ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
6 septembre 2018 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Sécurité sociale – Règlement (CE) no 987/2009 – Articles 5 et 19, paragraphe 2 – Travailleurs détachés dans un État membre autre que celui dans lequel l’employeur exerce normalement ses activités – Délivrance de certificats A 1 par l’État membre d’origine après la reconnaissance par l’État membre d’accueil de l’assujettissement des travailleurs à son régime de sécurité sociale – Avis de la commission administrative – Émission à tort des certificats A 1 – Constat – Caractère
contraignant et effet rétroactif de ces certificats – Règlement (CE) no 883/2004 – Législation applicable – Article 12, paragraphe 1 – Notion d’une personne “envoyée en remplacement d’une autre personne” »
Dans l’affaire C‑527/16,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche), par décision du 14 septembre 2016, parvenue à la Cour le 14 octobre 2016, dans la procédure
Salzburger Gebietskrankenkasse,
Bundesminister für Arbeit, Soziales und Konsumentenschutz,
en présence de :
Alpenrind GmbH
Martin-Meat Szolgáltató és Kereskedelmi Kft,
Martimpex-Meat Kft,
Pensionsversicherungsanstalt,
Allgemeine Unfallversicherungsanstalt,
LA COUR (première chambre),
composée de Mme R. Silva de Lapuerta, président de chambre, MM. C. G. Fernlund, J.–C. Bonichot, S. Rodin et E. Regan (rapporteur), juges,
avocat général : M. H. Saugmandsgaard Øe,
greffier : Mme M. Ferreira, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 28 septembre 2017,
considérant les observations présentées :
– pour la Salzburger Gebietskrankenkasse, par Me P. Reichel, Rechtsanwalt,
– pour Alpenrind GmbH, par Mes R. Haumer etW. Berger, Rechtsanwälte,
– pour Martimpex-Meat Kft et Martin-Meat Szolgáltató és Kereskedelmi Kft, par Mes U. Salburg et G. Simonfay, Rechtsanwälte,
– pour le gouvernement autrichien, par M. G. Hesse, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement belge, par Mmes L. Van den Broeck et M. Jacobs, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek, J. Vláčil, J. Pavliš et O. Šváb, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze et D. Klebs, en qualité d’agents,
– pour l’Irlande, par Mmes L. Williams, G. Hodge, J. Murray et E. Creedon ainsi que par MM. A. Joyce et N. Donnelly, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement français, par Mme C. David, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement hongrois, par M. M. Fehér, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent, assisté de Me M. Malczewska, adwokat,
– pour la Commission européenne, par MM. B.-R. Killmann et D. Martin, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 31 janvier 2018,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation, d’une part, de l’article 12, paragraphe 1, du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) no 1244/2010 de la Commission, du 9 décembre 2010 (JO 2010, L 338, p. 35) (ci–après le « règlement no 883/2004 ») ainsi que, d’autre part, de
l’article 5 et de l’article 19, paragraphe 2, du règlement (CE) no 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement no 883/2004 (JO 2009, L 284, p. 1), tel que modifié par le règlement no 1244/2010 (JO 2010, L 338, p. 35) (ci–après le « règlement no 987/2009 »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la Salzburger Gebietskrankenkasse (caisse régionale de maladie du Land de Salzburg, Autriche) (ci–après la « caisse de maladie de Salzburg ») et le Bundesminister für Arbeit, Soziales und Konsumentenschutz (ministre fédéral du Travail, des Affaires sociales et de la Protection des consommateurs, Autriche) (ci–après le « ministre »), à Alpenrind GmbH, à Martin–Meat Szolgáltató és Kereskedelmi Kft (ci–après « Martin–Meat »), à
Martimpex-Meat Kft (ci–après « Martimpex »), au Pensionsversicherungsanstalt (office des pensions, Autriche) et à l’Allgemeine Unfallversicherungsanstalt (institution générale d’assurance accidents, Autriche), au sujet de la législation de sécurité sociale applicable à des personnes détachées pour travailler en Autriche dans le cadre d’un accord entre Alpenrind, établie en Autriche, et Martimpex, établie en Hongrie.
