ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
23 novembre 2017 ( *1 )
Renvoi préjudiciel – Concurrence – Libre prestation de services – Fixation par une organisation professionnelle d’avocats des montants minimaux d’honoraires – Interdiction pour une juridiction d’ordonner le remboursement d’un montant d’honoraires inférieur à ces montants minimaux – Réglementation nationale considérant la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) comme faisant partie du prix d’un service fourni lors de l’exercice d’une profession libérale »
Dans les affaires jointes C‑427/16 et C‑428/16,
ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Sofiyski rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia, Bulgarie), par décisions du 26 avril 2016, parvenues à la Cour le 1er août 2016, dans les procédures
« CHEZ Elektro Bulgaria » AD
contre
Yordan Kotsev (C‑427/16),
et
« FrontEx International » EAD
contre
Emil Yanakiev (C‑428/16),
LA COUR (première chambre),
composée de Mme R. Silva de Lapuerta, président de chambre, MM. C.G. Fernlund, J.‑C. Bonichot, S. Rodin (rapporteur) et E. Regan, juges,
avocat général : M. N. Wahl,
greffier : M. M. Aleksejev, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 1er juin 2017,
considérant les observations présentées :
– pour « CHEZ Elektro Bulgaria » AD, par M. K. Kral ainsi que Mme K. Stoyanova, en qualité d’agents,
– pour « FrontEx International » EAD, par M. A. Grilihes, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement chypriote, par Mme D. Kalli, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par MM. L Malferrari et I. Zaloguin ainsi que Mme P. Mihaylova, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 56, paragraphe 1, et de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, ainsi que de la directive 77/249/CEE du Conseil, du 22 mars 1977, tendant à faciliter l’exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats (JO 1977, L 78, p. 17), et de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1).
2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant « CHEZ Elektro Bulgaria » AD à M. Yordan Kotsev (C‑427/16) et « FrontEx International » EAD à M. Emil Yanakiev (C‑428/16), au sujet de demandes d’injonction de payer portant, notamment, sur le remboursement d’honoraires d’avocat et de la rémunération d’un conseiller juridique.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 L’article 78, premier alinéa, sous a), de la directive 2006/112 prévoit :
« Sont à comprendre dans la base d’imposition les éléments suivants :
a) les impôts, droits, prélèvements et taxes, à l’exception de la [taxe sur la valeur ajoutée (TVA)] elle-même ;
[...] »
4 Selon l’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 77/249 :
« La présente directive s’applique, dans les limites et conditions qu’elle prévoit, aux activités d’avocat exercées en prestation de services. »
Le droit bulgare
5 L’article 78 du Grazhdanski protsesualen kodeks (code de procédure civile, ci‑après le « GPK ») dispose :
« 1. Les redevances payées par le demandeur, les dépens et les honoraires d’avocat, si un avocat a été engagé, sont supportés par le défendeur de manière proportionnelle à la partie de la demande qui a été accueillie.
[...]
5. Lorsque les honoraires d’avocat payés par la partie sont excessifs par rapport à la complexité juridique et factuelle réelle de l’affaire, le tribunal peut, à la demande de la partie adverse, ordonner le remboursement d’un montant plus faible à titre de frais pour ce qui concerne cette partie des frais, mais qui ne peut pas être inférieur au montant minimal fixé conformément à l’article 36 [du Zakon za advokaturata (loi sur le barreau)].
[...]
8. Les personnes morales et les commerçants indépendants bénéficient également d’un remboursement de la rémunération de l’avocat, ordonné par le tribunal, s’ils ont été défendus par un conseiller juridique. »
6 Selon l’article 36, paragraphes 1 et 2, de la loi sur le barreau :
« 1. L’avocat ou l’avocat d’un État membre de l’Union a droit à une rémunération pour son travail.
