CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. PAOLO MENGOZZI
présentées le 15 juin 2017 ( 1 )
Affaire C‑156/16
Tigers GmbH
contre
Hauptzollamt Landshut
[demande de décision préjudicielle formée par le Finanzgericht München (tribunal des finances de Munich, Allemagne)]
« Renvoi préjudiciel – Règlement d’exécution (UE) no 412/2013 – Règle subordonnant l’application des taux de droit antidumping individuels à la présentation d’une facture en bonne et due forme – Code des douanes communautaire – Article 78 – Admissibilité de la présentation d’une facture en bonne et due forme a posteriori »
1. Lorsqu’un règlement instituant des droits antidumping définitifs subordonne l’application des taux de droit individuels à la présentation d’une facture respectant certaines exigences de forme, un importateur peut-il produire une telle facture après avoir présenté la déclaration en douane, notamment dans le cadre d’une procédure de contrôle a posteriori de cette déclaration ? Ou, pour pouvoir bénéficier d’un taux de droit antidumping individuel, est-il toujours nécessaire qu’une telle facture soit
produite contextuellement à la présentation de la déclaration en douane ?
2. Telle est, en substance, la question qui se pose dans la présente affaire qui a trait à une demande de décision préjudicielle introduite par le Finanzgericht München (tribunal des finances de Munich, Allemagne) portant sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 3, du règlement d’exécution (UE) no 412/2013 du Conseil, du 13 mai 2013, instituant un droit antidumping définitif et portant perception définitive du droit provisoire institué sur les importations d’articles en céramique pour la
table et la cuisine originaires de la République populaire de Chine ( 2 ), ainsi que de l’article 78 du règlement (CEE) no 2913/92 ( 3 ).
3. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant une société allemande, Tigers GmbH, à l’Hauptzollamt Landshut (bureau de douane principal de Landshut, Allemagne, ci‑après le « bureau de douane ») au sujet du rejet par ce dernier d’une demande introduite par Tigers visant à obtenir le remboursement partiel du droit antidumping qui lui a été imposé en vertu du règlement d’exécution no 412/2013 pour l’importation en Allemagne de produits en céramique.
4. La question sous-jacente à la présente affaire découle d’une pratique des autorités douanières allemandes qui exclut toute présentation a posteriori d’une facture respectant les exigences de forme requises pour l’application des taux de droit antidumping individuels. Cette question, qui revêt une portée non négligeable dans la pratique douanière, a fait l’objet d’un certain débat tant dans la jurisprudence que dans la doctrine en Allemagne.
I. Le cadre juridique
A. La réglementation antidumping
5. Le 14 novembre 2012, la Commission européenne a adopté le règlement (UE) no 1072/2012, instituant un droit antidumping provisoire sur les importations d’articles en céramique pour la table et la cuisine originaires de la République populaire de Chine ( 4 ). L’article 1er de ce règlement a établi différents taux individuels de droit antidumping provisoires qui étaient applicables à diverses catégories de producteurs-exportateurs. Aux termes de cette disposition, les importations provenant de
certaines sociétés énumérées à l’annexe I dudit règlement étaient assujetties à un taux de 26,6 % (auquel correspondait le code additionnel TARIC B354) et celles provenant de toute autre société non énumérée dans le règlement no 1072/2012 étaient assujetties à un taux de 58,8 % (auquel correspondait le code additionnel TARIC B999).
6. Chaozhou Wingoal Ceramics Industrial Co Ltd (ci-après « CWCI ») figurait parmi les producteurs-exportateurs énumérés à l’annexe I du règlement no 1072/2012.
7. L’article 1er, paragraphe 3, du règlement no 1072/2012 précisait que l’application des taux de droit antidumping provisoires individuels était subordonnée à la présentation aux autorités douanières des États membres d’une facture commerciale en bonne et due forme, conforme aux exigences énoncées à l’annexe II dudit règlement ( 5 ) et que, faute de présentation d’une telle facture, ce serait le taux de droit de 58,8 % applicable à toutes les autres sociétés qui s’appliquerait. Le paragraphe 5 du
même article renvoyait aux dispositions en vigueur en matière de droits de douane applicables.
