ORDONNANCE DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE DE L’UNION EUROPÉENNE (deuxième chambre)
5 février 2016 ( *1 )
«Fonction publique — Fonctionnaires — Mise à la retraite d’office — Âge de départ à la retraite — Demande de maintien en activité au-delà de la limite d’âge — Article 52, deuxième alinéa, du statut — Intérêt du service — Article 82 du règlement de procédure — Fin de non-recevoir d’ordre public — Irrégularité de la procédure précontentieuse»
Dans l’affaire F‑107/15,
ayant pour objet un recours introduit au titre de l’article 270 TFUE, applicable au traité CEEA en vertu de son article 106 bis,
Ingrid Fedtke, ancienne fonctionnaire du Comité économique et social européen, demeurant à Wezembeek-Oppem (Belgique), représentée par Me M.-A. Lucas, avocat,
partie requérante,
contre
Comité économique et social européen (CESE), représenté par Mme K. Gambino, MM. A. Carvajal, L. Camarena Januzec et Mme X. Chamodraka, en qualité d’agents, assistés de Me B. Wägenbaur, avocat,
partie défenderesse,
LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE (deuxième chambre),
composé de MM. K. Bradley (rapporteur), président, H. Kreppel et Mme M. I. Rofes i Pujol, juges,
greffier : Mme W. Hakenberg,
rend la présente
Ordonnance
1 Par requête parvenue au greffe du Tribunal le 23 juillet 2015, Mme Fedtke a introduit le présent recours tendant, en substance, à l’annulation de la décision par laquelle le Comité économique et social européen (CESE) a rejeté sa demande de maintien en activité jusqu’à l’âge de 66 ans.
Cadre juridique
2 L’article 52 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut ») dispose :
« Sans préjudice des dispositions de l’article 50 [du statut], le fonctionnaire est mis à la retraite :
a) soit d’office, le dernier jour du mois durant lequel il atteint l’âge de 66 ans,
[…]
Toutefois, à sa demande et lorsque l’autorité investie du pouvoir de nomination considère que l’intérêt du service le justifie, un fonctionnaire peut rester en activité jusqu’à l’âge de 67 ans, voire, à titre exceptionnel, jusqu’à l’âge de 70 ans, auquel cas il est mis à la retraite d’office le dernier jour du mois au cours duquel il atteint cet âge.
[…] »
3 Selon l’article 23, paragraphe 1, de l’annexe XIII du statut :
« Lorsque l’article 52, [premier alinéa, sous] a), du statut s’applique et sans préjudice des dispositions de l’article 50 [du statut], le fonctionnaire entré en service avant le 1er janvier 2014 est mis à la retraite d’office le dernier jour du mois au cours duquel il atteint l’âge de 65 ans. […] »
Faits à l’origine du litige
4 La requérante, née le 3 mai 1949, est entrée au service du CESE le 1er août 1975. Au moment de sa mise à la retraite, le 31 décembre 2014, elle était fonctionnaire de grade AST 9.
5 Par note du 13 janvier 2014, adressée par la voie hiérarchique au secrétaire général faisant fonction du CESE, la requérante a demandé à être maintenue en activité jusqu’à l’âge de 66 ans, en application de l’article 52, deuxième alinéa, du statut.
6 Le même jour, le chef d’unité de la requérante a adressé une note au secrétaire général faisant fonction du CESE en affirmant que, compte tenu de l’expérience et des prestations de la requérante, son maintien en activité jusqu’à l’âge de 66 ans était « clairement » dans l’intérêt du service.
7 Par décision du 7 avril 2014, transmise le jour même à la requérante, le secrétaire général du CESE (ci-après le « secrétaire général ») a fixé la date de mise à la retraite de la requérante au 31 décembre 2014 (ci-après la « décision du 7 avril 2014 »).
