CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. MELCHIOR WATHELET
présentées le 7 mai 2015 ( 1 )
Affaire C‑255/14
Robert Michal Chmielewski
contre
Nemzeti Adó‑ és Vámhivatal Dél‑alföldi Regionális Vám‑ és Pénzügyőri Főigazgatósága
[demande de décision préjudicielle formée par le Kecskeméti Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (Hongrie)]
«Contrôles de l’argent liquide entrant ou sortant de l’Union européenne — Règlement (CE) no 1889/2005 — Violation de l’obligation de déclaration — Proportionnalité des sanctions — Libre circulation des capitaux et des paiements»
I – Introduction
1. La présente demande de décision préjudicielle porte sur la proportionnalité d’une amende administrative prévue en droit hongrois pour sanctionner la violation de l’obligation de déclaration prévue par l’article 3 du règlement (CE) no 1889/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 26 octobre 2005, relatif aux contrôles de l’argent liquide entrant ou sortant de la Communauté ( 2 ).
II – Le cadre juridique
A – Le droit de l’Union
1. La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
2. À son article 17, intitulé «Droit de propriété», la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la «Charte») consacre et protège, à son paragraphe 1, le droit de propriété selon les termes suivants:
«Toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. L’usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l’intérêt général.»
2. Le règlement no 1889/2005
3. Selon le paragraphe 1 de l’article 1er, intitulé «Objectif»:
«Le présent règlement complète les dispositions de la directive 91/308/CEE concernant les transactions effectuées à travers les institutions financières, les établissements de crédit et certaines professions, en établissant des règles harmonisées concernant le contrôle, par les autorités compétentes, des mouvements d’argent liquide entrant ou sortant de [l’Union européenne].»
4. Son article 3, intitulé «Obligation de déclaration», dispose ce qui suit:
«1. Toute personne physique entrant ou sortant de [l’Union] avec au moins 10000 euros en argent liquide déclare la somme transportée aux autorités compétentes de l’État membre par lequel elle entre ou sort de [l’Union], conformément au présent règlement. L’obligation de déclaration n’est pas réputée exécutée si les informations fournies sont incorrectes ou incomplètes.
2. La déclaration visée au paragraphe 1 contient des informations sur:
[…]
e) la provenance de cet argent liquide et l’usage qu’il est prévu d’en faire;
[…]»
5. L’article 4, intitulé «Pouvoirs des autorités compétentes», prévoit, à son paragraphe 2, ce qui suit:
«En cas de non‑respect de l’obligation de déclaration prévue à l’article 3, l’argent liquide peut être retenu par décision administrative, conformément aux conditions fixées par la législation nationale.»
6. Selon l’article 6, intitulé «Échange d’informations»:
«1. Lorsqu’il y a des indices que des sommes en argent liquide sont liées à une activité illégale associée au mouvement d’argent liquide, visée dans la directive 91/308/CEE, les informations obtenues par le biais de la déclaration prévue à l’article 3 ou des contrôles prévus à l’article 4 peuvent être transmises aux autorités compétentes d’autres États membres.
Le règlement (CE) no 515/97 s’applique mutatis mutandis.
2. Lorsqu’il y a des indices que des sommes en argent liquide sont liées au produit d’une fraude ou à toute autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de la Communauté, lesdites informations sont également transmises à la Commission.»
7. L’article 7, intitulé «Échange d’informations avec les pays tiers», dispose:
«Dans le cadre de l’assistance administrative mutuelle, les informations obtenues en application du présent règlement peuvent être communiquées à un pays tiers par les États membres ou par la Commission, sous réserve de l’accord des autorités compétentes qui ont obtenu les informations conformément à l’article 3 et/ou à l’article 4 et dans le respect des dispositions nationales et communautaires applicables au transfert de données à caractère personnel à des pays tiers. Les États membres
informent la Commission de ces échanges d’informations lorsque cela présente un intérêt particulier pour la mise en œuvre du présent règlement.»
8. L’article 9, intitulé «Sanctions», dispose, à son paragraphe 1, ce qui suit:
«Chaque État membre introduit des sanctions applicables en cas de non exécution de l’obligation de déclaration prévue à l’article 3. Ces sanctions doivent être effectives, proportionnées et dissuasives.»
B – La convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
9. Selon l’article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, intitulé «Droit de propriété»:
«Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes.»
C – Le droit hongrois
10. L’article 2 de la loi no XLVIII de 2007 dispose:
«(1) L’obligation de déclaration prévue à l’article 3 du règlement [no 1889/2005] doit être remplie par écrit.
(2) Il convient, en application de l’article 3, paragraphe 2, sous b), du règlement [no 1889/2005], d’indiquer le nom et l’adresse complets du propriétaire de l’argent liquide, en application de l’article 3, paragraphe 2, sous c), [de ce] règlement, le nom et l’adresse complets du destinataire projeté de cet argent liquide, ainsi que, en application de l’article 3, paragraphe 2, sous g), [dudit] règlement, le moyen de transport utilisé et, s’il s’agit d’un véhicule automobile, son numéro
d’immatriculation.
[…]»
11. L’article 5/A de la loi no XLVIII de 2007 prévoit:
«Toute personne physique entrant ou sortant de [l’Union] qui remplit de façon incorrecte ou incomplète l’obligation de déclaration prévue à l’article 3, paragraphe 1, du règlement [no 1889/2005], concernant l’argent liquide qu’elle transporte, tel que défini à l’article 2, paragraphe 2, du règlement [no 1889/2005], ou qui ne la remplit pas du tout, doit, en application de l’article 9 du règlement [no 1889/2005], s’acquitter sur place d’une amende fixée en forints d’un montant équivalent
a) à 10 % de la somme d’argent liquide en sa possession, lorsque celle‑ci est égale ou supérieure à 10000 euros, mais n’excède pas 20000 euros,
b) à 40 % de la somme d’argent liquide en sa possession, lorsque celle‑ci est supérieure à 20000 euros, mais n’excède pas 50000 euros,
c) à 60 % de la somme d’argent liquide en sa possession, lorsque celle‑ci est supérieure à 50000 euros.»
