ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
9 octobre 2014 ( *1 )
«Renvoi préjudiciel — Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Directives 95/59/CE et 2011/64/UE — Structure et taux des accises applicables aux tabacs manufacturés — Détermination d’une accise — Principe établissant un taux d’accise pour toutes les cigarettes — Possibilité pour les États membres d’établir un montant minimal d’accise — Cigarettes relevant de la classe de prix la moins élevée — Réglementation nationale — Catégorie spécifique de cigarettes — Fixation de l’accise
à 115 %»
Dans l’affaire C‑428/13,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Consiglio di Stato (Italie), par décision du 17 juillet 2013, parvenue à la Cour le 26 juillet 2013, dans la procédure
Ministero dell’Economia e delle Finanze,
Amministrazione Autonoma dei Monopoli di Stato (AAMS)
contre
Yesmoke Tobacco SpA,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. T. von Danwitz (rapporteur), président de chambre, MM. C. Vajda, A. Rosas, E. Juhász et D. Šváby, juges,
avocat général: M. M. Szpunar,
greffier: M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées:
— pour Yesmoke Tobacco SpA, par Me G. Contaldi, avvocato,
— pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. P. Gentili, avvocato dello Stato,
— pour le gouvernement espagnol, par Mme M. J. García-Valdecasas Dorrego, en qualité d’agent,
— pour le gouvernement français, par M. D. Colas et Mme F. Gloaguen, en qualité d’agents,
— pour le gouvernement portugais, par M. L. Inez Fernandes, Mme M. Rebelo et M. J. Colaço, en qualité d’agents,
— pour la Commission européenne, par M. A. Cordewener et Mme D. Recchia, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 7, paragraphe 2, et 8, paragraphe 6, de la directive 2011/64/UE du Conseil, du 21 juin 2011, concernant la structure et les taux des accises applicables aux tabacs manufacturés (JO L 176, p. 24).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Ministero dell’Economia e delle Finanze (ministère de l’Économie et des Finances) et l’Amministrazione Autonoma dei Monopoli di Stato (AAMS) (Administration autonome des monopoles d’État) à Yesmoke Tobacco SpA au sujet d’une décision du directeur général de l’AAMS intitulée «Ripartizione dei Prezzi delle sigarette – Tabella A» (Répartition des prix des cigarettes – Tableau A), du 11 janvier 2012 (GURI no 16, du 20 janvier 2012,
ci-après la «décision litigieuse»), introduisant une accise minimale uniquement pour les cigarettes ayant un prix de vente au détail inférieur à celui des cigarettes de la classe de prix la plus demandée.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La directive 95/59
3 La directive 95/59/CE du Conseil, du 27 novembre 1995, concernant les impôts autres que les taxes sur le chiffre d’affaires frappant la consommation des tabacs manufacturés (JO L 291, p. 40), telle que modifiée par la directive 2010/12/UE du Conseil, du 16 février 2010 (JO L 50, p. 1, ci-après la «directive 95/59»), dispose à son article 8, paragraphe 2:
«Le taux de l’accise proportionnelle et le montant de l’accise spécifique doivent être les mêmes pour toutes les cigarettes.»
4 L’article 16, paragraphe 7, de la directive 95/59 énonce:
«Sous réserve des dispositions des paragraphes 3, 4, 5 et 6, les États membres peuvent percevoir une accise minimale sur les cigarettes.»
La directive 2011/64
5 Aux termes des considérants 2, 3, 9, 14 et 16 de la directive 2011/64:
«(2) Il convient que la législation fiscale de l’Union applicable aux produits du tabac assure le bon fonctionnement du marché intérieur et, en même temps, un niveau élevé de protection de la santé, comme le prévoit l’article 168 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, d’autant que les produits du tabac peuvent nuire gravement à la santé et que l’Union est partie à la convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac (CCLAT). Il convient de tenir compte
de la situation existant pour chacun des différents types de tabacs manufacturés.
(3) L’un des objectifs du traité sur l’Union européenne est de maintenir une union économique ayant des caractéristiques analogues à celles d’un marché intérieur comportant une saine concurrence. En ce qui concerne le secteur des tabacs manufacturés, la réalisation de ce but présuppose que l’application, au sein des États membres, des impôts frappant la consommation des produits de ce secteur ne fausse pas les conditions de concurrence et n’entrave pas leur libre circulation dans l’Union.
[...]
