ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)
3 mars 2016 (*)
«Pourvoi – Médicaments orphelins – Règlement (CE) n° 141/2000 – Règlement (CE) n° 847/2000 – Refus d’autorisation de mise sur le marché de la version générique du médicament orphelin imatinib mésilate»
Dans l’affaire C‑138/15 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 23 mars 2015,
Teva Pharma BV, établie à Utrecht (Pays-Bas),
Teva Pharmaceuticals Europe BV, établie à Utrecht,
représentées par M^me K. Bacon, QC, M^me E. MacKenzie, barristers, ainsi que par M. G. Morgan, solicitor,
parties requérantes,
les autres parties à la procédure étant:
Agence européenne des médicaments (EMA), représentée par M^mes N. Rampal Olmedo et M. Tovar Gomis ainsi que par MM. S. Marino et T. Jabłoński, en qualité d’agents,
partie défenderesse en première instance,
Commission européenne, représentée par M. A. Sipos et M^me M. Šimerdová, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie intervenante en première instance,
LA COUR (sixième chambre),
composée de M. A. Arabadjiev, président de chambre, MM. J.‑C. Bonichot et C. G. Fernlund (rapporteur), juges,
avocat général: M. P. Mengozzi,
greffier: M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par leur pourvoi, Teva Pharma Europe BV et Teva Pharmaceuticals Europe BV, sociétés de droit néerlandais (ci-après, ensemble, les sociétés «Teva»), demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 22 janvier 2015, Teva Pharma et Teva Pharmaceuticals Europe/EMA (T‑140/12, EU:T:2015:41, ci‑après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté leur recours tendant à l’annulation de la décision de l’Agence européenne des médicaments (EMA), du 24 janvier 2012, portant
rejet de leur demande d’autorisation de mise sur le marché de la version générique du médicament orphelin imatinib mésilate, en ce qui concerne des indications thérapeutiques relevant du traitement de la leucémie myéloïde chronique (ci-après la «décision litigieuse»).
Le cadre juridique
Le règlement (CE) n° 141/2000
2 Le règlement (CE) n° 141/2000 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1999, concernant les médicaments orphelins (JO 2000, L 18, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) n° 596/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juin 2009 (JO L 188, p. 14), prévoit des procédures concernant la désignation de médicaments en tant que médicaments orphelins et l’autorisation de mise sur le marché (ci-après l’«AMM») de ces médicaments.
3 Le considérant 8 du règlement n° 141/2000 énonce:
«[D]’après l’expérience acquise aux États-Unis d’Amérique et au Japon, la mesure d’incitation la plus efficace pour amener l’industrie pharmaceutique à investir dans le développement et la commercialisation de médicaments orphelins est la perspective d’obtenir une exclusivité commerciale pendant un certain nombre d’années au cours desquelles une partie de l’investissement pourrait être récupérée; de ce point de vue, les dispositions relatives à la protection des données prévues à l’article 4,
paragraphe 8, point a) iii), de la directive 65/65/CEE du Conseil du 26 janvier 1965 concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives aux médicaments [(JO 1965, 22, p. 369)] ne sont pas suffisamment incitatives; les États membres agissant séparément ne peuvent arrêter cette mesure sans lui conférer une dimension communautaire, car une telle disposition serait contraire à la directive 65/65/CEE; l’adoption de telles mesures en ordre dispersé par
les États membres créerait des entraves au commerce intracommunautaire, lesquelles entraîneraient des distorsions de concurrence et contrecarreraient le marché unique; il convient cependant de limiter l’exclusivité commerciale à l’indication thérapeutique pour laquelle la désignation de médicament orphelin a été obtenue, sans porter atteinte aux droits de propriété intellectuelle existants, et, dans l’intérêt des patients, il importe que l’exclusivité commerciale accordée à un médicament orphelin
n’empêche pas la mise sur le marché d’un médicament similaire pouvant procurer un bénéfice notable aux personnes souffrant de telles affections.»
