La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/03/2017 | CJUE | N°C-570/15

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, X contre Staatssecretaris van Financiën., 08/03/2017, C-570/15


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 8 mars 2017 ( 1 )

Affaire C-570/15

X

contre

Staatssecretaris van Financiën

[demande de décision préjudicielle formée par le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas)]

« Demande de décision préjudicielle – Règlement (CEE) no 1408/71 – Sécurité sociale – Détermination de la législation applicable – Article 13, paragraphe 2, sous a), et article 14, paragraphe 2, sous b), i) – Personne employée dan

s un État membre et exerçant une partie de son activité professionnelle dans l’État membre de sa résidence, essentiellement à son domicile »

...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 8 mars 2017 ( 1 )

Affaire C-570/15

X

contre

Staatssecretaris van Financiën

[demande de décision préjudicielle formée par le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas)]

« Demande de décision préjudicielle – Règlement (CEE) no 1408/71 – Sécurité sociale – Détermination de la législation applicable – Article 13, paragraphe 2, sous a), et article 14, paragraphe 2, sous b), i) – Personne employée dans un État membre et exerçant une partie de son activité professionnelle dans l’État membre de sa résidence, essentiellement à son domicile »

Introduction

1. Le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays‑Bas) a saisi la Cour à titre préjudiciel dans le cadre d’une procédure opposant M. X au Staatssecretaris van Financiën (secrétaire d’État aux finances) à propos du paiement de l’impôt sur le revenu et des cotisations de sécurité sociale pour l’exercice 2009.

2. La juridiction de renvoi demande à la Cour de l’éclairer sur l’interprétation des règles de conflit figurant à l’article 13, paragraphe 2, sous a), et à l’article 14, paragraphe 1, sous b), i), du règlement (CEE) no 1408/71 ( 2 ). Elle souhaite savoir en particulier si une personne employée dans un État membre et résidant dans un autre État membre qui exerce une partie de son activité pour le même employeur (à raison de 6,5 % de son temps de travail environ) dans son État membre de résidence,
essentiellement à son domicile, doit être considérée comme étant une personne qui « exerce normalement » une activité salariée sur le territoire de deux États membres aux fins de la détermination de la législation applicable.

Le cadre juridique

3. L’article 1er du règlement no 1408/71 définit les notions de « travailleur salarié » et de « travailleur non salarié » de la manière suivante :

« a) les termes “travailleur salarié” et “travailleur non salarié” désignent, respectivement, toute personne :

i) qui est assurée au titre d’une assurance obligatoire ou facultative continuée contre une ou plusieurs éventualités correspondant aux branches d’un régime de sécurité sociale s’appliquant aux travailleurs salariés ou non salariés ou par un régime spécial des fonctionnaires ;

[…]. »

4. L’article 13 de ce règlement dispose ce qui suit :

« 1.   Sous réserve des articles 14 quater et 14 septies, les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre. Cette législation est déterminée conformément aux dispositions du présent titre.

2.   Sous réserve des articles 14 à 17 :

a) la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d’un État membre est soumise à la législation de cet État même si elle réside sur le territoire d’un autre État membre ou si l’entreprise ou l’employeur qui l’occupe a son siège ou son domicile sur le territoire d’un autre État membre ;

[…]. »

5. L’article 14, paragraphe 2, sous b), i), de ce règlement dispose ce qui suit :

« 2) La personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres est soumise à la législation déterminée comme suit :

[…]

b) la personne autre que celle visée au point a) est soumise :

i) à la législation de l’État membre sur le territoire duquel elle réside si elle exerce une partie de son activité sur ce territoire ou si elle relève de plusieurs entreprises ou de plusieurs employeurs ayant leur siège ou leur domicile sur le territoire de différents États membres. »

Les faits

6. M. X est un citoyen néerlandais qui résidait en Belgique au moment des faits, c’est-à-dire pendant l’année 2009.

7. Durant cette année, il travaillait au service d’un employeur établi aux Pays‑Bas en qualité de gestionnaire des comptes et des relations en matière de télécommunication.

