CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. PEDRO CRUZ VILLALÓN
présentées le 3 avril 2014 ( 1 )
Affaire C‑3/13
Baltic Agro AS
contre
Maksu- ja Tolliameti Ida maksu- ja tollikeskus
[demande de décision préjudicielle formée par la Tartu Ringkonnakohus (Estonie)]
«Politique commerciale commune — Dumping — Droit antidumping définitif sur les importations de nitrate d’ammonium originaire de Russie — Règlement (CE) no 2022/95 — Réexamen au titre de l’expiration des mesures — Règlement (CE) no 661/2008 — Engagements de prix — Décision 2008/577/CE — Conditions d’exonération du droit antidumping — Premier client indépendant — Importateur ayant fait l’acquisition d’engrais au nitrate d’ammonium auprès d’un exportateur russe par l’intermédiaire d’une société tierce
— Code des douanes de l’Union — Règlement (CEE) no 2913/92 — Déclaration en douane — Invalidation sur demande du déclarant après mainlevée des marchandises — Article 66»
1. La Cour est, dans le cadre de la présente affaire, saisie à titre principal de plusieurs questions préjudicielles en interprétation de la réglementation de l’Union instituant un droit antidumping sur les importations de nitrate d’ammonium en provenance de Russie et de la réglementation douanière de l’Union régissant les modalités d’invalidation des déclarations en douane sur demande du déclarant, ainsi que d’une question préjudicielle en appréciation de validité des dispositions de ladite
réglementation douanière.
2. Ces questions sont posées dans le cadre d’un litige opposant un importateur de nitrate d’ammonium originaire de Russie à l’administration des douanes de son État membre d’établissement et trouvant son origine dans le refus de cette dernière de lui accorder le bénéfice de l’exonération du droit antidumping prévue par la réglementation applicable sur les marchandises achetées auprès d’un producteur-exportateur russe ayant souscrit des engagements de prix acceptés par la Commission européenne.
3. Ce refus étant en l’occurrence motivé par la circonstance que les importations en cause au principal, réalisées par l’intermédiaire d’une autre entreprise, ne remplissaient pas les conditions formelles d’octroi de l’exonération prévues par ladite réglementation, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur l’interprétation et la portée des dispositions de la réglementation antidumping établissant lesdites conditions formelles ainsi que sur la validité, au regard du principe d’égalité, des
dispositions de la réglementation douanière faisant obstacle à la possibilité pour ledit importateur d’obtenir l’invalidation des déclarations en douane afférentes à l’importation en cause et de bénéficier ainsi de cette exonération.
I – Le cadre juridique
A – Le droit de l’Union
1. La réglementation antidumping pertinente
4. Le 16 août 1995, le Conseil de l’Union européenne a, par le règlement (CE) no 2022/95 ( 2 ), institué un droit antidumping définitif sur les importations de nitrate d’ammonium originaire de Russie. Le droit antidumping initial a ultérieurement été modifié puis prorogé à plusieurs reprises, à la suite notamment de demandes de réexamen au titre de l’expiration des mesures ou de réexamen intermédiaire émanant tantôt des représentants de la production communautaire tantôt des producteurs-exportateurs
concernés.
5. Les différents règlements adoptés dans ce contexte ne sont cependant pas directement pertinents aux fins de la résolution du litige au principal. C’est le règlement (CE) no 661/2008 du Conseil ( 3 )qui est principalement en cause.
6. Les articles 1er et 2 du règlement no 661/2008 imposent des droits antidumping définitifs de différents montants sur le nitrate d’ammonium et certains engrais et autres produits contenant du nitrate d’ammonium produits par Eurochem et les sociétés qui lui sont liées, d’une part, et à toutes les autres sociétés exportatrices russes, d’autre part.
7. L’article 3, paragraphe 1, du règlement no 661/2008 dispose:
«1. Les importations déclarées pour la mise en libre pratique qui sont facturées par des sociétés dont les engagements ont été acceptés par la Commission et qui sont citées dans la décision 2008/577/CE et ses modifications sont exonérées du droit antidumping institué par l’article 2, pour autant que:
— les marchandises importées soient fabriquées, expédiées et facturées directement par lesdites sociétés au premier client indépendant dans la Communauté, et
— ces importations soient accompagnées d’une facture conforme, c’est-à-dire une facture commerciale comportant au moins les informations et la déclaration citées à l’annexe du présent règlement, et
— les marchandises déclarées et présentées aux autorités douanières correspondent précisément à la description de la facture conforme.»