2. Le montant de la rémunération est déterminé par une convention conclue entre l’avocat ou l’avocat d’un État membre de l’Union et le client. Ce montant doit être équitable et justifié et ne peut pas être inférieur au montant prévu par le règlement adopté par le Vissh advokatski savet [(Conseil supérieur du barreau, Bulgarie)] pour le type de prestation concerné. »
7 L’article 118, paragraphe 3, de cette loi prévoit :
« Peuvent être élus comme membres du Conseil supérieur du barreau, les membres des barreaux qui ont une ancienneté en tant qu’avocat d’au moins quinze ans. »
8 L’article 121, paragraphe 1, de ladite loi dispose :
« Le Conseil supérieur du barreau adopte les règlements prévus par la loi et le code de déontologie des avocats. »
9 Selon l’article 132 de la même loi :
« Constituent des infractions disciplinaires, l’inexécution fautive des obligations découlant de la présente loi et du code de déontologie des avocats, des règlements et des décisions du Conseil supérieur du barreau et des décisions des conseils du barreau et des assemblées générales, ainsi que :
[...]
5) la négociation d’une rémunération par des clients qui est inférieure à celle prévue par le règlement adopté par le Conseil supérieur du barreau pour le type de prestation concerné, sauf dans l’hypothèse où une telle possibilité est prévue par la présente loi et par le réglement. »
10 L’article 1er de la Naredba no 1 za minimalnite razmeri na advokatskite vaznagrazhdenia (règlement no 1 sur les honoraires minimaux des avocats, ci‑après le « règlement no 1 ») prévoit :
« Le montant de la rémunération pour une aide juridique par un avocat est librement convenu sur le fondement d’une convention écrite avec le client, mais il ne peut pas être inférieur au montant minimal fixé par le présent règlement pour le type d’aide concerné. »
11 Il ressort de l’article 7, paragraphe 5, du règlement no 1, lu conjointement avec paragraphe 2, point 1, de ce règlement, que ce montant minimal d’honoraires s’élève, s’agissant d’affaires telles que celles au principal, à 300 leva bulgares (BGN) (environ 154 euros).
12 L’article 2a des dispositions complémentaires dudit règlement énonce :
« Le montant des honoraires des avocats non enregistrés aux fins [du Zakon za danak varhu dobavenata stoynost (loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée)] ne comprend pas la taxe sur la valeur ajoutée, alors que, pour les avocats enregistrés, la taxe sur la valeur ajoutée due est calculée sur les honoraires fixés selon le présent règlement et est considérée comme faisant partie intégrante des honoraires d’avocat dus par le client. »
Les litiges au principal et les questions préjudicielles
Affaire C‑427/16
13 CHEZ Elektro Bulgaria a saisi la juridiction de renvoi d’une requête en injonction de payer, demandant à ce que M. Kotsev soit condamné à lui payer, notamment, la somme de 60 BGN au titre d’honoraires d’avocat.
14 Cette dernière somme étant inférieure au montant minimal prévu par le règlement no 1, la juridiction de renvoi rappelle que la négociation d’une rémunération inférieure à celle prévue par ledit règlement constitue une infraction disciplinaire en vertu de la loi sur le barreau. S’il est vrai que, dans le cas où les honoraires d’avocat sont excessifs par rapport à la complexité juridique et factuelle réelle de l’affaire, les juridictions bulgares peuvent ordonner le remboursement d’un montant plus
faible au titre de frais pour ce qui concerne cette partie des frais, ce montant ne saurait être inférieur au montant minimal.
15 La juridiction de renvoi indique que l’affaire C‑427/16 se différencie de celle ayant donné lieu aux arrêts du 5 décembre 2006, Cipolla e.a. (C‑94/04 et C‑202/04, EU:C:2006:758), ainsi que du 19 février 2002, Arduino (C‑35/99, EU:C:2002:97). En effet, la législation bulgare habilite le Conseil supérieur du barreau, dont les membres sont tous des avocats élus par leurs pairs, à fixer les honoraires minimaux en l’absence de tout contrôle des autorités publiques.
16 La juridiction de renvoi précise à cet égard que le Conseil supérieur du barreau agit en tant qu’association d’entreprises.
