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28/02/2018 | CJUE | N°C-15/17

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Bosphorus Queen Shipping Ltd Corp. contre Rajavartiolaitos., 28/02/2018, C-15/17


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NILS WAHL

présentées le 28 février 2018 ( 1 )

Affaire C‑15/17

Bosphorus Queen Shipping Ltd Corp.

contre

Rajavartiolaitos

[demande de décision préjudicielle formée par le Korkein oikeus (Cour suprême, Finlande)]

« Convention des Nations unies sur le droit de la mer – Article 220, paragraphe 6 – Pouvoirs de l’État côtier – Compétence de la Cour pour interpréter des dispositions du droit international – Directive 2005/35/CE – Pollution causée

par les navires – Article 7, paragraphe 2 – Convention Marpol 73/78 – Rejet d’hydrocarbures par un navire étranger en transit dans la zo...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NILS WAHL

présentées le 28 février 2018 ( 1 )

Affaire C‑15/17

Bosphorus Queen Shipping Ltd Corp.

contre

Rajavartiolaitos

[demande de décision préjudicielle formée par le Korkein oikeus (Cour suprême, Finlande)]

« Convention des Nations unies sur le droit de la mer – Article 220, paragraphe 6 – Pouvoirs de l’État côtier – Compétence de la Cour pour interpréter des dispositions du droit international – Directive 2005/35/CE – Pollution causée par les navires – Article 7, paragraphe 2 – Convention Marpol 73/78 – Rejet d’hydrocarbures par un navire étranger en transit dans la zone économique exclusive – Circonstances dans lesquelles l’État côtier peut intenter une action contre un navire étranger – Liberté de
navigation – Protection de l’environnement marin – Proximité – Dommages importants ou risque de dommages importants causés au littoral, aux intérêts connexes ou à toutes ressources de la mer territoriale ou de la zone économique exclusive – Preuve manifeste »

1.  La présente demande de décision préjudicielle concerne, en particulier, la manière dont il convient d’interpréter l’article 220, paragraphe 6, de la convention des Nations unies sur le droit de la mer (ci-après la « convention sur le droit de la mer ») ( 2 ) et l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2005/35/CE ( 3 ), relative à la pollution causée par les navires, une disposition qui reprend le contenu de l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer. Plus précisément,
la juridiction de renvoi demande à la Cour de l’éclairer sur les circonstances dans lesquelles un État côtier peut intenter une action contre un navire étranger qui est à l’origine d’un rejet d’hydrocarbures dans la zone économique exclusive (ci-après la « ZEE ») de cet État côtier.

2.  La présente affaire soulève une question de principe importante qui touche au cœur même de l’interprétation de principes généralement reconnus du droit de la mer. Plus précisément, lorsqu’elle répondra aux questions qui lui sont posées, la Cour aura l’occasion de clarifier, pour la première fois ( 4 ), dans quelles circonstances l’État côtier peut, en droit de l’Union, exercer sa compétence dans sa ZEE à l’encontre d’un navire étranger afin de protéger le milieu marin sans interférer indûment
avec la liberté de navigation.

I. Le cadre juridique

A.   Le droit international

1. La convention de 1969

3. La convention internationale sur l’intervention en haute mer en cas d’accident entraînant ou pouvant entraîner une pollution par les hydrocarbures a été conclue à Bruxelles le 29 novembre 1969 (ci‑après la « convention de 1969 »). Le Panama et la Finlande sont parties à cette convention, tandis que l’Union européenne et plusieurs de ses États membres ne le sont pas.

4. Conformément à l’article I, paragraphe 1, de la convention de 1969, les parties à cette convention « peuvent prendre en haute mer les mesures nécessaires pour prévenir, atténuer ou éliminer les dangers graves et imminents que présentent pour leurs côtes ou intérêts connexes une pollution ou une menace de pollution des eaux de la mer par les hydrocarbures à la suite d’un accident de la mer ou des actions afférentes à un tel accident, susceptibles selon toute vraisemblance d’avoir des conséquences
dommageables très importantes ».

5. L’article II, paragraphe 4, de cette convention, définit les termes « intérêts connexes » comme les « intérêts d’un État riverain directement affectés ou menacés par l’accident de mer et qui ont trait notamment : a) aux activités maritimes, côtières, portuaires, ou d’estuaires y compris aux activités de pêcheries, constituant un moyen d’existence essentiel pour les intéressés ; b) à l’attrait touristique de la région considérée ; c) à la santé des populations riveraines et au bien‑être de la
région considérée, y compris la conservation des ressources biologiques marines, de la faune et de la flore ».

2. La convention Marpol 73/78

6. La convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires a été signée à Londres le 2 novembre 1973 et complétée par le protocole du 17 février 1978 (ci-après la « convention Marpol 73/78 »). Cette convention met en place des règles destinées à réduire au minimum la pollution dans l’environnement marin. Tous les États membres sont partis à la convention Marpol 73/78, mais pas l’Union européenne.

7. Conformément à l’article 4, paragraphe 2, de la convention Marpol 73/78, toute violation des dispositions de la convention est interdite et sera sanctionnée. Cette disposition précise également que, chaque fois qu’une telle infraction se produit, une partie à la convention doit soit engager des poursuites conformément à sa législation, soit fournir à l’État du pavillon les informations et preuves qui peuvent être en sa possession pour démontrer qu’il y a eu infraction.

8. L’annexe I de la convention prévoit des règles relatives à la prévention de la pollution par les hydrocarbures. La règle 1 du chapitre I de l’annexe I (« Règles relatives à la prévention de la pollution par les hydrocarbures ») définit, aux fins de cette annexe, la mer Baltique comme une zone spéciale. Dans une telle zone, pour des raisons techniques dues à sa situation océanographique et écologique ainsi qu’à son trafic maritime, des méthodes obligatoires particulières pour prévenir la pollution
des mers par les hydrocarbures doivent être adoptées. Au titre de la convention Marpol 73/78, les zones spéciales bénéficient d’un niveau de protection plus élevé que les autres zones maritimes.

9. La règle 15, point A, de la partie C du chapitre 3 de l’annexe I de la convention Marpol 73/78 concerne le contrôle des rejets d’hydrocarbures. Elle prévoit, en substance, que tout rejet d’effluent dont la teneur en hydrocarbures dépasse 15 parts par millions (ppm) est interdit pour les navires d’une jauge brute égale ou supérieure à 400. La règle 15, point B, de la partie C du chapitre 3 de l’annexe I, reproduit, en substance, cette règle en ce qui concerne les zones spéciales.

3. La convention sur le droit de la mer

10. Comme tous les États membres, l’Union européenne est signataire de la convention sur le droit de la mer.

11. Il est expliqué, à l’article 1er de la convention sur le droit de la mer que, aux fins de la convention :

« 1)   on entend par “zone” les fonds marins et leur sous-sol au-delà des limites de la juridiction nationale ;

[…]

4)   on entend par “pollution du milieu marin” l’introduction directe ou indirecte, par l’homme, de substances ou d’énergie dans le milieu marin, y compris les estuaires, lorsqu’elle a ou peut avoir des effets nuisibles tels que dommages aux ressources biologiques et à la faune et la flore marines, risques pour la santé de l’homme, entrave aux activités maritimes, y compris la pêche et les autres utilisations légitimes de la mer, altération de la qualité de l’eau de mer du point de vue de son
utilisation et dégradation des valeurs d’agrément ;

[…] »

12. L’article 56 de ladite convention énonce la règle qui régit la compétence de l’État côtier dans la ZEE. Cette disposition est libellée comme suit :

« 1.   Dans la [ZEE], l’État côtier a :

a) des droits souverains aux fins d’exploration et d’exploitation, de conservation et de gestion des ressources naturelles, biologiques ou non biologiques, des eaux surjacentes aux fonds marins, des fonds marins et de leur sous-sol, ainsi qu’en ce qui concerne d’autres activités tendant à l’exploration et à l’exploitation de la zone à des fins économiques, telles que la production d’énergie à partir de l’eau, des courants et des vents ;

b) juridiction, conformément aux dispositions pertinentes de la convention, en ce qui concerne :

[…]

iii) la protection et la préservation du milieu marin ;

[…]«

13. Les droits et obligations des autres États dans la ZEE sont énoncés à l’article 58 de la convention. En vertu de cette disposition, lorsqu’ils exercent leurs droits dans la ZEE, les autres États doivent s’assurer qu’ils respectent la convention, tenir dûment compte des droits et des obligations de l’État côtier et respecter les lois et règlements adoptés par celui-ci conformément aux dispositions de la convention sur le droit de la mer et aux autres règles du droit international.

14. La partie XII de la convention sur le droit de la mer est consacrée à la protection et à la préservation du milieu marin.

15. Conformément à son article 192, les États ont l’obligation de protéger et de préserver le milieu marin.

16. Aux termes de son article 217, l’État du pavillon doit veiller à ce que les règles et normes visant à prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin par les navires soient effectivement appliqués, quel que soit le lieu de l’infraction.

17. L’article 220, relatifs aux pouvoirs de l’État côtier, figure dans cette partie de la convention.

18. L’article 220, paragraphes 3 à 6, énonce les règles de compétence en vertu desquelles l’État côtier peut prendre des mesures d’exécution contre un navire qui a commis une infraction aux règles et normes internationales relatives à la pollution par les navires dans sa ZEE. Ces paragraphes sont libellés comme suit :

« 3.   Lorsqu’un État a de sérieuses raisons de penser qu’un navire naviguant dans sa [ZEE] ou sa mer territoriale a commis, dans la [ZEE], une infraction aux règles et normes internationales applicables visant à prévenir, réduire et maîtriser la pollution par les navires ou aux lois et règlements qu’il a adoptés conformément à ces règles et normes internationales et leur donnant effet, cet État peut demander au navire de fournir des renseignements concernant son identité et son port
d’immatriculation, son dernier et son prochain port d’escale et autres renseignements pertinents requis pour établir si une infraction a été commise.

4.   Les États adoptent les lois et règlements et prennent les mesures nécessaires pour que les navires battant leur pavillon fassent droit aux demandes de renseignements visées au paragraphe 3.

