ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
7 juillet 2016 ( *1 )
«Renvoi préjudiciel — Politique agricole commune — Règlement (CE) no 1698/2005 — Règlement (UE) no 65/2011 — Financement par le Feader — Soutien au développement rural — Règles d’éligibilité des opérations et des dépenses — Condition temporelle — Exclusion complète — Réduction de l’aide»
Dans l’affaire C‑111/15,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Upravno sodišče (Tribunal administratif, Slovénie), par décision du 10 février 2015, parvenue à la Cour le 4 mars 2015, dans la procédure
Občina Gorje
contre
Republika Slovenija,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. J. L. da Cruz Vilaça, président de chambre, MM. F. Biltgen, A. Borg Barthet, E. Levits (rapporteur) et Mme M. Berger, juges,
avocat général : M. H. Saugmandsgaard Øe,
greffier : M. M. Aleksejev, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 28 janvier 2016,
considérant les observations présentées :
— pour l’Občina Gorje, par Me A. Mužina, odvetnik,
— pour le gouvernement slovène, par Mme V. Klemenc, en qualité d’agent, assistée de Mme B. Jovin Hrastnik, conseiller juridique,
— pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,
— pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme S. Simmons, en qualité d’agent, assistée de M. G. Facenna, QC,
— pour la Commission européenne, par Mmes J. Aquilina et B. Rous Demiri, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 20 avril 2016,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 71 du règlement (CE) no 1698/2005 du Conseil, du 20 septembre 2005, concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) (JO 2005, L 277, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant l’Občina Gorje (commune de Gorje, Slovénie) à la Republika Slovenija (République de Slovénie) au sujet du refus opposé à cette commune de lui verser une aide au titre d’un programme de développement rural cofinancé par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader).
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Le considérant 61 du règlement no 1698/2005 était libellé comme suit :
« Il convient, conformément au principe de subsidiarité, que, sous réserve d’exceptions, les règles nationales pertinentes régissent l’éligibilité des dépenses. »
4 Aux termes de l’article 71 de ce règlement :
« 1. Sans préjudice des dispositions de l’article 39, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1290/2005, une dépense est éligible pour la participation du Feader si l’aide y afférente est effectivement payée par l’organisme payeur entre le 1er janvier 2007 et le 31 décembre 2015. Les opérations cofinancées ne devraient pas être achevées avant la date de début d’éligibilité.
Une nouvelle dépense introduite lors de la révision d’un programme visée à l’article 19 est éligible à partir de la date de réception de la demande de modification du programme par la Commission.
2. Les dépenses ne sont éligibles pour la participation du Feader que si elles sont effectuées pour des opérations décidées par l’autorité de gestion du programme concerné ou sous sa responsabilité, selon les critères de sélection fixés par l’organe compétent.
3. Les règles d’éligibilité des dépenses sont fixées au niveau national, sous réserve des conditions particulières établies au titre du présent règlement pour certaines mesures de développement rural.
[…] »
5 L’article 74, paragraphe 1, dudit règlement disposait :
« Les États membres prennent toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives […] pour assurer une protection efficace des intérêts financiers de [l’Union]. »
6 Le règlement no 1698/2005 a fait l’objet de deux règlements d’application successifs. Le règlement (CE) no 1975/2006 de la Commission, du 7 décembre 2006 (JO 2006, L 368, p. 74), puis le règlement (UE) no 65/2011 de la Commission, du 27 janvier 2011 (JO 2011, L 25, p. 8), qui a abrogé le précédent.
7 L’article 30 du règlement no 65/2011 prévoit :
« 1. Les paiements sont calculés en fonction de ce qui est jugé admissible lors des contrôles administratifs.
L’État membre examine la demande de paiement reçue du bénéficiaire et établit les montants admissibles à l’aide. Il fixe :
a) le montant payable au bénéficiaire sur la seule base de la demande de paiement ;
b) le montant payable au bénéficiaire après la vérification de l’admissibilité de la demande de paiement.
