une juridiction nationale, sur le fondement d’une réglementation nationale qui, s’agissant des situations exclusivement internes, renvoie au droit européen, peut-elle interpréter et appliquer les dispositions et principes du droit européen, en s’en affranchissant ou en les appliquant de manière erronée par rapport à l’interprétation qu’en a donnée la jurisprudence de la Cour de justice?
2) Étant entendu que l’article 1er de la [loi no 241/1990] impose à l’administration italienne d’appliquer les principes de l’ordre juridique de l’Union européenne, et compte tenu du principe de motivation des actes de l’administration publique visé à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE et à l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la [Charte], doit-on considérer comme compatibles avec le droit de l’Union européenne l’interprétation et l’application de l’article 3 de la [loi no 241/1990] et de
l’article 3 de la [loi régionale de Sicile no 10/1991], selon lesquelles les actes mixtes, c’est-à-dire ceux qui concernent les droits subjectifs et relèvent en tout état de cause de la compétence liée de l’administration en matière de pensions, sont susceptibles d’échapper à l’obligation de motivation, et cette situation s’analyse-t-elle comme une violation d’une forme substantielle de la décision administrative?
3) Étant entendu que l’article 3 de la [loi no 241/1990] et l’article 3 de la [loi régionale de Sicile no 10/1991] prévoient l’obligation de motivation des actes administratifs, et compte tenu de l’obligation de motivation des actes de l’administration publique visée à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE et à l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la [Charte], faut-il considérer que l’article 21 octies, paragraphe 2, premier alinéa, de la [loi no 241/1990], tel qu’interprété par la
jurisprudence administrative, est compatible avec l’article 1er de la [loi no 241/1990], qui oblige l’administration à appliquer les principes de l’ordre juridique de l’Union européenne, et, partant, que l’interprétation et l’application de la possibilité reconnue à l’administration de compléter la motivation des décisions administratives au cours de la procédure sont conformes et admissibles?»
Sur les questions préjudicielles
Sur les deuxième et troisième questions
19 Il convient d’emblée de constater que les deuxième et troisième questions portent sur l’interprétation des dispositions du traité FUE et de la Charte dans une situation qui est, comme la Corte dei conti, sezione giurisdizionale per la Regione Siciliana, le relève elle-même, purement interne.
20 Dans ces conditions, il y a lieu pour la Cour de vérifier d’office sa propre compétence pour se prononcer sur l’interprétation desdites dispositions (voir, en ce sens, arrêt du 22 décembre 2010, Omalet, C-245/09, Rec. p. I-13771, point 10 et jurisprudence citée).
21 Selon une jurisprudence constante, la Cour est compétente pour statuer sur les demandes de décision préjudicielle portant sur des dispositions du droit de l’Union dans des situations dans lesquelles les faits au principal se situent en dehors du champ d’application du droit de l’Union, mais dans lesquelles le droit national renvoie au contenu desdites dispositions du droit de l’Union pour déterminer les règles applicables à une situation purement interne de l’État membre concerné (voir,
notamment, arrêts du 16 mars 2006, Poseidon Chartering, C-3/04, Rec. p. I-2505, point 15; du 11 décembre 2007, ETI e.a., C-280/06, Rec. p. I-10893, points 22 et 26; du 2 mars 2010, Salahadin Abdulla e.a., C-175/08, C-176/08, C-178/08 et C-179/08, Rec. p. I-1493, point 48; Cicala, précité, point 17, ainsi que du 18 octobre 2012, Nolan, C‑583/10, point 45).
22 En effet, il existe un intérêt certain de l’Union à ce que, pour éviter des divergences d’interprétation futures, les dispositions ou les notions reprises du droit de l’Union reçoivent une interprétation uniforme, lorsqu’une législation nationale se conforme, pour les solutions qu’elle apporte à des situations ne relevant pas du champ d’application de l’acte de l’Union concerné, à celles retenues par ledit acte, afin d’assurer un traitement identique aux situations internes et aux situations
régies par le droit de l’Union, quelles que soient les conditions dans lesquelles les dispositions ou les notions reprises du droit de l’Union sont appelées à s’appliquer (voir, en ce sens, arrêts Salahadin Abdulla e.a., précité, point 48; du 12 juillet 2012, SC Volksbank România, C‑602/10, points 87 et 88; Nolan, précité, point 46 et jurisprudence citée, ainsi que du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a., C‑32/11, points 20 et 21).
23 Tel est le cas dès lors que les dispositions du droit de l’Union en cause ont été rendues applicables de manière directe et inconditionnelle, par le droit national, à de telles situations (voir, en ce sens, arrêts précités Cicala, point 19, et Nolan, point 47).