8. La décision 2008/577/CE de la Commission ( 4 ), citée à l’article 3 du règlement no 661/2008, est celle par laquelle cette dernière a accepté les engagements de prix offerts, conformément à l’article 8, paragraphe 1, du règlement (CE) no 384/96 du Conseil, du 22 décembre 1995, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne ( 5 ), par les producteurs-exportateurs de nitrate d’ammonium russes «JSC Acron, Veliky
Novgorod, Russie et JSC Dorogobuzh, Dorogobuzh, Russie, membres de la société holding ‘Acron’».
2. Le code des douanes
9. Le litige au principal soulève également des questions d’interprétation et de validité de dispositions du règlement (CEE) no 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire ( 6 ), en l’occurrence de son article 66, régissant les conditions d’invalidation d’une déclaration en douane sur demande du déclarant, et de son article 220, paragraphe 2, définissant les conditions d’exonération de la perception a posteriori des droits à l’importation à la suite d’une
erreur des autorités douanières, ainsi que de l’article 251 du règlement (CEE) no 2454/93 de la Commission, du 2 juillet 1993, fixant certaines dispositions d’application du règlement no 2913/92 ( 7 ), tel que modifié par le règlement (CE) no 312/2009 de la Commission, du 16 avril 2009 ( 8 ), qui définit, par dérogation à l’article 66, paragraphe 2, du code des douanes, les conditions d’invalidation d’une déclaration en douane après l’octroi de la mainlevée des marchandises.
10. Le contenu de ces dispositions sera cité, pour autant que de besoin, dans le cours des développements.
II – Les faits à l’origine du litige au principal
11. À l’origine du litige au principal se trouve une décision des Maksu- ja Tolliameti Ida maksu- ja tollikeskus (autorités fiscales et douanières – centre fiscal et douanier Est) ( 9 ) réclamant à Baltic Agro AS (ci-après «Baltic Agro»), à la suite d’un contrôle a posteriori, le paiement des droits antidumping et de la TVA sur ses importations d’engrais au nitrate d’ammonium en provenance de Russie.
12. Les droits antidumping sur les importations de nitrate d’ammonium originaire de Russie en question, initialement imposés par le règlement no 2022/95, plusieurs fois modifié, sont ceux imposés par le règlement no 661/2008.
13. En l’occurrence, Baltic Agro a, entre octobre 2009 et janvier 2010, acheté plusieurs tonnes d’engrais au nitrate d’ammonium à la société JSC Acron, établie en Russie, en faisant appel à un intermédiaire, la société estonienne Magnet Group OÜ ( 10 ). Plusieurs contrats d’achat ont été conclus à cette fin entre Magnet Group et JSC Acron, d’une part, et entre Magnet Group et Baltic Agro, d’autre part.
14. En janvier et février 2010, deux agences en douane ont déposé cinq déclarations en douane relatives à ces importations, lesquelles mentionnaient, comme destinataire des marchandises importées, Baltic Agro et, comme expéditeur, JSC Acron pour deux d’entre elles et la société de transport lettone OOO Ventoil pour les trois autres.
15. Le 1er mars et le 23 avril 2010, lesdites agences en douane ont introduit une demande en annulation desdites déclarations auprès du MTA, dans la mesure où elles indiquaient Baltic Agro comme destinataire au lieu de Magnet Group.
16. Le 3 mars 2010, le MTA a procédé au contrôle a posteriori des cinq déclarations en douane, afin de déterminer si la valeur en douane des marchandises importées, le calcul et le paiement des droits à l’importation étaient corrects.
17. Le 31 mai 2010, le MTA a, sur la base du contrôle a posteriori opéré, adopté deux décisions imposant à Baltic Agro le versement des droits de douanes et de la TVA afférents aux marchandises importées, considérant que les conditions d’exonération des droits de douane visées à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 661/2008 n’étaient pas remplies.