Si le montant établi conformément au point a) dépasse le montant établi conformément au point b) de plus de 3 %, une réduction est appliquée au montant établi conformément au point b). Le montant de la réduction correspond à la différence entre ces deux montants.
Néanmoins, aucune réduction n’est appliquée si le bénéficiaire peut démontrer qu’il n’est pas responsable de l’inclusion du montant non admissible.
2. S’il est constaté qu’un bénéficiaire a délibérément effectué une fausse déclaration, l’opération en cause est exclue du soutien du Feader et tout montant déjà versé pour cette opération est recouvré. Le bénéficiaire est en outre exclu du bénéfice de l’aide au titre de la même mesure pendant l’année civile de la constatation et la suivante.
[…] »
8 Aux termes de l’article 34 de ce règlement :
« 1. Le règlement (CE) no 1975/2006 est abrogé avec effet au 1er janvier 2011.
Il continue toutefois de s’appliquer aux demandes de paiement introduites avant le 1er janvier 2011.
[…] »
Le droit slovène
9 La Zakon o kmetijstvu (loi sur l’agriculture, Uradni list RS, št. 45/2008, 57/2012, 90/2012, ci-après la « ZKme-1 ») fixe les dispositions générales en matière de développement rural.
10 Aux termes de l’article 10 de la ZKme-1 :
« Le gouvernement adopte, conformément aux documents de programmation, les dispositions de mise en œuvre des mesures de politique agricole. »
11 L’article 12 de cette loi précise :
« Aux fins de la mise en œuvre des mesures de développement rural, le gouvernement détermine :
— le type de mesures, les conditions, les bénéficiaires, les critères et les procédures d’introduction et de mise en œuvre de chaque mesure de développement rural ;
— les ressources financières destinées à chaque mesure de développement rural. »
12 En ce qui concerne la décision sur l’éligibilité aux subventions, l’article 53, paragraphe 1, de la ZKme-1 dispose :
« L’autorité compétente arrête une décision sur l’éligibilité aux subventions destinée aux parties dont les demandes remplissent les conditions prévues par les prescriptions légales et l’appel d’offres, et des ressources sont octroyées à cette fin. »
13 S’agissant des demandes de versement de subventions, l’article 56, paragraphe 4, de la ZKme-1 est rédigé comme suit :
« L’autorité rejette par voie de décision toute demande contraire aux exigences prévues par les prescriptions légales, l’appel d’offres ou la décision sur l’éligibilité aux subventions. »
14 Sur le fondement de la ZKme-1, le gouvernement slovène a adopté l’Uredba o ukrepih 1., 3. in 4. osi Programa razvoja podeželja Republike Slovenije za obdobje 2007-2013 v letih 2010-2013 (décret sur les mesures des axes 1, 3 et 4 du Programme de développement rural pour la période 2007-2013, Uradni list RS, št. 40/2010, 85/2010, ci-après le « décret PRP »).
15 Aux termes de l’article 79, paragraphe 4, du décret PRP :
« Sont des dépenses d’investissement éligibles les seules dépenses qui ont été exposées à partir de la date d’adoption de la décision sur l’éligibilité aux subventions jusqu’à l’achèvement du projet d’investissement ou bien au plus tard le 30 juin 2015. Le fait, pour le bénéficiaire, de souscrire une obligation au titre d’éventuelles subventions allouées (conclusion d’un contrat quelconque, commande de matériel, d’équipements, de services ou de travaux) est réputé constituer la première
dépense. »
16 Le ministère de l’Agriculture, de la Sylviculture et de l’Alimentation de la République de Slovénie a, en vertu du décret PRP, lancé un appel d’offres pour la mesure 322 « Rénovation et développement des villages » (ci-après l’« appel d’offres »).
