CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. MELCHIOR WATHELET
présentées le 15 novembre 2017 ( 1 )
Affaires jointes C‑327/16 et C‑421/16
Marc Jacob
contre
Ministre des Finances et des Comptes publics (C‑327/16)
et
Ministre des Finances et des Comptes publics
contre
Marc Lassus (C‑421/16)
[demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (France)]
« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Fusions, scissions, apports d’actifs et échanges d’actions intéressant des sociétés d’États membres différents –Directive 90/434/CEE – Article 8 – Mécanisme de report d’imposition – Pouvoir d’imposition de l’État de résidence – Transfert du domicile fiscal – Incidence – Liberté d’établissement – Article 49 TFUE –Imputation des moins-values – Différence de traitement des opérations taxables comparables, selon que le contribuable a ou non exercé son droit
d’établissement dans un autre État membre – Justification –Préservation de la répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres »
I. Introduction
1. Les présentes questions préjudicielles, déposées au greffe de la Cour les 10 juin 2016 ( 2 ) et 28 juillet 2016 ( 3 ) par le Conseil d’État (France), portent sur l’interprétation de l’article 8 de la directive 90/434/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d’actifs et échanges d’actions intéressant des sociétés d’États membres différents ( 4 ).
2. Ces demandes ont été présentées dans le cadre des litiges opposant M. Marc Jacob et le ministre des Finances et des Comptes publics (France) ainsi que le ministre des Finances et des Comptes publics (France) et M. Lassus, au sujet de la décision de l’administration fiscale d’imposer, à l’occasion de la cession ultérieure des titres reçus, les plus-values résultant d’une opération d’échange de titres.
3. La juridiction de renvoi considère que, afin de trancher le litige porté devant elle, il lui faut savoir, notamment, si l’article 8, paragraphe 2, de la directive 90/434 s’oppose à une législation nationale telle que celle dans les affaires au principal qui institue un mécanisme de report d’imposition, jusqu’à leur cession ultérieure, des plus-values réalisées à la date de l’échange des actions ou des titres cédés.
4. Selon ce mécanisme, l’assiette de la plus-value est fixée à la date de l’échange des actions ou des titres, alors que l’imposition ( 5 ) n’intervient que lorsque les actions ou les titres en question sont ultérieurement cédés ( 6 ). Or, MM. Jacob et Lassus estiment que l’article 8, paragraphe 2, de la directive 90/434 exige un mécanisme de sursis d’imposition et non de report, ce qui implique que l’échange des actions ou des titres n’est qu’une transaction purement intercalaire fiscalement neutre
et que seule la cession ultérieure des actions ou des titres reçus lors de l’échange peut constituer le fait générateur d’une imposition. Sur cette base, MM. Jacob et Lassus estiment que les plus-values générées lors de la cession des titres ou actions en question ne pouvaient faire l’objet des taxations en cause.
5. Le gouvernement français a remplacé au cours de l’année 2000 ce système de report d’imposition par un système de sursis d’imposition, selon lequel toutes les modalités d’imposition sont déterminées au moment de la cession des titres, qu’il s’agisse de la détermination de l’assiette imposable, du taux d’imposition ou de la fixation de l’impôt à payer. C’est à ce moment-là que, selon M. Jacob, le gouvernement français a instauré parallèlement un système d’exit tax (c’est-à-dire un système
d’« imposition à la sortie »).
6. Ces notions de « sursis » ou de « report d’imposition » doivent être distinguées du report de recouvrement qui impliquerait que toutes les modalités de l’imposition (fixation de l’assiette de la plus-value et du taux d’imposition) sont fixées à la date de l’échange des actions ou des titres, seul le paiement de l’impôt ainsi déterminé étant reporté au moment de leur cession ultérieure. Ce mécanisme est au cœur des dossiers qui ont donné lieu à la jurisprudence élaborée dans les arrêts du
29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785), du 23 janvier 2014, DMC (C‑164/12, EU:C:2014:20), du 21 mai 2015, Verder LabTec (C‑657/13, EU:C:2015:331), et du 21 décembre 2016, Commission/Portugal (C‑503/14, EU:C:2016:979).
II. Le cadre juridique
A. Le droit de l’Union
7. L’article 49 TFUE (ancien article 43 TCE) est libellé comme suit :
« Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre sont interdites […] »
8. Les premier, quatrième et sixième considérants de la directive 90/434 prévoient ce qui suit :
« [...] les fusions, scissions, apports d’actifs et échanges d’actions intéressant des sociétés d’États membres différents peuvent être nécessaires pour créer dans la Communauté des conditions analogues à celles d’un marché intérieur et pour assurer ainsi l’établissement et le bon fonctionnement du marché commun ; que ces opérations ne doivent pas être entravées par des restrictions, des désavantages ou des distorsions particuliers découlant des dispositions fiscales des États membres ; qu’il
importe, par conséquent, d’instaurer pour ces opérations des règles fiscales neutres au regard de la concurrence afin de permettre aux entreprises de s’adapter aux exigences du marché commun, d’accroître leur productivité et de renforcer leur position concurrentielle sur le plan international ;
[...]
[...] le régime fiscal commun doit éviter une imposition à l’occasion d’une fusion, d’une scission, d’un apport d’actifs ou d’un échange d’actions, tout en sauvegardant les intérêts financiers de l’État de la société apporteuse ou acquise ;
[...]
[...] le régime du report, jusqu’à leur réalisation effective, de l’imposition des plus-values afférentes aux biens apportés, appliqué à ceux de ces biens qui sont affectés à cet établissement stable, permet d’éviter l’imposition des plus-values correspondantes, tout en assurant leur imposition ultérieure par l’État de la société apporteuse, au moment de leur réalisation ».
9. L’article 8 de la directive 90/434 prévoit :
« 1. L’attribution, à l’occasion d’une fusion, d’une scission ou d’un échange d’actions, de titres représentatifs du capital social de la société bénéficiaire ou acquérante à un associé de la société apporteuse ou acquise, en échange de titres représentatifs du capital social de cette dernière société, ne doit, par elle-même, entraîner aucune imposition sur le revenu, les bénéfices ou les plus-values de cet associé.
2. Les États membres subordonnent l’application du paragraphe 1 à la condition que l’associé n’attribue pas aux titres reçus en échange une valeur fiscale plus élevée que celle que les titres échangés avaient immédiatement avant la fusion, la scission ou l’échange d’actions.
L’application du paragraphe 1 n’empêche pas les États membres d’imposer le profit résultant de la cession ultérieure des titres reçus de la même manière que le profit qui résulte de la cession des titres existant avant l’acquisition.
[…] »
B. Le droit conventionnel
10. L’article 18 de la convention entre la France et la Belgique du 10 mars 1964 tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d’assistance administrative et juridique réciproque en matière d’impôt sur les revenus dispose :
« Dans la mesure où les articles précédents de la présente convention n’en disposent pas autrement, les revenus des résidents de l’un des États contractants ne sont imposables que dans cet État. »
11. L’article 13, paragraphes 3 et 4, de la convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, signée à Londres le 22 mai 1968, tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur les revenus (ci-après la « convention fiscale franco-britannique »), énonce :
« 3. Les gains provenant de l’aliénation de tous biens autres que ceux visés aux paragraphes 1 et 2 ne sont imposables que dans l’État contractant dont le cédant est un résident.
4. Nonobstant les dispositions du paragraphe 3, les gains réalisés par une personne physique qui est un résident d’un État contractant lors de l’aliénation de plus de 25 pour cent des parts détenues, seule ou avec des personnes apparentées, directement ou indirectement, dans une société qui est un résident de l’autre État contractant sont imposables dans cet autre État. Les dispositions du présent paragraphe ne s’appliquent que si :
a) la personne physique a la nationalité de l’autre État contractant sans avoir la nationalité du premier État contractant ; et
b) la personne physique a été un résident de l’autre État contractant pendant une période quelconque au cours des cinq années précédant immédiatement l’aliénation des parts. »
C. Le droit français
12. Aux termes de l’article 92 B, paragraphe II, point 1, du code général des impôts (ci-après le « CGI »), dans sa rédaction applicable aux plus-values placées en report d’imposition à la date du 1er janvier 2000 :
« 1. À compter du 1er janvier 1992 ou du 1er janvier 1991 pour les apports de titres à une société passible de l’impôt sur les sociétés, l’imposition de la plus-value réalisée en cas d’échange de titres résultant d’une opération d’offre publique, de fusion, de scission, d’absorption d’un fonds commun de placement par une société d’investissement à capital variable réalisée conformément à la réglementation en vigueur ou d’un apport de titres à une société soumise à l’impôt sur les sociétés,
peut être reportée au moment où s’opérera la cession ou le rachat des titres reçus lors de l’échange […] »
13. L’article 160, paragraphes I et I ter, du CGI, dans sa rédaction applicable à l’époque des faits dans les affaires au principal, énonçait :
« I. […] L’imposition de la plus-value ainsi réalisée est subordonnée à la seule condition que les droits détenus directement ou indirectement dans les bénéfices sociaux par le cédant ou son conjoint, leurs ascendants et leurs descendants, aient dépassé ensemble 25 % de ces bénéfices à un moment quelconque au cours des cinq dernières années. Toutefois, lorsque la cession est consentie au profit de l’une des personnes visées au présent alinéa, la plus-value est exonérée si tout ou partie de ces
droits sociaux n’est pas revendu à un tiers dans un délai de cinq ans. À défaut, la plus-value est imposée au nom du premier cédant au titre de l’année de la revente des droits au tiers.
[…]
Les moins-values subies au cours d’une année sont imputables exclusivement sur les plus-values de même nature réalisées au cours de la même année ou des cinq années suivantes» ( 7 ).