5.   Lorsqu’un État a de sérieuses raisons de penser qu’un navire naviguant dans sa [ZEE] ou sa mer territoriale a commis, dans la [ZEE], une infraction visée au paragraphe 3 entraînant des rejets importants dans le milieu marin qui ont causé ou risquent d’y causer une pollution notable, il peut procéder à l’inspection matérielle du navire pour déterminer s’il y a eu infraction, si le navire a refusé de donner des renseignements ou si les renseignements fournis sont en contradiction flagrante
avec les faits, et si les circonstances de l’affaire justifient cette inspection.

6.   Lorsqu’il y a preuve manifeste qu’un navire naviguant dans la [ZEE] ou la mer territoriale d’un État a commis, dans la [ZEE], une infraction visée au paragraphe 3 ayant entraîné des rejets qui ont causé ou risquent de causer des dommages importants au littoral ou aux intérêts connexes de l’État côtier ou à toutes ressources de sa mer territoriale ou de sa [ZEE], cet État peut, sous réserve de la section 7, si les éléments de preuve le justifient, intenter une action, notamment ordonner
l’immobilisation du navire conformément à son droit interne. »

B.   Le droit de l’Union

19. La directive 2005/35 concerne la pollution causée par les navires et les mesures adéquates à adopter par les États membres pour lutter contre cette pollution.

20. En particulier, il ressort des considérants 2 et 3 que ladite directive vise à améliorer la mise en œuvre de la convention Marpol 73/78 en harmonisant cette mise en œuvre au niveau de l’Union. La nécessité d’une harmonisation a été considérée comme particulièrement urgente car, d’une part, les règles prévues par la convention Marpol 73/78 sont quotidiennement ignorées par un très grand nombre de navires naviguant dans les eaux communautaires, sans qu’aucune mesure ne soit prise pour corriger cet
état de fait. D’autre part, avant l’adoption de cette directive, les pratiques des États membres concernant l’imposition de sanctions pour les rejets de substances polluantes par les navires variaient fortement.

21. L’objet de la directive 2005/35 est défini à son article 1er. Il dispose :

« 1.   La présente directive a pour objet d’incorporer dans le droit [de l’Union] les normes internationales relatives à la pollution causée par les navires et de faire en sorte que les personnes responsables de rejets de substance polluantes fassent l’objet de sanctions appropriées, y compris de sanctions pénales, le but étant d’améliorer la sécurité maritime et de renforcer la protection de l’environnement marin contre la pollution par les navires.

2.   La présente directive ne fait pas obstacle à l’adoption par les États membres de mesures plus strictes, conformes au droit international, contre la pollution causée par les navires. »

22. Selon l’article 3, paragraphe 1, de ladite directive :

« La présente directive s’applique, conformément au droit international, aux rejets de substances polluantes dans :

[…]

b) les eaux territoriales d’un État membre ;

c) les détroits utilisés pour la navigation internationale soumis au régime du passage en transit, conformément à la partie III, section 2, de la convention [sur le droit de la mer], dans la mesure où un État membre exerce une juridiction sur ces détroits ;

d) la [ZEE] ou une zone équivalente, d’un État membre, établie conformément au droit international, et

e) la haute mer. »

23. L’article 7 de la directive 2005/35 régit les mesures d’exécution par les États riverains à l’égard des navires en transit. Il dispose ce qui suit :

« 1   Si le rejet de substances polluantes présumé a lieu dans les zones visées à l’article 3, paragraphe 1, points b), c), d) ou e), et si le navire qui est soupçonné de l’avoir effectué ne fait pas escale dans un port de l’État membre qui détient les informations relatives au rejet présumé, les dispositions suivantes s’appliquent :

a) si la prochaine escale du navire a lieu dans un autre État membre, les États membres concernés coopèrent étroitement à l’inspection visée à l’article 6, paragraphe 1, et à la prise de décision concernant les mesures appropriées pour le rejet en question ;

b) si la prochaine escale du navire a lieu dans un port d’un État non membre de [l’Union], l’État membre prend les mesures nécessaires pour que le prochain port d’escale du navire soit informé du rejet présumé et demande que l’État de la prochaine escale prenne les mesures appropriées en ce qui concerne le rejet en question.

2.   Lorsqu’il existe une preuve manifeste et objective qu’un navire naviguant dans les zones visées à l’article 3, paragraphe 1, points b) ou d), a commis, dans la zone visée à l’article 3, paragraphe 1, point d), une infraction ayant entraîné des rejets qui ont causé ou risquent de causer des dommages importants au littoral ou aux intérêts connexes de l’État membre concerné ou à toutes ressources dans les zones visées à l’article 3, paragraphe 1, points b) ou d), cet État, sous réserve de la
partie XII, section 7, de la convention [sur le droit de la mer], et si les éléments de preuve le justifient, saisit ses autorités compétentes en vue d’intenter une action, comportant entre autres l’immobilisation du navire, conformément à son droit interne.

3.   En tout état de cause, les autorités de l’État du pavillon du navire sont informées. »

C.   Le droit finlandais

24. Le chapitre 3, article 1er, de la Merenkulun ympäristönsuojelulaki (loi relative à la protection de l’environnement dans le cadre de la navigation maritime) (1672/2009) dispose :

« La violation, dans les eaux territoriales ou dans la [ZEE] de la Finlande, de l’interdiction, visée ci-dessus au chapitre 2, article 1er, de rejeter des hydrocarbures ou des mélanges d’hydrocarbures donne lieu à une amende (amende pour le rejet d’hydrocarbures), si le rejet ne doit pas être considéré comme négligeable du point de vue de sa quantité et de ses conséquences. Une amende pour le rejet d’hydrocarbures n’est cependant infligée à un navire étranger en transit pour avoir violé
l’interdiction de rejet dans la [ZEE] de la Finlande que dans l’hypothèse où le rejet cause ou risque de causer des dommages importants au littoral ou aux intérêts connexes de la Finlande ou à toutes ressources dans les eaux territoriales ou dans la [ZEE] de la Finlande. »

II. Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et les questions préjudicielles

25. Le Bosphorus Queen est un navire à cargaison sèche enregistré au Panama. Selon le Rajavartiolaitos (service de protection des frontières, Finlande ; ci-après l’« autorité compétente »), ce navire aurait, le 11 juillet 2011, rejeté des hydrocarbures à la mer, alors qu’il était en transit dans la ZEE de la Finlande.

26. Le rejet est intervenu au bord extérieur de la ZEE de la Finlande, à une distance d’environ 25 à 30 km de la côte finlandaise. Les hydrocarbures rejetés se sont répandus sur une bande d’une longueur d’environ 37 km et d’une largeur approximative de 10 m. La surface totale couverte par les rejets a été évaluée à environ 0,222 km2 et son volume à 0,898 – 9,050 m3.

27. Aucune mesure de lutte contre le rejet d’hydrocarbures n’a été adoptée. Il n’y a eu aucun signalement d’hydrocarbures ayant atteint le littoral et il n’a pas été démontré que le rejet d’hydrocarbures avait causé un dommage concret.

28. Lorsque le Bosphorus Queen est revenu de Saint-Pétersbourg, en Russie, en passant par la ZEE finlandaise, l’autorité compétente a, par décision du 23 juillet 2011, ordonné le paiement d’une caution de 17112 euros par le propriétaire du navire, la société Bosphorus Queen Shipping Ltd Corp. (ci-après la « société Bosphorus »), afin de couvrir une éventuelle obligation de paiement relative à l’amende pour le rejet d’hydrocarbures. Le navire a pu repartir après avoir payé la caution le 25 juillet
2011.

29. Le 26 juillet 2011, le Suomen ympäristökeskus (Institut finlandais de l’environnement) a rendu son avis à l’autorité compétente concernant les risques générés par le rejet d’hydrocarbures. Les conséquences au niveau de l’environnement du rejet d’hydrocarbures ont été appréciées à partir de l’étendue minimale estimée du rejet. Selon cet avis :

– les hydrocarbures ont été du moins partiellement susceptibles d’atteindre les régions côtières de la Finlande. Lorsqu’ils ont atteint la région côtière, les hydrocarbures ont gêné l’utilisation de celle-ci à des fins récréatives ;

– une partie des hydrocarbures a continué à produire ses effets en haute mer dans le voisinage de la zone de rejet ;

– le rejet a nui à une évolution favorable de l’état de l’environnement en mer Baltique ;

– le rejet a mis en danger les oiseaux qui se nourrissent et se reposent en haute mer ;

– les hydrocarbures ont endommagé le phytoplancton et le zooplancton. Les composants des hydrocarbures ont progressé par le biais de la chaîne alimentaire ;

– les épinoches des eaux de surface en haute mer ont vraisemblablement directement souffert du rejet d’hydrocarbures, dont on ne peut pas exclure qu’il aura des conséquences négatives à court terme au niveau des ressource halieutiques ;

– dans cette zone, il y avait une forte sédimentation et il était vraisemblable qu’une partie des composants des hydrocarbures atteindrait les fonds marins et porterait préjudice à la faune de ceux‑ci ;

– à proximité de la zone de rejet se trouvaient plusieurs zones naturelles de grande valeur faisant partie du réseau Natura 2000 ;

– le moment auquel est survenu le rejet d’hydrocarbures était particulièrement défavorable pour les oiseaux marins, étant donné que ceux-ci avaient encore des oisillons incapables de voler, vivant en grandes colonies dans la zone maritime allant des îles les plus éloignées de la péninsule de Hanko jusqu’à l’archipel finlandais, et que les jeunes des eiders à duvet circulaient loin de la côte ;

– au moment où le rejet d’hydrocarbures s’est produit, il y avait, dans la zone qui se trouve devant la péninsule de Hanko, des dizaines de milliers d’eider à duvet. Le rejet a créé un risque important pour les oiseaux marins de la côte finlandaise.

30. Le 16 septembre 2011, l’autorité compétente a infligé une amende de 17112 euros pour le rejet d’hydrocarbures à la société Bosphorus. Sur la base de l’avis d’expert, cette autorité a estimé que le rejet avait causé ou risquait de causer des dommages importants au littoral ou aux intérêts connexes de la Finlande ou à toutes ressources dans les eaux territoriales ou la ZEE de la Finlande.

31. La société Bosphorus a ensuite introduit un recours devant le Helsingin käräjäoikeus (tribunal de première instance de Helsinki, Finlande) statuant en tant que tribunal maritime. Elle a demandé l’annulation des décisions fixant une caution et infligeant une amende pour le rejet d’hydrocarbures.

