ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)
23 novembre 2016 (*)
« Manquement d’État – Directive 91/271/CEE – Traitement des eaux urbaines résiduaires – Article 4, paragraphes 1 et 3 – Traitement secondaire ou traitement équivalent »
Dans l’affaire C‑314/15,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 26 juin 2015,
Commission européenne, représentée par M^me O. Beynet et M. E. Manhaeve, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
contre
République française, représentée par M^mes S. Ghiandoni et A. Daly ainsi que par M. D. Colas, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LA COUR (sixième chambre),
composée de M. E. Regan (rapporteur), président de chambre, MM. J.‑C. Bonichot et A. Arabadjiev, juges,
avocat général : M. M. Bobek,
greffier : M^me V. Giacobbo-Peyronnel, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 28 septembre 2016,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par son recours, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en n’ayant pas assuré un traitement secondaire ou un traitement équivalent des eaux urbaines résiduaires de quinze agglomérations ayant soit un équivalent habitant (ci-après l’« EH ») compris entre 10 000 et 15 000, pour tous les rejets hors zones sensibles, soit un EH compris entre 2 000 et 10 000, pour tous les rejets dans des eaux douces et des estuaires, la République française a manqué aux obligations lui
incombant en vertu des dispositions de l’article 4, paragraphes 1 et 3, de la directive 91/271/CEE du Conseil, du 21 mai 1991, relative au traitement des eaux urbaines résiduaires (JO 1991, L 135, p. 40), telle que modifiée par le règlement (CE) n° 1137/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008 (JO 2008, L 311, p. 1) (ci-après la « directive 91/271 »).
Le cadre juridique
2 Aux termes de l’article 1^er de la directive 91/271 :
« La présente directive concerne la collecte, le traitement et le rejet des eaux urbaines résiduaires ainsi que le traitement et le rejet des eaux usées provenant de certains secteurs industriels.
La présente directive a pour objet de protéger l’environnement contre une détérioration due aux rejets des eaux résiduaires précitées. »
3 L’article 2 de cette directive dispose :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
1) “eaux urbaines résiduaires” : les eaux ménagères usées ou le mélange des eaux ménagères usées avec des eaux industrielles usées et/ou des eaux de ruissellement ;
[...]
6) “un [EH]” : la charge organique biodégradable ayant une demande biochimique d’oxygène en cinq jours (DB05) de 60 grammes d’oxygène par jour ;
[...]
8) “traitement secondaire” : le traitement des eaux urbaines résiduaires par un procédé comprenant généralement un traitement biologique avec décantation secondaire ou par un autre procédé permettant de respecter les conditions du tableau 1 de l’annexe I ;
[...] »
4 L’article 4 de ladite directive prévoit :
« 1. Les États membres veillent à ce que les eaux urbaines résiduaires qui pénètrent dans les systèmes de collecte soient, avant d’être rejetées, soumises à un traitement secondaire ou à un traitement équivalent selon les modalités suivantes :
[...]
– au plus tard le 31 décembre 2005 pour tous les rejets provenant d’agglomérations ayant un EH compris entre 10 000 et 15 000,
– au plus tard le 31 décembre 2005 pour les rejets, dans des eaux douces et des estuaires, provenant d’agglomérations ayant un EH compris entre 2 000 et 10 000.
[...]
3. Les rejets des stations d’épuration des eaux urbaines résiduaires visées aux paragraphes 1 et 2 doivent répondre aux prescriptions pertinentes de l’annexe I, point B. [...]
[...] »
5 L’annexe I de la directive 91/271, intitulée « Prescriptions relatives aux eaux urbaines résiduaires », est ainsi libellée :
« [...]
B. Rejets provenant des stations d’épuration des eaux urbaines résiduaires dans les eaux réceptrices [...]
1. Les stations d’épuration des eaux usées sont conçues ou modifiées de manière que des échantillons représentatifs des eaux usées entrantes et des effluents traités puissent être obtenus avant rejet dans les eaux réceptrices.
2. Les rejets provenant des stations d’épuration des eaux urbaines résiduaires, traités conformément aux articles 4 et 5 de la présente directive, répondent aux prescriptions figurant au tableau 1.
[...]
D. Méthodes de référence pour le suivi et l’évaluation des résultats
1. Les États membres veillent à ce que soit appliquée une méthode de surveillance qui corresponde au moins aux exigences décrites ci-dessous.
