CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE
présentées le 4 février 2016 ( 1 )
Affaire C‑481/14
Jørn Hansson
contre
Jungpflanzen Grünewald GmbH
[demande de décision préjudicielle formée par l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne)]
«Renvoi préjudiciel — Propriété intellectuelle et industrielle — Protection communautaire des obtentions végétales — Contrefaçon — Règlement (CE) no 2100/94 — Article 94 — Rémunération équitable — Réparation du préjudice subi par le titulaire — Avantage acquis par le contrevenant — Article 97 — Application complémentaire du droit national — Directive 2004/48/CE — Article 2, paragraphe 1 — Champ d’application — Article 13 — Dommages et intérêts — Montant forfaitaire — Redevance hypothétique —
Bénéfices réalisés par le contrevenant — Article 14 — Remboursement des frais de justice et autres dépens»
I – Introduction
1. La présente demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 94 du règlement (CE) no 2100/94 du Conseil, du 27 juillet 1994, instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales ( 2 ), ainsi que de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle ( 3 ).
2. Cette demande s’inscrit dans le cadre d’un litige qui oppose M. Hansson, le titulaire d’un droit à la protection communautaire d’une obtention végétale portant sur une variété particulière de marguerites, à Jungpflanzen Grünewald GmbH (ci‑après «Jungpflanzen Grünewald») au sujet de la réparation du préjudice qu’il prétend avoir subi du fait de la distribution non autorisée de cette variété.
3. L’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf) interroge la Cour quant à l’étendue du préjudice à la réparation duquel peut prétendre le titulaire lésé par une atteinte à son droit à la protection communautaire d’une obtention végétale ainsi qu’aux méthodes à emprunter aux fins d’estimer un tel préjudice et de l’indemniser en conséquence.
II – Le cadre juridique
A – Le règlement no 2100/94
4. Le règlement no 2100/94 détermine, à son article 13, paragraphe 2, les actes qui ne peuvent être accomplis sans autorisation du titulaire de la protection communautaire d’une obtention végétale, parmi lesquels figurent, notamment, la production, la reproduction et la commercialisation de la variété protégée.
5. L’accomplissement non autorisé de l’un de ces actes constitue une contrefaçon au sens de l’article 94 de ce règlement, lequel dispose:
«1. Toute personne qui:
a) accomplit, sans y avoir été autorisée, un des actes visés à l’article 13 paragraphe 2 à l’égard d’une variété faisant l’objet d’une protection communautaire des obtentions végétales
ou
b) n’utilise pas correctement une dénomination variétale conformément à l’article 17 paragraphe 1 ou omet d’indiquer les informations nécessaires conformément à l’article 17 paragraphe 2
ou
c) utilise, contrairement à l’article 18 paragraphe 3, la dénomination variétale d’une variété faisant l’objet d’une protection communautaire des obtentions végétales ou une dénomination pouvant être confondue avec ladite dénomination
peut faire l’objet d’une action, intentée par le titulaire, en cessation de la contrefaçon ou en versement d’une rémunération équitable ou à ce double titre.
2. Toute personne qui agit de propos délibéré ou par négligence est en outre tenue de réparer le préjudice subi par le titulaire. En cas de faute légère, le droit à réparation du titulaire peut être diminué en conséquence, sans être toutefois inférieur à l’avantage acquis par l’auteur de la contrefaçon du fait de cette contrefaçon.»
6. L’article 97 dudit règlement, intitulé «Application complémentaire du droit national en matière de contrefaçon», est libellé comme suit:
«1. Si l’auteur de la contrefaçon au sens de l’article 94 a tiré de cette contrefaçon un avantage quelconque au détriment du titulaire ou d’un licencié, les juridictions compétentes au sens de l’article 101 ou 102 appliquent, pour les actions en restitution, leur droit national, y compris leur droit international privé.
2. Le paragraphe 1 s’applique également aux actions pouvant découler de l’accomplissement ou de l’omission de certains actes visés à l’article 95 pendant la période comprise entre la publication de la demande d’octroi de la protection communautaire des obtentions végétales et la décision statuant sur la demande.
3. À tous autres égards, les effets de la protection communautaire des obtentions végétales sont exclusivement déterminés par les dispositions du présent règlement.»
7. S’agissant des règles de procédure, l’article 103 du même règlement prévoit l’application des dispositions de l’État membre de la juridiction compétente régissant le même type d’action relative aux droits de propriété nationaux correspondants.
8. Conformément à l’article 107 du règlement no 2100/94, «[l]es États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que les dispositions visant à sanctionner les cas de contrefaçon des droits nationaux soient applicables également aux cas de contrefaçon d’une protection communautaire des obtentions végétales».
B – La directive 2004/48
9. Aux termes du considérant 10 de la directive 2004/48, celle‑ci vise à «rapprocher [l]es législations [des États membres] afin d’assurer un niveau de protection élevé, équivalent et homogène de la propriété intellectuelle dans le marché intérieur».
10. Le considérant 26 de cette directive précise:
«En vue de réparer le préjudice subi du fait d’une atteinte commise par un contrevenant qui s’est livré à une activité portant une telle atteinte en le sachant ou en ayant des motifs raisonnables de le savoir, le montant des dommages‑intérêts octroyés au titulaire du droit devrait prendre en considération tous les aspects appropriés, tels que le manque à gagner subi par le titulaire du droit ou les bénéfices injustement réalisés par le contrevenant et, le cas échéant, tout préjudice moral causé
au titulaire du droit. Le montant des dommages‑intérêts pourrait également être calculé, par exemple dans les cas où il est difficile de déterminer le montant du préjudice véritablement subi, à partir d’éléments tels que les redevances ou les droits qui auraient été dus si le contrevenant avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit de propriété intellectuelle en question. Le but est non pas d’introduire une obligation de prévoir des dommages‑intérêts punitifs, mais de permettre un
dédommagement fondé sur une base objective tout en tenant compte des frais encourus par le titulaire du droit tels que les frais de recherche et d’identification.»
11. L’article 2, paragraphe 1, de ladite directive, intitulé «Champ d’application», dispose:
«Sans préjudice des moyens prévus ou pouvant être prévus dans la législation communautaire ou nationale, pour autant que ces moyens soient plus favorables aux titulaires de droits, les mesures, procédures et réparations prévues par la présente directive s’appliquent, conformément à l’article 3, à toute atteinte aux droits de propriété intellectuelle prévue par la législation communautaire et/ou la législation nationale de l’État membre concerné.»
12. Selon l’article 3, paragraphe 2, de la même directive, les mesures, procédures et réparations prévues par les États membres doivent être «effectives, proportionnées et dissuasives».
13. L’article 13 de la directive 2004/48 prévoit:
«1. Les États membres veillent à ce que, à la demande de la partie lésée, les autorités judiciaires compétentes ordonnent au contrevenant qui s’est livré à une activité contrefaisante en le sachant ou en ayant des motifs raisonnables de le savoir de verser au titulaire du droit des dommages‑intérêts adaptés au préjudice que celui‑ci a réellement subi du fait de l’atteinte.
Lorsqu’elles fixent les dommages‑intérêts, les autorités judiciaires:
a) prennent en considération tous les aspects appropriés tels que les conséquences économiques négatives, notamment le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices injustement réalisés par le contrevenant et, dans des cas appropriés, des éléments autres que des facteurs économiques, comme le préjudice moral causé au titulaire du droit du fait de l’atteinte;
ou
b) à titre d’alternative, peuvent décider, dans des cas appropriés, de fixer un montant forfaitaire de dommages‑intérêts, sur la base d’éléments tels que, au moins, le montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrevenant avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit de propriété intellectuelle en question.
2. Lorsque le contrevenant s’est livré à une activité contrefaisante sans le savoir ou sans avoir de motifs raisonnables de le savoir, les États membres peuvent prévoir que les autorités judiciaires pourront ordonner le recouvrement des bénéfices ou le paiement de dommages‑intérêts susceptibles d’être préétablis.»
14. Selon l’article 14 de cette directive, «[l]es États membres veillent à ce que les frais de justice raisonnables et proportionnés et les autres frais exposés par la partie ayant obtenu gain de cause soient, en règle générale, supportés par la partie qui succombe, à moins que l’équité ne le permette pas».
III – Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour
15. M. Hansson est le titulaire du droit à la protection communautaire d’une obtention végétale portant sur la variété EU 4282, dénommée «Lemon Symphony», qui appartient à l’espèce des marguerites du Cap. Aux cours des années 2002 à 2009, Jungpflanzen Grünewald a distribué, sans autorisation de ce dernier, des fleurs de cette espèce sous la dénomination «Summerdaisy’s Alexander».
16. Alléguant l’existence d’une contrefaçon de la variété protégée, M. Hansson a demandé au Landgericht Düsseldorf (tribunal régional de Düsseldorf) d’interdire cette activité par voie de référé. Tant cette juridiction que l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf), statuant en appel, ont rejeté cette demande, au motif que M. Hansson n’avait pas suffisamment établi l’apparence d’une contrefaçon. Ce dernier a été condamné aux dépens des deux instances de référé.
17. Dans le cadre de la procédure au fond subséquente, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) a définitivement constaté la contrefaçon.
18. M. Hansson s’est, ensuite, de nouveau tourné vers le Landgericht Düsseldorf (tribunal régional de Düsseldorf) pour solliciter la réparation du préjudice qu’il affirme avoir subi en raison de cette contrefaçon. Il a réclamé, à ce titre, le paiement:
— d’un montant de 66231,74 euros, résultant de la multiplication des taux de redevance prévus dans le cadre d’accords de licence portant sur la variété protégée par le nombre d’exemplaires de cette variété commercialisés par la défenderesse au principal au cours des années 2002 à 2009;
— d’un montant de 33115,89 euros, équivalant à la moitié du premier montant, au titre de «supplément pour contrefaçon» visant à tenir compte des circonstances de l’espèce et à éviter que le contrevenant ne soit favorisé par rapport aux preneurs de licence;
— d’un montant de 6067,35 euros, destiné à compenser les frais de déplacement pour assister aux réunions avec son avocat ainsi que le temps consacré à ces déplacements et à la mise en état du dossier; et
— d’intérêts moratoires afférents à ces trois montants.
19. Le Landgericht Düsseldorf (tribunal régional de Düsseldorf) a condamné la défenderesse au principal au paiement du premier de ces montants, assorti d’intérêts moratoires. Cette juridiction a, en revanche, refusé d’y ajouter un «supplément pour contrefaçon», considérant qu’un tel supplément présenterait un caractère punitif inconnu tant du règlement no 2100/94 et de la directive 2004/48 que du droit national. Elle a également rejeté la demande en ce qui concerne la compensation des autres frais
et du temps investi par M. Hansson. À ce propos, ladite juridiction a souligné, en particulier, que les devoirs accomplis personnellement par le justiciable dans la mise en état d’une affaire ne donnent en principe pas lieu à défraiement, ni dans le cadre de la procédure en taxation des dépens ni au titre de l’article 94, paragraphe 2, du règlement no 2100/94.
20. Les deux parties ont interjeté appel de ce jugement auprès de l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf). Elles contestent, en substance, l’appréciation, effectuée en première instance, du montant au paiement duquel M. Hansson a droit en vertu de l’article 94, paragraphes 1 et 2, de ce règlement.
21. Ce dernier fait valoir, en particulier, que c’est à tort que le Landgericht Düsseldorf (tribunal régional de Düsseldorf) a calculé la rémunération équitable visée au paragraphe 1 dudit article 94 sur la seule base de la redevance usuelle convenue dans le cadre des accords de licence portant sur la variété protégée, alors que de nombreuses circonstances auraient justifié d’assortir cette redevance d’un supplément. À titre subsidiaire, M. Hansson soutient qu’il a droit, au titre du paragraphe 2 de
cette disposition, non seulement au paiement d’une rémunération équitable fixée sur la base de cette redevance, mais également à la restitution de l’avantage acquis par le contrevenant, lequel s’élève à 66703,14 euros.
22. Jungpflanzen Grünewald conteste, pour sa part, le caractère usuel des taux de redevance sur la base desquels la juridiction de première instance a calculé la rémunération équitable au sens de l’article 94, paragraphe 1, du règlement no 2100/94. Par ailleurs, elle fait valoir, en réponse aux arguments invoqués par le demandeur au principal à l’appui de son appel, que la juridiction de renvoi ne peut pas, aux fins du calcul de cette rémunération équitable, assortir la redevance usuelle pour la
production sous licence d’un supplément forfaitaire. Elle conteste également un certain nombre des circonstances invoquées par M. Hansson au soutien de sa demande de majoration de ladite redevance.
