CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. NILS WAHL
présentées le 18 janvier 2018 ( 1 )
Affaire C‑633/16
Ernst & Young P/S
contre
Konkurrencerådet
[demande de décision préjudicielle formée par le Sø- og Handelsretten (tribunal des affaires maritimes et commerciales, Danemark)]
« Renvoi préjudiciel – Concurrence – Contrôle des concentrations entre entreprises –Règlement (CE) no 139/2004 – Article 7, paragraphe 1 – Obligation de suspendre la réalisation de la concentration jusqu’à la déclaration de compatibilité avec le marché commun – Résiliation d’un accord de coopération par l’une des entreprises parties à la concentration »
1. L’on dit que c’est avoir tort que d’avoir raison trop tôt. Tel est tout particulièrement le cas lorsqu’une concentration entre entreprises est réalisée prématurément.
2. Pour déterminer à quel moment la mise en œuvre d’une concentration est prématurée et, par conséquent, illicite, il est important d’avoir une idée précise de la portée de l’obligation de suspendre la réalisation d’une concentration avant son autorisation, prévue à l’article 7, paragraphe 1, du règlement (CE) no 139/2004 ( 2 ) (ci‑après l’« obligation de suspension »), et des pouvoirs dont la Commission dispose à cet égard en matière de preuve de la mise en œuvre anticipée. Plus important encore,
comment la portée de l’obligation de suspension doit-elle être déterminée ?
3. Ces questions concises mais importantes soulevées dans la présente affaire demeurent à ce jour sans réponse dans la jurisprudence de la Cour.
4. Pour se prononcer sur ces questions, la Cour devra examiner si l’objectif consistant à assurer la mise en œuvre effective du contrôle ex ante des concentrations exige d’étendre l’obligation de suspension au-delà du champ d’application matériel des règles en matière de concentrations, telles qu’elles sont énoncées dans le règlement no 139/2004.
5. J’expliquerai ci-après les raisons pour lesquelles je pense que l’obligation de suspension doit être clairement délimitée et pourquoi la meilleure façon d’y parvenir est de recourir à une définition négative, autrement dit de définir ce qui échappe au champ d’application de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004.
I. Le cadre juridique
A. Le règlement no 139/2004
6. En vertu de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 (intitulé « Champ d’application »), « le présent règlement s’applique à toutes les concentrations de dimension communautaire ».
7. L’article 3 du règlement no 139/2004, intitulé « Définition de la concentration », dispose :
« 1. Une concentration est réputée réalisée lorsqu’un changement durable du contrôle résulte :
a) de la fusion de deux ou de plusieurs entreprises ou parties de telles entreprises, ou
b) de l’acquisition, par une ou plusieurs personnes détenant déjà le contrôle d’une entreprise au moins ou par une ou plusieurs entreprises, du contrôle direct ou indirect de l’ensemble ou de parties d’une ou de plusieurs autres entreprises, que ce soit par prise de participations au capital ou achat d’éléments d’actifs, contrat ou tout autre moyen.
2. Le contrôle découle des droits, contrats ou autres moyens qui confèrent, seuls ou conjointement et compte tenu des circonstances de fait ou de droit, la possibilité d’exercer une influence déterminante sur l’activité d’une entreprise, et notamment :
a) des droits de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens d’une entreprise ;
b) des droits ou des contrats qui confèrent une influence déterminante sur la composition, les délibérations ou les décisions des organes d’une entreprise.
3. Le contrôle est acquis par la ou les personnes ou entreprises :
a) qui sont titulaires de ces droits ou bénéficiaires de ces contrats, ou
b) qui, n’étant pas titulaires de ces droits ou bénéficiaires de ces contrats, ont le pouvoir d’exercer les droits qui en découlent.
[…] »
8. L’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, intitulé « Notification préalable des concentrations et renvoi en prénotification à la demande des parties notifiantes », dispose :
« 1. Les concentrations de dimension communautaire visées par le présent règlement doivent être notifiées à la Commission avant leur réalisation et après la conclusion de l’accord, la publication de l’offre publique d’achat ou d’échange ou l’acquisition d’une participation de contrôle.
La notification peut également être faite lorsque les entreprises concernées démontrent de bonne foi à la Commission leur intention de conclure un accord ou, dans le cas d’une offre publique d’achat ou d’échange, lorsqu’elles ont annoncé publiquement leur intention de faire une telle offre, à condition que l’accord ou l’offre envisagés aboutisse à une concentration de dimension communautaire.
Aux fins du présent règlement, l’expression “concentration notifiée” vise aussi les projets de concentration notifiés au titre du deuxième alinéa. Aux fins des paragraphes 4 et 5 du présent article, le terme “concentration” comprend les projets de concentrations au sens du deuxième alinéa. »
9. L’article 7 du règlement no 139/2004, intitulé « Suspension de la concentration », dispose :
« 1. Une concentration de dimension communautaire telle que définie à l’article 1er […] ne peut être réalisée ni avant d’être notifiée ni avant d’avoir été déclarée compatible avec le marché commun […]
[…]
3. La Commission peut, sur demande, octroyer une dérogation aux obligations prévues aux paragraphes 1 ou 2. La demande d’octroi d’une dérogation doit être motivée. Lorsqu’elle se prononce sur la demande, la Commission doit prendre en compte notamment les effets que la suspension peut produire sur une ou plusieurs entreprises concernées par la concentration ou sur une tierce partie, et la menace que la concentration peut présenter pour la concurrence. Cette dérogation peut être assortie de
conditions et de charges destinées à assurer des conditions de concurrence effective. Elle peut être demandée et accordée à tout moment, que ce soit avant la notification ou après la transaction.
[…] »
10. L’article 8 du règlement no 139/2004, intitulé « Pouvoirs de décision de la Commission », dispose :
« […]
4. Si la Commission constate qu’une concentration :
a) a déjà été réalisée et qu’elle a été déclarée incompatible avec le marché commun, ou
b) a été réalisée en violation d’une condition dont est assortie une décision […]
la Commission peut :
– ordonner aux entreprises concernées de dissoudre la concentration, notamment par la séparation des entreprises fusionnées ou la cession de la totalité des actions ou actifs acquis, afin de rétablir la situation antérieure à la réalisation de la concentration. Dans le cas où un tel rétablissement ne serait pas possible, la Commission peut prendre toute autre mesure appropriée pour rétablir, dans la mesure du possible, la situation antérieure à la réalisation de la concentration ;
– ordonner toute autre mesure appropriée afin que les entreprises concernées dissolvent la concentration ou prennent des mesures visant à rétablir la situation antérieure à la réalisation de la concentration, comme requis dans sa décision.
[…]
5. La Commission peut prendre des mesures provisoires appropriées pour rétablir ou maintenir les conditions d’une concurrence effective lorsqu’une concentration :
a) a été réalisée en violation de l’article 7 et qu’aucune décision n’a encore été prise concernant sa compatibilité avec le marché commun ;
[…]
c) a déjà été réalisée et est déclarée incompatible avec le marché commun.
[…] »
B. Le droit danois
11. L’article 12 c de la konkurrenceloven ( 3 ) (la loi danoise sur la concurrence) dispose :
« 1. La Konkurrence‑ og Forbrugerstyrelsen (autorité danoise de la concurrence et des consommateurs, ci‑après la “KFST”) décide si une concentration peut être autorisée ou interdite.
2. Une concentration qui ne crée pas d’entrave significative à une concurrence effective, notamment du fait de la création ou du renforcement d’une position dominante, doit être autorisée. Une concentration qui crée une entrave significative à la concurrence, notamment du fait de la création ou du renforcement d’une position dominante, doit être interdite.