18. Le 31 mai 2010, Baltic Agro a introduit un recours contre ces décisions devant le Tartu Halduskohus (tribunal administratif de Tartu, Estonie), en faisant valoir que le fait qu’elle avait fait appel à une société intermédiaire pour les importations en cause était dénué de pertinence sur le plan fiscal.
19. Son recours a été rejeté par jugement du 25 avril 2011. Le Tartu Halduskohus a considéré que Baltic Agro ne pouvait bénéficier de l’exonération, dès lors qu’elle n’avait pas acquis les marchandises importées directement auprès du fabricant.
20. Le 25 mai 2011, Baltic Agro a interjeté appel devant le Tartu Ringkonnakohus (cour administrative d’appel de Tartu, Estonie), concluant à l’annulation du jugement du Tartu Halduskohus, à ce qu’il soit fait droit à se demande et à ce que la Cour soit saisie à titre préjudiciel sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 661/2008.
III – Les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour
21. C’est dans ces circonstances que le Tartu Ringkonnakohus a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Convient-il d’interpréter l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 661/2008 […] en ce sens que l’importateur et le premier client indépendant dans la Communauté doivent toujours être une seule et même personne?
2) Convient-il d’interpréter les dispositions combinées de l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 661/2008 […] et de la décision 2008/577 […] en ce sens que l’exonération des droits antidumping vaut seulement pour le premier client indépendant dans la Communauté, qui n’a pas encore revendu la marchandise avant de l’avoir déclarée?
3) Convient-il d’interpréter les dispositions combinées de l’article 66 du code des douanes […], de l’article 251 du règlement [d’application] et des autres règles de procédure relatives aux modifications ultérieures de la déclaration en douane en ce sens que, en cas d’indication du mauvais destinataire sur la déclaration lors de l’importation de la marchandise, il doit être possible d’accorder, sur demande, l’invalidation de la déclaration en douane également après l’octroi de la mainlevée des
marchandises et la correction de l’indication du destinataire, lorsque, en cas d’indication du bon destinataire, il aurait fallu appliquer l’exonération des droits prévue à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 661/2008 […], ou convient-il, dans de telles circonstances, d’interpréter l’article 220, paragraphe 2, sous b), du code des douanes […] en ce sens que les autorités douanières n’ont pas le droit de procéder à une prise en compte a posteriori?
4) En cas de réponse négative aux deux alternatives de la troisième question, faut-il considérer qu’il est compatible avec les dispositions combinées de l’article 20 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et des articles 28, paragraphe 1, [TFUE] et 31 [TFUE] que, en vertu des dispositions combinées de l’article 66 du code des douanes […], de l’article 251 du règlement [d’application] […] et des autres règles de procédure relatives aux modifications ultérieures de la
déclaration en douane, il ne soit pas possible d’accorder, sur demande, l’invalidation de la déclaration en douane après l’octroi de la mainlevée des marchandises et la correction de l’indication du destinataire, lorsque, en cas d’indication du bon destinataire, il aurait fallu appliquer l’exonération des droits de douane prévue à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 661/2008 […]?»
22. Le gouvernement estonien ainsi que le Conseil de l’Union européenne et la Commission ont déposé des observations écrites. S’estimant suffisamment informée pour statuer, la Cour a, en application de l’article 76, paragraphe 2, de son règlement de procédure, décidé de ne pas tenir d’audience de plaidoiries.
IV – Sur les première et deuxième questions
A – Observations liminaires
23. Par ses deux premières questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi interroge la Cour, en substance, sur le champ d’application ratione personae de l’exonération du droit antidumping sur les importations de nitrate d’ammonium originaire de Russie qui découle de l’application combinée de l’article 3 du règlement no 661/2008 et de l’article 1er de la décision 2008/577.
24. L’article 3 du règlement no 661/2008 prévoit, en effet, une exonération des droits antidumping que ledit règlement impose aux importations de nitrate d’ammonium originaire de Russie qui sont facturées par des sociétés dont les engagements ont été acceptés par la Commission et qui sont citées dans la décision 2008/577. L’article 1er de cette dernière cite, en l’occurrence, «JSC Acron, Veliky Novgorod, Russie et JSC Dorogobuzh, Dorogobuzh, Russie, membres de la société holding ‘Acron’».