« I ter. […] 4. L’imposition de la plus-value réalisée à compter du 1er janvier 1991 en cas d’échange de droits sociaux résultant d’une opération de fusion, de scission, d’apport de titres à une société soumise à l’impôt sur les sociétés peut être reportée dans les conditions prévues au II de l’article 92 B […] »
14. En vertu de l’article 164 B, paragraphe I, sous f), du CGI, dans sa version applicable en 1999 ( 8 ), sont considérées comme des revenus de source française « les plus-values mentionnées à l’article 160 et résultant de la cession de droits afférents à des sociétés ayant leur siège en France ».
15. L’article 244 bis B, du CGI, dans sa rédaction applicable à la date de la cession des titres en 1999 ( 9 ), prévoyait :
« Les produits des cessions de droits sociaux mentionnées à l’article 160, réalisées par des personnes physiques qui ne sont pas fiscalement domiciliées en France au sens de l’article 4 B ou par des personnes morales ou organismes, quelle qu’en soit la forme, ayant leur siège social hors de France, sont déterminés et imposés selon les modalités prévues par l’article 160. »
III. Le litige au principal et les questions préjudicielles
A. L’affaire C‑327/16
16. Le 23 décembre 1996, M. Jacob a fait apport à Dubocage Développement SAS des titres qu’il détenait dans Dubocage SAS, deux sociétés françaises, et a reçu en échange des titres émis par la première de ces sociétés. La plus-value réalisée à l’occasion de cette opération d’échange de titres a été placée, à sa demande, en report d’imposition conformément aux dispositions françaises en vigueur ( 10 ).
17. Le 1er octobre 2004, M. Jacob a transféré son domicile fiscal en Belgique.
18. Le 21 décembre 2007, il a cédé la totalité des titres qu’il détenait dans Dubocage Développement. À la suite de cette cession, la plus-value demeurant en report d’imposition a été taxée, au titre de l’année 2007, pour un montant de 1342384 euros, assorti des intérêts de retard et d’une majoration de 10 %.
19. Le 8 juin 2012, le tribunal administratif de Montreuil (France) a prononcé la décharge de ces montants mais, par un arrêt du 28 mai 2015 rendu sur l’appel du ministre des Finances et des Comptes publics, la cour administrative d’appel de Versailles (France) a annulé ce jugement et a rétabli les impositions en litige. M. Jacob a introduit un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État le 1er octobre 2015.
20. Le Conseil d’État relève qu’il résulte des dispositions du CGI applicables qu’elles ont pour effet de permettre, par dérogation à la règle suivant laquelle le fait générateur de l’imposition d’une plus-value est constitué au cours de l’année de sa réalisation, de constater et de liquider la plus-value d’échange l’année où cet échange est intervenu et de l’imposer l’année au cours de laquelle intervient l’événement qui met fin au report d’imposition, en l’occurrence la cession des titres reçus au
moment de l’échange. Selon le Conseil d’État, la circonstance que le contribuable ait entre-temps transféré son domicile fiscal dans un autre État est sans incidence sur le pouvoir dont dispose cet État, dont il était le résident au moment de la réalisation de la plus-value d’échange, et de l’imposer au moment de la cession finale des titres reçus en échange.
21. Néanmoins, le Conseil d’État relève que M. Jacob fait également valoir que ces dispositions du CGI, telles qu’interprétées par le Conseil d’État, méconnaissent les objectifs résultant des dispositions susmentionnées de l’article 8 de la directive 90/434, en permettant au gouvernement français, à l’occasion de la cession des titres reçus lors de l’échange, d’imposer la plus-value réalisée lors de l’échange de titres initialement détenus et placée en report d’imposition, car, selon M. Jacob,
l’opération d’échange d’actions ne peut constituer le fait générateur d’une imposition et devrait être traitée comme une opération intercalaire fiscalement neutre, la cession des titres reçus à l’échange constituant le fait générateur d’une plus-value.
22. Dans ces conditions, le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Les dispositions de l’article 8 de la directive [90/434] doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles interdisent, dans le cas d’une opération d’échange de titres entrant dans le champ de la directive, un mécanisme de report d’imposition prévoyant que, par dérogation à la règle selon laquelle le fait générateur de l’imposition d’une plus-value est constitué au cours de l’année de sa réalisation, une plus-value d’échange est constatée et liquidée à l’occasion de l’opération d’échange
de titres et est imposée l’année au cours de laquelle intervient l’événement qui met fin au report d’imposition, qui peut notamment être la cession des titres reçus au moment de l’échange ?
2) Les dispositions de l’article 8 de la directive [90/434] doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles interdisent, dans le cas d’une opération d’échange de titres entrant dans le champ de la directive, que la plus-value d’échange de titres, à la supposer imposable, soit taxée par l’État de la résidence du contribuable au moment de l’opération d’échange, alors que celui-ci, à la date de la cession des titres reçus à l’occasion de cet échange à laquelle la plus-value d’échange est
effectivement imposée, a transféré son domicile fiscal dans un autre État membre ? »
B. L’affaire C‑421/16
23. M. Lassus est résident fiscal britannique depuis l’année 1997. Le 7 décembre 1999, il a apporté à la société luxembourgeoise Gemplus International des titres ( 11 ) de la société française Gemplus Associates ( 12 ) et a reçu en échange des titres de la première de ces sociétés ( 13 ). Lors de cet échange, il a réalisé une plus-value de 17814460 euros, qui a été placée en report d’imposition en application de la législation en cause ( 14 ). À la suite de cette opération d’échange, M. Lassus a
acquis d’autres titres de Gemplus International.
24. Au mois de décembre 2002, M. Lassus a cédé 45 % des titres de Gemplus International ( 15 ) qu’il détenait. L’administration fiscale française ( 16 ) a alors estimé que les titres reçus par M. Lassus à l’occasion de l’opération d’échange du 7 décembre 1999 avaient été cédés à hauteur de 45 % et a imposé la fraction correspondante de la plus-value placée en report d’imposition telle qu’elle avait été constatée à cette date. Par conséquent, cette administration a mis à la charge de M. Lassus des
cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu au titre de l’année 2002.
25. Contestant ces cotisations, M. Lassus a saisi le tribunal administratif de Paris (France), qui a rejeté sa requête. Saisie d’un recours, la cour administrative d’appel de Paris (France) a annulé la décision de cette première juridiction et, partant, a déchargé M. Lassus desdites cotisations. L’administration fiscale a alors saisi le Conseil d’État d’un pourvoi en cassation.
26. La juridiction de renvoi expose que, conformément à la législation en cause au principal et à l’article 13, paragraphe 4, sous a) et b), de la convention fiscale franco-britannique, la plus-value d’échange réalisée en 1999 par M. Lassus, résident fiscal britannique, pouvait être imposée en France.
27. En outre, la juridiction de renvoi estime que la législation nationale en cause a pour effet de permettre, par dérogation à la règle selon laquelle le fait générateur de l’imposition d’une plus-value est constitué au cours de l’année de sa réalisation, de constater et de liquider la plus-value d’échange de titres de l’année où cet échange a eu lieu et de l’imposer pour l’année au cours de laquelle intervient l’événement qui met fin au report d’imposition, à savoir la cession des titres reçus au
moment de l’échange. Dans ce contexte, la circonstance que la plus-value de cession ultérieure des titres reçus soit imposable dans un autre État membre que celui dans lequel la plus-value afférente aux titres échangés était imposable lors de l’opération d’échange est, selon ladite juridiction, sans incidence sur le pouvoir de ce dernier État membre ( 17 ) d’imposer au moment de la cession finale des titres reçus en échange de la plus-value des titres échangés.
28. Toutefois, M. Lassus remet en question cette interprétation.
29. D’une part, à titre principal, il fait valoir que le mécanisme de report d’imposition institué par la législation nationale est incompatible avec l’article 8 de la directive 90/434, cet article prévoyant comme fait générateur de l’imposition la cession des titres reçus et non l’opération d’échange de titres, cette dernière, correspondant à une opération intercalaire fiscalement neutre. Il soutient en outre que, en l’espèce, à la date de cette cession, l’administration fiscale française avait
perdu son pouvoir d’imposition, l’opération de cession relevant de la compétence fiscale du Royaume-Uni.
30. D’autre part, dans l’hypothèse où la cession était imposable en France, dès lors que la législation nationale permet d’imputer la moins-value de cession sur les plus-values de même nature, le refus de l’administration fiscale d’imputer la moins-value générée par la cession des titres en 2002 sur la plus-value d’échange placée en report d’imposition méconnaîtrait les objectifs de l’article 8 de la directive 90/434 et constituerait une entrave à la liberté d’établissement garantie par
l’article 49 TFUE.
31. Dans ces conditions, le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Les dispositions précitées de l’article 8 de la directive [90/434] doivent-elle être interprétées en ce sens qu’elles interdisent, dans le cas d’une opération d’échange de titres entrant dans le champ de la directive, un mécanisme de report d’imposition prévoyant que, par dérogation à la règle selon laquelle le fait générateur de l’imposition d’une plus-value est constitué au cours de l’année de sa réalisation, une plus-value d’échange est constatée et liquidée à l’occasion de l’opération
d’échange de titres et est imposée l’année au cours de laquelle intervient l’événement qui met fin au report d’imposition, qui peut notamment être la cession des titres reçus au moment de l’échange ?
2) À la supposer imposable, la plus-value d’échange de titres peut-elle être taxée par l’État qui détenait le pouvoir de l’imposer au moment de l’opération d’échange, alors que la cession des titres reçus à l’occasion de cet échange relève de la compétence fiscale d’un autre État membre ?
