CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. MACIEJ SZPUNAR
présentées le 12 avril 2018 ( 1 )
Affaire C‑107/17
UAB « Aviabaltika »
contre
BAB Ūkio bankas
[demande de décision préjudicielle formée par le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême de Lituanie)]
« Renvoi préjudiciel – Politique économique et monétaire – Libre circulation des capitaux – Exécution des contrats de garantie financière – Engagement d’une procédure de liquidation à l’égard du preneur de garantie financière – Survenance du fait entraînant l’exécution de la garantie – Inclusion de la garantie financière dans la masse d’insolvabilité – Obligation de satisfaire les créances, en premier lieu, de la garantie financière »
I. Introduction
1. C’est la seconde fois que la Cour est appelée à se prononcer, par voie préjudicielle, sur l’interprétation des dispositions de la directive 2002/47/CE ( 2 ).
2. Dans la première affaire ayant donné lieu à l’arrêt Private Equity Insurance Group ( 3 ), la Cour avait été appelée à clarifier les droits du preneur de la garantie (ci-après le « preneur ») en cas d’insolvabilité du constituant de la garantie (ci-après le « constituant »). En l’espèce, il s’agit de trancher des questions portant sur l’interprétation de la directive 2002/47 dans la situation où une procédure d’insolvabilité a été ouverte à l’égard du preneur de la garantie.
3. Plus précisément, par ses deux premières questions préjudicielles, la juridiction de renvoi cherche à savoir si la directive 2002/47 exige que le preneur puisse ou doive réaliser la garantie financière malgré l’ouverture de la procédure d’insolvabilité à son égard. Par sa troisième question, cette juridiction s’interroge sur la possibilité d’appliquer au constituant un traitement différencié par rapport à celui valant pour les autres créanciers impliqués dans cette procédure d’insolvabilité afin
que ce constituant puisse effectivement récupérer la garantie financière n’ayant pas été réalisée par le preneur.
II. Le cadre juridique
A. Le droit de l’Union
4. L’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 2002/47 précise que l’on entend par « contrat de garantie financière avec constitution de sûreté » un contrat par lequel le constituant fournit au preneur, ou en faveur de celui-ci, la garantie financière sous la forme d’une sûreté, et où le constituant conserve la pleine propriété ou la propriété restreinte de cette garantie financière, ou le droit intégral à cette dernière, lorsque le droit afférent à cette sûreté est établi.
5. L’article 4 de la directive 2002/47, intitulé « Exécution des contrats de garantie financière », dispose, en ses paragraphes 1 et 5 :
« 1. Les États membres veillent à ce que, dans les cas entraînant l’exécution de la garantie, le preneur de la garantie puisse réaliser d’une des manières décrites ci-après toute garantie financière fournie en vertu d’un contrat de garantie financière avec constitution de sûreté et conformément aux stipulations de celui-ci :
a) tout instrument financier par voie de vente ou d’appropriation et soit en compensation, soit pour acquit des obligations financières couvertes ;
b) toutes espèces, soit en compensation du montant, soit pour acquit, des obligations financières couvertes.
[...]
5. Les États membres font en sorte qu’un contrat de garantie financière puisse prendre effet selon les modalités qu’il prévoit indépendamment de l’engagement ou de la poursuite d’une procédure de liquidation ou de mesures d’assainissement à l’égard du constituant ou du preneur de la garantie. »
B. Le droit lituanien
6. Il s’avère que, lors de la transposition de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 2002/47, le législateur lituanien a fait référence à un « contrat de garantie financière sans transfert de propriété » au lieu de faire référence à un « contrat de garantie financière avec constitution de sûreté ». L’article 2, paragraphe 8, du Lietuvos Respublikos finansinio užtikrinimo susitarimų įstatymas (loi lituanienne sur les contrats de garantie financière) précise :
« On entend par “contrat de garantie financière sans transfert de propriété” un accord par lequel le constituant fournit au preneur ou en faveur de celui-ci une garantie financière, garantissant l’exécution des obligations financières couvertes, mais où le constituant conserve la pleine propriété ou la propriété restreinte de la garantie financière. »
7. L’article 9, paragraphes 3 et 8, de la loi lituanienne sur les contrats de garantie financière prévoit :
« 3. En cas de survenance d’un fait entraînant l’exécution de la garantie financière, le preneur de la garantie est en droit de réaliser unilatéralement la garantie financière fournie en application d’un contrat de garantie financière sans transfert de propriété, de l’une des manières décrites ci-après et conformément aux stipulations dudit contrat :
[…]
8. Le contrat de garantie financière prend effet aux dates y prévues, indépendamment de l’ouverture d’une procédure de liquidation ou de la mise en œuvre de mesures d’assainissement à l’égard du constituant ou du preneur de la garantie. »
III. Les faits à l’origine du litige au principal
8. En 2011 et en 2012, UAB aviacijos kompanija (ci-après « Aviabaltika ») et la banque AB (ci-après « Ūkio bankas ») ont conclu deux contrats de constitution de garantie sur le fondement desquels des garanties ont été fournies à des cocontractants d’Aviabaltika (ci-après les « contrats de 2011 et de 2012 »). Aviabaltika a apporté en garantie de ses obligations les fonds se trouvant sur le compte ouvert à son nom auprès d’Ūkio bankas.
9. À la suite de la conclusion de ces contrats, Ūkio bankas et la société Commerzbank AG ont conclu les contrats de contre-garantie, en application desquels Commerzbank a fourni des garanties à la State Bank of India. Cette dernière a fourni les garanties aux bénéficiaires des garanties, à savoir les cocontractants d’Aviabaltika.
10. Au mois de mai 2013, une procédure d’insolvabilité a été ouverte à l’encontre d’Ūkio bankas.
11. Aviabaltika n’a pas exécuté ses obligations à l’égard des cocontractants au bénéfice desquels les garanties avaient été constituées en vertu des contrats de 2011 et de 2012.
12. En 2014, à la demande d’un de ces cocontractants, Commerzbank a exécuté ses obligations découlant du contrat de contre-garantie. Commerzbank a ensuite débité certaines sommes des fonds qu’Ūkio bankas avait déposés sur un compte pour assurer les contre-garanties.
13. Dans l’intervalle, le Kaunas apygardos teismas (tribunal régional de Kaunas, Lituanie) a admis au passif d’Ūkio bankas la créance d’Aviabaltika sur ce premier découlant de la remise des fonds à titre de garantie en vertu du contrat de garantie financière.
14. Après s’être acquittée de ses obligations envers Commerzbank, Ūkio bankas a prélevé une partie de la somme débitée par Commerzbank sur des fonds qui se trouvaient sur un compte ouvert au nom d’Aviabaltika. Ces fonds ont été constitués par l’indemnité reçue en application des dispositions lituaniennes sur l’assurance des dépôts. Dans l’affaire au principal, Ūkio bankas réclame qu’Aviabaltika lui rembourse la partie restante de la somme due en vertu des contrats de 2011 et de 2012 ainsi que les
intérêts.
