ORDONNANCE DE LA COUR (troisième chambre)
23 novembre 2017(*)
« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Agriculture – Denrées alimentaires et aliments pour animaux génétiquement modifiés – Mesures d’urgence – Mesure nationale visant à interdire la mise en culture du maïs génétiquement modifié MON 810 – Adoption et maintien de la mesure – Règlement (CE) no 1829/2003 – Article 34 – Règlement (CE) no 178/2002 – Articles 53 et 54 – Conditions d’application – Principe de précaution »
Dans l’affaire C‑107/16,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunale di Pordenone (tribunal de Pordenone, Italie), par décision du 16 février 2016, parvenue à la Cour le 22 février 2016, dans la procédure pénale contre
Giorgio Fidenato,
LA COUR (troisième chambre),
composée de M. L. Bay Larsen (rapporteur), président de chambre, MM. J. Malenovský, M. Safjan, D. Šváby et M. Vilaras, juges,
avocat général : M. M. Bobek,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,
rend la présente
Ordonnance
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 34 du règlement (CE) n° 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil, du 22 septembre 2003, concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés (JO 2003, L 268, p. 1), ainsi que des articles 53 et 54 du règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2002, établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation
alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires (JO 2002, L 31, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre M. Giorgio Fidenato par laquelle il lui est reproché d’avoir mis en culture la variété de maïs génétiquement modifié MON 810, en violation de la réglementation nationale interdisant cette mise en culture.
Le cadre juridique
Le règlement n° 1829/2003
3 Les considérants 1 à 3 du règlement n° 1829/2003 sont ainsi rédigés :
« (1) La libre circulation de denrées alimentaires et d’aliments pour animaux sûrs et sains constitue un aspect essentiel du marché intérieur et contribue de façon notable à la santé et au bien-être des citoyens, ainsi qu’à leurs intérêts économiques et sociaux.
(2) Il importe d’assurer un niveau élevé de protection de la vie et de la santé humaine dans l’exécution des politiques communautaires.
(3) Pour protéger la santé humaine et animale, les denrées alimentaires et les aliments pour animaux contenant des organismes génétiquement modifiés, consistant en de tels organismes ou produits à partir de ceux-ci [...], devraient faire l’objet d’une évaluation de l’innocuité selon une procédure communautaire, avant leur mise sur le marché au sein de la Communauté. »
4 En vertu de l’article 1^er, sous a) et b), de ce règlement, ce dernier a notamment pour objet, dans le respect des principes généraux énoncés par le règlement n° 178/2002, d’établir le fondement permettant de garantir, en ce qui concerne les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés, un niveau élevé de protection de la vie et de la santé humaines, de la santé et du bien-être des animaux, de l’environnement et des intérêts des consommateurs, tout en assurant le
bon fonctionnement du marché intérieur, ainsi que de fixer des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance des denrées alimentaires et des aliments pour animaux génétiquement modifiés.
5 L’article 34 dudit règlement, intitulé « Mesures d’urgence », dispose :
« Lorsqu’un produit autorisé par le présent règlement ou conformément à celui-ci est, de toute évidence, susceptible de présenter un risque grave pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement [...], des mesures sont arrêtées conformément aux procédures visées aux articles 53 et 54 du règlement [n° 178/2002]. »
Le règlement n° 178/2002
6 Les considérants 20 et 21 du règlement n° 178/2002 sont ainsi rédigés :
« (20) Le principe de précaution a été invoqué pour assurer la protection de la santé dans la Communauté, créant ainsi des entraves à la libre circulation des denrées alimentaires et des aliments pour animaux. C’est pourquoi il y a lieu d’adopter une base uniforme dans la Communauté pour régir le recours à ce principe.
(21) Dans les circonstances particulières où un risque pour la vie ou la santé existe, mais où une incertitude scientifique persiste, le principe de précaution fournit un mécanisme permettant de déterminer des mesures de gestion des risques ou d’autres actions en vue d’assurer le niveau élevé de protection de la santé choisi dans la Communauté. »
7 Aux termes de l’article 6 de ce règlement :
« 1. Afin d’atteindre l’objectif général d’un niveau élevé de protection de la santé et de la vie des personnes, la législation alimentaire se fonde sur l’analyse des risques, sauf dans les cas où cette approche n’est pas adaptée aux circonstances ou à la nature de la mesure.