Le cadre juridique
Le règlement no 883/2004
3 Les considérants 1, 3, 5, 8, 15, 17 à 18 bis et 45 du règlement no 883/2004 sont libellés comme suit :
« (1) Les règles de coordination des systèmes nationaux de sécurité sociale s’inscrivent dans le cadre de la libre circulation des personnes et devraient contribuer à l’amélioration de leur niveau de vie et des conditions de leur emploi.
[...]
(3) Le règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de [l’Union] a été modifié et mis à jour à de nombreuses reprises afin de tenir compte non seulement des développements intervenus au niveau [de l’Union], y compris des arrêts de la Cour de justice, mais également des modifications apportées aux législations
nationales. Ces facteurs ont contribué à rendre les règles [de l’Union] de coordination complexes et lourdes. Remplacer ces règles en les modernisant et en les simplifiant est dès lors essentiel à la réalisation de l’objectif de la libre circulation des personnes.
[...]
(5) Il convient, dans le cadre de cette coordination, de garantir à l’intérieur de [l’Union] aux personnes concernées l’égalité de traitement au regard des différentes législations nationales.
[...]
(8) Le principe général de l’égalité de traitement est d’une importance particulière pour les travailleurs qui ne résident pas dans l’État membre où ils travaillent, y compris les travailleurs frontaliers.
[...]
(15) Il convient de soumettre les personnes qui se déplacent à l’intérieur de [l’Union] au régime de la sécurité sociale d’un seul État membre, afin d’éviter les cumuls de législations nationales applicables et les complications qui peuvent en résulter.
[...]
(17) En vue de garantir le mieux possible l’égalité de traitement de toutes les personnes occupées sur le territoire d’un État membre, il est approprié de déterminer comme législation applicable, en règle générale, la législation de l’État membre dans lequel l’intéressé exerce son activité salariée ou non salariée.
(18) Il convient de déroger à cette règle générale dans des situations spécifiques justifiant un autre critère de rattachement.
(18 bis) Le principe de l’unicité de la législation applicable revêt une grande importance et il convient de le promouvoir davantage. [...]
(45) Étant donné que l’objectif de l’action envisagée, à savoir l’adoption de mesures de coordination visant à garantir l’exercice effectif de la libre circulation des personnes, ne peut pas être réalisé de manière suffisante par les États membres et peut donc, en raison des dimensions et des effets de cette action, être mieux réalisé au niveau communautaire, la Communauté peut prendre des mesures conformément au principe de subsidiarité consacré à l’article 5 du traité. [...] »
4 Sous le titre II de ce règlement, intitulé « Détermination de la législation applicable », l’article 11, intitulé « Règles générales », dispose :
« 1. Les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre. Cette législation est déterminée conformément au présent titre.
[...]
3. Sous réserve des articles 12 à 16 :
a) la personne qui exerce une activité salariée ou non salariée dans un État membre est soumise à la législation de cet État membre ;
[...] »
5 Figurant à ce même titre, l’article 12 de ce règlement, intitulé « Règles particulières », prévoyait, à son paragraphe 1, dans sa version applicable au début de la période allant du 1er février 2012 au 13 décembre 2013 (ci-après la « période litigieuse ») :
« La personne qui exerce une activité salariée dans un État membre pour le compte d’un employeur y exerçant normalement ses activités, et que cet employeur détache pour effectuer un travail pour son compte dans un autre État membre, demeure soumise à la législation du premier État membre, à condition que la durée prévisible de ce travail n’excède pas vingt-quatre mois et que la personne ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne. »
6 Au cours de la période litigieuse, l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 a été modifié par le règlement (UE) no 465/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, modifiant le règlement no° 883/2004 et le règlement no 987/2009 (JO 2012, L 149, p. 4), le terme « détachée » ayant été ajouté à la fin de ce paragraphe.