4 L’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 141/2000 est libellé comme suit:
«Un médicament obtient la désignation de médicament orphelin si son promoteur peut établir:
a) qu’il est destiné au diagnostic, à la prévention ou au traitement d’une affection entraînant une menace pour la vie ou une invalidité chronique ne touchant pas plus de cinq personnes sur dix mille dans [l’Union], au moment où la demande est introduite, ou
qu’il est destiné au diagnostic, à la prévention ou au traitement, dans [l’Union], d’une maladie mettant la vie en danger, d’une maladie très invalidante ou d’une affection grave et chronique, et qu’il est peu probable que, en l’absence de mesures d’incitation, la commercialisation de ce médicament dans [l’Union] génère des bénéfices suffisants pour justifier l’investissement nécessaire
et
b) qu’il n’existe pas de méthode satisfaisante de diagnostic, de prévention ou de traitement de cette affection ayant été autorisée dans [l’Union], ou, s’il en existe, que le médicament en question procurera un bénéfice notable à ceux atteints de cette affection.»
5 En vertu de la procédure décrite à l’article 5 de ce règlement, un médicament désigné par la Commission européenne comme orphelin est inscrit au registre communautaire des médicaments orphelins.
6 L’article 8 dudit règlement prévoit:
«1. Lorsqu’une [AMM] est accordée pour un médicament orphelin en application du règlement (CEE) n° 2309/93 [du Conseil, du 22 juillet 1993, établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance des médicaments à usage humain et à usage vétérinaire et instituant une agence européenne pour l’évaluation des médicaments (JO L 241, p. 1),] ou lorsque tous les États membres ont accordé une [AMM] pour ce médicament, conformément aux procédures de reconnaissance mutuelle
prévues aux articles 7 et 7 bis de la directive 65/65/CEE ou à l’article 9, paragraphe 4, de la directive 75/319/CEE du Conseil du 20 mai 1975 concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives aux médicaments [(JO L 147, p. 13)], et sans préjudice des dispositions du droit de la propriété intellectuelle ou de toute autre disposition de droit [de l’Union], [l’Union] et les États membres s’abstiennent, pendant dix ans, eu égard à la même indication
thérapeutique, d’accepter une autre demande d’[AMM], d’accorder une [AMM] ou de faire droit à une demande d’extension d’une [AMM] existante pour un médicament similaire.
[...]
3. Par dérogation au paragraphe 1 et sans préjudice des dispositions du droit de la propriété intellectuelle ou de toute autre disposition de droit [de l’Union], un médicament similaire peut se voir accorder une [AMM], pour la même indication thérapeutique, dans l’un des cas suivants:
a) le titulaire de l’[AMM] du médicament orphelin initial a donné son consentement au second demandeur ou
b) le titulaire de l’[AMM] du médicament orphelin initial n’est pas en mesure de fournir ce médicament en quantité suffisante ou
c) le second demandeur peut établir, dans sa demande, que le second médicament, quoique similaire au médicament orphelin déjà autorisé, est plus sûr, plus efficace ou cliniquement supérieur sous d’autres aspects.
4. La Commission arrête les définitions des expressions ‘médicament similaire’ et ‘supériorité clinique’ sous forme d’un règlement d’application.
[...]»
Le règlement (CE) n° 847/2000
7 L’article 3, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 847/2000 de la Commission, du 27 avril 2000, établissant les dispositions d’application des critères de désignation d’un médicament en tant que médicament orphelin et définissant les concepts de «médicament similaire» et de «supériorité clinique» (JO L 103, p. 5), dispose:
«Aux fins de l’application de l’article 3 du règlement [...] n° 141/2000 concernant les médicaments orphelins, on entend par:
– ‘bénéfice notable’, un avantage important sur le plan clinique ou une contribution majeure aux soins prodigués au patient.»
Les antécédents du litige
8 Il ressort des points 10 à 20 de l’arrêt attaqué que, par une décision du 14 février 2001, la Commission a désigné l’imatinib mésilate (ci‑après l’«imatinib») comme médicament orphelin pour le traitement de la leucémie myéloïde chronique (ci‑après la «LMC») et l’a inscrit au registre communautaire des médicaments orphelins, en vertu de l’article 5, paragraphe 9, du règlement n° 141/2000.