(9) En ce qui concerne les accises, l’harmonisation des structures doit, en particulier, avoir pour effet que la concurrence des différentes catégories de tabacs manufacturés appartenant à un même groupe ne soit pas faussée par les effets de l’imposition et que, par là même, l’ouverture des marchés nationaux des États membres soit réalisée.
[...]
(14) En ce qui concerne les cigarettes, des conditions de concurrence neutres pour tous les fabricants devraient être assurées, le cloisonnement des marchés du tabac devrait être réduit et les objectifs en matière de santé devraient être soutenus. À cette fin, l’exigence minimale ad valorem devrait être exprimée en fonction du prix moyen pondéré de vente au détail et un montant minimal devrait s’appliquer à toutes les cigarettes. Pour les mêmes raisons, il est nécessaire que le prix moyen pondéré
de vente au détail serve de référence aux fins du calcul du poids des accises spécifiques dans la charge fiscale totale.
[...]
(16) Une telle harmonisation permettrait également d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine. Le niveau de taxation est un élément fondamental du prix des produits du tabac, qui, à son tour, influence les habitudes tabagiques des consommateurs. La fraude et la contrebande réduisent l’incidence de la fiscalité sur le niveau des prix, en particulier des cigarettes et du tabac fine coupe destiné à rouler les cigarettes, et compromettent ainsi la réalisation des objectifs en matière
de lutte antitabac et de protection de la santé.»
6 L’article 1er de la directive 2011/64 dispose:
«La présente directive fixe les principes généraux de l’harmonisation des structures et des taux de l’accise à laquelle les États membres soumettent les tabacs manufacturés.»
7 L’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive 2011/64 est libellé comme suit:
«1. Les cigarettes fabriquées dans l’Union et celles importées de pays tiers sont soumises à une accise ad valorem calculée sur le prix maximal de vente au détail, droits de douane inclus, ainsi qu’à une accise spécifique calculée par unité de produit.
Par dérogation au premier alinéa, les États membres peuvent exclure les droits de douane de la base de calcul de l’accise ad valorem perçue sur les cigarettes.
2. Le taux de l’accise ad valorem et le montant de l’accise spécifique doivent être les mêmes pour toutes les cigarettes.»
8 L’article 8, paragraphes 3 à 6, de la directive 2011/64 énonce:
«3. Jusqu’au 31 décembre 2013, l’élément spécifique de l’accise sur les cigarettes n’est pas inférieur à 5 % ni supérieur à 76,5 % du montant de la charge fiscale totale résultant du cumul:
a) de l’accise spécifique;
b) de l’accise ad valorem et de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) perçues sur le prix moyen pondéré de vente au détail.
4. À partir du 1er janvier 2014, l’élément spécifique de l’accise sur les cigarettes n’est pas inférieur à 7,5 % ni supérieur à 76,5 % du montant de la charge fiscale totale résultant du cumul:
a) de l’accise spécifique;
b) de l’accise ad valorem et de la TVA perçues sur le prix moyen pondéré de vente au détail.
5. Par dérogation aux paragraphes 3 et 4, lorsqu’un changement dans le prix moyen pondéré de vente au détail des cigarettes a lieu dans un État membre et a pour effet de ramener l’élément spécifique de l’accise, exprimé en pourcentage de la charge fiscale totale, à un niveau inférieur à 5 % ou 7,5 %, selon le cas, ou de le porter à un niveau supérieur à 76,5 % de la charge fiscale totale, l’État membre concerné peut s’abstenir d’adapter le montant de l’accise spécifique jusqu’au 1er janvier de
la deuxième année qui suit l’année du changement.
6. Sous réserve des dispositions des paragraphes 3, 4 et 5 du présent article et de l’article 7, paragraphe 1, deuxième alinéa, les États membres peuvent percevoir une accise minimale sur les cigarettes.»
9 L’article 14, paragraphe 2, de la directive 2011/64 dispose:
«L’accise globale (spécifique et/ou ad valorem hors TVA), exprimée en pourcentage, en montant par kilogramme ou par nombre de pièces, est au moins égale aux taux ou aux montants minimaux fixés:
a) pour les cigares ou les cigarillos: 5 % du prix de vente au détail, toutes taxes comprises, ou 12 EUR par 1000 unités ou par kilogramme;
b) pour le tabac à fumer fine coupe destiné à rouler les cigarettes: 40 % du prix moyen pondéré de vente au détail du tabac fine coupe destiné à rouler les cigarettes mis à la consommation, ou 40 EUR par kilogramme;
c) pour les autres tabacs à fumer: 20 % du prix de vente au détail, toutes taxes comprises, ou 22 EUR par kilogramme.
