ORDONNANCE DU VICE-PRÉSIDENT DE LA COUR
18 octobre 2016 (*)
« Pourvoi – Ordonnance de référé – Sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal – Changement de circonstances – Accès aux documents – Règlement (CE) n° 1049/2001 – Documents détenus par l’Agence européenne des médicaments (EMA) soumis dans le cadre d’une demande d’autorisation de mise sur le marché d’un médicament – Décision d’accorder à un tiers l’accès aux documents »
Dans l’affaire C‑406/16 P(R),
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 57, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 19 juillet 2016,
Agence européenne des médicaments (EMA), représentée par MM. S. Marino, A. Spina, A. Rusanov et T. Jabłoński ainsi que par M^me N. Rampal Olmedo, en qualité d’agents,
partie requérante,
les autres parties à la procédure étant :
Pari Pharma GmbH, établie à Starnberg (Allemagne), représentée par M^es M. Epping et W. Rehmann, Rechtsanwälte,
partie demanderesse en première instance,
Novartis Europharm Ltd, établie à Camberley (Royaume-Uni), représentée par M^e C. Schoonderbeek, avocate,
partie intervenante en première instance,
LE VICE-PRÉSIDENT DE LA COUR,
l’avocat général, M. M. Wathelet, entendu,
rend la présente
Ordonnance
1 Par son pourvoi, l’Agence européenne des médicaments (EMA) demande l’annulation de l’ordonnance du président du Tribunal de l’Union européenne du 23 mai 2016, Pari Pharma/EMA (T‑235/15 R, non publiée, ci-après l’« ordonnance attaquée », EU:T:2016:309), par laquelle celui-ci a rejeté sa demande visant au retrait de l’ordonnance du président du Tribunal, du 1^er septembre 2015, Pari Pharma/EMA (T‑235/15 R, ci-après la « première ordonnance du Tribunal », EU:T:2015:587).
Les antécédents du litige, la procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée
2 En vertu du règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant une Agence européenne des médicaments (JO 2004, L 136, p. 1), certaines catégories de médicaments doivent être approuvées conformément à une procédure centralisée instituée par ce règlement. Cette procédure prévoit la présentation
d’une demande d’autorisation de mise sur le marché (ci-après l’« AMM »), qui, après un examen suivi d’un avis de l’EMA, donne lieu à une décision de la Commission européenne. Il revient à un comité relevant de l’EMA, à savoir le comité des médicaments à usage humain (ci-après le « CHMP »), de formuler les avis de cette agence sur toute question relative aux médicaments à usage humain.
3 Novartis Europharm Ltd est titulaire d’une AMM accordée par la Commission, le 20 juillet 2011, au titre du règlement n° 726/2004, pour le médicament dénommé « TOBI Podhaler ».
4 Le TOBI Podhaler a été qualifié de « médicament orphelin », au sens du règlement (CE) n° 141/2000 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1999, concernant les médicaments orphelins (JO 2000, L 18, p. 1), c’est-à-dire les médicaments destinés à diagnostiquer, à prévenir ou à traiter des affections rares. Afin de favoriser le développement de traitements efficaces pour les patients souffrant d’affections rares, ce règlement introduit un système d’incitations visant à encourager
les entreprises pharmaceutiques à investir dans les médicaments orphelins. À cette fin, l’article 8, paragraphe 1, dudit règlement prévoit que, lorsqu’une AMM a été accordée pour un médicament orphelin, aucune autre AMM ne sera délivrée pendant une période de dix ans, eu égard à la même indication thérapeutique, pour un médicament similaire. Toutefois, conformément à cet article 8, paragraphe 3, un médicament similaire peut se voir accorder une AMM, pour la même indication thérapeutique, si le
second demandeur peut établir que son médicament, quoique similaire au médicament orphelin déjà autorisé, est plus sûr, plus efficace ou cliniquement supérieur sous d’autres aspects.
5 C’est sur le fondement de cette disposition dérogatoire que Pari Pharma GmbH a demandé une AMM pour son médicament dénommé « Vantobra ».