17 Enfin, la juridiction de renvoi ajoute que, en vertu de l’article 2a des dispositions complémentaires du règlement no 1, le montant des honoraires des avocats non enregistrés aux fins de la loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée ne comprend pas la TVA. Pour les avocats enregistrés, la TVA due est calculée sur les honoraires et est considérée comme faisant partie intégrante des honoraires dus par le client, lesquels sont ainsi augmentés du taux de TVA de 20 %. La conséquence de cette
intégration de la TVA est que les honoraires doivent être de nouveau soumis à ce taux d’imposition, étant donné que la base d’imposition est modifiée. La juridiction de renvoi considère que l’article 2a des dispositions complémentaires du règlement no 1 confond les notions de « prix » du service et de « taxe » au sens de l’article 1er de la directive 2006/112. Selon elle, ces deux notions n’ont ni le même fondement ni le même destinataire.
Affaire C‑428/16
18 Par une requête en injonction de payer, FrontEx International a demandé à la juridiction de renvoi de condamner M. Yanakiev à lui payer, notamment, 200 BGN au titre de la rémunération d’un conseiller juridique salarié.
19 La somme sollicitée est inférieure au montant minimal de 300 BGN, prévu par le règlement no 1.
20 La juridiction de renvoi estime que les employeurs des conseillers juridiques exercent une activité concurrente à l’activité d’avocat. Partant, est posée la question de la conformité de la disposition de la GPK garantissant aux conseillers juridiques le droit à une rémunération d’avocat avec la directive 77/249 ainsi qu’avec l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
21 Dans ces conditions, le Sofiyski rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia, Bulgarie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes, identiques dans les deux affaires :
« 1) L’article 101, paragraphe 1, TFUE (interdiction d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence) s’oppose-t-il à l’article 36, paragraphe 2, [de la loi sur le barreau], en vertu duquel une association d’entreprises exerçant une profession libérale (à savoir le Conseil supérieur du barreau) dispose du pouvoir discrétionnaire de déterminer à l’avance les montants minimaux des tarifs des prestations fournies par ces entreprises (des honoraires d’avocat) sur le fondement d’une
compétence que l’État lui a conférée ?
2) En cas de réponse affirmative à la première question : l’article 78, paragraphe 5, in fine, du [GPK] (dans la partie dans laquelle cette disposition ne permet pas de réduire les honoraires d’avocat à un montant inférieur au montant minimal fixé) est-il contraire à l’article 101, paragraphe 1, TFUE ?
3) En cas de réponse affirmative à la première question : l’article 132, point 5, [de la loi sur le barreau] (en vue de l’application de l’article 136, paragraphe 1, de la même loi) est-il contraire à l’article 101, paragraphe 1, TFUE ?
4) L’article 56, paragraphe 1, TFUE (interdiction de restreindre la libre prestation des services) s’oppose-t-il à l’article 36, paragraphe 2, [de la loi sur le barreau] ?
5) L’article 78, paragraphe 8, du [GPK] est-il contraire à l’article 101, paragraphe 1, TFUE ?
6) L’article 78, paragraphe 8, du [GPK] est-il contraire à la directive [77/249] (en ce qui concerne le droit des personnes défendues par un conseiller juridique de réclamer une rémunération d’avocat) ?
7) L’article 2a des dispositions complémentaires [du règlement no 1], qui permet de considérer la [TVA] comme faisant partie intégrante du prix d’une prestation fournie dans le cadre de l’exercice d’une profession libérale (en ce qui concerne l’inclusion de la [TVA], en tant que partie intégrante des honoraires d’avocat dus), est‑il contraire à la directive [2006/112] ? »
22 Par une décision du 14 septembre 2016, le président de la Cour a décidé de joindre les affaires C‑427/16 et C‑428/16 aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.
Sur les questions préjudicielles
Sur la recevabilité
23 La Commission européenne soulève la question de la recevabilité des première à sixième questions préjudicielles.
24 La Commission fait remarquer que la juridiction n’est pas compétente pour adopter une injonction de payer portant sur un montant supérieur au montant effectivement acquitté. En outre, elle fait valoir que le fait que la négociation d’une rémunération inférieure au montant minimal prévu par le règlement no 1 constitue une infraction disciplinaire ne représente pas, selon la jurisprudence de la Cour, une base valable pour demander une interprétation à titre préjudiciel.