À partir du 1er janvier 2013, l’accise globale perçue sur le tabac à fumer fine coupe destiné à rouler les cigarettes représente au moins 43 % du prix moyen pondéré de vente au détail du tabac à fumer fine coupe destiné à rouler les cigarettes mis à la consommation, ou au moins 47 EUR par kilogramme.
À partir du 1er janvier 2015, l’accise globale perçue sur le tabac à fumer fine coupe destiné à rouler les cigarettes représente au moins 46 % du prix moyen pondéré de vente au détail du tabac à fumer fine coupe destiné à rouler les cigarettes mis à la consommation, ou au moins 54 EUR par kilogramme.
À partir du 1er janvier 2018, l’accise globale perçue sur le tabac à fumer fine coupe destiné à rouler les cigarettes représente au moins 48 % du prix moyen pondéré de vente au détail du tabac à fumer fine coupe destiné à rouler les cigarettes mis à la consommation, ou au moins 60 EUR par kilogramme.
À partir du 1er janvier 2020, l’accise globale perçue sur le tabac à fumer fine coupe destiné à rouler les cigarettes représente au moins 50 % du prix moyen pondéré de vente au détail du tabac à fumer fine coupe destiné à rouler les cigarettes mis à la consommation, ou au moins 60 EUR par kilogramme.
Le prix moyen pondéré de vente au détail est calculé par référence à la valeur totale de l’ensemble du tabac à fumer fine coupe destiné à rouler les cigarettes mis à la consommation, basée sur le prix de vente au détail toutes taxes comprises, divisé par la quantité totale de tabac à fumer fine coupe destiné à rouler les cigarettes mis à la consommation. Il est établi au plus tard le 1er mars de chaque année sur la base des données concernant toutes les mises à la consommation effectuées
l’année civile précédente.»
10 L’article 21 de la directive 2011/64 prévoit:
«Les directives 92/79/CEE, 92/80/CEE et la 95/59[...], telles que modifiées par les directives figurant à l’annexe I, partie A, sont abrogées, sans préjudice des obligations des États membres en ce qui concerne les délais de transposition en droit interne et d’application des directives figurant à l’annexe I, partie B.
Les références faites aux directives abrogées s’entendent comme faites à la présente directive et sont à lire selon le tableau de correspondance figurant à l’annexe II.»
11 L’article 22 de cette directive prévoit que celle-ci entre en vigueur le 1er janvier 2011.
Le droit italien
12 Intitulé «Tableaux de répartition des prix de vente au détail», l’article 39 quinquies du décret législatif no 504, du 26 octobre 1995 (supplément ordinaire à la GURI no 279, du 29 novembre 1995), décret modifié par l’article 55, paragraphe 2 bis, sous c), de la loi no 122, du 30 juillet 2010 (supplément ordinaire à la GURI no 176, du 30 juillet 2010, ci-après le «décret législatif»), dispose:
«1. Les tableaux de répartition des prix de vente au détail des tabacs manufacturés sont fixés par mesure du directeur de l’administration autonome des monopoles d’État, à publier au Journal officiel de la République italienne. Les prix de vente des produits visés à l’article 39 bis, paragraphe 1, sous a) et b), sont fixés par référence au kilogramme conventionnel, qui correspond respectivement à:
a) 200 cigares;
b) 400 cigarillos;
c) 1000 cigarettes.
2. Pour les cigarettes, les tableaux visés au paragraphe 1 sont établis par référence aux cigarettes de la classe de prix la plus demandée, déterminés tous les trois mois en fonction des données relevées le premier jour de chaque trimestre civil et, en ce qui concerne la détermination de l’élément spécifique de l’accise, en fonction du prix moyen pondéré de vente au détail des cigarettes visé au paragraphe 2 bis.
2bis. Avant le 1er mars de chaque année civile, l’administration autonome des monopoles d’État [AAMS] détermine, pour les cigarettes visées à l’article 39 bis, paragraphe 1, sous b), le prix moyen pondéré de vente au détail par kilogramme conventionnel […] qui est égal au rapport, exprimé en euros et arrondi à l’unité, entre la valeur totale, calculée par référence au prix de vente au détail toutes taxes comprises des cigarettes mises à la consommation au cours de l’année civile écoulée et la
quantité totale de ces cigarettes.»
