CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. MELCHIOR WATHELET
présentées le 25 février 2014 ( 1 )
Affaires jointes C‑129/13 et C‑130/13
Kamino International Logistics BV (C‑129/13),
Datema Hellmann Worldwide Logistics BV (C‑130/13)
contre
Staatssecretaris van Financiën
[demandes de décision préjudicielle formées par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays‑Bas)]
«Recouvrement d’une dette douanière — Droit de la défense — Principe du respect des droits de la défense — Effet direct»
I – Introduction
1. Les affaires jointes soumises à la Cour concernent les droits de la défense et, plus précisément, le droit d’être entendu dans le cadre d’une procédure administrative.
2. Par ses décisions de renvoi du 22 février 2013, parvenues à la Cour le 18 mars 2013, le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas) interroge tout d’abord la Cour sur l’applicabilité directe du principe du respect des droits de la défense. En cas de réponse positive, il se demande si le droit d’être entendu doit être considéré comme violé dès lors que la personne physique ou morale concernée n’a eu l’occasion de faire connaître sa position qu’à l’occasion d’un recours administratif, c’est-à-dire après
que la décision initiale a été prise. Il questionne enfin la Cour sur les conséquences juridiques d’une éventuelle violation du principe du respect des droits de la défense et les circonstances susceptibles d’influencer celles-ci.
II – Le cadre juridique
A – Le droit de l’Union
1. La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
3. L’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte»), intitulé «Droit à une bonne administration», dispose, à ses paragraphes 1 et 2:
«1. Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions, organes et organismes de l’Union.
2. Ce droit comporte notamment:
a) le droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre;
[...]»
4. L’article 51 de la Charte, intitulé «Champ d’application», dispose à son paragraphe 1:
«Les dispositions de la présente Charte s’adressent aux institutions, organes et organismes de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu’aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l’application, conformément à leurs compétences respectives et dans le respect des limites des compétences de l’Union telles qu’elles sont conférées dans les traités.»
2. Le règlement (CEE) no 2913/92
5. Les articles 220 et 221 du règlement (CEE) no 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire ( 2 ) (ci‑après le «CDC»), font partie du chapitre 3, section 1, intitulée «Prise en compte et communication au débiteur du montant des droits».
6. L’article 220, paragraphe 1, du CDC énonce:
«Lorsque le montant des droits résultant d’une dette douanière n’a pas été pris en compte conformément aux articles 218 et 219 ou a été pris en compte à un niveau inférieur au montant légalement dû, la prise en compte du montant des droits à recouvrer ou restant à recouvrer doit avoir lieu dans un délai de deux jours à compter de la date à laquelle les autorités douanières se sont aperçues de cette situation et sont en mesure de calculer le montant légalement dû et de déterminer le débiteur (prise
en compte a posteriori). Ce délai peut être augmenté conformément à l’article 219.»
7. L’article 221 du CDC énonce:
«1. Le montant des droits doit être communiqué au débiteur selon des modalités appropriées dès qu’il a été pris en compte.
[...]
3. La communication au débiteur ne peut plus être effectuée après l’expiration d’un délai de trois ans à compter de la date de la naissance de la dette douanière. Ce délai est suspendu à partir du moment où est introduit un recours au sens de l’article 243 et pendant la durée de la procédure de recours.
[...]»
8. Les articles 243 à 245 du CDC font partie du titre VIII, intitulé «Droit de recours».
9. L’article 243 du CDC dispose ce qui suit:
«1. Toute personne a le droit d’exercer un recours contre les décisions prises par les autorités douanières qui ont trait à l’application de la réglementation douanière et qui la concernent directement et individuellement.
À également le droit d’exercer un recours, la personne qui avait sollicité une décision relative à l’application de la réglementation douanière auprès des autorités douanières, mais qui n’a pas obtenu que celles-ci statuent sur cette demande dans le délai visé à l’article 6 paragraphe 2.
Le recours doit être introduit dans l’État membre où la décision a été prise ou sollicitée.
2. Le droit de recours peut être exercé:
a) dans une première phase, devant l’autorité douanière désignée à cet effet par les États membres;
b) dans une seconde phase, devant une instance indépendante qui peut être une autorité judiciaire ou un organe spécialisé équivalent, conformément aux dispositions en vigueur dans les États membres.»
10. L’article 244 du CDC dispose:
«L’introduction d’un recours n’est pas suspensive de l’exécution de la décision contestée.
Toutefois, les autorités douanières sursoient en tout ou en partie à l’exécution de ladite décision lorsqu’elles ont des raisons fondées de douter de la conformité de la décision contestée à la réglementation douanière ou qu’un dommage irréparable est à craindre pour l’intéressé.
Lorsque la décision contestée a pour effet l’application de droits à l’importation ou de droits à l’exportation, le sursis à l’exécution de cette décision est subordonné à l’existence ou à la constitution d’une garantie. Toutefois, cette garantie peut ne pas être exigée lorsqu’une telle exigence serait de nature, en raison de la situation du débiteur, à susciter de graves difficultés d’ordre économique ou social.»
11. L’article 245 du CDC énonce:
«Les dispositions relatives à la mise en œuvre de la procédure de recours sont arrêtées par les États membres.»