25 À cet égard, une distinction doit être faite entre, d’une part, la recevabilité des première à troisième, cinquième et sixième questions préjudicielles, et, d’autre part, la recevabilité de la quatrième question préjudicielle.
26 En premier lieu, pour ce qui est des première à troisième, cinquième et sixième questions préjudicielles, il convient de rappeler que, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être
en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 26 juillet 2017, Persidera, C‑112/16, EU:C:2017:597, point 23 et jurisprudence citée).
27 Il s’ensuit que les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport
avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 26 juillet 2017, Persidera, C‑112/16, EU:C:2017:597, point 24 et jurisprudence citée).
28 En l’espèce, il ressort des demandes de décision préjudicielle que les honoraires d’avocat et la rémunération du conseiller juridique font partie des frais des litiges au sujet desquels la juridiction de renvoi doit se prononcer.
29 Partant, il n’apparaît pas de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union soit dépourvue de tout rapport avec la réalité et l’objet des litiges au principal, et que le problème soit de nature hypothétique.
30 En outre, il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur l’interprétation de dispositions nationales, une telle interprétation relevant en effet de la compétence exclusive des juridictions nationales (arrêt du 14 juin 2017, Online Games e.a., C‑685/15, EU:C:2017:452, point 45 ainsi que jurisprudence citée).
31 Ainsi, la question de savoir si la juridiction de renvoi peut adopter une injonction de payer portant sur un montant de rémunération supérieur au montant effectivement acquitté est une question de droit national sur laquelle la Cour n’est pas compétente pour se prononcer et dont l’appréciation appartient au seul juge national saisi des litiges au principal.
32 Il s’ensuit que les première à troisième, cinquième et sixième questions préjudicielles sont recevables.
33 En second lieu, pour ce qui est de la quatrième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande si l’article 56, paragraphe 1, TFUE s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui ne permet pas à un avocat et à son client de convenir d’une rémunération d’un montant inférieur au montant minimal fixé par un règlement adopté par une organisation professionnelle d’avocats, telle que le Conseil supérieur du barreau.
34 À cet égard, pour autant que la question posée concerne la compatibilité de la législation en cause au principal avec les dispositions du traité FUE en matière de libre prestation de services, il y a lieu de relever que celles‑ci ne trouvent pas à s’appliquer à une situation dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre (arrêt du 8 décembre 2016, Eurosaneamientos e.a., C‑532/15 et C‑538/15, EU:C:2016:932, point 45 ainsi que jurisprudence citée).
35 La Cour a jugé que les éléments concrets permettant d’établir un lien entre les articles du traité FUE en matière de libre prestation de services et l’objet ou les circonstances d’un litige, dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un État membre, doivent ressortir de la décision de renvoi (arrêt du 8 décembre 2016, Eurosaneamientos e.a., C‑532/15 et C‑538/15, EU:C:2016:932, point 46 ainsi que jurisprudence citée).
36 Par conséquent, il appartient, dans le contexte d’une situation dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre, à la juridiction de renvoi d’indiquer à la Cour, conformément à ce qu’exige l’article 94 du règlement de procédure de la Cour, en quoi, en dépit de son caractère purement interne, le litige pendant devant elle présente avec les dispositions du droit de l’Union relatives aux libertés fondamentales un élément de rattachement qui rend l’interprétation
préjudicielle sollicitée nécessaire à la solution de ce litige (arrêt du 8 décembre 2016, Eurosaneamientos e.a., C‑532/15 et C‑538/15, EU:C:2016:932, point 47 ainsi que jurisprudence citée).