8. En 2009, M. X a travaillé pendant 1872 heures au service de son employeur. Sur ces 1872 heures, il en a presté 121 en Belgique, ce qui représente 6,5 % environ du total de ses heures de travail cette année-là. Il s’agit de 17 heures consacrées à des visites de clients de l’employeur qui sont établis en Belgique et de 104 heures durant lesquelles l’intéressé a travaillé à son domicile en Belgique. Ces 104 heures représentent au total 13 journées de travail de 8 heures chacune.

9. Les activités exercées à domicile étaient consacrées à la rédaction de courriers électroniques, à la rédaction et à l’envoi d’offres. Les activités exercées en Belgique ne l’étaient pas suivant un plan de travail déterminé. M. X a principalement travaillé chez lui durant les semaines qui ont suivi ses vacances d’été, mais pas durant l’hiver. Le contrat de travail de M. X ne prévoit aucune prestation à domicile ou ailleurs en Belgique.

10. Les autres activités que l’intéressé a exercées pour le compte de son employeur en 2009 (à savoir 1751 heures) ont été accomplies soit dans les bureaux de l’entreprise, soit chez des clients (potentiels) établis aux Pays‑Bas.

11. Le litige qui oppose M. X au secrétaire d’État aux finances porte sur le calcul de l’impôt sur le revenu et des cotisations de sécurité sociale afférents à l’exercice 2009. Il porte plus particulièrement sur le point de savoir si M. X était assuré au titre d’une assurance obligatoire au régime national de la sécurité sociale et s’il était donc tenu de verser des cotisations à ce régime.

12. Saisi d’un recours contre le jugement du rechtbank Zeeland-West-Brabant (tribunal de Zélande-Brabant occidental, Pays-Bas), le Gerechtshof ’s‑Hertogenbosch (cour d’appel de Bois-le-Duc, Pays‑Bas) a jugé que, en 2009, M. X n’avait exercé que des activités purement ponctuelles en Belgique. Il a dit :

i) qu’aucun élément ne permettait de conclure que l’employeur et M. X étaient convenus que ce dernier exercerait régulièrement des activités en Belgique ;

ii) que M. X exerçait ses activités habituellement aux Pays‑Bas ;

iii) que les visites chez les clients en Belgique n’avaient lieu que de façon ponctuelle et

iv) qu’en ce qui concerne les travaux effectués à domicile, rien n’indiquait que l’employeur et M. X eussent conclu un accord en ce sens ou qu’il se fût agi d’un plan de travail structurel.

13. Le Gerechtshof ’s-Hertogenbosch (cour d’appel de Bois-le-Duc) a jugé en outre que les activités que M. X avait exercées de manière ponctuelle sur le territoire belge ne devaient pas être prises en considération pour déterminer la législation de sécurité sociale applicable. C’est la raison pour laquelle il a conclu que M. X exerçait normalement ses activités sur le territoire d’un seul État membre, à savoir les Pays-Bas, de sorte que, conformément à l’article 13, paragraphe 2, initio et sous a),
du règlement no 1408/71, c’était exclusivement la législation néerlandaise qui devait s’appliquer.

14. M. X s’est pourvu en cassation de cet arrêt devant la juridiction de renvoi.

15. La juridiction de renvoi observe que le pourvoi soulève la question de savoir quelle disposition du règlement no 1408/71 désigne la législation applicable à l’intéressé. D’une part, si l’on ne tient pas compte des activités exercées par M. X en Belgique, ce serait la règle générale de conflit énoncée à l’article 13, paragraphe 2, sous a), de ce règlement, règle désignant la législation de l’État membre d’emploi comme étant la législation applicable, qui devrait s’appliquer. D’autre part, si ces
activités devaient être prises en considération, il résulterait de l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1408/71 que la législation applicable serait tantôt la législation néerlandaise, tantôt la législation belge, selon que le lieu où M. X exerce effectivement ses activités est le territoire néerlandais ou le territoire belge et inversement. Si l’on considère, en revanche, que l’intéressé exerce habituellement ses activités sur le territoire de deux États membres, à savoir les
Pays‑Bas et la Belgique, ce serait alors la règle particulière énoncée à l’article 14, paragraphe 2, sous b), i), du règlement no 1408/71 qui s’appliquerait et, avec elle, exclusivement la législation de l’État membre de résidence.