B – Le droit néerlandais
12. Selon l’article 4:8, paragraphe 1, de la loi générale en matière administrative (Algemene wet bestuursrecht, ci‑après l’«Awb»), avant de prendre une décision qui fera probablement grief à un intéressé qui n’a pas demandé cette décision, l’administration lui permet d’exposer son point de vue si, d’une part, ladite décision repose sur des éléments relatifs à des faits et à des intérêts qui concernent l’intéressé et, d’autre part, ces éléments n’ont pas été communiqués par l’intéressé lui-même.
13. L’article 4:12, paragraphe 1, de l’Awb est libellé comme suit:
«L’organe administratif peut ne pas appliquer les dispositions des articles 4:7 et 4:8 lorsqu’il prend une décision tendant à l’établissement d’une obligation ou d’un droit financiers si:
a) une réclamation ou un recours administratif peuvent être introduits contre cette décision, et
b) les conséquences négatives de la décision sont susceptibles d’être effacées intégralement à l’issue de la réclamation ou du recours.»
14. L’article 6:22 de l’Awb est libellé comme suit:
«La décision contre laquelle sont introduits une réclamation ou un recours peut, en dépit de la violation d’une règle de droit écrite ou non écrite ou d’un principe général de droit, être maintenue par l’organe qui statue sur la réclamation ou le recours, s’il peut être admis que cette violation de la règle ou du principe n’a pas porté préjudice aux intéressés.»
15. L’article 7:2 de l’Awb est libellé comme suit:
«1. Avant de statuer sur la réclamation, l’organe administratif offre la possibilité à l’intéressé d’être entendu.
2. L’organe administratif en informe en tous les cas l’auteur de la réclamation ainsi que les intéressés qui, dans le cadre de la préparation de la décision, ont fait valoir leur position.»
16. Les décisions administratives peuvent ensuite faire l’objet d’un recours juridictionnel, avec possibilité d’appel et de cassation.
III – Les faits, la procédure au principal et les questions préjudicielles
A – Les faits à la base des demandes de décision préjudicielle
17. Dans chacune des procédures au principal pendantes devant la juridiction nationale, un commissionnaire en douane, à savoir Kamino International Logistics BV, dans l’affaire C‑129/13 et Datema Hellmann Worldwide Logistics BV, dans l’affaire C‑130/13 (ci‑après les «intéressés»), a, sur mandat de la même entreprise, introduit en 2002 et en 2003 des déclarations en vue de la mise en libre pratique de marchandises déterminées, décrites comme des «pavillons de jardin/tentes pour fêtes et parois
latérales». Les intéressés ont déclaré ces marchandises sous la position 6 601 10 00 («parasols de jardins et articles similaires») de la nomenclature combinée (ci-après la «NC»). La douane a perçu des droits de douane au taux de 4,7 % prévu pour cette position.
18. Par la suite, les autorités douanières néerlandaises ont effectué, auprès du mandant des intéressés, un contrôle visant à s’assurer de l’exactitude de ce classement tarifaire. À la suite de ce contrôle, l’autorité néerlandaise compétente, à savoir l’inspecteur des impôts, a conclu que ledit classement était incorrect et que les marchandises concernées devaient être classées sous la position 6 306 99 00 de la NC («tentes et articles de camping») à laquelle s’applique un taux plus élevé (12,2 %).
19. Compte tenu de la différence des taux applicables aux deux positions précitées, l’inspecteur des impôts a, par décision du 2 avril 2005, procédé au recouvrement a posteriori du supplément de droits de douane (dans les deux cas, une somme d’environ 10000 euros). Chacun des intéressés a reçu à cette fin un avis de paiement (ci-après l’«ADP») établi sur la base de l’article 220 du CDC.
20. Les intéressés n’ont pas eu la possibilité de faire valoir leurs arguments préalablement à la délivrance de ces ADP.
B – Le déroulement des procédures administrative et judiciaire
21. Les intéressés ont introduit une réclamation contre les ADP précités auprès de l’inspecteur des impôts, lequel leur a donné la possibilité de faire valoir leur position, mais a déclaré les réclamations non fondées.
22. Les recours introduits par les intéressés contre cette décision de l’inspecteur des impôts ont été déclarés non fondés par le Rechtbank te Haarlem. En appel, le Gerechtshof te Amsterdam a confirmé le jugement du Rechtbank te Haarlem en ce qu’il obligeait les intéressés à s’acquitter de leurs obligations au titre des ADP.
23. Les intéressés ont alors formé un pourvoi en cassation auprès du Hoge Raad der Nederlanden. C’est dans le cadre de cette procédure que les questions préjudicielles ont été posées.
24. Dans ses décisions de renvoi, le Hoge Raad der Nederlanden rappelle que le Gerechtshof te Amsterdam a considéré, en appel, que l’inspecteur des impôts avait enfreint le principe du respect des droits de la défense dans la mesure où il n’avait pas offert aux intéressés, avant l’émission des ADP, l’occasion de s’exprimer sur les éléments qui fondaient le recouvrement a posteriori des droits de douane.
25. Il relève néanmoins que ni le CDC ni le droit national applicable ne contiennent de dispositions procédurales obligeant les autorités douanières à donner au redevable de droits de douane, avant de procéder à la communication d’une dette douanière visée à l’article 221, paragraphe 1, du CDC, la possibilité de faire connaître sa position à propos des éléments sur lesquels se fonde le recouvrement a posteriori.