23. La défenderesse au principal soutient, en outre, qu’elle s’est livrée aux activités contrevenantes sans faire preuve de mauvaise foi ou qu’elle n’a, tout au plus, commis qu’une faute légère. La juridiction de renvoi précise cependant qu’elle considère que cette dernière a agi de mauvaise foi.
24. Dans ce contexte, l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) La ‘rémunération équitable’ que le contrevenant doit verser au titulaire d’une protection communautaire des obtentions végétales au titre de l’article 94, paragraphe 1, sous a), du règlement [no 2100/94] quand il commet les actes visés à son article 13, paragraphe 2, sans y être autorisé, fixée au regard de la redevance usuelle demandée dans une licence ordinaire dans le même secteur du marché pour les actes visés à l’article 13, paragraphe 2, [du règlement no 2100/94], doit‑elle être
toujours assortie d’un ‘supplément pour contrefaçon’ forfaitaire? Cela ressort‑il de l’article 13, paragraphe 1, deuxième phrase, de la directive [2004/48]?
2) La ‘rémunération équitable’ que le contrevenant doit verser au titulaire d’une protection communautaire des obtentions végétales au titre de l’article 94, paragraphe 1, sous a), du règlement [no 2100/94] quand il commet les actes visés dans son article 13, paragraphe 2, sans y être autorisé, fixée au regard de la redevance usuelle demandée dans une licence ordinaire dans le même secteur du marché pour les actes visés à l’article 13, paragraphe 2, [du règlement no 2100/94] doit‑elle être
fixée, dans un cas donné, en prenant de surcroît en compte les considérations ou circonstances suivantes pour majorer la rémunération:
a) la circonstance que, à l’époque de la contrefaçon, la variété invoquée était une variété jouissant d’une exclusivité sur le marché en raison de propriétés particulières, si la redevance usuelle sur le marché est recherchée à travers des accords de licence et des décomptes, établis pour la variété invoquée?
Si la prise en compte de cette circonstance s’envisage en l’espèce:
la majoration de la rémunération est‑elle uniquement admise si les caractéristiques expliquant l’exclusivité de la variété invoquée figurent dans la description de la protection de l’obtention végétale?
b) la circonstance que la variété invoquée connaissait déjà un grand succès dans sa commercialisation au moment où la variété de contrefaçon a été introduite sur le marché en sorte que le contrevenant a fait l’économie de frais pour lancer lui‑même la variété de contrefaçon, si la redevance usuelle sur le marché est recherchée à travers des accords de licence et des décomptes, établis pour la variété invoquée;
c) la circonstance que l’ampleur de la contrefaçon de la variété invoquée a été supérieure à la moyenne dans sa durée et dans le nombre de pièces vendues;
d) la considération que le contrevenant ne doit pas craindre, à l’inverse d’un preneur de licence, de verser la redevance (sans pouvoir la récupérer) alors que la variété invoquée, qui fait l’objet d’une demande en nullité, sera déclarée nulle par la suite;
e) la circonstance que le contrevenant n’était pas tenu d’établir un décompte trimestriel, contrairement à ce que les preneurs de licence font habituellement;
f) la considération que le titulaire de la protection de l’obtention végétale supporte le risque d’inflation du fait de la longueur des procédures judiciaires;
g) la considération que, en raison de la nécessité d’agir en justice, le titulaire de la protection de l’obtention végétale ne peut pas planifier les recettes à tirer de la variété invoquée, alors qu’il le peut pour les recettes des licences accordées sur la variété invoquée;
h) la considération que, en cas de contrefaçon de la variété invoquée, le titulaire de la protection de l’obtention végétale supporte à la fois le risque inhérent à toute procédure judiciaire et le risque de ne pas parvenir à exécuter en définitive la décision envers le contrevenant;
i) la considération que, en cas de contrefaçon de la variété invoquée, le comportement autonome du contrevenant prive le titulaire de la protection de l’obtention végétale de la liberté de déterminer s’il veut bel et bien autoriser le contrevenant à exploiter la variété invoquée?
3) La ‘rémunération équitable’ que le contrevenant doit verser au titulaire d’une protection communautaire des obtentions végétales au titre de l’article 94, paragraphe 1, sous a), du règlement [no 2100/94] quand il commet les actes visés à son article 13, paragraphe 2, sans y être autorisé, doit‑elle être fixée en envisageant également des intérêts appliqués à la rémunération annuelle due au taux usuel des intérêts moratoires si l’on doit considérer que des cocontractants raisonnables les
auraient prévus?
4) Le préjudice qu’un contrevenant ‘est en outre tenu de réparer’ envers le titulaire d’une protection des obtentions végétales, au titre de l’article 94, paragraphe 2, première phrase, du règlement [no 2100/94], quand il commet les actes visés à son article 13, paragraphe 2, sans y être autorisé, doit‑il se calculer en se fondant sur la redevance usuelle demandée dans une licence ordinaire dans le même secteur du marché pour les actes visés à l’article 13, paragraphe 2, dudit règlement?
5) Au cas où la quatrième question appelle une réponse affirmative:
a) Dans le calcul, fondé sur une licence usuelle sur le marché, du préjudice qu’un contrevenant «est en outre tenu de réparer», dans un cas donné, au titre de l’article 94, paragraphe 2, première phrase, du règlement [no 2100/94], les considérations ou circonstances évoquées à la deuxième question, sous a) à i), ou la circonstance que le titulaire de la protection d’une obtention végétale soit contraint par la nécessité d’agir en justice de consacrer personnellement un certain temps pour
établir la contrefaçon et s’occuper de l’affaire et de consacrer à la contrefaçon de l’obtention végétale les investigations propres à ce type de contrefaçon doivent‑elles être prises en compte de manière à justifier une majoration de la redevance usuelle sur le marché?
b) Dans le calcul, fondé sur une licence usuelle sur le marché, du préjudice qu’un contrevenant ‘est en outre tenu de réparer’, au titre de l’article 94, paragraphe 2, première phrase, du règlement [no 2100/94], faut‑il toujours ajouter un ‘supplément pour contrefaçon’ forfaitaire? Cela ressort‑il de l’article 13, paragraphe 1, deuxième phrase, de la directive [2004/48]?
c) Dans le calcul, fondé sur une licence usuelle sur le marché, du préjudice qu’un contrevenant ‘est en outre tenu de réparer’, au titre de l’article 94, paragraphe 2, première phrase, du règlement [no 2100/94], faut‑il envisager des intérêts à appliquer sur la rémunération annuelle due au taux usuel des intérêts moratoires si l’on doit considérer que des cocontractants raisonnables les auraient prévus?
6) L’article 94, paragraphe 2, première phrase, du règlement [no 2100/94] doit‑il être interprété en ce sens que les gains réalisés par le contrevenant constituent un préjudice, que le contrevenant ‘est en outre tenu de réparer’ au sens de cette disposition, dont la réparation peut être sollicitée en plus de la rémunération équitable visée à l’article 94, paragraphe 1, du règlement [no 2100/94] ou les gains dus par le contrevenant de mauvaise foi au titre de l’article 94, paragraphe 2, première
phrase, du règlement [no 2100/94] ne sont‑ils dus qu’à titre alternatif par rapport à la rémunération équitable visée à l’article 94, paragraphe 1?
7) Les règles nationales ne permettant pas au titulaire de la protection d’une obtention végétale de solliciter, sous le bénéfice du droit matériel, le remboursement des dépens d’une action en référé pour contrefaçon de son titre définitivement mis à sa charge même s’il gagne ensuite le procès engagé au fond pour la même contrefaçon sont‑elles contraires au droit à indemnisation conféré par l’article 94, paragraphe 2, du règlement [no 2100/94]?
8) Les règles nationales ne permettant pas à la victime de solliciter, en dehors des limites strictes de la procédure en taxation des dépens, le défraiement du temps qu’il a consacré dans le procès et en marge de celui‑ci à la mise en état d’une action en indemnisation sont‑elles contraires au droit à indemnisation conféré par l’article 94, paragraphe 2, du règlement [no 2100/94] dans la mesure où le temps consacré n’excède pas les limites habituelles?»
25. M. Hansson, Jungpflanzen Grünewald ainsi que la Commission européenne ont déposé des observations écrites et ont comparu lors de l’audience qui s’est tenue le 12 novembre 2015.
IV – Appréciation
A – Considérations liminaires
26. La présente affaire invite la Cour, d’une part, à clarifier l’articulation entre les paragraphes 1 et 2 de l’article 94 du règlement no 2100/94, lequel module l’étendue du droit à l’indemnisation du titulaire d’un droit à la protection communautaire d’une obtention végétale lésé par une contrefaçon en fonction du caractère intentionnel (ou négligent) ou non de celle‑ci. Elle lui offre, d’autre part, l’occasion d’apporter certaines précisions quant aux méthodes à suivre aux fins de calculer le
montant d’une telle indemnisation.
27. En guise d’introduction, je préciserai, tout d’abord, l’objectif général de l’article 94 dudit règlement ainsi que les objectifs spécifiques des paragraphes 1 et 2 de cette disposition. Ensuite, aux fins de mieux cerner la portée des interrogations de la juridiction de renvoi, je distinguerai la question de la détermination des éléments participant du préjudice indemnisable de celle des méthodes permettant de chiffrer ce préjudice et de fixer en conséquence le montant de la compensation.
1. Sur les objectifs de l’article 94 du règlement no 2100/94
28. L’article 94, paragraphe 1, du règlement no 2100/94, qui fait l’objet des trois premières questions préjudicielles, impose au contrevenant, indépendamment de tout élément subjectif, le paiement d’une «rémunération équitable» au titulaire victime de la contrefaçon. Au titre du paragraphe 2 de cette disposition, dont la juridiction de renvoi sollicite l’interprétation par ses quatrième à huitième questions, le contrevenant est en outre tenu, s’il a agi de propos délibéré ou par négligence, de
réparer le «préjudice» subi par le titulaire du fait de la contrefaçon.
29. S’agissant des objectifs dudit article 94 ainsi que de l’articulation entre ses deux paragraphes, le libellé du paragraphe 2 de cette disposition, en particulier dans ses versions en langues danoise, anglaise et portugaise ( 4 ), me paraît instructif à trois égards.
30. Premièrement, l’emploi des termes «eventuel yderligere opstået skade», «any further damage» et «quaisquer danos suplementares» implique, selon moi, qu’elle vise à assurer la réparation intégrale du préjudice subi par le titulaire du fait de la contrefaçon ou, autrement dit, à replacer ce dernier dans la situation qui aurait été la sienne en l’absence de la contrefaçon ( 5 ).
31. Une telle formulation indique, deuxièmement, que cet objectif indemnitaire est poursuivi dans le cadre non seulement du paragraphe 2, mais également du paragraphe 1 de l’article 94 du règlement no 2100/94. Les locutions «eventuel yderligere opstået skade», «any further damage» et «quaisquer danos suplementares» présupposent, en effet, que le paiement d’une rémunération équitable au sens dudit paragraphe 1 vise déjà à compenser une partie du préjudice subi par le titulaire ( 6 ). La Cour a
d’ailleurs considéré, dans l’arrêt Geistbeck, que ledit article 94, pris dans son ensemble, «vise à réparer le préjudice subi par le titulaire […]» ( 7 ).
32. Troisièmement, ce libellé met en évidence le caractère résiduel de l’indemnisation au titre dudit paragraphe 2, en ce sens qu’elle couvre tout préjudice non encore réparé dans le cadre du paragraphe 1 de l’article 94 du règlement no 2100/94. Partant, cette disposition exclut la double prise en compte des différents chefs de préjudice. Ceux‑ci se répartissent donc entre ceux dont la réparation doit être effectuée par tout contrevenant au titre du paragraphe 1 et ceux dont l’indemnisation
n’incombe, en vertu du paragraphe 2 dudit article 94, qu’au contrevenant ayant agi intentionnellement ou avec négligence.
