CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. PEDRO CRUZ VILLALÓN
présentées le 2 juillet 2015 ( 1 )
Affaire C‑163/14
Commission européenne
contre
Royaume de Belgique
[recours en constatation de manquement formé par la Commission contre le Royaume de Belgique]
«Manquement d’État — Protocole (no 7) sur les privilèges et immunités de l’Union européenne — Article 3 — Immunité fiscale de l’Union — Exonération — Contributions régionales sur le gaz et l’électricité — Notion de simple rémunération de services d’utilité générale — Notion d’impôts — Notion de droits indirects — Obligations de service public»
1. Dans la présente affaire, la Commission européenne a saisi la Cour, sur le fondement de l’article 258, second alinéa, TFUE, d’un recours tendant à constater que, en refusant d’exonérer les institutions et organes de l’Union établis à Bruxelles du paiement des contributions affectées au financement de missions que le Royaume de Belgique qualifie de missions de service public dans le domaine de la fourniture d’électricité et de gaz, celui-ci a manqué à ses obligations en vertu de l’article 3,
deuxième alinéa, du protocole (no 7) sur les privilèges et immunités de l’Union européenne, annexé au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après le «protocole»).
2. En application de l’article 343 TFUE, selon lequel «[l]’Union jouit sur le territoire des États membres des privilèges et immunités nécessaires à l’accomplissement de sa mission», le protocole prévoit que l’Union bénéficie d’une immunité fiscale. Celle-ci s’explique par l’activité de service public de l’Union, qui est par principe non lucrative et échappe à ce titre à l’impôt ( 2 ), ainsi que par la nécessité d’assurer l’indépendance de l’Union à l’égard des États membres et par le principe
d’égalité entre les États membres, qui interdit que l’un d’eux tire un avantage financier de la présence sur son territoire de ces institutions et organes ( 3 ).
3. La présente affaire amènera la Cour à préciser le champ d’application et les conditions de l’immunité fiscale de l’Union, qui n’a jusqu’ici donné lieu qu’à trois arrêts ( 4 ).
I – Le cadre juridique
A – Le droit de l’Union
4. L’immunité fiscale de l’Union est prévue à l’article 3 du protocole.
5. Celui-ci dispose:
B – Le droit belge
1. Le financement des missions de service public sur le marché de l’électricité
6. L’ordonnance du 19 juillet 2001 relative à l’organisation du marché de l’électricité en Région de Bruxelles-Capitale ( 5 ) (ci-après l’«Ordonnance Électricité») prévoit l’exécution de missions de service public. Ces missions sont financées par un prélèvement dont est redevable le fournisseur d’électricité.
7. L’article 24 de l’Ordonnance Électricité dispose, dans sa version en vigueur à la date de la notification de l’avis motivé ( 6 ), que:
«§ 1er. Le gestionnaire du réseau de distribution et les fournisseurs sont, chacun pour ce qui les concerne, chargés des obligations de service public définies aux points 1 à 2 ci-dessous:
1° La mise à disposition d’une fourniture minimale ininterrompue d’électricité pour la consommation du ménage, aux conditions définies au Chapitre IV bis;
2° La fourniture d’électricité à un tarif social spécifique aux personnes et dans les conditions définies par la législation fédérale et au Chapitre IV bis;
§ 2. L’Institut [bruxellois pour la gestion de l’environnement] est chargé des obligations de service public relatives à la promotion de l’utilisation rationnelle de l’électricité par des informations, des démonstrations et la mise à disposition d’équipements, des services et des aides financières au bénéfice de clients finals […]»
8. L’article 24 bis de l’Ordonnance Électricité, dans sa version en vigueur à la date de la notification de l’avis motivé, prévoit ce qui suit:
«Le gestionnaire du réseau de distribution est en outre chargé des missions de service public suivantes:
1° la reprise de l’électricité verte produite qui n’est ni autoconsommée ni fournie à des tiers, dans les limites de ses besoins propres;
2° une mission exclusive portant sur la construction, l’entretien et le renouvellement des installations d’éclairage public sur les voiries et dans les espaces verts communaux […], ainsi que l’alimentation de ces installations en électricité […];
3° le rôle de fournisseur de dernier ressort et l’organisation d’un service de suivi auprès des clients qui lui sont transférés dans le cadre de ce rôle;
4° l’information des clients résidentiels et professionnels raccordés en basse tension en matière de prix et de conditions de raccordement et de fourniture […].»
9. L’article 26 de l’Ordonnance Électricité instaure un prélèvement destiné à financer l’exercice des missions de service public visées aux articles 24 et 24 bis (ci-après la «contribution régionale électricité»). Cet article 26 dispose, dans sa version en vigueur à la date de l’avis motivé, que:
«§ 1er. La détention d’une autorisation de fourniture délivrée sur la base de l’article 21 [ ( 7 )] donne lieu à la perception mensuelle d’un droit à charge de la personne physique ou morale bénéficiant de l’autorisation, ci‑après dénommée le redevable.
§ 2. Le droit est dû au 1er de chaque mois. Il est payable pour le 15 du mois suivant.
Le redevable est exonéré du droit pour la puissance tenue à disposition des clients pour leur réseau de transport ferroviaire, par tramway ou métro.
§ 3. Le droit est calculé sur la base de la puissance tenue par le redevable à disposition des clients finals éligibles, au moyen de réseaux, branchements et lignes directes de 70 kV et moins, sur des sites de consommation situés en Région de Bruxelles-Capitale. […]
§ 7. Le produit du droit est affecté aux fonds visés respectivement aux points 15 et 16 de l’article 2 de l’ordonnance du 12 décembre 1991 créant des fonds budgétaires […] [ ( 8 )].
§ 8. Le droit est dû à partir du mois de janvier 2004.»
10. L’article 26, paragraphe 4, de l’Ordonnance Électricité fixe le barème de la contribution régionale électricité: à chaque fourchette de puissance mise à disposition correspond un montant en euros.
11. L’article 26 de l’Ordonnance Électricité comprenait, jusqu’à sa modification en 2011 ( 9 ), un paragraphe 9 selon lequel «les coûts liés aux missions de service public visées à l’article 24 et qui excèdent le montant des droits perçus en vertu du présent article sont à charge du gestionnaire de réseau de distribution, au titre de coûts d’exploitation. La répercussion de ces coûts dans les tarifs est réglée par la législation fédérale».
2. Le financement des missions de service public sur le marché du gaz
12. L’ordonnance du 1er avril 2004 relative à l’organisation du marché du gaz en Région de Bruxelles-Capitale, concernant des redevances de voiries en matière de gaz et d’électricité et portant modification de l’Ordonnance Électricité ( 10 ) (ci‑après l’«Ordonnance Gaz»), prévoit, comme l’Ordonnance Électricité, l’exécution de missions de service public. Celles-ci sont financées par un prélèvement dont est redevable le gestionnaire du réseau de distribution de gaz, puis le fournisseur de gaz.
13. L’article 18 de l’Ordonnance Gaz prévoit, dans sa version en vigueur à la date de l’avis motivé, que:
«Le gestionnaire de réseau et les fournisseurs sont, chacun pour ce qui les concerne, chargés de missions et obligations de service public définies aux points 1 à 3 ci-dessous:
1° la mise à disposition d’une fourniture minimale ininterrompue de gaz pour la consommation du ménage, aux conditions définies au Chapitre V bis;
2° la fourniture de gaz à un tarif social spécifique aux personnes et dans les conditions définies par la législation fédérale et au Chapitre V bis;
3° un service gratuit de prévention de risques en matière d’utilisation du gaz naturel, au profit des ménages qui en font la demande […]»
14. Un nouvel article 18 bis a été inséré dans l’Ordonnance Gaz en 2006 ( 11 ). Celui-ci, dans sa version en vigueur à la date de l’avis motivé, prévoit ce qui suit:
«§ 1er. Le gestionnaire du réseau est en outre chargé des missions de service public suivantes:
1° l’organisation d’un service de suivi de la relation avec le consommateur et la délivrance d’informations en matière de prix et de conditions de raccordement, au bénéfice des clients résidentiels […]»
15. L’article 20 de l’Ordonnance Gaz instaure un prélèvement destiné à financer l’exercice des missions de service public visées aux articles 18 et 18 bis (ci-après la «contribution régionale gaz»). Pour plus de facilité, la contribution régionale électricité et la contribution régionale gaz seront ci-après désignées ensemble comme les «contributions régionales».