15. Dans le cadre de ce litige, Aviabaltika soutient qu’Ūkio bankas aurait dû satisfaire à ses créances en prélevant les fonds se trouvant sur le compte ouvert pour couvrir la garantie. Par ailleurs, Aviabaltika considère qu’elle ne pourra pas récupérer la garantie financière qui n’a pas été réalisée par Ūkio bankas dans le cadre de la procédure d’insolvabilité ouverte à l’encontre de cette banque. Aviabaltika soutient dès lors que, si elles font droit à la demande d’Ūkio bankas, les juridictions
nationales la condamneront, en pratique, à verser une deuxième fois à cette banque une somme d’argent du même montant que ces fonds.
16. En revanche, Ūkio bankas fait valoir que, après l’ouverture de la procédure d’insolvabilité, il lui était interdit de s’acquitter d’une obligation financière dont elle ne se serait pas acquittée avant l’ouverture de cette procédure. Ūkio bankas indique également que, dès l’ouverture de la procédure d’insolvabilité, les fonds se trouvant sur le compte ouvert au nom d’Aviabaltika pour couvrir la garantie appartenaient à la masse de la faillite de cette banque et que, de ce fait, elle ne pouvait
plus les utiliser pour satisfaire à ses créances.
17. Par jugement du 14 décembre 2015, le Kaunas apygardos teismas (tribunal régional de Kaunas) a accueilli l’intégralité des demandes d’Ūkio bankas relatives aux contrats de 2011 et de 2012.
18. Par arrêt du 31 mai 2016, le Lietuvos apeliacinis teismas (Cour d’appel de Lituanie) a confirmé le jugement du 14 décembre 2015.
19. Aviabaltika a introduit un pourvoi en cassation devant le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême).
IV. La procédure et les questions préjudicielles
20. C’est dans ce contexte que le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Convient-il d’interpréter l’article 4, paragraphe 5, de la directive 2002/47 en ce sens qu’il fait obligation aux États membres d’adopter une réglementation en application de laquelle la garantie financière ne tombe pas dans la masse de la faillite du preneur de la garantie (de la banque en faillite) ? En d’autres termes, les États membres sont-ils obligés d’adopter une réglementation qui permette au preneur de la garantie (à la banque) de procéder dans les faits au règlement de sa créance,
assurée au moyen de la garantie financière (à savoir les fonds se trouvant sur le compte bancaire et le droit de créance sur ces fonds), alors même que le fait entraînant l’exécution de la garantie financière est survenu postérieurement à l’ouverture de la procédure de liquidation du preneur de la garantie (de la banque) ?
2) À la lumière de l’économie de la directive 2002/47, convient-il d’interpréter son article 4, paragraphes 1 et 5, en ce sens qu’il confère au constituant de la garantie le droit d’exiger que le preneur de la garantie (la banque) utilise d’abord la garantie (les fonds se trouvant sur le compte bancaire et le droit de créance sur ces fonds) pour le règlement de la créance garantie et impose au preneur une obligation correspondante en ce qui concerne le recouvrement de sa créance, nonobstant la
procédure de liquidation ouverte à son encontre ?
3) En cas de réponse négative à la deuxième question et si le constituant de la garantie règle la créance garantie du preneur au moyen d’autres actifs lui appartenant, convient-il d’interpréter la directive 2002/47 et, notamment, ses articles 4 et 8 en ce sens qu’il faut déroger, au bénéfice du constituant de la garantie, à l’égalité de traitement des créanciers du preneur (de la banque) insolvable et lui accorder une préférence sur les autres créanciers dans le cadre de la procédure
d’insolvabilité afin qu’il puisse récupérer la garantie financière ? »
21. Des observations écrites ont été déposées par Aviabaltika, Ūkio bankas, le gouvernement lituanien, ainsi que par la Commission européenne, qui ont également comparu lors de l’audience de plaidoiries qui s’est tenue le 18 janvier 2018.
V. Analyse
A. Sur la première question préjudicielle
22. Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi cherche à savoir si l’article 4, paragraphe 5, de la directive 2002/47 impose aux États membres de faire en sorte que le preneur puisse exécuter le contrat de garantie financière avec constitution de sûreté afin de recouvrer sa créance sur le constituant, lorsque le fait entraînant l’exécution de la garantie se produit après l’engagement de la procédure d’insolvabilité à l’égard de ce preneur. Dans l’affirmative, cette juridiction
cherche à savoir si la directive 2002/47 détermine la façon dont la possibilité d’exécuter le contrat de garantie financière doit être assurée en cas d’insolvabilité dudit preneur.
23. Bien qu’il ressorte de la teneur de la première question préjudicielle que la juridiction de renvoi considère que les deux interrogations sont identiques, il y a lieu d’observer que l’existence de l’obligation de faire en sorte que le preneur puisse exécuter le contrat de garantie financière en cas d’insolvabilité constitue la question préalable à la détermination de la façon dont cette possibilité doit être assurée.
24. En outre, certes la juridiction de renvoi se demande, dans le contexte de la première question préjudicielle, si la directive 2002/47 met sur un pied d’égalité la protection des droits du constituant et du preneur en cas d’insolvabilité d’une autre partie au contrat. Toutefois, il s’avère que, par cette même question, cette juridiction vise à établir, en substance, si la garantie financière peut être réalisée par le preneur lorsque celui-ci fait l’objet d’une procédure d’insolvabilité.
25. Pour répondre à cette question, j’aborderai tout d’abord l’existence de l’obligation des États membres d’assurer que le preneur puisse exécuter la garantie financière s’il est déclaré insolvable. J’analyserai ensuite la directive 2002/47 afin d’établir si elle détermine la façon dont la possibilité d’exécuter la garantie financière doit être assurée.
1. Observations liminaires
26. Il ressort de la demande de décision préjudicielle que la question – soulevée en l’espèce – relative à l’exécution d’un contrat de garantie financière dans l’hypothèse où le fait entraînant l’exécution de la garantie financière survient après l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité à l’encontre du preneur, n’a pas encore été tranchée par la juridiction de renvoi dans sa jurisprudence. Cependant, cette juridiction a abordé une problématique similaire dans le contexte d’affaires portant sur la
restitution de la garantie financière, réclamée après l’ouverture d’une procédure de liquidation à l’encontre d’un preneur, alors qu’aucun fait entraînant l’exécution du contrat de garantie financière n’était survenu.
27. Conformément à la jurisprudence lituanienne, le transfert des fonds sur le compte bancaire entraîne la perte du droit de propriété sur ces fonds et l’acquisition d’une créance de restitution du montant transféré contre la banque. De plus, selon cette jurisprudence, la conclusion d’un contrat de garantie financière avec constitution de sûreté et la remise des fonds se trouvant sur un compte bancaire à titre de garantie ont pour effet de donner en garantie les créances de restitution de ces fonds.