32. Dans un jugement du 30 janvier 2012, le tribunal maritime a estimé qu’il était établi que le Bosphorus Queen avait rejeté dans la mer un volume minimum d’environ 900 litres d’hydrocarbures. À la lumière de l’évaluation des conséquences au niveau environnemental, le tribunal maritime a estimé que le rejet d’hydrocarbures risquait de causer des dommages importants au sens du chapitre 3, article 1er, de la loi relative à la protection de l’environnement dans le cadre de la navigation maritime. Pour
ces raisons, le tribunal maritime a rejeté le recours.

33. Par décision du 18 novembre 2014, le Helsingin hovioikeus (cour d’appel de Helsinki, Finlande) a rejeté le recours déposé contre la décision du tribunal maritime.

34. La société Bosphorus a alors formé un pourvoi devant la juridiction de renvoi lui demandant d’annuler la décision du Helsingin hovioikeus (cour d’appel de Helsinki), la décision du tribunal maritime, ainsi que les décisions relatives à la mesure conservatoire et à l’amende pour le rejet d’hydrocarbures, et de supprimer l’amende pour le rejet d’hydrocarbures.

35. Nourrissant des doutes quant à l’interprétation correcte des dispositions pertinentes de la convention sur le droit de la mer et de la directive 2005/35, le Korkein oikeus (Cour suprême, Finlande) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Convient-il d’interpréter les termes “littoral ou les intérêts connexes” figurant à l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer et à l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2005/35, conformément à la définition des termes “intérêts connexes” figurant à l’article II, paragraphe 4, de la [convention de 1969] ?

2) Conformément à la définition figurant à l’article II, paragraphe 4, sous c), de la [convention de 1969], visée dans la première question préjudicielle, les termes “intérêts connexes” visent notamment le bien‑être de la région considérée, y compris la conservation des ressources biologiques marines, de la faune et de la flore. La disposition précitée vise-t-elle également la conservation des ressources biologiques, de la faune et de la flore de la [ZEE] ou ne concerne-t-elle que la
conservation des intérêts de la région côtière ?

3) En cas de réponse négative à la première question préjudicielle, que convient-il d’entendre par les termes “littoral ou les intérêts connexes” figurant à l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer et à l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2005/35 ?

4) Que signifient les termes “ressources de sa mer territoriale ou de sa [ZEE]” figurant à l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer, ainsi que les termes “ressources dans [les eaux territoriales ou dans la zone économique exclusive de] cet État” figurant à l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2005/35 ? La notion de “ressources biologiques” vise-t-elle uniquement les espèces exploitées ou vise-t-elle également les espèces associées aux espèces exploitées ou
dépendant de celles-ci, visées à l’article 61, paragraphe 4, de la convention sur le droit de la mer, comme les espèces de faune et de flore dont se nourrissent les espèces exploitées ?

5) Comment convient-il d’interpréter les termes “risquent de causer” figurant à l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer et dans la directive 2005/35 ? La nature de ce risque peut-elle être déterminée à partir de la notion de “risque abstrait” ou de la notion de “risque concret” ou bien par le biais d’une autre méthode ?

6) Convient-il, lors de l’appréciation des conditions de la compétence de l’État côtier/riverain, figurant à l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer et à l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2005/35, de supposer que des dommages importants qui ont été ou risquent d’être causés constituent des conséquences plus graves qu’une pollution notable du milieu marin, qui a été ou risque d’être causée, au sens de l’article 220, paragraphe 5, de la convention sur le droit
de la mer ? Comment convient-il de définir la pollution notable du milieu marin et comment convient-il d’en tenir compte lors de l’appréciation des dommages importants qui ont été ou risquent d’être causés ?

7) Quels sont les éléments devant être pris en compte lors de l’appréciation de l’importance des dommages qui ont été causés ou qui risquent d’être causés ? Lors de cette appréciation, convient-il d’accorder de l’importance, par exemple, à la durée et à l’étendue géographique des effets préjudiciables qui se manifestent sous forme de dommages ? En cas de réponse affirmative à cette question, comment convient-il d’apprécier la durée et l’étendue des dommages ?

8) La directive 2005/35 met en place des normes minimales et ne fait pas obstacle à l’adoption, par les États membres, de mesures plus strictes, conformes au droit international, contre la pollution causée par les navires [article 1er, paragraphe 2]. La possibilité d’appliquer des dispositions plus strictes vise-t-elle également l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2005/35, qui régit la compétence de l’État riverain pour intervenir contre un navire en transit ?

9) Lors de l’interprétation des conditions de la compétence de l’État côtier/riverain, définies à l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer et à l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2005/35, convient‑il d’attacher de l’importance aux conditions géographiques et écologiques particulières et à la vulnérabilité de la zone de la mer Baltique ?

10) Faut-il considérer que les termes “preuve manifeste” figurant à l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer, ainsi que les termes “preuve manifeste et objective” figurant à l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2005/35 visent non seulement la preuve relative à la commission, par le navire, des infractions visées dans les dispositions précitées, mais également la preuve des conséquences du rejet ? Quel type de preuve convient-il d’exiger pour démontrer
l’existence du risque que des dommages importants soient causés au littoral ou aux intérêts connexes ou à toutes ressources de la mer territoriale ou de la [ZEE], c’est-à-dire par exemple aux oiseaux, aux poissons et à l’environnement marin de la zone ? L’exigence d’une preuve manifeste/preuve manifeste et objective signifie-t-elle que, par exemple, l’appréciation des conséquences préjudiciables du rejet d’hydrocarbures doit toujours être fondée sur des études et des recherches concrètes
portant sur les conséquences du rejet d’hydrocarbures qui a eu lieu ? »

36. Des observations écrites ont été présentées par les gouvernements finlandais, belge, grec, français et néerlandais, ainsi que par la Commission européenne. Presque comme pour commémorer les 100 ans de la Finlande en tant que nation maritime à part entière, la société Bosphorus, les gouvernements finlandais, français et néerlandais, ainsi que la Commission, ont présenté des observations orales lors d’une audience qui s’est déroulée le 6 décembre 2017.

III. Analyse

37. La juridiction de renvoi a posé de nombreuses questions à la Cour concernant, notamment, l’interprétation correcte, en droit de l’Union, de l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer (et, par extension, de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2005/35). Bien que les questions posées abordent cette problématique sous divers angles, elles concernent en substance deux questions liées portant sur les circonstances dans lesquelles l’État côtier peut exercer sa
compétence dans la ZEE, à savoir les intérêts relevant de la compétence de l’État côtier et les preuves nécessaires pour justifier l’adoption de mesures d’exécution contre un navire en transit.

38. Après quelques observations liminaires, j’examinerai les questions posées par la juridiction de renvoi par thèmes : 1) les intérêts relevant de la compétence de l’État côtier dans la ZEE au titre de l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer et de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2005/35 (première, deuxième, troisième et quatrième questions) ; 2) la preuve exigée au titre de l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer, et de
l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2005/35 justifiant que l’État côtier intente une action contre un navire étranger (cinquième, sixième, septième, neuvième et dixième questions), et 3) le pouvoir d’appréciation dont disposent les États membres au titre de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2005/35 (huitième question).

A.   Observations liminaires

39. Afin de mieux comprendre les problématiques qui sous-tendent la présente demande de décision préjudicielle, j’estime qu’il est utile de débuter mon analyse par plusieurs propos introductifs. En premier lieu, en gardant à l’esprit que cette demande de décision préjudicielle aborde différents accords internationaux conclus dans le domaine du droit de la mer, je commencerai par rappeler les principes qui régissent la compétence de la Cour, dans le cadre de la procédure préjudicielle, pour
interpréter des dispositions du droit international. Ensuite, je présenterai la structure juridique régissant la répartition des compétences entre l’État du pavillon et l’État côtier dans le cadre du droit de la mer. Dans ce contexte, j’expliquerai, notamment, comment la convention sur le droit de la mer aborde la nécessaire mise en balance de la liberté de navigation avec la protection du milieu marin.

1. La compétence de la Cour pour interpréter des dispositions du droit international

40. La juridiction de renvoi a identifié trois ensembles de règles de droit international qui sont pertinentes dans l’affaire au principal. Il s’agit de la convention sur le droit de la mer, de la convention Marpol 73/78 et de la convention de 1969. Chacune de ces conventions bénéficie, en droit de l’Union, d’un statut différent.

41. Premièrement, il est constant entre les parties que la Cour est compétente pour interpréter les dispositions de la convention sur le droit de la mer. Selon une jurisprudence bien établie, la Cour est compétente pour interpréter des dispositions du droit international qui font partie de l’ordre juridique de l’Union ( 5 ). Dès lors que l’Union européenne a adhéré à la convention sur le droit de la mer, cette convention fait partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union. Partant, la Cour est
compétente pour interpréter les dispositions de cette convention.

42. Deuxièmement, en ce qui concerne la convention Marpol 73/78, tous les États membres de l’Union européenne sont liés par cette convention, tandis que l’Union européenne ne l’est pas. C’est précisément parce que les États membres sont liés par cette convention que la Cour a accepté que la convention Marpol 73/78 soit prise en considération lors de l’interprétation, d’une part, de la convention sur le droit de la mer et, d’autre part, des dispositions du droit dérivé qui relèvent de la convention
Marpol 73/78. C’est tout particulièrement le cas de la directive 2005/35 ( 6 ).

43. Troisièmement, ni l’Union européenne ni l’ensemble de ses États membres ne sont liés par la convention de 1969. Les parties ayant déposé des observations écrites ont présenté des points de vue divergents concernant l’étendue de la compétence de la Cour pour interpréter les dispositions de cette convention. Alors que les gouvernements belge et français semblent soutenir que la Cour est compétente pour interpréter les dispositions de cette convention, la Commission, ainsi que les gouvernements
finlandais et néerlandais, considèrent quant à eux qu’une telle interprétation ne relèverait pas de la compétence de la Cour. Interrogée sur ce point lors de l’audience, la Commission a nuancé sa position : elle a admis que la convention de 1969 pouvait en effet servir de source d’inspiration pour la Cour lorsque celle-ci interprète l’article 220 de la convention sur le droit de la mer.