17 Sous l’intitulé « Conditions d’éligibilité devant être remplies lors du dépôt de la demande dans le cadre de l’appel d’offres », le chapitre IV/1 de cet appel d’offres, prévoit, au point 1 de la section « Investissement » :
« On ne saurait commencer la réalisation de l’investissement avant l’adoption de la décision sur l’éligibilité aux subventions. »
18 Le chapitre VI de l’appel d’offres prévoit, à son point 3 :
« Conformément à l’article 79 du décret PRP, sont éligibles à l’aide les dépenses d’investissement qui ont été exposées à partir de la date d’adoption de la décision sur l’éligibilité aux subventions jusqu’à l’achèvement du projet d’investissement ou bien au plus tard le 30 juin 2015. »
19 Les points 4 et 5 du chapitre VI de l’appel d’offres disposent :
« (4) Sont également éligibles à l’aide les éventuels frais généraux, tels que la préparation de la demande, les frais d’acquisition de la documentation relative à la construction, l’établissement des demandes de paiement, exposés après le 1.1.2007 jusqu’au dépôt de la dernière demande de versement d’une subvention. L’auteur de la demande, avant la date de début d’éligibilité des dépenses, ne peut entamer les travaux ni souscrire aucune obligation au titre d’éventuelles subventions allouées.
(5) Est réputé constituer la première dépense, conformément à l’article 79 du décret PRP, le fait, pour le bénéficiaire, de souscrire une obligation quelconque au titre de subventions éventuellement allouées (conclusion d’un contrat, commande de matériel, d’équipements, de services ou de travaux). L’auteur de la demande peut débuter la procédure de sélection du prestataire conformément à la loi sur la passation des marchés publics, mais ne peut conclure le contrat avec le prestataire retenu avant
l’adoption de la décision sur l’éligibilité aux subventions. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
20 L’Agencija Republike Slovenije za kmetijske trge in razvoj podeželja (Agence des marchés agricoles et du développement rural de la République de Slovénie, ci‑après l’« Agence ») a procédé à la publication d’un appel d’offres en vue de l’octroi d’aides financières pour des mesures de rénovation et de développement des villages dans le cadre du programme de développement rural de la République de Slovénie pour les années 2007 à 2013.
21 La commune de Gorje a déposé le 19 août 2010 une demande d’aide dans le cadre de cet appel d’offres, afin d’obtenir le cofinancement par le Feader du projet d’aménagement d’un bâtiment dont elle est copropriétaire.
22 Préalablement au dépôt de sa demande d’aide, elle a organisé une procédure de passation de marché public, au terme de laquelle un prestataire de travaux a été retenu. La commune de Gorje a signé le 12 juillet 2010 avec ce prestataire deux contrats assortis d’une condition suspensive d’exécution, selon laquelle ces contrats ne produiront leurs effets que si le projet de la commune de Gorje est éligible au programme de développement rural subventionné.
23 Par décision du 19 octobre 2010, l’Agence a retenu le projet de la commune de Gorje et lui a octroyé un cofinancement au titre de ce programme pour un montant de 128200,52 euros.
24 À la suite du dépôt, le 1er juin 2011, de la demande de la commune de Gorje tendant au paiement de la somme qui lui a été accordée, l’Agence a procédé à un contrôle sur place du bâtiment à aménager. Elle a ainsi constaté, se fondant sur le journal de chantier, que les travaux de démolition du toit du bâtiment avaient débuté le 16 août 2010.
25 Or, tant la ZKme-1 que l’appel d’offres prévoyaient que seules seraient éligibles au cofinancement par le Feader les dépenses exposées postérieurement à l’adoption de la décision d’octroi de la subvention.
26 Partant, par décision du 3 novembre 2011, l’Agence a refusé de procéder au paiement de l’intégralité de l’aide prévue pour l’opération de rénovation en cause au principal.