Des méthodes autres que celles prévues aux points 2, 3 et 4 peuvent être utilisées, à condition qu’il puisse être prouvé qu’elles permettent d’obtenir des résultats équivalents.
[…]
2. Des échantillons sont prélevés sur une période de 24 heures, proportionnellement au débit ou à intervalles réguliers, en un point bien déterminé à la sortie et, en cas de nécessité, à l’entrée de la station d’épuration, afin de vérifier si les prescriptions de la présente directive en matière de rejets d’eaux usées sont respectées.
[...]
3. Le nombre minimum d’échantillons à prélever à intervalles réguliers au cours d’une année entière est fixé en fonction de la taille de la station d’épuration :
– EH compris entre 2 000 et 9 999 :
12 échantillons au cours de la première année.
[...]
– EH compris entre 10 000 et 49 999 :
12 échantillons.
[…] »
6 Le tableau 1 de l’annexe I de la directive 91/271 contient les prescriptions relatives aux rejets provenant des stations d’épuration des eaux urbaines résiduaires et soumises aux dispositions, notamment, de l’article 4 de cette directive.
La procédure précontentieuse et la procédure devant la Cour
7 Par lettre du 29 mai 2007, la Commission a demandé aux autorités françaises de lui fournir des données relatives au respect, notamment, de leurs obligations de traitement, telles que prévues à l’article 4 de la directive 91/271. Ces autorités y ont répondu le 25 août 2008.
8 Après avoir examiné les éléments fournis dans cette réponse, la Commission a adressé à la République française, le 3 décembre 2009, une lettre de mise en demeure, aux termes de laquelle elle estimait que cet État membre avait manqué aux obligations lui incombant, notamment, en vertu de l’article 4 de cette directive, en ce qui concerne 551 agglomérations, s’agissant de leurs rejets d’eaux urbaines résiduaires en dehors des zones sensibles, pour celles ayant un EH compris entre 10 000 et
15 000, et dans des eaux douces ainsi que des estuaires, pour celles ayant un EH compris entre 2 000 et 10 000.
9 La République française a répondu à cette lettre de mise en demeure le 27 janvier 2010, en indiquant que, sur les 551 stations d’épuration en question, seules 177 demeuraient non conformes à ladite directive. Cet État membre a, par la suite, complété et mis à jour ces données par l’envoi de différents courriers adressés à la Commission au cours des années 2010 à 2013.
10 Après avoir examiné ces données, la Commission a adressé un avis motivé à la République française le 27 janvier 2014, estimant que 54 agglomérations ne répondaient toujours pas aux exigences prévues à l’article 4, paragraphes 1 et 3, de la même directive. Elle a imparti à cet État membre un délai de deux mois pour présenter ses observations à compter de la réception de celui-ci. La République française a répondu à cet avis motivé le 28 mars 2014, actualisant par la suite sa réponse dans
plusieurs autres courriers.
11 N’étant pas satisfaite des réponses fournies par cet État membre, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.
Sur le recours
12 Par son recours, la Commission fait grief à la République française d’avoir manqué aux obligations lui incombant en vertu de l’article 4, paragraphes 1 et 3, de la directive 91/271, en ce que cet État membre n’a pas assuré un traitement secondaire ou un traitement équivalent des eaux urbaines résiduaires rejetées, soit en dehors des zones sensibles, pour des agglomérations ayant un EH compris entre 10 000 et 15 000, soit dans des eaux douces et des estuaires, pour des agglomérations ayant un
EH compris entre 2 000 et 10 000.
13 Dans le dispositif de sa requête, ainsi qu’il ressort du point 1 du présent arrêt, la Commission fait grief à cet État membre d’avoir enfreint ledit article 4, paragraphes 1 et 3, en ce qui concerne le traitement des eaux urbaines résiduaires provenant de « quinze agglomérations » de celui-ci.
14 Cependant, dans son mémoire en réplique, la Commission a concédé que ce décompte d’agglomérations était entaché d’une erreur matérielle, les griefs énoncés dans le contenu de la requête se rapportant, en réalité, à la situation concrète qui se présentait dans treize agglomérations précisément identifiées dans celle-ci, à savoir celles de Goyave, de Bastelica, de Morne-à-l’Eau, d’Aiguilles‑Château‑Ville Vieille, de Borgo‑Nord, d’Isola, de Plombières-les-Bains, de Saint-Céré, de Vincey, de
Braine, de Coggia, d’Etueffont ainsi que de Volx et Villeneuve.