37 En l’occurrence, il ne ressort pas des demandes de décision préjudicielle qu’il existerait des éléments propres aux litiges au principal, en rapport avec les parties à ces litiges ou avec les activités de celles‑ci, qui ne se cantonneraient pas à l’intérieur de la Bulgarie. En outre, la juridiction de renvoi n’indique pas en quoi lesdits litiges présenteraient, en dépit de leur caractère purement interne, un élément de rattachement avec les dispositions du droit de l’Union relatives aux libertés
fondamentales, qui rendrait l’interprétation préjudicielle sollicitée nécessaire à la solution de ces mêmes litiges.
38 Dans ces conditions, force est de constater que les demandes de décision préjudicielle ne fournissent pas d’éléments concrets permettant d’établir que l’article 56 TFUE peut trouver à s’appliquer aux circonstances des litiges au principal.
39 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que la quatrième question est irrecevable.
Sur les première à troisième questions
40 Par ses première à troisième questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 101, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, TUE, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui, d’une part, ne permet pas à l’avocat et à son client de convenir d’une rémunération d’un montant inférieur au montant minimal fixé par un règlement adopté par une organisation professionnelle
d’avocats, telle que le Conseil supérieur du barreau, sous peine pour cet avocat de faire l’objet d’une procédure disciplinaire, et, d’autre part, n’autorise pas le tribunal à ordonner le remboursement d’un montant d’honoraires inférieur à ce montant minimal.
41 Il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que, s’il est vrai que l’article 101 TFUE concerne uniquement le comportement des entreprises et ne vise pas des mesures législatives ou réglementaires émanant des États membres, il n’en demeure pas moins que cet article, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, TUE, qui instaure un devoir de coopération entre l’Union et les États membres, impose à ces derniers de ne pas prendre ou de ne pas maintenir en vigueur des mesures, même de
nature législative ou réglementaire, susceptibles d’éliminer l’effet utile des règles de concurrence applicables aux entreprises (arrêt du 21 septembre 2016, Etablissements Fr. Colruyt, C‑221/15, EU:C:2016:704, point 43 et jurisprudence citée).
42 Il y a violation de l’article 101 TFUE, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, TUE, lorsqu’un État membre soit impose ou favorise la conclusion d’ententes contraires à l’article 101 TFUE ou renforce les effets de telles ententes, soit retire à sa propre réglementation son caractère étatique en déléguant à des opérateurs privés la responsabilité de prendre des décisions d’intervention d’intérêt économique (arrêt du 21 septembre 2016, Etablissements Fr. Colruyt, C‑221/15, EU:C:2016:704,
point 44 et jurisprudence citée).
43 Tel n’est pas le cas dans une situation où les tarifs sont fixés dans le respect des critères d’intérêt public définis par la loi et que les pouvoirs publics ne délèguent pas leurs prérogatives de l’approbation ou de la fixation des tarifs à des opérateurs économiques privés, même si les représentants des opérateurs économiques ne sont pas minoritaires au sein d’un comité proposant ces tarifs (voir, en ce sens, arrêt du 4 septembre 2014, API e.a., C‑184/13 à C‑187/13, C‑194/13, C‑195/13
et C‑208/13, EU:C:2014:2147, point 31).
44 En ce qui concerne, en premier lieu, la question de savoir si la réglementation en cause au principal impose ou favorise la conclusion d’une entente entre opérateurs économiques privés, il convient de relever que le Conseil supérieur du barreau n’est composé que d’avocats élus par leurs pairs.
45 Le tarif établi par une organisation professionnelle peut, néanmoins, revêtir un caractère étatique, notamment lorsque les membres de cette organisation sont des experts indépendants des opérateurs économiques concernés et qu’ils sont tenus, de par la loi, de fixer les tarifs en prenant en considération non seulement les intérêts des entreprises ou des associations d’entreprises du secteur qui les a désignés, mais aussi l’intérêt général et les intérêts des entreprises des autres secteurs ou des
usagers des services en question (arrêt du 4 septembre 2014, API e.a., C‑184/13 à C‑187/13, C‑194/13, C‑195/13 et C‑208/13, EU:C:2014:2147, point 34 ainsi que jurisprudence citée).