La question préjudicielle et la procédure devant la Cour

16. C’est dans ces circonstances que le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) a décidé de surseoir à statuer et d’adresser la question préjudicielle suivante à la Cour de justice :

« Quel(s) critère(s) faut-il appliquer pour déterminer la législation applicable conformément au [règlement no 1408/71] dans le cas d’un travailleur résidant en Belgique qui, au cours de l’année en cause, a exercé l’écrasante majorité de ses activités pour son employeur néerlandais sur le territoire des Pays-Bas et qui, en plus, a exercé 6,5 % de ses activités totales en Belgique soit à son domicile, soit chez des clients, étant entendu que cette proportion ne correspond pas à un plan de travail
bien établi et qu’il n’a jamais conclu avec son employeur aucun accord concernant l’exercice d’activités en Belgique ? »

17. La décision de renvoi du 30 octobre 2015 est parvenue au greffe de la Cour le 5 novembre 2015. Ont présenté des observations écrites les gouvernements belge, tchèque et néerlandais, ainsi que la Commission européenne. M. X, le gouvernement néerlandais et la Commission ont présenté des observations orales lors de l’audience qui s’est tenue le 14 décembre 2016.

Analyse

18. La juridiction de renvoi demande, en substance, si une personne employée dans un État membre et résidant dans un autre État membre qui, au cours de l’année en cause, a exercé une petite partie de ses activités (à savoir 6,5 % environ de son temps de travail) pour le même employeur dans l’État membre de sa résidence, essentiellement à son domicile, doit être considérée comme « exerçant normalement » ses activités exclusivement dans le premier État membre ou bien dans les deux États membres aux
fins de l’application des articles 13 et 14 du règlement no 1408/71.

19. La juridiction de renvoi cherche ainsi à déterminer quelle législation les règles de conflit énoncées sous le titre II de ce règlement désignent comme étant la législation applicable à une telle personne.

20. Les positions des parties intéressées diffèrent sur ce point.

21. Lors de l’audience, M. X a maintenu qu’il doit être considéré comme exerçant normalement son activité dans deux États membres et, par conséquent, comme étant soumis à la législation de son État membre de résidence conformément à l’article 14, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1408/71. Il a affirmé qu’il avait le droit de travailler à domicile et que les tâches qu’il accomplissait à la maison, comme répondre à des courriers électroniques et contacter des clients par téléphone, relèvent des
tâches principales pour lesquelles il a été engagé. Il a soutenu en outre que ces activités devaient être prises en considération pour déterminer la législation applicable.

22. Par ailleurs, les États membres qui sont intervenus à l’affaire et la Commission soutiennent d’une seule voix que le règlement no 1408/71 doit être interprété en ce sens qu’un travailleur résidant en Belgique qui exerce l’écrasante majorité de ses activités pour son employeur néerlandais sur le territoire des Pays‑Bas et qui, pour le surplus, a exercé 6,5 % de ses activités durant l’exercice en cause en Belgique doit être considéré comme étant employé uniquement sur le territoire des Pays-Bas et
soumis à la législation néerlandaise de la sécurité sociale, conformément à la règle de conflit lex loci laboris inscrite à l’article 13, paragraphe 2, sous a), de ce règlement.

23. La Cour a itérativement dit pour droit que les dispositions du titre II du règlement no 1408/71, dont font partie les articles 13 et 14, constituent un système complet et uniforme de règles de conflit, qui ont pour but de garantir que les travailleurs exerçant leur droit de libre circulation à l’intérieur de l’Union européenne soient soumis au régime de sécurité sociale d’un seul État membre afin d’éviter que plus d’un système légal soit applicable et de prévenir les complications qui pourraient
résulter d’une telle situation ( 3 ).

24. Le problème qui se pose en l’espèce est celui de savoir si la situation en cause au principal relève de la règle générale de conflit qui est énoncée à l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1408/71 (lex loci laboris) ou de la règle particulière de conflit qui figure à l’article 14, paragraphe 2, sous b), i) (lex domicilii). Pour le résoudre, il est nécessaire de déterminer si l’activité exercée par M. X en Belgique doit être prise en considération aux fins de l’application de ces
dispositions.