26. Partant de ce constat, le Hoge Raad der Nederlanden se demande, tout d’abord, si le principe du respect des droits de la défense se prête à une application directe par la juridiction nationale. Ensuite, si la réponse à cette question devait être positive, il souhaite savoir s’il est exact que, comme l’a conclu le Gerechtshof te Amsterdam, le principe du respect des droits de la défense (et plus particulièrement le droit d’être entendu qui en fait partie), a été enfreint alors que, si les
intéressés n’ont pu présenter leurs arguments avant la première décision de l’inspecteur des impôts, ils ont eu l’occasion de défendre leur position lors des procédures de réclamation et de recours. Enfin, le Hoge Raad der Nederlanden interroge la Cour sur les conséquences juridiques de la violation du principe des droits de la défense et si celles‑ci doivent être déterminées conformément au droit national ou en vertu du droit de l’Union. De façon plus précise, et dans l’hypothèse où ces
conséquences juridiques sont déterminées par le droit de l’Union, le Hoge Raad der Nederlanden souhaite savoir si, en cas de violation du principe du respect des droits de la défense, le juge national est tenu d’annuler la décision contestée ou s’il peut, dans son appréciation, tenir compte du fait que sans la violation en cause, la décision aurait été identique.
C – Les questions préjudicielles
27. Dans ces conditions, le Hoge Raad der Nederlanden a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes, rédigées en des termes identiques dans chacune des affaires jointes:
«1) Le principe de droit européen du respect par l’administration des droits de la défense se prête-t-il à une application directe par le juge national?
2) Si la réponse à la [première question] est affirmative:
a) Le principe de droit européen du respect par l’administration des droits de la défense doit-il être interprété en ce sens que ledit principe est enfreint dès lors que le destinataire d’une décision envisagée n’a certes pas été entendu avant que l’administration prenne une mesure qui lui fait grief, mais qu’elle lui donne néanmoins la possibilité d’être entendu, dans une phase administrative ultérieure (de réclamation), qui précède l’accès au juge national?
b) Les conséquences juridiques de la violation par l’administration du principe de droit européen du respect des droits de la défense doivent-elles être déterminées par le droit national?
3) Si la réponse à la [deuxième question], sous b), est négative, quelles sont les circonstances que le juge national, s’agissant de déterminer les conséquences juridiques, peut prendre en considération, et ce dernier peut-il notamment prendre en considération la question de savoir s’il est permis de considérer que la procédure, sans la violation par l’administration du principe de droit européen du respect des droits de la défense, aurait eu une autre issue?»
IV – La procédure devant la Cour
28. Les demandes de décision préjudicielle ont été déposées à la Cour le 18 mars 2013. Par décision du 24 avril 2013, le président de la Cour a ordonné la jonction des affaires.
29. Les intéressés, les gouvernements néerlandais, belge, grec et espagnol ainsi que la Commission européenne ont déposé des observations écrites. Une audience s’est tenue le 15 janvier 2014, lors de laquelle les intéressés, les gouvernements néerlandais, belge et grec ainsi que la Commission ont présenté leurs observations orales.
V – Analyse juridique
A – Sur la première question préjudicielle
30. Par sa première question, la juridiction de renvoi souhaite savoir si le principe du respect des droits de la défense se prête à une application directe par le juge national.
31. Il est certain que «les droits de la défense, qui comportent le droit d’être entendu [...], figurent au nombre des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union et consacrés par la Charte» ( 3 ).
32. C’est, par ailleurs, à l’occasion d’une affaire relative à une procédure de récupération a posteriori de droits de douane à l’importation que la Cour a précisé que, en vertu de ce principe, «les destinataires de décisions qui affectent de manière sensible leurs intérêts doivent être mis en mesure de faire connaître utilement leur point de vue quant aux éléments sur lesquels l’administration entend fonder sa décision» ( 4 ). En d’autres termes, «le droit d’être entendu garantit à toute personne
la possibilité de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours de la procédure administrative et avant l’adoption de toute décision susceptible d’affecter de manière défavorable ses intérêts» ( 5 ).
33. En outre, «le droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre» est désormais expressément inclus, par l’article 41, paragraphe 2, de la Charte, dans le droit à une bonne administration.
34. Il ne peut être contesté que, en l’espèce, s’agissant d’une procédure relative au recouvrement a posteriori de droits de douane et donc d’une mise en œuvre du droit de l’Union, l’article 41 de la Charte doit être respecté par les États membres, conformément à l’article 51, paragraphe 1, de la Charte.
35. Quant au rôle du juge national, la Cour a déjà eu l’occasion de préciser, dans l’arrêt Sopropé, précité, que c’est à lui qu’il appartient «de s’assurer que le délai [destiné à recueillir les observations des intéressés] ainsi individuellement assigné par l’administration correspond à la situation particulière de la personne ou de l’entreprise en cause et qu’il leur a permis d’exercer leurs droits de la défense dans le respect du principe d’effectivité» ( 6 ).
36. Par conséquent, il m’apparaît ressortir des considérations qui précèdent que non seulement les administrations nationales sont tenues de respecter les droits de la défense lorsqu’elles mettent en œuvre le droit de l’Union, mais également que les intéressés doivent pouvoir en invoquer directement le respect devant les juridictions nationales, et ce afin d’éviter que ces droits restent lettre morte ou de pure forme ( 7 ).