33. Je déduis, par ailleurs, tant de la lettre de cette disposition que de la systématique du règlement no 2100/94 qu’elle ne poursuit aucun objectif autre que celui d’assurer la réparation intégrale du préjudice subi par le titulaire.
34. Le recours aux termes «réparer le préjudice subi» me semble, en effet, exclure toute interprétation selon laquelle ladite disposition poursuivrait une visée dite «punitive», consistant à octroyer au titulaire une indemnité excédant le montant nécessaire pour compenser le préjudice qu’il a subi.
35. D’autres dispositions du règlement no 2100/94 permettent, en revanche, l’imposition au contrevenant d’obligations se superposant à la réparation de ce préjudice. L’objectif de punition peut, ainsi, être atteint au moyen de sanctions à caractère pénal, lesquelles relèvent, conformément à l’article 107 de ce règlement ( 8 ), du droit interne des États membres en l’absence d’harmonisation au niveau de l’Union européenne ( 9 ). Conformément à l’article 97, paragraphe 1, dudit règlement, les États
membres peuvent aussi aller au‑delà d’un objectif purement indemnitaire en prévoyant, dans leurs droits internes, la restitution des bénéfices retirés par le contrevenant au détriment du titulaire ou d’un licencié qui excéderaient le montant du préjudice subi par le titulaire – j’y reviendrai dans le cadre de mon examen de la sixième question.
2. Sur la distinction entre la détermination des chefs de préjudice indemnisables et la méthode d’indemnisation du préjudice
36. Il me paraît également utile de souligner, en toile de fond de mon analyse, la distinction entre, d’une part, la détermination des éléments du préjudice indemnisable et, d’autre part, la quantification de ce préjudice et la fixation du montant des dommages et intérêts.
37. La détermination des chefs de préjudice indemnisables consiste à clarifier l’étendue du droit substantiel à la réparation que l’article 94 du règlement no 2100/94 confère au titulaire lésé ou, en d’autres termes, à identifier les divers postes de préjudice dont ce dernier peut prétendre à la compensation au titre, respectivement, des paragraphes 1 et 2 de cette disposition. Cette opération concerne, ainsi, le résultat poursuivi par celle-ci.
38. C’est dans ce contexte que s’inscrivent les deuxième et troisième questions, relatives à l’identification des éléments à prendre en compte lors du calcul de la rémunération équitable au sens du paragraphe 1 dudit article 94. Il en va de même de la cinquième question, sous a) et c), ainsi que des septième et huitième questions, lesquelles portent sur la détermination du préjudice dont le paragraphe 2 de cette disposition prévoit la réparation.
39. La quantification du préjudice et la fixation du montant des dommages et intérêts impliquent pour les juridictions nationales de sélectionner, dans un cas concret, une méthode permettant de chiffrer le préjudice indemnisable et de déterminer en conséquence le montant de l’indemnité à la charge du contrevenant. Cette entreprise peut, en pratique, s’avérer délicate eu égard, notamment, à la difficulté d’administrer la preuve des différents chefs de préjudice.
40. J’examinerai sous cet angle les première et quatrième questions ainsi que la cinquième question, sous b), par lesquelles la juridiction de renvoi demande si l’indemnisation à laquelle le titulaire a droit au titre de l’article 94, paragraphes 1 et/ou 2, du règlement no 2100/94 doit être calculée sur la base de la redevance convenue dans le cadre des accords de licence existants portant sur la variété protégée sur le marché concerné, assortie, le cas échéant, d’un supplément forfaitaire. La
sixième question, relative à la restitution des gains réalisés par le contrevenant, concerne également, en substance, la méthode de calcul de l’indemnisation au titre de cette disposition.
41. Ledit article 94 ne traite, cependant, pas de façon approfondie des méthodes d’estimation du préjudice et de fixation des dommages et intérêts. Cela s’explique, à mon sens, par le fait que le règlement no 2100/94 n’a pas pour vocation principale d’harmoniser les remèdes de droit civil sanctionnant la contrefaçon. Un tel objectif est, en revanche, poursuivi par la directive 2004/48, laquelle est donc susceptible d’offrir certaines précisions complémentaires quant auxdites méthodes. Dans cette
optique, il m’apparaît nécessaire d’examiner d’emblée si cette directive s’applique aux atteintes aux droits à la protection communautaire des obtentions végétales et, dans l’affirmative, de clarifier l’articulation entre celle‑ci et ledit règlement.
B – Sur l’applicabilité de la directive 2004/48 à la protection communautaire des obtentions végétales et son articulation avec le règlement no 2100/94
1. Sur l’inclusion des droits à la protection communautaire des obtentions végétales dans le champ d’application de la directive 2004/48
42. Ainsi qu’il ressort de son article 2, paragraphe 1, la directive 2004/48 s’applique, de façon transversale, aux atteintes à n’importe quels droits de propriété intellectuelle prévus par la législation de l’Union et/ou des États membres. J’estime, à l’instar de M. Hansson et de la Commission ( 10 ), que ces droits incluent les droits à la protection communautaire d’une obtention végétale.
43. L’argumentation de la défenderesse au principal tirée de l’article 97, paragraphe 3, du règlement no 2100/94 ne remet pas en cause un tel constat.
44. En substance, cette dernière allègue, d’une part, que les dispositions de la directive 2004/48 seraient inapplicables en matière de protection communautaire des obtentions végétales dès lors que l’article 97, paragraphe 3, du règlement no 2100/94 prévoit que, en dehors des limites tracées par les paragraphes 1 et 2 de cette disposition, «les effets de [cette] protection […] sont exclusivement déterminés par les dispositions du présent règlement».
45. À cet égard, il me paraît découler, en particulier, du titre de l’article 97 de ce règlement («Application complémentaire du droit national […]») que le paragraphe 3 de cette disposition exclut uniquement l’application du droit national, et non celle d’autres instruments de droit de l’Union, tels que la directive 2004/48, laquelle n’existait d’ailleurs pas encore à la date d’adoption dudit règlement ( 11 ).
46. D’autre part, Jungpflanzen Grünewald fait valoir que l’article 97, paragraphe 3, du même règlement s’oppose également à l’application, en matière de protection communautaire des obtentions végétales, des dispositions nationales transposant la directive 2004/48.
47. Une telle approche n’est, à mon avis, pas justifiée au regard de l’objectif de cette disposition, tel que décrit au considérant 23 du règlement no 2100/94, lequel consiste à clarifier le rôle de ce règlement par rapport aux «régimes légaux non harmonisés des États membres». Dans cette perspective, le «droit national» au sens de l’article 97 dudit règlement n’englobe pas le droit national de transposition de la directive 2004/48.
2. Sur l’articulation entre la directive 2004/48 et le règlement no 2100/94
48. Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2004/48, celle‑ci ne procède qu’à une harmonisation minimale de la protection des droits de propriété intellectuelle, sans préjudice des dispositions plus favorables au titulaire découlant de législations nationales ou du droit de l’Union ( 12 ).
49. En l’occurrence, le règlement no 2100/94 confère une protection plus étendue que cette directive en ce que l’article 94, paragraphe 1, de ce règlement requiert le paiement d’une rémunération équitable par le contrevenant même en l’absence d’intention ou de négligence dans son chef. En revanche, l’article 13, paragraphe 2, de ladite directive laisse à la discrétion des États membres le soin d’autoriser ou non les juridictions compétentes à ordonner l’indemnisation du titulaire lorsque l’auteur
d’une contrefaçon s’y est livré sans le savoir ni avoir de motifs raisonnables de le savoir ( 13 ).
50. Cependant, aucune disposition dudit règlement ne précise, à la manière de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2004/48, la méthode de fixation des dommages et intérêts destinés à réparer les conséquences de la contrefaçon. Le règlement no 2100/94 ne traite pas non plus du remboursement des frais de justice, lesquels font, par contre, l’objet de l’article 14 de cette directive.
51. Dans ces conditions, je ne suis pas convaincu que les articles 94 et suivants de ce règlement constituent, comme l’a affirmé la Commission, une «lex specialis» par rapport à ladite directive, et notamment par rapport aux articles 13 et 14 de celle‑ci. À mon sens, ces dispositions s’inscrivent plutôt dans un rapport de complémentarité. Ainsi, elles devraient s’appliquer de manière concomitante en cas d’atteinte à un droit à la protection communautaire d’une obtention végétale. Je montrerai, à cet
égard, qu’il n’existe aucune contradiction entre les dispositions de ces deux instruments en cause dans cette affaire qui entraverait la coexistence harmonieuse de ceux‑ci.
52. La directive 2004/48 peut également, le cas échéant, constituer un élément de contexte pertinent à prendre en compte aux fins d’interpréter le règlement no 2100/94 ( 14 ). Il importe cependant d’éviter de créer, sous couvert d’une interprétation contextuelle de ce règlement, des droits directement applicables qui ne sont pas consacrés par ce dernier en les important à partir de ladite directive.
3. Sur l’applicabilité de la directive 2004/48 dans le cadre du litige au principal
53. Jungpflanzen Grünewald conteste, toutefois, l’applicabilité de la directive 2004/48 dans le cadre du litige au principal au motif qu’elle n’aurait pas été adéquatement transposée en droit allemand. Selon cette dernière, la législation de transposition de cette directive s’appliquerait uniquement à la protection nationale, et non à la protection communautaire, des obtentions végétales. Ainsi, eu égard à la jurisprudence constante de la Cour relative à l’absence d’effet direct «horizontal» des
directives ( 15 ), les dispositions de ladite directive ne sauraient s’appliquer directement dans les rapports entre particuliers.
54. La Cour n’est pas habilitée à se prononcer dans le cadre de la présente affaire quant au caractère adéquat et suffisant de la transposition de la directive 2004/48 en droit allemand.
55. Il incombera néanmoins, en tout état de cause, à la juridiction de renvoi d’interpréter son droit national en conformité avec cette directive ( 16 ), pour autant que le libellé des dispositions nationales pertinentes ne s’y oppose pas ( 17 ). La juridiction de renvoi n’a, en l’occurrence, mis en exergue aucune disposition de droit interne qui apparaîtrait inconciliable avec les articles 13 et 14 de ladite directive, tels que je les interpréterai dans les présentes conclusions.
C – Sur les première à troisième questions, relatives à la détermination de la «rémunération équitable» au sens de l’article 94, paragraphe 1, du règlement no 2100/94
56. Par ses trois premières questions, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si le montant de la rémunération équitable au sens de l’article 94, paragraphe 1, du règlement no 2100/94 se limite à celui de la redevance convenue dans le cadre des accords de licence existants portant sur la variété protégée sur le marché concerné (ci‑après la «redevance usuelle»), ou s’il correspond à ce dernier montant tel que: i) ajusté aux fins de refléter d’autres circonstances qui caractérisent
la situation du contrevenant par rapport à celle d’un preneur de licence (deuxième question); ii) assorti d’intérêts moratoires (troisième question), et/ou iii) majoré d’un supplément forfaitaire (première question).
57. À la lumière des objectifs dudit article 94, paragraphe 1, je défendrai, dans un premier temps, l’approche selon laquelle la rémunération équitable au sens de cette disposition équivaut à la redevance que le contrevenant aurait dû verser au titulaire s’il lui avait demandé l’autorisation d’exploiter la variété protégée, eu égard à toutes les circonstances de l’espèce dont des cocontractants raisonnables auraient normalement tenu compte (ci‑après la «redevance hypothétique»), laquelle ne
correspond pas toujours à la redevance usuelle. Dans un second temps, j’expliquerai les raisons pour lesquelles, bien que la détermination de la rémunération équitable ainsi définie n’implique pas nécessairement d’assortir la redevance usuelle d’un supplément forfaitaire, une telle pratique devrait être autorisée pour autant que cette majoration vise exclusivement à refléter les circonstances singularisant la situation du contrevenant par rapport à celle des preneurs de licence de référence.
1. Sur l’assimilation de la rémunération équitable à la «redevance hypothétique»
58. La Cour a déjà clarifié, dans l’arrêt Geistbeck, que l’article 94, paragraphe 1, du règlement no 2100/94 vise à compenser l’avantage que tire l’auteur de la contrefaçon du fait qu’il ne s’est pas acquitté du paiement de la redevance pour la production sous licence de la variété concernée ( 18 ). Appréhendée du point de vue du titulaire, cette disposition a donc pour but d’indemniser ce dernier en raison du fait qu’il n’a pas pu percevoir une telle redevance sur les activités du contrevenant,
«sans toutefois envisager la réparation des préjudices autres que ceux liés au défaut de paiement de [la] rémunération [équitable]» ( 19 ).
