ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)
5 octobre 2016 (*)
« Manquement d’État – Politique des transports – Règlement (CE) n° 1071/2009 – Transporteur par route – Simplification et coopération administrative – Article 16, paragraphes 1 et 5 – Registre électronique national des entreprises de transport par route – Interconnexion des registres électroniques nationaux »
Dans l’affaire C‑583/15,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 12 novembre 2015,
Commission européenne, représentée par M^mes J. Hottiaux et M. Farrajota ainsi que par M. P. Guerra e Andrade, en qualité d’agents,
partie requérante,
contre
République portugaise, représentée par MM. L. Inez Fernandes et M. Figueiredo ainsi que par M^me C. Guerra Santos, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LA COUR (dixième chambre),
composée de M. F. Biltgen, président de chambre, MM. A. Borg Barthet (rapporteur) et E. Levits, juges,
avocat général : M. H. Saugmandsgaard Øe,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en n’ayant pas créé son registre électronique national des entreprises de transport par route et en n’ayant donc pas établi d’interconnexion avec les registres électroniques nationaux des autres États membres, la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 16, paragraphes 1 et 5, du règlement (CE) n° 1071/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009,
établissant des règles communes sur les conditions à respecter pour exercer la profession de transporteur par route, et abrogeant la directive 96/26/CE du Conseil (JO 2009, L 300, p. 51).
Le cadre juridique
2 L’article 16, paragraphes 1 à 6, du règlement n° 1071/2009 dispose :
« 1. Aux fins de la mise en œuvre du présent règlement, et notamment de ses articles 11 à 14 et 26, chaque État membre tient un registre électronique national des entreprises de transport par route qui ont été autorisées par une autorité compétente qu’il a désignée à exercer la profession de transporteur par route. Les données contenues dans ce registre sont traitées sous le contrôle de l’autorité publique désignée à cet effet. Les données pertinentes qui figurent dans le registre électronique
national sont accessibles à toutes les autorités compétentes de l’État membre concerné.
Au plus tard le 31 décembre 2009, la Commission adopte une décision concernant les exigences minimales relatives aux données qui doivent figurer dans le registre électronique national à compter de la date de sa création afin de faciliter l’interconnexion future des registres. Elle peut recommander l’inclusion du numéro d’immatriculation des véhicules en plus des données visées au paragraphe 2.
2. Les registres électroniques nationaux contiennent au moins les données suivantes :
a) nom et forme juridique de l’entreprise ;
b) adresse de son établissement ;
c) nom des gestionnaires de transport désignés pour remplir les conditions d’honorabilité et de capacité professionnelle ou, le cas échéant, nom d’un représentant légal ;
d) type d’autorisation, nombre de véhicules qu’elle couvre et, le cas échéant, numéro de série de la licence communautaire et des copies certifiées conformes ;
e) nombre, catégorie et type d’infractions graves telles que visées à l’article 6, paragraphe 1, point b), qui ont donné lieu à une condamnation ou à une sanction durant les deux dernières années ;
f) nom des personnes déclarées inaptes à assurer la gestion des activités de transport d’une entreprise aussi longtemps que leur honorabilité n’a pas été rétablie, conformément à l’article 6, paragraphe 3, ainsi que les mesures de réhabilitation applicables.
Aux fins du point e), les États membres peuvent, jusqu’au 31 décembre 2015, choisir de n’inclure dans le registre électronique national que les infractions les plus graves visées à l’annexe IV.
Les États membres peuvent choisir de conserver les données visées au premier alinéa, points e) et f), dans des registres distincts. Dans ce cas, les données pertinentes sont disponibles sur demande ou directement accessibles pour l’ensemble des autorités compétentes de l’État membre concerné. Les informations demandées sont fournies dans les trente jours ouvrables qui suivent la réception de la demande. Les données visées au premier alinéa, points a) à d), sont accessibles au public conformément aux
dispositions applicables en matière de protection des données à caractère personnel.