16. L’article 20 de l’Ordonnance Gaz ( 12 ) dispose que «les coûts liés aux missions de service public visées aux articles 18 et 18 bis sont à charge du gestionnaire de réseau, au titre de coûts d’exploitation. La répercussion de ces coûts dans les tarifs est réglée par la législation fédérale».
17. En 2011, l’article 20 de l’Ordonnance Gaz est abrogé et un nouvel article 20 septiesdecies est introduit ( 13 ). Selon l’article 20 septiesdecies de l’Ordonnance Gaz:
«§ 1er. La détention d’une licence de fourniture délivrée sur la base de l’article 15 [ ( 14 )] donne lieu à la perception mensuelle d’un droit à charge de la personne physique ou morale bénéficiant de ladite licence, ci-après dénommée le redevable.
§ 2. Le droit est dû au 1er de chaque mois. Il est payable pour le 15 du mois suivant.
§ 3. Sous réserve de ce qui est précisé à l’alinéa 2, le droit est calculé sur la base du calibre des compteurs exploités par le gestionnaire du réseau, sur des sites de consommation situés en Région de Bruxelles‑Capitale, chez les clients finals. Le calibre du compteur est déterminé par le débit maximal de gaz spécifié en mètres cubes par heure pour lequel le compteur a été conçu. […].
[…]
§ 7. Le produit du droit est affecté aux fonds visés respectivement aux points 15 et 16 de l’article 2 de l’ordonnance du 12 décembre 1991 créant des fonds budgétaires […];
§ 8. Le droit est dû à partir du mois de janvier 2012.»
18. L’article 20 septiesdecies, paragraphe 4, de l’Ordonnance Gaz fixe un barème de la contribution régionale gaz, semblable à celui prévu à l’article 26, paragraphe 4, de l’Ordonnance Électricité.
II – La procédure précontentieuse
19. La Commission, le Conseil de l’Union européenne, le Parlement européen et le Comité économique et social européen, qui ont leur siège à Bruxelles, ont eu, jusqu’au 31 juillet 2009, pour fournisseur d’électricité et de gaz la société Electrabel. Le contrat conclu avec Electrabel (ci-après le «contrat Electrabel») stipulait que le montant des contributions régionales, dont Electrabel est redevable aux termes de l’article 26 de l’Ordonnance Électricité et des articles 20, puis 20 septiesdecies de
l’Ordonnance Gaz, était à la charge de l’Union. Celle-ci devait s’en acquitter auprès d’Electrabel, laquelle les reversait ensuite aux autorités de la Région de Bruxelles-Capitale.
20. Or, en juillet 2005, la Commission, estimant qu’elle était exonérée des contributions régionales en vertu de l’article 3 du protocole, a cessé d’acquitter les contributions régionales auprès d’Electrabel. Elle a parallèlement demandé aux autorités de la Région de Bruxelles-Capitale, de manière informelle, de l’exonérer du paiement des contributions régionales.
21. Ces contacts informels s’étant révélés infructueux, la Commission a adressé au Royaume de Belgique, le 27 juin 2008, une lettre de mise en demeure, dans laquelle elle reprochait à celui-ci de violer l’article 3, deuxième alinéa, du protocole, en appliquant aux institutions de l’Union l’article 26 de l’Ordonnance Électricité et l’article 20 de l’Ordonnance Gaz. Par lettre du 9 septembre 2008, reçue le 15 septembre 2008, le Royaume de Belgique a présenté ses observations sur la première lettre de
mise en demeure.
22. Le 15 avril 2009, la Commission a adressé au Royaume de Belgique une seconde lettre de mise en demeure, qui remplace la première, pour violation de l’article 3, deuxième alinéa, du protocole. La seconde lettre de mise en demeure est quasiment identique à la première, si ce n’est que la Commission semble considérer que c’est à compter de 2001, et non, comme dans la première lettre de mise en demeure, de 2004, que le Royaume de Belgique a manqué à ses obligations ( 15 ).
23. Le 22 avril 2011, la Commission a introduit un recours devant le tribunal de première instance de Bruxelles, contre l’État belge, la Région de Bruxelles-Capitale, Electrabel et Sibelga, le gestionnaire du réseau de distribution d’électricité et de gaz dans la Région de Bruxelles-Capitale. Elle demande le remboursement des contributions régionales qu’elle a acquittées entre le 1er juillet 2004 et le 31 décembre 2008 ( 16 ), soit une somme de 4036170,88 euros, sans préjudice d’une augmentation
pour les périodes ultérieures ( 17 ).
24. À l’échéance du contrat Electrabel, les institutions et organes de l’Union ont conclu un contrat avec un autre fournisseur d’électricité et de gaz, la société Luminus (ci-après le «contrat Luminus»). Contrairement au contrat Electrabel, le contrat Luminus ne prévoit pas que les institutions et organes de l’Union acquittent les contributions régionales. Cependant, par trois courriers des 13 mai 2011, 21 octobre 2011 et 2 juillet 2013, Luminus a demandé à l’Union le remboursement des contributions
régionales qu’il a acquittées, soit une somme de 2235404,51 euros, et l’a mise en demeure de rembourser celles-ci d’ici le 14 août 2014 ( 18 ).
25. Par avis motivé du 27 février 2012, la Commission a indiqué au Royaume de Belgique que, en refusant d’exonérer les institutions de l’Union des contributions régionales prévues à l’article 26 de l’Ordonnance Électricité et à l’article 20 de l’Ordonnance Gaz, il violait l’article 3, deuxième alinéa, du protocole. Par courrier du 23 avril 2012, le Royaume de Belgique a présenté ses observations sur l’avis motivé.
26. Ne s’estimant pas convaincue par les arguments du Royaume de Belgique, et celui-ci n’ayant pas modifié sa position, la Commission a introduit le présent recours.
III – Le recours de la Commission
27. La Commission fait grief au Royaume de Belgique d’avoir manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3, deuxième alinéa, du protocole, en refusant aux institutions et organes de l’Union l’exonération des contributions régionales prévues à l’article 26 de l’Ordonnance Électricité et à l’article 20 de l’Ordonnance Gaz, et en s’opposant au remboursement de ces contributions par la Région de Bruxelles-Capitale.
28. La Commission considère que les conditions de l’immunité des impôts indirects prévues à l’article 3, deuxième alinéa, du protocole sont remplies: la fourniture en électricité et en gaz constituerait un achat important effectué pour l’usage officiel de l’Union.
29. La Commission soutient que l’arrêt Commission/Belgique (C‑437/04, EU:C:2007:178), dans lequel la Cour avait écarté l’immunité au motif que le redevable de l’impôt en cause n’était pas l’Union, mais son cocontractant, n’est pas transposable à la présente affaire. En effet, cet arrêt concernerait un impôt direct, alors que les contributions régionales constitueraient un impôt indirect. Selon la Commission, si l’Union n’est pas le redevable des contributions régionales, celles-ci seraient, en
pratique, toujours répercutées sur elle, en raison de leur nature d’impôt indirect et de l’intention du législateur belge.
30. Quant à l’article 3, troisième alinéa, du protocole, qui exclut l’exonération pour les impôts qui constituent la «simple rémunération de services d’utilité générale», il ne serait, selon la Commission, pas applicable à la présente affaire. D’une part, les services publics fournis, ou susceptibles de l’être, à l’Union ne seraient pas spécifiques à celle‑ci, comme l’exige la jurisprudence de la Cour. D’autre part, le lien direct et proportionnel entre le coût réel du service et le montant des
contributions régionales, exigé par la jurisprudence, ferait défaut.