[…]
5. Une concentration visée par la présente loi ne peut être réalisée avant d’être notifiée ou d’être autorisée par la [KFST] en application du paragraphe 1 […]
[…] »
12. Il ressort de l’ordonnance de renvoi que l’exposé des motifs dont est assortie la modification législative qui a introduit l’article 12 c indique que les dispositions danoises en matière de contrôle des concentrations sont fondées sur celles du règlement no 139/2004 et doivent être interprétées conformément à celles‑ci, en ce qui concerne la définition et le champ d’application de la notion de « concentration », ainsi que de l’obligation de suspension.
II. Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et les questions préjudicielles
13. Par accord conclu le 18 novembre 2013 (ci-après l’« accord de concentration »), les sociétés KPMG Statsautoriseret Revisionspartnerselskab, Komplementarselskabet af 1. Januar 2009 Statsautoriseret Revisionsaktieselskab, et KPMG Ejendome Flintholm K/S (désignées ensemble ci-après par « KPMG DK »), d’une part, et les sociétés Ernst and Young P/S, Ernst & Young Europe LLP, Ernst & Young Godkendt Revisionsaktieselskab, Ernst & Young Global Limited et EYGS LLP (désignées ensemble ci-après par
« EY »), d’autre part, ont décidé de fusionner.
14. Au moment de la conclusion de l’accord de concentration, KPMG DK et EY étaient des sociétés d’audit fournissant des services de commissariat aux comptes/révision d’entreprise et d’expertise-comptable sur le marché danois. KPMG DK était membre d’un réseau international de cabinets d’audit indépendants dénommé KPMG International Cooperative (ci-après « KPMG International ») en vertu d’un accord de coopération signé le 15 février 2010 (ci‑après l’« accord de coopération »).
15. L’accord de coopération prévoyait le droit exclusif pour les parties y adhérant de faire partie du réseau KPMG au niveau national et de faire usage des marques de KPMG International à des fins commerciales. L’accord de coopération comporte également des clauses relatives à la répartition des clients, à l’obligation de fournir des prestations de services aux clients d’autres territoires et à une compensation annuelle pour faire partie du réseau. L’accord de coopération stipule que les cabinets
d’audit participant au réseau KPMG ne constitueront pas entre eux des partenariats, coentreprises ou autres.
16. En vertu de l’accord de concentration, KPMG DK devait mettre fin à l’accord qui la liait à KPMG International dès la signature de l’accord de concentration, pour cesser sa collaboration avec le réseau KPMG International en vue d’une fusion avec EY et faire partie du groupe EY.
17. Il est constant que l’accord de concentration devait faire l’objet d’une notification, puisque EY devait prendre le contrôle de KPMG DK et que le chiffre d’affaires des entreprises concernées excédait les seuils quantitatifs fixés dans la réglementation danoise en matière de concurrence.
18. Après la signature de l’accord de concentration avec EY le 18 novembre 2013, KPMG DK a mis fin à l’accord de coopération avec effet à compter du 30 septembre 2014, d’abord en informant par communication téléphonique le président du conseil d’administration de KPMG International, puis par lettre du 18 novembre 2013 à KPMG International. La résiliation de l’accord n’était en elle-même pas soumise à l’autorisation des autorités de concurrence.
19. La conclusion de l’accord de concentration a été rendue publique le 19 novembre 2013. Entre cette date et l’autorisation de la concentration, un certain nombre d’évènements se sont produits.
20. Le 20 novembre 2013, KPMG International a annoncé son intention de maintenir sa présence sur le marché danois dans un article publié par le quotidien en ligne Business.dk. En effet, KPMG International a fait le choix de créer une nouvelle activité d’audit au Danemark. KPMG International a également conclu un accord de coopération avec une société de conseil fiscal, bien que l’accord de coopération avec KPMG DK fût toujours en vigueur et que cette coopération eût continué malgré la dénonciation
de celui-ci.
21. En outre, certains clients de KPMG DK, dont deux de ses clients principaux, à savoir les groupes Carlsberg et Maersk, ont proposé à leurs assemblées générales de changer de commissaires aux comptes et de désigner KPMG International en tant que commissaires aux comptes pour l’exercice 2014. De même, au cours de cette même période, plusieurs sociétés ont choisi de renoncer à KPMG DK pour d’autres cabinets d’audit. Les assemblées générales se tiennent le plus souvent au début du printemps, parce
que l’exercice comptable de la plupart des sociétés coïncide avec l’année civile et que, en vertu du droit des sociétés danois, les commissaires aux comptes sont désignés au cours de l’assemblée générale ordinaire.
22. KPMG DK et EY ont entamé la procédure de prénotification dès l’annonce de l’accord de concentration en vue d’obtenir l’autorisation de cette opération et les premiers contacts avec la KFST ont été pris le 21 novembre 2013.
23. Le premier projet de notification a été communiqué à la KFST le 13 décembre 2013, puis la notification complétée le 7 février 2014 et la concentration autorisée le 28 mai 2014 par décision du Konkurrencerådet (conseil de la concurrence). Après que la concentration a été autorisée par le conseil de la concurrence, KPMG DK et KPMG International ont convenu de mettre fin à leur coopération avec effet à compter du 30 juin 2014.
24. Par décision du 17 décembre 2014 (ci-après la « décision attaquée »), le conseil de la concurrence a constaté que KPMG DK avait méconnu l’obligation de suspension énoncée à l’article 12 c, paragraphe 5, de la loi sur la concurrence au motif que, en vertu des dispositions de l’accord de concentration, KPMG DK avait dénoncé l’accord de coopération avec KPMG International le 18 novembre 2013, soit avant que la défenderesse au principal n’ait autorisé la concentration.
25. La décision attaquée est fondée sur une appréciation par la KFST de l’ensemble des circonstances de fait de l’affaire. Toutefois, la KFST a tenu tout particulièrement compte du fait i) que la résiliation de l’accord était propre à la concentration, ii) que cette résiliation était irréversible et iii) qu’elle était susceptible de produire des effets sur le marché au cours de la période comprise entre la dénonciation et l’autorisation de la concentration, sans que ces trois facteurs soient pour
autant considérés comme exhaustifs.
26. S’agissant des possibles effets sur le marché, le conseil de la concurrence a relevé, dans la décision attaquée, que les effets qui ont été constatés pouvaient avoir plusieurs causes, y compris l’impossibilité de déterminer concrètement les origines des réactions du marché, mais que, dans la mesure où il estimait que la résiliation était intrinsèquement susceptible de produire des effets sur le marché et qu’elle pouvait dès lors être qualifiée d’acte de mise en œuvre d’une concentration, il
n’était pas nécessaire d’établir les effets réels de cette résiliation.
27. Étant en désaccord avec la décision attaquée, Ernst & Young P/S (ci-après « Ernst & Young ») a saisi la juridiction de renvoi d’un recours en annulation le 1er juin 2015. À cet égard, la juridiction de renvoi indique que la solution qui sera apportée au litige au principal aura des incidences sur la question de l’imposition éventuelle d’amendes, car, le 11 juin 2015, la KFST a saisi le Statsanklageren for Særlig Økonomisk og International Kriminalitet (procureur de l’État contre la grande
criminalité économique et internationale, Danemark) en vue d’une appréciation au regard des dispositions du droit pénal.
28. Nourrissant des doutes quant à la bonne interprétation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, dont dépend celle de l’article 12 c, paragraphe 5, de la loi danoise sur la concurrence, le Sø- og Handelsretten (tribunal des affaires maritimes et commerciales, Danemark) a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour des questions préjudicielles suivantes :
« 1) Selon quels critères convient‑il d’apprécier si des agissements ou des mesures prises par une entreprise relèvent de l’interdiction posée à l’article 7, paragraphe 1, du [règlement no 139/2004] (l’interdiction de mise en œuvre anticipée) et est‑ce qu’une mesure de réalisation au sens de cette disposition suppose que ladite mesure, en tout ou partie, en fait ou en droit, constitue un élément de la prise de contrôle ou de la fusion des activités qui continuent à être poursuivies par les
entreprises participantes et qui – sous réserve que les seuils soient atteints – déclenche l’obligation de notification ?