13 L’article 39 octies, paragraphes 3 et 4, du décret législatif, intitulé «Taux de base et calcul de l’accise applicable aux tabacs manufacturés», énonce:
«3. Pour les cigarettes de la classe de prix la plus demandée, déterminée conformément à l’article 39 quinquies, paragraphe 2, l’accise est calculée en appliquant le taux de base approprié au prix de vente au détail. Ce montant constitue le montant de base.
4. Le montant de base prévu au paragraphe 3 constitue, à concurrence de 115 %, l’accise due sur les cigarettes ayant un prix de vente au détail inférieur à celui des cigarettes de la classe de prix la plus demandée visée à l’article 39 quinquies, paragraphe 2.»
Le litige au principal et la question préjudicielle
14 Par la décision litigieuse, le directeur général de l’AAMS a, en vertu de l’article 39 octies, paragraphe 4, du décret législatif, fixé à 115 % du montant de base l’accise minimale due pour les cigarettes ayant un prix de vente au détail inférieur à celui des cigarettes de la classe de prix la plus demandée.
15 Yesmoke Tobacco SpA, société produisant et commercialisant des cigarettes à un prix inférieur à celui de la classe de prix la plus demandée, a contesté la décision litigieuse devant le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional du Latium) en invoquant le fait que cette mesure était équivalente, dans ses effets, à la fixation d’un prix minimal de vente pour les cigarettes.
16 Par jugement du 5 avril 2012, le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio a annulé la décision litigieuse après avoir écarté l’application de l’article 39 octies du décret législatif. Cette juridiction a jugé que ladite décision avait réintroduit de fait un prix minimal de revente des tabacs manufacturés, ce qui, selon elle, allait à l’encontre de l’arrêt Commission/Italie (C‑571/08, EU:C:2010:367).
17 Le Ministero dell’Economia e delle Finanze et l’AAMS ont interjeté appel de ce jugement devant le Consiglio di Stato, le 5 juin 2012. Selon eux, la législation nationale sur le prix minimal de vente des cigarettes sur laquelle le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio s’est prononcé n’a aucun rapport avec les dispositions dudit article 39 octies. Au contraire, cette législation serait tout à fait conforme au droit de l’Union puisque la directive 2011/64 permettrait aux États membres de
percevoir une accise minimale sur les cigarettes.
18 La juridiction de renvoi estime que la solution du litige au principal dépend de l’interprétation des directives 95/59 et 2011/64.
19 Dans ces conditions, le Consiglio di Stato a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«L’article 8, paragraphe 2, de la directive 95/59[...], et l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2011/64[...], lorsqu’ils disposent respectivement que, outre le montant de l’accise spécifique, le taux de l’accise proportionnelle et de l’accise ad valorem [...] doivent être les mêmes pour toutes les cigarettes, s’opposent-ils à ce qu’une disposition nationale, telle que l’article 39 octies, paragraphe 4, du décret législatif [...], dispose que l’accise due pour les cigarettes ayant un prix de
vente au public inférieur à celui des cigarettes de la classe de prix la plus demandée s’élève à 115 % du montant de base, fixant ainsi une accise avec un taux fixe minimal spécialement pour les cigarettes ayant un prix de vente inférieur et non pas un montant minimal de l’accise appliqué à toutes les classes de prix des cigarettes, comme l’autorisent l’article 16, paragraphe 7, de la directive 95/59[...] et l’article 14, paragraphe 2, de la directive 2011/64[...]?»
Sur la question préjudicielle
20 À titre liminaire, il convient, d’une part, de relever que le litige au principal concerne une décision du directeur général de l’AAMS fixant les taux d’accise sur les cigarettes intervenue le 11 janvier 2012. Or, conformément aux articles 21 et 22 de la directive 2011/64, cette directive a abrogé et remplacé, à compter du 1er janvier 2011, la directive 95/59. Il y a donc lieu d’examiner la question posée uniquement par rapport aux dispositions de la directive 2011/64.
21 D’autre part, il convient de noter que la juridiction de renvoi se réfère à l’article 14, paragraphe 2, de la directive 2011/64, figurant au chapitre 4 de celle-ci, intitulé «Dispositions applicables aux tabacs manufacturés autres que les cigarettes», qui ne concerne pas les cigarettes. Or, le régime de l’accise minimale visé par la question préjudicielle est prévu à l’article 8, paragraphe 6, de la directive 2011/64. Ainsi, la question préjudicielle doit être comprise comme visant l’article 8,
paragraphe 6, de cette directive et non pas l’article 14, paragraphe 2, de celle-ci.