6 La Commission a accédé à cette demande le 18 mars 2015, faisant suite à l’avis favorable du CHMP du 22 janvier 2015. Cet avis repose sur deux rapports du CHMP du même jour, à savoir le rapport d’appréciation EMA/CHMP/702525/2014, concernant la similitude entre le Vantobra et le Cayston ainsi que le TOBI Podhaler, et le rapport d’appréciation EMA/CHMP/778270/2014, concernant la supériorité clinique du Vantobra sur le TOBI Podhaler (ci-après, ensemble, les « rapports litigieux »).
7 Le 13 avril 2015, l’EMA a informé Pari Pharma qu’elle avait reçu une demande d’accès aux rapports litigieux, introduite sur le fondement du règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43). Il est apparu en cours d’instance que l’auteur de cette demande était Novartis Europharm. L’EMA a fait part à Pari Pharma de son intention de divulguer
ces rapports avec quelques suppressions portant sur des données à caractère personnel, tout en lui fixant un délai pour solliciter des suppressions supplémentaires. Le 20 avril 2015, Pari Pharma a demandé à l’EMA de ne pas divulguer les rapports litigieux.
8 Par la décision EMA/271043/2015 de l’EMA, du 24 avril 2015 (ci-après la « décision litigieuse »), l’EMA a décidé de divulguer les rapports litigieux à Novartis Europharm en application du règlement n° 1049/2001.
9 Le 15 mai 2015, Pari Pharma a introduit, devant le Tribunal, un recours visant à l’annulation de cette décision (affaire T-235/15).
10 Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, Pari Pharma a introduit une demande en référé, dans laquelle elle a demandé au président du Tribunal, en substance, de surseoir à l’exécution de la décision litigieuse et d’ordonner à l’EMA de ne pas divulguer les rapports litigieux.
11 L’EMA a demandé au président du Tribunal de rejeter cette demande.
12 Par ordonnance du 22 juin 2015, Novartis Europharm a été admise à intervenir dans la procédure de référé au soutien des conclusions de l’EMA.
13 Parallèlement au recours de Pari Pharma, Novartis Europharm a, le 28 mai 2015, saisi le Tribunal d’un recours tendant à l’annulation de la décision du 18 mars 2015, par laquelle la Commission avait accordé l’AMM pour le Vantobra, au motif que cette décision violait l’exclusivité commerciale dont elle bénéficiait, en vertu de l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 141/2000, pour le TOBI Podhaler. Ce recours a été enregistré sous le numéro T‑269/15.
14 Par la première ordonnance du Tribunal, il a été décidé, d’une part, de surseoir à l’exécution de la décision litigieuse dans la mesure où cette dernière accorde à un tiers, en vertu du règlement n° 1049/2001, l’accès aux rapports litigieux et, d’autre part, d’enjoindre à l’EMA de ne pas divulguer ces rapports.
15 Par requête déposée au greffe de la Cour le 23 octobre 2015, l’EMA a introduit un pourvoi contre cette ordonnance.
16 Dans le cadre de la procédure devant la Cour, dans son mémoire en réponse déposé le 23 novembre 2015, Pari Pharma a demandé à la Cour de rejeter le pourvoi. Parmi les annexes de ce mémoire, figuraient les rapports litigieux.
17 Le 24 novembre 2015, le mémoire en réponse déposé par Pari Pharma ainsi que ses annexes ont été notifiés aux autres parties à la procédure de pourvoi, y compris à Novartis Europharm, partie intervenante en première instance.
18 Le 25 novembre 2015, Pari Pharma a introduit une demande de traitement confidentiel visant à ce que les rapports litigieux ne soient pas notifiés à Novartis Europharm. Cependant, en raison de la tardiveté de cette demande de traitement confidentiel, ces rapports avaient déjà été notifiés en l’état.
19 Par la suite, Pari Pharma a informé la Cour qu’elle était parvenue à conclure un accord avec Novartis Europharm, cette dernière s’étant engagée à maintenir la confidentialité des rapports litigieux et à ne pas les communiquer à des tiers. Novartis Europharm ne serait autorisée à utiliser ces documents que dans le cadre de l’affaire en cours l’opposant à la Commission, enregistrée au Tribunal sous le numéro T‑269/15. Pour le reste, Novartis Europharm a consenti à faire un usage limité de ces
documents, un tel usage devant notamment éviter d’affecter la procédure T‑235/15 pendante devant le Tribunal.