25. Le bénéfice de cette exonération est, toutefois, notamment subordonné à la condition, visée à l’article 3, paragraphe 1, premier tiret, du règlement no 661/2008, que les marchandises importées soient fabriquées, expédiées et facturées directement par lesdites sociétés au premier client indépendant dans la Communauté. L’annexe du règlement no 661/2008 prévoit, en outre, en son point 8, que la facture commerciale qui doit accompagner les marchandises faisant l’objet d’un engagement importées dans
la Communauté doit mentionner «le nom de la société agissant en tant qu’importateur».
26. Or, il est constant que, dans l’affaire au principal, les importations d’engrais au nitrate d’ammonium réalisées par Baltic Agro ont été réalisées par l’entremise de la société estonienne Magnet Group, que c’est au nom de Magnet Group que les factures conformes aux engagements ont été établies et que c’est Baltic Agro qui a procédé à leur déclaration à douane. Il est également constant que c’est précisément parce que Baltic Agro n’a pas acheté directement l’engrais au nitrate d’ammonium importé
auprès de JSC Acron que le MTA a refusé de lui accorder l’exonération des droits antidumping.
27. C’est la raison pour laquelle la juridiction de renvoi demande plus précisément à la Cour, d’une part, si l’importateur et le premier client indépendant doivent nécessairement être la même personne et, d’autre part, si l’exonération ne vaut que pour le premier client indépendant qui n’a pas revendu la marchandise avant de l’avoir déclarée.
B – Observations des parties
28. Le gouvernement estonien, tout comme la Commission, qui sont les seuls à avoir abordé ces questions ( 11 ), s’accordent pour considérer, moyennant des raisonnements différents, que l’exonération des droits antidumping visée à l’article 3 du règlement no 661/2008 ne s’applique qu’à la personne qui est à la fois l’importateur et le premier client indépendant dans la Communauté qui n’a pas revendu la marchandise avant de l’avoir déclarée.
29. Dans l’affaire au principal, ni Baltic Agro ni Magnet Group ne pourraient bénéficier de l’exonération. Baltic Agro, qui est bien l’importateur, n’est pas le premier client indépendant dans la Communauté, puisqu’elle a acheté les marchandises à Magnet Group. Magnet Group est le premier client indépendant dans la Communauté, mais a revendu les marchandises à Baltic Agro avant leur introduction sur le territoire douanier de la Communauté, Baltic Agro se chargeant des formalités de déclaration en
douane.
30. Baltic Agro estime au contraire, en substance, que le règlement no 661/2008 ne précise nullement que l’importateur et le premier client indépendant doivent être la même personne et que c’est le premier client indépendant qui doit absolument introduire la déclaration en son nom propre pour bénéficier de l’exonération. Il n’y aurait, par ailleurs, aucune raison de refuser cette exonération dès lors qu’il n’existerait aucun doute ni sur l’origine, le contenu, la quantité, la valeur des marchandises
et l’identité de l’acheteur ni sur le respect par le producteur-exportateur de ses engagements.
C – Analyse
31. Il ressort du considérant 159 du règlement no 661/2008 que les trois conditions visées à son article 3, dont celle imposant que les marchandises importées soient fabriquées, expédiées et facturées directement par les sociétés exportatrices au premier client indépendant dans la Communauté sont justifiées par la nécessité «de permettre à la Commission et aux autorités douanières de s’assurer que les sociétés respectent leurs engagements lors de la présentation de la demande de mise en libre
pratique aux autorités douanières compétentes». Le considérant 21 de la décision 2008/577 reproduit en substance la même motivation.
32. Par ailleurs, la Commission a indiqué, dans ses observations écrites, que les dispositions relatives à la vente directe visaient essentiellement à lui permettre de contrôler de manière transparente le prix minimal à l’importation auquel les producteurs-exportateurs se sont engagés, toute revente ultérieure pouvant engendrer des dépenses supplémentaires se répercutant sur lesdits prix.
33. Ce sont donc essentiellement des considérations liées au contrôle, tant par le Commission que par les autorités compétentes des États membres, de l’exécution par les producteurs-exportateurs des engagements qu’ils ont souscrits, et qui leur permettent de bénéficier de l’exonération du droit antidumping sur le nitrate d’ammonium, qui justifient les exigences précises prévues à l’article 3, paragraphe 1, premier tiret, du règlement no 661/2008.