III – Le litige au principal et les questions préjudicielles
12. Le 9 août 2012, M. Chmielewski est entré sur le territoire hongrois en provenance de Serbie, sans déclarer la somme d’argent liquide qu’il transportait, à savoir un montant total de 147492 euros, composé de 249150 leva bulgares (BGN) (environ 127400 euros), 30000 livres turques (TRY) (environ 6500 euros) et 29394 lei roumains (RON) (environ 13600 euros).
13. Selon la Commission, lors du contrôle, M. Chmielewski a déclaré aux agents des douanes être en possession de cette importante somme d’argent parce qu’il avait prévu d’acheter une maison en Bulgarie, mais qu’il rentrait bredouille en Pologne.
14. Lors de l’audience, la Nemzeti Adó‑ és Vámhivatal Dél‑alföldi Regionális Vám‑ és Pénzügyőri Főigazgatósága (direction générale des douanes et des finances de la région Del‑alföld) a précisé que 60 % de la somme détenue par M. Chmieliewski (à savoir l’équivalent de 24532000 HUF) fut retenue au titre de l’amende instaurée par l’article 5/A, paragraphe 1, sous c), de la loi no XLVIII de 2007 pour défaut de déclaration.
15. Par une décision du 4 octobre 2013, la Nemzeti Adó‑ és Vámhivatal Dél‑alföldi Regionális Vám‑ és Pénzügyőri Főigazgatósága (direction générale des douanes et des finances de la région Del‑alföld) a rejeté la demande de M. Chmielewski de l’exonérer de l’amende en prenant en compte les circonstances personnelles qu’il invoquait et a confirmé l’amende administrative de 24532000 HUF, qui lui avait été imposée par les agents des douanes, puisque, en ayant omis de déclarer ladite somme lors de son
entrée sur le territoire de l’Union, il n’avait pas respecté l’obligation qui lui est imposée par le règlement no 1889/2005 et par la loi no XLVIII de 2007.
16. M. Chmielewski a introduit un recours contre cette décision devant le Kecskeméti Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal des affaires administratives et du travail de Kecskemét) en faisant notamment valoir que les dispositions de la loi no XLVIII de 2007 étaient contraires au droit de l’Union.
17. C’est dans ces conditions que le Kecskeméti Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Le montant de l’amende administrative fixée en application de l’article 5/A de la loi [no XLVIII de 2007], adoptée aux fins de l’exécution du règlement [no 1889/2005], est‑il conforme à l’exigence imposée par l’article 9, paragraphe 1, [de ce règlement], à savoir que la sanction introduite par le droit national doit être effective, dissuasive, tout en étant proportionnée par rapport à l’infraction commise et le but à atteindre?
2) L’article 5/A de la loi [no XLVIII de 2007] n’est‑il pas, en raison du montant de l’amende qu’il prévoit, contraire à l’interdiction des restrictions déguisées à la libre circulation des capitaux, prévue à l’article 65, paragraphe 3, [TFUE] et du traité sur l’Union européenne?»
IV – La procédure devant la Cour
18. La présente demande de décision préjudicielle a été déposée à la Cour le 27 mai 2014. Les gouvernements hongrois, belge, espagnol et italien ainsi que la Commission européenne ont déposé des observations écrites.
19. Une audience s’est tenue le 18 mars 2015 lors de laquelle la Nemzeti Adó‑ és Vámhivatal Dél‑alföldi Regionális Vám‑ és Pénzügyőri Főigazgatósága, qui n’avait pas déposé d’observations écrites, les gouvernements hongrois, belge et espagnol ainsi que la Commission ont présenté leurs observations orales.
V – Analyse
A – Observations liminaires
20. Si, au titre de la libre circulation des capitaux garantie par les articles 63 et suivants TFUE, le droit de l’Union n’interdit pas les transferts internationaux d’argent liquide, la Cour a déjà jugé que cette libre circulation de capitaux ne s’opposait pas à ce que l’exportation de pièces, de billets de banque ou de chèques au porteur soit subordonnée à une déclaration préalable ( 3 ). C’est aussi cette règle qu’on trouve dans les réglementations de l’Union ayant le même objet, telles que le
règlement no 1889/2005 et plus particulièrement son article 3.
21. Par conséquent, la question relative à la sanction prévue par le droit hongrois peut être analysée à l’égard tant de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1889/2005 que de l’article 65, paragraphe 3, TFUE, interdisant les restrictions déguisées à la libre circulation des capitaux.
22. Comme le propose la Commission dans ses observations écrites, j’examinerai conjointement les deux questions préjudicielles.
B – Les arguments des parties
23. Les parties à la procédure devant la Cour sont unanimes à considérer que les sanctions prévues à l’article 5/A, paragraphe 1, de la loi no XLVIII de 2007 sont effectives et dissuasives au sens de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1889/2005. Toutefois, contrairement aux gouvernements hongrois, belge, espagnol et italien qui considèrent que ces sanctions sont également proportionnées, la Commission estime que les sanctions prévues aux points b) et c) de cette disposition, à savoir 40 %
pour une somme non déclarée de 20000 à 50000 euros et 60 % pour une telle somme supérieure à 50000 euros, ne respectent pas le principe de proportionnalité.
24. Pour la Commission, la disproportion réside à la fois dans le fait que l’article 5/A, paragraphe 1, de la loi no XLVIII de 2007 ne laisse à l’administration et au juge national aucune marge d’appréciation permettant de tenir compte des circonstances particulières de chaque situation lors de la détermination du montant de l’amende et qu’il prévoit des montants à ce point élevés qu’il semble présumer l’existence d’une intention malveillante chez l’auteur de l’infraction administrative concernée.