31. La Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour condamner le Royaume de Belgique pour manquement aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3, deuxième alinéa, du protocole. Elle demande également à ce que le Royaume de Belgique soit condamné aux dépens.
IV – La procédure devant la Cour
32. Dans son mémoire en défense, le Royaume de Belgique soutient que les institutions et organes de l’Union ne sauraient être exonérés des contributions régionales sur le fondement de l’article 3, deuxième alinéa, du protocole. Il fait valoir que la solution retenue par la Cour dans l’arrêt Commission/Belgique (C‑437/04, EU:C:2007:178) doit être transposée à la présente affaire, parce que l’Union n’est pas le redevable des contributions régionales, que ni l’Ordonnance Électricité ni l’Ordonnance Gaz
n’imposent au redevable de les répercuter sur le client final et que la répercussion sur l’Union est donc strictement contractuelle. À titre subsidiaire, si la Cour devait considérer que l’article 3, deuxième alinéa, du protocole est applicable aux contributions régionales, le Royaume de Belgique considère que l’exonération devrait être refusée sur le fondement du troisième alinéa de cette disposition. Le Royaume de Belgique conclut à ce qu’il plaise à la Cour rejeter le recours comme non fondé
et condamner la Commission aux dépens.
33. Dans son mémoire en réplique, la Commission réitère que le fournisseur ou le gestionnaire du réseau, s’il est le redevable des contributions régionales, n’en assure que la collecte et en répercute la charge sur le client final. En ce qui concerne l’article 3, troisième alinéa, du protocole, la Commission souligne que l’Union ne peut bénéficier d’aucune mission de service public financée par la contribution régionale gaz, celles-ci étant destinées exclusivement aux ménages, et que les missions de
service public financées par la contribution régionale électricité soit ne constituent pas des services, soit ne lui sont pas rendues spécifiquement.
34. Dans son mémoire en duplique, le Royaume de Belgique souligne notamment qu’il importe peu de déterminer si les contributions régionales constituent un impôt direct ou un impôt indirect, puisque, contrairement à ce que soutient la Commission, tous les impôts indirects ne sont pas répercutés sur le client final.
V – Appréciation
35. Il me semble utile, avant d’entamer l’examen des arguments de la Commission, de rappeler brièvement la structure de l’article 3 du protocole afin de préciser quels sont les éléments constitutifs du manquement reproché au Royaume de Belgique.
A – Sur la structure de l’article 3 du protocole
36. L’article 3 du protocole distingue entre impôts directs et impôts indirects. Comme l’a souligné la Cour, les premiers font l’objet d’une exonération «inconditionnelle et générale», alors que l’immunité fiscale dont bénéficient les seconds «n’est pas illimitée» ( 19 ). En effet, l’article 3, premier alinéa, du protocole dispose que «[l]’Union, ses avoirs, revenus et autres biens sont exonérés de tous impôts directs»: aucune réserve n’est apportée à l’exonération. En revanche, l’article 3,
deuxième alinéa, du protocole prévoit «la remise ou [le] remboursement du montant des droits indirects et des taxes à la vente entrant dans le prix des biens immobiliers ou mobiliers lorsque l’Union effectu[e] pour [son] usage officiel des achats importants». Il précise également que «l’application de ces dispositions ne doit pas avoir pour effet de fausser la concurrence à l’intérieur de l’Union». L’exonération des impôts indirects n’est donc accordée que s’il est satisfait à trois conditions:
premièrement, les impôts indirects doivent être acquittés lors d’un achat important; deuxièmement, cet achat doit être effectué par l’Union pour son usage officiel; troisièmement, l’exonération ne doit pas avoir d’effets sur la concurrence ( 20 ).
37. Quant au troisième alinéa de l’article 3 du protocole, il dispose qu’«[a]ucune exonération n’est accordée» pour les prélèvements qui constituent la «simple rémunération de services d’utilité générale».
38. S’agissant du champ d’application de l’article 3 du protocole, la Cour a jugé, dans l’arrêt AGF Belgium, que, «sous les seules réserves mentionnées aux deuxième et troisième alinéas de l’article 3 […], [l’]immunité porte sur tous les types d’impositions, directes ou indirectes» ( 21 ).
39. Je souligne que la notion d’imposition au sens de l’article 3 du protocole, qu’il s’agisse des «impôts directs» visés à son premier alinéa, ou des «droits indirects et des taxes à la vente» visés à son deuxième alinéa, fait l’objet d’une interprétation autonome. La Cour a en effet jugé, dans le même arrêt AGF Belgium, que l’article 3 du protocole était applicable à des surprimes d’assurance, «quelle que soit leur qualification en droit national» (en l’espèce, le juge de renvoi avait indiqué que
les surprimes en cause lui semblaient s’apparenter plus à des cotisations sociales qu’à des mesures fiscales) ( 22 ).
40. La «réserv[e]» au champ d’application de l’article 3 du protocole mentionnée à son troisième alinéa est celle de la «simple rémunération de services d’utilité générale». En effet, le troisième alinéa définit de manière négative le champ d’application de l’article 3 du protocole, en excluant de celui-ci les redevances pour services d’utilité générale. Je relève, à cet égard, que, si de telles mesures sont exclues du champ d’application de l’article 3, c’est parce que celui‑ci prévoit une immunité
fiscale et que des prélèvements qui seraient qualifiés de «rémunération de services d’utilité générale» ne sauraient être de nature fiscale. En effet, la notion de contrepartie – de «rémunération» ‐ est en principe étrangère à celle d’impôt ( 23 ).
41. La «réserv[e]» au champ d’application de l’article 3 du protocole mentionnée à son deuxième alinéa tient, me semble-t-il, à l’exigence que les impôts indirects «entr[ent] dans les prix des biens immobiliers ou mobiliers» achetés par l’Union: l’impôt indirect doit être intégré au prix du bien. En effet, les conditions relatives à l’importance et à la finalité de l’achat (l’usage officiel de l’Union) portent sur l’achat particulier à l’occasion duquel l’impôt indirect est perçu, et non sur la
nature du prélèvement lui-même: il s’agit donc des conditions de fond de l’immunité, et non de son applicabilité ( 24 ). De même, l’absence d’effets sur la concurrence dans le marché intérieur ne saurait être regardée que comme une condition de fond.
42. Je souligne qu’il n’existe pas d’autres exclusions au champ d’application de l’article 3 du protocole que celles mentionnées aux deux points précédents. En effet, dans l’arrêt AGF Belgium, la Cour précise que l’article 3 du protocole est applicable à «tous les types d’impositions», «sous les seules réserves» prévues aux deuxième et troisième alinéas de cette disposition ( 25 ). La Cour justifie le caractère exclusif de ces deux réserves par la lettre de l’article 3 du protocole, qui, dit-elle,
définit l’immunité «dans des termes très larges» ( 26 ). Il me semble, en outre, que c’est parce qu’elles sont expresses que ces deux réserves sont les seules réserves au champ d’application de l’article 3 du protocole. En effet, si l’intention du législateur de l’Union avait été que l’article 3 du protocole admette d’autres réserves, il aurait expressément prévu ces autres réserves, comme il l’a fait pour la rémunération des services d’utilité générale et les droits indirects qui ne seraient
pas intégrés dans le prix du bien acheté.
B – Sur les éléments constitutifs du manquement
43. La Commission soutient que, en refusant d’accorder à l’Union l’immunité des contributions régionales, le Royaume de Belgique a violé ses obligations au titre de l’article 3, deuxième alinéa, du protocole.