3) S’il est répondu [aux questions précédentes] que la directive [90/434] ne s’oppose pas à ce que la plus-value résultant d’un échange de titres soit imposée au moment de la cession ultérieure des titres reçus lors de l’échange, y compris lorsque les deux opérations ne relèvent pas de la compétence fiscale du même État membre, l’État membre dans lequel la plus-value d’échange a été placée en report d’imposition peut-il imposer la plus-value en report lors de cette cession, sous réserve des
stipulations de la convention fiscale bilatérale applicables, sans tenir compte du résultat de la cession lorsque ce résultat est une moins-value ? Cette question est posée tant au regard de la directive [90/434] qu’au regard de la liberté d’établissement garantie par l’article [49 TFUE], dès lors qu’un contribuable fiscalement domicilié en France lors de l’opération d’échange et lors de l’opération de cession de titres serait susceptible de bénéficier, dans les conditions rappelées au
point 4 de la présente décision ( 18 ), de l’imputation d’une moins-value de cession.
4) S’il est répondu à la troisième question qu’il convient de tenir compte de la moins-value de cession des titres reçus lors de l’échange, l’État membre où a été réalisée la plus-value d’échange doit-il imputer sur la plus-value la moins-value de cession ou doit-il, dès lors que la cession ne relève pas de sa compétence fiscale, renoncer à imposer la plus-value d’échange ?
5) S’il est répondu à la [quatrième] question qu’il y a lieu d’imputer la moins-value de cession sur la plus-value d’échange, quel prix d’acquisition des titres cédés y a-t-il lieu de retenir pour calculer cette moins-value de cession ? Notamment, y a-t-il lieu de retenir comme prix d’acquisition unitaire des titres cédés la valeur totale des titres de la société reçus à l’échange, telle qu’elle figure sur la déclaration de plus-value, divisée par le nombre de ces titres reçus lors de l’échange,
ou doit-on retenir un prix d’acquisition moyen pondéré, prenant en compte également des opérations postérieures à l’échange, telles que d’autres acquisitions ou des distributions gratuites de titres de la même société ? »
IV. La procédure devant la Cour
32. Dans l’affaire Jacob (C‑327/16), des observations écrites ont été déposées par M. Jacob, les gouvernements français, finlandais et suédois ainsi que par la Commission européenne. Dans l’affaire Lassus (C‑421/16), des observations écrites ont été déposées par les gouvernements français, autrichien, finlandais et suédois ainsi que par la Commission.
33. Par décision du président de la Cour du 10 novembre 2016, en application de l’article 54 du règlement de procédure de la Cour, les affaires Jacob (C‑327/16) et Lassus (C‑421/16) ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l’arrêt.
34. M. Jacob, les gouvernements français et suédois ainsi que la Commission ont formulé des observations orales lors de l’audience qui s’est tenue le 13 septembre 2017.
V. Sur la compétence de la Cour dans l’affaire Jacob (C‑327/16)
35. Il ressort de la demande de décision préjudicielle dans l’affaire Jacob (C‑327/16) que les faits à l’origine du litige au principal concernaient des opérations d’échange d’actions impliquant des sociétés établies dans un seul et même État membre, ce qui les excluait, a priori, du champ de la directive 90/434 ( 19 ) et constituait donc une situation purement interne.
36. Toutefois, il ressort de cette demande que M. Jacob soutenait que les dispositions qui assurent la transposition de la directive 90/434 en droit français, à savoir les dispositions du paragraphe II de l’article 92 B et du point 4 du I ter de l’article 160 du CGI, s’appliquaient également aux opérations d’échange d’actions résultant d’une opération de fusion, de scission ou d’apports réalisées entre deux sociétés françaises.
37. À la suite d’une demande d’information de la Cour du 21 juillet 2016 adressée au Conseil d’État, le président de la troisième chambre du Conseil d’État a confirmé, par lettre du 1er août 2016, que « les dispositions, en litige, des articles 92 B et 160 du CGI, prises pour la transposition de la directive [90/434], sont applicables dans les mêmes conditions aux opérations d’échange d’actions qu’elles aient lieu entre des sociétés françaises, entre des sociétés d’États membres différents ou
d’États tiers, dès lors que […] le contribuable détenteur des actions a son domicile fiscal en France à la date de l’échange ».
38. Il convient de rappeler que, conformément à l’article 267 TFUE, la Cour est compétente pour statuer, à titre préjudiciel, sur l’interprétation des traités ainsi que sur celle des actes pris par les institutions de l’Union européenne. Dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales, instituée par cet article, il appartient au seul juge national d’apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en
mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour.
39. En conséquence, dès lors que les questions posées par les juridictions nationales portent sur l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer. En application de cette jurisprudence, la Cour s’est, à maintes reprises, déclarée compétente pour statuer sur les demandes préjudicielles portant sur des dispositions du droit de l’Union dans des situations dans lesquelles les faits au principal se situaient en dehors du champ d’application direct du
droit de l’Union, mais dans lesquelles lesdites dispositions avaient été rendues applicables par la législation nationale, laquelle se conformait, pour les solutions apportées à des situations purement internes, à celles retenues par le droit de l’Union.
40. En effet, dans de tels cas, il existe un intérêt certain de l’Union à ce que, pour éviter des divergences d’interprétation futures, les dispositions ou les notions reprises du droit de l’Union reçoivent une interprétation uniforme, quelles que soient les conditions dans lesquelles elles sont appelées à s’appliquer ( 20 ).
41. S’agissant de la demande de décision préjudicielle dans l’affaire Jacob (C‑327/16) comme il ressort de la réponse du Conseil d’État du 1er août 2016 ( 21 ) que le législateur français a décidé d’appliquer un traitement identique aux situations internes et aux situations régies à l’article 8 de la directive 90/434, force est de constater que la Cour est compétente pour répondre aux questions posées, portant sur cet article.
VI. Sur l’applicabilité de la directive 90/434
42. Le gouvernement autrichien exprime des doutes sur l’applicabilité même de la directive 90/434 à l’affaire Lassus (C‑421/16).
43. Il estime que les règles de cette directive ne concernent que « l’État dans lequel l’associé apporteur a son domicile fiscal et l’État dans lequel la société bénéficiaire a son domicile fiscal. Si l’associé apporteur est domicilié fiscalement dans un autre (troisième) État membre, la directive ne semble pas lui être applicable ».
44. Le gouvernement autrichien observe que cela ressort de l’économie de la directive 90/434. Selon lui, cette directive ne prévoit aucune règle pour « les cas dans lesquels un État membre qui, du fait de l’apport, perd son droit d’imposition sur les titres de la société acquise, sans que ce droit d’imposition soit remplacé par de nouveaux titres imposables de la société acquérante, laissent à l’État membre en question une latitude législative et réglementaire qui n’est pas limitée par la directive
90/434, étant précisé que les mesures fiscales des États membres doivent néanmoins être compatibles avec les libertés fondamentales ». Selon le gouvernement autrichien, tel « est le cas en l’espèce : en raison de la convention [fiscale] franco-britannique sur la double imposition, la France détient le droit d’imposer les plus-values générées jusqu’à l’échange de titres. Du fait de cette opération, des titres de la société luxembourgeoise acquérante sont, en échange, délivrés à l’associé
domicilié au Royaume-Uni. Ces titres reçus en échange ne peuvent être imposés qu’au Royaume-Uni et non en France ».
45. Je considère que la limitation du champ d’application de la directive 90/434 invoquée par le gouvernement autrichien n’est aucunement étayée ni par la lettre ni par l’économie de cette directive.
46. Il ressort clairement de l’article 1er de la directive 90/434 que chaque État membre applique cette directive aux « opérations de fusion, de scission, d’apport d’actifs et d’échange d’actions qui concernent des sociétés de deux ou de plusieurs États membres ». Or, il n’est pas contesté que l’opération en cause dans l’affaire Lassus (C‑421/16) est une opération transfrontalière qui concerne des sociétés de deux États membres, en l’occurrence la République française et le Grand-Duché de
Luxembourg.
47. À mon avis, ni l’article 1er de la directive 90/434 ni d’ailleurs l’article 8 de cette dernière ne prévoient de limitation de leur champ d’application sur la base du domicile fiscal de la société apporteuse ou de la société acquérante, toutes deux parties à l’opération transfrontalière.
48. En outre, contrairement aux observations du gouvernement autrichien sur « les cas dans lesquels un État membre qui, du fait de l’apport, perd son droit d’imposition sur les titres de la société acquise », je considère que l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive 90/434 n’empêche pas un État membre de prévoir notamment un mécanisme de report d’imposition des plus-values constatées lors d’un échange de titres jusqu’à la cession ultérieure desdits titres ( 22 ). Il s’ensuit que,
en application de l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive 90/434, l’État membre concerné, en l’occurrence la République française, conserve son droit d’imposer une plus-value née sur la base de sa compétence fiscale avant l’échange des titres ( 23 ).
VII. Sur le fond
A. Sur la première question préjudicielle
49. Par sa première question dans les présentes affaires, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 8 de la directive 90/434 s’oppose à une réglementation d’un État membre selon laquelle un échange d’actions ou de titres donne lieu à un report d’imposition de la plus-value constatée et liquidée à l’occasion de l’opération d’échange jusqu’à l’année au cours de laquelle intervient l’événement qui met fin à ce report, à savoir, en l’espèce, la cession ultérieure de ces actions ou
titres.
50. Si le législateur français a privilégié un mécanisme de report d’imposition ( 24 ) selon lequel l’assiette de la plus-value de titres est cristallisée, lors de l’opération d’échange de titres, et l’imposition de la plus-value ainsi que le recouvrement n’ont lieu qu’au moment de la cession ultérieure des titres obtenus à l’occasion de l’échange de titres, MM. Jacob et Lassus estiment que l’article 8 de la directive 90/434 exige, afin de respecter le principe de neutralité fiscale visé par cette
directive, un mécanisme de sursis d’imposition ( 25 ).