2) Dans les circonstances exposées aux points 1 à 20 de la présente ordonnance de renvoi, la dénonciation d’un accord de coopération, tel que celui dont il est question en l’espèce, constitue‑t‑elle une mesure de réalisation tombant sous le coup de l’interdiction posée à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 et selon quels critères faut‑il alors l’apprécier ?
3) Est‑ce qu’il importe pour la réponse à la deuxième question si la dénonciation a effectivement produit des effets significatifs du point de vue du droit de la concurrence sur le marché ?
4) S’il est répondu par l’affirmative à la troisième question, il est demandé de préciser selon quels critères et en fonction de quels degrés de probabilité il convient, en l’espèce, d’apprécier si la dénonciation a produit de tels effets sur le marché, notamment l’incidence que peut avoir le fait que de tels effets puissent être imputés à d’autres causes. »
29. Au cours de la procédure écrite, des observations ont été déposées par Ernst & Young, le gouvernement danois et la Commission européenne. Ces parties ont également présenté des observations orales lors de l’audience qui s’est tenue le 15 novembre 2017.
III. Analyse
A. Compétence de la Cour
30. Dans ses écritures, la Commission s’interroge sur le point de savoir si la Cour a compétence pour interpréter les questions préjudicielles posées, même si l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 ne s’applique pas directement au cas de figure en cause au principal. Plus précisément, la Commission a des doutes sur la question de savoir si la seule référence à ce règlement dans les travaux préparatoires de la législation nationale suffit à conférer une compétence dans le cadre de
l’article 267 TFUE.
31. Selon une jurisprudence abondante découlant de l’arrêt Dzodzi ( 4 ), la Cour a jugé que, pour éviter des divergences d’interprétation futures, les dispositions ou les notions reprises du droit de l’Union reçoivent une interprétation uniforme, quelles que soient les conditions dans lesquelles elles sont appelées à s’appliquer. Cette approche a été récemment confirmée par la Cour dans l’arrêt Allianz Hungária Biztosító e.a. ( 5 ). Par conséquent, la Cour est compétente pour statuer sur les
demandes préjudicielles portant sur des dispositions du droit de l’Union dans des situations dans lesquelles les faits au principal se situent en dehors du champ d’application directe du droit de l’Union, mais dans lesquelles le législateur national a décidé d’appliquer un traitement identique aux situations internes et aux situations régies par le droit de l’Union ( 6 ).
32. Dès lors, j’en conclus que la Cour est compétente pour connaître des questions préjudicielles posées par le Sø- og Handelsretten (tribunal des affaires maritimes et commerciales).
B. Sur le fond
1. Observations liminaires
33. Sans préjudice de la nécessité d’une notification préalable des concentrations, il convient de rappeler que, dans plusieurs pays, il n’existe aucune obligation (nationale) de suspension des concentrations. Par exemple, dans l’Union, il apparaît que tel est le cas en Italie ( 7 ), en Lettonie ( 8 ) et au Royaume-Uni (pays dans lequel la notification est en outre qualifiée de « volontaire ») ( 9 ).
34. Au niveau de l’Union, le règlement en matière de contrôle des concentrations prévoyait à l’origine une obligation de sursis à la réalisation d’une concentration de trois semaines à compter de la notification de celle-ci. Ce sursis pouvait être prolongé par décision de la Commission ( 10 ).
35. Cela indique que, si l’obligation de suspension peut être utile, il paraîtrait excessif de la qualifier, comme le fait la Commission, d’instrument indispensable au contrôle des concentrations. Sa fonction est purement de dissuader les entreprises de mettre en œuvre des concentrations prématurément, à savoir pendant l’évaluation réalisée par les autorités de concurrence, et de réduire le risque de devoir annuler une concentration dans le cas où elle ne serait pas autorisée. En d’autres termes,
l’obligation de suspension a, en substance, pour effet de transférer aux entreprises concernées la charge financière associée à la mise en suspens d’une concentration, jusqu’à ce que l’autorité de concurrence mène son évaluation à bien, ainsi que le risque financier, dans l’hypothèse où il y aurait lieu de dissoudre la concentration en cas de mise en œuvre anticipée et illégale.
36. Il convient de garder ces caractéristiques à l’esprit aux fins de la délimitation de l’obligation de suspension dans le cadre du règlement no 139/2004. En effet, en vertu des règles de l’Union en matière de concentrations, la relation entre la réglementation ex ante et ex post des concentrations, telle qu’édictée aux articles 7 et 8 du règlement no 139/2004, n’a pas encore été pleinement clarifiée par la Cour.
37. En ce qui concerne l’appréciation des questions préjudicielles posées, elles peuvent être traitées deux par deux. D’abord, les première et deuxième questions préjudicielles concernent la portée de l’obligation de suspension et les modalités de sa délimitation (la deuxième question portant plus particulièrement sur le point de savoir s’il existait une telle obligation dans le litige en cause au principal). Ensuite, les troisième et quatrième questions préjudicielles sont plus spécifiques. Elles
se concentrent toutes les deux sur la pertinence des effets éventuels sur le marché au regard de l’obligation de suspension, y compris sur les critères à retenir par l’autorité de concurrence pour établir l’existence de tels effets et le niveau de preuve exigé de celle-ci lorsqu’elle enquête sur une violation éventuelle de cette obligation.
2. Sur les deux premières questions préjudicielles
38. Par ses deux premières questions, la juridiction de renvoi demande à la Cour, en substance, de préciser la portée de l’obligation de suspension énoncée à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 et dans quelles circonstances des agissements d’entreprises relèvent de cette disposition. Plus particulièrement, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur les modalités de détermination de la portée de l’obligation de suspension et se réfère à cet égard aux critères auxquels l’autorité
de concurrence danoise a recouru aux fins de constater un manquement dans sa décision en cause au principal.
a) Observations des parties à la procédure préjudicielle
39. Selon Ernst & Young, les règles en matière de concentrations, et tout particulièrement l’obligation de suspension, ne s’appliqueraient qu’aux seules mesures faisant partie d’une concentration soumise à notification. Les effets éventuels sur la concurrence de mesures échappant à la portée de l’obligation de suspension devraient plutôt être appréciés dans le cadre des articles 101 et 102 TFUE. Ernst & Young invoque l’arrêt Aer Lingus Group/Commission ( 11 ) et soutient que la notion de
« concentration » est au cœur de la compétence conférée à la Commission dans le cadre des règles en matière de contrôle des concentrations, de sorte que l’obligation de suspension ne saurait avoir une portée distincte du champ d’application de cette notion ou allant au-delà de celui-ci. Toute mesure tombant sous le coup de l’obligation de suspension est liée, selon Ernst & Young, à un transfert de contrôle.
40. Le gouvernement danois et la Commission, quant à eux, invoquent l’arrêt Electrabel/Commission ( 12 ) en mettant l’accent sur le système de contrôle ex ante instauré par la réglementation en matière de contrôle des concentrations et relèvent que, en cas de rejet d’une concentration, il pourrait s’avérer impossible de retourner à la situation qui prévalait avant la réalisation.
41. En particulier, le gouvernement danois fait valoir que l’application de l’obligation de suspension ne saurait se limiter aux seuls actes qui, en eux-mêmes, emportent un changement de contrôle effectif ou une fusion des activités poursuivies par les entreprises participantes, mais que, en fonction des circonstances, cette obligation doit valoir pour toute mesure de nature à empêcher le contrôle ex ante efficace des concentrations ou à le rendre plus difficile. Toutefois, le gouvernement danois
considère que les actes préparatoires internes ne tombent pas sous le coup de l’obligation de suspension s’ils sont sans pertinence pour l’autorisation de la concentration par les autorités de concurrence et ne sont pas susceptibles de produire des effets structurels sur la concurrence.