34. Il peut, à cet égard, être observé que ces exigences ne figuraient pas dans le dispositif existant auparavant, introduit dans la réglementation imposant un droit antidumping sur les importations de nitrate d’ammonium originaire de Russie par le règlement (CE) no 993/2004 du Conseil ( 12 ). Ce dernier, en effet, qui avait été adopté aux fins d’adapter ladite réglementation à l’occasion de l’adhésion des dix nouveaux États membres de l’Union européenne le 1er mai 2004, avait ajouté un article 1er
bis au règlement (CE) no 658/2002 du Conseil ( 13 ), qui comportait des exigences proches mais pas identiques à celle visée à l’article 3, paragraphe 1, premier tiret, du règlement no 661/2008 ( 14 ). Cette dernière ne figurait pas non plus dans les règlements portant acceptation des engagements auxquels l’exonération prévue par le règlement no 993/2004 était subordonnée ( 15 ).
35. Cependant, ni le règlement no 661/2008 ni la décision 2008/577 n’apportent de plus amples précisions sur les motifs spécifiques qui ont présidé à l’institution de cette exigence nouvelle.
36. Force est donc de constater que ni le règlement no 661/2008 ni la décision 2008/577 ne permettent de déterminer si l’importateur et le premier client indépendant doivent obligatoirement être la même personne ou de comprendre les raisons pour lesquelles il devrait nécessairement en aller ainsi.
37. Les exigences visées à l’article 3, paragraphe 1, premier tiret, du règlement no 661/2008, qui s’inscrivent dans la logique même des engagements et des exigences de contrôle qu’ils imposent, subordonnent toutefois très clairement le bénéfice de l’exonération du droit antidumping à la condition, notamment, que les importations soient facturées et expédiées directement par les producteurs-exportateurs au premier client indépendant dans la Communauté.
38. Or, il ressort clairement de la décision de renvoi que Baltic Agro ne peut être considérée comme remplissant cette double condition.
39. Par ailleurs, il n’a été ni établi ni même allégué que ces exigences seraient manifestement inappropriées pour atteindre l’objectif de contrôle qu’elles poursuivent ou encore disproportionnées.
40. Par conséquent, je propose à la Cour de répondre aux première et deuxième questions préjudicielles en ce sens que l’article 3 du règlement no 661/2008 doit être interprété en ce sens que l’exonération du droit antidumping qu’il prévoit en faveur des producteurs-exportateurs cités dans la décision 2008/577 ne s’applique qu’aux marchandises facturées et expédiées directement par ces derniers au premier client indépendant dans la Communauté qui ne les a pas revendus avant d’avoir procédé à leur
déclaration en douane.
V – Sur les troisième et quatrième questions
A – Observations liminaires
41. Par sa troisième question, la juridiction de renvoi pose à la Cour une double question d’interprétation de plusieurs dispositions du code des douanes et du règlement d’application. Elle se demande, tout d’abord, s’il est possible pour les autorités douanières nationales d’accorder sur demande l’invalidation d’une déclaration en douane après l’octroi de la mainlevée des marchandises, en application de l’article 66 du code des douanes et de l’article 251 du règlement d’application, lorsque ladite
demande repose sur une erreur dans l’indication du destinataire des marchandises et alors que lesdites marchandises auraient bénéficié d’une exonération d’un droit antidumping en l’absence de cette erreur. Elle se demande ensuite, alternativement, si l’article 220, paragraphe 2, sous b), du code des douanes doit, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que lesdites autorités procèdent à une prise en compte a posteriori
dudit droit.
42. Par sa quatrième question, subordonnée à la réponse apportée à la troisième, la juridiction de renvoi pose à la Cour une question préjudicielle en appréciation de validité des dispositions combinées de l’article 66 du code des douanes et de l’article 251 du règlement d’application. Elle se demande, plus précisément, si l’impossibilité d’accorder sur demande l’invalidation d’une déclaration en douane erronée résultant de l’application de ces dispositions et l’impossibilité consécutive de
bénéficier de l’exonération du droit antidumping prévue à l’article 3 du règlement no 661/2008 sont compatibles avec l’article 20 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte») et les articles 28, paragraphe 1, TFUE et 31 TFUE.