59. Il ressort, selon moi, du même arrêt que le préjudice que ledit article 94, paragraphe 1, vise à compenser correspond au défaut de paiement, non pas de la redevance usuelle en tant que telle, mais de la redevance hypothétique que le contrevenant aurait dû verser, au regard du contexte spécifique de l’espèce, s’il avait demandé l’autorisation d’exploiter la variété protégée ( 20 ).
60. La Cour y a, en effet, d’une part, précisé que le montant de la redevance usuelle pour la production sous licence constitue une «base de calcul» de la rémunération équitable ( 21 ). Ainsi, ce montant ne représente, à mon sens, qu’un point de départ devant être adapté en fonction des circonstances de l’espèce ( 22 ).
61. D’autre part, elle a souligné la nécessité d’éviter que la fixation du montant de la rémunération équitable n’aboutisse à favoriser le contrevenant par rapport au preneur de licence qui s’est acquitté de toutes ses obligations ( 23 ). Or, une telle situation se produirait dans l’hypothèse où tous deux seraient tenus au paiement d’une redevance identique alors même que certaines circonstances particulières à la situation du contrevenant auraient justifié la fixation d’une redevance plus élevée
s’il avait négocié avec le titulaire la conclusion d’un accord de licence.
62. J’estime donc que le montant de la rémunération équitable doit refléter les circonstances singularisant la situation du contrevenant par rapport à celle dans laquelle se trouvaient les preneurs de licence lors de la conclusion des accords de référence, dans la mesure où la juridiction compétente estime que des cocontractants raisonnables en auraient tenu compte. En revanche, les circonstances que le montant de la redevance usuelle convenue dans de tels accords reflète déjà, ne sauraient être
prises en compte une seconde fois en majorant ce montant lors du calcul de la rémunération équitable.
63. Dès lors qu’elles sont les mieux placées pour évaluer toutes les circonstances pertinentes au regard du contexte factuel de l’espèce, les juridictions nationales devraient disposer d’une large marge d’appréciation aux fins d’identifier ces circonstances et de fixer en conséquence le montant de ladite rémunération. La juridiction de renvoi a déjà, en l’espèce, exposé son point de vue quant à la prise en compte des facteurs épinglés dans le cadre de sa deuxième question. Je me garderai d’y
substituer ma propre appréciation et me limiterai à quelques considérations d’ordre général:
— Cette juridiction considère que le montant de la redevance usuelle reflète déjà l’avantage que le contrevenant tire de l’exclusivité de la variété protégée, du succès commercial de celle‑ci et de l’économie consécutive des frais de lancement, ainsi que la durée et le volume de la contrefaçon. S’il en va ainsi, je me rallie à la conclusion de cette dernière selon laquelle ces facteurs ne justifient aucun ajustement de ce montant.
— Dans l’hypothèse où la contrefaçon aurait, du fait de sa portée temporelle ou quantitative, généré, outre le préjudice lié au défaut de paiement d’une rémunération équitable, certains inconvénients spécifiques, ceux‑ci devraient être réparés dans le cadre non pas du paragraphe 1, mais du paragraphe 2 de l’article 94 du règlement no 2100/94, pour autant que l’élément subjectif y prévu soit constaté ( 24 ). De tels inconvénients pourraient, notamment, découler des éventuelles distorsions de la
concurrence sur le marché et de la baisse des prix consécutive, incitant les licenciés à réclamer une réduction des redevances convenues, auxquelles M. Hansson a fait référence dans ses observations écrites.
— L’absence de risque pour le contrevenant de verser une rémunération sans pouvoir la récupérer en cas d’annulation subséquente de la variété en cause est, à mon avis, susceptible de distinguer la situation de ce dernier par rapport à celle du preneur de licence si les accords de licence de référence ne prévoient pas le remboursement des redevances dans un tel cas.
— Le fait que le contrevenant n’est pas tenu aux mêmes obligations contractuelles qu’un licencié, notamment en matière de comptabilité, me paraît également de nature à justifier qu’il soit exigé du premier une contrepartie différente de celle dont le paiement incombe au second.
— Il en va de même des inconvénients que subit le titulaire du fait que le contrevenant s’acquitte en général du paiement de la rémunération équitable bien plus tard que ne le fait le preneur de licence. Ceux-ci incluent le désavantage de trésorerie et le risque d’inflation éventuels pesant sur le titulaire, ainsi que l’impossibilité pour celui-ci de planifier à l’avance les recettes tirées de l’exploitation par le contrevenant de la variété protégée. Les juridictions nationales peuvent, à mon
sens, tenir compte de ces circonstances en ajoutant au montant de la rémunération équitable un montant correspondant aux intérêts moratoires que des cocontractants raisonnables auraient prévu (même si les accords de licence de référence ne contiennent pas de clause en ce sens). Il leur est également loisible, dans l’exercice de leur marge d’appréciation, d’augmenter de surcroît le montant de la rémunération équitable dans la mesure où elles estiment que de tels intérêts ne constituent pas une
compensation adéquate.
— En revanche, le risque lié à une procédure judiciaire ainsi qu’à l’inexécution d’une décision à l’encontre du contrevenant existe, à mon sens, également dans le cadre d’un rapport contractuel entre le titulaire et son licencié. La Commission a d’ailleurs observé que ce risque se trouve normalement déjà répercuté sur le montant de la redevance usuelle pour la production sous licence.
— La considération selon laquelle, lors de la détermination de la redevance hypothétique, le titulaire se trouve pour ainsi dire forcé de contracter «fictivement» avec le contrevenant ne participe, selon moi, pas davantage du préjudice indemnisable au titre dudit article 94, paragraphe 1. La liberté de choix du cocontractant ne me semble, en effet, pas en tant que telle de nature à influer sur le montant de la redevance convenue dans le cadre d’un accord de licence.
— Les distorsions potentielles de la politique de licence du titulaire résultant de l’entrée sur le marché des exemplaires contrefaits ne m’apparaissent pas directement liées au défaut de paiement d’une rémunération équitable. Elles peuvent, par contre, le cas échéant, donner lieu à une indemnisation dans le cadre de l’article 94, paragraphe 2, du règlement no 2100/94.
2. Sur la possibilité de majorer forfaitairement le montant de la redevance usuelle
64. Les développements qui précèdent ont ainsi précisé l’étendue du préjudice indemnisable en vertu de l’article 94, paragraphe 1, du règlement no 2100/94. J’aborde maintenant une question relative à la méthode à emprunter aux fins de fixer le montant de la rémunération équitable visant à compenser ce préjudice: ce montant doit‑il (ou peut‑il) être calculé en assortissant la redevance usuelle pour la production sous licence d’un supplément forfaitaire?
65. Bien que l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf) ne définisse pas la notion de «supplément forfaitaire» dans le cadre de sa première question, elle se réfère ailleurs dans la décision de renvoi à un montant théorique déterminé sur la base d’indices. Ainsi, cette juridiction entend, à mon sens, désigner un montant s’ajoutant à celui de la redevance usuelle et accordé sur la base de considérations d’équité en l’absence de preuve de chaque élément du préjudice
effectivement subi par le titulaire en raison du défaut de paiement d’une rémunération équitable.
66. J’exclus d’emblée l’existence d’une obligation d’imposer au contrevenant le paiement d’un tel supplément au titre dudit article 94, paragraphe 1. En effet, la rémunération équitable correspond, selon moi, à la redevance hypothétique que des cocontractants raisonnables auraient fixée au regard de toutes les circonstances pertinentes. Or, celles‑ci ne justifient pas nécessairement, ni toujours dans la même mesure, une augmentation du montant de la redevance usuelle prise comme base de calcul.
67. L’article 13, paragraphe 1, second alinéa, sous b), de la directive 2004/48 – lequel dispose que les juridictions nationales peuvent évaluer forfaitairement le préjudice subi par le titulaire sur la base «au moins» du montant de la redevance hypothétique – n’impose pas davantage d’obligation en ce sens. En effet, outre le fait que cette disposition ne vise que l’hypothèse dans laquelle le contrevenant a agi «en le sachant ou en ayant des motifs raisonnables de le savoir», elle se borne à obliger
les États membres à veiller à ce que ces juridictions puissent avoir recours à une telle méthode, à titre alternatif par rapport à la méthode de fixation des dommages et intérêts sur la base de «tous les aspects appropriés» décrite à l’article 13, paragraphe 1, second alinéa, sous a), de cette directive. Le choix de la méthode dans chaque cas concret ressortit, en revanche, auxdites juridictions.
68. Bien que le libellé de la première question se réfère uniquement à l’existence ou non d’une obligation d’assortir la redevance usuelle d’un supplément forfaitaire, il me semble opportun d’examiner également si ces juridictions disposent à tout le moins d’une faculté de procéder ainsi.
69. À cet égard, M. Hansson a fait état de la difficulté de chiffrer l’importance de chacune des circonstances dont des cocontractants raisonnables tiendraient normalement compte lors de la fixation d’une redevance pour production sous licence. La juridiction de renvoi a également observé que le montant d’une redevance hypothétique ne peut par définition pas être prouvé ni calculé avec exactitude. Ces considérations justifient, à mes yeux, que les juridictions nationales soient autorisées à fixer ce
montant en équité en appliquant, le cas échéant, un supplément forfaitaire au montant de la redevance usuelle.
70. Cela étant, j’estime que la rémunération équitable ne peut être calculée sur la base d’un forfait excédant le montant de la redevance usuelle que pour autant que ce forfait soit exclusivement destiné à compenser le préjudice lié au défaut de paiement d’une telle rémunération. En d’autres termes, une majoration forfaitaire ne peut viser qu’à refléter les circonstances dont des cocontractants raisonnables auraient normalement tenu compte, telles que celles évoquées au point 63 des présentes
conclusions. Dans l’affaire en cause au principal, il incombera ainsi à la juridiction de renvoi d’évaluer, sur la base de considérations d’équité et des indices qu’elle estimera pertinents, si le supplément demandé par M. Hansson est adéquat pour atteindre un tel objectif ou, le cas échéant, d’établir le niveau d’un supplément approprié.
71. Une telle majoration ne peut, en revanche, pas intégrer d’autres éléments du préjudice subi par le titulaire, dont la réparation relève non pas du paragraphe 1, mais du paragraphe 2 de l’article 94 du règlement no 2100/94. Elle ne peut, à plus forte raison, pas poursuivre un objectif punitif ( 25 ). En effet, le paragraphe 1 de cette disposition vise également le contrevenant non fautif, de telle sorte que la notion de dissuasion et, a fortiori, de punition n’est pas pertinente dans ce
contexte ( 26 ).
D – Sur les quatrième à sixième questions, relatives à la réparation du préjudice au titre de l’article 94, paragraphe 2, du règlement no 2100/94
72. J’examine à présent les autres questions sous l’angle de la distinction entre, d’une part, la détermination des éléments du préjudice indemnisable et, d’autre part, la méthode à suivre en vue d’estimer celui‑ci et de fixer en conséquence le montant de la compensation.
1. Sur la détermination des chefs de préjudice indemnisables au titre de l’article 94, paragraphe 2, du règlement no 2100/94
73. La cinquième question, sous a) et c), ainsi que les septième et huitième questions (que j’aborderai séparément aux points 105 à 123 des présentes conclusions) visent essentiellement à obtenir certaines clarifications quant aux chefs de préjudice dont le titulaire peut obtenir la réparation, en cas d’intention ou de négligence de la part du contrevenant, au titre de l’article 94, paragraphe 2, du règlement no 2100/94. Ceux‑ci incluent‑ils les circonstances épinglées dans le cadre de la deuxième
question (dans la mesure où elles ne sont pas encore prises en compte en application du paragraphe 1 de cette disposition), le temps consacré à la détection de la contrefaçon et à la préparation d’une action judiciaire ainsi que certains autres frais relatifs à la protection juridictionnelle des droits du titulaire ( 27 )?
74. Ainsi que je l’ai observé au point 32 des présentes conclusions, l’indemnisation au titre du paragraphe 2 dudit article 94 revêt un caractère résiduel en ce qu’elle couvre tous les éléments du préjudice subi par le titulaire non encore pris en compte dans le cadre du paragraphe 1 de cette disposition.