8. Le 13 mai 2013, le Conseil de l’Union européenne a adopté le règlement d’exécution no 412/2013.
9. Le considérant 229 de ce règlement d’exécution énonce :
« Afin de réduire au minimum les risques de contournement liés à la différence importante entre les taux des droits, il est jugé nécessaire, en l’espèce, de prendre des dispositions particulières pour garantir la bonne application des droits antidumping. Ces mesures spéciales prévoient notamment la présentation, aux autorités douanières des États membres, d’une facture commerciale en bonne et due forme, conforme aux exigences énoncées à l’annexe II du présent règlement. Les importations qui ne
sont pas accompagnées d’une telle facture sont soumises au droit antidumping résiduel applicable à tous les autres exportateurs. »
10. L’article 1er, paragraphe 2, du règlement d’exécution no 412/2013 a établi les taux de droit antidumping définitifs applicables aux produits concernés. Aux termes de cette disposition, les importations provenant de certaines sociétés énumérées à l’annexe I du même règlement d’exécution – parmi lesquelles figurait CWCI – étaient assujetties à un taux individuel de droit antidumping définitif de 17,9 % et celles provenant de toute autre société non énumérée dans ledit règlement d’exécution étaient
assujetties à un taux de 36,1 %.
11. L’article 1er, paragraphes 3 et 4, du règlement d’exécution no 412/2013 dispose :
« 3. L’application des taux de droit individuels antidumping précisés pour les sociétés mentionnées au paragraphe 2 est subordonnée à la présentation, aux autorités douanières des États membres, d’une facture commerciale en bonne et due forme, conforme aux exigences énoncées à l’annexe II. Si une telle facture n’est pas présentée, le taux de droit applicable à “Toutes les autres sociétés” s’applique.
4. Sauf indication contraire, les dispositions en vigueur en matière de droits de douane sont applicables. »
12. L’annexe II du règlement d’exécution no 412/2013 stipule :
« Une déclaration signée par un responsable de l’entité qui a délivré la facture commerciale et se présentant comme suit doit apparaître sur la facture commerciale en bonne et due forme visée à l’article 1er, paragraphe 3 :
1) Nom et fonction du responsable de l’entité qui délivre la facture commerciale.
2) La déclaration suivante : “Je, soussigné, certifie que (le volume) des articles en céramique pour la table et la cuisine vendus à l’exportation vers l’Union européenne et couvert par la présente facture a été produit par (nom et adresse de la société) (code additionnel TARIC) en/au/aux/à (pays concerné). Je déclare que les informations fournies dans la présente facture sont complètes et correctes.”
3) Date et signature. »
B. Le code des douanes
13. L’article 62 du code des douanes dispose :
« 1. Les déclarations faites par écrit doivent être établies sur un formulaire conforme au modèle officiel prévu à cet effet. Elles doivent être signées et comporter toutes les énonciations nécessaires à l’application des dispositions régissant le régime douanier pour lequel les marchandises sont déclarées.
2. Doivent être joints à la déclaration tous les documents dont la production est nécessaire pour permettre l’application des dispositions régissant le régime douanier pour lequel les marchandises sont déclarées. »
14. Aux termes de l’article 63 du code des douanes :
« Les déclarations qui répondent aux conditions fixées à l’article 62 sont immédiatement acceptées par les autorités douanières, si par ailleurs les marchandises auxquelles elles se rapportent sont présentées en douane. »
15. Aux termes de l’article 68 du code des douanes :
« Pour la vérification des déclarations acceptées par elles, les autorités douanières peuvent procéder :
a) à un contrôle documentaire portant sur la déclaration et les documents qui y sont joints. Les autorités douanières peuvent exiger du déclarant de leur présenter d’autres documents en vue de la vérification de l’exactitude des énonciations de la déclaration ;
b) à l’examen des marchandises accompagné d’un éventuel prélèvement d’échantillons en vue de leur analyse ou d’un contrôle approfondi. »
16. L’article 78 du code des douanes dispose :
« 1. Les autorités douanières peuvent d’office ou à la demande du déclarant, après octroi de la mainlevée des marchandises, procéder à la révision de la déclaration.