B – Observations des parties
43. Le gouvernement estonien estime que les troisième et quatrième questions sont irrecevables, dans la mesure où elles reposent sur la prémisse erronée que la déclaration en douane comportait une erreur en ce qui concerne le destinataire des marchandises. Dès lors que c’est Baltic Agro qui a accompli les formalités douanières de mise en libre pratique des marchandises, Magnet Group ne pouvait figurer dans la déclaration en douane comme destinataire de ces dernières. Partant, la situation litigieuse
au principal ne relèverait d’aucun des cas de figures envisagés par l’article 66 du code des douanes, l’article 251 du règlement d’application ou par l’article 220, paragraphe 2, du code de douanes. En tout état de cause, le code des douanes et le règlement d’application ne seraient pas incompatibles avec l’article 20 de la Charte et les articles 28, paragraphe 1, TFUE et 31 TFUE.
44. Le Conseil, qui se borne à apporter une réponse à la quatrième question, estime que le principe d’égalité garanti par l’article 20 de la Charte ne saurait trouver à s’appliquer à une situation dans laquelle une déclaration en douane aurait été incorrectement remplie.
45. La Commission estime, en substance, que les conditions d’application de l’article 66 du code des douanes et de l’article 251 du règlement d’application ou de l’article 220, paragraphe 2, du code des douanes ne sont pas réunies. Par ailleurs, le principe d’égalité ne trouverait pas à s’appliquer à une situation comme celle de l’affaire au principal.
C – Analyse
46. Il convient de rappeler, en premier lieu, que l’article 66, paragraphe 1, du code des douanes prévoit la possibilité pour le déclarant en douane d’obtenir l’invalidation par les autorités douanières compétentes de la déclaration en douane qu’il a établie et qui a été acceptée par lesdites autorités, dérogeant ainsi au principe de son irrévocabilité, à condition pour celui-ci d’établir la preuve que la marchandise a été déclarée par erreur pour le régime douanier correspondant à cette
déclaration ( 16 ). L’article 66, paragraphe 2, du code des douanes prévoit cependant que la déclaration ne peut être invalidée après l’octroi de la mainlevée des marchandises, sauf dans les cas définis à l’article 251 du règlement d’application.
47. Or, ainsi que la Commission l’a relevé, l’article 66 du code des douanes ne trouve pas à s’appliquer aux circonstances de l’affaire au principal, dès lors qu’il n’est nullement allégué que les marchandises auraient été placées par erreur sous le régime de l’importation spécifié par la déclaration en douane, à savoir la mise en libre pratique, mais seulement que ladite déclaration mentionnait par erreur le destinataire des marchandises, à savoir Baltic Agro en lieu et place de Magnet Group.
48. Par ailleurs, et comme l’a fait observer le gouvernement estonien, les conditions d’application de l’article 78 du code des douanes, qui permet aux autorités douanières nationales de procéder à la révision d’une déclaration douanière erronée ne sont pas non plus réunies, l’indication du destinataire des marchandises n’étant, dans les circonstances de l’affaire au principal, pas erronée.
49. Il importe de rappeler, en deuxième lieu, que l’article 220, paragraphe 2, du code des douanes définit les conditions dans lesquelles un redevable peut être exonéré de la perception a posteriori des droits à l’importation à la suite d’une erreur des autorités douanières ( 17 ).
50. Or, comme la Commission l’a fait observer, il n’a été allégué à aucun moment que les autorités douanières nationales auraient commis une erreur dans l’affaire au principal, la question de la juridiction de renvoi se fondant, au contraire, sur la seule circonstance que la déclaration en douane mentionnait le mauvais destinataire. Or, c’est sur le déclarant en douane que pèse l’obligation de fournir des informations exactes ( 18 ).
51. Il ressort de ces développements que la troisième question de la juridiction de renvoi porte sur des dispositions du droit de l’Union qui, eu égard aux précisions factuelles qu’elle a fournies, ne sont manifestement pas applicables aux circonstances de l’affaire au principal. J’estime, dans ces conditions, que cette troisième question est sans objet et qu’il n’y a pas lieu d’y répondre.
52. En troisième lieu, il ne saurait être considéré que l’égalité en droit garanti par l’article 20 de la Charte puisse conduire à constater l’invalidité de la réglementation douanière de l’Union, en ce que cette dernière ne permettrait pas à Baltic Agro d’obtenir l’invalidité de la déclaration en douane et de bénéficier en conséquence de l’exonération du droit antidumping prévue à l’article 3 du règlement no 661/2008.