51. Cela dit, il n’incombe à la Cour d’examiner, dans le cadre des présentes affaires, ni la légalité à la lumière de l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive 90/434 d’un mécanisme de sursis d’imposition, ni l’opportunité d’un tel mécanisme par rapport au mécanisme de report d’imposition. La présente question de la juridiction de renvoi porte uniquement sur le mécanisme de report d’imposition en vigueur en France. Par conséquent, il n’appartient pas, en l’espèce, à la Cour de
revenir sur l’appréciation de la juridiction de renvoi, qui a circonscrit le cadre juridique et factuel du litige porté devant elle et n’a pas inclus cet aspect du problème dans sa question ( 26 ).
52. Il y a lieu de rappeler que, dans l’arrêt du 5 juillet 2007, Kofoed (C‑321/05, EU:C:2007:408, point 32), la Cour a jugé que l’objectif de la directive 90/434 consistait « à éliminer [l]es obstacles fiscaux aux restructurations transfrontalières d’entreprises, d’une part, en assurant que des éventuelles augmentations de valeur de parts sociales ne soient pas taxées avant leur réalisation effective et, d’autre part, en évitant que des opérations impliquant des plus-values très importantes
réalisées lors d’un échange de parts sociales soient soustraites à l’impôt simplement parce qu’elles s’inscrivent dans le cadre d’une restructuration ».
53. En d’autres termes, l’objectif de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 90/434 est, notamment, d’éviter les désavantages de trésorerie qui en résulteraient si l’impôt sur les plus-values, constatées lors d’un échange d’actions ou de titres, devait être acquitté avant leur réalisation ( 27 ).
54. En effet, l’article 8, paragraphe 1, de la directive 90/434 prévoit qu’une opération d’échange d’actions ou de titres ne doit, par elle-même, entraîner aucune imposition ( 28 ). Il s’ensuit que, par cet impératif de neutralité fiscale à l’égard d’un échange d’actions ou de titres, cette directive vise, ainsi qu’il ressort de ses premier et quatrième considérants, à garantir qu’un tel échange intéressant des sociétés d’États membres différents ne soit pas entravé par des restrictions, des
désavantages ou des distorsions particuliers découlant des dispositions fiscales des États membres ( 29 ).
55. Toutefois, nonobstant cet impératif de neutralité fiscale prévu à l’article 8, paragraphe 1, de la directive 90/434, l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de ladite directive prévoit que les États membres peuvent ( 30 )« imposer le profit résultant de la cession ultérieure des titres reçus de la même manière que le profit qui résulte de la cession des titres existant avant l’acquisition ».
56. Si donc l’article 8, paragraphe 1, de la directive 90/434 interdit l’imposition de l’opération d’échange d’actions, au moment de l’échange, il ressort de l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de ladite directive que ces dispositions ne prévoient pas pour autant une exonération définitive de l’imposition de la plus-value liée à cet échange ( 31 ).
57. En effet, au point 35 de l’arrêt de la Cour du 11 décembre 2008, A.T. (C‑285/07, EU:C:2008:705), la Cour a dit pour droit que « la directive 90/434 elle-même vise, selon son quatrième considérant, à sauvegarder les intérêts financiers de l’État de la société acquise. Ainsi, l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive 90/434 dispose que l’application du paragraphe 1 dudit article n’empêche pas les États membres d’imposer le profit résultant de la cession ultérieure des titres
reçus de la même manière que le profit qui résulte de la cession des titres existant avant l’acquisition» ( 32 ).
58. Il importe de relever, comme l’ont observé le gouvernement suédois et la Commission ( 33 ), que l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive 90/434 ne comporte aucune disposition relative aux modalités d’une éventuelle imposition des actions ou des titres lors de leur cession ultérieure. Vu ce silence de l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive 90/434, les États membres disposent d’une certaine marge de manœuvre dans la transposition et la mise en œuvre de cette
disposition du droit de l’Union, pour autant que cela n’enfreint pas les dispositions du traité FUE, notamment, la liberté d’établissement garantie par l’article 49 TFUE ( 34 ), ou les autres dispositions de la directive 90/434, en particulier son article 8, paragraphe 1.
59. L’article 8 de la directive 90/434 n’empêche pas un État membre de prévoir un mécanisme de report d’imposition jusqu’à la cession ultérieure de titres des plus-values constatées lors d’un échange desdits titres. Le mécanisme du report d’imposition respecte le principe de neutralité fiscale en assurant qu’une opération d’échange de titres n’entraîne par elle-même aucune imposition et que d’éventuelles augmentations de la valeur des titres ne soient pas taxées avant leur réalisation effective,
tout en respectant les intérêts de l’État membre où a été réalisée la plus-value d’échange. Ce mécanisme assure à l’État membre concerné, en l’occurrence la République française, son droit d’imposer ultérieurement, au moment de sa réalisation, une plus-value qui était latente au moment de l’échange des titres.
60. En effet, la constatation de la plus-value lors de l’échange des titres et le report de l’imposition de celle-ci jusqu’à la cession ultérieure des titres échangés ne peuvent être considérés comme équivalents à l’imposition qui est interdite à l’article 8, paragraphe 1, de la directive 90/434. Ce mécanisme n’entraîne pas les désavantages de trésorerie qui en résulteraient si l’impôt sur les plus-values, constatées lors d’un échange d’actions ou de titres, devait être acquitté avant qu’elles ne
soient réalisées.
61. En l’absence de réglementation de l’Union sur l’application de l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive 90/434, les modalités procédurales visant à assurer la sauvegarde des droits que les contribuables tirent notamment de l’article 8 de ladite directive relèvent de l’ordre juridique de chaque État membre, en vertu du principe de l’autonomie procédurale des États membres, à condition, toutefois, qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations
similaires de nature interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) ( 35 ).
62. À cet égard, les modalités d’application de l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive 90/434 prévues par le droit national et le droit conventionnel doivent être transparentes et cohérentes afin d’assurer la sécurité juridique des contribuables, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier.
63. Par conséquent, je considère que l’article 8, paragraphe 1, et l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive 90/434 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à un mécanisme tel que celui en cause au principal qui reporte, jusqu’à la cession ultérieure des titres, l’imposition d’une plus-value constatée lors d’une opération d’échange de titres entrant dans le champ d’application de ladite directive.
B. Sur la deuxième question préjudicielle
64. Par sa deuxième question dans les présentes affaires, la juridiction de renvoi demande, en substance si, à la supposer imposable, la plus-value d’échange peut être taxée par l’État membre qui détenait le pouvoir de l’imposer au moment de l’opération d’échange, alors que la cession ultérieure des titres reçus à l’occasion de cet échange relève de la compétence fiscale d’un autre État membre.
65. Eu égard à ma réponse à la première question selon laquelle la plus-value constatée lors de l’opération d’échange des titres peut être imposée à l’occasion de la cession ultérieure de ces titres, il est nécessaire de répondre à la deuxième question posée par la juridiction de renvoi.
66. Je précise que la deuxième question porte sur la possibilité de taxer, lors de leur cession ultérieure, la plus-value qui résulte de l’échange de titres et non sur la possibilité de taxer une éventuelle plus-value qui résulterait de la cession ultérieure de ces titres ( 36 ).
67. La directive 90/434 instaure, pour les échanges de titres intéressant des sociétés d’États membres différents, des règles fiscales neutres au regard de la concurrence afin de permettre aux entreprises de s’adapter aux exigences du marché commun et d’éviter que ces opérations soient entravées par des restrictions, des désavantages ou des distorsions particuliers découlant des dispositions fiscales des États membres ( 37 ).
68. Toutefois, si la directive 90/434 n’harmonise pas les critères de répartition du pouvoir de taxation des États membres ( 38 ) et que, en l’absence d’harmonisation au niveau de l’Union, les États membres demeurent compétents pour définir, par voie conventionnelle ou unilatérale, les critères de répartition de leur pouvoir de taxation, en vue, notamment, d’éliminer les doubles impositions ( 39 ), comme je l’ai indiqué au point 59 des présentes conclusions, l’article 8 de la directive 90/434 vise
aussi, à son paragraphe 2, à sauvegarder les intérêts financiers de l’État où a été réalisée la plus-value d’échange.
69. Au vu de ma réponse à la première question selon laquelle l’article 8, paragraphe 1, et l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive 90/434 ne s’opposent pas à un mécanisme de report d’imposition, jusqu’à leur cession ultérieure, d’une plus-value d’échange constatée et liquidée à l’occasion de l’opération d’échange de titres entrant dans le champ d’application de ladite directive ( 40 ) jusqu’à la cession, elle-même, de ces titres, je considère que le fait que la cession des
titres qui ont fait l’objet de l’opération d’échange relève de la compétente fiscale d’un État membre autre que celui qui est compétent pour imposer la plus-value d’échange, en l’occurrence la République française, n’a pas d’incidence.
70. En effet, l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive 90/434 n’exclut pas la possibilité pour un État membre de prévoir l’imposition d’une plus-value d’échange de titres lors de la cession ultérieure de ces titres, alors que, au vu d’un élément d’extranéité intervenu entre l’échange des titres et leur cession, cette dernière pourrait ne pas relever de la compétence fiscale de cet État membre.
71. Autrement dit, la compétence fiscale des États membres au moment de la cession des titres qui ont fait l’objet d’un échange n’affecte pas le droit d’un autre État membre d’imposer une plus-value née dans le cadre de sa compétence fiscale au moment de l’échange des titres ( 41 ), et ce même s’ils ne sont qu’ultérieurement cédés. Une telle possibilité n’affecte en rien la neutralité fiscale de l’échange des titres, tout en respectant les intérêts de l’État membre où a été réalisée la plus-value
d’échange ( 42 ).
72. Par conséquent, je considère que l’article 8, paragraphe 1, et l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive 90/434 ( 43 ) doivent être interprétés en ce sens que la plus-value d’échange de titres peut être taxée lors de leur cession ultérieure par l’État membre qui détenait le pouvoir d’imposer cette plus-value au moment de l’opération d’échange, alors même que la cession ultérieure des titres échangés pourrait relever de la compétence fiscale d’un autre État membre.