25. Si cette activité était prise en compte, M. X devrait être considéré comme exerçant normalement une activité salariée sur le territoire de deux États membres au sens de l’article 14, paragraphe 2, sous b), i), du règlement no 1408/71. Si tel n’était pas le cas, c’est la règle générale de conflit énoncée à l’article 13, paragraphe 2, sous a), de ce règlement qui devrait s’appliquer.

26. J’observe que le fait que M. X travaille pour un seul employeur n’empêche aucunement d’appliquer l’article 14, paragraphe 2, sous b), i), du règlement no 1408/71. Comme la Cour l’a déjà dit dans l’arrêt Calle Grenzshop Andresen, cette disposition est applicable même si la personne concernée exerce ses activités sur le territoire de deux ou de plusieurs États membres pour le compte d’une seule et même entreprise ( 4 ).

27. De surcroît, il ne fait aucun doute en l’espèce que les activités que M. X exerce en Belgique ne relèvent pas de la notion de « détachement » au sens de l’article 14, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1408/71 puisqu’il les y exerce sans aucune restriction de temps en accomplissant ses tâches principales à domicile avec l’accord tacite de son employeur.

28. Le cas de figure visé à l’article 14, paragraphe 2, sous b), i), du règlement no 1408/71 est celui d’une personne qui « exerce normalement » une activité salariée sur le territoire de deux ou de plusieurs États membres et qui exerce également « une partie » de son activité sur le territoire de l’État membre où elle a son domicile.

29. Les termes dans lesquels cette disposition est rédigée impliquent que l’activité salariée que le travailleur exerce dans son État membre de résidence doit avoir une certaine importance quantitative. Si tel n’était pas le cas, même l’exercice d’activités négligeables ou occasionnelles pourrait déclencher les conséquences juridiques énoncées à l’article 14, paragraphe 2, sous b), i), du règlement no 1408/71. Une telle interprétation comporterait le risque que les règles de conflit énoncées sous le
titre II du règlement no 1408/71 puissent être contournées ( 5 ).

30. Comme la Cour l’a déjà dit à propos des travailleurs indépendants, le terme « normalement » suppose que la personne concernée exerce habituellement des activités « significatives » sur le territoire de l’État membre concerné ( 6 ).

31. Cette interprétation n’est pas contredite dans l’arrêt Calle Grenzshop Andresen, dans lequel la Cour a dit pour droit que la situation d’un travailleur danois résidant au Danemark et employé en Allemagne qui, pendant plusieurs heures par semaine, exerce régulièrement son activité en partie au Danemark relève de l’article 14, paragraphe 2, sous b), i), du règlement no 1408/71 ( 7 ). La personne en question travaillait comme directeur dans une entreprise établie en Allemagne, près de la frontière
danoise, et travaillait également pour son employeur dix heures environ chaque semaine au Danemark où elle accomplissait des tâches de coordination et de supervision. Il résulte clairement de l’analyse de l’avocat général Lenz dans cette affaire que cette activité exercée dans l’État membre de résidence ne pouvait pas être considérée comme insignifiante ( 8 ).

32. Dans son arrêt Format Urządzenia i Montaże Przemysłowe, la Cour a dit pour droit que, pour déterminer si une personne doit être considérée comme « exerçant normalement » une activité salariée sur le territoire de deux ou de plusieurs États membres, il faut tenir compte, en particulier, de la nature du travail salarié telle qu’elle est définie dans les documents contractuels afin d’apprécier si les activités prévisibles relèvent d’activités salariées réparties, de façon non simplement ponctuelle,
sur le territoire de plusieurs États membres et de tenir compte également du travail effectivement réalisé ( 9 ).

33. Il résulte de cette jurisprudence que, pour déterminer si une personne « exerce normalement » un travail salarié sur le territoire d’un autre État membre aux fins de l’application des articles 13 et 14 du règlement no 1408/71, il faut tenir compte de la quantité de travail prévue par les documents contractuels ainsi que du travail effectivement réalisé par le travailleur.