44. Il incombe donc à la Commission d’établir que les contributions régionales satisfont aux conditions prévues à l’article 3, deuxième alinéa, du protocole. Elle doit démontrer que les contributions régionales «entr[ent] dans le prix» réglé par l’Union pour la fourniture en électricité et en gaz, et que cette fourniture constitue un achat «important», effectué pour son «usage officiel», et n’a pas pour effet de fausser la concurrence dans le marché intérieur.
45. Le Royaume de Belgique objecte que l’article 3, deuxième alinéa, du protocole est applicable aux seuls impôts dont l’Union est, en droit national, le redevable. Par conséquent, lorsque, comme en l’espèce, c’est en vertu d’un contrat conclu avec le redevable que l’Union supporte la charge de l’impôt, celui-ci échapperait à l’immunité prévue à l’article 3 du protocole. Il incombe donc également à la Commission de démontrer que l’article 3, deuxième alinéa, du protocole est applicable aux impôts
dont l’Union supporte la charge sans en être le redevable.
46. À titre subsidiaire, le Royaume de Belgique objecte que les contributions régionales constituent la simple rémunération de services d’utilité générale au sens de l’article 3, troisième alinéa, du protocole, et qu’elles ne bénéficient donc pas de l’immunité prévue au deuxième alinéa de cet article. Il incombe donc à la Commission d’établir que les contributions régionales ne constituent pas la simple rémunération de services d’utilité générale ( 27 ).
47. Il ne me semble guère contestable que les trois conditions de l’immunité des impôts indirects soient, en l’espèce, remplies; au demeurant, le Royaume de Belgique ne conteste pas qu’elles le soient. J’examinerai donc très brièvement ces trois conditions, avant de me tourner vers les questions qui font l’objet d’un débat entre les parties. Il s’agit, d’une part, de l’applicabilité de l’article 3, deuxième alinéa, du protocole aux impôts dont l’Union supporte la charge sans en être le redevable,
question qui est au cœur des écritures tant de la Commission que du Royaume de Belgique; d’autre part, et en réponse à l’argument présenté, à titre subsidiaire, par le Royaume de Belgique, de la qualification des contributions régionales de simple rémunération de services d’utilité générale au sens de l’article 3, troisième alinéa, du protocole.
C – Sur les conditions de l’immunité prévue à l’article 3, deuxième alinéa, du protocole
48. Rappelons-le, l’immunité des impôts indirects n’est accordée que si ceux-ci sont acquittés lors d’un achat important, si cet achat est effectué par l’Union pour son usage officiel, et si l’immunité n’a pas pour effet de fausser la concurrence dans le marché intérieur.
49. Je ne doute pas que ces conditions soient, en l’espèce, remplies.
50. En effet, la fourniture en électricité et en gaz de quatre institutions et organes de l’Union est indubitablement un achat important; je rappelle que le litige pendant devant le tribunal de première instance de Bruxelles, relatif au contrat Electrabel, porte sur un somme dépassant les 4 millions d’euros, et que la somme dont Luminus réclame paiement à l’Union est supérieure à 2 millions d’euros. Il me semble également que l’achat est incontestablement effectué pour l’usage officiel de l’Union:
sans électricité ni gaz, les fonctionnaires et agents de l’Union ne pourraient pas travailler ( 28 ).
51. Quant à la troisième condition, relative aux effets sur la concurrence, elle n’est même pas abordée par les parties. Du reste, il me semble qu’elle a vocation à se confondre avec la deuxième condition, relative à l’usage officiel de l’achat: dès lors que l’Union achète un bien mobilier ou immobilier pour son usage officiel, elle exerce une activité à but non lucratif, et une telle activité ne saurait avoir d’effet sur la concurrence ( 29 ).
52. Je souligne enfin que les trois conditions examinées ci-dessus sont les seules prévues à l’article 3, deuxième alinéa, du protocole. En effet, si la Cour relève, dans les arrêts Commission/Belgique et Communauté européenne, que la Commission n’a pas établi que le refus de l’immunité porterait atteinte à l’indépendance et au bon fonctionnement de l’Union, c’est à titre surabondant, après avoir exclu l’immunité pour d’autres motifs ( 30 ). La Cour ne fait donc pas de l’atteinte à l’indépendance ou
au bon fonctionnement de l’Union une condition supplémentaire de l’immunité.
D – Sur l’applicabilité de l’article 3 du protocole aux impôts dont l’Union supporte la charge sans en être, en droit national, le redevable
53. Le Royaume de Belgique prétend ne pas avoir manqué à ses obligations au titre de l’article 3, deuxième alinéa, du protocole, parce que celui-ci s’appliquerait aux seuls impôts dont l’Union est, en droit national, le redevable. Or, tel ne serait pas le cas des contributions régionales. Si l’Union en supporte la charge, c’est, selon le Royaume de Belgique, en vertu du contrat qui la lie au redevable: c’est parce que l’Union a accepté la répercussion.
54. À cet égard, le Royaume de Belgique s’appuie sur l’arrêt Commission/Belgique ( 31 ). Dans cet arrêt, la Cour a jugé que l’article 3, premier alinéa, du protocole ne prévoit aucune exonération au bénéfice des cocontractants de l’Union. Elle en a déduit que, en refusant d’exonérer l’Union d’une taxe régionale immobilière dont le redevable était le propriétaire de l’immeuble et dont l’Union supportait la charge sur le fondement du contrat de bail, le Royaume de Belgique n’avait pas manqué à ses
obligations au titre de l’article 3, premier alinéa, du protocole. La répercussion de l’impôt sur l’Union était opérée au moyen d’un contrat; elle avait donc été librement acceptée par la Commission.
55. Or, en l’espèce, le redevable de la contribution régionale électricité est, selon l’article 26, paragraphe 1, de l’Ordonnance Électricité, le fournisseur d’électricité, qui achète celle-ci auprès du producteur et la revend. Le redevable de la contribution régionale gaz est, selon l’article 20 de l’Ordonnance Gaz, le gestionnaire du réseau de distribution, puis, à partir de 2011, selon l’article 20 septiesdecies, paragraphe 1, le fournisseur de gaz, qui achète celui-ci auprès des importateurs et
le revend. Ce serait donc sur le fondement des contrats la liant aux redevables que l’Union acquitte les contributions régionales. Ainsi, Electrabel, qui a été le fournisseur en électricité de la Commission, du Conseil, du Parlement et du Comité économique et social jusqu’au 31 juillet 2009, et reste à ce jour leur fournisseur de gaz, a répercuté sur l’Union le montant des contributions régionales ( 32 ). En revanche, Luminus, qui a été leur fournisseur d’électricité entre le 1er août 2009 et le
31 juillet 2012 ( 33 ), n’a pas répercuté sur l’Union les contributions régionales ( 34 ).
56. À cet égard, la Commission soutient que la solution adoptée par la Cour dans l’arrêt Commission/Belgique ne saurait être transposée à la présente affaire. Elle ne conteste pas que le redevable des contributions régionales soit, en droit belge, le fournisseur ou le gestionnaire du réseau de distribution, et non l’Union. Cependant, elle fait valoir, en substance, que la répercussion des contributions régionales ne découle pas exclusivement d’une liberté contractuelle des parties, parce que, d’une
part, la répercussion des contributions régionales correspond à l’intention du législateur belge et, d’autre part, les contributions régionales, en tant qu’impôt indirect, sont répercutées sur le consommateur. La situation dans la présente affaire, qui porte sur un impôt indirect, se distinguerait donc de celle dont la Cour avait à connaître dans l’arrêt Commission/Belgique, qui concernait un impôt direct. Refuser l’immunité des impôts indirects au motif que l’Union n’en est pas le redevable
reviendrait, en pratique, à lui refuser presque toujours l’immunité des impôts indirects.
57. Je commence par avouer n’être guère convaincu par l’argument de la Commission selon lequel il serait de la nature des impôts indirects d’être répercutés. La question n’est pas de savoir si les impôts indirects sont, par nature, répercutés, mais si l’impôt indirect en cause dans la présente affaire, à savoir les contributions régionales, est répercuté.