C. Sur la troisième question préjudicielle
73. La troisième question posée dans l’affaire Lassus (C‑421/16) ne doit être abordée que s’il est répondu aux deux premières questions, à savoir que la directive 90/434 ne s’oppose pas à un mécanisme de report d’imposition de la plus-value réalisée à l’occasion d’un échange de titres, tel que celui en cause.
74. Par cette question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 90/434 et/ou l’article 49 TFUE s’opposent à ce qu’un État membre, dans lequel la plus-value d’échange a été placée en report d’imposition, l’impose sans tenir compte de la moins-value résultant de la cession ultérieure des titres reçus en échange, dès lors que cette opération de cession des titres n’est pas de la compétence fiscale de cet État membre.
75. M. Lassus a fait valoir devant la juridiction de renvoi que, conformément au quatrième alinéa du paragraphe I de l’article 160 du CGI selon lequel les moins-values subies au cours d’une année sont imputables sur les plus-values de même nature réalisées au cours de la même année ou des cinq années suivantes, un contribuable fiscalement domicilié en France lors de l’opération d’échange et lors de l’opération de cession de titres serait susceptible de bénéficier de l’imputation d’une moins-value de
cession.
76. Je relève que, nonobstant le fait que, dans sa réponse à la demande d’éclaircissement de la Cour, la juridiction de renvoi ait confirmé que l’article 92 B et l’article 160 du CGI étaient « applicables dans les mêmes conditions aux opérations d’échange d’actions qu’elles aient lieu entre des sociétés françaises, entre des sociétés d’États membres différents ou d’États tiers» ( 44 ), cette juridiction a indiqué, dans sa demande de décision préjudicielle, que, selon M. Lassus, l’administration
fiscale française avait refusé d’imputer la moins-value de cession réalisée par lui en 2002 sur la plus-value placée en report en 1999, soit dans un délai de moins de cinq ans, comme le prescrit le quatrième alinéa du paragraphe I de l’article 160 du CGI, au motif que la répartition du pouvoir d’imposition entre la France et le Royaume-Uni y faisait obstacle.
77. Le gouvernement français considère en effet que, dans l’arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785, point 56), la Cour a déjà admis que la non-prise en compte par l’État membre d’origine d’une société des moins-values qu’elle a réalisées postérieurement au transfert de son siège de direction effective ne peut être considérée comme disproportionnée au regard de l’objectif de répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres poursuivi par la
réglementation en cause ( 45 ).
78. S’agissant de la directive 90/434, outre le fait qu’elle n’harmonise pas les critères de répartition du pouvoir de taxation des États membres et que son article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, ne comporte aucune disposition relative aux modalités d’une éventuelle imposition des titres échangés lors de leur cession ultérieure, cette directive ne régit pas le droit ou l’obligation d’imputer des moins-values éventuelles résultant de la cession ultérieure des titres échangés.
79. Au vu de cette absence d’harmonisation, il y a lieu d’examiner cette question à la lumière de l’article 49 TFUE.
80. Il ressort du dossier devant la Cour que, conformément aux observations de la Commission ( 46 ), la mise en œuvre de la législation française ( 47 ) et de la convention fiscale franco-britannique implique un traitement différencié d’opérations taxables comparables, selon que le contribuable ait ou non exercé son droit d’établissement dans un autre État membre ( 48 ), ce qui constitue une restriction à la liberté d’établissement, au sens de l’article 49 TFUE ( 49 ).
81. Il résulte d’une jurisprudence constante qu’une restriction à la liberté d’établissement ne saurait être admise que si elle se justifie par des raisons impérieuses d’intérêt général. Encore faut-il, dans cette hypothèse, qu’elle soit propre à garantir la réalisation de l’objectif en cause et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif ( 50 ).
82. À cet égard, le gouvernement français estime que les modalités d’imposition d’une plus-value d’échange de titres, qui ne tiennent pas compte de la moins-value éventuellement réalisée lors de la cession ultérieure des titres échangés lorsque cette cession ne relève pas de sa compétence fiscale, sont justifiées par l’objectif de répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres ( 51 ).
83. La Commission est d’avis que la [République française] « est tenue de prendre en compte la moins-value de cession correspondant aux titres échanges en 1999, puisqu’à cette date elle disposait du pouvoir d’imposer […]. Par conséquent, à partir du moment où, sur le fondement des dispositions transposant la directive [90/434] qui offre la possibilité de reporter l’imposition des plus-values d’échange, la [République française] a décidé de traiter de la même manière les actionnaires résidents et les
actionnaires non-résidents, elle ne saurait se fonder sur les règles conventionnelles de répartition du pouvoir d’imposer entre États membres pour refuser le bénéfice de l’imputation de la moins-value de cession correspondante à un contribuable ayant exercé son droit d’établissement dans un autre État membre, alors qu’un tel avantage serait accordé à un contribuable résident. En effet, tant pour ce qui concerne l’imposition initialement reportée que la prise en compte de la moins-value
correspondant aux actions dont l’imposition avait été reportée, seul le pouvoir d’imposition d’un État membre est en cause, à savoir celui de la [République française]» ( 52 ).
84. La préservation de la répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres est un objectif légitime reconnu par la Cour ( 53 ).
85. En effet, au point 46 de l’arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785), la Cour a jugé que, conformément au principe de territorialité fiscale, un État membre est, en cas de transfert d’actifs à un établissement stable situé dans un autre État membre, en droit d’imposer, au moment de ce transfert, les plus-values générées sur son territoire antérieurement audit transfert. Une telle mesure vise à prévenir des situations de nature à compromettre le droit de l’État
membre d’origine d’exercer sa compétence fiscale en relation avec les activités réalisées sur son territoire.
86. Il s’ensuit que, en cas de transfert d’actifs vers un autre État membre, un État membre ne doit pas renoncer à son droit d’imposer les plus-values générées dans le cadre de sa compétence fiscale antérieurement au transfert de celles-ci en dehors de son territoire ( 54 ).
87. Au point 58 de l’arrêt du 21 décembre 2016, Commission/Portugal (C‑503/14, EU:C:2016:979), la Cour a rappelé, en citant le point 52 de l’arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785), qu’une réglementation d’un État membre qui impose le recouvrement immédiat de l’imposition sur les plus-values latentes afférentes à des éléments de patrimoine d’une société transférant son siège de direction effective dans un autre État membre, au moment même dudit transfert, était
disproportionnée en raison de l’existence de mesures moins attentatoires à la liberté d’établissement que le recouvrement immédiat de cet impôt. Toutefois, ce débat portait non sur un report d’imposition, mais sur un report de recouvrement ( 55 ).
88. Dans l’arrêt du 21 mai 2015, Verder LabTec (C‑657/13, EU:C:2015:331, point 48), la Cour a jugé qu’il était proportionné, pour un État membre, aux fins de sauvegarder l’exercice de sa compétence fiscale, de déterminer le montant de l’impôt dû sur les plus-values latentes générées sur son territoire afférentes aux actifs transférés en dehors de son territoire, au moment où son pouvoir d’imposition à l’égard des actifs concernés cesse d’exister, en l’occurrence au moment du transfert des actifs en
cause en dehors du territoire de cet État membre. S’agissant du recouvrement d’un tel impôt, la Cour a ajouté, au point 49 de cet arrêt, qu’il convenait de laisser à l’assujetti le choix entre, d’une part, le paiement immédiat du montant de cet impôt et, d’autre part, le paiement différé du montant dudit impôt, assorti, le cas échéant, d’intérêts selon la réglementation nationale applicable ( 56 ).
89. En outre, la Cour a jugé que l’éventuelle non-prise en compte de moins-values par l’État membre d’accueil n’impose aucune obligation, pour l’État membre d’origine, de réévaluer, au moment de la réalisation de l’actif concerné, une dette fiscale qui a été déterminée définitivement au moment où la société concernée, en raison du transfert de son siège de direction effective, a cessé d’être assujettie à l’impôt dans ce dernier État membre ( 57 ).
90. Je considère que, contrairement à la situation dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785), où l’État membre d’origine avait exercé complétement (sous réserve d’un éventuel report du recouvrement) son droit d’imposer les plus-values latentes générées sur son territoire afférentes aux actifs transférés en dehors de son territoire au moment de ce transfert ( 58 ), l’État membre d’origine dans l’affaire Lassus (C‑421/16), à savoir la
République française qui, sur la base de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 90/434, n’avait aucun droit d’imposer les plus-values résultant de l’opération d’échange des titres en 1999 au moment de cet échange, a mis en place, conformément à l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de cette directive, un mécanisme de report, jusqu’à leur cession ultérieure, de l’imposition de la plus-value résultant de l’échange des titres. Il convient de rappeler également qu’il semble ressortir du
dossier national déposé au greffe de la Cour que les modalités d’imposition de la plus-value d’échange, comme le taux d’imposition, sont déterminées à la date de la cession ultérieure des titres échangés et que l’impôt à payer n’est fixé qu’à cette date.
91. Par conséquent, ce faisant, le gouvernement français exerce son pouvoir d’imposition au moment de la cession ultérieure ( 59 ) des titres échangés ( 60 ), et ce nonobstant le fait que l’imposition d’une éventuelle plus-value résultant de la cession ultérieure des titres échangés ne relèverait pas de sa compétence fiscale.
92. Il s’ensuit que, contrairement aux circonstances dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785), du 21 mai 2015, Verder LabTec (C‑657/13, EU:C:2015:331), et du 21 décembre 2016, Commission/Portugal (C‑503/14, EU:C:2016:979), dans l’affaire Lassus (C‑421/16), l’État membre d’origine, à savoir la République française, exerçait un pouvoir d’imposition au moment de la réalisation des moins-values ( 61 ) en 2002.