B – Sur la deuxième question préjudicielle, sous a)
37. La deuxième question préjudicielle se divise en deux sous-questions.
38. La deuxième question, sous a), vise à savoir si les droits de la défense du destinataire d’une décision sont violés s’il n’a pas été entendu préalablement à la prise de décision (en l’occurrence l’ADP), alors même qu’il pourra faire valoir sa position lors d’une phase de réclamation administrative ultérieure. La deuxième question, sous b), porte sur les conséquences juridiques d’une violation du principe du respect des droits de la défense. Cette dernière sous-question se rapporte à la même
thématique que la troisième question posée par la juridiction de renvoi. Je les examinerai donc conjointement ultérieurement et limiterai ici mon exposé à la deuxième question, sous a).
39. Cependant, avant cet examen, je voudrais aborder une question largement débattue lors de l’audience et mentionnée par le juge de renvoi, celle de savoir si la procédure allant de l’ADP jusqu’à la décision sur réclamation introduite sur la base de l’Awb constitue une procédure unique (auquel cas les droits de la défense du destinataire de la décision, par définition unique, auraient été nécessairement respectés) ou si, au contraire, elle comprend deux phases et deux décisions, la seconde
n’intervenant qu’en cas de réclamation contre la première (auquel cas se pose la question du respect des droits de la défense, puisque le destinataire des décisions n’a été entendu qu’après la décision initiale et sa réclamation).
40. Même si l’autorité administrative est la même tout au long de la procédure (encore que le représentant du gouvernement néerlandais ait indiqué lors de l’audience que cette autorité pouvait faire appel à une autre instance, mais sous sa compétence et son autorité), je penche clairement pour la deuxième branche de l’alternative.
41. En effet, l’établissement et l’envoi de l’ADP constituent une décision ayant des effets juridiques propres qui imposent au destinataire de payer, en l’espèce, un supplément de droits de douane. Or, ces effets sont définitifs si le destinataire, qui à ce stade n’a pas été entendu, n’introduit pas de réclamation. Ce n’est que dans le cadre de l’éventuelle réclamation que l’autorité administrative compétente devra entendre l’intéressé, procéder à un réexamen complet du dossier et prendre une
nouvelle décision ou confirmer l’ADP entrepris.
42. De plus, il ressort de l’examen du droit de l’Union et du droit national applicables que la réclamation n’a pas d’effet suspensif automatique, le paiement des droits de douane réclamés restant exigible. Que la suspension puisse être demandée (et que, selon les déclarations du représentant du gouvernement néerlandais lors de l’audience, une circulaire ministérielle impose de l’accorder sous réserve des cas de fraude) ne change rien au fait que l’ADP constitue une décision aux effets juridiques
autonomes.
43. C’est donc sur la base de cette hypothèse que je raisonnerai dans les considérations qui suivent.
1. L’objectif poursuivi par le droit d’être entendu
44. Pour répondre à la question posée par le Hoge Raad der Nederlanden, il convient tout d’abord de rappeler l’objectif poursuivi par le principe du respect des droits de la défense, et plus précisément par le droit d’être entendu.
45. Selon la Cour, «[l]a règle selon laquelle le destinataire d’une décision faisant grief doit être mis en mesure de faire valoir ses observations avant que celle-ci soit prise a pour but que l’autorité compétente soit mise à même de tenir utilement compte de l’ensemble des éléments pertinents. Afin d’assurer une protection effective de la personne ou de l’entreprise concernée, elle a notamment pour objet que ces derniers puissent corriger une erreur ou faire valoir tels éléments relatifs à leur
situation personnelle qui militent dans le sens que la décision soit prise, ne soit pas prise ou qu’elle ait tel ou tel contenu» ( 8 ).
46. En d’autres termes, «[l]e droit d’être entendu garantit à toute personne la possibilité de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours de la procédure administrative et avant l’adoption de toute décision susceptible d’affecter de manière défavorable ses intérêts» ( 9 ).
47. La Cour avait déjà explicité la portée du droit d’être entendu à l’occasion de l’affaire Gerlach ( 10 ), relative à la procédure de transit dans l’Union. Selon la Cour, il découlait de la réglementation applicable au moment des faits ( 11 ) que l’État membre du bureau de départ ne pouvait procéder au recouvrement des droits à l’importation que s’il avait préalablement indiqué au principal obligé que celui-ci disposait d’un délai de trois mois pour apporter les preuves demandées et que si ces
dernières n’avaient pas été apportées dans ledit délai. La Cour a estimé que, dans ces conditions, ledit délai ne pouvait être accordé, pour la première fois, lors d’une procédure de réclamation introduite contre la décision des autorités compétentes de procéder au recouvrement des droits à l’importation ( 12 ). En effet, la Cour a décrit le droit du principal obligé comme étant celui qui consiste à «faire connaître utilement son point de vue sur la régularité de l’opération de transit, avant
l’adoption de la décision de recouvrement dont il est destinataire et qui affecte de manière sensible ses intérêts» ( 13 ).
48. Il découle de cette jurisprudence que le fait d’accorder au destinataire d’une décision lui faisant grief le droit de défendre sa position après l’adoption de ladite décision, ne respecte ni le droit d’être entendu ni les droits de la défense.