20 Après avoir invité l’EMA, par lettre du greffe du 3 décembre 2015, à préciser si, compte tenu des circonstances, elle considérait qu’il y avait encore lieu de statuer sur son pourvoi, le vice-président de la Cour, par ordonnance du 17 mars 2016, EMA/Pari Pharma [C‑550/15 P(R), non publiée, ci-après l’« ordonnance sur pourvoi », EU:C:2016:196], a constaté qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur le pourvoi de l’EMA, au motif que celle-ci n’avait plus d’intérêt à agir, le pourvoi n’étant plus
susceptible, par son résultat, de lui procurer un bénéfice.
21 En particulier, aux points 38 à 41 de cette ordonnance, le vice-président de la Cour a considéré ce qui suit :
« 38 [...] la circonstance que Novartis Europharm dispose désormais des rapports litigieux prive manifestement de tout effet les mesures provisoires obtenues par Pari Pharma aux termes de l’ordonnance attaquée.
39 À cet égard, il convient de relever que l’appréciation de l’intérêt d’un requérant à l’obtention des mesures demandées revêt une importance particulière dans le cadre d’une procédure en référé. Le sursis à l’exécution et les mesures provisoires ne peuvent être accordés par le juge des référés que s’il est notamment établi qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts du requérant, qu’ils soient édictés et produisent leurs
effets dès avant la décision au principal. Or, des mesures provisoires qui ne seraient plus aptes à éviter le préjudice grave et irréparable dont fait état le requérant ne sauraient a fortiori être nécessaires à cet effet [voir, notamment, ordonnance du président de la Cour du 27 février 2002, Reisebank/Commission C‑477/01 P(R), EU:C:2002:126, points 22 et 23 ainsi que jurisprudence citée].
40 Indépendamment des appréciations éventuelles du président du Tribunal en ce qui concerne la possibilité de rapporter l’ordonnance attaquée ou de la modifier à la suite d’une demande en ce sens formée par une partie, conformément à l’article 159 du règlement de procédure du Tribunal, il convient de constater que l’inutilité desdites mesures provisoires prive également d’intérêt à agir l’EMA dans la présente procédure de pourvoi.
41 En effet, quelle que soit l’issue de cette procédure, celle-ci ne procurera à l’EMA aucun bénéfice. En particulier, si le pourvoi devait être accueilli et si l’EMA pouvait de ce fait exécuter la décision litigieuse, cela n’aurait pour effet que de permettre à l’EMA de communiquer à Novartis Europharm les rapports litigieux qu’elle détient déjà. Si, en revanche, le pourvoi devait être rejeté, l’EMA ne serait certes pas en droit de communiquer lesdits rapports à Novartis Europharm. Toutefois,
la circonstance que Novartis Europharm ait en tout état de cause obtenu l’accès auxdits documents fait perdre tout intérêt de l’EMA à l’exécution immédiate de la décision litigieuse. »
22 Dans ces conditions, l’EMA a, par acte déposé au greffe du Tribunal le 31 mars 2016, introduit une demande, sur le fondement de l’article 159 du règlement de procédure du Tribunal, tendant au retrait de la première ordonnance du Tribunal à la suite du changement de circonstances intervenu en l’espèce.