En tout état de cause, les données visées au premier alinéa, points e) et f), ne sont accessibles à des autorités autres que les autorités compétentes que si ces autorités sont dûment investies de pouvoirs de contrôle et de sanction dans le secteur du transport par route et si leurs agents ont fait officiellement serment ou sont autrement formellement tenus de protéger le caractère confidentiel des informations considérées.
3. Les données concernant une entreprise dont l’autorisation a été suspendue ou retirée sont conservées dans le registre électronique national pendant deux ans à compter de l’expiration de la suspension ou du retrait de la licence et sont ensuite immédiatement supprimées.
Les données concernant une personne déclarée inapte à exercer la profession de transporteur par route sont conservées dans le registre électronique national aussi longtemps que son honorabilité n’a pas été rétablie conformément à l’article 6, paragraphe 3. Lorsque cette mesure de réhabilitation ou toute autre mesure ayant un effet équivalent est intervenue, les données sont immédiatement supprimées.
Les données visées aux premier et second alinéas précisent les raisons qui ont motivé la suspension ou le retrait des autorisations ou la déclaration d’inaptitude, selon le cas, et la durée de ces mesures.
4. Les États membres prennent toutes les dispositions nécessaires pour que l’ensemble des données contenues dans le registre électronique national soient actualisées et exactes, notamment celles visées au paragraphe 2, premier alinéa, points e) et f).
5. Sans préjudice des paragraphes 1 et 2, les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour que les registres électroniques nationaux soient interconnectés et accessibles dans toute la Communauté par l’intermédiaire des points de contact nationaux définis à l’article 18. L’accessibilité par l’intermédiaire des points de contact et de l’interconnexion est mise en œuvre au plus tard le 31 décembre 2012 de manière à ce qu’une autorité compétente d’un État membre puisse consulter les
registres électroniques nationaux de tout État membre.
6. Les règles communes relatives à la mise en œuvre du paragraphe 5, notamment celles concernant le format des données échangées, les procédures techniques pour la consultation électronique des registres électroniques nationaux des autres États membres et la promotion de l’interopérabilité de ces registres avec d’autres bases de données pertinentes sont arrêtées par la Commission en conformité avec la procédure consultative visée à l’article 25, paragraphe 2, et pour la première fois avant le
31 décembre 2010. Ces règles communes établissent quelle autorité est responsable de l’accès aux données, de leur utilisation ultérieure et de leur actualisation après l’accès et comportent, à cet effet, des règles sur la collecte et le suivi des données. »
La procédure précontentieuse
3 Le 6 mars 2013, la Commission a, par le biais de la plateforme en ligne EU Pilot, attiré l’attention de la République portugaise sur la nécessité de procéder à l’interconnexion des registres électroniques nationaux des entreprises autorisées à exercer la profession de transporteur par route et de garantir leur accès dans toute l’Union européenne.
4 La Commission invoquait les dispositions de l’article 16, paragraphe 5, du règlement n° 1071/2009 et invitait la République portugaise à prendre les mesures nécessaires pour assurer l’interconnexion du système de registre électronique des entreprises de transport par route.
5 Le 6 août 2013, également par le biais de la plateforme en ligne EU Pilot, la République portugaise a répondu à la Commission qu’elle prenait les mesures nécessaires à l’interconnexion du registre électronique national avec le registre européen des entreprises de transport par route (ci-après l’« ERRU ») par l’intermédiaire de l’Instituto da Mobilidade e dos Transportes (Institut de la mobilité et des transports). L’administration portugaise regrettait le retard des travaux, imputable,
selon elle, à la restructuration dont faisait l’objet cet institut. Enfin, elle soulignait que l’interconnexion des registres électroniques nationaux à l’ERRU serait réalisée, selon ses prévisions, avant la fin de l’année 2013.