42. De même, la Commission invoque le considérant 34 du règlement no 139/2004 ( 13 ) et soutient qu’il n’est pas indispensable que pour qu’une mesure soit réputée constituer la mise en œuvre d’une concentration au sens de l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement, cette mesure fasse partie, en tout ou partie, en fait ou en droit, du processus conduisant à la prise de contrôle effective. La Commission considère qu’il y a une mise en œuvre partielle d’une concentration notamment en cas d’agissements
qui i) consistent en des mesures préparatoires dans le cadre d’un processus conduisant à un changement de contrôle, ii) permettent à l’acquéreur d’exercer une influence sur la structure de l’entreprise cible ou sur le comportement de celle-ci sur le marché, ou iii) anticipent les effets de la concentration ou exercent une incidence déterminante sur la situation de concurrence existante.
b) Remarques introductives
43. À ma connaissance, la Cour ne s’est, à ce jour, pas encore spécifiquement prononcée sur la portée de l’obligation de suspension visée à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 ni, par conséquent, sur les pouvoirs de la Commission de contrôler le respect de cette obligation. Il s’agit là d’un fait qui mérite d’être souligné étant donné que les amendes récemment infligées par la Commission n’ont nullement été négligeables ( 14 ). Cette absence de contrôle juridictionnel semble avoir
permis à la Commission de poursuivre son activité de surveillance sans être soumise à un contrôle. La Commission estime par ailleurs en l’espèce qu’il n’y a pas lieu d’établir de critères aux fins de la délimitation de ses pouvoirs de surveillance.
44. Je partage d’une manière générale le point de vue de la Commission selon lequel il ne serait guère efficace pour la Cour d’arrêter une liste générale et exhaustive de critères destinée à couvrir tous les comportements susceptibles de tomber sous le coup de l’obligation de suspension. Définir l’obligation de suspension de façon positive comporterait dès lors le risque que certains comportements échappent à cette obligation, ce qui conduirait potentiellement à préjuger de l’issue de certaines
affaires à l’avenir, au détriment tant de l’activité de la Commission en sa qualité de régulateur, que du contrôle de cette activité par la Cour. En effet, si la Cour devait retenir certains critères à utiliser pour délimiter de manière positive la portée de l’obligation de suspension, il se pourrait même que la portée de cette obligation s’en trouve restreinte si ces critères venaient à s’appliquer systématiquement et d’une manière qui leur conférerait un caractère prédéterminant.
45. Il convient davantage de privilégier une définition négative de l’obligation de suspension. Cela exige de la Cour qu’elle définisse les mesures qui ne relèveront pas de cette obligation, améliorant de la sorte la sécurité juridique pour les entreprises concernées, tout en assurant la flexibilité nécessaire au contrôle effectif des concentrations.
46. Avant de poursuivre mon exposé, je mettrai tout d’abord en lumière les raisons pour lesquelles les critères mis en avant par la juridiction de renvoi ne se prêtent pas à la délimitation de la portée de l’obligation de suspension, dans la mesure où les trois critères proposés comportent tous des défauts qui leurs sont intrinsèques. Je poursuivrai mon analyse en exposant les considérations à prendre en compte aux fins de la détermination de la portée de l’obligation de suspension.
c) Les trois critères retenus dans la décision nationale
47. La juridiction de renvoi a évoqué trois critères auxquels l’autorité danoise de concurrence dans la décision en cause au principal a recouru pour préciser les types de comportements tombant sous le coup de l’obligation de suspension. En effet, le comportement en question doit être i) propre à la concentration, ii) irréversible et iii) susceptible de produire des effets sur le marché.
48. Le caractère propre à la concentration du comportement est une condition préalable et non un critère de l’application de l’obligation de suspension. Par conséquent, le recours à ce facteur n’est pas simplement licite. Il est obligatoire ( 15 ).
49. Un critère lié au caractère propre à la concentration d’une mesure est susceptible de faciliter l’exclusion de certaines mesures qui n’ont, de toute évidence, aucun rapport avec la mise en œuvre d’une concentration. Toutefois, en réalité, un tel critère n’apporte aucune valeur ajoutée étant donné que, en son absence, la Commission ne serait pas compétente au titre du règlement no 139/2004 ( 16 ).
50. Ensuite, le point de savoir si la mesure prétendue de mise en œuvre anticipée de la concentration est irréversible ne me paraît guère pertinent du point de vue de l’obligation de suspension. Attacher de l’importance, en l’espèce, au caractère irréversible de la mesure en soi donnerait non seulement lieu à des spéculations quant à savoir si KPMG DK serait en mesure de rétablir ses liens avec KPMG International, mais isolerait en outre l’obligation de suspension de ce qu’elle a vocation à
suspendre temporairement, à savoir la concentration.
51. Plus important encore, la Commission peut, en vertu de l’article 8, paragraphe 5, sous a) et c), du règlement no 139/2004, ordonner de rétablir la situation antérieure aux mesures de mise en œuvre anticipée d’une concentration. Il paraîtrait contradictoire que la Commission ait été investie de ce pouvoir si l’application de l’obligation de suspension dépendait du caractère irréversible d’une mesure.
52. En revanche, le caractère irréversible peut constituer un facteur pertinent lorsque l’autorité de concurrence examine une demande d’octroi de dérogation à l’obligation de suspension, en vertu de l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 139/2004 ( 17 ).
53. Enfin, en ce qui concerne les éventuels effets sur le marché, j’estime que ce critère n’est d’aucune utilité aux fins de déterminer la portée de l’obligation de suspension.
54. Premièrement, des mesures commerciales ont presque invariablement des effets sur le marché. Si la simple éventualité qu’elles produisent des effets sur le marché suffisait à déclencher l’obligation de suspension, ce critère serait presque systématiquement rempli et, par conséquent, superflu. À l’inverse, si le critère proposé portait sur des effets réels sur le marché, la portée de l’obligation de suspension pourrait s’avérer trop restreinte.
55. Deuxièmement, un critère portant sur les effets sur le marché ferait double emploi avec l’examen au fond d’une demande d’autorisation d’une concentration. Si un tel critère était pertinent, l’obligation de suspension ressemblerait en réalité à une procédure de type injonction automatique, fondée sur le point de savoir si la prétendue mesure de mise en œuvre de la concentration est susceptible d’avoir des effets sur le marché. Une telle approche de l’obligation de suspension risquerait d’avoir
pour effet d’anticiper l’appréciation de la compatibilité de la concentration avec le marché commun. Elle rendrait par ailleurs superflu le pouvoir de la Commission qui lui est conféré à l’article 8, paragraphe 5, du règlement no 139/2004 et qui lui permet de prendre des mesures provisoires appropriées pour rétablir ou maintenir les conditions d’une concurrence effective lorsqu’une violation de l’obligation de suspension a été commise.
56. Enfin, faire dépendre l’obligation de suspension d’un (éventuel) effet sur le marché serait faire abstraction de la complexité d’une telle appréciation économique, qui ne peut être accomplie avec certitude par les entreprises. C’est pourquoi l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 139/2004 permet à la Commission d’octroyer des dérogations à l’obligation de suspension lorsque la menace que la mesure en cause peut présenter pour la concurrence est sans gravité.
57. En résumé, aucun des critères proposés ne semble être utile aux fins de la détermination de la portée de l’obligation de suspension. En effet, les trois critères évoqués par la juridiction de renvoi illustrent bien la raison pour laquelle il ne conviendrait pas à la Cour de s’employer à dresser une liste positive des critères pertinents constitutifs d’une violation de l’obligation de suspension.