44. Il me semble que toutes les parties qui ont examiné cette question ont raison.

45. D’une part, la Cour n’est, en principe, pas compétente pour interpréter, d’une manière qui fait autorité, dans le cadre d’une procédure préjudicielle, des accords internationaux conclus entre des États membres et des États tiers. Ce point de vue est confirmé par la jurisprudence de la Cour dans ce domaine ( 7 ). En effet, sans préjudice du cas particulier de conventions telles que la convention Marpol 73/78 mentionnée ci-dessus, et de la situation dans laquelle l’Union européenne a assumé des
compétences précédemment exercées par les États membres dans le domaine d’application de l’accord international concerné ( 8 ), la compétence interprétative de la Cour s’étend uniquement aux règles qui font partie de l’ordre juridique de l’Union.

46. Ce principe a été réaffirmé dans l’arrêt Manzi ( 9 ), à l’égard d’un protocole postérieur à la convention Marpol 73/78 auquel certains États membres n’avaient pas adhéré. Dans cette affaire, la Cour a jugé que des dispositions du droit dérivé ne pouvaient pas être interprétées au regard d’une obligation imposée par un accord international qui ne lie pas tous les États membres. En effet, s’il en était autrement, la portée de cette obligation serait étendue à ceux des États membres qui ne sont pas
parties contractantes à un tel accord ( 10 ).

47. Si un tel résultat était susceptible de se produire, en pratique, dans les circonstances qui sous-tendaient l’affaire Manzi, l’affirmation de la Cour ne saurait, selon moi, signifier que la Cour ne peut pas tenir compte, lorsqu’elle interprète des dispositions du droit de l’Union, de règles de droit international qui ne lient pas l’Union européenne, ou l’ensemble de ses États membres.

48. Comme il est communément admis, l’interprétation judiciaire ne se fait pas en-dehors de tout contexte. S’il est vrai que la Cour n’est pas compétente pour interpréter, d’une manière qui fait autorité, des règles qui ne font pas partie de l’ordre juridique de l’Union, j’éprouve quelques difficultés à admettre qu’il ne serait pas possible de tirer des enseignements, s’il y a lieu, de telles règles lors de l’interprétation des dispositions du droit de l’Union. Il en est ainsi, notamment, lorsque la
genèse d’un accord international qui lie l’Union européenne, ou ses États membres, semble indiquer un lien étroit avec un accord qui ne les lie pas.

49. Autrement dit, il ne découle pas de l’absence manifeste de compétence pour interpréter la convention de 1969 qu’il ne serait pas possible que cette convention puisse servir de source d’inspiration pour interpréter des concepts similaires figurant dans la convention sur le droit de la mer. En d’autres termes, il ne saurait être exclu que la Cour interprète cette convention d’une manière qui corresponde à la terminologie employée dans la convention de 1969. Comme je l’illustrerai dans le cadre de
l’appréciation des première, deuxième, troisième et quatrième questions préjudicielles, les dispositions pertinentes de la convention de 1969 peuvent être d’une aide importante lors de l’interprétation, en droit de l’Union, de l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer ( 11 ).

50. Toutefois, avant de traiter cette question, j’examinerai d’abord les principes de base du cadre juridique qui régit la répartition des compétences entre, d’une part, l’État du pavillon et, d’autre part, l’État côtier dans le contexte particulier de la convention sur le droit de la mer.

2. Les principes régissant les pouvoirs de l’État côtier : la liberté de navigation et la protection du milieu marin

51. Ainsi que l’a jugé la Cour, la convention sur le droit de la mer vise à établir un juste équilibre entre les intérêts des États côtiers et ceux des autres États, lesquels peuvent s’opposer ( 12 ). Ces intérêts concernent, notamment, les intérêts légitimes de la navigation, indépendamment de la situation géographique de l’État, de l’exploitation des ressources naturelles et de la nécessité de préserver le milieu marin.

52. Dans ce contexte, la liberté de navigation est particulièrement importante. En effet, en tant qu’émanation du principe séculaire de la liberté des mers ( 13 ), la liberté de navigation constitue le fondement du droit international de la mer. Afin d’éviter le fractionnement de la mer à des fins protectionnistes, la liberté de navigation vise à garantir que tout ce qui se trouve au-delà de la mer territoriale reste accessible à une utilisation pour le bien commun ( 14 ).

53. Ce principe est reflété dans la convention sur le droit de la mer : comme corollaire à la liberté de navigation, les États côtiers ne sont, en règle générale, compétents qu’à l’égard des navires naviguant dans leur mer territoriale, laquelle ne peut s’étendre au‑delà de 12 milles marins à partir de la ligne de base ( 15 ). Même dans ce cas, l’obligation d’assurer le passage libre des navires en transit vient limiter cette compétence ( 16 ). Au-delà de cette zone, le point de départ est que
l’État du pavillon est compétent à l’égard des navires battant son pavillon conformément aux règles et normes internationales ( 17 ). Cependant, ce n’est pas tout : l’État du pavillon doit, conformément à l’article 217 de la convention sur le droit de la mer, assurer l’application effective des règles et normes internationales relatives à la pollution par les navires, indépendamment du lieu où se produit l’infraction.

54. Toutefois, conformément au régime de compétences mis en place par la convention sur le droit de la mer, au-delà de la mer territoriale de l’État côtier, les pouvoirs de l’État du pavillon sont soumis à des exceptions notables. L’une de ces exceptions concerne la compétence de l’État côtier dans la ZEE.

55. La ZEE est définie à l’article 57 de la convention sur le droit de la mer comme un secteur qui est adjacent et qui s’étend au-delà de la mer territoriale, et qui ne s’étend pas au-delà de 200 milles marins à partir de la ligne de base. La ZEE est soumise au régime juridique spécial prévu à la partie V de la convention sur le droit de la mer (articles 55 à 57). En vertu de l’article 56 de la convention, l’État côtier a, notamment, une compétence (limitée) dans cette zone en vue de protéger de
manière adéquate le milieu marin. Par ailleurs, conformément à l’article 58 de la convention sur le droit de la mer, les autres États doivent aussi veiller au respect de la convention lorsqu’ils exercent leurs droits dans la ZEE, tenir dûment compte des droits et des obligations de l’État côtier et respecter les lois et règlements adoptés par l’État côtier conformément aux dispositions de la convention sur le droit de la mer et aux autres règles du droit international.

56. Ces principes reflètent vraisemblablement le large consensus international qui existe s’agissant de la nécessité de protéger le milieu marin contre la pollution (par les navires). En particulier, les pouvoirs octroyés aux États côtiers dans la ZEE au titre de l’article 220, paragraphes 3 à 6, de la convention sur le droit de la mer pour prendre des mesures contre les navires en transit peuvent être interprétés comme concrétisant cette préoccupation.

57. Plus précisément, certains traités ont été conclus au cours de la seconde moitié du XXe siècle en réponse à l’inquiétude croissante que suscite la pollution marine ( 18 ). À titre d’exemple, la convention de 1969 a été conclue à la suite de la catastrophe dévastatrice du Torrey Canyon. Toutes les parties à cette convention se sont vu octroyer le droit d’intervenir en haute mer dans les cas où une pollution marine menacerait la mer ou la côte à la suite d’un accident de mer. Ce principe du droit
d’intervenir a été réaffirmé à l’article 221 de la convention sur le droit de la mer ( 19 ).

58. En effet, il semble généralement admis que la compétence de l’État du pavillon est à elle seule insuffisante pour lutter contre la pollution des navires ( 20 ). Vu sous cet angle, les pouvoirs octroyés aux États côtiers à l’article 220 de la convention sur le droit de la mer – qui viennent d’une certaine façon s’ajouter à ceux octroyés aux États côtiers en vertu de la convention de 1969 et de l’article 221 de la convention sur le droit de la mer, en ce sens qu’ils permettent à l’État côtier
d’intenter une action également lorsqu’il n’y a pas eu d’accident de mer –, peuvent, selon moi, être considérés comme traduisant le souhait de la communauté internationale d’élaborer des outils en vue de combattre plus efficacement la pollution par les navires et de protéger le milieu marin en tant que bien commun. Je relève, à cet égard, que la convention de 1969 a non seulement eu une incidence sur l’élaboration de l’article 221 de la convention sur le droit de la mer, mais également sur
l’article 220 de ladite convention ( 21 ).

59. À ce stade, il convient de souligner que l’article 220, paragraphes 3 à 6, de la convention sur le droit de la mer confère des pouvoirs à l’État côtier uniquement dans des circonstances bien définies, qui s’ajoutent aux pouvoirs de l’État du pavillon. Cette disposition confère une compétence (limitée) à l’État côtier afin de protéger le milieu marin en cas d’infraction aux règles et normes internationales relatives à la pollution par les navires. Les règles matérielles prévues par la convention
Marpol 73/78 pour prévenir la pollution par les hydrocarbures font partie de ces règles. En effet, il convient de garder à l’esprit que la convention sur le droit de la mer est une convention-cadre qui a été complétée par d’autres accords internationaux, tels que la convention Marpol 73/78 ( 22 ).

60. Au contraire, l’article 220, paragraphes 3 à 6, de la convention sur le droit de la mer, n’impose, par exemple, pas de normes en matière de pollution plus strictes que celles qui seraient par ailleurs applicables. De même, ces règles ne confèrent pas aux États côtiers le pouvoir d’intervenir contre des navires étrangers qui irait plus loin que celui de l’État du pavillon. En effet, ainsi qu’il ressort de l’article 228, paragraphe 1, de la convention sur le droit de la mer, l’État du pavillon
peut continuer les poursuites dans les six mois à compter de la date à laquelle il a été informé par l’État côtier des mesures prises à l’encontre d’un navire battant son pavillon ( 23 ).

61. En vertu de l’article 192 de la convention sur le droit de la mer, l’État du pavillon doit, comme tous les autres États, protéger et préserver le milieu marin. Il doit également, en vertu de l’article 217 de la convention sur le droit de la mer, assurer l’application effective des règles et normes internationales relatives à la pollution par les navires. Toutefois, conformément au principe de proximité, l’article 220, paragraphes 3 à 6, de la convention sur le droit de la mer confère des
pouvoirs également à l’État qui a manifestement le plus d’intérêt à agir, à savoir l’État côtier. En pratique, l’État côtier est sans doute l’État le mieux placé pour identifier une infraction aux règles internationales applicables en matière de pollution par les navires et pour prendre, le cas échéant, des mesures d’exécution à l’encontre du navire en question.