28. Par ailleurs, les dispositions nationales en matière d’insolvabilité édictent une interdiction d’exécuter toute obligation non encore exécutée au moment de l’ouverture de la procédure d’insolvabilité.
29. Or, si les dispositions nationales en matière de garantie financière prévoient que l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité n’a pas pour effet de limiter les droits du preneur, elles n’octroient cependant pas de protection similaire à l’égard du constituant.
30. En effet, la législation nationale pertinente ne confère pas au constituant le droit de reprendre – du moins en dehors de la procédure d’insolvabilité – la garantie financière après l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité à l’encontre du preneur.
31. C’est dans ce contexte que la juridiction de renvoi indique que ses préoccupations découlent du fait que la directive 2002/47 ne définisse pas clairement la portée des droits du constituant en cas d’ouverture d’une procédure de liquidation à l’égard du preneur. Elle considère toutefois que, dans l’arrêt Private Equity Insurance Group ( 4 ), la Cour a interprété la directive 2002/47 en ce sens qu’elle fait obstacle, en substance, à ce qu’une procédure d’insolvabilité ait un effet sur les contrats
de garantie financière.
32. Partant, la juridiction de renvoi s’interroge sur l’articulation entre le régime du contrat de garantie financière avec constitution de sûreté et les règles nationales en matière d’insolvabilité dans des circonstances telles que celles de l’espèce.
2. La directive 2002/47 établit-elle l’obligation pour les États membres de faire en sorte que le preneur puisse exécuter le contrat de garantie financière dans le cas de son insolvabilité ?
a) Positions des parties
33. Ūkio bankas estime qu’il n’y a pas lieu de répondre à la partie de la première question préjudicielle qui porte sur le droit du preneur de procéder au règlement de sa créance à l’aide de la garantie financière dans des circonstances telles que celles de l’espèce. Cette partie de la première question préjudicielle viserait la situation spécifique dans laquelle le débiteur – dans la relation juridique née de l’existence d’un compte bancaire (la banque) – coïncide avec le preneur – dans la relation
juridique issue de la constitution d’une garantie financière. Or, les rapports juridiques entre les banques et les titulaires des comptes bancaires ne relèveraient pas de la directive 2002/47 mais du seul droit national.
34. Le gouvernement lituanien considère que l’article 4, paragraphe 5, de la directive 2002/47 n’oblige pas les États membres à veiller à ce que, après l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité à l’encontre du preneur, ce dernier puisse recouvrer sa créance sur la garantie financière. Selon ce gouvernement, les articles 4 et 8 de la directive 2002/47 prévoient une protection du preneur en cas de procédure d’insolvabilité ouverte à l’encontre du constituant. Il en irait d’autant plus ainsi que la
directive 2002/47 réglemente de manière minimale les droits du constituant.
35. En revanche, la Commission est d’avis que l’article 4, paragraphe 5, de la directive 2002/47 vise à protéger les deux parties au contrat de garantie financière contre les effets des procédures d’insolvabilité.
36. Aviabaltika estime que l’article 4, paragraphe 5, de la directive 2002/47 confère au preneur, de façon claire et univoque, le droit de réaliser la garantie financière nonobstant la procédure d’insolvabilité ouverte à son encontre, lorsque le fait entraînant sa réalisation est postérieur à l’ouverture de cette procédure.
b) Interprétation de l’article 4, paragraphe 5, de la directive 2002/47
37. Aux termes de l’article 4, paragraphe 5, de la directive 2002/47, les « États membres font en sorte qu’un contrat de garantie financière puisse prendre effet selon les modalités qu’il prévoit indépendamment de l’engagement ou de la poursuite d’une procédure de liquidation ou de mesures d’assainissement à l’égard du constituant ou du preneur de la garantie ».
38. À mon sens, le libellé de l’article 4, paragraphe 5, de la directive 2002/47 ne laisse subsister aucun doute sur le fait que cette disposition vise les situations où une procédure d’insolvabilité est ouverte à l’égard d’un preneur ou d’un constituant ( 5 ). Dès lors, les termes de l’article 4, paragraphe 5, de cette directive sont univoques quant au fait que les États membres sont tenus de prévoir un cadre juridique garantissant que le contrat de garantie financière puisse être exécuté selon les
modalités prévues par ce contrat indépendamment de l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité à l’égard du preneur.
39. Toutefois, ces constatations ne permettent pas de décider que les États membres sont obligés d’adopter une réglementation en application de laquelle la garantie financière ne tombe pas dans la masse de la faillite du preneur.
3. La directive 2002/47 détermine-t-elle la façon dont devrait être assurée la possibilité d’exécuter le contrat de garantie financière lorsque le preneur fait l’objet d’une procédure d’insolvabilité ?
a) Positions des parties
40. Le gouvernement lituanien considère que l’exclusion de la garantie financière de la masse du preneur en faillite ne devrait pas être considérée comme une mesure indispensable pour transposer correctement la directive 2002/47. Par ailleurs, ce gouvernement indique que la garantie financière, déposée en espèces auprès de l’établissement de crédit, relève également du champ d’application de la directive 2014/49/UE ( 6 ). Cette directive ne mentionne pas la garantie financière comme une institution
à laquelle il faudrait accorder un statut particulier. Elle est protégée en tant que dépôt et, comme les autres dépôts, elle tombe dans la masse de l’établissement de crédit en faillite.
41. Dans le même ordre d’idées, Ūkio bankas relève qu’en droit de l’Union il n’existe pas de principe général qui exigerait de conserver un bien reçu d’une autre personne séparément du reste de son patrimoine. Si le législateur de l’Union avait souhaité cette solution, il aurait adopté une règle précise et explicite à cet égard. Ūkio bankas invoque plusieurs actes de droit dérivé de l’Union au soutien de sa position.
42. Contrairement aux positions du gouvernement lituanien et d’Ūkio bankas, Aviabaltika et la Commission considèrent que la remise des fonds à titre de garantie financière avec constitution de sûreté ne peut pas entraîner l’intégration de ces fonds dans la masse des actifs du preneur.
43. Plus précisément, Aviabaltika conteste la prémisse sur laquelle est fondée la première question préjudicielle. En effet, en l’occurrence, les fonds remis à titre de garantie financière ne feraient pas partie du patrimoine du preneur.