2. L’évaluation des risques est fondée sur les preuves scientifiques disponibles et elle est menée de manière indépendante, objective et transparente.
3. La gestion des risques tient compte des résultats de l’évaluation des risques, et notamment des avis de l’Autorité [européenne de sécurité des aliments (EFSA]] visée à l’article 22, d’autres facteurs légitimes pour la question en cause et du principe de précaution lorsque les conditions visées à l’article 7, paragraphe 1, sont applicables, afin d’atteindre les objectifs généraux de la législation alimentaire énoncés à l’article 5. »
8 L’article 7 dudit règlement, intitulé « Principe de précaution », dispose :
« 1. Dans des cas particuliers où une évaluation des informations disponibles révèle la possibilité d’effets nocifs sur la santé, mais où il subsiste une incertitude scientifique, des mesures provisoires de gestion du risque, nécessaires pour assurer le niveau élevé de protection de la santé choisi par la Communauté, peuvent être adoptées dans l’attente d’autres informations scientifiques en vue d’une évaluation plus complète du risque.
2. Les mesures adoptées en application du paragraphe 1 sont proportionnées et n’imposent pas plus de restrictions au commerce qu’il n’est nécessaire pour obtenir le niveau élevé de protection de la santé choisi par la Communauté, en tenant compte des possibilités techniques et économiques et des autres facteurs jugés légitimes en fonction des circonstances en question. Ces mesures sont réexaminées dans un délai raisonnable, en fonction de la nature du risque identifié pour la vie ou la santé et
du type d’informations scientifiques nécessaires pour lever l’incertitude scientifique et réaliser une évaluation plus complète du risque. »
9 L’article 53 du règlement n° 178/2002, intitulé « Mesures d’urgence applicables aux denrées alimentaires et aux aliments pour animaux d’origine communautaire ou importés d’un pays tiers », est libellé comme suit :
« 1. Lorsqu’il est évident que des denrées alimentaires ou des aliments pour animaux d’origine communautaire ou importés d’un pays tiers sont susceptibles de constituer un risque sérieux pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement et que ce risque ne peut être maîtrisé de façon satisfaisante par le biais de mesures prises par le ou les États membres concernés, la Commission, agissant conformément à la procédure prévue à l’article 58, paragraphe 2, arrête sans délai, de sa propre
initiative ou à la demande d’un État membre, en fonction de la gravité de la situation, une ou plusieurs des mesures suivantes :
a) pour les denrées alimentaires ou aliments pour animaux d’origine communautaire :
i) suspension de la mise sur le marché ou de l’utilisation des denrées alimentaires en question ;
ii) suspension de la mise sur le marché ou de l’utilisation des aliments pour animaux en question ;
iii) fixation de conditions particulières pour les denrées alimentaires ou aliments pour animaux en question ;
iv) toute autre mesure conservatoire appropriée ;
b) pour les denrées alimentaires ou aliments pour animaux importés d’un pays tiers :
i) suspension des importations des denrées alimentaires ou aliments pour animaux en question en provenance de tout ou partie du pays tiers concerné et, le cas échéant, du pays tiers de transit ;
ii) fixation de conditions particulières pour les denrées alimentaires ou aliments pour animaux en question provenant de tout ou partie du pays tiers concerné ;
iii) toute autre mesure conservatoire appropriée.
2. Toutefois, dans des situations d’urgence, la Commission peut, à titre provisoire, arrêter les mesures visées au paragraphe 1 après avoir consulté les États membres concernés et informé les autres États membres.
[...] »
10 L’article 54 de ce règlement, intitulé « Autres mesures d’urgence », prévoit :
« 1. Lorsqu’un État membre informe officiellement la Commission de la nécessité de prendre des mesures d’urgence et que la Commission n’a pris aucune mesure conformément à l’article 53, cet État membre peut prendre des mesures conservatoires. Dans ce cas, il en informe immédiatement les autres États membres et la Commission.
2. Dans un délai de dix jours ouvrables, la Commission saisit le [Comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale] en vue de la prorogation, de la modification ou de l’abrogation des mesures conservatoires nationales.