62. De ce point de vue, les règles de compétence énoncées à l’article 220, paragraphes 3 à 6, de la convention sur le droit de la mer concernant les pouvoirs de l’État côtier dans sa ZEE visent à garantir l’application effective des règles de ladite convention relatives à la protection et à la préservation de l’environnement marin.

63. En résumé, la compétence de l’État du pavillon demeure la règle principale au titre de la convention sur le droit de la mer. Toutefois, en conférant des pouvoirs parallèles à l’État côtier à l’intérieur de la ZEE en cas d’infraction aux règles internationales applicables, ladite convention traduit la nécessité reconnue de protéger de manière efficace les intérêts de l’État côtier et de protéger et préserver, dans une époque d’exploitation croissante des mers, le milieu marin en tant que bien
commun de l’humanité ( 24 ).

64. Il convient de garder ces considérations à l’esprit lors de l’appréciation des questions posées à la Cour dans la présente affaire.

B.   Les première, deuxième, troisième et quatrième questions : les intérêts visés à l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer

65. À titre liminaire, je constate que la Cour n’est pas compétente pour répondre à la deuxième question posée puisque celle-ci vise expressément à obtenir une interprétation de la convention de 1969. Comme je l’ai exposé ci‑dessus, la Cour ne peut pas répondre à cette question car elle n’est pas compétente pour le faire ( 25 ).

66. Néanmoins, compte tenu du contexte, je comprends que cette question vise en substance, avec les première, troisième et quatrième questions, à savoir comment il convient d’interpréter la notion d «’intérêts » visée à l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer, et réitérée à l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2005/35. Il ne saurait être perdu de vue que, outre les autres éléments visés à l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer, l’État
côtier est compétent pour intenter une action uniquement dans la mesure où les intérêts qu’il vise à protéger en exerçant sa compétence correspondent à ceux mentionnés dans cette disposition.

67. Afin de savoir si tel est le cas dans l’affaire pendante devant elle, la juridiction de renvoi demande à la Cour de clarifier la signification des termes « littoral ou les intérêts connexes » et « toutes ressources de sa mer territoriale ou de sa [ZEE] ». En effet, il ressort de la décision de renvoi que la juridiction de renvoi nourrit des doutes sur la question de savoir si les intérêts qui ont été identifiés dans l’avis d’expert délivré par l’Institut finlandais de l’environnement sont
couverts par ces termes ( 26 ).

68. Comme je l’ai expliqué ci-dessus, l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer vise à assurer une protection et une préservation efficaces du milieu marin. C’est à la lumière de cet objectif qu’il convient d’interpréter les intérêts visés par cette disposition.

1. La notion de « littoral ou les intérêts connexes »

69. En ce qui concerne, en premier lieu, les termes « littoral ou les intérêts connexes », le fait que la Cour ne soit pas compétente pour interpréter les dispositions de la convention de 1969 ne saurait signifier que les dispositions de cette convention devraient être entièrement ignorées – ou que l’on ne saurait parvenir à la même interprétation que celle adoptée dans cette convention – en ce qui concerne l’interprétation de l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer.
Parallèlement, il est clair qu’il n’existe aucune obligation de transposer directement à l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer, la définition des termes « intérêts connexes », prévue à l’article II, paragraphe 4, de la convention de 1969.

70. Plus précisément, il découle clairement de la genèse de l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer que les parties contractantes se sont inspirées de la convention de 1969 lorsqu’elles ont décidé que l’État côtier devrait également être compétent pour adopter des mesures contre les navires étrangers ayant commis une infraction dans la ZEE ( 27 ). Certes, aucun élément n’indique que les définitions adoptées dans la convention de 1969 étaient également destinées à être
transposées dans la convention sur le droit de la mer, qui ne prévoit pas de définition des termes « littoral ou les intérêts connexes » ni, d’ailleurs, des termes « toutes ressources de sa mer territoriale ou de sa [ZEE] ».

71. Pourtant, comme cela a été montré ci-dessus, la convention de 1969 fait indubitablement partie du contexte législatif plus vaste dans lequel s’inscrit l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer. Étant donné que les règles prévues par la convention sur le droit de la mer semblent avoir pour objectif de compléter et d’élargir celles prévues par la convention de 1969 en ce qui concerne la compétence de l’État côtier pour intervenir en cas d’accident maritime, la
signification donnée à la notion d’« intérêts connexes » dans la convention de 1969 constitue un point de référence utile pour définir les intérêts visés à l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer.

72. À cet égard, je constate que la définition de la notion d’« intérêts connexes » qui a été adoptée dans la convention de 1969 a une portée large. En vertu de l’article II, paragraphe 4, de la convention de 1969, l’expression « intérêts connexes » comprend les intérêts d’un État riverain directement affectés ou menacés par l’accident de mer, et qui ont trait notamment aux activités maritimes, côtières, portuaires ou d’estuaires, y compris aux activités de pêcheries, constituant un moyen
d’existence essentiel pour les intéressés, à l’attrait touristique de la région considérée, à la santé des populations riveraines et au bien-être de la région considérée, y compris la conservation des ressources biologiques marines, de la faune et de la flore.

73. Je ne vois pas de raisons qui étayeraient le point de vue selon lequel il conviendrait d’adopter une interprétation différente dans le contexte de la convention sur le droit de la mer. En effet, il ne faut pas oublier que l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer vise à assurer une protection efficace du milieu marin. À cette fin, cette disposition confère à l’État côtier le pouvoir d’intervenir à l’intérieur de la ZEE. Il est évident que cette faculté d’intervenir
serait fortement entravée si les intérêts mentionnés dans cette disposition étaient interprétés de manière restrictive.

74. Il n’y a simplement aucun élément qui indique que certains aspects seulement du milieu sont concernés, ou que seuls les intérêts de l’État côtier dans la mer territoriale doivent être couverts. Pour ces raisons, je considère que l’expression « littoral ou les intérêts connexes » doit être interprétée comme comprenant tous les intérêts de l’État côtier aussi bien dans la mer territoriale qu’à l’intérieur de la ZEE qui sont liés à l’exploitation de la mer et à un environnement sain.

2. La notion de « toutes ressources de sa mer territoriale ou de sa [ZEE] »

75. En ce qui concerne, en second lieu, la notion de « toutes ressources de sa mer territoriale ou de sa [ZEE] », je constate que, à tout le moins, si l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer mentionne également explicitement les termes « toutes ressources de sa mer territoriale ou de sa [ZEE] », cela semble traduire le souhait d’inclure dans le champ d’application de l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer, tous les aspects du milieu marin
susceptibles d’être touchés par la pollution par les navires.

76. En ce qui concerne la question spécifique soulevée par la juridiction de renvoi, les raisons suivantes me conduisent à considérer que les intérêts couverts par la notion de « toutes ressources de sa mer territoriale ou de sa [ZEE] » doivent inclure les espèces de faune et de flore dont se nourrissent les espèces exploitées.

77. Premièrement, l’emploi du terme « toutes » pour décrire les ressources en cause laisse entendre qu’il conviendrait d’adopter une interprétation large, qui corresponde à la signification ordinaire de ce terme. Autrement dit, ce mot doit être compris comme visant toutes les ressources biologiques et non biologiques, qu’elles soient susceptibles d’être exploitées directement ou non.

78. Deuxièmement, l’interprétation des termes « toutes ressources » selon laquelle les espèces de flore et de faune dont se nourrissent les espèces exploitées devraient être couverts par la notion de « toutes ressources de sa mer territoriale ou de sa [ZEE] » correspond à l’approche écosystémique adoptée dans le cadre de la politique pour le milieu marin et de la politique commune de la pêche qui ont été approuvées par l’Union européenne ( 28 ). Cette approche reconnaît les interactions au sein d’un
écosystème, y compris celles entre les espèces, plutôt que de considérer les espèces comme étant isolées de l’écosystème général ( 29 ). Ces liens sont également clairement reconnus dans la convention sur le droit de la mer et, en particulier, à l’article 61, paragraphe 4, de ladite convention ( 30 ), auquel se réfère également la juridiction de renvoi.

79. Troisièmement, et plus fondamentalement, il ne faut pas oublier que l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer vise à protéger et à préserver efficacement le milieu marin dans son ensemble. Il serait tout simplement contraire à cet objectif de limiter le champ d’application de cette disposition aux ressources qui ne sont pas directement exploitées par l’État côtier.

80. Par conséquent, je propose en réponse aux première, deuxième, troisième et quatrième questions préjudicielles, de considérer que l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer et l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2005/35 devraient être interprétés en ce sens que, d’une part, les termes « littoral ou les intérêts connexes » comprennent tous les intérêts de l’État côtier aussi bien dans la mer territoriale qu’à l’intérieur de la ZEE qui sont liés à l’exploitation de
la mer et à un environnement sain et que, d’autre part, les termes « toutes ressources de sa mer territoriale ou de sa [ZEE] » couvrent aussi bien les ressources biologiques, telles que les espèces de faune et de flore dont se nourrissent les espèces exploitées, que les ressources non biologiques.

C.   Les cinquième, sixième, septième, neuvième et dixième questions : la preuve exigée au titre de l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer pour justifier l’adoption de mesures d’exécution par l’État côtier

81. Par ses cinquième, sixième, septième, neuvième et dixième questions, la juridiction de renvoi demande en substance à la Cour de l’éclairer sur la preuve qui est exigée pour justifier que l’État côtier intente une action contre un navire étranger naviguant dans sa ZEE au titre de l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer et de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2005/35.

82. Afin d’apporter des éclaircissements sur cette question, je procéderai en deux étapes. J’examinerai en premier lieu l’articulation entre les paragraphes 3, 5 et 6 de l’article 220 de la convention sur le droit de la mer. En second lieu, j’examinerai le risque « de dommages importants » visé à l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer.

1. L’articulation entre les paragraphes 3, 5 et 6 de l’article 220 de la convention sur le droit de la mer : trois règles de compétence distinctes

83. Afin de mieux comprendre la cohérence interne de l’article 220 de la convention sur le droit de la mer et la manière dont il convient d’interpréter l’article 220, paragraphe 6, il est utile de commencer par examiner la manière dont s’articulent les paragraphes 3, 5 et 6 de l’article 220 de la convention sur le droit de la mer, les deux derniers paragraphes mentionnés ayant fait l’objet d’une attention particulière lors de l’audience.