2. Les autorités douanières peuvent, après avoir donné mainlevée des marchandises et afin de s’assurer de l’exactitude des énonciations de la déclaration, procéder au contrôle des documents et données commerciaux relatifs aux opérations d’importation ou d’exportation des marchandises dont il s’agit ainsi qu’aux opérations commerciales ultérieures relatives aux mêmes marchandises. Ces contrôles peuvent s’exercer auprès du déclarant, de toute personne directement ou indirectement intéressée de
façon professionnelle auxdites opérations ainsi que de toute autre personne possédant en tant que professionnel lesdits documents et données. Ces autorités peuvent également procéder à l’examen des marchandises, lorsqu’elles peuvent encore être présentées.
3. Lorsqu’il résulte de la révision de la déclaration ou des contrôles a posteriori que les dispositions qui régissent le régime douanier concerné ont été appliquées sur la base d’éléments inexacts ou incomplets, les autorités douanières prennent[,] dans le respect des dispositions éventuellement fixées, les mesures nécessaires pour rétablir la situation en tenant compte des nouveaux éléments dont elles disposent. »
II. Le litige au principal et les questions préjudicielles
17. Le 17 décembre 2012, Tigers a importé en Allemagne différents produits en céramique pour la table et la cuisine de CWCI. Au moment de l’importation, ces produits étaient frappés par le droit antidumping provisoire institué par le règlement no 1072/2012.
18. Le même jour, Tigers a effectué la déclaration en douane des marchandises importées auprès du bureau de douane et a présenté une facture commerciale. Ladite déclaration mentionnait, au titre de la désignation des marchandises, des produits en céramique, indiquant comme code additionnel TARIC le code B999, à savoir le code correspondant aux importations provenant de toutes autres sociétés non mentionnées dans le règlement no 1072/2012.
19. Toujours le même jour, le 17 décembre 2012, le bureau de douane a contrôlé les marchandises dans ses locaux et a remplacé à chaque fois le code additionnel TARIC B999 déclaré par le code additionnel TARIC B354, à savoir le code correspondant aux importations provenant des producteurs-exportateurs énumérés à l’annexe I du règlement no 1072/2012.
20. Toutefois, étant donné que, lors de l’importation, la facture présentée par Tigers n’était pas accompagnée d’une déclaration signée du fabricant et donc n’était pas conforme aux exigences énoncées à l’annexe II du règlement no 1072/2012, le bureau de douane, en application de ce règlement, a ordonné à Tigers de déposer une garantie en espèces pour un droit antidumping provisoire calculé sur la base d’un taux de 58,8 %.
21. À la suite de l’adoption, le 13 mai 2013, du règlement d’exécution no 412/2013, le 28 juin 2013, le bureau de douane, en application de ce règlement d’exécution, a fixé à titre définitif un droit antidumping pour les importations de Tigers calculé sur un taux de droit antidumping de 36,1 %, sans demander à Tigers de produire une facture commerciale en bonne et due forme, conforme aux exigences de l’annexe II du règlement d’exécution no 412/2013.
22. Le 4 juillet 2013, Tigers a produit l’original de la facture, comportant une déclaration signée de CWCI, et a présenté une demande de remboursement du droit antidumping qu’elle estimait avoir payé en excès en raison de l’application à son égard du taux de droit antidumping définitif de 36,1 % relatif à toutes les autres sociétés non énumérées dans le règlement d’exécution no 412/2013 et non celui de 17,9 % applicable aux importations provenant des sociétés énumérées dans l’annexe I dudit
règlement d’exécution.
23. Le 2 octobre 2013, le bureau de douane a rejeté cette demande de remboursement au motif qu’une facture commerciale en bonne et due forme établie ou présentée a posteriori ne saurait être admise.
24. Par lettre du 4 novembre 2013, Tigers a introduit une réclamation préalable contre cette décision et, le 5 mai 2014, elle a présenté une facture modifiée, établie par CWCI.
25. Par décision du 24 février 2015, le bureau de douane a également rejeté la réclamation de Tigers. Ce bureau a considéré que la facture accompagnée de la déclaration correspondante du fabricant, présentée a posteriori avec la demande de remboursement et de nouveau rectifiée au cours de la procédure de réclamation, aurait dû être présentée, aux fins de l’octroi du taux de droit antidumping individuel, au moment de l’acceptation de la déclaration en douane.