75. Par conséquent, dans la mesure où la juridiction nationale estimerait que certaines des circonstances énumérées dans le cadre de la deuxième question ne sont pas constitutives d’un préjudice lié au défaut de paiement d’une rémunération équitable au sens du paragraphe 1, celles‑ci appelleront, le cas échéant, une réparation en application du paragraphe 2 de l’article 94 du règlement no 2100/94.
76. Ces circonstances peuvent inclure, en particulier, la limitation apportée, en raison du fait que le titulaire ne peut réclamer qu’une indemnisation a posteriori en cas de contrefaçon, à la liberté de celui‑ci de choisir ses cocontractants ainsi que les distorsions consécutives de sa politique de licences. Elles englobent également, à mon avis, les distorsions potentielles de la concurrence sur le marché découlant d’une contrefaçon d’une ampleur temporelle ou quantitative particulière.
77. J’estime, en revanche, que l’article 94, paragraphe 2, de ce règlement ne prévoit pas l’indemnisation du temps et des efforts consacrés aux investigations et à la préparation d’une procédure judiciaire, ni des frais de justice et autres dépens afférents à la défense des droits du titulaire. Je m’en expliquerai dans le cadre de mon analyse des septième et huitième questions (points 105 à 123 des présentes conclusions).
2. Sur la méthode de fixation des dommages et intérêts au titre de l’article 94, paragraphe 2, du règlement no 2100/94
78. Par sa quatrième question et sa cinquième question, sous b), la juridiction de renvoi cherche à savoir si l’indemnisation au titre de l’article 94, paragraphe 2, du règlement no 2100/94 doit (ou peut) être calculée sur la base de la redevance usuelle pour la production sous licence (bien que celle‑ci serve déjà de fondement au calcul de la rémunération équitable au sens du paragraphe 1 de cette disposition), le cas échéant assortie d’un supplément forfaitaire.
a) Observations liminaires
79. Ledit article 94, paragraphe 2, ne précise pas la méthode applicable pour estimer le préjudice subi par le titulaire victime d’une contrefaçon. Je tournerai dès lors mon regard vers l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2004/48, laquelle institue un socle minimal de protection applicable notamment aux droits à la protection communautaire des obtentions végétales.
80. Le premier alinéa de cette disposition, qui régit l’étendue du droit à l’indemnisation du titulaire, impose aux États membres de prévoir, à la charge du contrevenant qui a agi en connaissance de cause, des dommages et intérêts adaptés au préjudice réellement subi par ce titulaire. Le second alinéa dudit article 13, paragraphe 1, enjoint aux États membres de veiller à ce que les juridictions compétentes disposent de deux méthodes alternatives aux fins d’atteindre le résultat prescrit par le
premier alinéa ( 28 ).
81. Aux termes de l’article 13, paragraphe 1, second alinéa, sous a), de la directive 2004/48, la première de ces méthodes repose sur la prise en considération de tous les aspects appropriés, tels que les conséquences économiques négatives – lesquelles incluent le manque à gagner du titulaire ainsi que les bénéfices injustement réalisés par le contrevenant – et certains facteurs non économiques, comme le préjudice moral subi par le titulaire.
82. La seconde de celles-ci consiste, en vertu du point b) de cette disposition, à «fixer un montant forfaitaire de dommages‑intérêts, sur la base d’éléments tels que, au moins, le montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrevenant avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit de propriété intellectuelle en question». Dans le contexte de la protection communautaire des obtentions végétales, ce montant minimal correspond ainsi à celui de la redevance hypothétique calculée en
application de l’article 94, paragraphe 1, du règlement no 2100/94. Comme le souligne le considérant 26 de ladite directive, une telle méthode s’avère indiquée en particulier lorsque le préjudice véritablement subi par le titulaire est difficile à prouver.
83. À ce propos, la doctrine, notamment allemande, a itérativement souligné les difficultés pratiques associées aux méthodes de fixation des dommages et intérêts fondées sur les gains réalisés par le contrevenant ou sur les pertes subies par le titulaire, principalement au regard de la charge de la preuve et du manque de moyens disponibles pour récolter les preuves nécessaires. Dans ces conditions, la méthode fondée sur la redevance hypothétique est présentée comme étant la plus efficace en
pratique ( 29 ). Aux dires de certains commentateurs, les tribunaux emprunteraient d’ailleurs fréquemment cette voie ( 30 ). De telles conclusions ressortent également de l’étude sur les dommages et intérêts civils en matière de droits de propriété intellectuelle réalisée par l’Observatoire européen des atteintes aux droits de propriété intellectuelle ( 31 ).
84. Vues sous cet angle, tant la redevance hypothétique que la référence aux bénéfices retirés par le contrevenant constituent, à mon sens, des substituts destinés à évaluer le préjudice réellement subi par le titulaire, en l’absence de preuves suffisantes de tous les éléments participant d’un tel préjudice ( 32 ). Ainsi, les différentes méthodes que prévoit l’article 13, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2004/48 visent chacune le même résultat, à savoir l’estimation et la réparation
appropriée dudit préjudice. Cette disposition reconnaît par ailleurs la marge de discrétion des juridictions nationales pour sélectionner la méthode qu’elles estiment appropriée au regard des circonstances de l’espèce et, notamment, des moyens de preuve disponibles.
b) Sur la possibilité de calculer les dommages et intérêts sur la base de la redevance usuelle, assortie le cas échéant d’un supplément forfaitaire
85. Selon leur libellé, la quatrième question et la cinquième question, sous b), portent uniquement sur l’existence d’une obligation de calculer l’indemnisation au titre de l’article 94, paragraphe 2, du règlement no 2100/94 sur la base du montant de la redevance usuelle, tel que majoré de façon forfaitaire. Une telle obligation me semble inconciliable avec la marge d’appréciation que l’article 13, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2004/48 reconnaît aux juridictions nationales quant au
choix de la méthode de fixation des dommages et intérêts. À mon sens, il leur est loisible d’évaluer, d’une part, le préjudice lié au défaut de paiement d’une rémunération équitable de manière forfaitaire sur la base de la redevance hypothétique calculée à partir de la redevance usuelle [selon la méthode décrite au point b) de cette disposition] et, d’autre part, le préjudice résiduel subi par le titulaire en se fondant sur d’autres facteurs pertinents [en application de la méthode exposée au
point a) de ladite disposition].
86. Les interrogations de la juridiction de renvoi me semblent, cependant, concerner également l’existence d’une faculté de fixer les dommages et intérêts au titre dudit article 94, paragraphe 2, en majorant forfaitairement le montant de la redevance usuelle.
87. À cet égard, la défenderesse au principal et la Commission considèrent que, dès lors que cette redevance sert déjà de base de calcul à la rémunération équitable au sens du paragraphe 1, elle ne peut pas être prise pour référence dans le cadre du paragraphe 2 dudit article 94.
88. Pour ma part, j’estime que les juridictions nationales ne sont pas tenues, lorsque la contrefaçon a procédé d’une intention ou de la négligence de son auteur, d’imposer à ce dernier le paiement de deux montants séparés, au titre, respectivement, des paragraphes 1 et 2 dudit article 94. Au contraire, étant donné que cette disposition vise, dans son ensemble, à réparer le préjudice subi par le titulaire, rien n’empêche en pratique ces juridictions d’en ordonner l’indemnisation sous la forme d’un
montant global destiné à compenser tant le préjudice lié au défaut de paiement d’une rémunération équitable que les autres éléments du préjudice.
89. Je rappelle, à ce propos, que, conformément à l’article 13, paragraphe 1, second alinéa, sous b), de la directive 2004/48, les États membres doivent autoriser les juridictions compétentes à fixer forfaitairement les dommages et intérêts en se fondant au moins sur le montant de la redevance hypothétique, lequel est en principe calculé sur la base du montant de la redevance usuelle. Ainsi qu’il ressort de son libellé, cette disposition s’applique lorsque le contrevenant a agi «en le sachant ou en
ayant des motifs raisonnables de le savoir» – hypothèse recoupant celle visée à l’article 94, paragraphe 2, du règlement no 2100/94. Partant, dans le contexte de la protection communautaire des obtentions végétales, une telle faculté de réparation forfaitaire s’étend, à mon sens, à l’intégralité du préjudice qu’a subi le titulaire, sans être restreinte au seul préjudice lié au défaut de paiement de la rémunération équitable dont le paragraphe 1 dudit article 94 prévoit la compensation.
90. Cela étant, lorsque les juridictions nationales fixent une indemnisation globale au titre des paragraphes 1 et 2 dudit article 94 sur la base du montant de la redevance usuelle, l’objectif de réparation intégrale du préjudice subi par le titulaire requiert, à mon avis, qu’elles adaptent ce montant aux fins de refléter ce préjudice le plus fidèlement possible. Une telle interprétation assure, en outre, l’effet utile du paragraphe 2 dudit article 94. En effet, le paragraphe 1 de cette disposition,
tel que je l’ai interprété aux points 58 à 71 des présentes conclusions, prévoit déjà le paiement au titulaire du montant d’une redevance hypothétique correspondant à la redevance usuelle telle qu’ajustée, le cas échéant, en vue de refléter les circonstances singularisant la situation du contrevenant par rapport à celle des preneurs de licences de référence.
91. Cette approche est également conforme à l’article 13, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2004/48, aux termes duquel les dommages et intérêts doivent être adaptés au préjudice réellement subi par le titulaire. Or, ainsi que l’avocat général Wathelet l’a relevé dans ses conclusions dans l’affaire Liffers, le montant de la redevance hypothétique ne reflète pas toujours intégralement ce préjudice ( 33 ).
92. Se pose alors la question de savoir si un tel ajustement du montant de la redevance usuelle peut prendre la forme d’un supplément forfaitaire.
93. L’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf) évoque, à cet égard, le caractère punitif que revêtirait l’imposition d’un tel supplément. Dans la mesure où elle désigne, par ce qualificatif, une majoration visant à octroyer au titulaire des dommages et intérêts poursuivant d’autres objectifs que celui de réparer le préjudice qu’il a véritablement subi, une telle majoration me paraît étrangère à l’objectif compensatoire de l’article 94, paragraphe 2, du règlement
no 2100/94. J’estime donc que cette disposition ne permet pas au juge national d’accorder au titulaire ce type de supplément.
94. Le terme «punitif» prête cependant à confusion pour autant que cette juridiction entende également désigner des dommages et intérêts qui, tout en excédant (même considérablement) le montant de la redevance usuelle, visent effectivement à compenser le préjudice réellement subi du fait de la contrefaçon.
95. Selon moi, aucune disposition dudit règlement ou de la directive 2004/48 ne prohibe ce dernier type d’indemnisation. Le premier prescrit un résultat – la réparation intégrale du préjudice subi par le titulaire – sans dicter de méthodologie spécifique à cette fin. Quant à la seconde, elle ne prévoit, conformément à son article 2, paragraphe 1, qu’un cadre minimal de protection des droits du titulaire, sans préjudice de l’application des dispositions nationales ou du droit de l’Union plus
favorables à ce dernier. Partant, si cette directive n’oblige pas les États membres à infliger des dommages et intérêts sur la base d’un forfait excédant le montant de la redevance hypothétique (lui‑même calculé sur la base de la redevance usuelle), elle ne l’interdit pas non plus ( 34 ). Au contraire, une telle faculté découle explicitement de l’article 13, paragraphe 1, second alinéa, sous b), de ladite directive, qui se réfère à un montant forfaitaire correspondant «au moins» à celui de la
redevance hypothétique ( 35 ). Cette approche est également confirmée par le considérant 26 de cette même directive, qui précise que cette disposition si elle n’introduit pas une obligation de prévoir des dommages et intérêts «punitifs», vise à «permettre un dédommagement fondé sur une base objective […]».
96. Au vu de ce qui précède, j’estime que la juridiction nationale peut, aux fins de fixer les dommages et intérêts visant à compenser l’intégralité du préjudice subi par le titulaire au titre de l’article 94, paragraphes 1 et 2, du règlement no 2100/94, prendre le montant de la redevance usuelle pour la production sous licence comme base de calcul et majorer celui‑ci de façon forfaitaire afin de refléter tous les éléments de ce préjudice, sur la base de considérations d’équité et de l’ensemble des
éléments qu’elle juge appropriés ( 36 ).
c) Sur la restitution des bénéfices réalisés par le contrevenant
97. Par sa sixième question, la juridiction de renvoi demande si les bénéfices réalisés par le contrevenant constituent un préjudice dont le titulaire peut prétendre à la réparation, au titre de l’article 94, paragraphe 2, du règlement no 2100/94, en sus du paiement de la rémunération équitable fixée en vertu du paragraphe 1 de cette disposition, ou si ces bénéfices ne sont dus qu’à titre alternatif par rapport à celle‑ci.