23 Après avoir, aux points 29 à 35 de l’ordonnance attaquée, constaté, en substance, que l’ordonnance sur pourvoi n’avait pas remis en question les appréciations contenues dans la première ordonnance du Tribunal et qu’y étaient essentiellement pris en compte les rapports entre l’EMA, Novartis Europharm et Pari Pharma, le président du Tribunal a, aux points 36 à 41 de ladite ordonnance, considéré ce qui suit :
« 36 Cela étant précisé, il est évident que les mesures provisoires accordées à [Pari Pharma] dans la première ordonnance du Tribunal sont effectivement (devenues) inutiles si la décision [litigieuse] a pour seul effet “de permettre à l’EMA de communiquer à [Novartis Europharm] les rapports litigieux qu’elle détient déjà” et si “la circonstance que [Novartis Europharm] ait en tout état de cause obtenu l’accès auxdits documents fait perdre tout intérêt de l’EMA à l’exécution immédiate de la
décision [litigieuse]”. En d’autres termes, dans l’hypothèse où [Novartis Europharm] se contenterait d’utiliser les rapports litigieux aux seules fins de la défense de ses intérêts dans le cadre de l’affaire T‑269/15 et où l’EMA considérerait la décision [litigieuse] comme étant devenue sans objet du fait que [Novartis Europharm] dispose déjà de ces rapports, [Pari Pharma] n’aurait plus besoin d’être protégée par des mesures provisoires.
37 Tel n’est cependant pas le cas, étant donné que le statu quo ayant permis au vice-président de la Cour de constater qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur le pourvoi de l’EMA ne resterait pas maintenu en cas de retrait de la première ordonnance du Tribunal.
38 En effet, en réponse aux questions posées par le juge des référés, d’une part, [Novartis Europharm] a affirmé qu’elle maintenait sa demande fondée sur le règlement n° 1049/2001 et visant à obtenir accès aux rapports litigieux, au motif qu’un tel accès accordé en vertu de ce règlement lui permettrait d’utiliser ces rapports sans les restrictions auxquelles elle est soumise en vertu de l’accord de confidentialité conclu avec [Pari Pharma]. D’autre part, selon l’EMA, la circonstance que
[Novartis Europharm] ait obtenu accès aux rapports litigieux n’a aucune influence sur la décision [litigieuse], du fait que la demande d’accès n’a précisément pas été retirée.
39 Il s’ensuit que, dans l’hypothèse où la première ordonnance du Tribunal serait rapportée, de sorte que [Pari Pharma] serait privée de l’effet protecteur des mesures provisoires accordées, l’EMA procéderait à l’exécution de la décision [litigieuse] et octroierait à [Novartis Europharm] l’accès aux rapports litigieux en application du règlement n° 1049/2001, ce qui aurait un effet erga omnes en ce sens que ces documents pourraient être communiqués à d’autres demandeurs et que toute personne
aurait le droit d’y accéder (voir, en ce sens, arrêt du 21 octobre 2010, Agapiou Joséphidès/Commission et EACEA, T‑439/08, non publié, EU:T:2010:442, point 116). Par ailleurs, [Novartis Europharm] serait en mesure de les utiliser dans le cadre de ses activités pharmaceutiques et, partant, en tant que concurrente de [Pari Pharma].
40 Or, il convient de rappeler que c’est précisément en considération de l’effet erga omnes, au regard duquel le juge des référés a constaté, aux points 95 à 97 de la première ordonnance du Tribunal, qu’il placerait [Pari Pharma] dans une situation de vulnérabilité susceptible de lui causer un préjudice grave et irréparable, que la condition relative à l’urgence a été considérée comme remplie.
41 Il résulte de tout ce qui précède que l’ordonnance sur pourvoi ne contient aucun élément de nature à remettre en cause les appréciations du juge des référés quant aux conditions auxquelles l’octroi des mesures provisoires adoptées dans la première ordonnance du Tribunal était subordonné, de sorte que la condition tenant à un changement de circonstances, telle qu’elle est visée à l’article 159 du règlement de procédure, n’est pas remplie. »
24 Sur le fondement de ces considérations, le président du Tribunal a rejeté la demande de l’EMA.
Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour
25 Par son pourvoi, l’EMA demande à la Cour d’annuler l’ordonnance attaquée et de rapporter la première ordonnance du Tribunal ainsi que de condamner Pari Pharma aux dépens de l’instance, y compris ceux afférents à la procédure devant le Tribunal.
26 Pari Pharma demande à la Cour de rejeter le pourvoi et la demande de retrait de la première ordonnance du Tribunal ainsi que de condamner l’EMA aux dépens, y compris à ceux de la procédure devant le Tribunal.
27 Sur demande de la Cour du 24 août 2016, Pari Pharma a, le 25 août 2016, déposé au greffe une copie de l’accord de confidentialité qu’elle a conclu avec Novartis Europharm, mentionné au point 19 de la présente ordonnance.