26. La juridiction de renvoi a été investie du recours présenté par Tigers à l’encontre de la décision du bureau de douane de rejeter sa demande de remboursement. Dans le cadre de ce litige, le Finanzgericht München (tribunal des finances de Munich) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 1er, paragraphe 3, du [règlement d’exécution no 412/2013] permet-il, dans le cadre de la première détermination d’un taux de droit antidumping définitif, de présenter a posteriori une facture commerciale en bonne et due forme, dès lors que toutes les autres conditions nécessaires à l’obtention d’un taux de droit antidumping individuel sont remplies ?
2) En cas de réponse négative à la première question, l’article 78 [du code des douanes] s’oppose-t-il à ce que, dans le cadre d’une procédure de révision, l’autorité douanière refuse le remboursement d’un droit antidumping au motif que le déclarant n’a présenté une facture en bonne et due forme qu’après la déclaration en douane ? »
III. La procédure devant la Cour
27. La décision de renvoi est parvenue au greffe de la Cour le 17 mars 2016. Ont déposé des observations Tigers, le bureau de douane, le gouvernement polonais et la Commission. Lors de l’audience, laquelle s’est tenue le 16 mars 2017, sont intervenues Tigers et la Commission.
IV. Analyse
A. Observations liminaires
28. À titre liminaire, je relève, d’une part, que, ainsi qu’il ressort du point 24 des présentes conclusions, c’est dans le cadre de la procédure de réclamation qu’elle a entamée contre la décision de rejet de sa demande de remboursement du droit antidumping que Tigers a présenté aux autorités douanières allemandes une facture en bonne et due forme, conforme aux exigences requises par l’article 1er, paragraphe 3, et par l’annexe II du règlement d’exécution no 412/2013.
29. D’autre part, je relève également que la juridiction de renvoi a explicitement affirmé qu’une demande de remboursement telle que celle introduite par Tigers correspond, en substance, à une demande de contrôle a posteriori de la déclaration au sens de l’article 78 du code des douanes.
30. Dans ces conditions, j’estime que les deux questions préjudicielles proposées par la juridiction de renvoi doivent être analysées conjointement. Elles visent, en substance, à savoir si l’article 1er, paragraphe 3, du règlement d’exécution no 412/2013 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que, aux fins de la fixation d’un droit antidumping définitif, un importateur puisse présenter a posteriori, notamment dans le cadre d’une procédure entamée au titre de l’article 78 du code des
douanes, une facture commerciale en bonne et due forme, conforme aux exigences énoncées à l’annexe II du même règlement d’exécution, lorsque toutes les autres conditions nécessaires à l’obtention d’un taux de droit antidumping individuel sont remplies.
31. À cet égard, la juridiction de renvoi tend vers une interprétation de l’article 1er, paragraphe 3, du règlement d’exécution no 412/2013 aux termes de laquelle une facture commerciale en bonne et due forme pourrait encore être présentée après l’acceptation de la déclaration en douane, à tout le moins dans le cadre d’une procédure de révision au sens de l’article 78 du code des douanes. Elle considère, en effet, que le droit de l’Union ne comporte pas de disposition excluant la possibilité d’une
telle présentation a posteriori. Plus précisément, il n’existerait aucun fondement légal susceptible d’interdire à un déclarant de compléter sa déclaration en douane, effectuée par ailleurs de manière conforme aux règles prescrites, en produisant une facture commerciale en bonne et due forme.
32. Tigers et la Commission se rallient aux considérations de la juridiction de renvoi. Le bureau de douane et le gouvernement polonais soutiennent, en revanche, la thèse opposée.
B. Sur la pertinence du règlement d’exécution no 412/2013 ou du règlement no 1072/2012 pour la réponse aux questions préjudicielles
33. Avant d’analyser au fond la question soulevée par la demande de renvoi préjudiciel, il convient de considérer l’observation de la Commission, selon laquelle les faits au principal relèveraient non pas du règlement d’exécution no 412/2013, qui a fixé le droit antidumping définitif et qui n’a été adopté par le Conseil qu’après que l’importation litigieuse a eu lieu, mais du règlement no 1072/2012, qui a fixé le droit antidumping provisoire et dont les dispositions seraient donc applicables à
l’importation réalisée par Tigers. Sur la base de cette constatation, la Commission suggère de reformuler les questions préjudicielles en conséquence.