93. Je considère que, dans ces circonstances, la préservation de la répartition du pouvoir d’imposition ne justifie pas un traitement différencié des assujettis résidents et des assujettis non-résidents puisque seul le pouvoir d’imposition du gouvernement français était en cause.
94. Par conséquent, l’État membre d’origine ne devrait pas refuser à un assujetti ayant exercé son droit d’établissement dans un autre État membre le bénéfice de l’imputation de moins-values réalisées sous l’emprise de sa législation nationale ( 62 ), alors qu’un tel avantage serait accordé à un assujetti résident.
95. Il y a lieu de répondre à la troisième question posée par la juridiction de renvoi dans l’affaire Lassus (C‑421/16) que l’article 49 TFUE s’oppose à ce qu’un État membre, dans lequel la plus-value d’échange a été placée en report d’imposition conformément à l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive 90/434, impose cette plus-value lors de la cession ultérieure des titres échangés sans tenir compte des moins-values intervenues après l’échange, alors qu’un tel avantage serait
accordé à un assujetti résident. Le fait que la cession ultérieure des titres échangés ne soit pas de la compétence fiscale de cet État membre ne justifie pas ce traitement discriminatoire.
D. Sur la quatrième question préjudicielle
96. Par la quatrième question dans l’affaire Lassus (C‑421/16), qui ne se pose que s’il est répondu à la troisième question qu’il convient de tenir compte de la moins-value de cession, la juridiction de renvoi demande en substance si l’État membre d’origine doit imputer sur la plus-value constatée lors de l’opération d’échange des titres la moins-value de cession desdits titres ou s’il doit renoncer à imposer la plus-value en question, dès lors que la cession, elle-même, ne relève pas de sa
compétence fiscale.
97. Il résulte de mes réponses aux première à troisième questions que, comme l’article 8 de la directive 90/434 ne prévoit pas une exonération définitive de l’imposition de la plus-value constatée lors d’une opération d’échange de titres conformément à cette directive, l’État membre d’origine a la faculté de prévoir un mécanisme de report d’imposition de la plus-value d’échange jusqu’à la cession ultérieure desdits titres, et ce nonobstant le fait que la cession ne relève pas de sa compétence
fiscale. Je considère que, conformément aux observations du gouvernement français, la circonstance que la cession des titres échangés a donné lieu à une moins-value ne met pas en cause la compétence fiscale de l’État membre d’origine.
98. Toutefois, si le droit national prévoit un mécanisme de report d’imposition jusqu’à leur cession ultérieure d’une plus-value constatée lors d’une opération d’échange de titres entrant dans le champ d’application de la directive 90/434 et que ce droit prévoit la prise en compte des moins-values intervenues après l’échange de titres pour les assujettis résidents, l’État membre d’origine doit, conformément à l’article 49 TFUE, accorder le même avantage aux assujettis non-résidents. Cette obligation
n’impose pas à l’État membre d’origine de renoncer à imposer la plus-value d’échange, dès lors que la cession ultérieure des titres échangés ne relèverait pas de sa compétence fiscale.
E. Sur la cinquième question préjudicielle
99. Par sa cinquième question dans l’affaire Lassus (C‑421/16), qui est posée s’il est répondu aux troisième et quatrième questions qu’il y a lieu d’imputer la moins-value de cession sur la plus-value d’échange, la juridiction de renvoi s’interroge en substance sur les modalités d’une telle imputation.
100. Je considère, conformément aux observations du gouvernement français ( 63 ) et de la Commission ( 64 ), que ni la directive 90/434 ni d’autres dispositions du droit de l’Union ne précisent les modalités d’imputation en cause.
101. Par conséquent, les modalités relatives à l’imputation éventuelle d’une moins-value réalisée lors de la cession ultérieure des titres relèvent du droit national de l’État membre d’origine dans le respect du droit de l’Union, notamment de l’article 49 TFUE sur la liberté d’établissement.
VIII. Conclusion
102. À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Conseil d’État (France) de la manière suivante :
1) L’article 8, paragraphe 1, et l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive 90/434/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d’actifs et échanges d’actions intéressant des sociétés d’États membres différents, ne s’opposent pas à un mécanisme de report d’imposition jusqu’à la cession ultérieure des titres d’une plus-value constatée lors d’une opération d’échange de ces titres entrant dans le champ
d’application de ladite directive.
2) L’article 8, paragraphe 1, et l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive 90/434 doivent être interprétés en ce sens que la plus-value d’échange de titres peut être taxée, lors de leur cession ultérieure, par l’État membre qui détenait le pouvoir d’imposer cette plus-value au moment de l’opération d’échange, alors même que la cession ultérieure des titres échangés pourrait relever de la compétence fiscale d’un autre État membre.
3) L’article 49 TFUE s’oppose à ce qu’un État membre, dans lequel la plus-value d’échange a été placée en report d’imposition conformément à l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive 90/434 jusqu’à la cession ultérieure des titres échangés, impose cette plus-value lors de cette cession sans tenir compte des moins-values intervenues après l’échange, alors qu’un tel avantage serait accordé à un assujetti résident. Le fait que la cession ultérieure des titres échangés ne soit pas
de la compétence fiscale de cet État membre ne justifie pas ce traitement discriminatoire.
4) Si le droit national prévoit un mécanisme de report d’imposition, jusqu’à leur cession ultérieure, d’une plus-value constatée lors d’une opération d’échange de titres entrant dans le champ d’application de la directive 90/434 et que ce droit prévoit la prise en compte des moins-values intervenues après l’échange des titres pour les assujettis résidents, l’État membre d’origine doit, conformément à l’article 49 TFUE, accorder le même avantage aux assujettis non-résidents. Cette obligation
n’impose pas à l’État membre d’origine de renoncer à imposer la plus-value d’échange, dès lors que la cession ultérieure des titres échangés ne relèverait pas de sa compétence fiscale.
5) Les modalités relatives à l’imputation éventuelle d’une moins-value réalisée lors de la cession ultérieure des titres relèvent du droit national de l’État membre d’origine dans le respect du droit de l’Union, notamment de l’article 49 TFUE.
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( 1 ) Langue originale : le français.
( 2 ) Dans l’affaire Jacob (C‑327/16).
( 3 ) Dans l’affaire Lassus (C‑421/16).
( 4 ) JO 1990, L 225, p. 1. L’article 8 de cette directive a été modifié par la directive 2005/19/CE du Conseil, du 17 février 2005 (JO 2005, L 58, p. 19). Ultérieurement, la directive 90/434 a été abrogée par la directive 2009/133/CE du Conseil, du 19 octobre 2009, concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, scissions partielles, apports d’actifs et échanges d’actions intéressant des sociétés d’États membres différents, ainsi qu’au transfert du siège statutaire d’une SE ou
d’une SCE d’un État membre à un autre (JO 2009, L 310, p. 34). Toutefois, les termes de l’article 8, paragraphe 1, et de l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive 90/434 sont presque identiques aux termes de l’article 8, paragraphes 1 et 6, de cette même directive, telle que modifiée par la directive 2005/19, ainsi qu’aux termes de l’article 8, paragraphes 1 et 6, de la directive 2009/133.
( 5 ) Basée sur l’assiette fixée lors de l’échange.
( 6 ) Il semble ressortir du dossier national déposé au greffe de la Cour que les autres modalités d’imposition de la plus-value, notamment le taux d’imposition, sont déterminées à la date de la cession ultérieure. En effet, par sa première question préjudicielle dans les présentes affaires jointes, le Conseil d’État fait référence à « une plus-value d’échange [qui] est constatée et liquidée à l’occasion de l’opération d’échange de titres et est imposée l’année au cours de laquelle intervient
l’événement qui met fin au report d’imposition ». C’est moi qui souligne.
( 7 ) Selon la juridiction de renvoi, cette disposition « législative a eu notamment pour effet de permettre l’imputation d’une moins-value sur une plus-value antérieurement placée en report d’imposition, lors de l’imposition de cette plus-value l’année au cours de laquelle intervient l’événement qui met fin au report d’imposition ».
( 8 ) Cette date est pertinente pour l’affaire Lassus (C‑421/16). Voir point 24 des présentes conclusions.
( 9 ) Cette date est pertinente pour l’affaire Lassus (C‑421/16). Voir point 24 des présentes conclusions.
( 10 ) Voir paragraphe II de l’article 92 B et point 4 du I ter de l’article 160 du CGI.
( 11 ) En l’occurrence 11924 titres.
( 12 ) Initialement société Mars Sun.
( 13 ) Il a reçu, en échange, 599874 titres de Gemplus International.
( 14 ) 1 ter de l’article 160 et article 92 B du CGI.
( 15 ) À la société Sagem.
( 16 ) La plus-value d’échange réalisée par M. Lassus le 7 décembre 1999 était imposable en France, alors qu’il réside au Royaume-Uni depuis 1997, conformément à l’article 13, paragraphe 4, de la convention fiscale franco-britannique.
( 17 ) En l’occurrence, la République française.
( 18 ) Voir point 13 des présentes conclusions.
( 19 ) En effet, l’article 1er de la directive 90/434 dispose ce qui suit :
« Chaque État membre applique la présente directive aux opérations de fusion, de scission, d’apport d’actifs et d’échange d’actions qui concernent des sociétés de deux ou de plusieurs États membres. »
( 20 ) Arrêt du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a. (C‑32/11, EU:C:2013:160, points 19 et 20 ainsi que jurisprudence citée). Voir, également, arrêt du 18 octobre 1990, Dzodzi (C‑297/88 et C‑197/89, EU:C:1990:360, points 33 à 37).
( 21 ) Voir point 37 des présentes conclusions.
( 22 ) Voir point 59 des présentes conclusions.
( 23 ) Voir point 59 des présentes conclusions.