3. L’État membre peut maintenir les mesures conservatoires qu’il a prises au niveau national jusqu’à l’adoption des mesures communautaires. »
11 Aux termes de l’article 58, paragraphe 1, dudit règlement :
« La Commission est assistée par un Comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale, [...] composé de représentants des États membres et présidé par le représentant de la Commission. [Ce] comité s’organise en sections afin de couvrir toutes les matières concernées. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
12 Par la décision 98/294/CE, du 22 avril 1998, concernant la mise sur le marché de maïs génétiquement modifié (Zea mays L. lignée MON 810), conformément à la directive 90/220/CEE du Conseil (JO 1998, L 131, p. 32), la Commission a autorisé la mise sur le marché du maïs MON 810.
13 Le 11 avril 2013, le gouvernement italien a demandé à la Commission de prendre, selon la procédure prévue à l’article 53 du règlement n° 178/2002, les mesures d’urgence prévues à l’article 34 du règlement n° 1829/2003 visant à interdire la culture de ce maïs. À l’appui de sa demande, ce gouvernement a produit des études scientifiques réalisées par le Consiglio per la ricerca e la sperimentazione in agricoltura (CRA) (Conseil pour la recherche et l’expérimentation dans le domaine de
l’agriculture, Italie) et par l’Istituto Superiore per la Protezione e la Ricerca Ambientale (Institut supérieur pour la protection de l’environnement et la recherche environnementale, Italie) (ISPRA).
14 Dans sa réponse en date du 17 mai 2013, la Commission a indiqué que, après avoir effectué une évaluation préliminaire des éléments qui lui avaient été soumis, elle a estimé que l’urgence à adopter des mesures conformément aux articles 53 et 54 du règlement n° 178/2002 n’était pas établie.
15 Toutefois, afin de procéder à une analyse plus approfondie des éléments scientifiques fournis par cet État membre, la Commission a, le 29 mai 2013, demandé à l’EFSA d’évaluer ces éléments de preuve avant la fin du mois de septembre 2013.
16 Le gouvernement italien a, par le decreto Adozione delle misure d’urgenza ai sensi dell’art. 54 del regolamento (CE) n. 178/2002, concernente la coltivazione di varietà di mais geneticamente modificato MON 810 [décret portant adoption de mesures d’urgence au sens de l’article 54 du règlement (CE) n° 178/2002 en ce qui concerne la culture de variétés de maïs génétiquement modifié MON 810], du 12 juillet 2013 (GURI n° 187, du 10 août 2013), interdit la culture de la variété MON 810 de maïs
génétiquement modifié.
17 Le 24 septembre 2013, l’EFSA a rendu l’avis n° 3371, dans lequel il est exposé que le groupe de travail sur les organismes génétiquement modifiés (OGM) n’avait pas relevé, dans les documents fournis par le gouvernement italien au soutien des mesures d’urgence relatives au maïs MON 810, de nouvelle preuve scientifique qui justifierait les mesures d’urgence demandées. En conséquence, ce groupe a estimé que ses précédentes conclusions sur l’évaluation du risque relatif au maïs MON 810 restaient
applicables.
18 C’est dans ce contexte que, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, M. Fidenato a été poursuivi devant le Tribunale di Pordenone (tribunal de Pordenone, Italie), pour avoir, à plusieurs reprises, mis en culture une variété de maïs génétiquement modifié, à savoir la variété MON 810, en violation de la réglementation nationale interdisant celle-ci.
19 La juridiction de renvoi estime que la réglementation nationale en cause au principal est contraire à l’article 34 du règlement n° 1829/2003, aux articles 53 et 54 du règlement n° 178/2002 ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour.
20 Dans ces conditions, le Tribunale di Pordenone (tribunal de Pordenone) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Conformément à l’[article] 54 du [règlement] n° 178/2002, la Commission est-elle tenue, après avoir été sollicitée par un État membre, d’adopter des mesures d’urgence même lorsqu’elle ne discerne pas de risque grave et évident pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement ?