34. À cet égard, il est vrai que, lorsque l’importation litigieuse a eu lieu, c’était le règlement no 1072/2012 qui était en vigueur. Toutefois, le droit antidumping provisoire institué par ce règlement a par la suite été, en substance, « remplacé » par le droit antidumping définitif institué par le règlement d’exécution no 412/2013 ( 6 ). Les deux règlements prévoyaient, d’ailleurs, de la même manière, que l’application des taux de droit antidumping (provisoires et définitifs) individuels était
subordonnée à la présentation d’une facture commerciale en bonne et due forme.
35. Or, le litige au principal concerne le montant du droit antidumping définitif, tel qu’établi en vertu du règlement d’exécution no 412/2013. En outre, ainsi qu’il ressort du point 24 des présentes conclusions, Tigers a fourni la facture en bonne et due forme le 5 mai 2014, à savoir lorsque le règlement d’exécution no 412/2013 était en vigueur.
36. Pour toutes ces raisons, la demande de décision préjudicielle vise justement l’interprétation du règlement d’exécution no 412/2013. Je ne crois donc pas qu’il y ait lieu de procéder à une reformulation des questions préjudicielles comme cela a été proposé par la Commission.
C. Sur la compatibilité avec l’article 1er, paragraphe 3, du règlement d’exécution no 412/2013 de la présentation d’une facture en bonne et due forme dans le cadre d’une procédure aux termes de l’article 78 du code des douanes
37. Il convient, tout d’abord, de relever que, aux termes de l’article 1er, paragraphe 3, du règlement d’exécution no 412/2013, l’application des taux de droit antidumping individuels prévus dans ce règlement d’exécution est subordonnée à la présentation, aux autorités douanières des États membres, d’une facture commerciale en bonne et due forme, conforme aux exigences énoncées à l’annexe II du même règlement d’exécution.
38. Il ressort de l’utilisation du verbe « subordonner » dans cette disposition que la présentation d’une telle facture commerciale en bonne et due forme constitue une condition indispensable à l’application des taux de droit antidumping individuels. Ainsi, à défaut d’une présentation en douane d’une telle facture, les taux individuels ne peuvent pas être appliqués à une importation des produits concernés et celle-ci doit être assujettie au taux général prévu pour les importations provenant de
« toutes les autres sociétés ».
39. À cet égard, il ressort du considérant 229 du règlement d’exécution no 412/2013 que la raison d’être de cette exigence « renforcée » de forme est de réduire au minimum les risques de contournement et de garantir la bonne application des droits antidumping.
40. Toutefois, ni l’article 1er, paragraphe 3, du règlement d’exécution no 412/2013 ni d’autres dispositions de ce même règlement d’exécution ne statuent sur le moment auquel une telle facture doit être présentée en douane.
41. L’article 1er, paragraphe 4, du règlement d’exécution no 412/2013 renvoyant aux dispositions en vigueur en matière de droits de douane, c’est à la lumière du code des douanes qu’il convient d’apprécier l’éventuelle admissibilité d’une présentation a posteriori d’une telle facture. Dans cette appréciation, il convient, toutefois, de tenir compte des circonstances de l’affaire au principal.
42. Or, en l’espèce, il ressort du dossier que, lors de l’importation des produits concernés, Tigers a présenté, aux termes de l’article 62, paragraphe 1, du code des douanes, une déclaration en douane concernant les marchandises qu’elle importait. Cette déclaration, qui était accompagnée d’une facture, a été acceptée par les autorités douanières allemandes aux termes de l’article 63 dudit code.
43. Le jour même de la présentation de la déclaration en douane, les autorités douanières allemandes ont effectué une vérification de celle-ci aux termes de l’article 68 du même code, en procédant tant à une vérification documentaire qu’à l’examen des marchandises, aux termes des dispositions de cet article, sous a) et b).
44. Ainsi qu’il ressort des points 19 et 20 des présentes conclusions, lors de cette vérification, lesdites autorités se sont aperçues, d’une part, que la déclaration présentait des inexactitudes, car elle contenait l’indication du code additionnel TARIC inexact, et, d’autre part, que la facture fournie ne répondait pas aux exigences de forme requises par l’article 1er, paragraphe 3, et l’annexe II du règlement no 1072/2012 (exigences qui correspondent à celles requises par le règlement d’exécution
no 412/2013).
45. Lors de ladite vérification, les autorités douanières allemandes ont cependant également constaté que les produits importés provenaient de CWCI, à savoir d’un des producteurs-exportateurs énumérés à l’annexe I de ce règlement. Cette circonstance ressort de la décision de renvoi et n’est pas contestée par le bureau de douane. C’est pour cette raison que celles-ci ont procédé à la correction de l’indication inexacte du code TARIC.