25. De l’autre côté, les gouvernements hongrois, belge, espagnol et italien déduisent la proportionnalité du système des sanctions introduit par l’article 5/A, paragraphe 1, de la loi no XLVIII de 2007 de son caractère effectif et dissuasif ainsi que de la progressivité des amendes en fonction de la hauteur des montants non déclarés.
C – Appréciation
1. La jurisprudence de la Cour sur la proportionnalité des sanctions
26. La question de la proportionnalité des sanctions en cas d’inobservation du droit de l’Union a déjà fait l’objet de plusieurs arrêts de la Cour.
27. Il est ainsi de jurisprudence constante que, «en l’absence d’harmonisation de la législation [de l’Union] dans le domaine des sanctions applicables en cas d’inobservation des conditions prévues par un régime institué par cette législation, les États membres sont compétents pour choisir les sanctions qui leur semblent appropriées. Ils sont toutefois tenus d’exercer leur compétence dans le respect du droit [de l’Union] et de ses principes généraux, et, par conséquent, dans le respect du principe
de proportionnalité» ( 4 ).
28. «En effet, ainsi que la Cour l’a jugé à maintes reprises, les mesures administratives ou répressives ne doivent pas dépasser le cadre de ce qui est strictement nécessaire aux objectifs poursuivis, et il ne faut pas rattacher aux modalités de contrôle une sanction si disproportionnée à la gravité de l’infraction qu’elle deviendrait une entrave aux libertés consacrées par le traité [FUE]» ( 5 ).
29. Toutefois, la Cour s’est rarement prononcée concrètement sur la proportionnalité des sanctions nationales en cause dans chaque affaire. Elle l’a certes fait dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Urbán (C‑210/10, EU:C:2012:64), mais dans cette affaire l’irrégularité sanctionnée ne relevait aucun caractère d’abus ou même de gravité alors que le montant de l’amende était très élevé, ce qui a amené la Cour a juger elle‑même que l’amende en cause était disproportionnée ( 6 ).
30. D’habitude, la Cour confie le contrôle de proportionnalité à la juridiction de renvoi en lui donnant des critères utiles pour effectuer correctement ce contrôle ( 7 ).
31. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Louloudakis (C‑262/99, EU:C:2001:407), la Cour a jugé, au point 69, que, «si des impératifs de répression et de prévention peuvent justifier qu’une législation nationale établisse les sanctions à un certain niveau de sévérité, il ne peut être exclu que [ces sanctions] puissent s’avérer disproportionnées et constituer ainsi une entrave à ladite liberté [en l’occurrence, la libre circulation des personnes et des marchandises], en tant qu’elles comprennent
des amendes fixées de manière forfaitaire sur le fondement du seul critère de la cylindrée du véhicule, sans prise en considération de la vétusté de celui‑ci, et un droit majoré pouvant aller jusqu’au décuple des taxes en cause. En effet, une sanction fondée sur le seul critère de la cylindrée pourrait être disproportionnée par rapport à la gravité de l’infraction, notamment lorsqu’elle est associée à une autre sanction, élevée, infligée du chef de la même infraction. Il pourrait en être de même
d’une sanction pouvant atteindre un multiple des taxes en cause, par exemple le décuple de celles‑ci».
32. Très logiquement, la Cour tranche elle‑même lorsqu’il s’agit de sanctions prévues par le droit de l’Union lui‑même sans renvoi au juge national.
33. Par exemple, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Billerud Karlsborg et Billerud Skärblacka (C‑203/12, EU:C:2013:664) ( 8 ), la Cour a jugé que «le jugement sur la proportionnalité d’un acte de l’Union ne saurait dépendre d’appréciations rétrospectives concernant son degré d’efficacité. Lorsque le législateur de l’Union est amené à apprécier les effets futurs d’une réglementation à prendre alors que ces effets ne peuvent être prévus avec exactitude, son appréciation ne peut être censurée
que si elle apparaît manifestement erronée au vu des éléments dont il disposait au moment de l’adoption de la réglementation en cause» ( 9 ).
34. Sur ce fondement, la Cour a décidé que «l’amende sur les émissions excédentaires prévue par la directive 2003/87 ne saurait être regardée comme étant contraire au principe de proportionnalité en ce que son montant n’est assorti d’aucune possibilité de modulation par le juge national» ( 10 ). Je remarque que, dans l’arrêt Louloudakis (C‑262/99, EU:C:2001:407), la Cour avait estimé que des amendes fixées de manière forfaitaire sans prendre en compte une série de critères pouvaient «s’avérer
disproportionnées» (voir points 69 à 71).
35. À la suite de ces observations, il apparaît que la jurisprudence de la Cour sur la proportionnalité de sanctions laissant aux juridictions nationales la tâche d’effectuer ce contrôle se fonde essentiellement sur les circonstances concrètes propres à chaque dossier, prenant en compte le type et la gravité de l’infraction, la plus ou moins grande facilité pour les autorités de prévoir le degré d’efficacité du système répressif, le mode de calcul de la sanction et les critères auxquels il est
soumis.
2. La proportionnalité des sanctions du point de vue du droit de propriété
36. Comme l’indique la Commission dans ses observations écrites, les amendes administratives sanctionnant la non‑déclaration d’argent liquide à la frontière ont fait l’objet d’un examen par la Cour européenne des droits de l’homme au regard de l’article 1er du protocole no 1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
37. À mon avis, il convient d’examiner également la présente affaire au regard du point de vue du droit de propriété consacré par l’article 17 de la Charte, d’autant plus que le règlement no 1889/2005 indique à son considérant 15 qu’il «respecte les droits fondamentaux et observe les principes […] reproduits dans la [Charte]», cette dernière étant applicable, selon son article 51, paragraphe 1, lorsque les États membres mettent en œuvre le droit de l’Union.