49. Toutefois, selon une jurisprudence également constante, «les droits fondamentaux, tels que le respect des droits de la défense, n’apparaissent pas comme des prérogatives absolues, mais peuvent comporter des restrictions, à condition que celles-ci répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis par la mesure en cause et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même des droits ainsi
garantis» ( 14 ). Dans le même arrêt Dokter e.a., précité, la Cour précise encore qu’une telle restriction «ne saurait constituer une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même des droits de la défense que si les intéressés étaient privés de la possibilité de contester lesdites mesures dans une procédure ultérieure, et de faire valoir utilement leur point de vue dans le cadre de celle-ci» ( 15 ).
2. La restriction au principe du droit d’être entendu
50. Pour répondre à la question de savoir si la restriction au droit d’être entendu créée par la procédure mise en place par le Royaume des Pays-Bas répond aux conditions contenues dans l’arrêt Dokter e.a., précité, il convient d’avoir égard, d’une part, aux conditions impératives imposées par le droit de l’Union lui-même pour la prise en compte a posteriori des droits résultant d’une dette douanière et, d’autre part, à l’ensemble de la procédure administrative telle qu’elle est organisée par la
législation nationale.
a) Les délais imposés par le CDC
51. L’article 220, paragraphe 1, du CDC impose que, lorsque le montant des droits résultant d’une dette douanière n’a pas été pris en compte conformément aux articles 218 et 219 de celui-ci ou a été pris en compte à un niveau inférieur au montant légalement dû, la prise en compte du montant des droits à recouvrer ou restant à recouvrer doit avoir lieu dans un délai de deux jours à compter de la date à laquelle les autorités douanières se sont aperçues de cette situation et sont en mesure de calculer
le montant légalement dû et de déterminer le débiteur. L’article 221 du CDC ajoute que le montant des droits doit être communiqué au débiteur dès qu’il a été pris en compte.
52. Un tel délai de deux jours, impératif, apparaît difficilement conciliable avec l’obligation d’entendre l’intéressé préalablement à la décision de prise en compte du montant des droits à recouvrer.
53. L’adéquation de ce délai avec le principe du respect des droits de la défense a d’ailleurs déjà été discutée dans une affaire de manquement mettant en cause la République italienne ( 16 ). Si la Cour a estimé que le principe du respect des droits de la défense trouvait à s’appliquer lors d’une procédure de recouvrement a posteriori, elle a néanmoins complété cette affirmation d’une réserve selon laquelle ledit principe «ne saurait en revanche [...] avoir pour conséquence de permettre à un État
membre de méconnaître son obligation de constater, dans les délais prévus par la réglementation communautaire, le droit [de l’Union] sur les ressources propres» ( 17 ).
54. Dans cet arrêt, la Cour a donc choisi de faire suivre le rappel du principe d’une réserve. Il découle de cette formulation que, si, certes, le principe du droit de la défense doit être respecté, il ne peut conduire à la violation des délais imposés aux États membres par la réglementation douanière de l’Union.
55. Consciente de la limitation des droits de la défense induite par cette réserve, la Cour l’atténue en précisant, «[p]ar ailleurs, [qu’]il convient de rappeler que la prise en compte et la communication des droits de douane dus ainsi que l’inscription des ressources propres n’empêchent pas le débiteur de contester, en application des articles 243 et suivants du code des douanes, l’obligation qui lui est imputée en faisant valoir tous les arguments à sa disposition» ( 18 ).
56. Le législateur de l’Union semble lui-même conscient de la difficulté pour les États membres d’entendre l’intéressé avant la prise en compte du montant des droits à recouvrer.
57. En effet, d’une part, l’article 22, paragraphe 6, du règlement (UE) no 952/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 9 octobre 2013, établissant le code des douanes de l’Union (refonte) ( 19 ), prévoit désormais expressément que, «[a]vant de prendre une décision susceptible d’avoir des conséquences défavorables pour le demandeur, les autorités douanières informent le demandeur des motifs sur lesquels elles comptent fonder leur décision, lequel a la possibilité d’exprimer son point de vue dans
un délai déterminé à compter de la date à laquelle il reçoit ou à laquelle il est réputé avoir reçu cette communication desdits motifs». Le considérant 27 de ce règlement précise par ailleurs que cette obligation est rendue nécessaire par la Charte. D’autre part, selon l’article 105, paragraphe 3, dudit règlement, la prise en compte du montant des droits à l’importation ou à l’exportation exigibles interviendra, lorsque les dispositions pertinentes seront applicables ( 20 ), dans un délai de
quatorze jours à compter de la date à laquelle les autorités douanières «sont en mesure de déterminer le montant des droits à l’importation ou à l’exportation en cause et d’arrêter une décision» ( 21 ).
b) Les caractéristiques de la procédure administrative nationale en cause
58. En l’espèce, la procédure administrative est organisée par l’Awb. Le principe, prévu à l’article 4:8 de l’Awb, veut que les organes de l’administration, avant de prendre une décision qui pourrait faire grief à un intéressé qui n’a pas demandé cette décision, lui permettent d’exposer son point de vue sur la décision envisagée.