58. J’expliquerai ci-après en quoi une définition négative est plus appropriée pour délimiter la portée de l’obligation visée à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004.
d) La portée de l’obligation de suspension prévue à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004
59. Aux termes de son article 1er, paragraphe 1, y compris l’obligation énoncée à son article 7, paragraphe 1, de suspendre une concentration, le règlement no 139/2004 s’applique à toutes les concentrations de dimension communautaire (ou, dans le cas d’une législation nationale équivalente, à toutes les concentrations qui atteignent le seuil qui y est fixé). Si l’article 1er, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 permet de répondre à la question de savoir si une concentration a une dimension
européenne, la notion de « concentration » proprement dite est régie par l’article 3.
60. Plus précisément, une concentration, au sens de l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, présuppose « un changement durable du contrôle » qui résulte d’une fusion ou d’une acquisition. Selon l’article 3, paragraphe 2, du règlement no 139/2004, le « contrôle » découle lui-même « des droits, contrats ou autres moyens qui confèrent, seuls ou conjointement et compte tenu des circonstances de fait ou de droit, la possibilité d’exercer une influence déterminante sur l’activité d’une
entreprise ». En outre, en vertu de l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 139/2004, le « contrôle » est « acquis ». Enfin, en ce qui concerne plus particulièrement les acquisitions, le contrôle peut être, conformément à l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement no 139/2004, « direct ou indirect ».
61. L’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 fait quant à lui référence à une « concentration » de dimension européenne, telle que définie à l’article 1er du règlement no 139/2004, qui ne peut être réalisée ni avant d’être notifiée ni avant d’avoir été autorisée.
62. La notion de « concentration » est donc essentielle à l’égard de l’obligation de suspension. C’est cette notion ou, plus précisément, l’acquisition de la possibilité d’exercer une influence déterminante sur l’activité d’une entreprise (visée), qui donne naissance à cette obligation ( 18 ). Par conséquent, les mesures précédant une concentration ne sauraient tomber sous le coup de l’obligation de suspension.
63. Par ailleurs, ainsi que le relève la Commission, l’obligation de suspension s’étend aussi bien à la mise en œuvre partielle qu’à la mise en œuvre intégrale d’une concentration. Si l’obligation en cause ne saurait s’appliquer à des mesures préparatoires purement internes précédant une concentration ( 19 ), elle doit en revanche s’appliquer à des mesures qui sont inhérentes à une concentration. La difficulté consiste à établir une distinction entre les mesures préparatoires licites et une mise en
œuvre partielle, comme en témoigne le présent litige.
64. À cet égard, le Tribunal a jugé que la Commission peut, dans certaines circonstances, considérer qu’une pluralité de transactions liées entre elles constituent une seule opération de concentration lorsque ces transactions sont interdépendantes de sorte qu’elles ne seraient pas réalisées les unes sans les autres et qu’elles ont pour résultat de conférer à une ou à plusieurs entreprises le contrôle économique, direct ou indirect, sur l’activité d’une ou de plusieurs autres entreprises ( 20 ). Une
telle approche échelonnée ou globale quant à la notion de « concentration » est confortée par le libellé de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 139/2004, qui fait référence au contrôle indirect (de fait) ( 21 ). Cette approche se justifie par la nécessité d’éviter que les règles en matière de concentrations soient contournées par la création artificielle de transactions liées entre elles. Le point de savoir si les règles en matière de concentrations ont été contournées
artificiellement doit toutefois faire l’objet d’une appréciation au cas par cas. Le seul fait que plusieurs transactions puissent être interdépendantes ne signifie pas nécessairement qu’elles constituent une concentration unique ( 22 ).
65. À l’inverse, le fait qu’une mesure ait été prise dans le cadre du processus menant à une concentration ne saurait à lui seul la faire automatiquement tomber sous le coup de l’obligation de suspension. Tant que la mesure précède l’acquisition de la possibilité d’exercer une influence déterminante sur l’activité de l’entreprise cible et qu’elle est dissociable des mesures y menant effectivement, cette mesure ne devrait pas être soumise à l’obligation de suspension ni, par conséquent, aux pouvoirs
de contrôle du respect de cette obligation dont la Commission est investie.
66. Pour réfuter ce point de vue, il pourrait être soutenu que, pour des raisons d’efficacité, il conviendrait de ne pas interpréter l’obligation de suspension de manière restrictive et, par précaution, d’étendre sa portée, qui résulte de la combinaison de la définition de « concentration » et de sa « réalisation », au-delà des contours de la notion de « concentration ». Une telle position semble découler intrinsèquement des arguments soumis par le gouvernement danois et par la Commission. L’arrêt
Aer Lingus Group/Commission ( 23 ) semble conforter cette interprétation. Le Tribunal a estimé que « l’acquisition d’une participation [minoritaire] qui ne confère pas, en tant que telle, le contrôle au sens de l’article 3 du règlement [no 139/2004] peut relever du champ d’application de l’article 7 dudit règlement », et semble de la sorte dissocier l’obligation de suspension de la notion de « concentration ».
67. Pourtant, pour replacer cette conclusion dans son contexte, il convient d’évoquer le point 82 de cet arrêt dans lequel le Tribunal a analysé le régime de dérogation à l’obligation de suspension prévu à l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 et non celui prévu à l’article 7, paragraphe 1, dudit règlement. Le Tribunal a ensuite fait, au point 83, la constatation citée ci-dessus, sans fournir d’autre explication qu’un résumé de la manière dont il a compris l’approche de la Commission.
Le contexte de cette constatation est par conséquent quelque peu ambigu. En tout état de cause, cette constatation n’est pas compatible avec la conclusion ultérieure – que je partage – à laquelle le Tribunal est parvenu aux points 84 et 85 de cet arrêt, dans les circonstances de l’affaire qui y a donné lieu, et selon laquelle une participation minoritaire ne peut être considérée, en général, comme la réalisation partielle d’une concentration susceptible de donner lieu à une mesure adoptée sur la
base de l’article 8, paragraphes 4 et 5, du règlement no 139/2004 ( 24 ).
68. J’ajouterais qu’une interprétation de la portée de l’obligation de suspension visée à l’article 7 du règlement no 139/2004, qui est distincte de celle de la notion de « concentration », donnerait naissance à une zone grise dans laquelle certaines mesures, bien que périphériques à une concentration, mais n’en faisant pas pour autant partie et n’étant pas en elles-mêmes inextricablement liées au transfert de contrôle, seraient néanmoins soumises à l’obligation en cause. Toutefois, si le périmètre
de cette zone grise excédait celui de la notion de « concentration », cela aurait pour conséquence que de cette obligation s’étendrait au-delà du champ d’application du règlement lui-même tel que défini en son article 1er. Il s’agirait là d’une position indéfendable.
69. Une telle interprétation large irait en outre au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l’efficacité du contrôle des concentrations. Comme indiqué aux points 33 à 36 des présentes conclusions, il paraîtrait excessif de considérer l’obligation de suspension comme un instrument indispensable. En effet, en vertu de l’article 8, paragraphes 4 et 5, du règlement no 139/2004, la Commission se voit conférer le pouvoir d’ordonner le rétablissement ou le maintien des conditions d’une concurrence
effective et, en particulier, d’ordonner la dissolution de la concentration. Le risque de devoir payer les coûts liés à de telles mesures ordonnées par la Commission est, à lui seul, assurément dissuasif pour les entreprises parties à la concentration. Exiger des entreprises parties à une concentration qu’elles attendent qu’une autorisation soit accordée même lorsqu’il s’agit de mesures qui ne sont pas en elles-mêmes inextricablement liées au transfert de contrôle serait excessif et susceptible
d’engendrer des retards inutiles.