38. Comme l’article 17 de la Charte correspond à l’article 1er du protocole no 1 à ladite convention, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans cette matière pourrait être utile dans l’affaire en cause en sachant que la Charte autorise que le droit de l’Union accorde «une protection plus étendue» ( 11 ).
39. Les affaires aux faits presque identiques à ceux de la présente affaire que la Cour européenne des droits de l’Homme a traitées sont au nombre de trois: Ismayilov c. Russie ( 12 ), Grifhorst c. France ( 13 ) et Moon c. France ( 14 ).
a) L’affaire Ismayilov c. Russie
40. Le 17 novembre 2002, M. Ismayilov, de nationalité azérie, est arrivé à Moscou portant sur lui 21348 USD, ce qui représentait le prix de vente d’une maison, située à Baku (Azerbaïdjan), qu’il avait héritée de sa mère. Il a toutefois déclaré aux agents des douanes n’avoir sur lui que 48 USD alors que, selon la loi russe, toute somme supérieure à 10000 USD devait être déclarée. Lors du contrôle qui s’en est suivi, le reste de la somme fut trouvée dans ses bagages. Il fut alors accusé de contrebande
et la somme en cause fut saisie comme élément de preuve. M. Ismayilov fut condamné à une peine de liberté surveillée, les juridictions russes remettant la somme en cause aux autorités douanières qui l’ont confisquée.
41. Selon la Cour européenne des droits de l’homme, «pour être considérée proportionnée, l’ingérence [au droit de propriété] devrait correspondre à la gravité du manquement constaté, à savoir le manquement à l’obligation de déclaration, plutôt qu’à la gravité d’un éventuel manquement non encore constaté à ce stade, tel qu’un délit de blanchiment d’argent ou une fraude fiscale» ( 15 ).
42. La Cour européenne des droits de l’homme a ajouté que la confiscation ne servait pas de compensation d’un dommage pécuniaire subi par l’État «étant donné que [ce dernier] n’avait subi aucune perte résultant du défaut du requérant de déclarer la somme [en cause] mais avait pour but de dissuader et de punir» ( 16 ).
43. La Cour européenne des droits de l’homme a conclu qu’«[i]l n’était pas démontré de façon convaincante ni même allégué par le gouvernement [russe] que cette seule sanction [à savoir la confiscation] ne suffisait pas à atteindre le but dissuasif et punitif recherché ainsi qu’à prévenir la non‑exécution de l’obligation de déclaration. Dans ces circonstances, l’imposition d’une mesure confiscatoire en tant que sanction additionnelle était […] disproportionnée, en ce qu’elle imposait au requérant une
‘charge individuelle excessive’» ( 17 ).
b) L’affaire Grifhorst c. France
44. L’affaire Grifhorst c. France ressemble à la présente affaire en ce sens que les dispositions du droit français en cause dans cette affaire (en particulier les articles 464 et 465 du code des douanes) sont celles qui, en France, mettent en œuvre les articles 3 et 9 du règlement no 1889/2005.
45. Le 29 janvier 1996, à la frontière franco‑andorrane, M. Grifhorst a fait l’objet d’un contrôle par la douane française. Comme dans l’affaire en cause au principal, à la question des agents des douanes, posée en anglais et en espagnol, de savoir s’il avait des sommes à déclarer, M. Grifhorst répondit par la négative. Le véhicule ainsi que le M. Grifhorst furent fouillés et les agents des douanes découvrirent 500000 florins néerlandais (NLG) dans les poches dudit véhicule, soit 233056 euros. Lors
de son interrogatoire, M. Grifhorst déclara résider à Andorre et avoir retiré la somme du Crédit d’Andorre afin d’acheter un immeuble à Amsterdam.
46. Contrairement à l’affaire en cause au principal, les agents des douanes procédèrent à la saisie de l’intégralité de la somme détenue par M. Grifhorst.
47. Ensuite, et contrairement à ce qu’ont fait les autorités hongroises dans l’affaire en cause au principal, les autorités françaises consultèrent les autorités néerlandaises sur les activités de M. Grifhorst, qui leur indiquèrent que ce dernier leur était connu, notamment pour des faits, survenus en 1983, de chantage et d’extorsion de fonds, d’enlèvement d’une personne et de détention d’une arme à feu. Les autorités néerlandaises précisèrent également que la seule activité connue de M. Grifhorst
était en relation avec l’immobilier, qu’une enquête internationale menée par le Royaume d’Espagne, la République française et le Royaume des Pays‑Bas sur ses activités n’avait pas progressé et qu’il était soupçonné de blanchir des capitaux pour le compte d’autres personnes mais qu’aucun élément concret supplémentaire ne pouvait être apporté.
48. M. Grifhorst fut cité à comparaître devant le tribunal correctionnel de Perpignan (France) qui, par jugement du 8 octobre 1998, le déclara coupable du délit de non‑respect de l’obligation déclarative des sommes, titres ou valeurs prévue à l’article 464 du code des douanes et le condamna à la confiscation de la totalité de la somme et au paiement d’une amende égale à la moitié de la somme non déclarée (225000 NLG, soit 116828 euros), sur le fondement de l’article 465 du même code.
49. Ce jugement fut confirmé par la cour d’appel de Montpellier (France), qui rejeta sa demande de saisir la Cour à titre préjudiciel. La Cour de cassation (France) rejeta également son pourvoi. À la suite de ce rejet, M. Grifhorst a introduisit un recours devant la Cour européenne des droits de l’Homme pour violation de son droit de propriété garanti par l’article 1er du protocole no 1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
50. La Cour européenne des droits de l’homme a d’abord relevé que «[l]e seul comportement délictueux qui [pouvait] être retenu à l’encontre [de M. Grifhorst] consist[ait] dans le fait de n’avoir pas déclaré au passage de la frontière franco‑andorrane les espèces qu’il transportait[,] [l]e Gouvernement n’a[yant] d’ailleurs pas soutenu que les sommes transportées seraient issues d’activités illicites ou destinées à de telles activités» ( 18 ).