44. La Commission se prononce sur cet aspect de manière plus détaillée. Elle considère que, dans le cadre de la directive 2002/47, il convient de distinguer deux types de contrats de garantie financière, à savoir des contrats avec constitution de sûreté et des contrats avec transfert de propriété. Selon la Commission, la garantie financière constituée en vertu du contrat de garantie financière avec constitution de sûreté ne devrait pas faire partie de la masse des actifs du preneur en cas de
liquidation de ce dernier. La Commission indique avoir prévu, dans le projet de la directive en cause, un considérant 13 dont la deuxième phrase disposait, en ce qui concerne les contrats de garantie financière avec constitution de sûreté, que le constituant pouvait conserver la propriété de la somme engagée et voir son droit protégé en cas de faillite du preneur ( 7 ). Même si les termes du considérant 13, deuxième phrase, du projet de directive 2002/47 n’ont pas été repris dans la directive
2002/47, la séparation des contrats de garantie financière en deux catégories n’a pas été supprimée. En effet, de l’avis de la Commission, l’interprétation selon laquelle le constituant perdrait ses droits de propriété sur les espèces fournies dans le cadre du contrat de garantie financière avec constitution de sûreté annihilerait la différence entre les deux catégories de contrats.
b) Sur les effets du transfert des fonds sur le compte bancaire et de la constitution de la garantie financière
45. Tout d’abord, il y a lieu d’observer qu’Aviabaltika et la Commission visent, dans leurs observations, non pas la masse de la faillite du preneur mais la masse des actifs de ce dernier. En effet, Aviabaltika et la Commission semblent considérer qu’en l’occurrence la question de la conservation de la garantie financière en dehors de la masse de la faillite ne devrait pas se poser étant donné qu’il s’agit d’une garantie financière avec constitution de sûreté.
46. Il est vrai que, dans la doctrine, il a été avancé que lorsqu’il s’agit d’un contrat de garantie financière avec constitution de sûreté au sens de la directive 2002/47, les créanciers du preneur n’ont pas de droit sur les fonds remis à titre de garantie financière, car, en définitive, ceux-ci n’appartiennent pas au patrimoine de ce preneur ( 8 ).
47. Or, il s’avère qu’en l’espèce ce n’est pas le cas. Il ressort de la demande de décision préjudicielle que, en vertu de la législation lituanienne, le transfert des fonds sur le compte bancaire entraîne la perte du droit de propriété sur ces fonds.
48. Par ailleurs, en réponse à une question posée par la Cour lors de l’audience, le gouvernement lituanien a déclaré que, lorsqu’il s’agit d’une garantie fournie sous forme d’espèces versées sur le compte ouvert auprès du preneur, la distinction entre un contrat de garantie avec transfert de propriété et un contrat de garantie financière avec constitution de sûreté est établie en fonction du titulaire du compte en cause. Lorsque ce compte est ouvert au nom du constituant, il s’agit d’un contrat de
garantie financière avec constitution de sûreté, alors que, au cas où le preneur est le titulaire du compte, il s’agit d’un contrat de garantie avec transfert de propriété.
49. Ainsi, il me semble que, en l’occurrence, la raison pour laquelle la juridiction de renvoi s’interroge sur la conservation de la garantie financière en dehors de la masse de la faillite du preneur découle du fait que – selon l’interprétation de la législation lituanienne effectuée par la jurisprudence nationale – le transfert des fonds sur le compte bancaire (quel que soit son titulaire) entraîne l’attribution des fonds à la banque ( 9 ).
50. Dans ce contexte, il y a lieu d’observer que la position de la juridiction de renvoi n’est pas évidente lorsqu’il s’agit de l’identification de l’objet de la garantie financière.
51. D’une part, dans ses deux premières questions préjudicielles, la juridiction de renvoi mentionne les fonds se trouvant sur le compte bancaire ainsi que le droit de créance sur ces fonds lorsqu’elle se réfère à la garantie financière. D’autre part, cette juridiction indique dans sa demande qu’il convient de considérer que, en l’espèce, la garantie financière est constituée du droit de créance sur les fonds se trouvant sur le compte bancaire ouvert au nom d’Aviabaltika au sein d’Ūkio bankas.
52. En tout état de cause, il me semble que, selon la juridiction de renvoi, la créance de restitution de ces fonds tombe également dans la masse de la faillite du preneur de la garantie. C’est la raison pour laquelle cette juridiction s’interroge, dans ses deux premières questions préjudicielles, sur la conservation des fonds et de la créance en dehors de la masse de la faillite du preneur de la garantie.
c) Sur la protection de la possibilité d’exécuter la garantie financière
53. Aviabaltika et la Commission considèrent que – lorsqu’il s’agit d’un contrat de garantie financière avec constitution de sûreté – la directive 2002/47 oblige les États membres à veiller à ce que la garantie financière ne tombe pas dans la masse des actifs du preneur. En conséquence, la garantie financière ne serait pas susceptible de tomber dans la masse de la faillite de ce preneur.
54. La conservation séparée de l’objet de la garantie financière lors de sa constitution serait dès lors la seule solution conforme à l’article 4, paragraphe 5, de la directive 2002/47.
55. Toutefois, je ne suis pas persuadé par une telle approche catégorique. Il convient de rappeler que, conformément à l’article 288 TFUE, une directive, y compris donc la directive 2002/47, lie les États membres quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens.
56. Dans ce contexte, il y a lieu d’observer que les systèmes juridiques des États membres en matière d’insolvabilité sont caractérisés par de profondes différences. Il en va de même lorsqu’il s’agit des dispositions nationales portant sur les effets de la remise au preneur de l’objet de la garantie financière.
57. C’était la raison pour laquelle le législateur avait choisi de ne pas adopter un acte portant sur la garantie financière en tant qu’instrument de l’Union à caractère unitaire. Il visait plutôt à instaurer le régime de la garantie financière avec le moins de répercussions possible sur le cadre juridique en place dans les États membres ( 10 ).
58. C’est également, à mon sens, la raison pour laquelle l’article 4, paragraphe 5, de la directive 2002/47 oblige les États membres à veiller à ce qu’un contrat de garantie financière puisse prendre effet « indépendamment », notamment, de l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité à l’égard du preneur. En utilisant les termes du considérant 12, deuxième phrase, de la directive 2002/47, qui correspond à l’article 4, paragraphe 5, de cette directive, il s’agit ici d’« immunisation » des contrats de
garantie financière contre certaines dispositions du droit de l’insolvabilité. Cette approche est également confirmée par l’exposé des motifs du projet de la directive 2002/47, selon lequel cette directive vise à soustraire dans une mesure limitée les contrats de garantie à certaines dispositions des lois sur l’insolvabilité, notamment celles pouvant faire obstacle à l’exécution de la garantie ( 11 ).
59. Dans ce contexte, j’observe que la directive 2002/47 ne détermine pas la façon dont la garantie financière doit être « immunisée » contre les dispositions nationales en matière d’insolvabilité. En tout état de cause, contrairement aux autres actes du droit dérivé de l’Union mentionnés par Ūkio bankas ( 12 ), la directive 2002/47 n’exige pas que la garantie financière soit conservée de manière séparée lors de sa constitution. Dès lors, il ne me semble pas que la conservation de la garantie
financière en dehors de la masse des actifs du preneur soit la seule solution imposée par la directive 2002/47.