70. Du reste, le règlement no 139/2004 prévoit expressément les circonstances dans lesquelles il trouve à s’appliquer, même avant l’existence effective d’une concentration. Par exemple, l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 dispose qu’une concentration suppose la conclusion d’un accord, la publication d’une offre publique d’achat ou d’échange ou l’acquisition d’une participation de contrôle. Toutefois, l’article 4, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement no 139/2004 permet aux
parties de notifier une concentration avant même que leur intention sans équivoque de fusionner soit avérée, comme cela est le cas lorsqu’elles ont annoncé publiquement leur intention de faire une offre qui aboutirait à une concentration (ci-après les « projets de concentration »). L’article 4, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement no 139/2004 prévoit quant à lui les circonstances spécifiques dans lesquelles le règlement no 139/2004 trouve à s’appliquer, même lorsqu’une concentration
n’est pas encore survenue et opère une distinction à cet égard entre les « concentrations notifiées » et les « concentrations » (ces termes étant employés entre guillemets dans le texte même de la disposition en cause). Dès lors, en vertu de la première phrase de l’article 4, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement no 139/2004, les projets de concentration constituent des « concentrations notifiées » aux fins dudit règlement. En vertu de la deuxième phrase de l’article 4, paragraphe 1,
troisième alinéa, du règlement no 139/2004, les projets de concentration sont également équivalents à des « concentrations », mais uniquement aux fins de la procédure visée à l’article 4, paragraphes 4 et 5, dudit règlement.
71. Dans ce contexte, et compte tenu de ce que les termes « concentration notifiée » n’apparaissent pas à l’article 7 du règlement no 139/2004 ( 25 ), je suis amené à en conclure que l’article 7 – et, partant, l’obligation de suspension – ne s’applique pas en ce qui concerne les projets de concentration. Cela confirme que le législateur de l’Union n’a pas voulu que l’obligation de suspension s’applique lorsqu’une concentration ne s’est pas encore concrétisée.
72. Cela ne revient pas à dire que le terme « réalisée », tel qu’il est employé à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, ne doit pas être compris au sens large, de sorte à s’assurer que la Commission puisse contrôler les réalisations partielles de concentrations ( 26 ). Cela étant, une concentration ne peut nécessairement être « réalisée » que si elle existe.
73. Dès lors, les arguments soutenus par le gouvernement danois et par la Commission pour justifier la conception selon laquelle l’application de l’obligation de suspension ne devrait en aucun cas être liée à la notion de « concentration » ne sont pas convaincants.
74. Premièrement, établir un lien entre l’obligation de suspension et la notion de « concentration » ne remet nullement en cause le système de contrôle ex ante des concentrations tel qu’il est prévu par le règlement no 139/2004.
75. Deuxièmement, le fait que la Commission ait retenu, dans sa pratique administrative, une approche élargie quant aux comportements qui sont qualifiables de mise en œuvre anticipée d’une concentration est sans pertinence. La pratique suivie par la Commission ne lie par la Cour.
76. Troisièmement, une distinction entre mesures préparatoires internes et mesures préparatoires externes, telle que le fait valoir, en substance, le gouvernement danois, ne trouve aucun fondement dans le règlement no 139/2004. Ce règlement fait en revanche référence à un « changement durable du contrôle », peu importe qu’un tel changement procède de mesures internes ou externes.
77. Quatrièmement, les conclusions du Tribunal dans l’arrêt Electrabel/Commission ( 27 ), cité par le gouvernement danois et par la Commission, concernent, ainsi que l’a relevé en substance Ernst & Young, la gravité de la violation de l’obligation de suspension et le caractère proportionné de l’amende infligée dans ladite affaire et non l’existence même de l’infraction.
78. Compte tenu des considérations qui précèdent, je suis d’avis que l’obligation, inscrite à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, de suspendre une concentration ne concerne pas les mesures qui, bien qu’ayant un rapport avec le processus conduisant à une concentration, précèdent l’acquisition de la possibilité d’exercer une influence déterminante sur l’activité de l’entreprise cible et sont dissociables des mesures y menant effectivement.
e) L’application au cas de figure de la procédure au principal
79. Par sa deuxième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande à la Cour de prendre position sur les circonstances du litige dont elle est saisie.
80. Dans le cadre de la procédure de demande de décision préjudicielle, il appartient aux juridictions nationales, qui sont mieux placées que la Cour pour établir et apprécier l’ensemble des circonstances pertinentes, d’appliquer aux faits de l’espèce l’interprétation du droit de l’Union fournie par la Cour. La Cour est toutefois compétente pour fournir tous les éléments d’interprétation susceptibles de permettre à la juridiction de renvoi de statuer sur le litige dont elle est saisie ( 28 ).
81. Dans le litige en cause au principal, d’une part, l’accord de concentration lui-même était soumis à l’autorisation du conseil de la concurrence et ne devait pas être mis en œuvre avant que l’autorisation soit octroyée.
82. D’autre part, comme indiqué dans la demande de décision préjudicielle, la résiliation de l’accord de coopération entre KPMG DK et KPMG International n’était pas soumise à la même exigence d’autorisation et la dénonciation est intervenue avant de recevoir l’autorisation de procéder à la concentration.
83. La décision attaquée constatait que, en agissant de la sorte, KPMG DK avait violé l’obligation de suspension. Il apparaît donc, à tout le moins implicitement, que la KFST a considéré qu’il convenait de qualifier la résiliation de l’accord de coopération de réalisation partielle d’une concentration.
84. De toute évidence, je partage l’avis du gouvernement danois selon lequel les deux opérations mentionnées aux points 81 et 82 des présentes conclusions n’étaient pas autonomes mais liées entre elles. L’accord de concentration prévoyait que KPMG DK devait mettre fin à sa coopération avec KPMG International. La résiliation de l’accord de coopération était donc une condition préalable pour que la concentration prenne effet.
85. Toutefois, cela ne suffit pas. La résiliation n’a en rien contribué à un changement de contrôle entre KPMG DK et EY.
86. Bien qu’il puisse être soutenu, comme le fait le gouvernement danois, que la résiliation de l’accord de coopération faisait partie de la concentration, elle n’était pas inextricablement liée au transfert de contrôle, donnant à EY la possibilité d’exercer une influence déterminante sur l’activité de KPMG DK, au sens de l’article 3, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 ( 29 ). Cette résiliation a eu simplement pour effet que KPMG DK ne faisait plus partie du réseau de KPMG International, pour
revenir à un statut d’opérateur indépendant sur le marché des services de consultance. Bien que la résiliation ait eu certains effets sur le marché, cela ne signifie pas que KPMG DK cesserait d’être un concurrent de EY ( 30 ).
87. En effet, si un tel argumentaire devait être accepté, cela signifierait que toute mesure mise en œuvre par EY ou KPMG DK entre la signature de l’accord de concentration et l’octroi de l’autorisation par l’autorité de concurrence était susceptible d’être soumise à l’obligation de suspension. Or, pour les raisons indiquées au point 71 des présentes conclusions, la seule intention de réaliser une concentration ne déclenche pas l’obligation de suspension.
88. Par conséquent, je suis d’avis qu’une mesure préparatoire de ce type ne saurait être qualifiée de réalisation anticipée d’une concentration.
3. Sur les troisième et quatrième questions préjudicielles
89. Par ses troisième et quatrième questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le fait que la mesure qui constitue prétendument la mise en œuvre anticipée d’une concentration a produit des effets sur le marché est pertinent du point de vue de l’obligation de suspension et, si tel est le cas, quels critères il convient d’utiliser afin d’établir ces effets et quel niveau de preuve est exigé à cet égard de l’autorité de concurrence lorsqu’elle enquête sur un manquement allégué à cette
obligation.