51. En rejoignant l’approche de la Commission exprimée dans l’avis motivé qu’elle avait adressé à la République française à propos de la compatibilité de l’article 465 du code des douanes avec le droit de l’Union, la Cour européenne des droits de l’homme a également considéré que «la sanction devait correspondre à la gravité du manquement constaté, à savoir le manquement à l’obligation de déclaration et non pas à la gravité du manquement éventuel non constaté, à ce stade, d’un délit tel que le
blanchiment d’argent ou la fraude fiscale» ( 19 ).
52. La Cour européenne des droits de l’homme a ensuite pris note de la modification du libellé de cet article 465 en 2004, à la suite de l’avis motivé de la Commission. Sur base du nouveau texte, la confiscation n’était plus automatique et ne pouvait plus être prononcée, au plus tard à l’issue d’une période maximale de six mois pendant laquelle la somme non déclarée était consignée, que s’il y avait des indices ou raisons plausibles de penser que la personne intéressée avait commis d’autres
infractions au code des douanes. L’amende était fixée à 25 % de la somme sur laquelle portait l’infraction ( 20 ).
53. Dans ces circonstances, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé qu’«un […] système [tel que celui introduit par la modification de 2004] permet[tait] de préserver le juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et la protection des droits fondamentaux de l’individu» ( 21 ) alors qu’un cumul de «la confiscation et l’amende[] était disproportionné[] au regard du manquement commis» ( 22 ).
c) L’affaire Moon c. France
54. L’affaire Moon c. France a posé la même problématique que l’affaire Grifhorst c. France, la seule différence d’importance étant que l’amende imposée était fixée à 25 % de la somme non déclarée.
55. La Cour européenne des droits de l’homme a confirmé son arrêt Grifhorst c. France en jugeant que le cumul de la confiscation et de l’amende s’élevait à 125 % de la somme non déclarée et qu’il était par conséquent disproportionné ( 23 ).
3. Le système de sanctions introduit par les articles 4, paragraphe 2, et 9, paragraphe 1, du règlement no 1889/2005
56. Comme le suggère la Commission, l’objectif du règlement no 1889/2005 est de compléter le mécanisme du droit de l’Union de prévention du blanchiment de capitaux en assurant un certain niveau de contrôle des mouvements d’argent liquide franchissant les frontières de l’Union et de collecter des informations sur de tels mouvements ( 24 ).
57. Le système de contrôle instauré par le règlement no 1889/2005 prévoit ainsi l’obligation de déclaration de toute somme égale ou supérieure à 10000 euros ( 25 ). Selon ce système, le non‑respect de cette obligation doit être assorti de sanctions «effectives, proportionnées et dissuasives» que les États membres doivent introduire dans leur droit interne ( 26 ) qui peuvent être accompagnées d’une rétention de l’argent liquide non déclaré par décision administrative, conformément aux conditions
fixées par la législation nationale ( 27 ).
58. Il ressort donc clairement de la structure de ce système que, comme le dit la Commission, les amendes introduites par les États membres ne punissent que le manquement constaté, à savoir le manquement à l’obligation de déclaration, et non un manquement éventuel non constaté, comme le blanchiment d’argent ou la fraude fiscale.
59. Comme l’indique l’article 3, paragraphe 2, sous e), du règlement no 1889/2005 ( 28 ), il incombe aux autorités nationales, comme l’ont fait les autorités françaises dans l’affaire Grifhorst c. France, de vérifier chaque fois la provenance de l’argent liquide non déclaré et l’usage qu’il était prévu d’en faire, tâche qui est facilitée par les dispositions concernant l’échange des informations contenues aux articles 6 et 7 de ce règlement.
60. Lors de l’audience, la Nemzeti Adó‑ és Vámhivatal Dél‑alföldi Regionális Vám‑ és Pénzügyőri Főigazgatósága a relevé qu’il était difficile pour les agents des douanes de recueillir à la frontière des preuves d’infractions pénales liées à l’argent liquide non déclaré telles qu’un blanchiment d’argent ou une fraude fiscale. Toutefois, c’est exactement pour faciliter cette tâche que l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1889/2005 prévoit que l’argent liquide peut être temporairement retenu par
décision administrative.
61. Si la légalité de la provenance et de l’usage prévu de l’argent liquide non déclaré est établie, comme c’était le cas dans les affaires Ismayilov c. Russie ( 29 ) et Moon c. France ( 30 ), ou ne peut être contestée, comme c’était le cas dans l’affaire Grifhorst c. France ( 31 ), seule la sanction prévue par le droit national en application de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1889/2005 à savoir l’amende dans le cas d’espèce, peut être imposée.
62. En revanche, la sanction de confiscation peut être imposée dans le cas où l’illicéité de la provenance ou de l’usage prévu de l’argent liquide en cause est établie, conformément aux dispositions du droit national, et se cumuler avec la sanction prévue par le droit national en application de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1889/2005.
63. Il faut préciser que comme l’amende ne vise pas la provenance ou l’usage de l’argent liquide non déclaré, elle ne peut pas varier en fonction de la légalité ou non de la provenance ou de l’usage de la somme en cause.
64. En synthèse, comme l’a déjà jugé Cour européenne des droits de l’Homme, pour que l’amende imposée en cas de non‑respect de l’obligation de déclaration soit proportionnée, elle doit «correspondre à la gravité du manquement constaté, à savoir le manquement à l’obligation de déclaration» ( 32 ).