8 Le 3 septembre 2014, la requérante a introduit une seconde demande visant à être maintenue en activité jusqu’à l’âge de 66 ans (ci-après la « demande du 3 septembre 2014 »). Cette demande a été suivie, le lendemain, par une note du chef d’unité de la requérante adressée au secrétaire général qui faisait valoir, premièrement, qu’une telle demande ne devait pas être considérée comme exceptionnelle, à la lumière du nouveau statut, et, deuxièmement, que, si elle était acceptée, elle permettrait à la
requérante de remplacer une de ses collègues, absente jusqu’au 1er juin 2015 pour cause de congé de maternité et de congé parental, tout en assurant la formation d’une nouvelle assistante qui serait recrutée sur son poste à compter du 1er janvier 2015.
9 Par note du 30 septembre 2014, le directeur de la direction des ressources humaines et des services intérieurs du CESE a informé la requérante que le secrétaire général l’avait chargé de répondre à la demande du 3 septembre 2014 et qu’après un « examen approfondi de la situation » il lui paraissait qu’il n’y avait pas de « raisons impérieuses de service » susceptibles de justifier son maintien en activité au-delà du 31 décembre 2014 (ci-après la « décision du 30 septembre 2014 »). Par la même
note, la requérante a été informée de ce que l’avis de son directeur, ses rapports de notation et l’avis de la commission paritaire sur sa demande de maintien en activité avaient été pris en considération par l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») lors de l’examen de sa demande du 13 janvier 2014.
10 Le 22 décembre 2014, la requérante a introduit une réclamation, en application de l’article 90, paragraphe 2, du statut, dirigée contre les décisions du 7 avril 2014 et du 30 septembre 2014. Cette réclamation a été rejetée par décision de l’AIPN du 22 avril 2015.
Conclusions des parties et procédure
11 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
— annuler les décisions du 7 avril 2014 et du 30 septembre 2014 ;
— annuler pour autant que de besoin la décision de l’AIPN du 22 avril 2015 portant rejet de la réclamation ;
— condamner le CESE aux dépens.
12 Le CESE conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
— rejeter le recours ;
— condamner la requérante aux dépens.
13 Par lettre du greffe du 3 décembre 2015, le Tribunal a informé les parties, conformément à l’article 82 du règlement de procédure, qu’il envisageait de soulever d’office la fin de non-recevoir d’ordre public tirée de l’irrégularité de la procédure administrative ayant précédé le recours en ce que, en l’absence de faits nouveaux et substantiels intervenus après la décision du 7 avril 2014, laquelle n’avait pas été contestée dans le délai statutaire, la décision du 30 septembre 2014 était purement
confirmative de la décision du 7 avril 2014.
14 Par mémoire d’observations parvenu au greffe du Tribunal le 18 décembre 2015, le CESE a indiqué au Tribunal que la fin de non-recevoir envisagée devait être reconnue et que le recours devait être rejeté comme manifestement irrecevable.
15 Par mémoire d’observations du 4 janvier 2016, la requérante a fait valoir que, après la décision du 7 avril 2014, plusieurs faits nouveaux étaient intervenus, de sorte qu’il lui était loisible de demander une révision de ladite décision, et a demandé au Tribunal de considérer son recours recevable.
En droit
16 En vertu de l’article 82 du règlement de procédure, le Tribunal peut à tout moment, d’office, les parties entendues, statuer sur les fins de non-recevoir d’ordre public. Si le Tribunal s’estime suffisamment éclairé, il peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d’ordonnance motivée.
17 En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier ainsi que par les réponses respectives des parties sur la fin de non-recevoir d’ordre public soumise à leurs observations et décide, en application de l’article 82 du règlement de procédure, de statuer sans poursuivre la procédure, par voie d’ordonnance motivée.
18 À titre liminaire, il convient de rappeler que la recevabilité d’un recours introduit devant le Tribunal, au titre de l’article 270 TFUE et de l’article 91 du statut, est subordonnée au déroulement régulier de la procédure précontentieuse et au respect des délais qu’elle prévoit (ordonnance du 22 avril 2015, ED/ENISA,F‑105/14, EU:F:2015:33, point 27).