Sur le pourvoi
Argumentation des parties
28 À l’appui de son pourvoi, l’EMA soulève, en substance, trois moyens.
29 Par son premier moyen, l’EMA fait valoir que l’ordonnance attaquée est en contradiction avec l’ordonnance sur pourvoi.
30 Les deuxième et troisième moyens sont, quant à eux, tirés d’erreurs commises par le président du Tribunal lorsque celui-ci a, au point 37 de l’ordonnance attaquée, considéré que « le statu quo ayant permis au vice-président de la Cour de constater qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur le pourvoi de l’EMA ne resterait pas maintenu en cas de retrait de la première ordonnance du Tribunal ».
31 Dans le cadre de ces deux derniers moyens, l’EMA soutient que le président du Tribunal a artificiellement restreint, dans des limites qui ne ressortent pas de l’ordonnance sur pourvoi, son appréciation du changement des circonstances en question. En effet, la conclusion formulée aux points 38 à 41 de cette dernière ordonnance ne serait subordonnée à l’existence d’aucun « statu quo ».
32 En tout état de cause, le président du Tribunal n’aurait pas pris en considération les circonstances nouvelles et, notamment, le fait que Novartis Europharm a accepté de faire un usage limité des documents en question.
33 En ce qui concerne le prétendu effet erga omnes de la décision litigieuse, l’EMA a, en outre, déclaré dans son pourvoi que, « dans la pratique, et conformément à [une] jurisprudence constante [...], toute demande ultérieure d’accès aux documents donnera lieu à l’envoi d’une notification de celle-ci par l’EMA à [Pari Pharma], et [cette dernière] se verra à nouveau offrir la possibilité de contester la nouvelle décision de divulgation de la même manière que la décision [litigieuse] a été
contestée, notamment en introduisant une demande en référé ».
34 Pari Pharma considère, en revanche, que, tant que la décision litigieuse n’a pas été retirée, la première ordonnance du Tribunal n’est pas dépourvue d’objet, étant donné que cette décision influerait sur les futures décisions d’octroi à des tiers de l’accès aux rapports litigieux que l’EMA, saisie de demandes pendantes, pourrait adopter. Le fait que Novartis Europharm ait obtenu l’accès à ces rapports dans le cadre de la procédure ayant donné lieu à l’ordonnance sur pourvoi, sans que Pari
Pharma y ait consenti, ne serait pas de nature à remettre en cause les motifs adoptés à cet égard dans la première ordonnance du Tribunal.
35 En effet, en premier lieu, Novartis Europharm aurait indiqué conserver un intérêt à obtenir un accès sans restriction aux rapports litigieux et sans obligations de confidentialité, lequel ne pourrait être octroyé que par une décision rendue sur le fondement du règlement n° 1049/2001 et, donc, en maintenant la demande d’accès qui a donné lieu à la décision litigieuse.
36 En deuxième lieu, l’EMA aurait estimé ne pas pouvoir retirer la décision litigieuse en l’absence de désistement de Novartis Europharm de sa demande d’accès aux rapports litigieux. En outre, dans le cadre de la procédure ayant donné lieu à l’ordonnance sur pourvoi, l’EMA aurait soutenu conserver un intérêt à agir en raison de l’effet erga omnes des décisions d’octroi d’accès aux documents au titre dudit règlement. De même, sans le répéter expressément dans son pourvoi dans la présente
procédure, l’EMA n’aurait pas exclu l’effet erga omnes de la décision litigieuse.
37 À cet égard, l’effet erga omnes d’une décision adoptée au titre du règlement n° 1049/2001 serait confirmé par l’article 8, paragraphe 3, des règles de mise en œuvre de ce règlement sur l’accès aux documents de l’EMA du 19 décembre 2006 (ci-après les « règles d’accès »), qui énonce :
« L’[EMA] fera droit à la demande sans consulter le tiers auteur si le document demandé a déjà été divulgué par son auteur ou au titre du règlement n° 1049/2001 ou de dispositions similaires ».