2) Si la Commission indique que les conditions pour l’adoption de mesures d’urgence ne sont pas réunies, l’État membre peut-il les adopter sur le fondement de l’[article] 53 [du règlement n° 178/2002] ?
3) L’État membre peut-il adopter, sur le fondement du principe de précaution, des mesures d’urgence au titre de l’[article] 34 du [règlement] 1829/2003, même lorsque les conditions relatives à l’existence d’un risque grave et évident ne sont pas réunies, et maintenir ces mesures même lorsque la Commission, après examen de l’avis de l’[EFSA], lui a communiqué son évaluation quant à l’inexistence des conditions pour adopter les mesures d’urgence ? »
Sur les questions préjudicielles
21 En vertu de l’article 99 du règlement de procédure de la Cour, lorsqu’une question posée à titre préjudiciel est identique à une question sur laquelle la Cour a déjà statué, lorsque la réponse à une telle question peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à la question posée à titre préjudiciel ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie
d’ordonnance motivée.
22 Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.
Sur la première question
23 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 34 du règlement n° 1829/2003, lu en combinaison avec l’article 53 du règlement n° 178/2002, doit être interprété en ce sens que la Commission est tenue d’adopter des mesures d’urgence, au sens de ce dernier article, lorsqu’un État membre l’informe officiellement, conformément à l’article 54, paragraphe 1, de ce dernier règlement, de la nécessité de prendre de telles mesures, alors qu’il n’est pas évident
qu’un produit autorisé par le règlement n° 1829/2003 ou conformément à celui-ci, est susceptible de présenter un risque grave pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement.
24 À cet égard, dans l’arrêt du 13 septembre 2017, Fidenato e.a. (C‑111/16, EU:C:2017:676), la Cour a rappelé que les règlements n^os 1829/2003 et 178/2002 visent tous deux, en particulier, à assurer, en ce qui concerne les denrées alimentaires, un niveau élevé de protection de la santé des personnes et des intérêts des consommateurs, tout en veillant au fonctionnement effectif du marché intérieur.
25 Ainsi qu’il ressort du considérant 1 du règlement n° 1829/2003, même si la libre circulation de denrées alimentaires et d’aliments pour animaux sûrs et sains constitue un aspect essentiel du marché intérieur, une interdiction ou une restriction à la mise en culture d’OGM autorisés en vertu du règlement n° 1829/2003 et inscrits au catalogue commun en application de la directive 2002/53/CE du Conseil, du 13 juin 2002, concernant le catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles
(JO 2002, L 193, p. 1), peut être arrêtée par un État membre dans les cas expressément prévus par le droit de l’Union (arrêt du 13 septembre 2017, Fidenato e.a., C‑111/16, EU:C:2017:676, point 25 ainsi que jurisprudence citée).
26 À cet égard, il résulte du libellé de l’article 34 du règlement n° 1829/2003 que, lorsqu’un produit autorisé par ce règlement ou conformément à celui-ci est, de toute évidence, susceptible de présenter un risque grave pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement, des mesures sont arrêtées conformément aux procédures visées aux articles 53 et 54 du règlement n° 178/2002. Il convient de rappeler à ce titre que l’article 53 du règlement n° 178/2002 concerne les mesures d’urgence
susceptibles d’être prises par la Commission, l’adoption de telles mesures par les États membres relevant de l’article 54 de ce règlement.
27 Par conséquent, lorsqu’il n’est pas établi qu’un produit autorisé par le règlement n° 1829/2003 ou conformément à celui-ci est, de toute évidence, susceptible de présenter un risque grave pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement, la Commission n’est pas tenue, en application de l’article 34 de ce règlement, lu en combinaison avec l’article 53 du règlement n° 178/2002, de prendre des mesures d’urgence, au sens de ces articles.
28 Ainsi que la Cour l’a rappelé au point 29 de l’arrêt du 13 septembre 2017, Fidenato e.a. (C‑111/16, EU:C:2017:676), la circonstance que l’adoption de telles mesures ait été demandée par un État membre est sans incidence sur le pouvoir d’appréciation dont dispose la Commission à cet égard.