4. La compatibilité de la loi no XLVIII de 2007 avec le règlement no 1889/2005
a) En général
65. Il convient de noter d’emblée que, comme l’a exposé la Commission lors de l’audience, les sanctions prévues par les États membres en application de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1889/2005 sont très différentes tant en ce qui concerne le calcul de l’amende (pourcentage de la somme non déclarée ou montant à fixer par les autorités compétentes entre un seuil et un plafond prévus par la loi) que les montants auxquels ces systèmes peuvent parvenir (de 1200 euros en Estonie à une amende
maximale d’1 million d’euros en Allemagne).
66. Dans ce contexte, un système d’amende tel que celui instauré par le législateur hongrois qui prévoit une progressivité de l’amende en fonction de la hauteur de la somme non déclarée ne me paraît pas être en soi hors norme.
b) Paramètres autres que l’amende proprement dite
67. Toutefois, quelques paramètres de ce système me paraissent contraires au règlement no 1889/2005.
68. Tout d’abord, ce qui fut confirmé lors de l’audience par la Nemzeti Adó‑ és Vámhivatal Dél‑alföldi Regionális Vám‑ és Pénzügyőri Főigazgatósága, la législation hongroise n’ayant pas exploité la possibilité prévue à l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1889/2005 de retenir par décision administrative l’argent liquide non déclaré, l’argent liquide trouvé sur M. Chmielewski lors de son passage de la frontière serbo‑hongroise n’a pas été temporairement saisi par les autorités hongroises ( 33
).
69. De plus, même s’il apparaît que M. Chmielewski a déclaré aux agents des douanes hongrois être en possession de la somme en cause parce qu’il avait prévu d’acheter une maison en Bulgarie, mais qu’il rentrait bredouille en Pologne, il ne ressort pas du dossier que les autorités hongroises aient essayé d’établir la provenance de l’argent liquide en cause. À cette fin, elles pouvaient demander l’assistance des autorités polonaises, ce qu’elles n’ont pas fait. En ce sens, elles n’ont pas appliqué
l’article 3, paragraphe 2, sous e), du règlement no 1889/2005.
70. Or, l’objectif essentiel du règlement no 1889/2005 étant, au travers notamment d’une coopération entre les États membres facilitée par son article 6, de rendre plus efficace la lutte contre le blanchiment d’argent et la fraude fiscale, les États membres doivent absolument enquêter sur l’origine et la destination des fonds en cause sans s’arrêter à la simple constatation et à la sanction du manquement à l’obligation de déclaration, ce qui implique que ces fonds puissent être temporairement
retenus pendant cette enquête.
71. Au lieu de prévoir les conditions selon lesquelles l’argent liquide non déclaré pourrait être retenu par décision administrative conformément à l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1889/2005, le système d’exécution de ce dernier, mis en place par la loi no XLVIII de 2007, me paraît reposer sur la simple prise en compte, par la progressivité de l’amende, de la possibilité que la provenance et l’usage prévu de l’argent liquide non déclaré soit illicite.
72. Or, un tel système qui combine, au moyen d’une amende liée au montant des sommes en cause, d’une part, une présomption d’illicéité de leur provenance ou de leur destination, et, d’autre part, avec le manquement à l’obligation de déclaration, me paraît contraire aux articles 3, paragraphe 2, et 4, paragraphe 2, du règlement no 1889/2005.
73. En effet, en ne posant pas de questions sur la provenance et l’usage prévu de l’argent liquide non déclaré et en ne permettant pas qu’il soit temporairement retenu par décision administrative afin de permettre aux autorités hongroises de décider s’il y lieu de prononcer la confiscation ( 34 ), la loi no XLVIII de 2007 ne respecte pas les règles énoncés par le règlement et compromet son efficacité.
74. C’est dans ce cadre, où il n’est plus possible pour la juridiction de renvoi de saisir temporairement l’argent liquide non déclaré dans le but de pouvoir le confisquer dans l’hypothèse où l’illicéité de sa provenance ou de son usage prévu aurait été prouvée, qu’il convient d’examiner la proportionnalité de l’amende imposée en tenant compte des problèmes de compatibilité susmentionnés de la loi no XLVIII de 2007 avec le règlement no 1889/2005.
c) La relation automatique entre l’amende et la somme d’argent liquide non déclarée
75. Le système d’amendes introduit par l’article 5/A de la loi no XLVIII de 2007 ne laisse aucune marge de manœuvre aux autorités compétentes pour s’écarter du montant prédéterminé de l’amende. De plus, ce montant augmente automatiquement en fonction de la hauteur de la somme non déclarée (à savoir 10 % si la somme se situe entre 10000 et 20000 euros, 40 % pour les sommes entre 20000 et 50000 euros et 60 % pour toute somme supérieure à 50000 euros).
76. Le seul facteur de mesure de l’amende est donc la hauteur de la somme non déclarée.
77. La Commission reproche à ce système de ne pas permettre aux autorités compétentes de prendre en compte les circonstances de chaque cas particulier, comme par exemple l’intentionnalité ou la récidive de la non‑déclaration, ce qui, selon la Commission, pourrait aboutir à une réduction ou même à l’annulation de l’amende si l’auteur de l’infraction pouvait ultérieurement prouver la légalité de l’origine et de la destination de la somme non déclarée. Dans un tel cas, malgré le manquement à
l’obligation de déclaration, la Commission considère que l’intérêt général n’aurait pas été lésé.
78. Même si je viens de rappeler que le règlement no 1889/2005 impose d’enquêter sur la provenance et l’usage prévu de la somme en cause lors du contrôle prévu à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 1889/2005, je ne suis pas convaincu par cette critique.
79. En effet, même si le règlement no 1889/2005 ne s’oppose pas à un système tel que celui proposé par la Commission qui permettrait aux autorités douanières ou juridictionnelles nationales de tenir compte des circonstances particulières de chaque affaire, j’estime que pareil système ne pouvait en tous cas pas aboutir à l’absence de sanction de l’infraction à l’obligation de déclaration prévue par le libellé de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1889/2005 prévoyant expressément que les États
membres «introdui[sent] des sanctions applicables en cas de non‑exécution de l’obligation de déclaration prévue à l’article 3».