27 La juridiction de renvoi a été saisie une première fois par la commune de Gorje d’un recours tendant à l’annulation de la décision du 3 novembre 2011. Après avoir accueilli la requête de cette commune, l’Upravno sodišče (Tribunal administratif, Slovénie) a renvoyé le litige devant l’Agence pour qu’elle statue à nouveau.
28 Par décision du 25 avril 2013, l’Agence a refusé une seconde fois de procéder au paiement de l’aide octroyée par la décision du 19 octobre 2010. La commune de Gorje contesta à nouveau ce refus devant la juridiction de renvoi.
29 En substance, la commune de Gorje fait valoir, d’une part, que les conditions d’éligibilité appliquées par l’Agence sont plus strictes que celles prévues par le règlement no 1698/2005. D’autre part, seuls les travaux exécutés à l’initiative du copropriétaire du bâtiment à aménager auraient débuté avant le dépôt de la demande d’aide, la commune de Gorje n’ayant contracté des engagements qu’à la condition de l’octroi de l’aide en cause.
30 La juridiction de renvoi s’interroge, dès lors, sur la compatibilité des dispositions nationales en tant qu’elles prévoient des conditions d’éligibilité plus strictes dans le temps que celles qui résultent du règlement no 1698/2005. En outre, elle souhaiterait savoir si ledit règlement permet aux autorités nationales, en cas d’inéligibilité de certaines dépenses, de rejeter l’ensemble de la demande de cofinancement ou si une telle sanction est trop sévère.
31 Dans ce contexte, l’Upravno sodišče (Tribunal administratif) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Faut-il interpréter le règlement no 1698/2005, et notamment son article 71, paragraphe 3, aux termes duquel les règles d’éligibilité des dépenses sont fixées au niveau national, sous réserve des conditions particulières établies au titre du présent règlement pour certaines mesures de développement rural, en ce sens qu’il s’oppose à la réglementation nationale prévue à l’article 79, paragraphe 4, du [décret PRP], et au chapitre VI, point 3, de l’[appel d’offres], réglementation selon laquelle
les dépenses d’investissement éligibles sont uniquement celles qui ont été exposées postérieurement à l’adoption de la décision sur l’éligibilité aux subventions (jusqu’à l’achèvement du projet d’investissement ou bien au plus tard le 30 juin 2015) ?
2) En cas de réponse négative à la première question, faut-il interpréter le règlement no 1698/2005, et notamment son article 71, paragraphe 3, en ce sens qu’il s’oppose à la réglementation nationale prévue à l’article 56, paragraphe 4, de la [ZKme-1], selon lequel toute demande qui n’est pas conforme à l’article 79, paragraphe 4, du décret PRP, sur les dépenses d’investissement éligibles exposées postérieurement à la date d’adoption de la décision, est rejetée dans son ensemble ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
32 Par sa première question, la juridiction de renvoi souhaite savoir si l’article 71 du règlement no 1698/2005 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle seules sont éligibles pour la participation du Feader au cofinancement d’une opération de développement rural sélectionnée par l’autorité de gestion du programme de développement rural concerné ou sous la responsabilité de celle-ci, les dépenses
exposées postérieurement à l’adoption de la décision d’octroi d’une telle aide.
33 Cette juridiction estime, en particulier, que la réglementation nationale en cause dans le litige qui lui est soumis fixe des conditions sensiblement plus restrictives en matière de cofinancement des mesures de développement rural que le règlement no 1698/2005 et qu’elle serait, partant, susceptible de méconnaître les dispositions de ce dernier.
34 À cet égard, il importe de rappeler que, si en raison même de leur nature et de leur fonction dans le système des sources du droit de l’Union, les dispositions des règlements ont, en règle générale, un effet immédiat dans les ordres juridiques nationaux, sans qu’il soit nécessaire que les autorités nationales prennent des mesures d’application, certaines de leurs dispositions peuvent toutefois nécessiter, pour leur mise en œuvre, l’adoption de mesures d’application par les États membres (arrêt du
25 octobre 2012, Ketelä, C‑592/11, EU:C:2012:673, point 35 ; ordonnance du 16 janvier 2014, Dél-Zempléni Nektár Leader Nonprofit, C‑24/13, EU:C:2014:40, point 14, et arrêt du 15 mai 2014, Szatmári Malom, C‑135/13, EU:C:2014:327, point 54).