15 Par ailleurs, compte tenu des informations fournies par la République française au cours de la procédure écrite devant la Cour, la Commission a estimé, dans le même mémoire en réplique, que l’agglomération de Braine était désormais conforme aux exigences découlant de l’article 4, paragraphes 1 et 3, de la directive 91/271 et que, partant, ladite agglomération devait être écartée du présent recours, de sorte que celui‑ci ne portait plus que sur les douze agglomérations restantes.
16 Lors de l’audience, la Commission a indiqué qu’elle considérait que neuf de ces douze agglomérations, à savoir celles de d’Aiguilles‑Château‑Ville Vieille, de Borgo‑Nord, d’Isola, de Plombières-les-Bains, de Saint-Céré, de Vincey, de Coggia, d’Etueffont ainsi que de Volx et Villeneuve, sont devenues conformes aux exigences découlant de l’article 4, paragraphes 1 et 3, de ladite directive, tandis que trois d’entre elles, à savoir les agglomérations de de Goyave, de Bastelica et de
Morne-à-l’Eau, ne l’étaient toujours pas. La République française a contesté cette dernière affirmation.
17 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé et que les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour (voir, notamment, arrêt du 10 avril 2014, Commission/Italie, C‑85/13, non publié, EU:C:2014:251, point 31 et jurisprudence citée).
18 Il s’ensuit que, en l’espèce, dès lors que l’avis motivé, transmis le 27 janvier 2014 et reçu le même jour par la République française, avait imparti à cet État membre un délai de deux mois à compter de la réception de celui-ci pour qu’il se conforme à ses obligations résultant de la directive 91/271, l’existence du manquement allégué doit être appréciée à la date du 27 mars 2014.
19 En conséquence, aux fins d’examiner le bien-fondé du présent recours, il convient de déterminer si, à cette dernière date, il peut être considéré comme établi que la République française, ainsi que le fait valoir la Commission, ne respectait pas les exigences découlant de l’article 4, paragraphes 1 et 3, de ladite directive en ce qui concerne les douze agglomérations mentionnées au point 16 du présent arrêt.
20 Dans ses écritures, la République française indique qu’elle ne conteste pas que, à la date impartie par l’avis motivé, lesdites agglomérations n’étaient pas conformes à l’article 4, paragraphes 1 et 3, de la même directive, lu en combinaison avec l’annexe I, point B, de celle-ci.
21 Toutefois, selon une jurisprudence constante, il appartient à la Cour de constater si le manquement reproché existe ou non, même dans la mesure où l’État concerné ne conteste pas le manquement (voir, notamment, arrêt du 10 mars 2016, Commission/Espagne, C‑38/15, non publié, EU:C:2016:156, point 29 et jurisprudence citée).
22 À cet égard, il convient de rappeler que l’article 4, paragraphe 1, deuxième et troisième tirets, de la directive 91/271 impose aux États membres une obligation de résultat précise, formulée de manière claire et non équivoque, selon laquelle les eaux urbaines résiduaires pénétrant dans les systèmes de collecte doivent être soumises à un traitement secondaire ou à un traitement équivalent, soit avant tout rejet, lorsqu’elles proviennent d’agglomérations ayant un EH compris entre 10 000 et
15 000, soit avant les rejets dans des eaux douces et des estuaires, lorsqu’elles proviennent d’agglomérations ayant un EH compris entre 2 000 et 10 000.
23 En outre, conformément à l’article 4, paragraphe 3, de ladite directive, ce traitement secondaire ou équivalent doit être assuré par des stations d’épuration dont les rejets répondent aux prescriptions énoncées à l’annexe I, point B, de la même directive.
24 Or, en l’occurrence, comme l’a admis la République française dans ses écritures, il ressort des éléments fournis à la Cour que, à la date impartie par l’avis motivé, les agglomérations mentionnées au point 16 du présent arrêt, hormis celles de Plombières‑les-Bains et de Coggia, ne disposaient pas encore d’une station d’épuration en activité et que, partant, les rejets des eaux urbaines résiduaires provenant de ces agglomérations n’étaient pas soumis au traitement secondaire ou équivalent
exigé à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 91/271.