60. J’estime que les États membres peuvent adopter des solutions différentes lors de la transposition de la directive 2002/47 afin d’immuniser la garantie financière contre les règles nationales en matière d’insolvabilité, de sorte que l’exécution du contrat de garantie financière ne serait pas susceptible d’être affectée par l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité contre le preneur.
61. Les États membres pourraient notamment nuancer les dispositions qui fixent les effets de la mise à disposition du preneur, de la garantie financière, de telle sorte qu’elle n’entrerait pas dans la masse des actifs du preneur lors de sa constitution. Ils pourraient également nuancer les dispositions nationales en matière d’insolvabilité qui désignent les actifs faisant partie de la masse de l’insolvabilité. Par ailleurs, on ne saurait d’emblée exclure la solution selon laquelle la garantie
financière tomberait dans la masse de la faillite, alors que le preneur conserverait le droit de réaliser cette garantie nonobstant le déroulement de la procédure d’insolvabilité.
62. À la lumière de l’argumentation présentée ci-dessus, je propose à la Cour de répondre à la première question préjudicielle que l’article 4, paragraphe 5, de la directive 2002/47 doit être interprété en ce sens que les États membres sont obligés d’adopter une réglementation qui permet au preneur de la garantie de recouvrer sa créance sur la garantie financière constituée en vertu du contrat de garantie financière avec constitution de sûreté, alors même que le fait entraînant l’exécution de la
garantie financière est survenu postérieurement à l’ouverture de la procédure d’insolvabilité à l’égard de ce preneur. Il appartient aux États membres d’établir la façon dont devrait être assurée la possibilité d’exécuter le contrat de garantie financière avec constitution de sûreté lorsque le preneur fait l’objet d’une telle procédure.
B. Sur la deuxième question préjudicielle
63. Par sa deuxième question préjudicielle, la juridiction de renvoi vise à établir si la directive 2002/47 confère au constituant le droit d’exiger que le preneur utilise d’abord la garantie financière pour le règlement de la créance garantie et impose à ce preneur une obligation correspondante en ce qui concerne le recouvrement de sa créance sur cette garantie.
1. Position des parties
64. Ūkio bankas constate, en premier lieu, que la banque, en cas de faillite, n’a pas la possibilité de recouvrer sa créance sur la garantie financière lorsque celle-ci consiste en des fonds se trouvant sur un compte ouvert par le constituant auprès de la banque.
65. En second lieu, Ūkio bankas indique que la directive 2002/47 confère au preneur le droit de choisir la manière dont il exerce sa créance sur le constituant. L’article 4, paragraphes 1 et 5, ainsi que l’article 2, paragraphe 1, sous l), de cette directive porteraient sur la possibilité de réaliser la garantie financière. L’article 4 de la directive 2002/47 fait usage, en ses paragraphes 1 et 5, respectivement, des expressions « que le preneur puisse réaliser d’une des manières décrites [audit
paragraphe] toute garantie financière » et « qu’un contrat de garantie financière puisse prendre effet selon les modalités qu’il prévoit» ( 13 ). L’article 2, paragraphe 1, sous l), de la directive 2002/47 dispose, quant à lui, que la survenance d’un fait entraînant l’exécution « habilite le preneur de la garantie à réaliser ou à s’approprier la garantie financière ou déclenche une compensation avec déchéance du terme» ( 14 ).
66. Dans le même esprit, le gouvernement lituanien considère notamment que, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2002/47, les États membres sont obligés de veiller à ce que le preneur de la garantie puisse avoir recours aux moyens de réalisation de la garantie prévus à cette disposition.
67. En revanche, Aviabaltika a soutenu lors de l’audience que les expressions invoquées par Ūkio bankas et le gouvernement lituanien signifient que le preneur peut décider, s’il le souhaite, de recouvrer ou non ses créances sur le constituant.
68. Aviabaltika estime par ailleurs que l’article 4, paragraphes 1 et 5, de la directive 2002/47 ne réglemente pas expressément la question de l’obligation du preneur de recouvrer sa créance d’abord sur la garantie constituée. L’existence et la portée d’une telle obligation devraient en effet être établies en vertu du contrat conclu entre les parties, compte tenu des dispositions de droit national applicables à ce contrat et des objectifs de la directive 2002/47. Partant de cette prémisse,
Aviabaltika considère que la présomption selon laquelle il convient de réaliser d’abord la garantie constitue une clause implicite du contrat.
69. Dans la même veine, la Commission considère que l’article 4, paragraphes 1 et 5, de la directive 2002/47 doit être interprété en ce sens qu’il confère au constituant le droit d’exiger que le preneur règle sa créance d’abord au moyen de la garantie prévue par le contrat, à moins que celui-ci n’en dispose autrement.
2. Sur les modalités de réalisation de la garantie financière
70. Il est évident que, sur le plan linguistique, l’article 2, paragraphe 1, sous l), et l’article 4, paragraphes 1 et 5, de la directive 2002/47 impliquent plutôt la faculté que l’obligation de réaliser la garantie financière.
71. Toutefois, il convient de tenir compte du fait que le preneur est en droit de réaliser la garantie financière lorsque intervient « le fait entraînant [son] exécution » au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous l), de cette directive. Il s’agit ainsi non d’un événement certain mais d’une hypothèse. En conséquence, la circonstance que le fait entraînant l’exécution est incertain peut expliquer la raison pour laquelle l’article 4, paragraphe 5, de la directive 2002/47 concerne la possibilité qu’un
contrat de garantie financière soit susceptible de prendre ses effets indépendamment de l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité.
72. En ce qui concerne l’utilisation des expressions « le preneur de la garantie puisse réaliser [la garantie financière] » figurant à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2002/47 et « habilite le preneur de la garantie à réaliser […] la garantie financière » figurant à l’article 2, paragraphe 1, sous l), de cette directive, j’observe que ces dispositions prévoient plusieurs manières de réaliser la garantie financière. Cela pourrait expliquer la raison pour laquelle il s’agit non d’une
obligation d’avoir recours à l’une de ces manières mais d’une faculté.
73. Il s’avère que l’interprétation des expressions figurant dans les dispositions en cause et visant la faculté de réaliser la garantie financière – notamment à l’article 4, paragraphes 1 et 5 – ne permet pas de répondre de manière univoque à la deuxième question préjudicielle.
74. Toutefois, il y a lieu d’observer que l’article 4, paragraphes 1 et 5, de la directive 2002/47 renvoie aux stipulations contractuelles pour déterminer les modalités de réalisation de la garantie financière. Par ailleurs, plusieurs dispositions de la directive 2002/47, à l’instar de l’article 4, paragraphe 5, de cette directive, octroient également une certaine valeur aux « stipulations» ( 15 ) du contrat de garantie financière ou à ses « modalités» ( 16 ). Ces dispositions visent à veiller à ce
que le contrat de garantie financière soit exécuté conformément aux arrangements initiaux des parties, indépendamment de toute circonstance extérieure, y compris l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité.