( 24 ) Voir article 92 B, paragraphe II, du CGI.
( 25 ) Voir point 4 des présentes conclusions sur la différence entre un report d’imposition et un sursis d’imposition. Voir, également, point 6 des présentes conclusions sur la notion de « report de recouvrement ». Selon M. Jacob, le mécanisme du report d’imposition prévu par la réglementation française remet en cause le principe de neutralité fiscale qui conduit à faire de l’échange de titres un « événement fiscal » en lui-même, « puisqu’il y aura alors lieu de constater une plus-value,
correspondant à la valorisation des titres remis à l’échange depuis leur acquisition, la constatation de cette plus-value constituant le fondement du droit d’imposer de l’État dont l’intéressé était alors résident ».
( 26 ) « Par ailleurs, une modification de la substance des questions préjudicielles à la demande d’une des parties ou une réponse aux questions complémentaires mentionnées par les parties au principal dans leurs observations serait incompatible avec le rôle dévolu à la Cour par l’article 267 TFUE ainsi qu’avec l’obligation de la Cour d’assurer la possibilité aux gouvernements des États membres et aux parties intéressées de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour
de justice, compte tenu du fait que, en vertu de cette disposition, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux parties intéressées. » Voir mes conclusions dans l’affaire Ehrmann (C‑609/12, EU:C:2013:746, point 27 et jurisprudence citée).
( 27 ) Voir, par analogie, arrêt du 11 décembre 2008, A.T. (C‑285/07, EU:C:2008:705, point 36). Voir, également, les conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Kofoed (C‑321/05, EU:C:2007:86, point 36) : « [l’article 8, paragraphe 1, de la directive 90/434 est censé] assurer la neutralité fiscale d’une telle opération de restructuration et empêcher que des réserves latentes ou d’autres augmentations de la valeur de parts sociales ne soient taxées avant même leur réalisation effective ».
Voir, également, arrêt du 20 mai 2010, Modehuis A. Zwijnenburg (C‑352/08, EU:C:2010:282, points 39 et 40). Dans l’arrêt du 8 mars 2017, Euro Park Service (C‑14/16, EU:C:2017:177, points 28 et 29), la Cour a rappelé « qu’une opération de fusion transfrontalière constitue une modalité particulière d’exercice de la liberté d’établissement, importante pour le bon fonctionnement du marché intérieur et relève donc des activités économiques pour lesquelles les États membres sont tenus au respect de cette
liberté. […] Afin que cette modalité particulière d’exercice de la liberté d’établissement ne soit pas entravée par des restrictions, des désavantages ou des distorsions particuliers découlant des dispositions fiscales des États membres, la directive 90/434, ainsi qu’il ressort de ses premier à cinquième considérants, établit un régime fiscal commun en prévoyant des avantages fiscaux, tels que le report d’imposition des plus-values afférentes aux biens apportés à l’occasion d’une telle opération ».
C’est moi qui souligne.
( 28 ) « Le libellé de cette disposition est impératif et dépourvu d’ambiguïté. » Voir les conclusions de l’avocat général Sharpston dans l’affaire A.T. (C‑285/07, EU:C:2008:608, point 24).
( 29 ) Voir, en ce sens, arrêt du 11 décembre 2008, A.T. (C‑285/07, EU:C:2008:705, point 21).
( 30 ) En effet, si le libellé de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 90/434 est impératif, le libellé de son paragraphe 2, deuxième alinéa, qui prévoit une possibilité pour les États membres d’imposer le profit résultant de la cession ultérieure des titres est, quant à lui, clairement facultatif.
( 31 ) Voir, par analogie, arrêt du 19 décembre 2012, 3D I (C‑207/11, EU:C:2012:818, point 28), qui porte sur les articles 4 et 9 de la directive 90/434. Selon l’avocat général Jääskinen, ladite directive vise « à parvenir à la neutralité fiscale en créant un régime commun de report d’imposition des plus-values afférentes […] à un échange d’actions transfrontalier. L’imposition n’interviendra qu’à la date de cession effective des actions ou des actifs ». Il considère que le « principe de neutralité
fiscale » ne concerne que le traitement fiscal à la date d’un échange d’actions transfrontalier, non à une autre date ‑ conclusions de l’avocat général Jääskinen dans l’affaire 3D I (C-207/11, EU:C:2012:433, points 37 et 39). Selon l’avocat général Sharpston, la directive 90/434 « impose un régime fiscal commun applicable […] aux échanges d’actions entre sociétés établies dans différents États membres. Elle vise à éviter une imposition à l’occasion de telles opérations, tout en sauvegardant les
intérêts financiers de l’État où survient le fait générateur de la taxe. Pour les échanges d’actions, elle y parvient en prévoyant que l’attribution de titres représentatifs du capital social de la société acquérante à un associé de la société acquise “ne doit, par elle-même, entraîner aucune imposition sur le revenu, les bénéfices ou les plus-values de cet associé”, tout en autorisant les États membres à “imposer le profit résultant de la cession ultérieure des titres reçus de la même manière que
le profit qui résulte de la cession des titres existant avant l’acquisition” » ‑ voir point 3 des conclusions de l’avocat général Sharpston dans l’affaire A.T. (C-285/07, EU:C:2008:608).
( 32 ) Selon le gouvernement autrichien, l’article 8 de la directive 90/434 repose « sur l’idée que, du fait de l’octroi des titres en échange aux associés de la société apporteuse ou acquise, l’État dans lequel ces associés sont domiciliés doit conserver la possibilité d’une imposition ultérieure de ces titres acquis ». Le gouvernement finlandais considère que « l’objectif de la directive 90/434 [est non] pas d’octroyer une exonération fiscale définitive de la cession ayant lieu à l’occasion de
l’échange des titres initialement détenus, mais seulement de garantir l’avantage que constitue le report d’imposition, afin de faciliter les échanges de titres transfrontaliers. Cette position, conforme à l’objectif et au libellé de la directive, a également été confirmée par la jurisprudence de la Cour, par exemple dans [l’arrêt du 5 juillet 2007, Kofoed (C‑321/05, EU:C:2007:408)] ».
( 33 ) Selon la Commission, la directive 90/434 ne fait pas obstacle à ce qu’une opération d’échange de titres, suivie d’une cession ultérieure, soit décomposée en deux étapes successives, à savoir, premièrement, la constatation et liquidation de la plus-value d’échange mise en report d’imposition, et, deuxièmement, l’imposition effective du revenu réalisé lors de la cession ultérieure des mêmes titres.
( 34 ) Au point 41 de l’arrêt du 5 juillet 2007, Kofoed (C‑321/05, EU:C:2007:408), la Cour a eu l’occasion de préciser que « chacun des États membres destinataires d’une directive a l’obligation de prendre, dans son ordre juridique national, toutes les mesures nécessaires en vue d’assurer le plein effet de la directive, conformément à l’objectif qu’elle poursuit ». « [Les États membres] bénéficient du choix de la forme et des moyens de mise en œuvre des directives permettant de garantir au mieux le
résultat auquel ces dernières tendent » (point 43 du même arrêt).
( 35 ) Voir, par analogie, arrêt du 8 mars 2017, Euro Park Service (C‑14/16, EU:C:2017:177, point 36).
( 36 ) Dans l’affaire Jacob (C‑327/16), M. Jacob résidait et était imposable en France au moment de l’échange des titres conformément aux termes du paragraphe II de l’article 92 B et du point 4 du I ter de l’article 160 du CGI. Il a déplacé son domicile fiscal après cet échange et avant la cession des titres en cause. Dans l’affaire Lassus (C‑421/16), M. Lassus était imposable en France au titre de la plus-value d’échange en 1999 conformément à l’article 13, paragraphe 4, sous a) et b), de la
convention fiscale franco-britannique, même s’il était domicilié au Royaume-Uni depuis 1997. En effet, selon le gouvernement français, « [e]n application des dispositions combinées des articles 164 B et 244 bis B du CGI en vigueur à la date de l’opération d’échange de titres du 7 décembre 1999, les plus-values réalisées sur la cession de droits afférents à des sociétés ayant leur siège en France constituent des revenus de source française imposables en France selon les modalités prévues par
l’article 160 du CGI quand bien même le bénéficiaire, personne physique, de ces plus-values n’était pas fiscalement domicilié en France. […] Par ailleurs, l’article 13, paragraphe 4, de la convention fiscale franco-britannique confirme cette répartition de la compétence fiscale entre la France et le Royaume-Uni ». En revanche, selon le gouvernement français, l’opération même de cession des titres reçus en échange, à savoir les titres de la société luxembourgeoise Gemplus International, n’entrait pas
dans les hypothèses prévues par les articles 164 B et 244 bis B du CGI et par l’article 13, paragraphe 4, de la convention fiscale franco-britannique, car cette cession concernait des titres d’une société luxembourgeoise détenus par une personne physique fiscalement domiciliée au Royaume-Uni. Il convient de noter que M. Lassus a fait valoir devant le Conseil d’État que la cession ultérieure des titres échangés relevait de la compétence fiscale du gouvernement du Royaume-Uni, ce qui ne change rien à
la compétence du gouvernement français de taxer les plus-values en cause.
( 37 ) Voir premier considérant de la directive 90/434.
( 38 ) Je considère, comme M. Jacob ainsi que comme les gouvernements français et finlandais, que la directive 90/434 n’a pas pour objet de fixer des règles de territorialité de l’impôt et de répartir le droit d’imposition entre les États membres.
( 39 ) Arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785, point 45 et jurisprudence citée).
( 40 ) À savoir, une opération transfrontalière conformément à l’article 1er de la directive 90/434 ou une opération interne à laquelle la législation nationale a rendu cette directive applicable.
( 41 ) Voir, par analogie, arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785, point 46 et jurisprudence citée). Voir, également, arrêt du 23 janvier 2014, DMC (C‑164/12, EU:C:2014:20, point 47).