59. Selon l’article 4:12 de l’Awb, ce principe ne s’applique toutefois pas pour les décisions de nature financière si, d’une part, une réclamation peut être introduite contre la décision et si, d’autre part, les conséquences défavorables sont susceptibles d’être entièrement effacées à l’issue du recours.
60. En l’espèce, ces deux conditions semblent être remplies.
61. En effet, les intéressés ont eu la possibilité de faire réexaminer la décision par l’organe administratif à l’origine de la décision (avant de pouvoir introduire un recours juridictionnel avec une possibilité d’appel et de pourvoi en cassation).
62. Or, selon le gouvernement néerlandais, ce réexamen administratif s’effectue ex nunc, c’est‑à‑dire sur la base des dispositions légales et des faits pertinents tels qu’ils se présentent au moment où la décision sur la réclamation est prise. Les conséquences négatives de la décision attaquée pourraient donc être effacées à l’issue de la procédure de réclamation.
63. De plus, conformément à l’article 7:2 de l’Awb, «[a]vant de statuer sur la réclamation, l’organe administratif offre la possibilité à l’intéressé d’être entendu».
64. J’observe toutefois que, selon l’article 244, premier alinéa, du CDC, l’introduction d’un recours n’est pas suspensive de l’exécution de la décision contestée. Il est vrai que le deuxième alinéa dudit article tempère la règle en autorisant les autorités douanières à surseoir, en tout ou en partie, à l’exécution de ladite décision. Toutefois, cette suspension n’est possible que si les autorités douanières ont des raisons fondées de douter de la conformité de la décision contestée à la
réglementation douanière ou si un dommage irréparable est à craindre pour l’intéressé. En outre, l’article 244, troisième alinéa, du CDC impose, dans ce cas, la constitution d’une garantie (sous réserve de graves difficultés d’ordre économique ou social pour le débiteur).
65. Selon le gouvernement néerlandais, les conséquences négatives éventuelles de la décision litigieuse pourraient néanmoins être effacées a posteriori, dans la mesure où le paiement pourrait être reporté en cas de réclamation et la décision suspendue dans l’attente de l’issue de la réclamation (et du recours) en vertu des règles nationales.
66. Cependant, comme je l’ai déjà relevé, le représentant du gouvernement néerlandais a indiqué lors de l’audience que cette suspension n’était pas automatique mais devait être demandée, dans sa réclamation, par le destinataire de l’ADP contesté. En outre, il ressort également de ses déclarations que, si la suspension est en règle générale accordée, cet octroi de principe ne serait prévu que par une circulaire ministérielle.
67. Sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi (qui n’a pas fait mention de cette circulaire dans sa demande de décision préjudicielle), une telle norme, par définition susceptible d’être modifiée à tout moment, ne me paraît pas de nature à suspendre de façon suffisamment automatique les effets juridiques autonomes de l’ADP jusqu’à son éventuelle réformation et, plus particulièrement, l’obligation de payer les droits de douane supplémentaires.
c) La conclusion sur la deuxième question, sous a)
68. En l’espèce, le destinataire de l’ADP n’a pas été entendu préalablement à une décision lui portant grief, mais l’article 7:2 de l’Awb prévoit expressément que, avant de statuer sur la réclamation, l’organe administratif offre la possibilité à l’intéressé d’être entendu.
69. La nécessité de distinguer les droits consacrés, d’une part, par l’article 41 de la Charte (contentieux administratif) et, d’autre part, par l’article 47 de la Charte (contentieux judiciaire) est par ailleurs respectée, puisque l’audition de l’intéressé est bel et bien organisée dans le cadre de la procédure administrative, et non uniquement au cours d’un recours juridictionnel.
70. Nous ne sommes donc pas en présence d’un cas où, pour reprendre les termes de l’arrêt Dokter e.a., précité, «les intéressés [auraient été] privés de la possibilité de contester [la décision litigieuse] dans une procédure ultérieure, et de faire valoir utilement leur point de vue dans le cadre de celle-ci» ( 22 ).
71. Toutefois, ces éléments ne me paraissent pas suffisants pour constituer une restriction justifiée au principe du respect des droits de la défense, et ce pour trois raisons.
72. Tout d’abord, je ne perçois pas les raisons qui pourraient être invoquées comme objectif d’intérêt général justifiant l’absence d’audition préalable. Les seules exigences de délais qui découlent de la réglementation de l’Union ne me semblent pas, à cet égard, pouvoir être admises comme telles.
73. Ensuite, la décision prise sans entendre le destinataire ne peut faire l’objet d’une nouvelle décision administrative que sur initiative de celui-ci.
74. Enfin et surtout, cette procédure de réclamation n’a pas d’effet suspensif automatique. Or, il ressort de la jurisprudence de la Cour que cette caractéristique revêt une importance décisive dans l’examen d’une justification éventuelle à la restriction du droit d’être entendu préalablement à une décision faisant grief.
75. La Cour a notamment décidé, dans son arrêt Texdata Software ( 23 ), que «l’application d’une sanction initiale de 700 euros sans une mise en demeure préalable ni la possibilité d’être entendu avant que la sanction ne soit infligée n’apparaît pas de nature à affecter le contenu essentiel du droit fondamental en cause, dès lors que l’introduction du recours motivé contre la décision prononçant l’astreinte rend celle-ci immédiatement inapplicable et déclenche une procédure ordinaire dans le cadre
de laquelle le droit d’être entendu peut être respecté» (c’est moi qui souligne).