6 Le 21 février 2014, la Commission a adressé à la République portugaise une lettre de mise en demeure dans laquelle elle constatait que celle-ci n’avait pas respecté le délai fixé à l’article 16, paragraphe 5, du règlement n° 1071/2009 pour réaliser l’interconnexion, et lui accordait un délai de deux mois pour présenter ses observations.
7 Par lettre du 5 mai 2014, la République portugaise a répondu à cette lettre de mise en demeure en informant la Commission que le processus d’interconnexion avec l’ERRU se trouvait en phase finale de mise en œuvre et que l’interconnexion serait opérationnelle au mois de septembre 2014. Le retard était dû, selon cet État membre, au fait que plusieurs projets informatiques étaient simultanément en cours.
8 Le 27 novembre 2014, la Commission a adressé à la République portugaise une lettre de mise en demeure complémentaire en raison de l’existence de nouveaux motifs de préoccupation, notamment en ce qui concerne le respect de l’article 16, paragraphe 1, du règlement n° 1071/2009, s’agissant de la création du registre électronique national et de son interconnexion au moyen de l’ERRU.
9 Par lettre du 24 avril 2015, la République portugaise a répondu à cette lettre de mise en demeure complémentaire en informant la Commission des développements internes intervenus et en indiquant que le calendrier communiqué avait subi des vicissitudes de nature diverse, tenant à des difficultés financières accrues liées au programme d’assistance économique et financière, à des modifications structurelles au niveau de l’administration publique, à l’instabilité organisationnelle de l’Institut
de la mobilité et des transports, ou encore au manque de ressources pour mettre en œuvre les développements informatiques.
10 Dans cette même lettre, la République portugaise précisait que, contrairement à ses prévisions initiales, la première phase du projet, qui ne permet pas encore l’accès des autorités nationales compétentes au registre électronique national, ne pourrait être achevée qu’au mois de septembre 2015, et qu’une plateforme serait tout d’abord créée pour échanger des informations entre l’Institut de la mobilité et des transports, et l’Union. La deuxième phase du projet ne s’achèverait qu’au mois de
juin 2016.
11 Par lettre du 30 avril 2015, la Commission a adressé à la République portugaise un avis motivé dans lequel elle reprochait à celle-ci de ne pas avoir mis en place son registre électronique national et, par conséquent, de ne pas avoir établi d’interconnexion avec les registres électroniques nationaux, ce qui constituait un manquement aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 16, paragraphes 1 et 5, du règlement n° 1071/2009.
12 Elle invitait la République portugaise à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à l’avis motivé dans un délai de deux mois à compter de la notification de celui-ci.
13 Estimant que les manquements reprochés à la République portugaise en ce qui concerne les obligations imposées à l’article 16, paragraphes 1 et 5, du règlement n° 1071/2009 persistaient à la date à laquelle avait expiré le délai fixé dans l’avis motivé, la Commission a décidé d’introduire le présent recours le 12 novembre 2015.
14 Par un courrier de janvier 2016, la République portugaise a répondu à l’avis motivé. Elle y informait la Commission de la conclusion d’un protocole de coopération entre les différentes entités impliquées visant à régir l’échange d’informations entre l’autorité coordinatrice et les autres entités intéressées, en ce qui concerne les infractions commises par les transporteurs par route sur le territoire national.
Sur le recours
15 Par son recours, la Commission fait en substance grief à la République portugaise d’avoir manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du règlement n° 1071/2009.
16 À cet égard, la République portugaise ne conteste pas le fait que, à la date impartie dans l’avis motivé, elle ne s’était pas encore entièrement conformée aux obligations visées à l’article 16, paragraphes 1 et 5, du règlement n° 1071/2009. Elle fait néanmoins valoir que plusieurs difficultés de nature interne et externe expliquent l’existence de tels retards dans l’accomplissement de ces obligations.