98. Je rappelle d’emblée que, eu égard à l’objectif exclusivement compensatoire de l’article 94 du règlement no 2100/94, le titulaire ne peut prétendre qu’à l’indemnisation du préjudice qu’il a réellement subi du fait de la contrefaçon.
99. Or, les bénéfices retirés par le contrevenant ne constituent pas en tant que tels une composante de ce préjudice. Comme évoqué au point 84 des présentes conclusions, l’avantage acquis ou les bénéfices réalisés par le contrevenant, dans le cadre tant dudit article 94, paragraphe 2, que de l’article 13, paragraphe 1, second alinéa, sous a), de la directive 2004/48, ne représentent – à l’instar de la redevance hypothétique – que des substituts destinés à évaluer le préjudice véritablement subi par
le titulaire, en l’absence de preuves de tous les éléments participant de celui‑ci ( 37 ). Autrement dit, la référence à la redevance hypothétique ou aux bénéfices du contrevenant constituent autant d’outils permettant aux juridictions nationales d’estimer ce même préjudice et de fixer en conséquence le montant de la réparation.
100. Dans ces conditions, j’estime que ces juridictions ne peuvent pas, au titre de l’article 94 du règlement no 2100/94, accorder au titulaire à la fois le paiement d’une rémunération équitable d’un montant correspondant à celui de la redevance hypothétique et celui d’un montant reflétant les bénéfices du contrevenant, sauf à outrepasser l’objectif compensatoire de cette disposition.
101. Cela étant, le montant de ces bénéfices peut, en pratique, excéder celui de la redevance hypothétique au paiement duquel le titulaire a droit, en vertu de l’article 94, paragraphe 1, de ce règlement, au titre de la compensation du préjudice lié au défaut de paiement d’une rémunération équitable. Dans une telle hypothèse, le préjudice résiduel dont ce dernier peut obtenir réparation en vertu du paragraphe 2 de cette disposition peut être estimé par référence au solde desdits bénéfices excédant
le montant de cette redevance ( 38 ). Il ne s’agit cependant là que d’une faculté à laquelle les juridictions nationales peuvent avoir recours, dans la mesure où elles le considèrent approprié aux fins d’estimer le préjudice réellement subi par le titulaire.
102. À ce propos, il m’apparaît utile de souligner que, eu égard à l’objectif indemnitaire de l’article 94 dudit règlement, la seconde phrase du paragraphe 2 de cette disposition n’implique pas, contrairement à ce qu’a fait valoir la Commission, que l’avantage acquis par le contrevenant constitue un plancher s’imposant aux juridictions nationales même dans l’hypothèse où il excéderait le montant du préjudice subi par le titulaire ( 39 ). Cette phrase se borne, à mon sens, à reconnaître à ces
juridictions une marge d’appréciation les autorisant à diminuer le montant de la réparation en deçà de celui du préjudice réellement subi, sur la base de considérations d’équité, lorsque le contrevenant n’a commis qu’une faute légère. Dans cette optique, la référence à l’avantage acquis par ce dernier signifie uniquement que, dans l’application d’une telle mesure d’équité, lesdites juridictions ne peuvent pas limiter le montant de la réparation d’une façon telle que celui‑ci non seulement ne
compense pas l’intégralité du préjudice subi par le titulaire, mais en outre ne couvre pas même les bénéfices retirés par le contrevenant. En revanche, si le montant de ces bénéfices dépasse celui de ce préjudice, ces mêmes juridictions doivent limiter le montant de la compensation à celui dudit préjudice ( 40 ).
103. L’article 13, paragraphe 1, second alinéa, sous a), de la directive 2004/48, en prévoyant que les juridictions nationales «prennent en considération» tous les aspects appropriés, tels que les bénéfices injustement réalisés par le contrevenant, n’érige pas davantage ces bénéfices en seuil minimal ou en critère contraignant d’évaluation du préjudice. Cette disposition se limite, selon moi, à consacrer la marge d’appréciation du juge national aux fins d’estimer ce préjudice en fonction des
critères qu’il considère adéquats, au nombre desquels figurent lesdits bénéfices ( 41 ).
104. Si l’article 94, paragraphe 2, du règlement no 2100/94 et l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2004/48 ne confèrent donc pas au titulaire un droit à la restitution du solde des bénéfices réalisés par le contrevenant qui excéderait le montant du préjudice qu’il a subi, un tel droit peut, en revanche, lui être reconnu en vertu du droit interne des États membres, conformément à l’article 97, paragraphe 1, de ce règlement. Cette disposition autorise, en parallèle à l’application dudit
règlement, celle de règles nationales prévoyant la restitution de l’avantage acquis par le contrevenant au détriment du titulaire ou d’un licencié – et ce indépendamment de tout élément subjectif. Dans ce contexte, ainsi que l’a observé la Commission, les bénéfices du contrevenant constituent non pas une mesure permettant de quantifier le préjudice subi par le titulaire, mais l’objet en tant que tel d’une action en restitution fondée sur le droit national. Cela étant, ledit article 97,
paragraphe 1, soulève des difficultés d’interprétation qui lui sont propres et qui dépassent le cadre de la présente affaire ( 42 ).
E – Sur les septième et huitième questions, relatives à la compensation des frais de justice et autres dépens afférents à la défense des droits du titulaire
105. Aux termes de ses deux dernières questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 94, paragraphe 2, du règlement no 2100/94 s’oppose à des dispositions nationales ne permettant pas au titulaire lésé par une contrefaçon d’obtenir le remboursement des frais de la procédure en référé lorsqu’il a succombé dans ce cadre, mais qu’il a ensuite gagné le procès sur le fond (septième question) ainsi que le défraiement du temps consacré à la préparation du procès dans la mesure où
il n’excède pas les limites habituelles (huitième question) ( 43 ).
106. La réponse à apporter à ces questions implique, au préalable, de déterminer si le préjudice indemnisable au titre dudit article 94, paragraphe 2, inclut les frais de justice et autres dépens afférents à la préparation d’une instance judiciaire.
107. M. Hansson et la Commission préconisent d’apporter une réponse affirmative à cette question eu égard au libellé de cette disposition ainsi qu’à celui de l’article 13 de la directive 2004/48, lesquels prévoient la réparation du préjudice subi par le titulaire sans l’assortir d’aucune restriction. Lors de l’audience, la Commission a, de surcroît, fait valoir que les spécificités de la protection communautaire des obtentions végétales, concernant en particulier les difficultés d’administration de
la preuve de la contrefaçon, commanderaient d’interpréter l’article 94, paragraphe 2, du règlement no 2100/94 en ce sens que le préjudice à réparer à ce titre inclut les frais de justice ainsi que les frais de détection et d’investigation de la contrefaçon.
108. Le contexte plus général dans lequel s’inscrivent ces dispositions milite toutefois en faveur de la solution inverse.
109. À cet égard, si ce règlement n’aborde pas la question de l’indemnisation des frais de justice et autres dépens afférents à l’instance, d’autres instruments de droit de l’Union relatifs à la protection de la propriété intellectuelle réservent à ceux‑ci des dispositions spécifiques et distinctes de celles relatives à l’indemnisation du préjudice subi par le titulaire en raison d’une contrefaçon. Ainsi, dans le cadre de la directive 2004/48, le remboursement des frais de justice et «autres frais»
exposés par la partie ayant obtenu gain de cause fait l’objet d’une disposition, à savoir l’article 14, séparée de l’article 13 relatif aux dommages et intérêts. Les travaux préparatoires de cette directive suggèrent que ces «autres frais» recouvrent, en particulier, les frais d’investigation et d’expertise liés à l’établissement de la contrefaçon ( 44 ). Ledit article 14 ne prévoit, du reste, le remboursement de ces frais de justice et «autres frais» par la partie qui succombe que dans la
mesure où ceux‑ci sont raisonnables et proportionnés ( 45 ), et sous réserve de considérations d’équité. L’accord relatif à une juridiction unifiée du brevet comporte une disposition comparable ( 46 ).
110. Par ailleurs, ainsi qu’il ressort de l’étude sur les dommages et intérêts civils en matière de droits de propriété intellectuelle réalisée par l’Observatoire européen des atteintes aux droits de propriété intellectuelle, les droits internes des États membres ne recèlent pas de principes communs qui consacreraient un droit plus étendu à la restitution des frais de justice et autres dépens afférents à l’instance ni, a fortiori, à la compensation de l’intégralité de ceux‑ci au même titre que
n’importe quel autre élément du préjudice subi par le titulaire. Selon cette étude, la plupart des États membres réservent à ces frais et dépens des règles spécifiques en matière de taxation des dépens, distinctes des dispositions générales relatives à la responsabilité civile ( 47 ). J’observe, sans préjuger de leur conformité à l’article 14 de la directive 2004/48 ( 48 ), que ces règles limitent en général la répétibilité desdits frais et dépens en excluant le remboursement de certaines
catégories de ceux‑ci, en prévoyant des barèmes ou des tarifs maximaux, en préservant la marge de discrétion des juges nationaux en fonction de considérations d’équité, ou en combinant plusieurs de ces méthodes ( 49 ).
111. Au vu de ce qui précède, je n’aperçois aucune raison justifiant, en l’absence de toute indication en ce sens dans le texte du règlement no 2100/94, d’accorder au titulaire d’un droit à la protection communautaire d’une obtention végétale le bénéfice d’un régime plus favorable de remboursement des frais de justice et autres dépens relatifs à la préparation de l’instance que celui dont jouissent en général les titulaires d’autres droits de propriété intellectuelle. Il n’est, d’ailleurs, pas exclu
que l’administration de la preuve de la contrefaçon et l’instruction de l’action judiciaire s’avèrent également laborieuses et coûteuses en ce qui concerne la protection de ces autres droits, ou du moins de certains d’entre eux.
112. En conséquence, j’estime que l’article 94, paragraphe 2, de ce règlement, lu à la lumière de son contexte, ne confère pas au titulaire un droit à l’indemnisation des frais de justice et autres dépens relatifs à la défense de ses droits par la voie juridictionnelle. Ainsi, l’indemnisation de ces frais et dépens relève, selon moi, du droit interne des États membres, y compris, le cas échéant, des dispositions transposant la directive 2004/48.
113. À cet égard, je rappelle que, comme l’a soulevé la Commission, en vertu de l’article 14 de cette directive, la partie ayant obtenu gain de cause peut obtenir de la partie qui succombe la restitution des frais de justice et autres frais raisonnables et proportionnés, et ce même en l’absence de faute de cette dernière.
114. Dans ces conditions, il me semble opportun, aux fins d’apporter des réponses utiles à la juridiction de renvoi, d’examiner les septième et huitième questions également sous l’angle de cette disposition, bien que cette juridiction ne l’ait pas mentionnée dans sa demande de décision préjudicielle ( 50 ).
115. S’agissant de la septième question, j’estime que l’article 14 de la directive 2004/48 s’applique séparément dans le cadre, d’une part, de la procédure en référé et, d’autre part, de la procédure au fond, dès lors qu’elles concernent des actions distinctes portant sur des objets différents. En effet, l’objet de la procédure en référé consiste en l’octroi d’une mesure provisoire, tandis que la procédure au fond porte sur l’établissement de la contrefaçon en tant que tel. En l’espèce, ainsi que
l’a fait remarquer la juridiction de renvoi, l’action en référé visait à obtenir à titre provisoire l’interdiction des activités litigieuses de Jungpflanzen Grünewald. Le succès de cette action dépendait de l’établissement, obéissant à des standards de preuve spécifiques, non seulement d’une apparence de droit du titulaire, mais aussi de l’existence d’une situation d’urgence.
116. Or, il ressort de la décision de renvoi que M. Hansson a succombé dans le cadre de l’action en référé tant en première instance qu’en appel. Conformément audit article 14, un demandeur se trouvant dans une telle situation supporte donc en principe la charge des frais afférents à cette action, même s’il gagne ultérieurement le procès sur le fond.