25 Par ailleurs, il apparaît que l’agglomération de Plombières-les-Bains ne disposait pas, quant à elle, d’une station d’épuration garantissant que les rejets des eaux urbaines résiduaires provenant de celle-ci répondent aux prescriptions visées à l’article 4, paragraphe 3, de cette directive, aucun échantillon concernant les paramètres pertinents n’étant disponible à cette date.
26 Il en résulte que, à la date impartie par l’avis motivé, les agglomérations de Goyave, de Bastelica, de Morne-à-l’Eau, d’Aiguilles‑Château‑Ville Vieille, de Borgo‑Nord, d’Isola, de Plombières-les-Bains, de Saint-Céré, de Vincey, d’Etueffont ainsi que de Volx et Villeneuve, ainsi que la République française l’a admis lors de l’audience, n’étaient pas conformes aux dispositions de l’article 4, paragraphes 1 et 3, de ladite directive.
27 En revanche, il ressort de l’examen des données fournies par cet État membre dans son mémoire en duplique que, s’agissant de l’agglomération de Coggia, celui-ci a fourni à la Commission plusieurs échantillons faisant apparaître l’efficacité du traitement secondaire des eaux urbaines résiduaires pour la période comprise entre le mois de janvier et celui de mars 2014. Or, lors de l’audience, la Commission a explicitement indiqué, en réponse à une question de la Cour sur ce point, qu’elle ne
contestait pas la conformité de ces échantillons aux exigences découlant de l’article 4, paragraphe 3, de la même directive.
28 Dans ces conditions, il convient de considérer qu’il a été démontré que les rejets provenant de la station d’épuration de l’agglomération de Coggia répondaient, à la date impartie dans l’avis motivé, aux prescriptions de l’article 4, paragraphe 3, de la directive 91/271, de sorte que, concernant cette agglomération, le manquement reproché n’est pas établi.
29 Il s’ensuit que, quel que soit le degré de mise en œuvre de l’article 4, paragraphes 1 et 3, de ladite directive atteint par la République française à la date de l’audience, et à supposer même, comme semble l’admettre la Commission, qu’il soit significatif, les agglomérations faisant l’objet du présent recours, visées au point 16 du présent arrêt, n’étaient pas, à l’exception de celle de Coggia, conformes à ces dispositions à la date pertinente pour l’examen de ce recours.
30 En conséquence, il y a lieu de constater que, en n’ayant pas assuré un traitement secondaire ou un traitement équivalent des eaux urbaines résiduaires provenant des agglomérations de Goyave, de Bastelica, de Morne‑à‑l’Eau, d’Aiguilles-Château-Ville Vieille, de Borgo-Nord, d’Isola, de Plombières‑les-Bains, de Saint-Céré, de Vincey, d’Etueffont ainsi que de Volx et Villeneuve, soit pour la totalité de leurs rejets, s’agissant des agglomérations ayant un EH compris entre 10 000 et 15 000, soit
pour les rejets dans des eaux douces et des estuaires, s’agissant des agglomérations ayant un EH compris entre 2 000 et 10 000, la République française a manqué aux obligations lui incombant en vertu des dispositions de l’article 4, paragraphes 1 et 3, de la directive 91/271.
Sur les dépens
31 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République française et le manquement ayant, pour l’essentiel, été constaté, il y a lieu de condamner cette dernière aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) déclare et arrête :
1) En n’ayant pas assuré un traitement secondaire ou un traitement équivalent des eaux urbaines résiduaires provenant des agglomérations de Goyave, de Bastelica, de Morne-à-l’Eau, d’Aiguilles-Château-Ville Vieille, de Borgo-Nord, d’Isola, de Plombières-les-Bains, de Saint-Céré, de Vincey, d’Etueffont ainsi que de Volx et Villeneuve, soit pour la totalité de leurs rejets, s’agissant des agglomérations ayant un équivalent habitant compris entre 10 000 et 15 000, soit pour les rejets dans des eaux
douces et des estuaires, s’agissant des agglomérations ayant un équivalent habitant compris entre 2 000 et 10 000, la République française a manqué aux obligations lui incombant en vertu des dispositions de l’article 4, paragraphes 1 et 3, de la directive 91/271/CEE du Conseil, du 21 mai 1991, relative au traitement des eaux urbaines résiduaires, telle que modifiée par le règlement (CE) n° 1137/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) La République française est condamnée aux dépens.
Regan Bonichot Arabadjiev
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 23 novembre 2016.
Le greffier Le président de la VIème chambre
A. Calot Escobar E. Regan
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* Langue de procédure : le français.