35 En outre, il est constant que les États membres peuvent adopter des mesures d’application d’un règlement s’ils n’entravent pas son applicabilité directe, s’ils ne dissimulent pas sa nature d’acte de droit de l’Union et s’ils précisent l’exercice de la marge d’appréciation qui leur est conférée par ce règlement tout en restant dans les limites de ses dispositions (arrêts du 25 octobre 2012, Ketelä, C‑592/11, EU:C:2012:673, point 36, et du 15 mai 2014, Szatmári Malom, C‑135/13, EU:C:2014:327,
point 55).
36 C’est en se référant aux dispositions pertinentes du règlement en cause, interprétées à la lumière des objectifs de celui-ci, qu’il convient de déterminer si celles-ci interdisent, imposent ou permettent aux États membres d’arrêter certaines mesures d’application et, notamment dans cette dernière hypothèse, si la mesure concernée s’inscrit dans le cadre de la marge d’appréciation reconnue à chaque État membre (arrêt du 25 octobre 2012, Ketelä, C‑592/11, EU:C:2012:673, point 37).
37 Premièrement, s’agissant des dispositions pertinentes du règlement en cause, il convient, d’une part, de relever que, en vertu de l’article 71, paragraphe 3, de ce règlement, les règles d’éligibilité des dépenses sont, en principe, fixées au niveau national, sous réserve des conditions particulières établies au titre dudit règlement pour certaines mesures de développement rural (voir, notamment, arrêt du 15 mai 2014, Szatmári Malom, C‑135/13, EU:C:2014:327, point 27).
38 D’autre part, l’article 71, paragraphes 1 et 2, du règlement no 1698/2005 prévoit que les « opérations cofinancées ne devraient pas être achevées avant la date de début d’éligibilité », à savoir le 1er janvier 2007, et que les dépenses ne sont éligibles que si elles sont effectuées au profit des opérations sélectionnées par l’autorité de gestion du programme de développement rural concerné ou sous la responsabilité de celle‑ci.
39 Il résulte de ce qui précède que, dans la mesure où le paragraphe 3 du même article confère aux États membres la compétence de principe pour fixer les règles d’éligibilité des dépenses, il y a lieu de constater que lesdits États membres sont fondés à prévoir une condition d’éligibilité de celles-ci, notamment liée à la circonstance que ces dépenses ont été effectuées après l’approbation de la demande d’aide.
40 Cette interprétation est corroborée par le fait qu’une telle condition participe à la réalisation du principe d’affectation des dépenses à une opération particulière, tel que prévu à l’article 71, paragraphe 2, du règlement no 1698/2005.
41 Deuxièmement, en ce qui concerne l’objectif du règlement no 1698/2005, il convient de relever qu’il consiste, aux termes de son considérant 5, à favoriser le développement rural. Partant, une condition limitant l’éligibilité des dépenses relatives à une opération cofinancée aux seules dépenses effectuées postérieurement à la décision d’octroi des aides est en adéquation avec cet objectif, dans la mesure où elle assure, ainsi que l’a constaté M. l’avocat général au point 50 de ses conclusions, une
allocation plus efficace des fonds du Feader. En effet, d’une part, une telle condition permet de mieux cibler l’allocation des fonds, en réduisant les risques liés aux changements de circonstances susceptibles d’avoir eu lieu entre la date d’exécution des dépenses et celle de l’adoption de la décision d’octroi. D’autre part, ladite condition permet de réduire le risque que les fonds soient attribués à des investissements pour la réalisation desquels une subvention publique ne serait pas
nécessaire, ces investissements étant déjà en cours, voire clôturés, avant l’octroi de l’aide.