9 Le 7 novembre 2001, la Commission a délivré à Novartis une AMM de l’imatinib, sous le nom commercial Glivec, pour le traitement de patients adultes atteints de la LMC en phase chronique après échec du traitement par l’interféron alpha, ou en phase accélérée ou en crise blastique. Ultérieurement, la Commission a étendu les termes de cette AMM à d’autres conditions orphelines. Conformément à l’article 8 du règlement n° 141/2000, la période d’exclusivité du Glivec a expiré le 12 novembre 2011.
10 Le 22 mai 2006, la Commission a désigné et a inscrit en tant que médicament orphelin le nilotimib, un médicament destiné au traitement de la LMC, vendu sous le nom commercial Tasigna et développé par le titulaire de l’AMM du Glivec. Ce dernier, dans le cadre de la procédure d’AMM du Tasigna, a déclaré à l’EMA avoir donné son consentement à ce que soit accordée une AMM de ce médicament similaire, pour les mêmes indications thérapeutiques que celles couvertes par l’AMM du Glivec, conformément
à l’article 8, paragraphe 3, sous a), du règlement n° 141/2000.
11 Le 19 novembre 2007, la Commission a pris une décision d’AMM du Tasigna, pour le traitement des patients adultes atteints de la LMC en phase chronique et en phase accélérée, résistants ou intolérants à un traitement antérieur incluant le Glivec. Cette décision a fait l’objet d’une mention au Journal officiel de l’Union européenne le 28 décembre 2007 (JO C 316, p. 48).
12 Le 20 décembre 2010, la Commission a étendu les termes de cette AMM au traitement de patients adultes ayant une LMC en phase chronique nouvellement diagnostiquée. La décision correspondante a été mentionnée au Journal officiel de l’Union européenne du 25 février 2011 (JO C 61, p. 1).
13 Le 5 janvier 2012, Teva Pharmaceuticals Europe BV a introduit, au nom de Teva Pharma BV, une demande d’AMM d’une version générique du Glivec. Cette demande visait, entre autres, certaines indications thérapeutiques relevant du traitement de la LMC couvertes par l’AMM du Tasigna.
14 Par la décision litigieuse, l’EMA a refusé de faire droit à cette demande, en ce qu’elle visait des indications thérapeutiques relevant de la LMC, pour lesquelles le Tasigna bénéficiait d’une AMM, au motif que ces indications thérapeutiques étaient encore protégées au titre de l’exclusivité commerciale prévue à l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 141/2000.
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
15 Le 28 mars 2012, les sociétés Teva ont introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.
16 Par une ordonnance du président de la première chambre du Tribunal du 6 septembre 2012, la Commission a été admise à intervenir au soutien de l’EMA.
17 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours des sociétés Teva et condamné celles-ci aux dépens.
Les conclusions des parties
18 Les sociétés Teva demandent à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué ainsi que la décision litigieuse et de condamner l’EMA aux dépens.
19 L’EMA et la Commission demandent à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner les sociétés Teva aux dépens.
Sur le pourvoi
Sur la première branche du moyen unique du pourvoi, tirée d’une erreur de droit dans l’interprétation des conditions d’application de la période d’exclusivité commerciale de dix ans
Argumentation des parties
20 Teva critique l’interprétation du règlement n° 141/2000 retenue par le Tribunal au point 78 de l’arrêt attaqué et conteste qu’une AMM, accordée en application de l’article 8, paragraphe 3, du règlement n° 141/2000, puisse bénéficier d’une période d’exclusivité commerciale au titre de l’article 8, paragraphe 1, de ce règlement. Cette interprétation méconnaîtrait l’objectif poursuivi à l’article 8, paragraphe 3, dudit règlement, qui serait de protéger un médicament similaire, en dépit de
l’exclusivité commerciale prévue à l’article 8, paragraphe 1, du même règlement. En tant qu’il constitue une dérogation, cet article 8, paragraphe 3, devrait faire l’objet d’une interprétation stricte. Il ne pourrait être compris comme donnant droit à l’exclusivité commerciale prévue audit article 8, paragraphe 1.