46. Les autorités douanières allemandes ont donc appliqué le taux général de droit antidumping (plus élevé) applicable aux importations provenant de « toutes autres sociétés » pour la seule raison que la facture accompagnant la déclaration en douane ne respectait pas les exigences de forme requises par la réglementation antidumping, même si elles avaient constaté que les marchandises importées provenaient d’un producteur-exportateur dont les importations étaient assujetties à un taux individuel
moins élevé.
47. Après la fixation du droit antidumping définitif en vertu du règlement d’exécution no 412/2013, alors que la mainlevée des marchandises avait déjà été octroyée, Tigers a contesté l’application du taux antidumping applicable aux importations provenant de « toutes autres sociétés » et a réclamé, dans le cadre d’une demande de remboursement, l’application du taux antidumping individuel applicable aux importations provenant de CWCI. Dans le cadre de la procédure de remboursement qui, ainsi que je
l’ai relevé au point 29 des présentes conclusions, constitue, en substance, une procédure de contrôle a posteriori de la déclaration au sens de l’article 78 du code des douanes, Tigers a finalement produit une facture en bonne et due forme, conforme aux exigences énoncées à l’annexe II du règlement d’exécution no 412/2013.
48. À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, l’article 78 du code des douanes institue une procédure permettant aux autorités douanières de procéder, le cas échéant, d’office, à une révision a posteriori d’une déclaration en douane, c’est‑à‑dire après l’octroi de la mainlevée des marchandises visées par une telle déclaration ( 7 ).
49. À cet effet, lesdites autorités peuvent, d’une part, en vertu de l’article 78, paragraphe 1, du code des douanes, procéder à la révision de la déclaration en douane, à savoir à son réexamen ( 8 ).
50. D’autre part, les autorités douanières peuvent, aux termes de l’article 78, paragraphe 2, dudit code, afin de s’assurer de l’exactitude des énonciations de la déclaration, procéder au contrôle des documents et des données commerciaux relatifs aux opérations d’importation ou d’exportation des marchandises dont il s’agit, ainsi qu’aux opérations commerciales ultérieures relatives aux mêmes marchandises.
51. La Cour a déjà précisé à plusieurs reprises que la logique spécifique de l’article 78 du code des douanes consiste à aligner la procédure douanière sur la situation réelle en corrigeant les erreurs ou les omissions matérielles, ainsi que les erreurs d’interprétation du droit applicable ( 9 ).
52. Cette logique est d’ailleurs conforme à la finalité du même code qui vise, notamment, aux termes de son cinquième considérant, à assurer une application correcte des taxes prévues par celui-ci ( 10 ).
53. La Cour a ainsi jugé que, si la révision ou les contrôles prévus à l’article 78, paragraphes 1 et 2, du code des douanes révèlent que les dispositions régissant le régime douanier concerné ont été appliquées sur la base d’éléments inexacts ou incomplets, les autorités douanières doivent, conformément à l’article 78, paragraphe 3, du code des douanes, prendre les mesures nécessaires pour rétablir la situation en tenant compte des nouveaux éléments dont elles disposent, même si le déclarant a, par
son comportement, directement affecté la faculté des autorités douanières d’effectuer des contrôles ( 11 ).
54. La Cour a également jugé que les autorités douanières doivent, conformément à l’article 78, paragraphe 3, du code des douanes, prendre les mesures nécessaires pour rétablir la situation, si la révision ou les contrôles susmentionnés révèlent que les objectifs du régime douanier en cause n’ont pas été menacés ( 12 ).
55. Or, en l’espèce, d’une part, pendant la procédure que les autorités allemandes ont engagée sur demande de Tigers au titre de l’article 78 du code des douanes ( 13 ), celle-ci a fourni une facture commerciale conforme aux exigences requises à l’annexe II du règlement d’exécution no 412/2013. D’autre part, à la lumière des éléments présents au dossier, il apparaît que les objectifs du régime antidumping en cause n’ont pas été menacés.