42 En outre, il importe de noter que, conformément à l’article 74, paragraphe 1, du règlement no 1698/2005, les États membres prennent toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives pour assurer une protection efficace des intérêts financiers de l’Union. Or, lorsqu’une aide est payée au titre du Feader pour des dépenses ayant été exposées avant même l’adoption de la décision d’octroi, la vérification de la pertinence de telles dépenses pourrait être rendue difficile de ce
fait, de sorte que l’efficacité d’une telle protection pourrait être affaiblie.
43 Troisièmement, il ne ressort pas de la décision de renvoi que la réglementation nationale en cause au principal entrave l’applicabilité directe ou dissimule la nature de droit de l’Union du règlement no 1698/2005. Au contraire, l’article 12 de la ZKme‑1 prévoit que c’est aux fins de la mise en œuvre des mesures de développement rural que le gouvernement détermine le type de mesures, les conditions, les bénéficiaires, les critères et les procédures d’introduction et de mise en œuvre de chaque
mesure de développement rural. En tout état de cause, il revient à la juridiction de renvoi de procéder aux vérifications nécessaires à cet égard.
44 Compte tenu des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que, sous réserve desdites vérifications, en prévoyant que seules les dépenses effectuées au profit d’une opération sélectionnée en vue du cofinancement par le Feader exposées postérieurement à l’adoption de la décision d’octroi de l’aide sont éligibles audit cofinancement, la République de Slovénie n’a pas excédé la marge d’appréciation qui lui est conférée par le règlement no 1698/2005.
45 Il s’ensuit que l’article 71 du règlement no 1698/2005 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle seules sont éligibles pour la participation du Feader au cofinancement d’une opération sélectionnée par l’autorité de gestion du programme de développement rural concerné ou sous la responsabilité de celle-ci les dépenses exposées postérieurement à l’adoption de la décision d’octroi d’une telle
aide.
Sur la seconde question
46 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 71, paragraphe 3, du règlement no 1698/2005 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit le rejet dans son intégralité de la demande de paiement relative à une opération retenue au titre du cofinancement par le Feader, lorsque certaines dépenses effectuées pour cette opération ont été exposées antérieurement à l’adoption de la
décision d’octroi d’une telle aide.
47 À cet égard, il convient de relever que, ainsi qu’il ressort des points 38 et 39 du présent arrêt, l’article 71, paragraphes 2 et 3, du règlement no 1698/2005, tout en prévoyant que ne sont éligibles pour la participation du Feader que les dépenses effectuées au profit d’une opération sélectionnée par l’autorité de gestion du programme de développement rural concerné ou sous la responsabilité de celle-ci, confère aux États membres, en principe, le soin de fixer les règles d’éligibilité des
dépenses.
48 Si ces dispositions fixent le cadre relatif aux conditions d’éligibilité des dépenses pour la participation du Feader susceptibles de faire l’objet d’une demande de paiement, elles ne précisent toutefois pas les conséquences du non-respect de l’une de ces conditions quant à l’étendue du paiement.
49 Dans ces conditions, il importe de souligner que l’article 30 du règlement no 65/2011, applicable, conformément à l’article 34, paragraphe 1, de ce règlement, aux demandes de paiement introduites à partir du 1er janvier 2011, se rapporte spécifiquement aux réductions et aux exclusions des dépenses effectuées pour des opérations éligibles à un cofinancement par le Feader.
50 Ledit article 30 prévoit, en substance, à son paragraphe 1, que les États membres examinent la demande de paiement afin d’établir les montants admissibles à l’aide. Ainsi, si le montant payable au titre du cofinancement par le Feader sur la seule base de la demande de paiement est supérieur de plus de 3 % au montant payable après vérification de l’admissibilité de la demande de paiement, une réduction de ce dernier montant correspondant à la différence entre ces deux montants est appliquée.