29 Au vu de ce qui précède, il convient de répondre à la première question que l’article 34 du règlement n° 1829/2003, lu en combinaison avec l’article 53 du règlement n° 178/2002, doit être interprété en ce sens que la Commission n’est pas tenue d’adopter des mesures d’urgence, au sens de ce dernier article, lorsqu’un État membre l’informe officiellement, conformément à l’article 54, paragraphe 1, de ce dernier règlement, de la nécessité de prendre de telles mesures, dès lors qu’il n’est pas
évident qu’un produit autorisé par le règlement n° 1829/2003 ou conformément à celui-ci est susceptible de présenter un risque grave pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement.
Sur la deuxième question
30 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 34 du règlement n° 1829/2003, lu en combinaison avec l’article 54 du règlement n° 178/2002, doit être interprété en ce sens qu’un État membre peut, lorsque la Commission a indiqué que les conditions pour l’adoption des mesures d’urgence ne sont pas réunies, prendre de telles mesures au niveau national.
31 À cet égard, il convient de rappeler que l’article 34 du règlement n° 1829/2003 autorise un État membre à adopter des mesures d’urgence au titre de cet article sous réserve du respect, outre des conditions de fond énoncées audit article, des conditions de procédure énoncées à l’article 54 du règlement n° 178/2002 (arrêt du 13 septembre 2017, Fidenato e.a., C‑111/16, EU:C:2017:676, point 32).
32 Il y a lieu, en outre, de souligner que, aux termes de l’article 54, paragraphe 1, de ce règlement, lorsqu’un État membre informe officiellement la Commission de la nécessité de prendre des mesures d’urgence et que la Commission n’a pris aucune mesure conformément à l’article 53 dudit règlement, cet État membre peut prendre des mesures conservatoires.
33 Les conditions de procédure sont précisées à cet article 54, paragraphe 1, qui impose aux États membres, d’une part, d’informer « officiellement » la Commission de la nécessité de prendre des mesures d’urgence et, d’autre part, dans l’hypothèse où celle-ci n’a pris aucune mesure en vertu de cet article 53, d’informer « immédiatement » la Commission et les autres États membres des mesures conservatoires nationales qui ont été adoptées. Dès lors, eu égard au caractère d’urgence de
l’intervention de l’État membre concerné et de l’objectif de protection de la santé publique poursuivi par le règlement n° 1829/2003, l’article 54, paragraphe 1, du règlement n° 178/2002 doit être interprété comme imposant que l’information de la Commission qu’il prévoit intervienne, en cas d’urgence, au plus tard de manière concomitante à l’adoption des mesures d’urgence par l’État membre concerné (arrêt du 13 septembre 2017, Fidenato e.a., C‑111/16, EU:C:2017:676, point 34 ainsi que jurisprudence
citée).
34 Néanmoins, ainsi que la Cour l’a rappelé au point 37 de l’arrêt du 13 septembre 2017, Fidenato e.a. (C‑111/16, EU:C:2017:676), à la lumière de l’économie du système prévu par le règlement n° 1829/2003 et de son objectif d’éviter des disparités artificielles dans la prise en charge d’un risque grave, l’évaluation et la gestion d’un risque grave et évident doivent relever, en dernier ressort, de la seule compétence de la Commission et du Conseil de l’Union européenne, sous le contrôle du juge
de l’Union.
35 Il en résulte que, au stade de l’adoption et de la mise en œuvre par les États membres des mesures d’urgence visées à l’article 34 du règlement n^o 1829/2003, tant qu’aucune décision n’a été adoptée à cet égard au niveau de l’Union européenne, les juridictions nationales saisies de la légalité de telles mesures nationales sont compétentes pour apprécier la légalité de ces mesures au regard des conditions de fond prévues à cet article 34 et de celles de procédure tirées de l’article 54 du
règlement n° 178/2002, l’uniformité du droit de l’Union pouvant être assurée par la Cour dans le cadre de la procédure de renvoi préjudiciel, puisque, lorsqu’une juridiction nationale a des doutes quant à l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, elle peut ou doit, conformément à l’article 267, deuxième et troisième alinéas, TFUE, déférer une question préjudicielle à la Cour (arrêt du 13 septembre 2017, Fidenato e.a., C‑111/16, EU:C:2017:676, point 38 ainsi que jurisprudence citée).