58. Cependant, la position de la Commission selon laquelle l’immunité ne saurait être écartée au seul motif que l’Union n’est pas le redevable des contributions régionales mérite, selon moi, d’être suivie pour les raisons exposées ci-après.
59. En premier lieu, il ne résulte pas de la lettre de l’article 3, deuxième alinéa, du protocole que, pour bénéficier de l’immunité, les droits indirects et taxes à la vente qu’il vise doivent être dus directement par l’Union. En effet, le législateur de l’Union aurait pu prévoir, par exemple, que «les gouvernements des États membres prennent, chaque fois qu’il leur est possible, les dispositions appropriées en vue de la remise ou du remboursement du montant des droits indirects et des taxes à la
vente auxquels l’Union est assujettie lorsqu’elle effectue pour son usage officiel des achats importants de biens immobiliers ou mobiliers». Or, tel n’est pas le cas. Cette disposition se contente d’exiger, nous l’avons vu, que les impôts indirects «entr[ent] dans [le] prix» payé par l’Union, que «le prix compr[enne]» les impôts indirects. Il suffirait donc que l’Union acquitte, en pratique, le montant des impôts indirects pour que ceux-ci relèvent de l’article 3, deuxième alinéa, du protocole,
sans qu’il soit exigé que l’Union en soit le redevable.
60. En deuxième lieu, l’immunité ne saurait être refusée au seul motif que le droit national ne désigne pas l’Union comme le redevable.
61. En effet, c’est le droit belge qui définit le redevable des contributions régionales (le fournisseur d’électricité, le gestionnaire du réseau de distribution, puis le fournisseur de gaz), tout comme leur assiette (la mise à disposition d’électricité, le calibre des compteurs de gaz), leur taux (la valeur en euros correspondant à une fourchette d’électricité mise à disposition, ou au calibre du compteur de gaz) et les exonérations (l’exonération de la puissance tenue à disposition des clients
pour leur réseau de transport ferroviaire).
62. Par conséquent, refuser l’immunité au motif que l’Union n’est pas le redevable de l’impôt, qu’il s’agisse d’un impôt direct ou d’un impôt indirect, reviendrait à laisser l’État du siège définir la notion d’imposition au sens de l’article 3 du protocole. Or, nous l’avons vu, la Cour a jugé, dans l’arrêt AGF Belgium, que la notion d’imposition fait l’objet d’une interprétation autonome ( 35 ).
63. Il nous reste à examiner l’argument du Royaume de Belgique tenant à la nature contractuelle de la répercussion des contributions régionales sur le client final. À ce propos, il y a, me semble-t-il, de fortes raisons de douter de la nature strictement contractuelle de la répercussion de celles-ci.
64. Tout d’abord, la faculté de répercussion des contributions régionales est expressément prévue par l’Ordonnance Électricité et l’Ordonnance Gaz. L’article 20 de l’Ordonnance Gaz dispose ( 36 ) que «la répercussion [des coûts liés aux missions de service public] dans les tarifs est réglée par la législation fédérale». L’article 26, paragraphe 9, de l’Ordonnance Électricité contient ( 37 ) une disposition similaire. Le commentaire des articles du projet d’Ordonnance Gaz indique, à propos de son
article 20, que celui-ci «dispose seulement que le coût afférent à l’exercice [des missions de service public] est pris en charge par le gestionnaire de réseau qui peut intégrer celui-ci, au même titre que ses autres facteurs de coûts, dans la proposition tarifaire qu’il soumet à la [Commission de Régulation de l’Électricité et du Gaz], dans le respect de l’arrêté royal organisant la structure tarifaire générale des réseaux de distribution» ( 38 ). L’arrêté royal du 29 février 2004 relatif à la
structure tarifaire générale et aux principes de base et procédures en matière de tarifs et de comptabilité des gestionnaires des réseaux de distribution de gaz naturel actifs sur le territoire belge ( 39 ) dispose que «dans la facturation des tarifs sont intégrés les postes tarifaires liés aux impôts, prélèvements, surcharges, contributions et rétributions […]. Ils comprennent, le cas échéant: 1° les surcharges, prélèvements ou rétributions en vue du financement des obligations de service
public […]» ( 40 ).
65. Ensuite, je relève qu’en vertu de l’article 26, paragraphe 2, deuxième alinéa, de l’Ordonnance Électricité le redevable est exonéré de la contribution régionale électricité «pour la puissance tenue à disposition des clients pour leur réseau de transport ferroviaire». En d’autres termes, cette contribution n’est pas due lorsque le client final opère un réseau de transport ferroviaire: le législateur belge a donc bien pris en considération la consommation, du moins une consommation particulière
(la traction ferroviaire). De l’article 26, paragraphe 2, de l’Ordonnance Électricité, on peut déduire que la contribution régionale électricité vise à frapper la consommation, c’est-à-dire qu’elle est destinée à être répercutée sur le consommateur final.
66. Enfin, il est particulièrement significatif que, à la connaissance de la Cour, un seul redevable des contributions régionales, Luminus, ait accepté de ne pas répercuter les contributions régionales sur l’Union. La Commission dit avoir dû renoncer à inclure dans ses appels d’offre une clause prévoyant la non-répercussion des contributions régionales sur l’Union, parce qu’aucun soumissionnaire n’était disposé à accepter une telle clause. Au demeurant, si Luminus a accepté la non-répercussion des
contributions régionales, c’est, selon la Commission, qu’il était convaincu, à tort, de ne pas avoir à acquitter lui-même ces contributions. De plus, Luminus a ensuite demandé à l’Union le remboursement des contributions régionales.
67. S’il est exact que, comme le relève le Royaume de Belgique, le redevable n’a pas l’obligation de répercuter les contributions régionales sur le client final, il n’en reste pas moins que, en l’absence de répercussion, le redevable reste tenu de verser les contributions régionales aux autorités publiques de la Région de Bruxelles-Capitale.
68. Sur ce point, la Commission soutient que le redevable qui, faute de clause en ce sens, ne répercuterait pas les contributions régionales sur ses clients, aurait des difficultés à en supporter le poids économique, de sorte qu’il se trouverait dans une situation délicate. Le Royaume de Belgique répond que, si tel était le cas, la Commission aurait attribué à Luminus un «marché public dit déficitaire», et qu’elle ne peut se prévaloir d’une illégalité dont elle est l’auteur.
69. À cet égard, il me paraît clair que le redevable qui ne répercuterait pas les contributions régionales sur ses clients se trouverait dans une situation délicate. Il aurait intérêt à les répercuter, puisqu’il est tenu de les verser aux autorités publiques, même s’il ne les répercute pas. Il semblerait être contraint de les répercuter s’il veut éviter de se retrouver dans une situation économique difficile.
70. Enfin, je précise que la situation dans la présente affaire se distingue de celle dont avait à connaître la Cour dans l’arrêt Commission/Belgique.
71. Dans cet arrêt, la Cour a justifié le refus d’exonération de la taxe régionale immobilière en cause par la nature contractuelle de la répercussion sur l’Union, laquelle impliquait que l’Union était libre de refuser la répercussion. Or, dans la présente affaire, l’Union ne me semble pas disposer, pour refuser la répercussion des contributions régionales, d’une liberté comparable à celle dont elle disposait pour refuser la répercussion de la taxe régionale immobilière. En effet, si le propriétaire
de l’immeuble avait fait de la répercussion de cette taxe la condition de la signature du bail, sans doute l’Union aurait-elle pu se tourner vers d’autres bailleurs. Il lui serait plus délicat de se tourner vers d’autres fournisseurs d’électricité ou de gaz, les marchés de l’électricité et du gaz étant des marchés certes ouverts à la concurrence, mais ne connaissant pas un nombre illimité d’opérateurs.