21 En outre, l’interprétation retenue par le Tribunal serait contraire à l’économie de l’article 8 du règlement n° 141/2000. Le paragraphe 1 de cet article viserait à conférer un avantage au premier médicament orphelin autorisé pour une indication particulière, cet avantage prenant la forme d’une exclusivité commerciale. Or, la notion d’exclusivité impliquerait qu’un seul médicament puisse en bénéficier. Si le législateur avait entendu conférer une exclusivité commerciale à plusieurs
médicaments en même temps, il l’aurait prévu par une disposition explicite, ainsi qu’en attesterait l’exposé des motifs de la proposition de règlement (CE) du Parlement européen et du Conseil concernant les médicaments orphelins, présentée par la Commission le 28 juillet 1998 (JO C 276, p. 7).
22 Les sociétés Teva soutiennent que l’interprétation retenue par le Tribunal induit certaines tensions. En particulier, l’article 8, paragraphe 3, sous a), du règlement n° 141/2000 prévoirait expressément qu’un médicament peut être autorisé avec le consentement du titulaire de l’AMM du médicament orphelin initial. Elles font toutefois observer que, dans l’hypothèse où la Commission a déjà délivré à un tiers une AMM pour un deuxième médicament orphelin similaire bénéficiant lui-même d’une
exclusivité commerciale, les dispositions des paragraphes 1 et 3 de l’article 8 de ce règlement entreraient directement en conflit.
23 En effet, le titulaire de l’AMM du premier médicament orphelin serait privé de la possibilité de consentir à la mise sur le marché du médicament, alors que le consentement du titulaire de l’AMM du deuxième médicament serait requis. Or, lorsque les titulaires d’AMM sont des entités indépendantes, il serait peu probable, en pratique, qu’un tel consentement soit accordé. Les sociétés Teva soulignent que le titulaire de l’AMM du deuxième médicament perdrait également la possibilité de consentir
à une demande ultérieure d’AMM pour un médicament similaire, puisque cette demande se heurterait alors à l’exclusivité commerciale dont bénéficie le premier médicament.
24 L’absence de tout élément figurant à cet article 8, visant à résoudre de tels conflits, démontrerait que le législateur n’a pas envisagé ces situations.
25 L’EMA et la Commission soutiennent que l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 141/2000 s’applique à tout médicament désigné comme orphelin, conformément aux critères fixés à l’article 3 du règlement n° 141/2000.
Appréciation de la Cour
26 Il y a lieu de relever que, au point 78 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que «l’[AMM] accordée à un médicament orphelin pour les mêmes indications thérapeutiques que celles pour lesquelles la mise sur le marché d’un médicament orphelin initial a été autorisée, même pour l’un des motifs visés à l’article 8, paragraphe 3, du règlement n° 141/2000, entraîne de plein droit une exclusivité commerciale de dix ans, prévue à l’article 8, paragraphe 1, du même règlement».
27 À cet égard, il convient de rappeler que, pour inciter l’industrie pharmaceutique à promouvoir la recherche, le développement et la commercialisation de médicaments orphelins, le règlement n° 141/2000 offre aux promoteurs de ces médicaments la perspective d’obtenir une exclusivité commerciale pendant un certain nombre d’années. Conformément à cet objectif, rappelé au considérant 8 dudit règlement, l’article 8, paragraphe 1, de ce dernier prévoit que, «lorsqu’une [AMM] est accordée pour un
médicament orphelin [...], [l’Union] et les États membres s’abstiennent pendant dix ans, eu égard à la même indication thérapeutique, d’accepter une autre demande d’[AMM], d’accorder une [AMM] ou de faire droit à une demande d’extension d’une [AMM] existante pour un médicament similaire».
28 Le règlement n° 141/2000 vise néanmoins à encadrer cette période d’exclusivité, en vue, comme il ressort du considérant 8 de ce règlement, de ne pas porter atteinte aux droits de propriété intellectuelle existants et, dans l’intérêt des patients, de ne pas empêcher la mise sur le marché d’un médicament similaire au médicament orphelin, pouvant procurer un bénéfice notable aux personnes souffrant des affections concernées.