24 En ce qui concerne la législation en cause dans l’affaire au principal, la Cour, saisie par la Corte dei conti, sezione giurisdizionale per la Regione Siciliana, de questions identiques aux deuxième et troisième questions posées dans la présente affaire dans une affaire comparable, a déjà eu à connaître de la question de savoir si l’article 1er de la loi no 241/1990 contient un renvoi au droit de l’Union, au sens de la jurisprudence précitée de la Cour, permettant à cette dernière de répondre à
des questions portant sur l’interprétation du droit de l’Union dans le cadre de litiges purement internes (voir arrêt Cicala, précité).
25 Dans l’arrêt rendu dans cette dernière affaire, la Cour a, sur la base des informations fournies dans la décision de renvoi ainsi que des observations écrites soumises à la Cour par la Regione Siciliana, le gouvernement italien et la Commission européenne, jugé que, notamment, la loi no 241/1990 ne comporte pas d’indications suffisamment précises desquelles il pourrait être déduit que, en renvoyant, à son article 1er, aux principes tirés du droit de l’Union, le législateur national aurait,
s’agissant de l’obligation de motivation, entendu opérer un renvoi au contenu des dispositions des articles 296, deuxième alinéa, TFUE et 41, paragraphe 2, sous c), de la Charte ou encore à d’autres règles du droit de l’Union concernant l’obligation de motivation des actes, afin que soit appliqué un traitement identique aux situations internes et aux situations régies par ce droit. Dans ces conditions, la Cour s’est déclarée incompétente pour statuer sur les questions posées par la Corte dei
conti, sezione giurisdizionale per la Regione Siciliana.
26 Notamment, la Cour a constaté aux points 23 à 25 de l’arrêt Cicala, précité, d’une part, que la loi no 241/1990 ainsi que la loi régionale de Sicile no 10/1991 prévoient des règles spécifiques en ce qui concerne l’obligation de motivation des actes administratifs et la violation de cette obligation et, d’autre part, que l’article 1er de la loi no 241/1990 renvoie de manière générale aux «principes tirés de l’ordre juridique communautaire», et non pas spécifiquement aux articles 296, deuxième
alinéa, TFUE et 41, paragraphe 2, sous c), de la Charte, visés par les questions préjudicielles, ou encore à d’autres règles du droit de l’Union concernant l’obligation de motivation des actes.
27 La Cour en a tiré, aux points 26 et 27 dudit arrêt, la conclusion qu’il ne saurait être considéré que les articles 296, deuxième alinéa, TFUE et 41, paragraphe 2, sous c), de la Charte ont été rendus applicables par le droit italien de manière directe et inconditionnelle, afin d’assurer un traitement identique aux situations internes et aux situations régies par le droit de l’Union.
28 Au point 28 du même arrêt, la Cour a ajouté que la Corte dei conti, sezione giurisdizionale per la Regione Siciliana, n’a pas fait état de ce que le renvoi, prévu à l’article 1er de la loi no 241/1990, aux principes tirés du droit de l’Union, aurait pour conséquence d’écarter les règles nationales relatives à l’obligation de motivation au profit des articles 296, deuxième alinéa, TFUE et 41, paragraphe 2, sous c), de la Charte.
29 Or, dans la présente affaire, la juridiction de renvoi n’a pas fait mention, ainsi que l’a relevé la Commission dans ses observations écrites soumises à la Cour, de raisons susceptibles de remettre en cause la conclusion selon laquelle la Cour n’est pas compétente pour répondre aux questions posées.
30 Ainsi, est dépourvue de pertinence la référence faite à la décision du Consiglio di Stato citée dans la décision de renvoi. En effet, cette décision porte sur des problématiques et des normes du droit italien différentes de celles en cause au principal, sans que ladite décision ait trait à la question de savoir si l’article 1er de la loi no 241/1990 contient un renvoi, au sens de la jurisprudence de la Cour, aux articles 296, deuxième alinéa, TFUE et 41, paragraphe 2, sous c), de la Charte.
31 En outre, il ne ressort pas de la motivation fournie par la Corte dei conti, sezione giurisdizionale per la Regione Siciliana, à l’appui de sa décision de saisir la Cour des mêmes questions que celles posées dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Cicala, précité, que le renvoi, prévu à l’article 1er de la loi no 241/1990, aux principes tirés du droit de l’Union, vise effectivement à assurer un traitement identique aux situations internes et aux situations régies par le droit de l’Union.
32 Or, conformément aux considérations figurant notamment au point 24 du présent arrêt, dès lors que des dispositions d’une réglementation nationale sont d’application afin de régler la situation interne concernée, telles que les règles spécifiques du droit italien en cause au principal relatives à l’obligation de motivation et aux conséquences d’une violation de cette obligation, il appert qu’une disposition de cette même réglementation nationale renvoyant au droit de l’Union, telle que celle en
cause au principal, ne vise pas à assurer un tel traitement identique.