72. C’est donc sans contredire l’arrêt Commission/Belgique que la Cour peut faire droit à la demande de la Commission dans la présente affaire. Il est vrai que, dans cet arrêt, la Cour a jugé qu’«une quelconque situation de marché ne saurait générer une immunité fiscale». Il me semble, cependant, que ce n’est pas la situation économique du marché de l’électricité et du gaz, mais son caractère, certes ouvert, mais réglementé, qui limite la liberté de choix du fournisseur. Le marché de l’électricité
et du gaz ne saurait être comparé au marché immobilier, en cause dans l’arrêt Commission/Belgique.
73. À titre de conclusion intermédiaire, je considère que la Commission a établi à suffisance de droit que les conditions de l’immunité prévues à l’article 3, deuxième alinéa, du protocole sont réunies.
E – Sur la qualification de «simple rémunération de services d’utilité générale» au sens de l’article 3, troisième alinéa, du protocole
74. À titre subsidiaire, le Royaume de Belgique prétend que, à supposer que les contributions régionales soient dues par l’Union, celles-ci n’en devraient pas moins être qualifiées de simple rémunération de services d’utilité générale. En tant que telles, elles ne bénéficieraient pas de l’immunité, conformément à l’article 3, troisième alinéa, du protocole. Par conséquent, il nous faut aborder cet argument avant de pouvoir parvenir à une conclusion définitive.
75. La Cour a jugé qu’un prélèvement constitue la «simple rémunération de services d’utilité générale» au sens de l’article 3, troisième alinéa, du protocole, s’il satisfait à deux conditions. Premièrement, le service d’utilité générale doit être fourni ou, au moins, pouvoir l’être à ceux qui paient la redevance ( 41 ). Deuxièmement, il doit exister un lien direct et proportionnel entre le coût réel de ce service et le droit acquitté par le bénéficiaire ( 42 ). J’examinerai successivement si les
contributions régionales satisfont à ces deux conditions.
1. Sur la notion de service fourni à ceux qui paient la redevance
76. La Commission soutient que les services rémunérés par les contributions régionales soit ne sont pas susceptibles d’être rendus à l’Union, soit ne sont pas susceptibles de lui être rendus spécifiquement.
77. S’agissant de la contribution régionale électricité, certaines des missions de service public prévues aux articles 24 et 24 bis de l’Ordonnance Électricité s’adressent, comme le souligne la Commission, aux seuls clients résidentiels: l’Union n’est donc pas susceptible d’en bénéficier. Il en va ainsi de la fourniture minimale ininterrompue d’électricité pour la consommation du ménage, ainsi que de la fourniture d’électricité à un tarif social spécifique, prévues à l’article 24, paragraphe 1,
points 1 et 2. Peu importe, contrairement à ce que soutient le Royaume de Belgique, que le personnel de l’Union soit susceptible de bénéficier de ces missions de service public: l’article 3 du protocole prévoit une immunité au bénéfice de l’Union, et non de ses fonctionnaires et agents. C’est donc à l’Union que doivent être rendus les services d’utilité générale.
78. Par conséquent, ni la fourniture minimale ininterrompue d’électricité pour la consommation du ménage ni la fourniture d’électricité à un tarif social spécifique ne constituent des services d’utilité générale au sens de l’article 3, troisième alinéa, du protocole.
79. En revanche, il me semble que d’autres missions de service public, parmi celles prévues par l’Ordonnance Électricité, sont susceptibles de bénéficier à l’Union ou lui bénéficient effectivement.
80. Il ne saurait, à mon sens, être exclu que la reprise de l’électricité produite par voie de cogénération, prévue à l’article 24 bis, point 1, de l’Ordonnance Électricité, bénéficie à l’Union. La Commission indique en effet que les institutions de l’Union disposent de systèmes de cogénération. Peu importe, me semble-t-il, que la production des institutions soit inférieure à leur consommation, de sorte qu’elles ne vendent l’électricité qu’elles produisent par voie de cogénération: il suffit que
l’Union soit susceptible de bénéficier de la reprise de l’électricité ainsi produite. Peu importe également que la reprise de l’électricité produite par voie de cogénération s’inscrive dans le cadre d’une politique environnementale de la Région de Bruxelles-Capitale: contrairement à ce que soutient la Commission, la reprise n’en constitue pas moins un service rendu à l’Union. De plus, il n’est pas impossible qu’à certaines heures de la journée l’Union produise plus qu’elle ne consomme. Enfin, la
vente d’électricité ne saurait, eu égard aux faibles quantités en jeu, être assimilée à une activité commerciale, que l’Union n’a pas vocation à exercer.
81. De plus, la construction, l’entretien et le renouvellement des installations d’éclairage public, prévus à l’article 24 bis, point 2, de l’Ordonnance Électricité, bénéficient à l’Union, en ce qui concerne l’éclairage des quartiers dans lesquels sont situés les institutions et organes de l’Union. Certes, l’éclairage public profite à tous les passants de Bruxelles et non à la seule Union. Cependant, contrairement à ce que soutient la Commission, la notion de rémunération d’un service d’utilité
générale n’implique pas, selon moi, que le service soit rendu spécifiquement à celui qui le paie: l’article 3, troisième alinéa, du protocole, porte sur des services «d’utilité générale», non sur des services rendus qui seraient l’équivalent d’une prestation contractuelle de droit privé. Par conséquent, l’éclairage public en tant que tel peut, en principe, constituer un service d’utilité générale bénéficiant à l’Union au sens de l’article 3, troisième alinéa, du protocole.
82. Surtout, le programme d’utilisation rationnelle de l’électricité, prévu à l’article 24, paragraphe 2, de l’Ordonnance Électricité, a effectivement bénéficié à l’Union. La Commission ne conteste pas que les institutions et organes de l’Union ont bénéficié des «primes énergie» destinées, par exemple, à améliorer l’éclairage d’un bâtiment au regard de sa performance énergétique.
83. Par conséquent, certaines des missions de service public financées par la contribution régionale électricité sont susceptibles de bénéficier à l’Union (la reprise de l’électricité fournie par voie de cogénération) ou lui ont bénéficié (l’éclairage public, le programme d’utilisation rationnelle de l’énergie).
84. S’agissant de la contribution régionale gaz, je me contenterai de relever que l’une des missions de service public prévues aux articles 18 et 18 bis de l’Ordonnance Gaz est susceptible de bénéficier à l’Union: le programme d’utilisation rationnelle du gaz, prévu à l’article 18 bis, paragraphe 2, de l’Ordonnance Gaz. Je précise que l’article 18 bis, paragraphe 2, de l’Ordonnance Gaz est toujours en vigueur, et qu’il est donc permis de douter de l’affirmation de la Commission selon laquelle,
depuis août 2011, toutes les missions de service public financées par la contribution régionale gaz s’adressent aux seuls ménages.
85. Toutefois, il ne suffit pas, pour que les contributions régionales soient qualifiées de simple rémunération de services d’utilité générale et échappent ainsi au champ d’application de l’article 3 du protocole, qu’elles rémunèrent des services d’utilité générale rendus à l’Union. Encore faut-il qu’il existe un lien direct et proportionnel entre le coût réel de ces services et le montant des contributions régionales. Or, il me semble qu’un tel lien fait défaut en l’espèce.
2. Sur le lien direct et proportionnel entre le coût réel du service et le droit acquitté par le bénéficiaire
86. La Commission relève que les contributions régionales sont calculées en fonction de la puissance mise à disposition du client final ( 43 ). Elle en déduit que les contributions régionales ne sont pas calculées en fonction du coût des missions de service public qu’elles financent.