29 C’est ainsi que l’article 8, paragraphe 3, du règlement n° 141/2000 prévoit qu’il est possible de déroger à la période décennale d’exclusivité et d’accorder à un médicament similaire une AMM, pour la même indication thérapeutique, et ce dans trois cas, à savoir lorsque le titulaire de l’AMM du médicament orphelin initial y consent, ou n’est pas en mesure de fournir ce médicament en quantité suffisante, ou lorsque le second demandeur peut établir que son médicament, «quoique similaire au
médicament orphelin déjà autorisé, est plus sûr, plus efficace ou cliniquement supérieur sous d’autres aspects».
30 Aucune des dispositions susmentionnées n’exclut expressément une AMM octroyée sur le fondement du paragraphe 3 de l’article 8 du règlement n° 141/2000 du bénéfice de la période d’exclusivité décennale prévue au paragraphe 1 de cet article. C’est donc à bon droit que le Tribunal a relevé, au point 73 de l’arrêt attaqué, que rien n’est indiqué en ce qui concerne la question de savoir si l’autorisation visée au paragraphe 3 de l’article 8 de ce règlement confère ou non au médicament similaire
une exclusivité commerciale et, au point 78 de cet arrêt, que ledit règlement ne comporte pas d’éléments qui indiquent que l’application du paragraphe 3 de son article 8 exclut celle du paragraphe 1 de cet article.
31 Il ressort en outre de ces éléments que, alors que l’exclusivité commerciale prévue à l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 141/2000 est réservée aux seuls médicaments orphelins, les dérogations limitativement énumérées à l’article 8, paragraphe 3, de ce règlement concernent tout médicament similaire, au sens du règlement n° 847/2000, qu’il soit orphelin ou non. Ainsi que le Tribunal l’a souligné à bon droit au point 80 de l’arrêt attaqué, il n’existe pas de disposition du règlement
n° 141/2000 qui prévoie la possibilité d’écarter le mécanisme d’exclusivité commerciale décennale pour des médicaments orphelins dont la mise sur le marché a été autorisée pour certaines indications thérapeutiques, à l’exception des situations prévues à l’article 8, paragraphe 2, du même règlement. Par conséquent, lorsqu’un médicament similaire bénéficiant d’une AMM au titre de l’article 8, paragraphe 3, du règlement n° 141/2000 est un médicament orphelin, il bénéficie de l’exclusivité commerciale
prévue à l’article 8, paragraphe 1, de ce règlement.
32 Contrairement à ce que prétendent les sociétés Teva, cette interprétation n’est ni illogique ni contraire à la finalité et à l’économie de l’article 8 du règlement n° 141/2000. En effet, les paragraphes 1 et 3 de cet article 8 ont des champs d’application et des finalités différents, bien que complémentaires. Le fait qu’un médicament orphelin bénéficie de la période d’exclusivité commerciale prévue à l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 141/2000 ne s’oppose pas à ce qu’un second
médicament similaire, autorisé conformément à l’article 8, paragraphe 3, de ce règlement, bénéficie à son tour de la période d’exclusivité commerciale, dès lors qu’il répond également aux conditions requises à l’article 3, paragraphe 1, dudit règlement pour être désigné comme médicament orphelin.
33 Le Tribunal a, dès lors, jugé, à bon droit, au point 80 de l’arrêt attaqué, que c’est précisément pour garantir le but poursuivi par le règlement n° 141/2000, à savoir inciter à l’investissement en recherche et en développement et à la commercialisation de médicaments orphelins, que l’exclusivité commerciale doit être accordée dans tous les cas où un médicament orphelin fait l’objet d’une AMM.
34 Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la première branche du moyen unique du pourvoi n’est pas fondée et doit être rejetée.