75. Il s’ensuit que, dans le cadre de la directive 2002/47, les arrangements des parties au contrat de garantie financière bénéficient d’un statut particulier. Dès lors, on peut soutenir que cette directive vise surtout à respecter les intentions des parties exprimées lors de la conclusion du contrat de garantie financière. En conséquence, la réponse à la deuxième question préjudicielle dépend de l’interprétation du contrat de garantie financière conclu entre les parties à l’affaire au principal.
76. Or, contrairement à ce que soutiennent Aviabaltika et la Commission, je ne pense pas que la directive 2002/47 instaure la présomption selon laquelle le preneur est obligé de recouvrer sa créance sur la garantie financière, à moins que le contrat de garantie financière n’en dispose autrement. Cette problématique dépend notamment des solutions adoptées par le législateur national lorsqu’il s’agit de l’interprétation des contrats conclus entre particuliers.
77. Ainsi, il convient de constater que l’article 4, paragraphes 1 et 5, de la directive 2002/47 doit être interprété en ce sens qu’il n’oblige pas le preneur de la garantie à régler sa créance d’abord au moyen de la garantie constituée en vertu du contrat de garantie financière avec constitution de sûreté.
3. Sur les implications de la solution proposée sur la récupération de la garantie inutilisée par le constituant
78. Je suis sensible à la thèse avancée par Aviabaltika et la Commission selon laquelle le fait que le preneur n’est pas obligé de régler sa créance d’abord au moyen de la garantie financière peut faire obstacle à la récupération effective de cette garantie par le constituant en cas d’insolvabilité de ce preneur, de sorte que, en pratique, ce constituant aurait à payer deux fois une somme d’argent du montant de la garantie financière.
79. Toutefois, compte tenu des deux premières solutions envisagées au point 61 des présentes conclusions, à savoir, la première, la conservation de la garantie financière en dehors de la masse des actifs du preneur et, la seconde, sa conservation en dehors de la masse de la faillite de ce preneur, le constituant devrait avoir le droit de récupérer la garantie et d’en être remboursé intégralement indépendamment de l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité. Il s’avère que ces deux solutions
produisent des effets durables, de sorte que le fait que le preneur a été désintéressé sur d’autres actifs du constituant n’entraîne pas le risque que le constituant ne puisse pas récupérer la garantie inutilisée.
80. Un tel risque se présente néanmoins en ce qui concerne la troisième des solutions envisagées au point 61 des présentes conclusions, à savoir la situation dans laquelle la garantie financière tombe dans la masse de la faillite. Dans ce cas, le preneur pourrait recouvrer sa créance sur d’autres actifs du constituant qui, dès lors, serait forcé d’essayer de récupérer la garantie inutilisée dans le cadre de la procédure d’insolvabilité selon l’ordre des créanciers désigné par les dispositions
nationales. En conséquence, dans certains cas, il pourrait arriver que le constituant ne puisse pas récupérer effectivement la garantie financière, même si le preneur a recouvré sa créance sur d’autres actifs de ce constituant.
81. Or, je ne suis pas sûr que cette solution soit conforme aux objectifs visés par le législateur de l’Union.
82. Sur un plan général, le régime instauré par la directive 2002/47 favorise – selon le considérant 3 de cette directive – l’intégration et le fonctionnement au meilleur coût du marché financier ainsi que la stabilité du système financier de l’Union.
83. En ce qui concerne l’articulation entre le régime du contrat de garantie financière instauré par la directive 2002/47 et les règles nationales en matière d’insolvabilité, le considérant 5 de cette directive indique que celle-ci vise à renforcer la sécurité juridique des contrats de garantie financière.
84. Par ailleurs, la deuxième phrase du considérant 12 de la directive 2002/47 parle non pas de l’« immunité » du preneur ou du constituant mais de l’« immunisation » des contrats de garantie financière contre des dispositions nationales en matière d’insolvabilité. De plus, il y a lieu d’observer que le considérant 11 de la directive 2002/47 – même s’il concerne le champ d’application de celle-ci – énonce également que cette directive vise à protéger les contrats de garantie financière remplissant
les conditions de forme prévues par ladite directive. Dans cet esprit, la Cour a indiqué, au point 50 de l’arrêt Private Equity Insurance Group ( 17 ), que le régime instauré par la directive 2002/47 accorde un avantage à la garantie financière en elle-même.
85. Les considérations exposées ci-dessus permettent de constater que la directive 2002/47 vise non pas à assurer uniquement la faculté de réaliser la garantie financière en cas d’insolvabilité d’une des parties, mais à instaurer un régime particulier pour le contrat de garantie financière en tant qu’instrument caractérisé par sa sécurité juridique qui – comme l’énoncent les considérants 3 et 17 de cette directive – permet de favoriser la stabilité du système financier de l’Union.
86. Je ne pense pas que cet objectif est conciliable avec la solution découlant de la législation nationale selon laquelle le constituant de la garantie est obligé de verser une deuxième fois au preneur une somme d’argent du montant de la garantie financière dans les circonstances telles que celles en cause au principal.
87. Il en va d’autant plus ainsi que, dans certains cas, une telle solution pourrait entraîner l’insolvabilité de ce constituant. Or, il ressort du considérant 17 de la directive 2002/47 que le régime de la garantie financière instauré par cette directive vise à limiter les effets de contagion en cas de défaillance d’une partie à un contrat de garantie financière.
88. Partant, la faculté de recouvrer la créance sur les autres actifs du constituant ne saurait empêcher ce constituant d’effectivement récupérer la garantie financière, nonobstant l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité à l’égard du preneur. Dans le cas contraire, le preneur serait systématiquement encouragé à recouvrer sa créance sur les autres actifs du constituant afin d’obtenir, en réalité, le double du montant de la garantie financière.
89. À la lumière de l’argumentation présentée ci-dessus, je propose à la Cour de répondre à la deuxième question préjudicielle que l’article 4, paragraphes 1 et 5, de la directive 2002/47 doit être interprété en ce sens qu’il n’oblige pas le preneur de la garantie à régler sa créance d’abord au moyen de la garantie constituée en vertu du contrat de garantie financière avec constitution de sûreté. Une telle obligation peut toutefois résulter des stipulations du contrat de garantie financière,
interprétées à la lumière des dispositions de la loi applicable à ce contrat. En tout état de cause, la faculté de recouvrer la créance sur les autres actifs du constituant après la survenance d’un fait entraînant l’exécution de la garantie financière ne saurait empêcher ce constituant de récupérer effectivement cette garantie inutilisée en cas d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité contre le preneur.
C. Sur la troisième question préjudicielle
1. Sur la recevabilité
90. Par la troisième question préjudicielle, posée dans l’hypothèse où la Cour apporterait une réponse négative à la deuxième question préjudicielle, la juridiction de renvoi souhaite que la Cour précise si le constituant devrait être privilégié sur les autres créanciers du preneur insolvable afin qu’il puisse récupérer la garantie financière lorsque le preneur a recouvré sa créance sur d’autres actifs de ce constituant.