80. Par ailleurs, les systèmes qui, comme celui prévu par la loi no XLVIII de 2007, ne permettent pas de tenir compte des circonstances particulières de chaque affaire ne me paraissent pas de ce seul fait contraires au règlement no 1889/2005. En effet, pourquoi laisser une marge d’appréciation aux autorités compétentes pour une infraction administrative de non‑déclaration que le législateur de l’Union a voulue simple à constater et indépendante d’autres délits comme le blanchiment d’argent, le
financement du terrorisme, la fraude fiscal, le recel, le vol, le bénéfice du trafic de drogue ou la contrebande, indépendante aussi de tout élément intentionnel?
81. À mon avis, les États membres sont en droit de mettre en place un système d’amendes qui soit simple, effectif et dissuasif et qui traite tous les intéressés de la même façon en réservant une analyse différenciée à la répression d’autres infractions que l’omission de déclaration.
d) Proportionnalité de l’amende imposée dans l’affaire au principal
82. Même si une amende dont le montant est progressif en fonction de la somme d’argent liquide non déclarée est certes apte à atteindre son objectif d’encourager le respect et de punir le non‑respect de l’obligation de déclaration, j’ai tendance à considérer disproportionné le taux le plus élevé de la progressivité choisie par la législation hongroise. Sans penser, comme semble le faire la Cour européenne des droits de l’homme ( 35 ), que le même pourcentage (en l’occurrence 25 %) devrait être
appliqué quel que soit le montant non déclaré, il me paraît qu’une amende de 60 % sur l’ensemble de la somme dès qu’elle dépasse 50000 euros, inspirée peut‑être par l’existence supposée d’autres infractions où d’une intention de les commettre, confine à une mesure de nature confiscatoire pour sanctionner la seule infraction à l’obligation de déclaration et ne ménage pas un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et celle de la protection du droit de propriété consacré à
l’article 17 de la Charte.
83. Je terminerai par deux remarques. Sans en faire un élément déterminant, je relève dans l’exposé présenté à l’audience par la Commission que, parmi les États membres qui ont choisi, comme la Hongrie, une amende égale à un pourcentage de la somme non déclarée, aucun n’a prévu un taux aussi élevé, les chiffres allant de 5 à 50 %, ce dernier taux étant dans un État membre réservé à des circonstances exceptionnelles.
84. Je rappelle enfin que la confiscation de l’intégralité des fonds en cause serait parfaitement proportionnée au cas où ne seraient pas établies une origine et une destination légales des sommes visées sans préjudice d’autres sanctions pour les autres infractions éventuellement constatées.
VI – Conclusion
85. Je propose donc à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Kecskeméti Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság de la manière suivante:
L’article 9, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1889/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 26 octobre 2005, relatif aux contrôles de l’argent liquide entrant ou sortant de la Communauté, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une sanction telle que celle prévue par l’article 5/A, paragraphe 1, point c), de la loi no XLVIII de 2007, en ce qu’elle prévoit, sans possibilité de retenir la somme non déclarée le temps nécessaire à l’enquête sur son origine et sa destination, un taux
d’amende de 60 % de cette somme dès qu’elle dépasse 50000 euros.
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( 1 ) Langue originale: le français.
( 2 ) JO L 309, p. 9.
( 3 ) Voir arrêts Bordessa e.a. (C‑358/93 et C‑416/93, EU:C:1995:54, point 31) ainsi que Sanz de Lera e.a. (C‑163/94, C‑165/94 et C‑250/94, EU:C:1995:451, point 39).
( 4 ) Arrêt Louloudakis (C‑262/99, EU:C:2001:407, point 67). Voir également, en ce sens, arrêts Amsterdam Bulb (50/76, EU:C:1977:13, points 33 et 35); Commission/Grèce (C‑210/91, EU:C:1992:525, point 19); Siesse (C‑36/94, EU:C:1995:351, point 21); de Andrade (C‑213/99, EU:C:2000:678, point 20); Ntionik et Pikoulas (C‑430/05, EU:C:2007:410, point 54), et Urbán (C‑210/10, EU:C:2012:64, point 53).
( 5 ) Arrêt Commission/Grèce (C‑210/91, EU:C:1992:525, point 20). Voir également, en ce sens, arrêts Casati (203/80, EU:C:1981:261, point 27); Luisi et Carbone (286/82 et 26/83, EU:C:1984:35, points 34 et 35); Commission/Grèce (68/88, EU:C:1989:339, point 24); Louloudakis (C‑262/99, EU:C:2001:407, point 67); Ntionik et Pikoulas (C‑430/05, EU:C:2007:410, point 53), et Urbán (C‑210/10, EU:C:2012:64, point 53).
( 6 ) Voir arrêt Urbán (C‑210/10, EU:C:2012:64, points 55 à 58). Voir, notamment, point 56 où la Cour a jugé que «le régime de sanctions hongrois apparaît disproportionné, notamment dans un cas tel que celui à l’origine de l’affaire au principal où seul un disque sur les quinze disques contrôlés présentait un défaut d’enregistrement, à savoir que le kilométrage à l’arrivée n’y figurait pas» et que «le défaut d’enregistrement en cause au principal ne pouvait constituer un abus, dans la mesure où
l’indication manquante sur la feuille d’enregistrement figurait en revanche sur la lettre de transport». Voir, aussi, point 58 où la Cour, après avoir rappelé que la «la mesure répressive ne [devait] pas être démesurée», relève que le montant de l’amende «est presque équivalent au revenu moyen mensuel net d’un travailleur salarié en Hongrie».