46 Pour garantir que les membres d’une organisation professionnelle opèrent effectivement dans le respect de l’intérêt général, les critères de cet intérêt doivent être définis par la loi de manière suffisamment précise et le contrôle effectif et le pouvoir de décision en dernier ressort de la part de l’État doivent être présents (voir, en ce sens, arrêt du 4 septembre 2014, API e.a., C‑184/13 à C‑187/13, C‑194/13, C‑195/13 et C‑208/13, EU:C:2014:2147, point 41).
47 En l’occurrence, la réglementation en cause au principal ne contient aucun critère précis susceptible de garantir que les montants minimaux de la rémunération de l’avocat, tels que fixés par le Conseil supérieur du barreau, sont équitables et justifiés dans le respect de l’intérêt général. En particulier, cette réglementation ne prévoit aucune condition correspondant aux exigences formulées par le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême, Bulgarie) dans son arrêt du 27 juillet
2016, relatives, notamment, à l’accès des citoyens et des personnes morales à une aide juridique qualifiée ainsi qu’à la nécessité de prévenir tout risque de détérioration de la qualité des services fournis.
48 S’agissant, en second lieu, de la question de savoir si les pouvoirs publics bulgares ont délégué leurs compétences, en matière de fixation des montants minimaux de la rémunération des avocats, à des opérateurs privés, il ressort du dossier dont dispose la Cour que le seul contrôle exercé par une autorité publique sur les règlements du Conseil supérieur du barreau fixant ces montants minimaux est celui exercé par le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême), lequel est limité au
point de savoir si ces règlements sont conformes à la Constitution et à la loi bulgares.
49 Il en résulte que, eu égard à l’absence de dispositions susceptibles de garantir que le Conseil supérieur du barreau se comporte comme un démembrement de la puissance publique œuvrant à des fins d’intérêt général sous le contrôle effectif et le pouvoir de décision en dernier ressort de la part de l’État, une organisation professionnelle telle que le Conseil supérieur du barreau doit être considérée comme une association d’entreprises au sens de l’article 101 TFUE lorsqu’elle adopte les règlements
fixant les montants minimaux de la rémunération de l’avocat.
50 Par ailleurs, pour que les règles de concurrence de l’Union s’appliquent à la réglementation en cause au principal il faut que celle-ci soit susceptible de restreindre le jeu de la concurrence au sein du marché intérieur (voir, par analogie, arrêt du 4 septembre 2014, API e.a., C‑184/13 à C‑187/13, C‑194/13, C‑195/13 et C‑208/13, EU:C:2014:2147, point 42).
51 Il convient de constater, à cet égard, que la fixation de montants minimaux de la rémunération de l’avocat, rendus obligatoires par une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, en empêchant les autres prestataires de services juridiques d’établir des montants de rémunération inférieurs à ces montants minimaux, équivaut à la fixation horizontale de tarifs minimaux imposés (voir, en ce sens arrêt du 4 septembre 2014, API e.a., C‑184/13 à C‑187/13, C‑194/13, C‑195/13
et C‑208/13, EU:C:2014:2147, point 43).
52 Au regard des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater qu’une réglementation nationale, telle que celle au principal, qui, d’une part, ne permet pas à l’avocat et à son client de convenir d’une rémunération d’un montant inférieur au montant minimal fixé par un règlement adopté par une organisation professionnelle d’avocats, telle que le Conseil supérieur du barreau, sous peine pour cet avocat de faire l’objet d’une procédure disciplinaire, et, d’autre part, n’autorise pas le
tribunal à ordonner le remboursement d’un montant d’honoraires inférieur à ce montant minimal, est susceptible de restreindre le jeu de la concurrence dans le marché intérieur au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
53 Toutefois, il convient de relever que la réglementation en cause au principal rendant obligatoire une décision d’une association d’entreprises qui a pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence ou de restreindre la liberté d’action des parties ou de l’une d’elles ne tombe pas nécessairement sous le coup de l’interdiction édictée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, TUE (arrêt du 4 septembre 2014, API e.a., C‑184/13 à C‑187/13, C‑194/13,
C‑195/13 et C‑208/13, EU:C:2014:2147, point 46).