91. Il y a lieu d’observer que, à mon sens, la troisième question préjudicielle n’a aucun rapport avec l’objet du litige au principal, de sorte que sa recevabilité pourrait être mise en question.
92. Cette question concerne le déroulement de la procédure d’insolvabilité ouverte à l’encontre d’Ūkio bankas. À cet égard, je rappelle que, conformément à la demande de décision préjudicielle, la juridiction qui a ouvert la procédure d’insolvabilité à l’égard d’Ūkio bankas a admis la créance d’Aviabaltika sur Ūkio bankas au passif de ce dernier ( 18 ).
93. Toutefois, l’affaire au principal oppose Ūkio bankas à Aviabaltika au sujet de l’exécution des contrats de 2011 et de 2012. Par ailleurs, il ne ressort pas de la demande de décision préjudicielle qu’Aviabaltika a introduit une demande reconventionnelle contre Ūkio bankas. Ainsi, dans le litige au principal, la juridiction de renvoi n’est pas appelée à trancher les questions portant sur le recouvrement de la créance d’Aviabaltika sur Ūkio bankas dans le cadre de la procédure d’insolvabilité.
94. Dès lors, je ne crois pas que répondre à la troisième question préjudicielle soit utile à la solution du litige au principal.
95. Je relève par ailleurs que la juridiction de renvoi n’invoque aucune règle de droit lituanien susceptible d’avoir une incidence sur l’ordre des créanciers du preneur et de favoriser le constituant de la garantie. En conséquence, je pense que, lors de la transposition de la directive 2002/47, le législateur lituanien n’a pas décidé de protéger les droits du constituant grâce aux dispositions nationales en matière d’insolvabilité qui désignent l’ordre suivant lequel les créanciers de l’entreprise
insolvable doivent être désintéressés.
96. En tout état de cause, la troisième question préjudicielle serait pertinente uniquement dans l’hypothèse où la garantie financière tomberait dans la masse de la faillite du preneur. Selon mon analyse de la première question préjudicielle, une telle solution est, en principe, admise par la directive 2002/47 ( 19 ). De plus, il ressort de la demande de décision préjudicielle que cette solution est celle envisagée dans la jurisprudence lituanienne.
97. Par ailleurs, quant à la question de savoir si le constituant devrait être privilégié par rapport aux autres créanciers du preneur insolvable afin qu’il puisse récupérer la garantie financière dès que le preneur a recouvré sa créance sur d’autres actifs du constituant, il ressort de ma réponse à la deuxième question préjudicielle que la faculté de recouvrer la créance sur les autres actifs du constituant ne saurait empêcher ce constituant de récupérer effectivement la garantie inutilisée.
98. Toutefois, dans le cadre de la troisième question préjudicielle, la juridiction de renvoi nourrit des doutes quant à la faculté de récupérer la garantie inutilisée lorsque le preneur fait l’objet d’une procédure d’insolvabilité. Plus précisément, cette juridiction cherche à savoir si la directive 2002/47 est susceptible d’avoir une incidence sur les dispositions nationales en matière d’insolvabilité qui désignent l’ordre selon lequel les créanciers du preneur devraient être désintéressés. Cette
problématique n’a pas été tranchée dans le cadre de mon analyse portant sur la deuxième question préjudicielle.
99. Tout en admettant le caractère hypothétique de mes réflexions relatives à la troisième question préjudicielle, je considère que l’analyse de cette question, dans la mesure où elle porte sur l’obligation des États membres d’accorder une préférence au constituant, de sorte qu’il puisse récupérer la garantie inutilisée lorsqu’elle entre dans la masse de la faillite du preneur, est utile, afin de présenter tous les aspect juridiques de l’affaire en cause au principal.
2. Sur l’incidence de la directive 2002/47 sur les dispositions nationales en matière d’insolvabilité
100. Ūkio bankas considère que la directive 2002/47 ne confère au constituant aucune préférence sur les autres créanciers du preneur dans le cadre de la procédure d’insolvabilité pour récupérer la garantie financière et qu’il convient d’appliquer le principe d’égalité de traitement des créanciers de la banque insolvable. Aviabaltika, le gouvernement lituanien et la Commission sont d’avis que les dispositions de la directive 2002/47 ne régissent pas l’ordre suivant lequel les créanciers de
l’entreprise insolvable doivent être désintéressés.
101. Je ne suis toutefois pas convaincu que l’absence de dispositions dans la directive 2002/47 fixant l’ordre des créanciers implique que cette directive ne soit pas susceptible d’avoir, lors de sa transposition, une incidence sur les dispositions nationales régissant l’ordre suivant lequel les créanciers de l’entreprise insolvable doivent être désintéressés.
102. Dans l’hypothèse où le législateur national déciderait d’intégrer la garantie financière, constituée en vertu du contrat de garantie financière avec constitution de sûreté, dans la masse de la faillite du preneur insolvable, ce législateur devrait assumer les conséquences de son choix et les refléter dans des dispositions nationales en matière d’insolvabilité, y compris dans les dispositions déterminant l’ordre suivant lequel les créanciers de l’entreprise insolvable doivent être désintéressés.
103. Premièrement, au point 59 de mes conclusions dans l’affaire Private Equity Insurance Group ( 20 ), faisant référence aux arguments de certains intéressés qui estimaient que la protection octroyée par la garantie financière lors de sa réalisation était susceptible d’affecter l’ordre des créanciers désigné par des dispositions nationales en matière d’insolvabilité, j’ai observé que, du point de vue du système établi par la directive 2002/47, la question du rang du créancier dans la procédure de
faillite ne se pose pas, cette directive visant simplement à assurer le droit de réaliser la garantie dans tous les cas entraînant son exécution. J’estime que cette position a été partagée par la Cour dans son arrêt. Dans l’arrêt Private Equity Insurance Group ( 21 ), la Cour a jugé qu’« une [...] différence de traitement [des créanciers découlant du caractère particulier de la garantie financière] est fondée sur un critère objectif qui est en rapport avec le but légitime de la directive
2002/47, qui est de renforcer la sécurité juridique et l’efficacité des garanties financières afin d’assurer la stabilité du système financier. »
104. Deuxièmement, sur le plan des incidences sur l’ordre des créanciers, je ne vois pas de différence significative entre la conservation de la garantie financière, constituée en vertu d’un contrat de garantie financière avec constitution de sûreté, en dehors de la masse de la faillite du preneur, et la modification de l’ordre des créanciers. Dans les deux cas cette garantie serait remboursée au constituant, indépendamment des prétentions des autres créanciers du preneur.
105. Troisièmement, certes, la directive 2002/47 – aux termes de son article 8, paragraphe 4 – n’affecte pas les règles générales de la législation nationale en matière d’insolvabilité en ce qui concerne la nullité des opérations conclues, notamment, au cours de la période précédant l’ouverture d’une procédure de liquidation.