117. J’en conclus que cette disposition ne s’oppose pas à une règle nationale selon laquelle le demandeur qui obtient gain de cause au terme du procès sur le fond après avoir succombé dans le cadre de l’action en référé ne peut pas récupérer les dépens afférents à cette action.
118. Aux fins de répondre à la huitième question, il convient de déterminer si la notion d’«autres frais» au sens de l’article 14 de la directive 2004/48 recouvre le temps investi dans la préparation du procès, notamment dans le cadre des réunions avec les avocats et des déplacements y afférents.
119. Ainsi que je l’ai souligné au point 109 des présentes conclusions, les travaux préparatoires de cette directive indiquent que la Commission envisageait, par la notion d’«autres frais», en particulier les frais d’investigation et d’expertise ( 51 ), spécifiques au contentieux de la propriété intellectuelle.
120. Par ailleurs, la Cour a précisé que ledit article 14, en consacrant des conditions de remboursement des frais de justice particulièrement favorables aux titulaires de droits de propriété intellectuelle, vise à éviter que ceux‑ci ne soient dissuadés de faire valoir leurs droits par la voie juridictionnelle ( 52 ).
121. J’estime, à ce propos, que, comme l’a soutenu l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Realchemie Nederland, le risque de dissuasion que cette disposition vise à prévenir découle de la particularité des procédures et des moyens de preuve en matière de propriété intellectuelle, les frais d’investigation et d’expertise pouvant s’avérer très élevés dans ce contexte ( 53 ).
122. Le temps investi par le titulaire dans le cadre de réunions avec ses avocats et de déplacements à cette fin ne me paraissent, en revanche, pas particulièrement liés au contentieux de la propriété intellectuelle ni susceptibles de dissuader l’introduction d’une procédure judiciaire.
123. Partant, j’estime que l’article 14 de la directive 2004/48 ne s’oppose pas non plus à des dispositions nationales limitant la possibilité d’obtenir le défraiement du temps consacré à la préparation d’une action judiciaire.
V – Conclusion
124. Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions déférées par l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf) de la manière suivante:
1) L’article 94, paragraphe 1, du règlement (CE) no 2100/94 du Conseil, du 27 juillet 1994, instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales, doit être interprété en ce sens que le montant de la rémunération équitable correspond à celui de la redevance que le contrevenant aurait dû verser au titulaire du droit à la protection communautaire d’une obtention végétale s’il avait demandé à ce dernier l’autorisation d’exploiter la variété protégée, eu égard à toutes les
circonstances de l’espèce dont des cocontractants raisonnables auraient normalement tenu compte. Il appartient à la juridiction nationale d’identifier ces circonstances et de fixer en conséquence le montant de la rémunération équitable. Dans l’exercice d’une telle marge d’appréciation, cette juridiction peut, notamment, tenir compte du temps écoulé depuis la conduite des activités contrevenantes en ajoutant au montant de la rémunération équitable des intérêts de retard.
2) Ni l’article 94, paragraphe 1, du règlement no 2100/94, ni l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle, n’imposent à la juridiction nationale de fixer le montant de la rémunération équitable en assortissant le montant de la redevance convenue dans le cadre des accords de licence existants portant sur la variété protégée sur le marché concerné d’un supplément
forfaitaire. Ces dispositions n’empêchent, cependant, pas ladite juridiction de procéder ainsi dans la mesure où elle le considère approprié aux fins d’estimer le montant de la redevance que le contrevenant aurait dû verser s’il avait demandé au titulaire l’autorisation d’exploiter la variété protégée, eu égard à toutes les circonstances de l’espèce dont des cocontractants raisonnables auraient normalement tenu compte. Un tel supplément forfaitaire ne peut, en revanche, pas être ajouté à
d’autres fins dans le cadre de l’article 94, paragraphe 1, du règlement no 2100/94.
3) Ni l’article 94, paragraphe 2, du règlement no 2100/94, ni l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2004/48 n’imposent à la juridiction nationale de fixer le montant des dommages et intérêts destinés à réparer l’intégralité du préjudice subi par le titulaire sur la base de la redevance convenue dans le cadre des accords de licence existants portant sur la variété protégée sur le marché concerné. Ces dispositions n’empêchent, cependant, pas ladite juridiction de prendre une telle redevance
comme point de départ du calcul de tels dommages et intérêts et de l’ajuster, le cas échéant, dans la mesure où elle l’estime approprié aux fins de compenser le préjudice réellement subi par le titulaire du fait de la contrefaçon.
4) Ni l’article 94, paragraphe 2, du règlement no 2100/94, ni l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2004/48 n’imposent à la juridiction nationale, si celle‑ci décide de fixer les dommages et intérêts destinés à compenser l’intégralité du préjudice subi par le titulaire sur la base du montant de la redevance convenue dans le cadre des accords de licence existants portant sur la variété protégée sur le marché concerné, d’y ajouter un supplément forfaitaire. Ces dispositions n’empêchent,
cependant, pas ladite juridiction de procéder ainsi dans la mesure où elle l’estime approprié aux fins de compenser le préjudice réellement subi par le titulaire du fait de la contrefaçon. Un tel supplément forfaitaire ne peut, en revanche, pas être ajouté à d’autres fins.
5) L’article 94, paragraphe 2, du règlement no 2100/94 doit être interprété en ce sens que les bénéfices réalisés par le contrevenant ne constituent pas un préjudice subi par le titulaire dont ce dernier peut prétendre à la réparation au titre de cette disposition, en sus du paiement d’une rémunération équitable au titre de l’article 94, paragraphe 1, de ce règlement. La juridiction nationale peut, cependant, tenir compte du montant de ces bénéfices aux fins d’estimer le préjudice subi par le
titulaire et de fixer en conséquence le montant de l’indemnisation.
6) Ni l’article 94, paragraphe 2, du règlement no 2100/94, ni l’article 14 de la directive 2004/48 ne s’opposent à des dispositions nationales qui ne permettent pas au titulaire d’obtenir le remboursement des dépens d’une action en référé pour contrefaçon même s’il gagne ensuite le procès sur le fond.
7) Ni l’article 94, paragraphe 2, du règlement no 2100/94, ni l’article 14 de la directive 2004/48 ne s’opposent à des dispositions nationales qui ne permettent pas au titulaire d’obtenir le défraiement du temps consacré à la préparation d’une action judiciaire en réparation d’une contrefaçon.
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( 1 ) Langue originale: le français.
( 2 ) JO L 227, p. 1.
( 3 ) JO L 157, p. 45.
( 4 ) Les mêmes enseignements découlent des versions en langues tchèque, allemande, estonienne, grecque, croate, lettone, hongroise, néerlandaise, slovaque, slovène et suédoise. Bien que moins explicites à cet égard, les autres versions linguistiques n’infirment aucunement ceux‑ci.
( 5 ) Souligné par mes soins. Voir, également, conclusions de l’avocat général Jääskinen dans l’affaire Geistbeck (C‑509/10, EU:C:2012:187, point 40). Je nuancerai cependant l’affirmation selon laquelle l’article 94 du règlement no 2100/94 vise à assurer la réparation intégrale du préjudice subi du fait de la contrefaçon en soutenant, aux points 105 à 123 des présentes conclusions, que le droit à l’indemnisation au titre de cette disposition ne couvre pas les frais de justice et autres dépens liés à
la défense des droits du titulaire.
( 6 ) Souligné par mes soins.
( 7 ) C‑509/10, EU:C:2012:416, point 36.
( 8 ) Bien que la version en langue française de cette disposition n’indique pas explicitement qu’elle ne vise pas les sanctions à caractère civil, une telle interprétation ressort sans ambiguïté, notamment, des versions en langues danoise, anglaise, italienne et néerlandaise, lesquelles utilisent respectivement les termes «strafbarhed», «penalties», «reprimere» et «bestraffing». Cette interprétation permet, du reste, d’assurer l’effet utile de l’article 94 du règlement no 2100/94.
( 9 ) En 2013, la Commission a proposé de modifier le règlement no 2100/94 de façon à obliger les États membres à adopter des sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives (proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la production et à la mise à disposition sur le marché de matériel de reproduction des végétaux, du 6 mai 2013 [COM(2013) 262 final, p. 98]). Cette proposition a été rejetée par une résolution législative du Parlement européen du 11 mars 2014
(T7‑0185/2014), puis retirée par la Commission (JO 2015, C 80, p. 20).
( 10 ) La Commission a d’ailleurs précisé que le champ d’application de cette directive couvre, notamment, la protection des obtentions végétales [déclaration de la Commission concernant l’article 2 de la directive 2004/48 (JO 2005, L 94, p. 37)].
( 11 ) La défenderesse au principal a fait référence à un rapport de la Commission qui souligne le risque que l’article 97, paragraphe 3, du règlement no 2100/94 ne soit interprété comme excluant l’application de la directive 2004/48 dans son intégralité et préconise, dès lors, d’ajuster cette disposition en conséquence (Commission européenne, direction générale «Santé et sécurité alimentaire», «Evaluation of the Community Plant Variety Right Acquis – Final Report», avril 2011, disponible sous
http://ec.europa.eu/food/plant/plant_property_rights/evaluation/docs/cpvr_evaluation_final_report_en.pdf, p. 28). À mon sens, ce rapport étaie la conclusion selon laquelle cette directive devrait s’appliquer à la protection communautaire des obtentions végétales davantage qu’il ne supporte la position de Jungpflanzen Grünewald.
( 12 ) Voir, également, article 16 de la directive 2004/48, lequel dispose que, «[s]ans préjudice des mesures, procédures et réparations de nature civile et administrative prévues par la présente directive, les États membres peuvent appliquer d’autres sanctions appropriées en cas d’atteinte à des droits de propriété intellectuelle».
( 13 ) Le règlement (UE) no 1257/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2012, mettant en œuvre la coopération renforcée dans le domaine de la création d’une protection unitaire conférée par un brevet (JO L 361, p. 1), dont le considérant 13 renvoie aux dispositions nationales mettant en œuvre la directive 2004/48, n’oblige pas non plus les États membres à prévoir une indemnisation à la charge du contrevenant non fautif. Il en va de même de l’article 45 de l’accord sur les aspects
des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, figurant à l’annexe 1 C de l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), signé à Marrakech le 15 avril 1994 et approuvé par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986‑1994) (JO L 336, p. 1).
( 14 ) Voir, en ce sens, arrêt Cilfit e.a. (283/81, EU:C:1982:335, point 20).
( 15 ) Voir, notamment, arrêts Marshall (152/84, EU:C:1986:84, point 48) et Faccini Dori (C‑91/92, EU:C:1994:292, point 20).
( 16 ) Voir, notamment, arrêt Pfeiffer e.a. (C‑397/01 à C‑403/01, EU:C:2004:584, points 110 à 119).
( 17 ) Voir, notamment, arrêt Impact (C‑268/06, EU:C:2008:223, point 100 et jurisprudence citée).
( 18 ) C‑509/10, EU:C:2012:416, point 40.
( 19 ) Ibidem (point 50).
( 20 ) La référence, au point 40 de cet arrêt , à un montant «équivalent à la redevance due pour production sous la licence C dont [l’agriculteur] ne s’est pas acquitté», n’infirme pas cette conclusion. En effet, lue à la lumière du contexte de cet arrêt, cette formulation implique simplement que la rémunération équitable doit prendre comme point de départ un tel montant, par opposition au montant moins élevé de la rémunération due, au titre de l’article 14, paragraphe 3, de ce règlement, par les
agriculteurs bénéficiant du «privilège de l’agriculteur» en vertu du paragraphe 1 de cette disposition.
( 21 ) Arrêt Geistbeck (C‑509/10, EU:C:2012:416, point 37).
( 22 ) Des contrats de licence portant sur la variété protégée sur le marché concerné pourraient d’ailleurs parfois faire défaut, notamment lorsque la contrefaçon concerne un marché sur lequel cette variété n’est pas encore commercialisée. La juridiction nationale pourrait alors prendre pour base de calcul la redevance convenue dans des contrats de licence relatifs à des variétés ou à des marchés similaires, ou fixer un montant raisonnable au regard des circonstances de l’espèce.
( 23 ) Arrêt Geistbeck (C‑509/10, EU:C:2012:416, points 40 et 41).