38 L’affirmation de l’EMA, selon laquelle, dans le cas où elle serait saisie à l’avenir de nouvelles demandes d’accès aux rapports litigieux, Pari Pharma se verrait offrir la possibilité de contester la nouvelle décision d’octroi d’accès, serait donc en contradiction tant avec l’argumentation que l’EMA aurait développée dans le cadre de la procédure ayant donné lieu à l’ordonnance sur pourvoi qu’avec les règles d’accès.
39 En troisième lieu, Pari Pharma conserverait un intérêt certain au maintien de la première ordonnance du Tribunal et au rejet de la demande de retrait de celle-ci présentée par l’EMA en ce que cette ordonnance prive la décision litigieuse de son effet erga omnes.
Appréciation de la Cour
40 Afin de se prononcer sur les deuxième et troisième moyens, qu’il convient de traiter en premier lieu et ensemble, il y a lieu de rappeler que, au point 36 de l’ordonnance attaquée, le président du Tribunal a constaté que, dans l’hypothèse où Novartis Europharm se contenterait d’utiliser les rapports litigieux aux seules fins de la défense de ses intérêts dans le cadre de l’affaire T‑269/15 et où l’EMA considérerait la décision litigieuse comme étant devenue sans objet en raison du fait que
Novartis Europharm dispose déjà de ces rapports, Pari Pharma n’aurait plus besoin d’être protégée par des mesures provisoires.
41 Toutefois, au point 37 de l’ordonnance attaquée, le président du Tribunal a considéré que tel n’était pas le cas, étant donné que le statu quo ayant permis au vice-président de la Cour de constater qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur le pourvoi de l’EMA ne serait pas maintenu en cas de retrait de la première ordonnance du Tribunal.
42 Pour parvenir à cette conclusion, le président du Tribunal a, au point 38 de l’ordonnance attaquée, pris en considération la réponse que Novartis Europharm et l’EMA ont fournie aux questions, figurant au point 25 de cette dernière ordonnance, que le président du Tribunal leur avait adressées.
43 Ainsi, le président du Tribunal s’est limité à relever, audit point 38, que, d’une part, Novartis Europharm a affirmé qu’elle maintenait sa demande, fondée sur le règlement n° 1049/2001, visant à obtenir l’accès aux rapports litigieux, au motif qu’un tel accès accordé en vertu de ce règlement lui permettrait d’utiliser ces rapports sans les restrictions auxquelles elle est soumise en vertu de l’accord de confidentialité conclu avec Pari Pharma et que, d’autre part, selon l’EMA, la
circonstance que Novartis Europharm ait accédé aux rapports litigieux n’a aucune influence sur la décision litigieuse, du fait que la demande d’accès n’a pas été retirée.
44 Toutefois, force est de constater que tant le maintien par Novartis Europharm de cette demande que le fait que l’EMA n’ait pas retiré la décision litigieuse concernent le fond du recours en annulation de cette décision. Dans ce contexte, ces éléments sont à considérer notamment au regard de la possible mise en cause de la responsabilité de l’EMA à la suite d’une éventuelle annulation de ladite décision à l’issue de la procédure au fond faisant suite à ce recours.
45 En revanche, lesdits éléments ne permettent pas d’établir la persistante utilité des mesures provisoires en question, compte tenu du changement de circonstances intervenu en l’espèce, et consistant, en particulier, en l’accès obtenu par Novartis Europharm aux rapports litigieux ainsi que la conclusion de l’accord de confidentialité entre celle-ci et Pari Pharma.
46 Cela est d’autant plus vrai qu’il ressort clairement du point 3 dudit accord de confidentialité que Novartis Europharm ne pourra utiliser les rapports litigieux que dans le cadre de l’affaire T‑269/15, et cela « sans affecter la procédure présentement pendante devant le Tribunal dans l’affaire T‑235/15 ». Il s’ensuit que Novartis Europharm est tenue d’utiliser de manière restreinte ces rapports jusqu’à ce que le Tribunal ait statué sur le recours en annulation de la décision litigieuse
faisant l’objet de la procédure T‑235/15.