Sur la deuxième branche du moyen unique du pourvoi, tirée d’une erreur de droit dans l’interprétation du terme de la période d’exclusivité commerciale
Argumentation des parties
35 Les sociétés Teva contestent l’appréciation par laquelle le Tribunal a jugé, au point 74 de l’arrêt attaqué, que, «si le médicament [similaire] est lui-même un médicament orphelin, l’exclusivité commerciale décennale qui lui est accordée en vertu de l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 141/2000 ne saurait être raccourcie du fait qu’il existe un médicament orphelin dont la mise sur le marché a été autorisée pour les mêmes indications thérapeutiques et qui bénéficie d’une exclusivité
commerciale pour ces indications thérapeutiques» et que, «[d]e même, l’exclusivité commerciale de ce dernier n’est pas prorogée du fait de l’[AMM] du deuxième médicament».
36 Les sociétés Teva estiment que cette interprétation est manifestement contraire à l’objectif poursuivi à l’article 8 du règlement n° 141/2000, car elle conduirait, en pratique, à prolonger la période d’exclusivité commerciale au-delà de son terme décennal. Elles soulignent ainsi que, si l’AMM du Tasigna avait été délivrée le 11 novembre 2011, cette interprétation aboutirait à conférer une exclusivité commerciale jusqu’au 11 novembre 2021, soit pour une durée de 20 ans au cours de laquelle
aucun générique ne pourrait être mis sur le marché. Une telle prorogation de l’exclusivité commerciale serait d’autant moins justifiée qu’elle n’aurait pas été possible si le Tasigna avait présenté un caractère novateur suffisamment important pour ne pas être considéré comme similaire, au sens du règlement n° 847/2000. Paradoxalement, la décision litigieuse aurait donc pour conséquence de ne pas permettre à une version générique du Glivec de bénéficier d’une exclusivité commerciale après l’octroi à
Novartis d’une AMM d’un médicament différent, alors que cette société pourrait bénéficier d’une telle exclusivité pour un médicament similaire. Cette analyse créerait des incitations «perverses» pour que les entreprises développent une série de médicaments orphelins légèrement différents, mais néanmoins similaires, bénéficiant d’une prorogation du terme de l’exclusivité commerciale normalement limitée à dix ans.
37 L’EMA et la Commission font valoir qu’il n’y a pas d’extension formelle de la période d’exclusivité du premier médicament orphelin. L’octroi ultérieur d’une AMM pour un médicament orphelin similaire n’aurait aucune incidence sur la décision de radiation du premier médicament du registre des médicaments orphelins, au terme de la période d’exclusivité décennale.
Appréciation de la Cour
38 Ainsi qu’il a été rappelé au point 31 du présent arrêt, lorsqu’un médicament similaire bénéficiant d’une AMM au titre de l’article 8, paragraphe 3, du règlement n° 141/2000 est un médicament orphelin, il bénéficie de l’exclusivité commerciale prévue à l’article 8, paragraphe 1, de ce règlement. Conformément à l’objectif poursuivi par le règlement n° 141/2000, consistant à inciter l’industrie pharmaceutique à promouvoir la recherche, le développement et la commercialisation de médicaments
orphelins au moyen d’une période d’exclusivité commerciale, l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 141/2000 ne prévoit aucune exception à cette durée ou modification de celle-ci. Le Tribunal a ainsi relevé, à bon droit, au point 70 de l’arrêt attaqué, qu’«aucune prorogation de cette période d’exclusivité n’[est] prévue et [que] la réduction de ladite période [est] limitée, en application de l’article 8, paragraphe 2, du règlement n° 141/2000, aux situations dans lesquelles il est établi que le
médicament en question ne réunit plus les conditions de l’article 3, paragraphe 1, du même règlement».
39 Dès lors, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a jugé, au point 74 de l’arrêt attaqué, que l’exclusivité commerciale décennale accordée à un médicament orphelin, en vertu de l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 141/2000, «ne saurait être raccourcie du fait qu’il existe un médicament orphelin dont la mise sur le marché a été autorisée pour les mêmes indications thérapeutiques et qui bénéficie d’une exclusivité commerciale pour ces indications thérapeutiques» et que,
«[d]e même, l’exclusivité commerciale de ce dernier n’est pas prorogée du fait de l’[AMM] du [médicament similaire]».