22 Il résulte de ce qui précède que, par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 7, paragraphe 2, et 8, paragraphe 6, de la directive 2011/64 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une disposition nationale établissant non pas une accise minimale identique pour toutes les cigarettes, mais une accise minimale qui s’applique uniquement aux cigarettes ayant un prix de vente au détail inférieur à celui des cigarettes de la classe de prix la plus
demandée.
23 La directive 2011/64 a pour objet de fixer les principes généraux de l’harmonisation des structures et des taux de l’accise à laquelle les États membres soumettent les tabacs manufacturés. Il ressort notamment des considérants 2, 3, 9 et 14 de la directive 2011/64 que celle-ci a pour objectif d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur et des conditions de concurrence neutres. En particulier, l’harmonisation des structures des accises ne saurait avoir pour effet de fausser la concurrence
dans le secteur du tabac.
24 En ce qui concerne les cigarettes, l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2011/64 soumet les cigarettes fabriquées dans l’Union et celles importées de pays tiers à une accise globale composée d’une accise ad valorem, calculée sur le prix maximal de vente au détail, et d’une accise spécifique, calculée par unité de produit. Le montant perçu au titre de l’accise globale varie selon le prix de vente des cigarettes, puisque l’accise ad valorem est fixée en fonction du prix de vente, et est
d’autant moins élevé que le prix de vente est bas et inversement.
25 L’article 7, paragraphe 2, de la directive 2011/64 précise que le taux de l’accise ad valorem et le montant de l’accise spécifique doivent être les mêmes pour toutes les cigarettes. Il ressort du libellé même des paragraphes 1 et 2 dudit article 7 que la perception de l’accise globale est obligatoire pour toutes les cigarettes, indépendamment de leurs caractéristiques et de leur prix.
26 Toutefois, à titre facultatif, les États membres peuvent percevoir une accise minimale sur les cigarettes, conformément à l’article 8, paragraphe 6, de la directive 2011/64, sous réserve notamment des paragraphes 3 à 5 de cet article 8 qui prévoient les fourchettes à respecter pour déterminer l’accise spécifique.
27 À cet égard, il convient de relever que le qualificatif «minimale» implique que l’accise, prévue à l’article 8, paragraphe 6, de la directive 2011/64, représente un seuil minimal d’imposition, en dessous duquel il ne peut y avoir de réduction proportionnelle de la taxe due. Comme l’a souligné la Commission européenne dans ses observations écrites soumises à la Cour, l’accise minimale permet que l’accise ad valorem n’exerce pas d’effet proportionnel en deçà du seuil minimal d’imposition.
28 Eu égard au fait que la perception de l’accise globale est obligatoire pour toutes les cigarettes indépendamment de leurs caractéristiques et de leur prix, une accise minimale, prévue par les États membres sur le fondement de l’article 8, paragraphe 6, de la directive 2011/64, doit s’appliquer à toutes les cigarettes, indépendamment de leurs caractéristiques et de leur prix (voir, en ce sens, s’agissant de la directive 95/59, arrêt Commission/France, C‑302/00, EU:C:2002:123, point 20).
29 Par ailleurs, il convient de noter que la directive 2011/64 distingue les différentes catégories de tabacs manufacturés faisant l’objet de l’harmonisation visée par celle-ci, à savoir les cigarettes, les cigares et les cigarillos, le tabac fine coupe et les autres tabacs à fumer, sans toutefois distinguer différentes catégories de cigarettes. Ainsi, les cigarettes doivent être considérées comme une seule catégorie de tabac manufacturé aux fins de la directive 2011/64.
30 La mise en place d’une accise minimale uniquement pour certaines catégories de cigarettes, telle que prévue par la réglementation nationale en cause au principal, permettrait pour certaines autres catégories de cigarettes la perception d’un montant, au titre de l’accise globale, qui serait inférieur à l’accise minimale, alors même que l’introduction de cette accise minimale devrait, selon la directive 2011/64, viser à éviter, dans un contexte de prix bas, qu’il ne puisse y avoir sous ce seuil une
réduction proportionnelle de la taxe due et ainsi éviter que le niveau de taxation des cigarettes les moins chères ne soit trop bas.