87. L’argumentation de la Commission doit, à mon avis, être suivie.
88. En effet, l’article 26, paragraphe 3, de l’Ordonnance Électricité dispose que «le droit est calculé sur la base de la puissance tenue à disposition des clients finals éligibles». L’article 20 septiesdecies, paragraphe 3, de l’Ordonnance Gaz, introduit en 2011 ( 44 ), dispose que «le droit est calculé sur la base du calibre des compteurs exploités par le gestionnaire du réseau, sur des sites de consommation en Région de Bruxelles-Capitale, chez les clients finals. Le calibre du compteur est
déterminé par le débit maximal de gaz spécifié en mètres cubes par heure pour lequel le compteur a été conçu». Aux termes de ces dispositions, le montant des contributions régionales augmente avec la puissance tenue à disposition des clients. Or, le coût des services rendus au bénéficiaire n’augmente pas avec la puissance tenue à disposition. Un client à la disposition duquel est tenue une puissance significative ne bénéficie pas davantage des missions de service public qu’un client à la
disposition duquel est tenue une puissance inférieure: le bénéfice des missions de service public, donc leur coût, est sans rapport avec la puissance mise à disposition. Par conséquent, le montant des contributions régionales est sans rapport avec le coût des missions de service public.
89. Par conséquent, les contributions régionales ne sauraient être considérées comme la simple rémunération de services d’utilité générale, au sens de l’article 3, troisième alinéa, du protocole. En effet, si certaines des missions de service public qu’elles financent constituent des services rendus, ou susceptibles de l’être, à l’Union, leur montant n’est pas fonction du coût de ces services. Dès lors, la Commission a établi que les contributions régionales constituent une imposition au sens de
l’article 3 du protocole.
90. Il convient donc d’accueillir le recours de la Commission. Conformément à l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, le Royaume de Belgique doit être condamné aux dépens.
VI – Conclusion
91. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose donc à la Cour de:
1) constater que, en refusant d’accorder aux institutions et organes de l’Union établis à Bruxelles l’immunité des contributions régionales destinées au financement des obligations de service public dans le domaine de la fourniture d’électricité et du gaz, prévues à l’article 26 de l’ordonnance du 19 juillet 2001 relative à l’organisation du marché de l’électricité en Région de Bruxelles-Capitale et à l’article 20 de l’ordonnance du 1er avril 2004 relative à l’organisation du marché du gaz en
Région de Bruxelles-Capitale, concernant des redevances de voiries en matière de gaz et d’électricité et portant modification de l’ordonnance du 19 juillet 2001 relative à l’organisation du marché de l’électricité en Région de Bruxelles-Capitale, le Royaume de Belgique a manqué à ses obligations en vertu de l’article 3, deuxième alinéa, du protocole (no 7) sur les privilèges et immunités de l’Union européenne;
2) condamner le Royaume de Belgique aux dépens.
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( 1 ) Langue originale: le français.
( 2 ) Mégret, J., Waelbroeck, M., Louis, J.‑V., Vignes, D., et Dewost, J.‑L., Le droit de la Communauté économique européenne. Commentaire du traité et des textes pris pour son application, volume 15, Dispositions générales et finales, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1987, «Article 218», point 8.
( 3 ) Arrêt AGF Belgium (C‑191/94, EU:C:1996:144, point 19) et conclusions de l’avocat général Stix-Hackl dans l’affaire Commission/Belgique (C‑437/04, EU:C:2006:434, point 41).
( 4 ) Arrêts AGF Belgium (C‑191/94, EU:C:1996:144); Communauté européenne (C‑199/05, EU:C:2006:678), et Commission/Belgique (C‑437/04, EU:C:2007:178). L’arrêt BCE/Allemagne (C‑220/03, EU:C:2005:748) porte sur l’accord de siège conclu entre le gouvernement allemand et la Banque centrale européenne sur le siège de cette institution. L’ordonnance Ufficio imposte consumo/Commission (2/68‑IMM, EU:C:1968:50) porte essentiellement sur l’accord conclu entre le gouvernement italien et la Commission pour
l’institution d’un Centre commun de recherches nucléaires.
( 5 ) Moniteur Belge du 17 novembre 2001, p. 39135.
( 6 ) Soit le 27 février 2012 (voir point 25 des présentes conclusions).
( 7 ) L’article 21 de l’Ordonnance Électricité prévoit, dans sa version en vigueur à la date de l’avis motivé, que «les fournisseurs disposent d’une licence de fourniture octroyée par le Gouvernement pour approvisionner en électricité des clients éligibles sur un site de consommation situé en Région de Bruxelles-Capitale […]».
( 8 ) Les fonds visés aux points 15 et 16 de l’article 2 de l’ordonnance du 12 décembre 1991 créant des fonds budgétaires (Moniteur belge du 26 février 1992, p. 4066) sont le Fonds spécial de guidance énergétique et le Fonds relatif à la politique de l’énergie.
( 9 ) L’ordonnance du 20 juillet 2011 modifiant l’Ordonnance Électricité et l’ordonnance du 12 décembre 1991 créant des fonds budgétaires (Moniteur Belge du 10 août 2011, p. 45558) a abrogé l’article 26, paragraphe 9, de l’Ordonnance Électricité.
( 10 ) Moniteur belge du 26 avril 2004, p. 34281.
( 11 ) Cet article 18 bis a été introduit dans l’Ordonnance Gaz par l’ordonnance du 14 décembre 2006 modifiant les ordonnances du 19 juillet 2001 et du 1er avril 2004 relatives à l’organisation du marché de l’électricité et du gaz en Région de Bruxelles-Capitale et abrogeant l’ordonnance du 11 juillet 1991 relative au droit à la fourniture minimale d’électricité et l’ordonnance du 11 mars 1999 établissant des mesures de prévention des coupures de gaz à usage domestique (Moniteur belge du 9 janvier
2007, p. 537).
( 12 ) Tel que modifié par l’ordonnance du 14 décembre 2006 citée à la note précédente.
( 13 ) Par l’ordonnance du 20 juillet 2011 modifiant l’Ordonnance Gaz (Moniteur Belge du 10 août 2011, p. 45586).
( 14 ) L’article 15 de l’Ordonnance Gaz dispose que «les fournisseurs disposent d’une licence de fourniture pour approvisionner en gaz les clients éligibles sur un site de consommation situé en Région de Bruxelles-Capitale […]».
( 15 ) En effet, la seconde lettre de mise en demeure fait référence à un courrier dans lequel la Commission a demandé aux autorités de la Région de Bruxelles-Capitale le remboursement des contributions régionales «depuis leur instauration en 2001». Je relève, cependant, que la Commission conclut la seconde lettre de mise en demeure (comme la première lettre de mise en demeure, l’avis motivé et la requête) par le constat que le Royaume de Belgique aurait manqué à ses obligations au titre de
l’article 3, deuxième alinéa, du protocole, en n’exonérant pas l’Union «des contributions établies par l’article 26 de [l’Ordonnance Électricité], ainsi que par l’article 20 de [l’Ordonnance Gaz]». Or, l’article 26, paragraphe 8, de l’Ordonnance Électricité dispose que «le droit est dû à partir du mois de janvier 2004», et l’Ordonnance Gaz a été adoptée en 2004.
( 16 ) La Commission avait, en septembre 2008, repris le versement des contributions régionales à Electrabel et lui avait remboursé le montant des contributions régionales impayées depuis juillet 2005.
( 17 ) L’affaire est pendante et devait être plaidée le 21 mai 2015.
( 18 ) Nous ignorons si l’Union s’est exécutée et, si tel n’est pas le cas, si Luminus l’a assignée en paiement, comme il avait menacé de le faire.
( 19 ) Arrêt Communauté européenne (C‑199/05, EU:C:2006:678, point 31).
( 20 ) Je précise que la remise ou le remboursement des droits indirects et des taxes à la vente que l’article 3, deuxième alinéa, du protocole prévoit s’applique à tout type d’achat, y compris le recours à des prestations de services (arrêt AGF Belgium, C‑191/94, EU:C:1996:144, point 36).
( 21 ) C‑191/94, EU:C:1996:144, point 20.