84. À titre liminaire, il est généralement admis que l’article 220 de la convention sur le droit de la mer est fondé sur une approche progressive.

85. Les règles de compétence énoncées à l’article 220, paragraphes 3, 5 et 6, de la convention sur le droit de la mer, qui confèrent à l’État côtier une compétence à l’égard des navires étrangers naviguant dans sa ZEE, revêtent une importance particulière dans le contexte de la présente affaire. En réalité, comme nous le verrons ci‑dessous, chacune de ces dispositions prévoit une règle de compétence distincte en faveur de l’État côtier. Ces règles s’appliquent dans des circonstances différentes et
varient considérablement quant aux mesures que l’État côtier peut adopter sur le fondement de chacune d’entre elles. Par conséquent, il convient d’examiner séparément les éléments pertinents de chaque règle de compétence à la lumière des circonstances de l’espèce.

86. Cette approche progressive ressort du niveau d’intervention autorisé par chacune de ces dispositions. Premièrement, l’article 220, paragraphe 3, de la convention sur le droit de la mer accorde à l’État côtier le droit de demander des renseignements à un navire étranger afin de pouvoir établir une infraction aux règles et normes internationales relatives à la pollution par les navires. Deuxièmement, l’article 220, paragraphe 5, de la convention sur le droit de la mer confère à l’État côtier le
droit de procéder à une inspection d’un navire étranger. Troisièmement, l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer confère à l’État côtier le droit d’intenter une action contre un navire étranger.

87. Les règles de compétence prévues à l’article 220, paragraphes 3 et 5, sont clairement liées. D’une part, ces deux dispositions concernent des circonstances dans lesquelles l’État côtier soupçonne (c’est-à-dire que cet État a de sérieuses raisons de penser) qu’un navire étranger a commis une infraction aux règles et normes internationales relatives à la pollution par les navires. Les mesures mentionnées dans ces dispositions visent à établir que le navire est à l’origine de l’infraction
concernée. D’autre part, conformément à l’article 220, paragraphe 5, de la convention sur le droit de la mer, l’État côtier peut uniquement procéder à l’inspection d’un navire étranger, qui a refusé de coopérer avec les autorités de l’État côtier dans le cadre d’une demande de renseignements mentionnée à l’article 220, paragraphe 3, lorsque l’infraction qui fait l’objet de l’enquête a entraîné des rejets importants qui ont causé ou risquent de causer une pollution notable du milieu marin.

88. En d’autres termes, un refus de coopérer ne signifie pas nécessairement qu’un État côtier peut procéder à une inspection au titre de l’article 220, paragraphe 5, de la convention sur le droit de la mer. Au contraire, une inspection est seulement possible si des conditions strictes sont réunies, à savoir que le volume rejeté et la pollution qu’a entraînée ce rejet sont suffisamment importants.

89. Contrairement aux paragraphes 3 et 5 de l’article 220 de la convention sur le droit de la mer, le paragraphe 6 de cet article régit une situation dans laquelle l’État côtier dispose d’une preuve manifeste qu’une infraction a été commise ( 31 ). De plus, pour que l’État côtier ait le droit d’intenter une action, il faut que l’infraction ait entraîné des rejets qui ont causé ou risquent de causer des dommages importants aux intérêts protégés par cette disposition.

90. Il convient de souligner que, contrairement aux paragraphes 3 et 5 de l’article 220 de la convention sur le droit de la mer, aucun élément n’indique que l’application du paragraphe 6 de l’article 220 de la convention sur le droit de la mer dépend de l’application préalable du paragraphe 5 dudit article. En effet, ces dispositions régissent des circonstances distinctes.

91. Il est certainement concevable qu’une inspection au sens de l’article 220, paragraphe 5, de la convention sur le droit de la mer soit susceptible d’apporter la preuve manifeste de l’infraction requise aux fins de l’application de l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer. Cependant, ce n’est pas nécessairement le cas. En effet, l’État côtier pourrait disposer, par exemple, de preuves photographiques (aériennes) montrant que le navire étranger en cause a commis une
infraction aux règles et aux normes internationales applicables relatives à la pollution causée par les navires. La présente affaire est révélatrice à cet égard : il a été précisé lors de l’audience que l’autorité compétente disposait de photos aériennes confirmant que le Bosphorus Queen était à l’origine des rejets en cause.

92. Toutefois, comme indiqué ci-dessus, la preuve manifeste qu’un navire étranger spécifique a commis une infraction n’est pas un élément suffisant en soi pour justifier qu’une action soit intentée contre ce navire conformément à l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer. Cette infraction doit avoir entraîné des rejets qui ont causé ou risquent de causer des dommages importants.

93. Je comprends que la juridiction de renvoi a des doutes concernant la question de savoir si, dans les circonstances de la présente affaire, il existe un risque de « dommages importants » au sens de l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer. Elle nourrit, en particulier, des doutes quant à la nature de la preuve de ce risque dont doit disposer l’État côtier afin de pouvoir invoquer sa compétence au titre de l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la
mer (et de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2005/35).

94. J’examinerai dès à présent la question de savoir comment il convient d’interpréter cet élément dans les circonstances particulières de la présente affaire.

2. Le risque de dommages importants visé à l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer : une appréciation concrète fondée sur la convention Marpol 73/78

95. Il est utile, d’emblée, de rappeler que l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer définit les règles de compétence en vertu desquelles l’État côtier est autorisé à intenter une action contre un navire étranger naviguant à l’intérieur de sa ZEE. Conformément à l’approche progressive prévue à l’article 220, son paragraphe 6 confère à l’État côtier les pouvoirs les plus étendus à l’égard des navires étrangers.

96. Or, il convient de souligner que les éléments de preuve exigés pour justifier que des sanctions soient infligées à un navire étranger dans le cadre de la procédure visée à l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer, telles que l’amende pour le rejet d’hydrocarbures imposée dans l’affaire au principal, ne sont pas régis par cette disposition. Les éléments de preuve requis pour pouvoir infliger des sanctions dans le cadre de cette procédure, ainsi que leur montant,
relève, par contre, du droit national de l’État côtier concerné ( 32 ).

97. Dans ce contexte, se pose la question de savoir comment la juridiction de renvoi doit apprécier l’existence d’un risque de dommages importants dans l’optique d’intenter une action conformément à l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer.

98. Tout d’abord, lors de la définition du risque de « dommages importants » visé à l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer, il convient de ne pas céder à la tentation de comparer cette notion avec celle du risque de « pollution notable » visée à l’article 220, paragraphe 5, de ladite convention. Ainsi qu’il a déjà été mentionné, les circonstances dans lesquelles l’État côtier peut exercer sa compétence en se fondant sur les règles de compétence prévues par ces
dispositions ne sont pas les mêmes et les éléments qui y figurent doivent être évalués de manière indépendante. En particulier, il ne faut pas oublier que les notions de « pollution » et de « dommages » sont deux notions distinctes. En fonction des circonstances, une pollution notable pourrait, ou ne pourrait pas, causer (ou risque de causer) des dommages importants à des intérêts spécifiques. Autrement dit, le lien entre les deux n’est pas automatique.

99. Ensuite, l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer exige une preuve manifeste qu’une infraction aux règles et normes internationales relatives à la pollution par les navires a été commise. Ainsi qu’il a été brièvement expliqué ci-dessus, la convention Marpol 73/78 énonce les règles internationales matérielles qui régissent la pollution par les hydrocarbures. Aussi bien l’article 220, paragraphe 3, de la convention sur le droit de la mer que la directive 2005/35
mentionne expressément cette convention.

100. Conformément à la règle 15 de la partie C du chapitre 3 de l’annexe I de la convention Marpol 73/78, pour ce qui concerne les navires d’une jauge brute égale ou supérieure à 400, tout rejet d’effluent dont la teneur en hydrocarbures dépasse 15 ppm est interdit. En d’autres termes, tout rejet qui dépasse cette concentration équivaut à une violation de la convention Marpol 73/78 et doit faire l’objet d’une sanction en application de l’article 4, paragraphe 2, de cette convention.

101. Lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, le rejet d’hydrocarbures est visible à l’œil nu, cette limite a été largement dépassée ( 33 ). Cependant, la question de savoir si cela suffit pour risquer de causer des dommages importants, comme il est exigé à l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer, dépend, selon moi, des circonstances particulières dans lesquelles s’est produit le rejet.

102. En d’autres termes, la gravité du risque de dommage ne devrait pas être établie de manière abstraite. Dans le cas contraire, comme le fait valoir en substance le gouvernement français, l’État côtier pourrait automatiquement intenter une action contre un navire étranger naviguant à l’intérieur de sa ZEE dans tous les cas où cet État a la preuve qu’un navire a rejeté des hydrocarbures à l’intérieur de sa ZEE en violation des règles pertinentes de la convention Marpol 73/78. En effet, le
gouvernement français fait valoir qu’un risque de dommages importants peut être supposé dès lors que la preuve existe que le navire en cause est à l’origine d’un rejet qui dépasse (de manière significative) la limite prévue à la règle 15 de la partie C du chapitre 3 de l’annexe I de la convention Marpol 73/78.

103. Une telle approche serait incontestablement conforme à l’objectif poursuivi par l’article 220 de la convention sur le droit de la mer qui est de protéger et de préserver efficacement le milieu marin. Néanmoins, ainsi qu’il a été expliqué ci‑dessus, la règle principale prévue par la convention sur le droit de la mer reste celle de la compétence de l’État du pavillon. En effet, il ne faut pas oublier que l’État du pavillon doit avant tout veiller à ce que les navires battant son pavillon
respectent les règles et normes internationales applicables et doit prendre les mesures d’exécution appropriées si son navire viole ces règles. Ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles clairement définies que l’État côtier dispose, conformément au principe de proximité, du pouvoir de prendre des mesures contre un navire étranger dans sa ZEE. Par conséquent, pour éviter que la compétence exceptionnelle de l’État côtier devienne, au lieu de cela, la règle principale, le risque de
dommages importants ne saurait être simplement supposé.

104. Pour cette raison, je considère que l’élément de risque de « dommages importants » devrait être fondé sur une évaluation concrète des circonstances qui permettent de raisonnablement supposer que le rejet risque de causer des dommages importants aux intérêts de l’État côtier visés à l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer. Les éléments qui sont pertinents pour déterminer s’il y a un risque de dommages importants peuvent, par exemple, inclure la vulnérabilité de la
zone touchée par le rejet, ainsi que le volume, la situation géographique et l’étendue du rejet, de même que sa durée et les conditions météorologiques qui prévalaient dans cette zone au moment où s’est produit le rejet.