51 Par ailleurs, l’article 30, paragraphe 2, du règlement no 65/2011 indique que toute fausse déclaration délibérée du bénéficiaire de l’aide entraîne l’exclusion de l’opération en cause dans son intégralité du soutien du Feader et le recouvrement de tout montant déjà versé pour cette opération.
52 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que certaines dépenses effectuées pour l’opération en cause au principal ont été exposées antérieurement à l’adoption de la décision d’octroi de l’aide. Par ailleurs, la juridiction de renvoi a précisé que, en vertu des dispositions nationales relatives aux conditions d’éligibilité des dépenses, à savoir l’article 56, paragraphe 4, de la ZKme-1, lu en combinaison avec l’article 79, paragraphe 4, du décret PRP, dès lors que l’une des dépenses
effectuées pour une opération retenue en vue d’un cofinancement par le Feader a été exposée avant l’adoption de la décision d’octroi de l’aide, la demande de paiement relative à l’ensemble de l’opération sélectionnée est rejetée par l’autorité compétente.
53 Or, ainsi que l’a souligné M. l’avocat général au point 79 de ses conclusions, les États membres ne sauraient appliquer une mesure de refus de paiement aussi radicale à d’autres situations que celle prévue à l’article 30, paragraphe 2, du règlement no 65/2011, relative à l’hypothèse où une fausse déclaration est effectuée délibérément par le bénéficiaire de l’aide. Dans tous les autres cas, l’article 30 de ce règlement prévoit une réduction du montant de l’aide, calculée conformément à la méthode
prescrite au paragraphe 1 de cet article.
54 Une telle méthode, consistant à écarter les dépenses qui ne sont pas éligibles, à savoir, dans les circonstances de l’affaire au principal, celles qui ont été exposées antérieurement à l’adoption de la décision d’octroi de l’aide, comporte un élément dissuasif, dès lors que le montant effectivement payable est réduit d’un montant sensiblement supérieur à celui correspondant à la dépense non éligible. Dans ces conditions, une telle méthode tend à prévenir les effets dits d’« aubaine » tout en
conservant un caractère proportionnel, les dépenses effectivement éligibles n’étant pas intégralement exclues du bénéfice de l’aide.
55 Compte tenu des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la seconde question que l’article 71, paragraphe 3, du règlement no 1698/2005, lu en combinaison avec l’article 30 du règlement no 65/2011, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit le rejet dans son intégralité de la demande de paiement relative à une opération retenue au titre du cofinancement par le Feader, lorsque certaines dépenses
effectuées au profit de cette opération ont été exposées antérieurement à l’adoption de la décision d’octroi d’une telle aide, dès lors que le bénéficiaire de l’aide n’a pas délibérément effectué une fausse déclaration dans sa demande de paiement.
Sur les dépens
56 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :
1) L’article 71 du règlement (CE) no 1698/2005 du Conseil, du 20 septembre 2005, concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle seules sont éligibles pour la participation du Fonds européen agricole pour le développement rural au cofinancement d’une opération de développement rural
sélectionnée par l’autorité de gestion du programme de développement rural concerné ou sous la responsabilité de celle-ci les dépenses exposées postérieurement à l’adoption de la décision d’octroi d’une telle aide.
2) L’article 71, paragraphe 3, du règlement no 1698/2005, lu en combinaison avec l’article 30 du règlement (UE) no 65/2011 de la Commission, du 27 janvier 2011, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit le rejet dans son intégralité de la demande de paiement relative à une opération retenue au titre du cofinancement par le Fonds européen agricole pour le développement rural, lorsque certaines dépenses
effectuées au profit de cette opération ont été exposées antérieurement à l’adoption de la décision d’octroi d’une telle aide, dès lors que le bénéficiaire de l’aide n’a pas délibérément effectué une fausse déclaration dans sa demande de paiement.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le slovène.