47 Or, le président du Tribunal aurait dû prendre en considération ces circonstances afin de juger de l’utilité de la mesure de sursis à l’exécution de la décision litigieuse dans la mesure où celle-ci accordait à un tiers, à savoir à Novartis Europharm, l’accès auxdits rapports.
48 Par conséquent, les éléments pris en considération par le président du Tribunal n’étant pas suffisants pour exclure que le changement de circonstances intervenu postérieurement à la première ordonnance du Tribunal puisse justifier que celle-ci soit rapportée, il y a lieu d’accueillir les deuxième et troisième moyens du pourvoi et d’annuler l’ordonnance attaquée, sans qu’il soit nécessaire de statuer sur le premier moyen du pourvoi.
Sur la demande de rapporter la première ordonnance du Tribunal
49 En vertu de l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lorsque la Cour annule la décision du Tribunal, elle peut soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue. Cette disposition s’applique également aux pourvois formés conformément à l’article 57, deuxième alinéa, de ce statut [ordonnances du vice-président de la Cour du 7 mars 2013,
EDF/Commission, C‑551/12 P(R), EU:C:2013:157, points 36 et 37, ainsi que du 23 avril 2015, Commission/Vanbreda Risk & Benefits, C‑35/15 P(R), EU:C:2015:275, point 59].
50 Le litige étant en état d’être jugé, il y a lieu de statuer sur la demande de l’EMA tendant au retrait de la première ordonnance du Tribunal.
51 À cet égard, il convient de rappeler qu’il a été considéré, dans cette première ordonnance, qu’il était urgent d’octroyer les mesures provisoires demandées afin d’éviter que Pari Pharma ait à souffrir d’un dommage grave et irréparable. Ainsi qu’il résulte des points 93 à 101 de ladite ordonnance, ce dommage aurait pu se produire, d’une part, si Novartis Europharm avait disposé des rapports litigieux et, d’autre part, si ces rapports avaient été divulgués à d’autres tiers.
52 Or, dès lors que Novartis Europharm détient les rapports litigieux, les mesures provisoires en cause ne sont plus de nature à permettre d’éviter la survenance d’un préjudice résultant de cette détention. En outre, ainsi que le président du Tribunal l’a constaté au point 36 de l’ordonnance attaquée, Pari Pharma n’aurait plus besoin d’être protégée par des mesures provisoires si Novartis Europharm se contentait d’utiliser ces rapports aux seules fins de la défense de ses intérêts dans le cadre
de l’affaire T‑269/15.
53 À cet égard, ainsi qu’il a été constaté au point 19 de la présente ordonnance, il ressort de l’accord de confidentialité conclu entre Pari Pharma et Novartis Europharm que cette dernière est tenue de faire une utilisation restreinte des rapports litigieux, limitée à la défense de ses intérêts dans le cadre de l’affaire T‑269/15 jusqu’à ce que le Tribunal ait statué au fond dans l’affaire T‑235/15. Dans ces conditions, et compte tenu des circonstances de l’espèce, ledit accord suffit pour
protéger les intérêts de Pari Pharma contre toute utilisation préjudiciable, autre que dans le cadre de l’affaire T‑269/15, des rapports litigieux par Novartis Europharm.
54 S’agissant du prétendu effet erga omnes de la décision litigieuse, il convient de relever que, même s’il est vrai que l’EMA a fait valoir, dans le cadre de la présente procédure, qu’un tel effet était attaché aux décisions adoptées sur le fondement du règlement n° 1049/2001 pour affirmer qu’il y avait encore lieu de statuer sur son pourvoi, il n’en reste pas moins que, dans sa requête en pourvoi, elle a expressément déclaré que, « dans la pratique, et conformément à [une] jurisprudence
constante [...], toute demande ultérieure d’accès aux documents donnera lieu à l’envoi d’une notification de celle-ci par l’EMA à [Pari Pharma], et [cette dernière] se verra à nouveau offrir la possibilité de contester la nouvelle décision de divulgation de la même manière que la décision [litigieuse] a été contestée, notamment en introduisant une demande en référé ».