105. Dans la présente affaire, le rejet s’est produit dans la mer Baltique et, plus particulièrement, dans le golfe de Finlande. La mer Baltique est reconnue au niveau international comme une zone spéciale qui se caractérise par des particularités géographiques et un écosystème particulièrement vulnérable nécessitant une protection particulière ( 34 ). Il ne fait aucun doute que cette circonstance devrait être prise en compte dans le cadre de l’interprétation de l’article 220, paragraphe 6, de la
convention sur le droit de la mer : elle revêt une importance pour déterminer si le rejet risque de causer des dommages importants dans les circonstances de l’affaire au principal.

106. Comme l’a fait remarquer la Commission lors de l’audience, un risque abstrait de dommages (importants) (à savoir, l’existence d’un rejet visible) se transforme, de manière quelque peu paradoxale, en risque concret de dommages importants dans les circonstances spécifiques d’un rejet qui s’est produit dans une zone particulièrement vulnérable. Il en est ainsi puisque, dans de telles circonstances, il est raisonnable de s’attendre à ce que la seule existence d’un rejet de la même nature que celui
en cause dans l’affaire au principal risque de causer des dommages importants.

107. En d’autres termes, les caractéristiques géographiques et écologiques spécifiques de la zone de la mer Baltique ainsi que sa vulnérabilité n’ont aucune incidence sur l’étendue de la compétence de l’État côtier au titre de l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer, en ce sens qu’elles élargiraient cette règle de compétence à des situations où une infraction aux règles pertinentes de la convention Marpol 73/78 ne risque pas de causer des dommages importants. Ces
caractéristiques ont une influence sur la détermination de l’existence d’un risque de dommages importants.

108. Compte tenu de ce qui précède, je considère qu’il convient de répondre aux cinquième, sixième, septième, neuvième et dixième questions préjudicielles posées à la Cour en ce sens qu’un État côtier peut exercer les pouvoirs qui lui sont conférés en vertu de l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer et de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2005/35 dans des circonstances où, d’une part, cet État dispose de la preuve manifeste/preuve manifeste et objective qu’un
navire étranger est à l’origine d’un rejet qui viole les règles et normes internationales relatives à la pollution par les navires et, d’autre part, il est raisonnable de supposer que, dans les circonstances particulières de l’affaire en cause, ce rejet risque de causer des dommages importants au milieu marin. Pour déterminer s’il existe un risque de dommages importants, il convient d’accorder une importance particulière à la vulnérabilité de la zone touchée par le rejet, ainsi qu’au volume, à
la situation géographique et à l’étendue du rejet, de même qu’à sa durée et aux conditions météorologique qui prévalaient dans la zone concernée.

D.   Sur la huitième question : le pouvoir d’appréciation dont disposent les États membres au titre de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2005/35

109. Enfin, j’examinerai brièvement la huitième question posée à la Cour. Par cette question, la juridiction de renvoi demande, en substance, quelle est l’incidence que devrait avoir l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2005/35 sur l’interprétation de l’article 7, paragraphe 2, de cette directive, qui régit le pouvoir de l’État côtier d’intenter une action contre un navire en transit. En effet, l’article 1er, paragraphe 2, dispose que ladite directive ne fait pas obstacle à ce que les États
membres adoptent des mesures plus strictes contre la pollution causée par les navires, à condition qu’elles soient conformes au droit international.

110. D’une part, aucun élément dans la directive 2005/35 n’indique que la possibilité d’adopter des règles plus strictes pour lutter contre la pollution ne concerne pas l’ensemble des dispositions de cette directive. Par conséquent, en principe, la possibilité d’appliquer des règles plus strictes concerne également l’article 7, paragraphe 2, de ladite directive.

111. D’autre part, dans la mesure où ces règles doivent être conformes au droit international, les États membres ne peuvent toutefois agir contre un navire étranger au titre de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2005/35 que si une telle action est autorisée au titre de l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer. Cette disposition définit, en droit international, la règle de compétence qui autorise un État côtier à intenter une action contre un navire étranger. En
pratique, cela signifie que l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer, lu à la lumière des dispositions pertinentes prévues par la convention Marpol 73/78, définit les limites à la compétence d’un État membre d’agir contre un navire en transit au titre de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2005/35 ( 35 ). Dès lors, les règles internationales applicables qui, au titre du droit de l’Union, ne sauraient être outrepassées, viennent limiter la possibilité laissée
aux États membres en vertu de la directive 2005/35 d’adopter des mesures plus poussées afin de lutter contre la pollution causée par les navires.

112. À cet égard, il convient toutefois de souligner que, tant qu’ils n’outrepassent pas ces limites, les États membres peuvent, lorsqu’ils se déclarent compétents au titre de l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer et de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2005/35, prendre en compte les caractéristiques spéciales et, le cas échéant, la vulnérabilité de la zone dans laquelle s’est produit le rejet. Ainsi qu’il a été expliqué ci-dessus, ces caractéristiques sont
pertinentes pour déterminer si une infraction aux règles applicables de la convention Marpol 73/78 causent (ou risquent de causer) des dommages importants aux intérêts de l’État côtier en cause au sens de l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer ( 36 ). Autrement dit, même à l’intérieur des limites fixées par les règles internationales applicables, les États membres conservent un pouvoir d’appréciation important pour déterminer dans quelle mesure il est opportun
d’intenter une action contre un navire étranger en transit afin de protéger et de préserver efficacement le milieu marin au regard des circonstances de l’espèce.

113. Par conséquent, il convient de répondre à la huitième question préjudicielle en ce sens que, nonobstant l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2005/35, les États membres ne peuvent pas étendre les pouvoirs dont ils disposent en vertu de l’article 7, paragraphe 2, de ladite directive au-delà de ce qui est permis au titre de l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer.

IV. Conclusion

114. À la lumière des arguments développés précédemment, je propose à la Cour de répondre aux questions posées par le Korkein oikeus (Cour suprême, Finlande) comme suit :

1) L’article 220, paragraphe 6, de la convention des Nations unies sur le droit de la mer, conclue le 10 décembre 1982 à Montego Bay (la convention sur le droit de la mer), et l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2005/35/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 septembre 2005, relative à la pollution causée par les navires et à l’introduction de sanctions, notamment pénales, en cas d’infractions de pollution, telle que modifiée par la directive 2009/123/CE du Parlement européen et du
Conseil, du 21 octobre 2009, doivent être interprétés en ce sens que, d’une part, les termes « littoral ou les intérêts connexes » comprennent tous les intérêts de l’État côtier aussi bien dans la mer territoriale qu’à l’intérieur de la zone économique exclusive qui sont liés à l’exploitation de la mer et à un environnement sain et que, d’autre part, les termes « toutes ressources de sa mer territoriale ou de sa zone économique exclusive » couvrent aussi bien les ressources biologiques,
telles que les espèces de faune et de flore dont se nourrissent les espèces exploitées, que les ressources non biologiques.

2) L’État côtier peux exercer les pouvoirs qui lui sont conférés en vertu de l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer et de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2005/35 dans des circonstances où, d’une part, l’État côtier dispose d’une preuve manifeste/preuve manifeste et objective qu’un navire étranger est à l’origine d’un rejet qui viole les règles et normes internationales relatives à la pollution par les navires et, d’autre part, lorsqu’il est raisonnable
de supposer que, dans les circonstances particulières de l’espèce, le rejet risque de causer des dommages importants au milieu marin. Lors de la détermination de l’existence d’un risque de dommages importants, il convient d’accorder une importance particulière à la vulnérabilité de la zone touchée par le rejet, ainsi qu’au volume, à la situation géographique et à l’étendue du rejet, de même qu’à sa durée et aux conditions météorologiques qui prévalaient dans cette zone concernée.

3) Nonobstant l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2005/35, les États membres ne peuvent pas étendre les pouvoirs dont ils disposent en vertu de l’article 7, paragraphe 2, de cette directive, au-delà de ce qui est prévu au titre de l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de la mer.

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( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Conclue le 10 décembre 1982 à Montego Bay, en Jamaïque, et entrée en vigueur le 16 novembre 1994. La convention a été approuvée au nom de la Communauté européenne (désormais l’Union européenne) par décision du Conseil 98/392/CE, du 23 mars 1998, concernant la conclusion par la Communauté européenne de la convention des Nations unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982 et de l’accord du 28 juillet 1994 relatif à l’application de la partie XI de ladite convention (JO 1998, L 179, p. 1).

( 3 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 relative à la pollution causée par les navires et à l’introduction de sanctions, notamment pénales, en cas d’infractions de pollution (JO 2005, L 255, p. 11), telle que modifiée par la directive 2009/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 (JO 2009, L 280, p. 52) (ci-après la « directive 2005/35 »).

( 4 ) La nouveauté des questions posées à la Cour est, en outre, mise en évidence par le fait que, à ma connaissance, la Cour internationale de justice n’a encore jamais interprété l’article 220 de la convention sur le droit de la mer dans sa jurisprudence.

( 5 ) Voir arrêts du 30 avril 1974, Haegeman (181/73, EU:C:1974:41, points 4 à 6) ; du 3 juin 2008, Intertanko e.a. (C‑308/06, EU:C:2008:312, points 42 et 43) ; du 4 mai 2010, TNT Express Nederland (C‑533/08, EU:C:2010:243, point 60 et jurisprudence citée), et du 8 mars 2011, Lesoochranárske zoskupenie (C‑240/09, EU:C:2011:125, point 30 et jurisprudence citée).

( 6 ) Arrêt du 3 juin 2008, Intertanko e.a. (C‑308/06, EU:C:2008:312, point 52).

( 7 ) Arrêts du 4 mai 2010, TNT Express Nederland (C‑533/08, EU:C:2010:243, point 61 et jurisprudence citée), et du 17 juillet 2014, Qurbani (C‑481/13, EU:C:2014:2101, point 22).