56. En effet, ainsi que je l’ai relevé au point 45 des présentes conclusions, il n’y a aucun doute – et il n’est pas contesté –, que les produits importés par Tigers provenaient effectivement d’une des entreprises énumérées à l’annexe I dudit règlement d’exécution et que leur importation devait donc être assujettie au taux de droit antidumping individuel applicable aux importations provenant de ces sociétés.
57. Dans ces conditions, il apparaît que, en l’espèce, il n’existait aucun risque de contournement tel que mentionné au considérant 229 du règlement d’exécution no 412/2013, de telle sorte que la bonne application des droits antidumping n’a pas été mise en danger. Il revient au juge de renvoi de constater de manière définitive cette circonstance.
58. En l’absence totale d’un risque de menace des objectifs du régime antidumping en cause, rien n’empêchait les autorités douanières, afin d’aligner la procédure douanière sur la situation réelle de manière cohérente avec la logique spécifique de l’article 78 du code des douanes mentionnée au point 51 des présentes conclusions, de prendre en compte la production, au cours de la procédure engagée au titre de cet article, d’une facture en bonne et due forme conforme aux exigences énoncées à
l’annexe II du règlement d’exécution no 412/2013.
59. À cet égard, j’observe que la possibilité offerte aux autorités douanières à l’article 78, paragraphe 2, du code des douanes d’analyser des documents et des données commerciaux relatifs aux opérations commerciales ultérieures relatives aux mêmes marchandises montre que, dans le cadre du contrôle qu’elles exercent aux termes de cette disposition, lesdites autorités peuvent bien prendre en considération des documents autres que ceux qui ont été joints à la déclaration en douane au titre de
l’article 62, paragraphe 2, du code des douanes. L’argument du bureau de douane selon lequel cette dernière disposition empêcherait la prise en considération a posteriori dans le cadre d’une procédure engagée au titre de l’article 78 du code des douanes d’une facture conforme aux exigences énoncées à l’annexe II du règlement d’exécution no 412/2013 ne saurait donc être retenu.
60. Je relève, en outre, qu’une solution qui permet, dans des circonstances dans lesquelles il n’existe pas de risque de contournement, d’aligner la procédure douanière sur la situation réelle en prenant en considération a posteriori une facture en bonne et due forme ne se heurte ni aux dispositions ni à l’esprit du règlement d’exécution no 412/2013, ce règlement ne spécifiant pas, contrairement à d’autres règlements ( 14 ), le moment auquel une telle facture doit être présentée.
61. En outre, ainsi que l’a relevé la Commission lors de l’audience, dans un cas où il n’y a pas de risque de contournement, l’application à des importations d’un taux de droit antidumping plus élevé que celui qui a effectivement été établi pour la société produisant les produits importés se heurte à l’esprit propre à l’imposition du droit antidumping, car elle va au-delà de l’objectif d’éliminer le préjudice causé par l’importation en dumping.
62. Toutes les considérations qui précèdent militent en faveur d’une interprétation de l’article 1er, paragraphe 3, du règlement d’exécution no 412/2013 dans le sens que cette disposition ne s’oppose pas à ce que, dans une situation dans laquelle il n’existe pas de risque de contournement et de mise en danger de la bonne application des droits antidumping, un importateur puisse, aux fins de la fixation d’un droit antidumping définitif, présenter a posteriori, dans le cadre d’une procédure entamée au
titre de l’article 78 du code des douanes, une facture commerciale en bonne et due forme, conforme aux exigences énoncées à l’annexe II du même règlement d’exécution. Dans un tel cas, si toutes les autres conditions nécessaires à l’obtention d’un taux de droit antidumping individuel sont remplies, les autorités douanières, aux termes de l’article 78, paragraphe 3, du code des douanes, prennent, dans le respect des dispositions éventuellement fixées ( 15 ), les mesures nécessaires pour rétablir
la situation en tenant compte de la présentation de cette facture.