76. En l’espèce, si la seconde condition est remplie (le destinataire est entendu dans le cadre de la procédure de réclamation), la première exigence (l’inapplicabilité immédiate de l’acte faisant grief en cas de recours) fait défaut.
77. Dans ces conditions, j’estime qu’une législation nationale telle que celle en cause au principal porte atteinte au principe du respect des droits de la défense de l’administré, et plus précisément au droit d’être entendu.
78. Si la Cour ne partage pas mon analyse, il ne sera pas nécessaire de répondre à la deuxième question, sous b), ni à la troisième question, dans la mesure où elles portent sur les conséquences juridiques d’une violation du principe des droits de la défense.
C – Sur la deuxième question, sous b), et la troisième question
79. Par sa deuxième question, sous b), et sa troisième question, la juridiction de renvoi demande à la Cour de préciser si, d’une part, les conséquences juridiques de la violation par l’administration du principe du respect des droits de la défense sont, ou non, déterminées par le droit national et, d’autre part, si tel n’est pas le cas, quelles sont les circonstances susceptibles d’être prises en compte par le juge national dans le cadre de son examen. Dans sa troisième question, le juge de renvoi
vise expressément la prise en considération de l’hypothèse où l’issue du processus décisionnel aurait été identique en cas de respect du droit violé.
80. Ces questions trouvent une réponse claire, précise et dénuée de toute ambiguïté dans l’arrêt G. et R., précité. En effet, la Cour a jugé:
«35 L’obligation de respecter les droits de la défense des destinataires de décisions qui affectent de manière sensible leurs intérêts pèse ainsi en principe sur les administrations des États membres lorsqu’elles prennent des mesures entrant dans le champ d’application du droit de l’Union. Lorsque, comme en l’espèce, ni les conditions dans lesquelles doit être assuré le respect des droits de la défense [...], ni les conséquences de la méconnaissance de ces droits ne sont fixées par le droit de
l’Union, ces conditions et ces conséquences relèvent du droit national pour autant que les mesures arrêtées en ce sens sont du même ordre que celles dont bénéficient les particuliers dans des situations de droit national comparables (principe de l’équivalence) et qu’elles ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) [...]
36 Pour autant, s’il est loisible aux États membres de permettre l’exercice des droits de la défense de ces ressortissants selon les mêmes modalités que celles retenues pour régir les situations internes, ces modalités doivent être conformes au droit de l’Union et, notamment, ne pas remettre en cause l’effet utile de la directive 2008/115.
[...]
38 Au regard des questions posées par la juridiction de renvoi, il importe de relever que, selon le droit de l’Union, une violation des droits de la défense, en particulier du droit d’être entendu, n’entraîne l’annulation de la décision prise au terme de la procédure administrative en cause que si, en l’absence de cette irrégularité, cette procédure pouvait aboutir à un résultat différent [...]» ( 24 ).
81. La règle n’est pas neuve. Telle était déjà la solution préconisée par la Cour dans l’affaire Distillers Company/Commission ( 25 ), dans laquelle la requérante soutenait, entre autres, que l’autorité compétente n’avait pas été en mesure de prendre en considération tous les arguments soulevés à l’appui de son recours lors de la procédure orale ni plusieurs suppléments à sa réponse à la communication des griefs de la Commission. Dans son arrêt, la Cour a toutefois considéré qu’il n’était «pas
nécessaire d’examiner [ces] irrégularités de procédure» et qu’il «n’en serait autrement que s’il existait une possibilité qu’en l’absence de ces irrégularités la procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent» ( 26 ).
82. Dans la mesure où, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt G. et R., précité, la Cour a maintenu cette solution alors qu’il s’agissait d’une mesure aussi restrictive de la liberté des personnes que la prolongation de six à dix‑huit mois de la rétention d’un étranger en attente de retour dans son pays, je n’imagine pas qu’il puisse en aller autrement dans le cadre d’une procédure mettant en cause des enjeux strictement financiers.
83. En outre, je remarque que, dans le présent dossier, la décision administrative prise sur réclamation, ainsi que les jugements des juridictions d’instance et d’appel, ont confirmé la décision initiale, et ce après que les intéressés eurent pu faire valoir leurs arguments.
84. Au vu de ces considérations, je propose à la Cour de répondre à la deuxième question, sous b), en précisant à la juridiction de renvoi que les conditions dans lesquelles doit être assuré le respect des droits de la défense et les conséquences de la méconnaissance de ces droits relèvent du droit national pour autant que les mesures arrêtées en ce sens soient du même ordre que celles dont bénéficient les particuliers dans des situations de droit national comparables (principe de l’équivalence) et
qu’elles ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité).
85. La transposition de cette solution à la matière douanière s’impose dans la mesure où l’article 245 du CDC renvoie expressément au droit national en précisant que «[l]es dispositions relatives à la mise en œuvre de la procédure de recours sont arrêtées par les États membres».
86. Toutefois, dans la mesure où le plein effet du droit de l’Union doit être garanti, j’invite par ailleurs la Cour à répondre à la troisième question en indiquant à la juridiction de renvoi que, selon le droit de l’Union, une violation des droits de la défense – en particulier du droit d’être entendu – n’entraîne l’annulation de la décision prise au terme de la procédure administrative en cause que si, en l’absence de cette irrégularité, cette procédure pouvait aboutir à un résultat différent.