33 En effet, un traitement identique n’est assuré que si le renvoi opéré par le droit national aux règles de l’Union est direct et inconditionnel, sans que des dispositions du droit national permettent de s’écarter de ces règles, telles qu’interprétées par la Cour (voir, en ce sens, arrêts du 28 mars 1995, Kleinwort Benson, C-346/93, Rec. p. I-615, point 16; Poseidon Chartering, précité, points 17 et 18; ETI e.a., précité, point 25, ainsi que Allianz Hungária Biztosító e.a., précité, point 21).
34 Ainsi, dès lors que figurent dans une réglementation nationale à la fois des règles spécifiques, telles que celles reproduites aux points 4 à 7 du présent arrêt en ce qui concerne l’obligation de motivation, pour la solution d’une question de droit interne, et une disposition renvoyant aux principes tirés du droit de l’Union, comme cela est le cas dans la réglementation nationale en cause au principal, il doit ressortir avec clarté de cette réglementation nationale que ce sont non pas ces règles
spécifiques du droit national, mais les principes tirés du droit de l’Union qui doivent être appliqués pour la solution de la même question de droit interne.
35 En l’espèce, eu égard aux considérations dont fait état la Corte dei conti, sezione giurisdizionale per la Regione Siciliana, dans la décision de renvoi, il n’appert pas que le législateur italien ait entendu, s’agissant de l’obligation de motivation, soumettre des situations purement internes aux articles 296, deuxième alinéa, TFUE et 41, paragraphe 2, sous c), de la Charte, au lieu de les soumettre aux règles spécifiques du droit italien relatives à l’obligation de motivation et aux
conséquences d’une violation de cette obligation.
36 La Corte dei conti, sezione giurisdizionale per la Regione Siciliana, n’a pas non plus relevé d’éléments desquels il pourrait être déduit que le renvoi, prévu à l’article 1er de la loi no 241/1990, aux principes tirés du droit de l’Union se réfère effectivement au contenu des dispositions des articles 296, deuxième alinéa, TFUE et 41, paragraphe 2, sous c), de la Charte ou encore à d’autres règles du droit de l’Union concernant l’obligation de motivation des actes.
37 Dans ces conditions, il ne saurait être considéré que les articles 296, deuxième alinéa, TFUE et 41, paragraphe 2, sous c), de la Charte ou encore d’autres règles du droit de l’Union concernant l’obligation de motivation des actes ont été rendus applicables, en tant que tels, d’une manière directe et inconditionnelle, par l’article 1er de la loi no 241/1990, afin que soit appliqué un traitement identique aux situations internes et aux situations relevant du droit de l’Union. Il convient donc de
constater que fait défaut, en l’occurrence, un intérêt certain de l’Union à ce que soit préservée une uniformité d’interprétation de dispositions ou de notions reprises du droit de l’Union, quelles que soient les conditions dans lesquelles celles-ci sont appelées à s’appliquer.
38 Par conséquent, la Cour n’est pas compétente pour répondre aux deuxième et troisième questions préjudicielles.
Sur la première question
39 Il résulte des constatations qui précèdent que la première question vise, en réalité, à conduire la Cour à formuler une opinion consultative sur une question générale qui est sans objet pour la solution du litige pendant devant la Corte dei conti, sezione giurisdizionale per la Regione Siciliana.
40 Or, selon une jurisprudence constante de la Cour, la justification d’une demande de décision préjudicielle est non pas la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais le besoin inhérent à la solution effective d’un litige portant sur le droit de l’Union (voir arrêts du 12 mars 1998, Djabali, C-314/96, Rec. p. I-1149, point 19; du 30 mars 2004, Alabaster, C-147/02, Rec. p. I-3101, point 54, et du 26 février 2013, Åkerberg Fransson, C‑617/10, point 42).
41 Il s’ensuit que la première question doit être considérée comme irrecevable.
42 Dans ces conditions, il n’y a pas lieu d’examiner le point de savoir si la Corte dei conti, sezione giurisdizionale per la Regione Siciliana, est, dans le contexte du litige au principal, une juridiction, au sens de l’article 267 TFUE.
Sur les dépens
43 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit:
1) La première question posée par la Corte dei conti, sezione giurisdizionale per la Regione Siciliana (Italie), par décision du 19 juin 2012, est irrecevable.
2) La Cour de justice de l’Union européenne n’est pas compétente pour répondre aux deuxième et troisième questions posées par la Corte dei conti, sezione giurisdizionale per la Regione Siciliana, par décision du 19 juin 2012.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure: l’italien.