19 À cet égard, les délais de réclamation et de recours, lesquels sont d’ordre public et ne sont ni à la disposition des parties ni à celle du juge, ont pour finalité de sauvegarder, au sein des institutions de l’Union, la sécurité juridique indispensable à leur bon fonctionnement, en évitant la remise en cause indéfinie des actes de l’Union entraînant des effets de droit, ainsi que d’éviter toute discrimination ou tout traitement arbitraire dans l’administration de la justice (voir, en ce sens,
arrêt du 25 février 2015, Walton/Commission,T‑261/14 P, EU:T:2015:110, point 37). Ainsi, la possibilité d’introduire une demande au sens de l’article 90, paragraphe 1, du statut ne saurait permettre au fonctionnaire d’écarter les délais prévus par les articles 90 et 91 du statut pour l’introduction de la réclamation et du recours, en mettant indirectement en cause, par le biais d’une telle demande ultérieure, une décision antérieure qui n’avait pas été contestée dans les délais (ordonnance du
22 juin 2015, van Oudenaarden/Parlement,F‑139/14, EU:F:2015:64, point 24, et la jurisprudence citée).
20 Seule l’existence de faits nouveaux et substantiels peut justifier la présentation d’une demande tendant au réexamen d’une décision qui n’a pas été contestée dans les délais prévus par les articles 90 et 91 du statut (arrêts du 6 juillet 2004, Huygens/Commission,T‑281/01, EU:T:2004:207, point 126 ; du 12 mars 2009, Lafleur Tighe/Commission,F‑24/07, EU:F:2009:24, point 56, et ordonnance du 22 juin 2015, van Oudenaarden/Parlement,F‑139/14, EU:F:2015:64, point 25).
21 Selon la jurisprudence, pour avoir un caractère « nouveau », il est nécessaire que ni le requérant ni l’administration n’aient eu ou n’aient été en mesure d’avoir connaissance du fait concerné au moment de l’adoption de la décision antérieure devenue définitive. Quant au caractère « substantiel », il est nécessaire que le fait concerné soit susceptible de modifier de façon substantielle la situation du requérant qui est à la base de la demande initiale ayant donné lieu à la décision antérieure
devenue définitive (arrêt du 12 mars 2009, Lafleur Tighe/Commission,F‑24/07, EU:F:2009:24, point 57).
22 Dans la présente affaire, il ressort du dossier, premièrement, que, par la décision du 7 avril 2014, l’AIPN a fait droit en partie seulement à la demande de la requérante, puisqu’elle n’a autorisé son maintien en activité que jusqu’au 31 décembre 2014, sans lui permettre de rester en fonctions du 1er janvier au 30 mai 2015 comme elle l’avait demandé.
23 Il s’ensuit que la décision du 7 avril 2014 fait grief à la requérante dans la mesure où elle lui refuse le maintien en activité au-delà du 31 décembre 2014 et que, en l’absence d’une réclamation dans le délai statutaire de trois mois, cette décision est devenue définitive (voir, en ce sens, ordonnance du 11 octobre 2012, Cervelli/Commission,T‑622/11 P, EU:T:2012:538, point 18).
24 Il y a donc lieu de rejeter comme irrecevables les conclusions dirigées contre la décision du 7 avril 2014.
25 Deuxièmement, pour ce qui est des conclusions dirigées contre la décision du 30 septembre 2014, le Tribunal constate que la demande du 3 septembre 2014 visait en substance au réexamen de la décision du 7 avril 2014, devenue définitive. Or, selon la jurisprudence rappelée aux points 20 et 21 de la présente ordonnance, seule l’existence de faits nouveaux et substantiels pouvait justifier la présentation de cette seconde demande.
26 À cet égard, bien que dans la demande du 3 septembre 2014 la requérante n’ait pas indiqué les faits nouveaux et substantiels susceptibles de justifier sa présentation, elle se prévaut toutefois, en référence à la note du 4 septembre 2014 de son chef d’unité, de la modification du statut et de l’absence, jusqu’au 1er juin 2015, d’une de ses collègues en raison d’un congé de maternité puis d’un congé parental.