54 En effet, aux fins de l’application de ces dispositions aux cas d’espèce, il y a lieu, tout d’abord, de tenir compte du contexte global dans lequel une décision de l’association d’entreprises en cause a été prise ou déploie ses effets, et plus particulièrement de ses objectifs. Il convient, ensuite, d’examiner si les effets restrictifs de la concurrence qui en découlent sont inhérents à la poursuite desdits objectifs (arrêts du 19 février 2002, Wouters e.a., C‑309/99, EU:C:2002:98, point 97 ; du
18 juillet 2013, Consiglio Nazionale dei Geologi, C‑136/12, EU:C:2013:489, point 53, ainsi que du 4 septembre 2014, API e.a., C‑184/13 à C‑187/13, C‑194/13, C‑195/13 et C‑208/13, EU:C:2014:2147, point 47).
55 Dans ce contexte, il importe de contrôler si les restrictions ainsi imposées par les règles en cause au principal sont limitées à ce qui est nécessaire afin d’assurer la mise en œuvre d’objectifs légitimes (arrêts du 18 juillet 2006, Meca-Medina et Majcen/Commission, C‑519/04 P, EU:C:2006:492, point 47 ; du 18 juillet 2013, Consiglio Nazionale dei Geologi, C‑136/12, EU:C:2013:489, point 54, ainsi que du 4 septembre 2014, API e.a., C‑184/13 à C‑187/13, C‑194/13, C‑195/13 et C‑208/13,
EU:C:2014:2147, point 48).
56 Toutefois, au regard du dossier dont dispose la Cour, celle-ci n’est pas en mesure d’apprécier si une réglementation, telle que celle en cause au principal, qui ne permet pas à l’avocat et à son client de convenir d’une rémunération d’un montant inférieur au montant minimal fixé par un règlement adopté par une organisation professionnelle d’avocats, telle que le Conseil supérieur du barreau, peut être considérée comme nécessaire à la mise en œuvre d’un objectif légitime.
57 Il incombe à la juridiction de renvoi d’apprécier, au regard du contexte global dans lequel le règlement adopté par le Conseil supérieur du barreau a été pris ou déploie ses effets, si, à la lumière de l’ensemble des éléments pertinents dont elle dispose, les règles imposant les restrictions en cause au principal peuvent être regardées comme nécessaires à la mise en œuvre de cet objectif.
58 Compte tenu de ce qui précède, il convient de répondre aux première à troisième questions que l’article 101, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, TUE, doit être interprété en ce sens qu’une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui, d’une part, ne permet pas à l’avocat et à son client de convenir d’une rémunération d’un montant inférieur au montant minimal fixé par un règlement adopté par une organisation professionnelle d’avocats, telle
que le Conseil supérieur du barreau, sous peine pour cet avocat de faire l’objet d’une procédure disciplinaire, et, d’autre part, n’autorise pas le tribunal à ordonner le remboursement d’un montant d’honoraires inférieur à ce montant minimal, est susceptible de restreindre le jeu de la concurrence dans le marché intérieur au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si une telle réglementation, au regard de ses modalités concrètes
d’application, répond véritablement à des objectifs légitimes et si les restrictions ainsi imposées sont limitées à ce qui est nécessaire afin d’assurer la mise en œuvre de ces objectifs légitimes.
Sur les cinquième et sixième questions
59 Par ses cinquième et sixième questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 101, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, TUE et la directive 77/249, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle les personnes morales et les commerçants indépendants bénéficient d’un remboursement de la rémunération de l’avocat, ordonné par la juridiction nationale,
s’ils ont été défendus par un conseiller juridique.
60 À cet égard, il suffit de constater que ladite réglementation ne saurait être considérée comme imposant ou favorisant la conclusion d’ententes contraires à l’article 101 TFUE ou comme renforçant les effets de telles ententes.