87. Cette solution s’impose d’autant plus, en l’espèce, que les intéressés eux-mêmes admettent que la procédure de réclamation n’aurait pas abouti à un résultat différent s’ils avaient été entendus préalablement à la décision litigieuse, dans la mesure où ils ne contestent pas le classement tarifaire opéré par l’inspecteur des impôts. Comme je l’ai déjà relevé précédemment, la décision administrative prise sur réclamation et les jugements des juridictions d’instance et d’appel ont confirmé la
décision initiale.
VI – Conclusion
88. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Hoge Raad der Nederlanden de la manière suivante:
1) Le principe du respect par l’administration des droits de la défense peut être invoqué directement, par les particuliers, devant les juridictions nationales.
2) a) Une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui ne permet pas au destinataire d’une décision qui lui fait grief d’être entendu par l’administration avant la prise de décision, mais lui donne la possibilité de l’être dans une phase administrative ultérieure sans toutefois que ce recours entraîne une suspension automatique de la décision faisant grief, porte atteinte au principe du respect des droits de la défense de l’administré, et plus précisément au droit d’être
entendu.
2) b) Les conditions dans lesquelles doit être assuré le respect des droits de la défense et les conséquences de la méconnaissance dudit principe relèvent du droit national, pour autant que les mesures arrêtées en ce sens soient du même ordre que celles dont bénéficient les particuliers dans des situations de droit national comparables (principe de l’équivalence) et qu’elles ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de
l’Union (principe d’effectivité).
3) Le juge national ayant l’obligation de garantir le plein effet du droit de l’Union, il peut, lorsqu’il évalue les conséquences d’une violation des droits de la défense, en particulier du droit d’être entendu, tenir compte de la circonstance qu’une telle violation n’entraîne l’annulation de la décision prise au terme de la procédure administrative en cause que si, en l’absence de cette irrégularité, cette procédure pouvait aboutir à un résultat différent.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
( 1 ) Langue originale: le français.
( 2 ) JO L 302, p. 1, règlement tel que modifié par le règlement (CE) no 2700/2000 du Parlement européen et du Conseil, du 16 novembre 2000 (JO L 311, p. 17).
( 3 ) Arrêt du 10 septembre 2013, G. et R. (C‑383/13 PPU, point 32). Voir également, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi (C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, point 99).
( 4 ) Arrêt du 18 décembre 2008, Sopropé (C-349/07, Rec. p. I-10369, point 37).
( 5 ) Arrêt du 22 novembre 2012, M. (C‑277/11, point 87 et jurisprudence citée).
( 6 ) Arrêt Sopropé, précité (point 44).
( 7 ) Telle était aussi la position que j’ai exprimée à l’occasion de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt G. et R., précité, qui concernait la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO L 348, p. 98). Voir point 52 de ma prise de position dans cette affaire.
( 8 ) Arrêt Sopropé, précité (point 49). C’est moi qui souligne.
( 9 ) Arrêt M., précité (point 87 et jurisprudence citée). C’est moi qui souligne.
( 10 ) Arrêt du 8 mars 2007 (C-44/06, Rec. p. I-2071).
( 11 ) Règlement (CEE) no 222/77 du Conseil, du 13 décembre 1976, relatif au transit communautaire (JO L 38, p. 1), tel que modifié par le règlement (CEE) no 474/90 du Conseil, du 22 février 1990, (JO L 51, p. 1), et règlement (CEE) no 1062/87 de la Commission, du 27 mars 1987, portant dispositions d’application ainsi que des mesures de simplification du régime de transit communautaire (JO L 107, p. 1), tel que modifié par le règlement (CEE) no 1429/90 de la Commission, du 29 mai 1990 (JO L 137,
p. 21).
( 12 ) Arrêt Gerlach, précité (point 36).
( 13 ) Ibidem (point 37). C’est moi qui souligne.
( 14 ) Arrêt du 15 juin 2006, Dokter e.a. (C-28/05, Rec. p. I-5431, point 75).
( 15 ) Ibidem (point 76).
( 16 ) Voir arrêt du 17 juin 2010, Commission/Italie (C-423/08, Rec. p. I-5449).
( 17 ) Ibidem (point 45).
( 18 ) Ibidem (point 46).
( 19 ) JO L 269 p. 1, et rectificatif JO 2013, L 287, p. 90.
( 20 ) Conformément à l’article 288, paragraphe 2, du règlement no 952/2013, les articles 22 et 105 seront applicables à partir du 1er mai 2016.
( 21 ) Alors que l’article 220, paragraphe 1, du CDC applicable en l’espèce ne prévoit qu’un délai de deux jours à compter de la date à laquelle les autorités douanières se sont aperçues de la situation et sont en mesure de calculer le montant légalement dû et de déterminer le débiteur.
( 22 ) Point 76 de cet arrêt.
( 23 ) Arrêt du 26 septembre 2013 (C‑418/11, point 85).
( 24 ) Arrêt G. et R., précité. C’est moi qui souligne.
( 25 ) Arrêt du 10 juillet 1980 (30/78, Rec. p. 2229).
( 26 ) Ibidem (point 26).