34. Il apparaît de la décision de renvoi que, au cours de la période pertinente, M. X a accompli 6,5 % de sa durée totale de travail dans son État membre de résidence. La quantité de travail effectivement réalisée en Belgique constitue, selon moi, une indication claire que ces activités sont insignifiantes par rapport à l’ensemble de la relation de travail ou, comme le propose la Commission, qu’elles ne sont exercées qu’« occasionnellement » si on les compare à l’écrasante majorité des tâches que
comporte son emploi.

35. La durée du travail n’est pas, à mon avis, le seul élément décisif. Il convient également de prendre en considération d’autres éléments tels que la nature des activités et les circonstances dans lesquelles elles sont exercées ( 10 ).

36. Les activités que M. X a exercées en Belgique comprenaient des visites occasionnelles aux clients et, principalement, du travail qu’il effectuait à domicile en l’absence de tout accord explicite avec son employeur ou de tout plan de travail.

37. J’observe que c’est l’un des avantages (ou, pour certains, l’un des inconvénients) de l’économie informatisée qu’un employé puisse être invité ou autorisé à accomplir une partie de ses tâches de bureau lorsqu’il est éloigné de celui‑ci et qu’il puisse, le cas échéant, travailler à domicile.

38. Une telle convention de travail présente la particularité d’être susceptible d’estomper la notion de « lieu de travail déterminé » en tant qu’élément pertinent permettant de désigner l’État membre qui présente le lien le plus étroit avec la relation de travail. Une personne peut réaliser du télétravail sur son ordinateur ou au moyen de son téléphone lorsqu’elle se trouve à son domicile ou lorsqu’elle est en voyage, de sorte qu’une telle modalité de travail peut représenter une partie
significative de l’activité salariée. Il appartiendra à la Cour de décider à l’avenir dans quelle mesure cette circonstance devrait être prise en considération pour déterminer la législation de sécurité sociale applicable.

39. La question ne se pose pas en l’espèce étant donné que d’autres indices (la petite quantité de travail et l’absence de tout schéma structurel inscrit dans les documents contractuels) trahissent la nature marginale des activités que M. X exerce dans son État membre de résidence.

40. Dans une situation telle que celle qui est en cause au principal, où le travail à domicile n’est pas explicitement prévu dans les documents contractuels, ne constitue pas un schéma structurel et ne représente qu’un pourcentage relativement modeste de la durée de travail totale, il me paraît manifestement inapproprié de se fonder sur cette circonstance aux fins de l’application des articles 13 et 14 du règlement no 1408/71.

41. C’est la raison pour laquelle je considère que, dans des circonstances telles que celles de l’espèce, les activités qu’un travailleur exerce pour le même employeur dans un autre État membre, activités qui représentent 6,5 % environ de son temps de travail et qui sont, de surcroît, principalement réalisées à domicile, doivent être considérées comme marginales et ne doivent pas être prises en compte aux fins de l’application des articles 13 et 14 du règlement no 1408/71. Toute personne qui se
trouve dans cette situation doit dès lors être considérée comme exerçant normalement une activité salariée dans un seul État membre et comme étant soumise à la législation désignée par la règle générale de conflit qui est énoncée à l’article 13, paragraphe 2, sous a), de ce règlement.

42. À titre subsidiaire, j’observe que cette conclusion semble corroborée par la notion d’« activité marginale » introduite à l’article 14, paragraphe 5, sous b), du règlement (CE) no 987/2009 ( 11 ) et expliquée dans le guide pratique élaboré, sous les auspices de la Commission, par la commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale afin d’aider les autorités nationales à appliquer les règles de conflit figurant dans le règlement no 883/2004 ( 12 ).