( 42 ) Voir quatrième considérant de la directive 90/434. De surcroît, étant donné qu’une telle possibilité respecte également les intérêts de l’État membre où a été réalisée la cession ultérieure des titres échangés car elle n’affecte pas le droit de cet État membre d’imposer des plus-values éventuelles résultant de cette cession, elle préserve à mon avis une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres, qui est un objectif légitime reconnu par la Cour.
( 43 ) Les gouvernements français, finlandais et suédois ainsi que la Commission considèrent que l’article 8 de la directive 90/434 n’interdit pas que la plus-value d’échange de titres soit imposée par l’État membre de résidence de l’assujetti au moment de l’échange alors que celui-ci, à la date de la cession ultérieure des titres, avait transféré sa résidence fiscale. M. Jacob estime que l’article 8 de la directive 90/434 doit être interprété en ce sens que, dans le cas d’une opération d’échange de
titres entrant dans le champ d’application de la directive, l’unique fait générateur de l’imposition intervient au jour de la cession des titres reçus à l’échange. Il considère dès lors que les règles de territorialité de l’impôt doivent être appréciées à cette date en fonction des dispositions du droit interne des États membres et des conventions fiscales éventuellement conclues entre eux.
( 44 ) C’est moi qui souligne.
( 45 ) Le gouvernement autrichien estime que « l’absence de prise en compte de moins-values n’est pas contraire à la liberté d’établissement parce qu’il appartient aux États membres de fixer définitivement le montant de l’impôt sur les plus-values non réalisées – sans prendre en compte d’éventuelles moins-values ou plus-values survenant ultérieurement – au moment où prend fin le pouvoir d’imposition de l’État membre en ce qui concerne les éléments d’actifs en question ». Le gouvernement suédois
considère que « l’État membre ne devrait raisonnablement pas être tenu de prendre en compte des moins-values sous forme de pertes survenant au stade de la vente finale des titres, c’est-à-dire une fois qu’il ne dispose plus du pouvoir d’imposition. Par conséquent, le fait de ne pas tenir compte d’une perte au moment d’une telle cession finale ne devrait pas être considéré comme constituant un obstacle à la liberté d’établissement. Si la Cour devait être d’un avis contraire, une telle restriction
est, en tout état de cause, susceptible d’être motivée au regard de la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres et est, partant, justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général et conforme au principe de proportionnalité ». Le gouvernement finlandais estime « que l’État membre n’a pas l’obligation de tenir compte d’une telle moins-value lors de la taxation de la plus-value réalisée lors d’un échange de titres. Premièrement, en ce qui concerne la directive
90/434, il suffit de répéter que cette directive ne règle à aucun égard la question de la répartition entre les États membres du pouvoir d’imposition concernant un échange de titres. Partant, le droit d’imputer les moins-values, qui relève également de la question de la répartition du pouvoir d’imposition, n’est pas non plus régi par la directive. Ainsi, il ne découle de la directive aucune limitation, à cet égard, pour la législation fiscale des États membres. Deuxièmement, l’article 49 TFUE
n’exige pas non plus la prise en compte d’une moins-value résultant de la cession des titres reçus en échange ».
( 46 ) Selon la Commission, « il apparaît que le cédant qui n’exerce pas son droit d’établissement est susceptible de bénéficier de la compensation intégrale de la plus-value d’échange initialement mise en report d’imposition par l’imputation de la moins-value de cession correspondante. En revanche, s’il exerce son droit d’établissement au Royaume-Uni, comme l’a fait le contribuable dans l’affaire [Lassus (C‑421/16)], la prise en compte de la moins-value de cession s’avère considérablement
restreinte du fait de l’application de calculs sur la base de règles qui n’auraient pas été mises en œuvre dans un contexte purement domestique ».
( 47 ) À savoir le quatrième alinéa du paragraphe I de l’article 160 du CGI. Ce traitement différencié des opérations taxables comparables ne ressort pas du libellé des dispositions en cause.
( 48 ) Arrêt du 21 décembre 2016, Commission/Portugal (C‑503/14, EU:C:2016:979, point 46 et jurisprudence citée).
( 49 ) Le gouvernement français « ne conteste pas que de telles modalités d’imposition d’une plus-value d’échange de titres reviennent à traiter différemment les opérations d’échange de titres réalisées par des non-résidents ou par des résidents nationaux devenus non-résidents au moment de la cession des titres échangés, par rapport aux opérations d’échange réalisées par des résidents nationaux pour lesquelles la moins-value éventuellement réalisée lors de la cession ultérieure des titres échangés
serait imputée sur la plus-value d’échange afin de calculer l’imposition due ». C’est moi qui souligne.
( 50 ) Arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785, point 42 et jurisprudence citée).
( 51 ) Selon le gouvernement français, les modalités d’imposition d’une plus-value d’échange de titres sont définies conformément à l’article 13, paragraphe 4, de la convention fiscale franco-britannique. En revanche, la moins-value ultérieure résultant, le cas échéant, de la cession des titres reçus en échange ne relèverait pas de la compétence fiscale du gouvernement français, mais relèverait de celle du Royaume-Uni. En outre, le gouvernement français estime que les modalités d’imposition d’une
plus-value d’échange de titres en cause ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif qu’elles poursuivent.
( 52 ) C’est moi qui souligne.
( 53 ) En outre, comme indiqué au point 68 des présentes conclusions, il ressort d’une jurisprudence constante que, en l’absence de mesures d’unification ou d’harmonisation adoptées par l’Union, les États membres demeurent compétents pour définir, par voie conventionnelle ou unilatérale, les critères de répartition de leur pouvoir de taxation, en vue, notamment, d’éliminer les doubles impositions (arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus, C‑371/10, EU:C:2011:785, point 46).
( 54 ) Arrêt du 21 mai 2015, Verder LabTec (C‑657/13, EU:C:2015:331, point 44).
( 55 ) Voir point 6 des présentes conclusions.
( 56 ) Arrêt du 21 mai 2015, Verder LabTec (C‑657/13, EU:C:2015:331, points 48 et 49 ainsi que jurisprudence citée). Il s’ensuit que l’imposition de la plus-value n’a pas été reportée à une date ultérieure. Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, l’impôt sur les plus-values latentes en question a été fixé au moment du transfert et son recouvrement a été reporté ou échelonné sur dix annuités.
( 57 ) Arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785, point 61). Voir, également, arrêt du 21 décembre 2016, Commission/Portugal (C‑503/14, EU:C:2016:979, point 55). Sur le transfert du siège d’administration d’un trust, voir, par analogie, arrêt du 14 septembre 2017, Trustees of the P Panayi Accumulation & Maintenance Settlements (C‑646/15, EU:C:2017:682, point 58), et conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Trustees of the P Panayi Accumulation & Maintenance
Settlements (C‑646/15, EU:C:2016:1000, points 61 à 65). Au point 58 de l’arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785), la Cour a dit pour droit que, « [d]ès lors que, dans une situation telle que celle en cause [dans cette affaire], les bénéfices de la société ayant transféré son siège de direction effective ne seront imposés, postérieurement audit transfert, que dans l’État membre d’accueil, conformément au principe de territorialité fiscale associé à un élément
temporel, il appartient, eu égard au lien susmentionné entre les actifs d’une société et ses bénéfices imposables et, partant, pour des raisons tenant à la symétrie entre le droit d’imposition des bénéfices et la faculté de déduction des pertes, également à ce dernier État membre de tenir compte, dans son régime fiscal, des fluctuations de la valeur des actifs de la société concernée, qui sont intervenues depuis la date à laquelle l’État membre d’origine a perdu tout lien de rattachement fiscal avec
ladite société ».
( 58 ) Voir également, par analogie, arrêts du 21 mai 2015, Verder LabTec (C‑657/13, EU:C:2015:331), ainsi que du 21 décembre 2016, Commission/Portugal (C‑503/14, EU:C:2016:979).
( 59 ) Il convient de rappeler qu’il semble ressortir du dossier national déposé au greffe de la Cour que les modalités d’imposition de la plus-value d’échange, comme le taux d’imposition, sont déterminées à la date de la cession ultérieure des titres échangés.
( 60 ) À cet égard, il convient de rappeler que, comme indiqué dans ma note en bas de page 36 des présentes conclusions, M. Lassus était imposable en France au titre de la plus-value d’échange réalisée en 1999 conformément à l’article 13, paragraphe 4, sous a) et b), de la convention fiscale franco-britannique, même s’il était domicilié au Royaume-Uni depuis 1997.
( 61 ) Je rappelle que les moins-values ont été subies au cours des cinq années suivant l’échange des titres en question.
( 62 ) En l’occurrence, le quatrième alinéa du paragraphe I de l’article 160 du CGI. Je relève que cette disposition fixe un délai maximal de cinq ans. À mon avis, si la cession des titres échangés intervient plus de cinq ans après l’opération d’échange, il n’y a pas lieu de tenir compte de la moins-value de cession. L’application de l’article 49 TFUE impose uniquement un traitement égal pour des opérations comparables.
( 63 ) Le gouvernement français considère que la Cour n’est pas compétente pour répondre à cette question car le droit de l’Union, primaire et dérivé, ne précise pas ces modalités. Le cas échéant, elle estime que, si un État membre est obligé de tenir compte, lors de l’imposition de la plus-value d’échange, de l’éventuelle moins-value de cession des titres échangés, il ne peut tenir compte que de la moins-value afférente à ces titres. En outre, selon le gouvernement français, pour calculer le
montant de la moins-value, il y a lieu de retenir comme prix d’acquisition la valeur de ces titres lors de l’opération d’échange.
( 64 ) La Commission relève que la directive 90/434 ne prévoit pas les modalités de calcul de la plus-value d’échange, ni le régime applicable à l’éventuelle moins-value de cession.