36 Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la deuxième question que l’article 34 du règlement n° 1829/2003, lu en combinaison avec l’article 54 du règlement n° 178/2002, doit être interprété en ce sens qu’un État membre peut, après avoir informé officiellement la Commission de la nécessité de recourir à des mesures d’urgence, et lorsque celle-ci n’a pris aucune mesure conformément à l’article 53 du règlement n° 178/2002, prendre de telles mesures au
niveau national.
Sur la troisième question
37 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 34 du règlement n° 1829/2003, lu en combinaison avec le principe de précaution, doit être interprété en ce sens qu’il confère aux États membres la faculté d’adopter et de maintenir, conformément à l’article 54 du règlement n° 178/2002, des mesures d’urgence provisoires sur le seul fondement de ce principe, sans que les conditions prévues à l’article 34 du règlement n° 1829/2003 soient remplies et alors
que la Commission, après examen de l’avis de l’EFSA sur la nécessité d’adopter de telles mesures, a communiqué à ces États son évaluation selon laquelle les conditions pour adopter de telles mesures ne sont pas remplies.
38 Ainsi que la Cour l’a rappelé au point 44 de l’arrêt du 13 septembre 2017, Fidenato e.a. (C‑111/16, EU:C:2017:676), l’article 7 du règlement n° 178/2002 définit le principe de précaution dans le domaine de la législation alimentaire. Le paragraphe 1 de cet article prévoit que, dans des cas particuliers où une évaluation des informations disponibles révèle la possibilité d’effets nocifs sur la santé, mais où il subsiste une incertitude scientifique, des mesures provisoires de gestion du
risque, nécessaires pour assurer le niveau élevé de protection de la santé choisi par l’Union, peuvent être adoptées dans l’attente d’autres informations scientifiques en vue d’une évaluation plus complète du risque.
39 Si le principe de précaution, tel qu’il est exposé à l’article 7 du règlement n° 178/2002, est un principe général de la législation alimentaire, le législateur de l’Union a fixé, à l’article 34 du règlement n° 1829/2003, une règle précise en vue de la prise de mesures d’urgence conformément aux procédures visées aux articles 53 et 54 du règlement n° 178/2002.
40 Ainsi que la Cour l’a souligné au point 48 de l’arrêt du 13 septembre 2017, Fidenato e.a. (C‑111/16, EU:C:2017:676), ce principe ne saurait être interprété en ce sens qu’il permet d’écarter ou de modifier, en particulier en les assouplissant, les dispositions prévues à l’article 34 du règlement n° 1829/2003.
41 À cet égard, il convient de souligner que, ainsi qu’il a été rappelé au point 35 de la présente ordonnance, les juridictions nationales saisies de la légalité des mesures nationales d’urgence visées à l’article 34 de ce règlement sont compétentes pour apprécier la légalité de ces mesures au regard des conditions de fond prévues à cet article et de celles de procédure posées à l’article 54 du règlement n° 178/2002.
42 Au point 50 de l’arrêt du 13 septembre 2017, Fidenato e.a. (C‑111/16, EU:C:2017:676), la Cour a également jugé que les mesures provisoires de gestion du risque qui peuvent être adoptées sur le fondement du principe de précaution et les mesures d’urgence prises en application de l’article 34 du règlement n° 1829/2003 n’obéissent pas au même régime. En effet, il ressort de l’article 7 du règlement n° 178/2002 que l’adoption de ces mesures provisoires est subordonnée à la condition qu’une
évaluation des informations disponibles révèle la possibilité d’effets nocifs sur la santé, mais qu’il subsiste une incertitude scientifique. En revanche, l’article 34 du règlement n° 1829/2003 permet de recourir aux mesures d’urgence lorsqu’un produit autorisé par ce dernier règlement est « de toute évidence » susceptible de présenter un risque « grave » pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement.