17 La République portugaise explique, en effet, que ces retards sont dus à plusieurs facteurs conjoncturels découlant du programme d’assistance économique et financière externe. Elle fait en particulier observer que l’entité responsable de la coordination du processus de mise en place du registre électronique national et de l’interconnexion de celui-ci avec les registres électroniques des autres États membres a été confrontée à des difficultés financières considérables et a fait l’objet de
multiples restructurations qui ont entraîné d’importantes modifications de sa structure organisationnelle, de ses attributions et de l’affectation de ses ressources humaines et matérielles.
18 Par ailleurs, la République portugaise souligne que les autorités nationales compétentes n’ont eu de cesse de s’employer à se conformer aux obligations prévues à l’article 16, paragraphes 1 et 5, du règlement n° 1071/2009. Ainsi, ces autorités auraient achevé au mois de décembre 2015 le développement des applications du registre électronique national et de la plateforme de communication et auraient été en mesure de procéder aux essais de réception avec la plateforme de l’Union par
l’intermédiaire du réseau de services transeuropéens sécurisés pour la télématique entre administrations.
19 La République portugaise ajoute qu’un protocole de coopération a ainsi été conclu en vue de régler l’échange d’informations relatives aux infractions commises par les transporteurs par route sur le territoire national entre l’Institut de la mobilité et des transports et les autres entités. Dans ce cadre, le développement des moyens de planification et d’adaptation aux systèmes informatiques des entités concernées devrait être finalisé durant le premier semestre de l’année 2016.
20 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé et les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour (arrêts du 4 septembre 2014, Commission/Grèce, C‑351/13, non publié, EU:C:2014:2150, point 20, et du 5 février 2015, Commission/Belgique, C‑317/14,
EU:C:2015:63, point 34).
21 En l’espèce, il est constant que, à la date d’expiration du délai imparti dans l’avis motivé, la République portugaise n’avait pas encore créé son registre électronique national des entreprises de transport par route ni, par voie de conséquence, établi d’interconnexion avec les registres nationaux des autres États membres.
22 En effet, il résulte de la réponse de la République portugaise à la lettre de mise en demeure complémentaire que, à cette date, les discussions entamées par les trois autorités nationales intervenant dans la mise en place du registre électronique national, à savoir l’Autoridade Nacional da Segurança Rodoviária (autorité nationale de sécurité routière), l’Autoridade para as Condições do Trabalho (autorité nationale pour les conditions de travail) et la Direção‑Geral da Administração da
Justiça (direction générale de l’administration de la justice), n’avaient abouti à aucun accord et que les registres propres à ces trois autorités continuaient d’exister.
23 Dans ces conditions, le manquement reproché par la Commission à la République portugaise est établi.
24 Une telle conclusion ne saurait être remise en cause par l’argumentation de la République portugaise tirée des difficultés auxquelles elle aurait été confrontée pour satisfaire aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 16, paragraphes 1 et 5, du règlement n° 1071/2009. En effet, il convient de rappeler qu’un État membre ne peut exciper de dispositions, de pratiques ou de situations de son ordre juridique interne pour justifier l’inobservation des obligations résultant du droit
de l’Union (arrêt du 2 décembre 2014, Commission/Grèce, C‑378/13, EU:C:2014:2405, point 29).
25 Par conséquent, il convient de constater que, en n’ayant pas créé un registre électronique national des entreprises de transport par route et en n’ayant donc pas établi l’interconnexion avec les registres électroniques nationaux des autres États membres, la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 16, paragraphes 1 et 5, du règlement n° 1071/2009.
Sur les dépens
26 En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République portugaise et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) déclare et arrête :
1) En n’ayant pas créé un registre électronique national des entreprises de transport par route et en n’ayant donc pas établi l’interconnexion avec les registres électroniques nationaux des autres États membres, la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 16, paragraphes 1 et 5, du règlement (CE) n° 1071/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, établissant des règles communes sur les conditions à respecter pour exercer la
profession de transporteur par route, et abrogeant la directive 96/26/CE du Conseil.
2) La République portugaise est condamnée aux dépens.
Signatures
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* Langue de procédure : le portugais.