( 8 ) Voir, notamment, arrêts du 12 décembre 1972, International Fruit Company e.a. (21/72 à 24/72, EU:C:1972:115, point 18) ; du 14 juillet 1994, Peralta (C‑379/92, EU:C:1994:296, point 16) ; du 3 juin 2008, Intertanko e.a. (C‑308/06, EU:C:2008:312, point 48), et avis 2/15 (Accord de libre-échange avec Singapour), du 16 mai 2017 (EU:C:2017:376, point 248).

( 9 ) Arrêt du 23 janvier 2014, Manzi et Compagnia Naviera Orchestra (C‑537/11, EU:C:2014:19).

( 10 ) Arrêt du 23 janvier 2014, Manzi et Compagnia Naviera Orchestra (C‑537/11, EU:C:2014:19, points 47 et 48).

( 11 ) Voir points 69 et suivants des présentes conclusions.

( 12 ) Arrêt du 3 juin 2008, Intertanko e.a. (C‑308/06, EU:C:2008:312, point 58).

( 13 ) Le principe de la liberté des mers et le droit qu’ont toutes les nations d’utiliser les mers pour le commerce trouvent leur origine dans le traité de l’humaniste néerlandais, Hugo Grotius, Mare Liberum, publié pour la première fois en 1609.

( 14 ) Guilfoyle, D., “Part VII. High Seas”, dans Proels, A. (éditeur), The United Nations Convention on the Law of the Sea, A commentary, Verlag C.H. Beck, Munich, 2017, p. 679.

( 15 ) La « ligne de base » coïncide, en règle générale, avec la bande côtière à marée basse.

( 16 ) Cela ressort d’une lecture combinée des articles 2, 3 et 17 de la convention sur le droit de la mer.

( 17 ) Voir, notamment, article 94 de la convention sur le droit de la mer.

( 18 ) La convention Marpol 73/78 et la convention de 1969 sont particulièrement significatives à cet égard. De surcroît, au cours de cette période, plusieurs accords régionaux ont été conclus. Parmi ces accords figure notamment la convention pour la protection du milieu marin dans la zone de la mer Baltique, conclue à Helsinki en 1992 (ci-après la « convention de Helsinki »), qui est entrée en vigueur le 17 janvier 2000.

( 19 ) Voir la division des affaires maritimes et du droit de la mer et le bureau des affaires juridiques des Nations unies, The Law of the Sea – Enforcement by Coastal States – Legislative History of Article 220 of the United Nations Convention on the Law of the Sea (Le droit de la mer – Pouvoirs de l’État côtier – Genèse de l’article 220 de la convention des Nations unies sur le droit de la mer), publication des Nations unies, New York, 2005, p. 4, point 17.

( 20 ) Voir, en ce sens, considérant 2 de la directive 2005/35, où il est spécifiquement affirmé que les règles internationales régissant la pollution provenant des navires et prévues par la convention Marpol 73/78 sont quotidiennement ignorées par un très grand nombre de navires qui naviguent dans les eaux communautaires.

( 21 ) Voir la division des affaires maritimes et du droit de la mer et le bureau des affaires juridiques des Nations unies, The Law of the Sea – Enforcement by Coastal States – Legislative History of Article 220 of the United Nations Convention on the Law of the Sea (Le droit de la mer – Pouvoirs de l’État côtier – Genèse de l’article 220 de la convention des Nations unies sur le droit de la mer), publication des Nations unies, New York, 2005, p. 4, point 17. Voir également en ce sens, Churchill,
R. R., et Lowe, A. V., The Law of the Sea (Le droit de la mer), 3e édition, Juris Publishing, Manchester University Press, Manchester, 1999, p. 354.

( 22 ) Churchill, R. R., et Lowe, A. V., op. cit., p. 369.

( 23 ) Il a été précisé lors de l’audience que, dans la présente affaire, les autorités de l’État du pavillon (à savoir le Panama) ont été informées, conformément aux dispositions applicables de la convention sur le droit de la mer, des mesures prises par les autorités finlandaises contre le Bosphorus Queen. Outre l’article 228 de la convention sur le droit de la mer, il convient de relever que, de manière plus générale, les règles prévues à la section 7 de la partie XII de la convention sur le
droit de la mer en matière de garanties veillent également à ce qu’il soit suffisamment tenu compte des droits de l’État du pavillon lorsque l’État côtier exerce ses pouvoirs.

( 24 ) À l’article 136 de la convention sur le droit de la mer, les fonds marins sont spécifiquement définis comme « patrimoine commun de l’humanité ».

( 25 ) Voir point 45 des présentes conclusions.

( 26 ) Voir point 29 des présentes conclusions.

( 27 ) Voir point 58 des présentes conclusions.

( 28 ) Voir considérant 44 de la directive 2008/56/CE du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, établissant un cadre d’action communautaire dans le domaine de la politique pour le milieu marin (directive-cadre stratégie pour le milieu marin) (JO 2008, L 164, p. 19) et considérants 13 et 22 du règlement (UE) no 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2013, relatif à la politique commune de la pêche, modifiant les règlements (CE) no 1954/2003 et (CE) no 1224/2009 du
Conseil et abrogeant les règlements (CE) no 2371/2002 et (CE) no 639/2004 du Conseil et la décision 2004/585/CE du Conseil (JO 2013, L 354, p. 22).

( 29 ) Voir également les conclusions que j’ai présentées dans l’affaire Deutscher Naturschutzring, Dachverband der deutschen Natur- und Umweltschutzverbände e.V. (C‑683/16, EU:C:2018:38, points 18 à 31).

( 30 ) En vertu de l’article 61, paragraphe 4, de la convention sur le droit de la mer, lorsqu’il prend des mesures de conservation et de gestion des ressources biologiques, l’État côtier prend en considération leurs effets sur les espèces associées aux espèces exploitées ou dépendant de celles-ci afin de maintenir ou de rétablir les stocks de ces espèces associées ou dépendantes à un niveau tel que leur reproduction ne risque pas d’être sérieusement compromise.

( 31 ) À cet égard, les versions officielles en langues anglaise et française de l’article 220, paragraphe 6, de la convention sur le droit de mer sont différentes. Tandis que le texte anglais fait référence à la preuve manifeste et objective (« clear objective evidence »), le texte français se borne à se référer à une preuve manifeste.

( 32 ) L’article 4, paragraphe 2, de la convention Marpol 73/78 oblige les États membres parties à la convention à infliger des sanctions conformément à leur législation. L’article 8 de la directive 2005/35 précise, quant à lui, que les États membres de l’Union européenne doivent, en cas de rejets de substances polluantes, infliger des sanctions qui soient effectives, proportionnées et dissuasives.

( 33 ) Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la pollution causée par les navires et à l’introduction de sanctions, notamment pénales, en cas d’infractions de pollution [COM(2003) 92 final], Exposé des motifs, point 4.2. Voir également la résolution MEPC.61(34) adoptée le 9 juillet 1993, Limites de visibilité des déversements d’hydrocarbures visés par l’annexe I de la convention Marpol 73/78. Selon cette résolution, le rejet d’un mélange ayant une teneur en
hydrocarbures de 15 ppm ne peut en aucun cas être observé, ni visuellement ni à l’aide d’un matériel de télédétection. La teneur la plus faible en hydrocarbures du rejet, dont les premières traces ont été observées visuellement à partir de l’aéronef, était de 50 ppm, quels que soient les facteurs connexes, tels que le réglage de l’installation, la vitesse du navire rejetant le mélange, la force du vent et la hauteur des vagues.

( 34 ) Cela est illustré non seulement par la convention de Helsinki qui met en place des règles spécifiques visant à lutter contre la pollution dans la mer Baltique, mais aussi par le fait que la mer Baltique est également reconnue comme zone spéciale par la règle 1 du chapitre I de l’annexe I de la convention Marpol 73/78 qui nécessite des méthodes obligatoires particulières pour prévenir la pollution des mers par les hydrocarbures. En outre, en 2005, l’organisation maritime internationale
(ci-après l’« OMI ») a désigné la mer Baltique comme « zone maritime particulièrement vulnérable », ce qui signifie que c’est une zone qui « en raison de l’importance reconnue de ses caractéristiques écologiques, socio-économiques ou scientifiques et de son éventuelle vulnérabilité aux dommages causés par les activités des transports maritimes internationaux, devrait bénéficier d’une protection particulière, par le biais de mesures prises par l’OMI ». Voir la résolution de l’OMI A. 982 (24),
directives révisées pour l’identification et la désignation des zones maritimes particulièrement vulnérables, adoptées le 1er décembre 2005.

( 35 ) En fait, il me semble que la possibilité prévue à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2005/35 d’appliquer des règles plus strictes concerne, en premier lieu, les sanctions à infliger en cas d’infraction aux normes applicables en matière de pollution prévues par la convention Marpol 73/78. À cet égard, le considérant 5 de la directive 2005/35 mentionne expressément la nécessité d’harmoniser, notamment, la définition précise de l’infraction considérée, les exemptions, les règles
minimales en matière de sanctions, la responsabilité et la compétence.

( 36 ) Il est également utile de relever que l’article 237, paragraphe 1, de la convention sur le droit de la mer indique expressément que les dispositions de cette convention relatives à la protection et à la préservation du milieu marin n’affectent pas les obligations particulières qui incombent aux États en vertu de conventions et d’accords spécifiques conclus antérieurement en matière de protection et de préservation du milieu marin, ni les accords qui peuvent être conclus en application des
principes généraux énoncés dans la convention sur le droit de la mer.


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : C-15/17
Date de la décision : 28/02/2018
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Renvoi préjudiciel – Convention de Montego Bay – Article 220, paragraphe 6 – Pouvoirs de l’État côtier – Compétence de la Cour pour interpréter des dispositions du droit international – Directive 2005/35/CE – Pollution causée par les navires – Article 7, paragraphe 2 – Convention Marpol 73/78 – Rejet d’hydrocarbures par un navire étranger en transit dans la zone économique exclusive – Circonstances dans lesquelles l’État côtier peut intenter une action contre un navire étranger – Liberté de navigation – Protection de l’environnement marin – Dommages importants ou risque de dommages importants causés au littoral, aux intérêts connexes ou à toutes ressources de la mer territoriale ou de la zone économique exclusive – Preuve manifeste.

Relations extérieures

Transports

Pollution

Environnement

Accords internationaux


Parties
Demandeurs : Bosphorus Queen Shipping Ltd Corp.
Défendeurs : Rajavartiolaitos.

Composition du Tribunal
Avocat général : Wahl

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2018:123

Source

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