106. Toutefois, il ne me semble pas que cette disposition puisse être interprétée en ce sens que, en principe, lors de sa transposition, la directive 2002/47 ne serait pas susceptible d’avoir une incidence sur les disposions nationales en matière d’insolvabilité.
107. L’article 8, paragraphe 4, de la directive 2002/47 serait superflu dans l’hypothèse où la directive 2002/47 ne serait pas susceptible d’avoir une incidence sur de telles règles. Ainsi, je serais plutôt enclin à considérer que cette disposition constitue une exception à la règle générale selon laquelle les États membres sont autorisés à modifier les dispositions nationales en matière d’insolvabilité afin d’assurer les objectifs recherchés par cette directive.
108. Je considère par conséquent que, dans l’hypothèse où le législateur national déciderait d’intégrer la garantie financière, constituée en vertu du contrat de garantie financière avec constitution de sûreté, dans la masse de la faillite du preneur insolvable, ce législateur serait obligé d’accorder au constituant une préférence sur les autres créanciers impliqués dans la procédure d’insolvabilité afin que ce constituant puisse effectivement récupérer la garantie lorsque le preneur n’a pas réalisé
cette garantie après la survenance d’un fait entraînant son exécution.
109. À la lumière de l’argumentation présentée ci-dessus, et à supposer que la Cour apporte une réponse à la troisième question préjudicielle, je propose de répondre que, dans l’hypothèse où le législateur national déciderait d’intégrer la garantie financière, constituée en vertu du contrat de garantie financière avec constitution de sûreté, dans la masse de la faillite du preneur insolvable, la directive 2002/47 requiert d’accorder au constituant une préférence sur les autres créanciers du preneur
insolvable, de sorte que ce constituant puisse récupérer la garantie inutilisée lorsque le preneur a recouvré sa créance sur d’autres actifs appartenant à ce constituant.
VI. Conclusion
110. À la lumière des considérations exposées ci-dessus, je propose à la Cour d’apporter la réponse suivante aux questions préjudicielles déférées par le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême de Lituanie) :
1) L’article 4, paragraphe 5, de la directive 2002/47/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 juin 2002, concernant les contrats de garantie financière doit être interprété en ce sens que les États membres sont obligés d’adopter une réglementation qui permet au preneur de la garantie de recouvrer sa créance sur la garantie financière constituée en vertu du contrat de garantie financière avec constitution de sûreté, alors même que le fait entraînant l’exécution de la garantie financière est
survenu postérieurement à l’ouverture de la procédure d’insolvabilité à l’égard de ce preneur. Il appartient aux États membres d’établir la façon dont doit être assurée la possibilité d’exécuter le contrat de garantie financière avec constitution de sûreté lorsque le preneur fait l’objet d’une telle procédure.
2) L’article 4, paragraphes 1 et 5, de la directive 2002/47 doit être interprété en ce sens qu’il n’oblige pas le preneur de la garantie à régler sa créance d’abord au moyen de la garantie constituée en vertu du contrat de garantie financière avec constitution de sûreté. Une telle obligation peut toutefois résulter des stipulations du contrat de garantie financière, interprétées à la lumière des dispositions de la loi applicable à ce contrat. En tout état de cause, la faculté de recouvrer la
créance sur les autres actifs du constituant de la garantie après la survenance d’un fait entraînant l’exécution de la garantie financière ne saurait empêcher ce constituant de récupérer effectivement cette garantie inutilisée en cas d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité à l’égard du preneur.
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( 1 ) Langue originale : le français.
( 2 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 6 juin 2002 concernant les contrats de garantie financière (JO 2002, L 168, p. 43).
( 3 ) Voir arrêt du 10 novembre 2016, Private Equity Insurance Group, (C‑156/15, EU:C:2016:851).
( 4 ) Arrêt du 10 novembre 2016, Private Equity Insurance Group, (C‑156/15, EU:C:2016:851).
( 5 ) Voir, en ce sens, Devos, D., The Directive 2002/47/EC on Financial Collateral Arrangements of June 6, 2002, De Walsche, A., Vandersanden, G., Mélanges en hommage à Jean-Victor Louis, vol. II, Bruxelles, Editions de l’Université de Bruxelles, 2003, p. 269.
( 6 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relative aux systèmes de garantie des dépôts (JO 2014, L 173, p. 149).
( 7 ) Voir proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant les contrats de garantie financière [COM(2001) 168, du 27 mars 2001].
( 8 ) Voir T’Kint, F., Derijcke, W., La Directive 2002/47/CE concernant les contrats de garantie financière au regard des principes généraux du droit des sûretés, Euredia, 2003, vol. 1, p. 55.
( 9 ) Voir, également, synthèse de la jurisprudence nationale aux points 27 à 30 des présentes conclusions.
( 10 ) Voir, en ce sens, exposé des motifs de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant les contrats de garantie financière [COM(2001) 168, du 27 mars 2001, (ci-après l’ « exposé des motifs du projet », point 2.3].
( 11 ) Voir exposé des motifs du projet, point 2.1.
( 12 ) Voir, notamment, articles 39 et 48, paragraphe 7, du règlement (UE) no 648/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 4 juillet 2012, sur les produits dérivés de gré à gré, les contreparties centrales et les référentiels centraux (JO 2012, L 201, p. 1). Voir, également, article 10 de la directive (UE) 2015/2366 du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2015, concernant les services de paiement dans le marché intérieur, modifiant les directives 2002/65/CE, 2009/110/CE et 2013/36/UE
et le règlement (UE) no 1093/2010, et abrogeant la directive 2007/64/CE (JO 2015, L 337, p. 35). L’article 10 de la directive 2015/2366 prévoit deux moyens permettant de remplir les exigences en matière de protection des fonds. Les États membres peuvent choisir entre la conservation séparée des fonds [article 10, paragraphe 1, sous a)] et l’imposition d’une obligation d’assurer les fonds en cause [article 10, paragraphe 1, sous b)].
( 13 ) Mis en italique par mes soins.
( 14 ) Mis en italique par mes soins.
( 15 ) Voir article 5, paragraphe 1, de la directive 2002/47.
( 16 ) Voir article 6, paragraphe 1, ainsi que article 7, paragraphe 1, de la directive 2002/47.
( 17 ) Voir arrêt du 10 novembre 2016, Private Equity Insurance Group, (C‑156/15, EU:C:2016:851).
( 18 ) Voir point 13 des présentes conclusions.
( 19 ) Voir point 61 des présentes conclusions.
( 20 ) Voir mes conclusions dans l’affaire Private Equity Insurance Group (C‑156/15, EU:C:2016:586).
( 21 ) Voir arrêt du 10 novembre 2016, Private Equity Insurance Group, (C‑156/15, EU:C:2016:851, point 51).