V. Conclusion
63. Sur la base de l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par le Finanzgericht München (tribunal des finances de Munich) :
L’article 1er, paragraphe 3, du règlement d’exécution (UE) no 412/2013 du Conseil, du 13 mai 2013, instituant un droit antidumping définitif et portant perception définitive du droit provisoire institué sur les importations d’articles en céramique pour la table et la cuisine originaires de la République populaire de Chine, ne s’oppose pas à ce que, dans une situation dans laquelle il n’existe pas de risque de contournement et de mise en danger de la bonne application des droits antidumping, un
importateur puisse, aux fins de la fixation d’un droit antidumping définitif, présenter a posteriori, dans le cadre d’une procédure entamée au titre de l’article 78 du règlement (CEE) no 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire, tel que modifié par le règlement (CE) no 2700/2000 du Parlement européen et du Conseil, du 16 novembre 2000, une facture commerciale en bonne et due forme, conforme aux exigences énoncées à l’annexe II dudit règlement
d’exécution. Dans un tel cas, si toutes les autres conditions nécessaires à l’obtention d’un taux de droit antidumping individuel sont remplies, les autorités douanières, aux termes de l’article 78, paragraphe 3, du règlement no 2913/92, tel que modifié par le règlement no 2700/2000, prennent, dans le respect des dispositions éventuellement fixées, les mesures nécessaires pour rétablir la situation en tenant compte de la présentation de cette facture.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
( 1 ) Langue originale : le français.
( 2 ) JO 2013, L 131, p. 1.
( 3 ) Règlement du Conseil du 12 octobre 1992 établissant le code des douanes communautaire (JO 1992, L 302, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 2700/2000 du Parlement européen et du Conseil, du 16 novembre 2000 (JO 2000, L 311, p. 17) (ci-après le « code des douanes »).
( 4 ) JO 2012, L 318, p. 28.
( 5 ) L’annexe II du règlement no 1072/2012 prévoyait qu’une déclaration signée par un responsable de l’entité délivrant la facture commerciale devait figurer sur cette facture établie en bonne et due forme. Cette déclaration devait se présenter comme suit :
« 1. Nom et fonction du responsable de l’entité qui délivre la facture ;
2. Déclaration suivante : “Je, soussigné, certifie que (le volume) des articles en céramique pour la table et la cuisine vendus à l’exportation vers l’Union européenne et couvert par la présente facture a été produit par (nom et adresse de la société) (code additionnel TARIC) en/au/aux/à (pays concerné). Je déclare que les informations fournies dans la présente facture sont complètes et correctes. ”
3. Date et signature. »
( 6 ) Voir considérant 236 du règlement d’exécution no 412/2013.
( 7 ) Arrêt du 10 décembre 2015, Veloserviss (C‑427/14, EU:C:2015:803, point 21 et jurisprudence citée).
( 8 ) Arrêt du 10 décembre 2015, Veloserviss (C‑427/14, EU:C:2015:803, point 22 et jurisprudence citée).
( 9 ) Arrêt du 10 décembre 2015, Veloserviss (C‑427/14, EU:C:2015:803, point 26 et jurisprudence citée).
( 10 ) Arrêts du 27 février 2014, Greencarrier Freight Services Latvia (C‑571/12, EU:C:2014:102, point 32), et du 10 décembre 2015, Veloserviss (C‑427/14, EU:C:2015:803, point 26).
( 11 ) Arrêt du 10 décembre 2015, Veloserviss (C‑427/14, EU:C:2015:803, point 24), ainsi que, voir, en ce sens, arrêt du 14 janvier 2010, Terex Equipment e.a. (C‑430/08 et C‑431/08, EU:C:2010:15, point 62 et jurisprudence citée).
( 12 ) Arrêt du 12 juillet 2012, Südzucker e.a. (C‑608/10, C‑10/11 et C‑23/11, EU:C:2012:444, point 51).
( 13 ) Sur le déroulement d’une telle procédure, voir arrêt du 14 janvier 2010, Terex Equipment e.a. (C‑430/08 et C‑431/08, EU:C:2010:15, points 58 à 61 et jurisprudence citée).
( 14 ) Voir, notamment, article 2, paragraphe 2, du règlement (CE) no 2320/97 du Conseil, du 17 novembre 1997, instituant des droits antidumping définitifs sur les importations de certains tubes et tubes sans soudure, en fer ou en acier non allié, originaires de Hongrie, de Pologne, de Russie, de la République tchèque, de Roumanie et de la République slovaque, abrogeant le règlement (CEE) no 1189/93 et clôturant la procédure concernant les importations en provenance de la République de Croatie (JO
1997, L 322, p. 1).
( 15 ) Sur la portée de cette exigence, voir mes conclusions dans l’affaire Greencarrier Freight Services Latvia (C‑571/12, EU:C:2013:803, points 60 et suiv.).