( 24 ) Il m’apparaît vraisemblable, en tout état de cause, qu’une contrefaçon de grande ampleur et de longue durée est rarement perpétrée par inadvertance, de telle sorte que lesdits inconvénients pourront en principe être compensés en vertu de l’article 94, paragraphe 2, de ce règlement.
( 25 ) Voir conclusions de l’avocat général Jääskinen dans l’affaire Geistbeck (C‑509/10, EU:C:2012:187, point 57).
( 26 ) Lu à la lumière de son contexte, le point 42 de l’arrêt Geistbeck (C‑509/10, EU:C:2012:416), qui se réfère au «caractère incitatif» dudit article 94, paragraphe 1, ne remet pas en cause une telle conclusion. Cet arrêt concernait la situation spécifique d’un agriculteur ayant violé son obligation d’information au titre de l’article 14, paragraphe 3, du règlement no 2100/94, de telle sorte qu’il ne pouvait plus se prévaloir du mode de calcul (plus favorable) de la redevance prévu par cette
disposition.
( 27 ) Bien que la cinquième question ne soit déférée à la Cour que dans l’hypothèse où elle conclurait, en réponse à la quatrième question, que l’indemnisation en vertu de l’article 94, paragraphe 2, du règlement no 2100/94 doit également être calculée sur la base de la redevance usuelle, elle me semble pertinente indépendamment de la réponse à apporter à cette quatrième question. La détermination des éléments du préjudice indemnisable précède, en effet, celle de de la méthode appropriée pour
chiffrer ce préjudice et fixer les dommages et intérêts correspondants.
( 28 ) Voir, également, article 68, paragraphe 3, de l’accord relatif à une juridiction unifiée du brevet (JO 2013, C 175, p. 1).
( 29 ) Voir, notamment, Geiger, C., Raynard, J., et Rodà, C., «What developments for the European framework on enforcement of intellectual property rights? A comment on the evaluation report dated December 22, 2010», EIPR, 2011, no 9, p. 547; Meier‑Beck, P., «Les dommages‑intérêts pour contrefaçon de brevet en droit allemand – Principes fondamentaux, évaluation et mise en œuvre», Revue mensuelle du JurisClasseur – Propriété Industrielle, 2004, p. 11 à 15, et Rau, M., «Damages for patent infringement
in Germany», RIPIA, 2000, no 201, p. 78 à 82. Sur la difficulté de chiffrer les pertes subies par le titulaire, voir Moss, G., et Rogers, D., «Damages for Loss of Profits in Intellectual Property Litigation», EIPR, 1997, p. 425 et suiv.
( 30 ) Voir, notamment, Raynard, J., «IP enforcement in Europe: acquis and future plans», dans Geiger, C. (éd.), Constructing European intellectual property: Achievements and new perspectives, 2013, p. 392.
( 31 ) Anciennement dénommé «Observatoire européen de la contrefaçon et de la piraterie». European Observatory on Counterfeiting and Piracy, «Damages in Intellectual Property Rights», disponible sous http://ec.europa.eu/internal_market/iprenforcement/docs/damages_en.pdf, p. 3 de la section «Analysis, recommendations and best practices» ainsi que p. 1 à 22 et 44 à 53 du tableau synoptique.
( 32 ) Voir considérant 26 de la directive 2004/48.
( 33 ) C‑99/15, EU:C:2015:768, point 27.
( 34 ) Les travaux préparatoires de la directive 2004/48 n’infirment pas cette conclusion. Certes, la proposition initiale de la Commission prévoyait que les juridictions nationales devaient pouvoir évaluer le préjudice subi par le titulaire sur la base d’un forfait correspondant au double de la redevance hypothétique, tout en précisant qu’un tel forfait ne constituerait pas des dommages et intérêts punitifs (proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux mesures et
procédures visant à assurer le respect de droits de propriété intellectuelle, du 30 janvier 2003 [COM(2003) 46 final, p. 25 et 43]). Eu égard au caractère minimal de l’harmonisation qu’opère cette directive, l’adoption d’un libellé moins prescriptif dans la version finale de son article 13, paragraphe 1, sous b), ne prive, cependant, aucunement les États membres de la faculté d’autoriser leurs juridictions à procéder ainsi.
( 35 ) La question de savoir, en particulier, si l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2004/48 permet de fixer les dommages et intérêts en ajoutant au montant de la redevance hypothétique, déterminée en application du second alinéa, sous b), de cette disposition, une somme destinée à compenser le préjudice moral, fait l’objet d’une question préjudicielle dans l’affaire Liffers (C‑99/15), pendante devant la Cour. L’avocat général Wathelet a proposé d’y apporter une réponse positive (conclusions
dans l’affaire Liffers, C‑99/15, EU:C:2015:768).
( 36 ) Voir, en ce sens, considérant 17 de la directive 2004/48, qui souligne l’importance de fixer le montant de l’indemnisation en fonction des caractéristiques de chaque cas particulier. En principe, le supplément forfaitaire appliqué au montant de la redevance usuelle à la charge du contrevenant fautif aux fins de compenser l’intégralité du préjudice subi par le titulaire sera plus élevé que le supplément forfaitaire pouvant, le cas échéant, être imposé au titre de l’article 94, paragraphe 1, du
règlement no 2100/94 en vue de réparer le seul préjudice lié au défaut de paiement d’une rémunération équitable.
( 37 ) Le recours aux bénéfices réalisés par le contrevenant présente aussi l’avantage de permettre au titulaire d’obtenir une indemnisation sans révéler sa structure de coûts ni ses possibilités de bénéfices (voir Meier‑Beck, P., «Allemagne: les dommages‑intérêts pour contrefaçon des droits de propriété industrielle après la loi sur l’amélioration du respect des droits de propriété intellectuelle», Propriété Industrielle – Revue mensuelle LexisNexis Jurisclasseur, novembre 2013, p. 21).
( 38 ) En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que l’avantage acquis par Jungpflanzen Grünewald du fait de la contrefaçon s’élève à 66703,14 euros, soit un montant très proche de celui de 66231,74 euros accordé à M. Hansson par le Landgericht Düsseldorf (tribunal régional de Düsseldorf) et fixé sur la base de la redevance usuelle (voir points 18 et 21 des présentes conclusions). L’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf) pourrait, dans l’exercice de sa
marge d’appréciation, tenir compte du solde de 471,4 euros, correspondant à la différence entre ces montants, aux fins d’estimer le préjudice résiduel subi par M. Hansson et non encore compensé par l’octroi d’une rémunération équitable.
( 39 ) Voir, en ce sens, Bouche, N., «Protection communautaire des obtentions végétales», Jurisclasseur – Droit International, mis à jour le 20 novembre 2014, point 225.
( 40 ) Certes, lorsque les bénéfices réalisés par le contrevenant font office de substitut pour évaluer le préjudice réellement subi par le titulaire, l’ampleur exacte de celui‑ci n’est, par hypothèse, pas connue. Cependant, si l’étendue de ce préjudice est établie, la seconde phrase du paragraphe 2 de l’article 94 du règlement no 2100/94 n’impose pas, selon moi, au juge national de calquer les dommages et intérêts sur ces bénéfices lorsque ceux‑ci dépassent le montant dudit préjudice.
( 41 ) Voir, en ce sens, Rodá, C., «Les conséquences civiles de la contrefaçon des droits de propriété industrielle», coll. du CEIPI, no 58, 2010, p. 243 et 244. Je note que, initialement, la proposition de directive COM(2003) 46 final, à son article 17 (p. 25 et 43), mentionnait aussi la possibilité pour les États membres de prévoir, à des fins de dissuasion, le recouvrement des bénéfices réalisés par le contrevenant dans la mesure où ceux‑ci n’étaient pas pris en compte dans le calcul des dommages
et intérêts. Cette disposition ne figure cependant pas dans la version finale de la directive 2004/48.
( 42 ) En particulier, il ne ressort pas de la décision de renvoi que l’application de règles nationales relatives à la restitution de tels bénéfices aurait été invoquée dans le cadre de la procédure au principal.
( 43 ) Cette dernière problématique est aussi soulevée dans le cadre de la cinquième question, sous a).
( 44 ) Proposition de directive COM(2003) 46 final, article 18, p. 26.
( 45 ) Dans certaines versions linguistiques, telles que celles en langues espagnole, danoise, française et italienne, la syntaxe dudit article 14 laisse à penser que les adjectifs «raisonnables et proportionnés» ne visent que les «frais de justice», à l’exception des «autres frais exposés» par la partie ayant obtenu gain de cause. Une telle ambiguïté ne ressort, en revanche, pas d’autres versions linguistiques, telles que celles en langues allemande («dass die Prozesskosten und sonstigen Kosten
[…], soweit sie zumutbar und angemessen sind»), anglaise («reasonable and proportionate legal costs and other expenses») ou néerlandaise («redelijke en evenredige gerechtskosten en andere kosten»). En cas de disparités entre les versions linguistiques d’une disposition législative de l’Union, celle‑ci doit être interprétée en fonction de l’économie et de la finalité de la réglementation dont elle fait partie (arrêt Endendijk, C‑187/07, EU:C:2008:197, points 22 à 24 et jurisprudence citée). Or, la
directive 2004/48 ne mentionne aucune considération expliquant que seul le remboursement des frais de justice soit plafonné. Je n’aperçois, d’ailleurs, aucune justification objective à une telle distinction. Dans ces conditions, je privilégie l’interprétation selon laquelle tant les frais de justice que les autres frais ne sont récupérables que pour autant qu’ils soient «raisonnables et proportionnés».
( 46 ) Article 69, paragraphe 1, de l’accord.
( 47 ) Certaines juridictions nationales admettraient cependant la répétibilité des frais de justice, voire également des frais de conseil technique, en tant qu’élément du préjudice réparable en cas de faute du contrevenant au titre des règles relatives à la responsabilité civile, le cas échéant sous réserve d’un encadrement par des considérations d’équité (voir le rapport de l’European Observatory on Counterfeiting and Piracy, «Damages in Intellectual Property Rights», disponible sous
http://ec.europa.eu/internal_market/iprenforcement/docs/damages_en.pdf, p. 66 à 96 du tableau synoptique, ainsi que Rodá, C., «Les conséquences civiles de la contrefaçon des droits de propriété industrielle», coll. du CEIPI, no 58, 2010, p. 213 à 218 et 321 à 327).
( 48 ) Dans l’affaire United Video Properties (C‑57/15), pendante devant la Cour, celle-ci est invitée à déterminer, en substance, si l’article 14 de la directive 2004/48 s’oppose à des dispositions nationales prévoyant un système de tarifs forfaitaires en matière de répétibilité des frais de représentation et subordonnant la restitution des frais de conseil technique à l’existence d’une faute du contrevenant.
( 49 ) European Observatory on Counterfeiting and Piracy, op. cit., p. 3 de la section «Analysis, recommendations and best practices», p. 9 de la section «Executive summary», ainsi que p. 66 à 81 du tableau synoptique.
( 50 ) Voir, en ce sens, arrêts Medipac‑Kazantzidis (C‑6/05, EU:C:2007:337, point 34) et Enterprise Focused Solutions (C‑278/14, EU:C:2015:228, point 17).
( 51 ) Cependant, ledit article 14 prescrit uniquement, à mon sens, l’indemnisation des frais liés à l’établissement de la contrefaçon en cause dans le cadre du cas d’espèce concerné. Les frais généraux de détection et de contrôle du marché, intervenant en amont et non spécifiques à une instance déterminée, peuvent cependant, en pratique, déjà se trouver intégrés dans le montant de la redevance usuelle pour la production sous licence (voir, en ce sens, les conclusions de l’avocat général Jääskinen
dans l’affaire Geistbeck, C‑509/10, EU:C:2012:187, points 64 et 72 à 74). C’est, à mon sens, dans cette optique que le considérant 26 de la directive 2004/48 indique que l’évaluation forfaitaire des dommages et intérêts sur la base de la redevance hypothétique permet de tenir compte des frais de recherche et d’identification exposés par le titulaire.
( 52 ) Arrêts Realchemie Nederland (C‑406/09, EU:C:2011:668, point 48) et Diageo Brands (C‑681/13, EU:C:2015:471, point 77).
( 53 ) C‑406/09, EU:C:2011:209, point 87.