43 À cet égard, les expressions « de toute évidence » et « risque grave », au sens de l’article 34 du règlement n° 1829/2003, doivent être comprises comme se référant à un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l’environnement. Ce risque doit être constaté sur la base d’éléments nouveaux reposant sur des données scientifiques fiables. En effet, des mesures de protection prises en vertu de cet article 34 ne sauraient être valablement motivées
par une approche purement hypothétique du risque, fondée sur de simples suppositions scientifiquement non encore vérifiées. Au contraire, de telles mesures de protection, nonobstant leur caractère provisoire et même si elles revêtent un caractère préventif, ne peuvent être prises que si elles sont fondées sur une évaluation des risques aussi complète que possible compte tenu des circonstances particulières du cas d’espèce, qui révèlent que ces mesures s’imposent (arrêt du 13 septembre 2017,
Fidenato e.a., C‑111/16, EU:C:2017:676, point 51 ainsi que jurisprudence citée).
44 Afin d’éviter que l’article 7 du règlement n° 178/2002 ne réduise le degré d’incertitude requis par la règle énoncée à l’article 34 du règlement n° 1829/2003 pour adopter des mesures d’urgence, une telle application autonome du principe de précaution, tel qu’énoncé à l’article 7 du règlement n° 178/2002, sans que les conditions de fond prévues à l’article 34 du règlement n° 1829/2003 soient respectées en vue de l’adoption de mesures d’urgence prévues à ce dernier article, ne saurait être
admise (arrêt du 13 septembre 2017, Fidenato e.a., C‑111/16, EU:C:2017:676, point 53).
45 Dès lors, l’article 34 du règlement n° 1829/2003, lu en combinaison avec le principe de précaution tel qu’énoncé à l’article 7 du règlement n° 178/2002, doit être interprété en ce sens qu’il ne confère pas aux États membres la faculté d’adopter, conformément à l’article 54 du règlement n° 178/2002, des mesures d’urgence provisoires sur le seul fondement de ce principe, sans que les conditions de fond prévues à l’article 34 du règlement n° 1829/2003 soient remplies, la communication par la
Commission à ces États membres de l’avis négatif de l’EFSA sur la nécessité d’adopter de telles mesures étant sans incidence à cet égard.
46 Compte tenu du constat opéré au point précédent, il n’y a pas lieu pour la Cour de se prononcer sur la question du maintien de telles mesures par les États membres.
47 Au regard de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la troisième question que l’article 34 du règlement n° 1829/2003, lu en combinaison avec le principe de précaution tel qu’énoncé à l’article 7 du règlement n° 178/2002, doit être interprété en ce sens qu’il ne confère pas aux États membres la faculté d’adopter, conformément à l’article 54 du règlement n° 178/2002, des mesures d’urgence provisoires sur le seul fondement de ce principe, sans que les conditions de fond prévues à
l’article 34 du règlement n° 1829/2003 soient remplies.
Sur les dépens
48 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :
1) L’article 34 du règlement (CE) n° 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil, du 22 septembre 2003, concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés, lu en combinaison avec l’article 53 du règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2002, établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures
relatives à la sécurité des denrées alimentaires, doit être interprété en ce sens que la Commission européenne n’est pas tenue d’adopter des mesures d’urgence, au sens de ce dernier article, lorsqu’un État membre l’informe officiellement, conformément à l’article 54, paragraphe 1, de ce dernier règlement, de la nécessité de prendre de telles mesures, dès lors qu’il n’est pas évident qu’un produit autorisé par le règlement n° 1829/2003 ou conformément à celui-ci est susceptible de présenter un risque
grave pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement.
2) L’article 34 du règlement n° 1829/2003, lu en combinaison avec l’article 54 du règlement n° 178/2002, doit être interprété en ce sens qu’un État membre peut, après avoir informé officiellement la Commission européenne de la nécessité de recourir à des mesures d’urgence, et lorsque celle-ci n’a pris aucune mesure conformément à l’article 53 du règlement n° 178/2002, prendre de telles mesures au niveau national.
3) L’article 34 du règlement n° 1829/2003, lu en combinaison avec le principe de précaution tel qu’énoncé à l’article 7 du règlement n° 178/2002, doit être interprété en ce sens qu’il ne confère pas aux États membres la faculté d’adopter, conformément à l’article 54 du règlement n° 178/2002, des mesures d’urgence provisoires sur le seul fondement de ce principe, sans que les conditions de fond prévues à l’article 34 du règlement n° 1829/2003 soient remplies.
Signatures
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* Langue de procédure : l’italien.