53. La juridiction de renvoi a précisé, à cet égard, en substance, qu’il convenait de comparer la situation d’une entreprise importatrice qui aurait indiqué le premier client indépendant dans l’Union comme destinataire dans sa déclaration en douane avec celle d’une entreprise importatrice qui aurait indiqué un importateur qui a fait appel à un intermédiaire comme destinataire dans sa déclaration en douane. L’inégalité de traitement résiderait dans le fait que la première est exonérée de droit
antidumping alors que la seconde ne l’est pas.
54. Il doit, à cet égard, être rappelé que, aux termes d’une jurisprudence constante, le principe d’égalité de traitement, qui est un principe général du droit de l’Union désormais consacré par les articles 20 et 21 de la Charte ( 19 ) s’oppose à ce que des situations comparables soient traitées de manière différente ou à ce que des situations différentes soient traitées de manière identique, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié.
55. Cependant, la juridiction de renvoi ne peut être suivie dans la comparaison qu’elle propose. Il ne saurait, en effet, être considéré, que l’importateur qui n’a pas respecté les exigences formelles prévues à l’article 3 du règlement no 661/2008 est dans la même situation que l’importateur qui les a respectées. L’article 20 de la Charte pourrait certes, éventuellement, s’opposer auxdites exigences, s’il devait être constaté qu’elles sont déraisonnables, arbitraires ou manifestement
disproportionnées par rapport à l’objectif poursuivi par la réglementation qui les établit. Il ne ressort toutefois nullement du dossier qu’une telle allégation aurait été formulée dans l’affaire au principal et l’examen de cette disposition ne permet pas de conclure que tel puisse être le cas.
56. Il ne saurait, par ailleurs, être considéré que l’imposition à Baltic Agro du paiement du droit antidumping sur l’importation de nitrate d’ammonium constitue une violation du droit du tarif douanier commun et, par conséquent, des articles 28, paragraphe 1, TFUE et 31 TFUE. Ainsi qu’il ressort des développements qui précèdent, la perception dudit droit est, en définitive, davantage la conséquence du non-respect des exigences fixées par l’article 3, du règlement no 661/2008, que celle de
l’application des règles douanières de l’Union. Quand bien même Baltic Agro aurait été en mesure d’obtenir l’invalidation de sa déclaration en douane et de corriger l’indication du destinataire qui y figurait en mentionnant Magnet Group, elle n’aurait, en tout état de cause, pas été en situation de satisfaire auxdites exigences dans les circonstances de l’affaire au principal.
57. Par conséquent, je propose à la Cour de répondre à la quatrième question préjudicielle en ce sens que l’examen de celle-ci n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité des dispositions combinées de l’article 66 du code des douanes et de l’article 251 du règlement d’application au regard de l’article 20 de la Charte et des articles 28, paragraphe 1, TFUE et 31 TFUE.
VI – Conclusion
58. En conclusion, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Tartu Ringkonnakohus comme suit:
1) L’article 3 du règlement no 661/2008 du Conseil, du 8 juillet 2008, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de nitrate d’ammonium originaire de Russie à la suite d’un réexamen au titre de l’expiration des mesures conformément à l’article 11, paragraphe 2, et d’un réexamen intermédiaire partiel conformément à l’article 11, paragraphe 3, du règlement (CE) no 384/96, doit être interprété en ce sens que l’exonération du droit antidumping qu’il prévoit en faveur des
producteurs-exportateurs cités dans la décision 2008/577/CE de la Commission, du 4 juillet 2008, portant acceptation d’engagements offerts dans le cadre de la procédure antidumping concernant les importations de nitrate d’ammonium originaire de Russie et d’Ukraine, ne s’applique qu’aux marchandises facturées et expédiées directement par ces derniers au premier client indépendant dans l’Union européenne qui ne les a pas revendus avant d’avoir procédé à leur déclaration en douane.