43. Il résulte des explications figurant dans le Guide pratique que les activités « marginales » ne doivent pas être prises en considération aux fins de l’application des règles de conflit dans le cas d’une personne qui exerce une activité salariée ou non salariée dans deux ou plusieurs États membres. Une personne exerçant des activités marginales dans un autre État membre ne peut pas être considérée comme exerçant « normalement » une activité salariée ou non salariée dans deux ou plusieurs États
membres. Les activités marginales sont en outre définies comme étant des activités permanentes mais négligeables en termes de temps ou de rentabilité économique. Il est conseillé, à titre indicatif, de considérer comme marginales les activités représentant moins de 5 % du temps de travail normal du travailleur ou moins de 5 % de sa rémunération globale. La nature des activités, par exemple, les activités d’appoint qui ne peuvent s’exercer de façon indépendante ou qui sont exercées chez soi, peut
aussi être un indice d’activités marginales.

Conclusion

44. À la lumière de l’exposé qui précède, je propose que la Cour réponde à la question préjudicielle que lui a posée le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) de la manière suivante :

Le règlement (CE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, doit être interprété en ce sens que, dans des circonstances telles que celles qui sont en cause au principal, une personne employée dans un État membre et résidant dans un autre qui, au
cours de l’exercice en cause, a exercé une petite partie de ses activités pour le même employeur, à savoir 6,5 % environ de son temps de travail, dans le second État membre, activités qu’elle a exercées principalement à domicile, doit être considérée comme exerçant une activité salariée exclusivement dans le premier de ces deux États membres aux fins de l’application des articles 13 et 14 de ce règlement.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

( 1 ) Langue originale : l’anglais

( 2 ) Règlement du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1, ci-après le « règlement no 1408/71 »). Le règlement no 1408/71 a été abrogé et remplacé avec effet au 1er mai 2010 par le règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil,
du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1). Il demeure néanmoins applicable ratione temporis à la procédure au principal.

( 3 ) Voir, en particulier, arrêt du 24 mars 1994, Van Poucke (C‑71/93, EU:C:1994:120, point 22).

( 4 ) Arrêt du 16 février 1995 (C‑425/93, EU:C:1995:37, point 13).

( 5 ) J’observe que l’article 13, paragraphe 1, sous a), du règlement no 883/2004 modifie la règle de conflit qui figurait précédemment à l’article 14, paragraphe 2, sous b), i), du règlement no 1408/71 en exigeant que la personne concernée exerce une partie « substantielle » de son activité dans son État membre de résidence.

( 6 ) Arrêt du 30 mars 2000, Banks e.a. (C‑178/97, EU:C:2000:169, point 25 ainsi que jurisprudence citée).

( 7 ) Arrêt du 16 février 1995 (C‑425/93, EU:C:1995:37).

( 8 ) Arrêt du 16 février 1995, Calle Grenzshop Andresen (C‑425/93, EU:C:1995:37, point 15), et conclusions que l’avocat général Lenz a présentées dans cette affaire (C‑425/93, EU:C:1995:12, points 28 à 33).

( 9 ) Arrêt du 4 octobre 2012 (C‑115/11, EU:C:2012:606, points 44 et 45).

( 10 ) Voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 1973, Hakenberg (13/73, EU:C:1973:92, point 20), et conclusions que l’avocat général Lenz a présentées dans l’affaire Calle Grenzshop Andresen (C‑425/93, EU:C:1995:12, point 32).

( 11 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d’application du règlement (CE) no 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2009, L 284, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) no 465/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012 (JO 2012, L 149, p. 4). L’article 14, paragraphe 5 ter, dispose que « [l]es activités marginales ne sont pas prises en compte aux fins de la détermination de la législation
applicable au titre de l’article 13 du règlement de base […] ».

( 12 ) Guide pratique sur la législation applicable dans l’Union européenne (UE), dans l’Espace économique européen (EEE) et en Suisse, 2013, p. 27.


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : C-570/15
Date de la décision : 08/03/2017
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Renvoi préjudiciel – Application des régimes de sécurité sociale – Travailleurs migrants – Détermination de la législation applicable – Règlement (CEE) n° 1408/71 – Article 14, paragraphe 2, sous b), i) – Personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres – Personne employée dans un État membre et exerçant une partie de ses activités dans l’État membre de sa résidence.

Sécurité sociale des travailleurs migrants


Parties
Demandeurs : X
Défendeurs : Staatssecretaris van Financiën.

Composition du Tribunal
Avocat général : Szpunar

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2017:182

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award