27 Tout d’abord, il y a lieu de rappeler que le nouveau statut est entré en application le 1er janvier 2014, donc plus de quatre mois avant la décision du 7 avril 2014, de sorte que, en tout état de cause, un tel événement ne peut être considéré comme un fait nouveau pouvant permettre à la requérante de demander le réexamen de la décision du 7 avril 2014.
28 Ensuite, pour ce qui est de l’absence de la collègue de la requérante, force est de constater que celle-ci n’a fourni, ni dans sa requête ni dans ses observations du 4 janvier 2016 sur l’application éventuelle de l’article 82 du règlement de procédure, la moindre information quant à la date à laquelle l’administration avait pris ou aurait pu prendre connaissance de ce que cette personne allait partir en congé de maternité puis en congé parental, ni quant à la durée totale de ces congés ou à la
situation familiale de cette personne.
29 Étant donné que, selon l’article 58 du statut, les femmes enceintes ont droit à un congé de vingt semaines et que, selon l’article 42 bis du statut, un congé parental peut durer jusqu’à six mois, ou douze mois dans certains cas, pour chaque enfant, le Tribunal ne peut pas exclure qu’au moment d’adopter sa décision, le 7 avril 2014, l’administration avait déjà connaissance de l’absence future de la collègue de la requérante, voire que celle-ci était déjà absente de son travail. En effet, comme l’a
fait remarquer le CESE, la date approximative d’un accouchement est en règle générale connue plusieurs mois à l’avance. On peut s’attendre à ce qu’un fonctionnaire qui prévoit de s’absenter pendant une longue période prévienne sa hiérarchie longtemps à l’avance de la date du début de ses congés ainsi que de leur présumée durée.
30 Dans ces circonstances, la requérante n’a pas établi que l’absence de sa collègue était un fait nouveau dont ni elle-même ni l’administration n’avaient eu connaissance ou n’avaient été en mesure d’avoir connaissance au moment de l’adoption de la décision du 7 avril 2014.
31 Par conséquent, contrairement à ce que la requérante prétend, la demande de réexamen de la décision du 7 avril 2014, devenue définitive, n’était justifiée par aucun fait nouveau et substantiel.
32 La procédure précontentieuse n’ayant pas suivi un cours régulier, doivent être rejetées comme irrecevables les conclusions dirigées contre la décision du 30 septembre 2014, ainsi que les conclusions subsidiaires dirigées contre la décision de l’AIPN du 22 avril 2015 portant rejet de la réclamation introduite contre les décisions du 7 avril 2014 et du 30 septembre 2014.
33 Il y a donc lieu de rejeter le recours dans son ensemble comme étant irrecevable.
Sur les dépens
34 Aux termes de l’article 101 du règlement de procédure, sous réserve des autres dispositions du chapitre huitième du titre deuxième dudit règlement, toute partie qui succombe supporte ses propres dépens et est condamnée aux dépens exposés par l’autre partie, s’il est conclu en ce sens. En vertu de l’article 102, paragraphe 1, du même règlement, le Tribunal peut décider, lorsque l’équité l’exige, qu’une partie qui succombe supporte ses propres dépens, mais n’est condamnée que partiellement aux
dépens exposés par l’autre partie, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre.
35 Il résulte des motifs énoncés dans la présente ordonnance que la requérante a succombé en son recours. En outre, le CESE a, dans ses conclusions, expressément demandé que la requérante soit condamnée aux dépens. Les circonstances de l’espèce ne justifiant pas l’application des dispositions de l’article 102, paragraphe 1, du règlement de procédure, la requérante doit supporter ses propres dépens et est condamnée à supporter les dépens exposés par le CESE.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE (deuxième chambre)
ordonne :
1) Le recours est rejeté comme irrecevable.
2) Mme Fedtke supporte ses propres dépens et est condamnée à supporter les dépens exposés par le Comité économique et social européen.
Fait à Luxembourg, le 5 février 2016.
Le greffier
W. Hakenberg
Le président
K. Bradley
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
( *1 ) Langue de procédure : le français.