90. La juridiction de renvoi pose ces questions parce que la décision attaquée indique que, bien qu’il ne soit pas en mesure de déterminer avec certitude si le fait que certains clients de KPMG DK ont recommandé un changement de cabinets d’audit à leur assemblée générale a eu pour cause la dénonciation de l’accord de coopération, la KFST a estimé qu’il suffisait de faire la démonstration que d’éventuels effets peuvent se produire sur le marché. Ernst & Young fait valoir en revanche que ces
recommandations ont été le fruit d’une pratique normale de grandes sociétés danoises dans le cadre du changement ou de la sélection de cabinets d’audit et que l’appréciation de la concentration par la KFST a eu lieu à une période de l’année durant laquelle il est habituel qu’un changement de cabinet d’audit intervienne.
91. Compte tenu de ma réponse aux deux premières questions et, en particulier, en ce qui concerne le critère lié aux éventuels effets sur le marché que la mesure en cause est susceptible de produire (voir points 53 à 56 des présentes conclusions), je suis d’avis que les éventuels effets d’une mesure sur le marché sont sans pertinence au regard de l’application de l’obligation de suspension. En revanche, cette obligation doit être respectée dès lors que, et dans la mesure où, il y a une concentration
atteignant le seuil applicable.
92. Si la Cour devait retenir une appréciation différente de la mienne, je me limiterais, à titre subsidiaire, aux observations succinctes suivantes.
93. La Cour a jugé que l’analyse prospective nécessaire en matière de contrôle des opérations de concentration, qui consiste à examiner en quoi une telle opération pourrait modifier les facteurs déterminant l’état de la concurrence sur un marché donné afin de vérifier s’il en résulterait une entrave significative à une concurrence effective, requiert d’imaginer les divers enchaînements de cause à effet, afin de retenir celui dont la probabilité est la plus forte.Cette exigence s’applique tant en ce
qui concerne les décisions autorisant une concentration qu’en ce qui concerne celles les interdisant ( 31 ).
94. Si la Cour devait ne pas partager mes conclusions et considérer que le critère relatif aux éventuels effets sur le marché est pertinent, nonobstant le fait qu’il se recoupe avec l’appréciation sur le fond de la compatibilité d’une concentration avec le marché commun, je ne vois aucune raison évidente pour laquelle le niveau de contrôle évoqué au point précédent ne devrait pas s’appliquer mutatis mutandis aux décisions constatant la réalisation d’une concentration. L’appréciation à effectuer
rappellerait celle des demandes d’octroi d’une dérogation à l’obligation de suspension prévue à l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 139/2004, qui exige notamment de prendre en compte la menace que la concentration peut présenter pour la concurrence.
95. Conformément aux règles habituelles en matière de charge de la preuve, il incombe à la Commission (ou à l’autorité de concurrence compétente) d’apporter la preuve de la violation alléguée ( 32 ). Cette autorité doit donc démontrer, en se fondant sur une appréciation des diverses hypothèses d’enchaînements de cause à effet, que l’hypothèse dans laquelle la mesure en cause est susceptible de donner lieu à une entrave significative à une concurrence effective est celle dont la probabilité est la
plus forte ( 33 ).
96. En ce qui concerne le type de preuve que peut produire la Commission (ou l’autorité de concurrence compétente), le principe qui prévaut en droit de l’Union est celui de la libre appréciation des preuves. Plus précisément, dès lors qu’un élément de preuve a été obtenu régulièrement, le seul critère pertinent pour apprécier sa force probante réside dans sa crédibilité ( 34 ) . À cet égard, il n’est pas exigé de recourir à un mode de preuve ou à un critère particuliers ( 35 ).
97. Il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si les autorités de concurrence danoises ont démontré, en se fondant sur une appréciation des différentes hypothèses d’enchaînements de cause à effet, que l’hypothèse dans laquelle la dénonciation de l’accord de coopération était susceptible de donner lieu à une entrave significative à une concurrence effective est celle dont la probabilité est la plus forte. Plus concrètement, cette hypothèse doit s’avérer davantage plausible que
l’argumentation défendue par Ernst & Young s’agissant du comportement habituel des grandes entreprises danoises.
IV. Conclusion
98. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Sø- og Handelsretten (tribunal des affaires maritimes et commerciales, Danemark) comme suit :
Il convient d’interpréter l’obligation de suspendre une concentration énoncée à l’article 7, paragraphe 1, du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (« le règlement CE sur les concentrations »), en ce sens qu’elle ne concerne pas les mesures qui, bien que prises en rapport avec le processus conduisant à une concentration, précèdent l’acquisition de la possibilité d’exercer une influence déterminante sur l’activité de
l’entreprise cible et sont dissociables des mesures y menant effectivement.
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( 1 ) Langue originale : l’anglais.
( 2 ) Règlement du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (« le règlement CE sur les concentrations ») (JO 2004, L 24, p. 1).
( 3 ) Lovbekendtgørelse nr. 869 af 8. Juli 2015 A (loi consolidée no 869 du 8 juillet 2015).
( 4 ) Arrêt du 18 octobre 1990, Dzodzi (C‑297/88 et C‑197/89, EU:C:1990:360, points 36 à 43). Voir également, notamment, arrêts du 17 juillet 1997, Leur-Bloem (C‑28/95, EU:C:1997:369, point 34) ; du 11 janvier 2001, Kofisa Italia (C‑1/99, EU:C:2001:10, point 32) ; du 14 décembre 2006, Confederación Española de Empresarios de Estaciones de Servicio (C‑217/05, EU:C:2006:784, point 19), et du 15 janvier 2002, Andersen og Jensen (C‑43/00, EU:C:2002:15, point 18).
( 5 ) Arrêt du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a. (C‑32/11, EU:C:2013:160, point 20 et jurisprudence citée).
( 6 ) Arrêt du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a. (C‑32/11, EU:C:2013:160, points 20 et 21).
( 7 ) Voir l’article 17 de la legge n. 287 ‑ Norme per la tutela della concorrenza e del mercato (Loi no 287 portant dispositions relatives à la protection de la concurrence sur le marché), du 10 octobre 1990 (GURI no 240, du 13 octobre 1990, p. 3).
( 8 ) Voir les articles 15 à 17 de la Konkurences likums (loi sur la concurrence), du 4 octobre 2001 (Latvijas Vēstnesis, 2001, no 151).
( 9 ) Voir la section 96(1) de l’Enterprise Act 2002 (loi sur les entreprises) et Competition and Markets Authority, Mergers : Guidance on the CMA’s jurisdiction and procedure, Royaume‑Uni, janvier 2014 [accessible en consultant le lien : https://www.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/384055/CMA2__Mergers__Guidance.pdf, (dernière consultation le 1er décembre 2017)], points 6.1 et 6.2, et note 298.
( 10 ) Voir l’article 7, paragraphes 1 et 2, du règlement (CEE) no 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO 1989, L 395, p. 1) (rectificatifs – republication texte intégral JO 1990, L 257, p. 13).
( 11 ) Arrêt du 6 juillet 2010, Aer Lingus Group/Commission (T‑411/07, EU:T:2010:281, points 62 et 65). Voir également arrêt du 12 décembre 2012, Electrabel/Commission (T‑332/09, EU:T:2012:672, point 42).
( 12 ) Arrêt du 12 décembre 2012, Electrabel/Commission (T–332/09, EU:T:2012:672, points 245 à 247). Pourvoi rejeté par arrêt du 3 juillet 2014, Electrabel/Commission, C-84/13 P, non publié, EU:C:2014:2040.