( 7 ) Voir, notamment, arrêts Louloudakis (C‑262/99, EU:C:2001:407, point 70) ainsi que Ntionik et Pikoulas (C‑430/05, EU:C:2007:410, point 54).
( 8 ) Cette affaire concernait la légalité de l’amende forfaitaire de 100 euros prévue à l’article 16, paragraphe 3, de la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 2003, établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil (JO L 275 p. 32) pour chaque tonne d’équivalent‑dioxyde de carbone émise par une installation pour laquelle l’exploitant n’a pas restitué de quotas.
( 9 ) Voir point 37.
( 10 ) Ibidem (point 38).
( 11 ) Voir article 52, paragraphe 3, de la Charte.
( 12 ) Cour EDH, arrêt Ismayilov c. Russie, 6 novembre 2008 (arrêt non publié au Recueil des arrêts et décisions, accessible sur le site Internet de la Cour http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx?i=001‑89412).
( 13 ) Cour EDH, arrêt Grifhorst c. France, 26 février 2009 (arrêt non publié au Recueil des arrêts et décisions, accessible sur le site Internet de la Cour http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx?i=001‑91448).
( 14 ) Cour EDH, arrêt Moon c. France, 9 juillet 2009, (arrêt non publié au Recueil des arrêts et décisions, accessible sur le site Internet de la Cour http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx?i=001‑93522).
( 15 ) Cour EDH, arrêt Ismayilov c. Russie, 6 novembre 2008, § 38 (ma traduction): «in order to be considered proportionate, the interference should correspond to the gravity of the infringement, namely the failure to comply with the declaration requirement, rather than to the gravity of any presumed infringement which had not however been actually established, such as an offence of money laundering or tax evasion».
( 16 ) Ibidem (ma traduction): «the confiscation measure was not intended as pecuniary compensation for damage – as the State had not suffered any loss as a result of the applicant’s failure to declare the money – but was deterrent and punitive in its purpose».
( 17 ) Ibidem (ma traduction): «It has not been convincingly shown or indeed argued by the Government that that sanction alone was not sufficient to achieve the desired deterrent and punitive effect and prevent violations of the declaration requirement. In these circumstances, the imposition of a confiscation measure as an additional sanction was, in the Court’s assessment, disproportionate, in that it imposed an “individual and excessive burden” on the applicant».
( 18 ) Cour EDH, arrêt Grifhorst c. France, 26 février 2009, § 98.
( 19 ) Ibidem, § 102.
( 20 ) Ibidem, § 103.
( 21 ) Idem.
( 22 ) Ibidem, § 105.
( 23 ) Cour EDH, arrêt Moon c. France, 9 juillet 2009, § 48 à 52.
( 24 ) Voir, notamment, article 1er ainsi que considérants 2 et 3 du règlement no 1889/2005.
( 25 ) Voir article 3, paragraphe 1, du règlement no 1889/2005.
( 26 ) Ibidem, article 9, paragraphe 1.
( 27 ) Ibidem, article 4, paragraphe 2. Je précise que cette rétention est temporaire, sa durée n’excédant pas le temps strictement nécessaire pour vérifier s’il y a lieu de confisquer la somme non déclarée.
( 28 ) Je souhaite signaler à la Cour ainsi qu’à la juridiction de renvoi que l’article 2, paragraphe 2, de la loi no XLVIII de 2007, qui exclut la provenance de l’argent liquide et l’usage qu’il est prévu d’en faire des informations visées par la déclaration, est contraire aux termes explicites de l’article 3, paragraphe 2, sous e), du règlement no 1889/2005 et, par conséquent, doit être écarté.
( 29 ) Voir point 40 des présentes conclusions. La somme détenue par M. Ismayilov lors du franchissement de la frontière russe représentait le prix de vente d’une maison, située à Baku (Azerbaïdjan), qu’il avait héritée de sa mère.
( 30 ) Voir Cour EDH, arrêt Moon c. France, 9 juillet 2009, § 9 et 12. Lors du contrôle à la frontière franco‑suisse, M. Moon précisa que la somme qu’il détenait [28240 livres sterling (GBP)] provenait d’un prêt qui lui avait été consenti par une société sise à Genève et qu’elle était destinée à l’achat d’une maison en France, ou, s’il n’en trouvait pas, à l’achat d’une voiture de sport en Angleterre. Le tribunal correctionnel de Thonon‑les‑Bains (France) où M. Moon fut cité à comparaître, jugea que
M. Moon avait apporté la preuve que ses revenus et son patrimoine personnel lui permettaient de détenir une telle somme.
( 31 ) Voir points 47 et 50 des présentes conclusions. Malgré le fait que, selon les autorités néerlandaises, M. Grifhorst était soupçonné par le passé des activités illégales, celles‑ci précisèrent que la seule activité connue de M. Grifhorst était en relation avec l’immobilier et qu’une enquête internationale n’avait pas abouti à l’apport des preuves concrètes.
( 32 ) Cour EDH, arrêts Ismayilov c. Russie, 6 novembre 2008, § 38; Grifhorst c. France, 26 février 2009, § 98 et 102, ainsi que Moon c. France, 9 juillet 2009, § 49.
( 33 ) Cela peut étonner puisqu’il est étrange que M. Chmeliewki ait eu l’intention d’utiliser en grande partie des lei roumains et des livres turques pour acheter une maison en Bulgarie et n’ait apparemment pas expliqué pour quelle raison il prenait le risque de faire un si long voyage en train (de Pologne vers la Bulgarie et retour) avec une somme si élevée sur lui au lieu de faire un virement bancaire.
( 34 ) Voir point 68 des présentes conclusions.
( 35 ) Voir Cour EDH, arrêt Grifhorst c. France, 26 février 2009, § 103. Voir également en ce sens Cour EDH, arrêt Moon c. France, 9 juillet 2009, § 48 à 52.