55 Or, à supposer que les décisions adoptées sur le fondement du règlement n° 1049/2001 permettent d’octroyer l’accès à des documents à des tiers, autres que les premiers demandeurs bénéficiaires de ces décisions, souhaitant en disposer, cela ne signifie pas que tout tiers dispose automatiquement d’un droit d’accès auxdits documents. En d’autre termes, l’institution en cause reste tenue d’effectuer un examen concret et individuel de toute demande d’accès à des documents, indépendamment de la
circonstance que les documents aient déjà été divulgués et doit, le cas échéant, fournir les raisons justifiant une décision différente afin de protéger l’un des intérêts visés par l’article 4 dudit règlement.
56 En effet, l’examen requis pour le traitement d’une demande d’accès à des documents devant revêtir un caractère concret, lorsque l’institution concernée décide de refuser l’accès à un document dont la communication lui a été demandée, il lui incombe, en principe, de fournir des explications quant aux questions de savoir de quelle manière l’accès à ce document pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à l’intérêt protégé par une exception prévue à l’article 4 du même règlement que
cette institution invoque. En outre, le risque d’une telle atteinte doit être raisonnablement prévisible et non purement hypothétique (arrêt du 17 octobre 2013, Conseil/Access Info Europe, C‑280/11 P, EU:C:2013:671, point 31 et jurisprudence citée).
57 Par conséquent, la circonstance que les rapports litigieux aient déjà été divulgués dans la présente affaire ne saurait empêcher l’EMA d’examiner toute autre demande d’accès ayant pour objet les mêmes rapports litigieux en soumettant cette demande à la procédure prévue par le règlement n° 1049/2001 et en permettant ainsi à Pari Pharma de s’opposer à toute divulgation au titre de l’un des motifs prévus à l’article 4 de ce règlement.
58 Par ailleurs, il ne saurait non plus être soutenu que les règles d’accès interdisent à l’EMA de procéder en ce sens, vu que, en l’occurrence, l’accès aux rapports litigieux a eu lieu sans l’accord de l’auteur de ceux-ci et en dehors dudit règlement ou de toute disposition similaire.
59 Or, indépendamment de ce que l’EMA a soutenu dans le cadre des procédures ayant donné lieu à l’ordonnance sur pourvoi ou à l’ordonnance attaquée, force est de constater que, comme il a été rappelé au point 54 de la présente ordonnance, dans sa requête en pourvoi, elle a expressément déclaré devant la Cour avoir l’intention de soumettre à la procédure prévue par le même règlement toute demande d’accès aux rapports litigieux.
60 Il s’ensuit que, même en l’absence des mesures provisoires en cause, d’une part, Novartis Europharm ne pourra utiliser les rapports litigieux que dans les limites convenues dans l’accord de confidentialité conclu avec Pari Pharma, et cela jusqu’à la fin de la procédure au fond. D’autre part, l’EMA s’étant engagée devant la Cour à soumettre toute demande d’accès aux rapports litigieux à la procédure prévue par le règlement n° 1049/2001, aucun effet erga omnes ne saurait être attaché à la
décision litigieuse.
61 Au vu de ces circonstances, il apparaît que les mesures provisoires en cause ont perdu leur utilité et qu’il y a lieu de rapporter la première ordonnance du Tribunal.
Sur les dépens
62 Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens. En vertu de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens.
63 En l’espèce, Pari Pharma ayant succombé en ses prétentions et l’EMA ayant conclu à la condamnation de celle-ci aux dépens, il y a lieu de la condamner aux dépens afférents à la procédure de pourvoi ainsi qu’à celle de première instance.
Par ces motifs, le vice-président de la Cour ordonne :
1) L’ordonnance du président du Tribunal de l’Union européenne du 23 mai 2016, Pari Pharma/EMA (T‑235/15 R, non publiée, EU:T:2016:309), est annulée.
2) L’ordonnance du président du Tribunal de l’Union européenne du 1^er septembre 2105, Pari Pharma/EMA (T‑235/15 R, EU:T:2015:587), est rapportée.
3) Pari Pharma GmbH est condamnée aux dépens exposés dans le cadre tant de la procédure de pourvoi que de celle de première instance.
Signatures
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* Langue de procédure : l’anglais.