( 13 ) Le considérant 34 du règlement no 139/2004 est ainsi libellé : « Pour assurer un contrôle efficace, il y a lieu d’obliger les entreprises à notifier préalablement leurs concentrations qui ont une dimension communautaire après la conclusion de l’accord, l’annonce de l’offre publique d’achat ou d’échange ou l’acquisition d’une participation de contrôle. La notification devrait également être possible lorsque les entreprises concernées assurent la Commission de leur intention de conclure un
accord pour une proposition de concentration et lui apportent la preuve que leur projet relatif à cette concentration est suffisamment concret, en lui présentant par exemple un accord de principe, un protocole d’accord ou une lettre d’intention signée par toutes les entreprises concernées ou, dans le cas d’une offre publique d’achat ou d’échange, lorsqu’elles ont annoncé publiquement leur intention de faire une telle offre, à condition que l’accord ou l’offre envisagés aboutissent à une
concentration de dimension communautaire. La réalisation des concentrations devrait être suspendue jusqu’à l’adoption d’une décision finale. Le cas échéant, une dérogation à cette suspension pourrait toutefois être accordée, à la demande des entreprises concernées. Pour décider d’accorder ou non une dérogation, la Commission devrait prendre en compte l’ensemble des facteurs pertinents, comme la nature et la gravité du dommage causé aux entreprises concernées ou aux parties tierces et la menace que
présente la concentration pour la concurrence. Dans l’intérêt de la sécurité juridique, la validité des transactions doit néanmoins être protégée en tant que de besoin. »
( 14 ) Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 12 décembre 2012, Electrabel/Commission (T‑332/09, EU:T:2012:672), la Commission avait infligé une amende de 20 millions d’euros pour violation de l’obligation de suspension. Dans le cadre du pourvoi formé contre ce dernier arrêt, la Cour n’a pas examiné la question de l’existence d’une infraction ; voir arrêt du 3 juillet 2014, Electrabel/Commission (C–84/13 P, non publié, EU:C:2014:2040). Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 26 octobre
2017, Marine Harvest/Commission (T‑704/14, EU:T:2017:753, faisant l’objet d’un pourvoi pendant devant la Cour, affaire C–10/18 P), la Commission a imposé une amende de 10 millions d’euros à l’entreprise requérante pour infraction à cette obligation (amende qui s’ajoutait à une amende de 10 millions d’euros pour violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004).
( 15 ) En effet, ainsi que la Commission l’a relevé, un lien existe entre le caractère propre à la concentration d’un comportement et la question de savoir si, comme indiqué dans la dernière partie de la première question préjudicielle, la mesure de réalisation constitue un élément du changement effectif de contrôle ou de la fusion des activités exercées par les entreprises participantes. Ces éléments sont tous deux liés à la notion de « concentration », à laquelle je reviendrai ci-après.
( 16 ) Voir l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 139/2004.
( 17 ) À cet égard, le considérant 34 du règlement no 139/2004 précise que « [p]our décider d’accorder ou non une dérogation, la Commission devrait prendre en compte l’ensemble des facteurs pertinents, comme la nature et la gravité du dommage causé aux entreprises concernées ou aux parties tierces et la menace que présente la concentration pour la concurrence. Dans l’intérêt de la sécurité juridique, la validité des transactions doit néanmoins être protégée en tant que de besoin » (je souligne).
( 18 ) Voir également, en ce sens, arrêt du 26 octobre 2017, Marine Harvest/Commission (T‑704/14, EU:T:2017:753, point 58 et jurisprudence citée).
( 19 ) Toutes les parties participant à la procédure orale ont semblé converger sur le fait que de telles mesures internes préparatoires échappent à la portée de l’obligation de suspension.
( 20 ) Voir, en ce qui concerne l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 4064/89, arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission (T‑282/02, EU:T:2006:64, point 109). Par son arrêt du 18 décembre 2007, Cementbouw Handel & Industrie/Commission (C‑202/06 P, EU:C:2007:814), la Cour a rejeté le pourvoi formé contre ce dernier arrêt du Tribunal, mais elle ne s’est pas prononcée sur cette conclusion du Tribunal (voir point 44).
( 21 ) Il convient en outre de mentionner le considérant 20 du règlement no 139/2004, aux termes duquel « [i]l convient […] de traiter comme une concentration unique des opérations qui sont étroitement liées en ce qu’elles font l’objet d’un lien conditionnel ou prennent la forme d’une série de transactions sur titres effectuées dans un délai raisonnablement bref ».
( 22 ) Voir arrêt du 26 octobre 2017, Marine Harvest/Commission (T‑704/14, EU:T:2017:753, point 126).
( 23 ) Arrêt du 6 juillet 2010, Aer Lingus Group/Commission (T‑411/07, EU:T:2010:281, point 83).
( 24 ) Il convient de faire également référence à l’ordonnance du 18 mars 2008, Aer Lingus Group/Commission (T‑411/07 R, EU:T:2008:80), concernant la demande de référé introduite dans la même affaire, au point 94 de laquelle il est estimé que « même s’il convenait d’interpréter l’article 7, paragraphe 1, du règlement [no 139/2004] en ce sens qu’il interdit uniquement un changement du contrôle dans l’attente de l’examen de la Commission, et non les mesures non assimilables à un changement du contrôle
[…], il demeurerait légitime pour la Commission […] de demander aux parties de ne prendre aucune mesure susceptible d’amener un changement du contrôle ».
( 25 ) Contrairement aux mentions de ces termes figurant, par exemple, à l’article 6, paragraphe 2, à l’article 8, paragraphes 1 et 2, à l’article 9, paragraphe 1, à l’article 10, paragraphes 2 et 3, et à l’article 11, paragraphe 5, du règlement no 139/2004.
( 26 ) Voir, à cet égard, Modrall, J. R., et Ciullo, S., « Gun-Jumping and EU Merger Control », European Competition Law Review, issue 9, Sweet & Maxwell, 2003, p. 424, à la page 429 (je ne prends pas position sur les différentes hypothèses mentionnées dans cet article).
( 27 ) Arrêt du 12 décembre 2012, Electrabel/Commission (T–332/09, EU:T:2012:672, points 246, 247 et 280).
( 28 ) Voir, en ce sens, arrêt du 5 juin 2014, I (C–255/13, EU:C:2014:1291, point 55 et jurisprudence citée).
( 29 ) Le représentant de Ernst & Young a en réalité soutenu lors de l’audience que KPMG DK n’avait d’autre choix que de dénoncer l’accord de coopération, étant donné que, dans le cas contraire, KPMG International aurait pu y mettre fin avec effet immédiat pour des motifs de pratique déloyale.
( 30 ) Le litige en l’espèce diffère donc sensiblement de celui en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 26 octobre 2017, Marine Harvest/Commission (T‑704/14, EU:T:2017:753), dans laquelle la Commission et le Tribunal ont considéré que c’était l’acquisition initiale de 48,5 % des actions de la société cible qui avait donné lieu à elle seule, de fait, à un changement de contrôle, plutôt qu’une offre publique ultérieure ayant permis au requérant d’obtenir 87,1 % des actions de la société
cible.
( 31 ) Arrêt du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala (C‑413/06 P, EU:C:2008:392, points 46 à 49).
( 32 ) Voir, par exemple, article 2 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (JO 2003, L 1, p. 1).
( 33 ) Voir, en ce sens, arrêt du 15 février 2005, Commission/Tetra Laval (C–12/03 P, EU:C:2005:87, point 43).
( 34 ) Voir, en ce sens, ordonnance du 12 juillet 2016, Pérez Gutiérrez/Commission (C‑604/15 P, non publiée, EU:C:2016:545, point 38 et jurisprudence citée).
( 35 ) Voir, par analogie, arrêt du 6 octobre 2015, Post Danmark (C–23/14, EU:C:2015:651, point 57).