31 Si les États membres font usage de la faculté de mettre en place une accise minimale, conformément à l’article 8, paragraphe 6, de la directive 2011/64, une telle réglementation doit s’inscrire dans le cadre défini par cette directive et ne saurait aller à l’encontre des objectifs de cette dernière. Or, la mise en place de seuils minimaux d’imposition différents selon les caractéristiques ou le prix des cigarettes entraînerait des distorsions de concurrence entre les différentes cigarettes et
serait donc contraire à l’objectif d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur et des conditions de concurrence neutre poursuivi par la directive 2011/64.
32 C’est précisément ce qu’il résulte de la réglementation en cause au principal qui prévoit l’application d’une accise, fixée à 115 % de l’accise applicable à la classe de prix la plus demandée, uniquement pour les cigarettes ayant un prix de vente inférieur à celui des cigarettes de la classe de prix la plus demandée.
33 En effet, dans l’affaire au principal, la décision litigieuse indique, ainsi qu’il ressort du tableau annexé à ladite décision, que les cigarettes de la classe de prix la plus demandée sont les cigarettes dont le prix de vente au détail s’élève à 210 euros par mille cigarettes et sur lesquelles est prélevé, en application de l’accise globale, un montant d’accise, appelé «montant de base», de 122,85 euros par mille cigarettes. En application de l’article 39 octies du décret législatif, les
cigarettes ayant un prix inférieur à celui de la classe de cigarettes la plus demandée, donc inférieur à 210 euros par mille cigarettes, se voient imposer une accise de 115 % du montant de base, ce qui représente 115 % × 122,85 euros, c’est-à-dire 141,28 euros par mille cigarettes. Ainsi, en application de la réglementation italienne, les cigarettes dont le prix de vente au détail est inférieur à 210 euros par mille cigarettes supportent un montant d’accise supérieur au montant d’accise supporté,
en application de l’accise globale, par les cigarettes ayant un prix de vente au détail compris entre 210 euros et 243 euros par mille cigarettes.
34 La réglementation italienne met donc en place un système dans lequel le montant perçu sur les cigarettes de la classe de prix la plus demandée, en application de l’accise globale, est inférieur au montant perçu au titre de l’accise minimale sur les cigarettes les moins chères, ce qui a pour conséquence d’introduire des distorsions de concurrence et va à l’encontre des objectifs de la directive 2011/64.
35 En ce qui concerne l’objectif de santé publique mis en avant par les gouvernements italien, espagnol, français et portugais dans leurs observations écrites respectives présentées devant la Cour, il convient de constater que la directive 2011/64 prend en compte, conformément à ses considérants 2, 14 et 16, l’objectif de protection de la santé publique. Notamment, il est précisé au considérant 16 de cette directive que le niveau de taxation est un élément fondamental du prix des produits du tabac,
qui, à son tour, influence les habitudes tabagiques des consommateurs. À cet égard, la Cour a déjà jugé que, s’agissant des produits du tabac, la réglementation fiscale constitue un instrument important et efficace de lutte contre la consommation de ces produits et, partant, de protection de la santé publique (voir, en ce sens, s’agissant de la directive 95/59, arrêt Commission/Italie, EU:C:2010:367, point 51).
36 Dès lors que les mesures nationales s’inscrivent dans le cadre qu’elle définit, la directive 2011/64 n’empêche pas les États membres de poursuivre la lutte contre le tabagisme et d’assurer un haut niveau de protection de la santé publique au moyen de la perception d’accises (voir, en ce sens, s’agissant de la directive 95/59, arrêt Commission/Italie, EU:C:2010:367, point 48).
37 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que les articles 7, paragraphe 2, et 8, paragraphe 6, de la directive 2011/64 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une disposition nationale, telle que celle en cause au principal, établissant non pas une accise minimale identique qui s’applique à toutes les cigarettes, mais une accise minimale qui s’applique uniquement aux cigarettes ayant un prix de vente au détail inférieur à
celui des cigarettes de la classe de prix la plus demandée.
Sur les dépens
38 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit:
Les articles 7, paragraphe 2, et 8, paragraphe 6, de la directive 2011/64/UE du Conseil, du 21 juin 2011, concernant la structure et les taux des accises applicables aux tabacs manufacturés, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une disposition nationale, telle que celle en cause au principal, établissant non pas une accise minimale identique qui s’applique à toutes les cigarettes, mais une accise minimale qui s’applique uniquement aux cigarettes ayant un prix de vente au détail
inférieur à celui des cigarettes de la classe de prix la plus demandée.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure: l’italien.