61 Partant, l’article 101, paragraphe 1, TFUE ne s’oppose pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle les personnes morales et les commerçants indépendants bénéficient d’un remboursement de la rémunération de l’avocat, ordonné par la juridiction nationale, s’ils ont été défendus par un conseiller juridique.
62 En outre, dès lors que la directive 77/249 ne contient aucune disposition régissant le remboursement, ordonné par une juridiction, de la rémunération des prestataires de services juridiques, il y a lieu de considérer que ladite réglementation nationale n’entre pas non plus dans le champ d’application de la directive 77/249.
63 Au regard des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux cinquième et sixième questions que l’article 101, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, TUE et la directive 77/249, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle les personnes morales et les commerçants indépendants bénéficient d’un remboursement de la rémunération de l’avocat, ordonné par la
juridiction nationale, s’ils ont été défendus par un conseiller juridique.
Sur la septième question
64 Par sa septième question, la juridiction de renvoi demande si la directive 2006/112 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle la TVA fait partie intégrante des honoraires d’avocat enregistrés, avec pour effet la soumission de ces honoraires à une double imposition au titre de la TVA.
65 Conformément à l’article 78, premier alinéa, sous a), de la directive 2006/112, la base d’imposition comprend, notamment, les impôts, droits, prélèvements et taxes, à l’exception de la TVA elle‑même.
66 À cet égard, il importe de rappeler que, en vertu de la jurisprudence de la Cour, le principe de neutralité fiscale, inhérent au système commun de TVA, s’oppose à ce que l’imposition des activités professionnelles d’un assujetti engendre une double imposition (voir, en ce sens, arrêts du 23 avril 2009, Puffer, C‑460/07, EU:C:2009:254, point 46, et du 22 mars 2012, Klub, C‑153/11, EU:C:2012:163, point 42).
67 En l’occurrence, dès lors que la juridiction de renvoi a constaté dans la demande de décision préjudicielle dans l’affaire C‑427/16 que la réglementation nationale en cause au principal a pour effet une double imposition des honoraires d’avocat à la TVA, une réglementation de cette nature n’est conforme ni à l’article 78, premier alinéa, sous a), de la directive 2006/112 ni au principe de neutralité fiscale inhérent au système commun de TVA.
68 Dans ces conditions, il convient de répondre à la septième question que l’article 78, premier alinéa, sous a), de la directive TVA doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle la TVA fait partie intégrante des honoraires d’avocats enregistrés, si cela a pour effet une double imposition de ces honoraires à la TVA.
Sur les dépens
69 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :
1) L’article 101, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, TUE, doit être interprété en ce sens qu’une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui, d’une part, ne permet pas à l’avocat et à son client de convenir d’une rémunération d’un montant inférieur au montant minimal fixé par un règlement adopté par une organisation professionnelle d’avocats, telle que le Vissh advokatski savet (Conseil supérieur du barreau, Bulgarie), sous peine pour cet
avocat de faire l’objet d’une procédure disciplinaire, et, d’autre part, n’autorise pas le tribunal à ordonner le remboursement d’un montant d’honoraires inférieur à ce montant minimal, est susceptible de restreindre le jeu de la concurrence dans le marché intérieur au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si une telle réglementation, au regard de ses modalités concrètes d’application, répond véritablement à des objectifs légitimes et si
les restrictions ainsi imposées sont limitées à ce qui est nécessaire afin d’assurer la mise en œuvre de ces objectifs légitimes.
2) L’article 101, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, TUE et la directive 77/249/CEE du Conseil, du 22 mars 1977, tendant à faciliter l’exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle les personnes morales et les commerçants indépendants bénéficient d’un remboursement de la rémunération de l’avocat,
ordonné par la juridiction nationale, s’ils ont été défendus par un conseiller juridique.
3) L’article 78, premier alinéa, sous a), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle la taxe sur la valeur ajoutée fait partie intégrante des honoraires d’avocats enregistrés, si cela a pour effet une double imposition de ces honoraires à la taxe sur la valeur ajoutée.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le bulgare.