2) L’examen de la quatrième question préjudicielle de la juridiction de renvoi n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité des dispositions combinées de l’article 66 du (CEE) no 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire, tel que modifié par le règlement (CE) no 1791/2006 du Conseil, du 20 novembre 2006, et de l’article 251 du règlement (CEE) no 2454/93 de la Commission, du 2 juillet 1993, fixant certaines dispositions d’application du
règlement no 2913/92, tel que modifié par le règlement (CE) no 312/2009 de la Commission, du 16 avril 2009, au regard de l’article 20 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et des articles 28, paragraphe 1, TFUE et 31 TFUE.
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( 1 ) Langue originale: le français.
( 2 ) Règlement instituant un droit antidumping définitif sur les importations de nitrate d’ammonium originaire de Russie (JO L 198, p. 1).
( 3 ) Règlement du 8 juillet 2008, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de nitrate d’ammonium originaire de Russie à la suite d’un réexamen au titre de l’expiration des mesures conformément à l’article 11, paragraphe 2, et d’un réexamen intermédiaire partiel conformément à l’article 11, paragraphe 3, du règlement (CE) no 384/96 (JO L 185, p. 1 et rectificatif JO 2009, L 339, p. 59).
( 4 ) Décision du 4 juillet 2008, portant acceptation d’engagements offerts dans le cadre de la procédure antidumping concernant les importations de nitrate d’ammonium originaire de Russie et d’Ukraine (JO L 185, p. 43, rectificatif JO 2009, L 339, p. 59).
( 5 ) JO 1996, L 56, p. 1.
( 6 ) (JO L 302, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 1791/2006 du Conseil, du 20 novembre 2006 (JO L 363, p. 1, ci-après le «code des douanes»).
( 7 ) JO L 253, p. 1, ci-après le «règlement d’application».
( 8 ) JO L 98, p. 3.
( 9 ) Ci-après le «MTA».
( 10 ) Ci-après «Magnet Group».
( 11 ) Le Conseil s’est borné, dans ses écritures, à répondre aux troisième et quatrième questions.
( 12 ) Règlement du 17 mai 2004, modifiant les règlements (CE) no 658/2002 instituant un droit antidumping définitif sur les importations de nitrate d’ammonium originaire de Russie et (CE) no 132/2001 instituant un droit antidumping définitif et portant perception définitive du droit provisoire institué sur les importations de nitrate d’ammonium originaire de Pologne et d’Ukraine et clôturant la procédure antidumping à l’encontre des importations originaires de Lituanie (JO L 182, p. 28).
( 13 ) Règlement du 15 avril 2002, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de nitrate d’ammonium originaire de Russie (JO L 102, p. 1).
( 14 ) Ainsi qu’il ressort des explications fournies, notamment, dans les considérants 9, 10 et 17 du règlement no 993/2004, son objet était d’instituer un traitement spécial, sous forme d’exonération, aux seules importations de nitrate d’ammonium dans les dix nouveaux États membres, afin d’éviter que l’application du droit antidumping sur le nitrate d’ammonium originaire de Russie, alors prévu par le règlement no 658/2002, n’emporte une brutale augmentation des prix dans ces pays, ne rende le
nitrate d’ammonium inabordable pour les utilisateurs finaux et ne perturbe les courants d’échanges traditionnels.
( 15 ) Règlement (CE) no 1001/2004 de la Commission, du 18 mai 2004, portant acceptation d’engagements offerts dans le cadre de la procédure antidumping concernant les importations de nitrate d’ammonium originaire de la Fédération de Russie et d’Ukraine et soumettant ces importations à enregistrement (JO L 183, p. 13); règlement (CE) no 1996/2004 de la Commission, du 19 novembre 2004, portant acceptation d’engagements offerts dans le cadre de la procédure antidumping concernant les importations de
nitrate d’ammonium originaire de la Fédération de Russie et d’Ukraine et maintenant l’enregistrement de ces importations (JO L 344, p. 24).
( 16 ) Voir arrêt DP grup (C‑138/10, EU:C:2011:587, points 41 et 42).
( 17 ) Voir, notamment, arrêt Beemsterboer Coldstore Services (C‑293/04, EU:C:2006:162)
( 18 ) Voir arrêt DP grup (EU:C:2011:587, points 39 et 40).
( 19 ) Voir, notamment, arrêts Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission (C‑550/07 P, EU:C:2010:512, point 54), et Schaible (C‑101/12, EU:C:2013:661, point 76).