40 Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la deuxième branche du moyen unique du pourvoi n’est pas fondée et doit être rejetée.
Sur la troisième branche du moyen unique du pourvoi, tirée d’un défaut d’examen de l’argumentation subsidiaire invoquée par les sociétés Teva
Argumentation des parties
41 Les sociétés Teva reprochent au Tribunal d’avoir dénaturé le sens de leur argumentation subsidiaire et de ne pas y avoir répondu. Selon le point 79 de l’arrêt attaqué, ces sociétés soutenaient que, «dans l’hypothèse où un deuxième médicament orphelin similaire dont la mise sur le marché a été autorisée pour les mêmes indications thérapeutiques que celles pour lesquelles la mise sur le marché d’un médicament orphelin initial avait été autorisée pourrait bénéficier d’une période d’exclusivité
commerciale de dix ans indépendante de celle dont bénéficie le médicament orphelin initial, cette exclusivité ne saurait faire obstacle qu’à l’[AMM] des produits semblables au deuxième médicament».
42 Les sociétés Teva estiment que cette description ne reflète pas fidèlement les points 42 à 44 de leur requête présentée devant le Tribunal et le point 38 de leur réplique, par lesquels elles soutenaient que l’exclusivité commerciale accordée à un deuxième médicament devait seulement empêcher l’autorisation de médicaments qui lui sont similaires tout en n’étant pas similaires au premier médicament orphelin. Même si l’article 8 du règlement n° 141/2000 peut être interprété comme prévoyant, en
principe, une période d’exclusivité commerciale autonome pour le deuxième médicament, il devrait exister une exception à cette exclusivité commerciale, afin de permettre l’autorisation d’une version générique du premier médicament, une fois que la période d’exclusivité de ce dernier a expiré.
43 L’EMA s’interroge sur la recevabilité de cette troisième branche du moyen unique du pourvoi en ce qu’elle viserait une appréciation factuelle. Elle soutient, à l’instar de la Commission, que cette branche est, en tout état de cause, non fondée, le Tribunal n’ayant pas dénaturé les écritures des sociétés Teva.
Appréciation de la Cour
44 Il ressort du point 42 de ladite requête que les sociétés Teva soutenaient que l’exclusivité commerciale dont bénéficie un deuxième médicament orphelin ne s’oppose pas à l’octroi d’une AMM pour un médicament similaire au premier médicament orphelin. Au point 58 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que les requérantes faisaient valoir, à titre subsidiaire, que, même dans l’hypothèse où un médicament orphelin similaire autorisé en vertu de la dérogation figurant à l’article 8,
paragraphe 3, du règlement n° 141/2000 pourrait bénéficier d’une période indépendante de dix ans d’exclusivité commerciale, cette exclusivité ne saurait faire obstacle qu’à l’AMM des produits semblables audit médicament seulement et qu’une telle exclusivité ne saurait empêcher l’AMM de médicaments semblables au premier médicament orphelin autorisé, notamment des versions génériques de celui-ci, après l’expiration de la période d’exclusivité commerciale de ce premier médicament orphelin. Ce faisant,
le Tribunal n’a nullement dénaturé les arguments des sociétés Teva tels que rappelés au point 42 du présent arrêt.
45 Cette argumentation ayant été écartée pour les motifs exposés au point 79 de l’arrêt attaqué, il ne peut être reproché au Tribunal d’avoir omis de statuer.
46 Il s’ensuit que la troisième branche du moyen unique du pourvoi est manifestement non fondée. Par conséquent, il y a lieu de rejeter le pourvoi.
Sur les dépens
47 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui‑ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
48 L’EMA ayant conclu à la condamnation des sociétés Teva et celles-ci ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par l’EMA.
49 Conformément à l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, la Commission, qui est intervenue au litige, supportera ses propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) déclare et arrête:
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Teva Pharma BV et Teva Pharmaceuticals Europe BV sont condamnées à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par l’Agence européenne des médicaments (EMA).
3) La Commission européenne supporte ses propres dépens.
Signatures
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* Langue de procédure: l’anglais.