( 22 ) Ibidem (point 16): «quelle que soit leur qualification juridique en droit national, les prélèvements en cause ne peuvent pas être assimilés aux cotisations qui sont dues par les personnes assujetties à un régime de sécurité sociale ou adhérentes d’un organisme social […]» (c’est moi qui souligne). Comme le souligne l’avocat général Jacobs, «la classification d’un prélèvement au regard de la législation nationale est sans importance. Les termes ‘impôts’, ‘taxes’ ou ‘droits’ utilisés à
l’article 3 doivent être interprétés compte tenu de leur acception normale et à la lumière de la finalité de la disposition. C’est la seule approche qui permette d’assurer à cette disposition un plein effet et une application uniforme» (conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire AGF Belgium, C‑191/94, EU:C:1996:53, point 17). Voir également, à propos de l’(actuel) article 13, deuxième alinéa, du protocole, relatif à l’exemption fiscale des fonctionnaires, l’arrêt Humblet/État belge
(6/60‑IMM, EU:C:1960:48): «attendu que, sous l’angle du droit applicable, le problème général doit être résolu selon le droit de la Communauté […], et non pas selon le droit belge». De même, dans l’arrêt Commission/Belgique (C‑437/04, EU:C:2007:178, points 44 à 46), la Cour se livre à une interprétation autonome de la notion d’«impôt direct» au sens de l’article 3, premier alinéa, du protocole.
( 23 ) Comme le relève l’avocat général Jacobs dans l’affaire AGF Belgium, «la rémunération d’un service d’utilité générale constitue le prix payé pour un service particulier. Il existe un lien direct entre la rémunération et la prestation reçue […]. Or, tel n’est pas le cas d’un impôt, où le lien entre le versement et toute prestation reçue est indirect et ténu» (C‑191/94, EU:C:1996:53, points 31 et 32). La distinction entre impôts et redevances pour services rendus est d’ailleurs connue du droit
fiscal des États membres: voir, à ce sujet, conclusions de l’avocat général Roemer dans l’affaire Van Leeuwen (32/67, EU:C:1968:2), qui souligne que la distinction entre les impôts et les redevances qui ne sont que la contrepartie des services rendus par les institutions publiques est connue des droits néerlandais, allemand, français, italien et belge; voir, pour le droit français, Lamarque, J., Négrin, O., et Ayrault, L., Droit fiscal général, 3e édition, LexisNexis, 2014, paragraphes 94 et suiv.
( 24 ) Si l’achat est d’une valeur négligeable et que l’immunité est refusée pour cette raison, le prélèvement en cause n’en perd pas pour autant sa nature fiscale: l’article 3 du protocole lui est applicable. Simplement, l’immunité est refusée parce que l’opération ne satisfait pas à l’une des conditions de fond de son deuxième alinéa, à savoir un achat «important».
( 25 ) C‑191/94, EU:C:1996:144, point 20 (c’est moi qui souligne).
( 26 ) Ibidem (point 19).
( 27 ) À cet égard, je précise que la qualification retenue en droit belge pour les contributions régionales ne saurait être d’aucun secours à la Commission, dans la mesure où la notion d’imposition au sens de l’article 3 du protocole, nous l’avons vu, fait l’objet d’une interprétation autonome. Peu importe donc que le droit belge semble considérer la contribution régionale gaz comme un impôt plutôt que comme une redevance pour services rendus, au motif que, pour qu’elle puisse être qualifiée de
redevance pour services rendus, il faudrait que le service profite au redevable considéré isolément, ce qui n’est pas le cas. Voir avis rendu par le Conseil d’État sur l’avant-projet d’ordonnance relative à l’organisation du marché de l’électricité en Région de Bruxelles-Capitale, Parlement de Bruxelles-Capitale, documents parlementaires, session 2000/2001, document no A‑192/1-00/01, p. 64.
( 28 ) Voir, sur l’«usage officiel» des achats effectués par l’Union, Schmidt, C., «Le protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes – Commentaire de l’article 218 du Traité de Rome et de l’article 28, premier alinéa, du traité de fusion», Cahiers de droit européen, 1991, p. 67 à 100, point 17, et Duffar, J., Contribution à l’étude des privilèges et immunités des organisations internationales, LGDJ, Paris, 1982, chapitre VII, p. 291 et 292, point 341.
( 29 ) Voir Jean Duffar, cité à la note précédente, point 339: «le souci de ne pas fausser la concurrence est expressément énoncé à l’article 3, [deuxième] alinéa, du [protocole]. L’exonération doit être limitée aux activités qui forment l’objet de l’organisation et dès que les limites de cet objet sont franchies, l’exonération perd sa signification».
( 30 ) Dans l’arrêt Commission/Belgique, la Cour juge que l’exonération doit être refusée au motif qu’elle ne bénéficie pas au cocontractant de l’Union, et c’est seulement ensuite qu’elle précise qu’une telle conclusion ne saurait être infirmée par la finalité de l’article 3 du protocole, à savoir la garantie de l’indépendance et du bon fonctionnement de l’Union (C‑437/04, EU:C:2007:178, points 55 et 56). Dans l’arrêt Communauté européenne, c’est en tout état de cause que la Cour relève que la
Commission n’a pas établi que le paiement du droit en cause porterait atteinte à l’indépendance et au bon fonctionnement de l’Union (C‑199/05, EU:C:2006:678, point 43).
( 31 ) C‑437/04, EU:C:2007:178, points 50 et 51.
( 32 ) La clause 4.2 des conditions générales du contrat conclu par la Commission avec Electrabel pour la fourniture d’électricité haute tension dispose que «nos prix d’énergie sont augmentés […] des impôts, prélèvements, redevances, cotisations, contributions, suppléments et charges qui nous sont imposés par une autorité compétente, que nous pouvons ou devons répercuter sur nos clients, et qui se rapportent à ou découlent de notre commerce, au sens le plus large du terme, d’énergie électrique et
de gaz naturel, ou en découlent, comme la redevance pour le financement de la CREG, la cotisation fédérale destinée au financement de certaines obligations de service public et la cotisation sur l’énergie».
( 33 ) Pour la haute tension uniquement: pour la basse tension (s’agissant du Parlement, la moyenne tension), Electrabel est resté le fournisseur de la Commission, du Conseil et du Parlement jusqu’à aujourd’hui (il ne ressort pas du dossier que le Comité économique et social ait un contrat basse tension).
( 34 ) L’article 3.2 des conditions particulières du contrat conclu avec la Commission pour la fourniture d’électricité haute tension dispose que «les taxes, redevances et autres contributions régionales et fédérales ne pourront être facturées».
( 35 ) C‑191/94, EU:C:1996:144, point 16. Voir point 39 des présentes conclusions.
( 36 ) Jusqu’à son abrogation par l’ordonnance du 20 juillet 2011 modifiant l’Ordonnance Gaz, voir la note de bas de page 13.
( 37 ) Jusqu’à son abrogation par l’ordonnance du 20 juillet 2011 modifiant l’Ordonnance Électricité, voir la note de bas de page 9.
( 38 ) Parlement de Bruxelles-Capitale, documents parlementaires, session 2003/2004, document A‑506/1-03/04, commentaire des articles, article 20 (c’est moi qui souligne).
( 39 ) Moniteur belge du 11 mars 2004, p. 13656.
( 40 ) Article 9 (c’est moi qui souligne).
( 41 ) Arrêts AGF Belgium (C‑191/94, EU:C:1996:144, point 26) et Communauté européenne (C‑199/05, EU:C:2006:678, point 21).
( 42 ) Arrêt Communauté européenne (C‑199/05, EU:C:2006:678, point 25).
( 43 ) Sous réserve, pour la contribution régionale gaz et les clients finals dont le compteur a un calibre de 6 à 10 m3/h (soit le plus petit calibre existant), de la dernière consommation annuelle.
( 44 ) Voir le point 17 des présentes conclusions.