7 Sous le titre IV dudit règlement, intitulé « Commission administrative et comité consultatif », l’article 71, intitulé « Composition et fonctionnement de la commission administrative », dispose, à son paragraphe 1 :
« La commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale ([ci-après la] “commission administrative”), instituée auprès de la Commission européenne, est composée d’un représentant gouvernemental de chacun des États membres, assisté, le cas échéant, de conseillers techniques. Un représentant de la [Commission européenne] participe, avec voix consultative, aux réunions de la commission administrative. »
8 L’article 72 de ce titre IV, intitulé « Tâches de la commission administrative », est libellé comme suit :
« La commission administrative est chargée :
a) de traiter toute question administrative ou d’interprétation découlant des dispositions du présent règlement ou de celles du [règlement no 987/2009] ou de tout accord ou arrangement conclu dans le cadre de ceux-ci, sans préjudice du droit des autorités, institutions et personnes intéressées de recourir aux procédures et aux juridictions prévues par les législations des États membres, par le présent règlement et par le traité ;
[...]
c) de promouvoir et de développer la collaboration entre les États membres et leurs institutions en matière de sécurité sociale en vue, notamment, de répondre aux questions particulières de certaines catégories de personnes ; de faciliter, dans le domaine de la coordination de la sécurité sociale, la réalisation d’actions de coopération transfrontalière ;
[...] »
9 Aux termes de l’article 76, intitulé « Coopération », figurant sous le titre V du règlement no 883/2004, lui–même intitulé « Dispositions diverses » :
« 1. Les autorités compétentes des États membres se communiquent toutes informations concernant :
a) les mesures prises pour l’application du présent règlement ;
b) les modifications de leur législation susceptibles d’affecter l’application du présent règlement.
2. Aux fins du présent règlement, les autorités et les institutions des États membres se prêtent leurs bons offices et se comportent comme s’il s’agissait de l’application de leur propre législation. [...] »
Le règlement no 987/2009
10 Les considérants 2, 6 et 12 du règlement no 987/2009 énoncent :
« (2) L’organisation d’une coopération plus efficace et plus étroite entre les institutions de sécurité sociale est un facteur essentiel pour permettre aux personnes concernées par le [règlement no 883/2004] de faire valoir leurs droits dans les meilleurs délais et dans les meilleures conditions possibles.
[...]
(6) Le renforcement de certaines procédures devrait apporter plus de sécurité juridique et de transparence aux utilisateurs du [règlement no 883/2004]. La fixation de délais communs pour l’accomplissement de certaines obligations ou de certaines étapes administratives, notamment, devrait contribuer à clarifier et structurer les relations entre les personnes assurées et les institutions.
[...]
(12) De nombreuses mesures et procédures prévues par le présent règlement visent à rendre plus transparents les critères que les institutions des États membres doivent appliquer dans le cadre du [règlement no 883/2004]. Lesdites mesures et procédures découlent de la jurisprudence de la [Cour], des décisions de la commission administrative ainsi que d’une expérience de plus de trente ans dans la coordination des régimes de sécurité sociale dans le cadre des libertés fondamentales consacrées par le
traité. »
11 Sous le titre I du règlement no 987/2009, intitulé « Dispositions générales », le chapitre I, consacré aux définitions, prévoit, à son article 1er, paragraphe 2, sous c), que le terme « document » se définit comme « un ensemble de données, quel qu’en soit le support, organisé de manière à pouvoir être échangé par voie électronique et dont la communication est nécessaire à la mise en œuvre du [règlement no 883/2004] et du [règlement no 987/2009] ».
12 Sous ce titre I, le chapitre II, intitulé « Dispositions relatives à la coopération et aux échanges de données », dispose, à son article 5, intitulé « Valeur juridique des documents et pièces justificatives établis dans un autre État membre » :
« 1. Les documents établis par l’institution d’un État membre qui attestent de la situation d’une personne aux fins de l’application du [règlement no 883/2004] et du [règlement no 987/2009], ainsi que les pièces justificatives y afférentes, s’imposent aux institutions des autres États membres aussi longtemps qu’ils ne sont pas retirés ou déclarés invalides par l’État membre où ils ont été établis.
2. En cas de doute sur la validité du document ou l’exactitude des faits qui sont à la base des mentions y figurant, l’institution de l’État membre qui reçoit le document demande à l’institution émettrice les éclaircissements nécessaires et, le cas échéant, le retrait dudit document. L’institution émettrice réexamine ce qui l’a amenée à établir le document et, au besoin, le retire.
3. En application du paragraphe 2, en cas de doute sur les informations fournies par les intéressés, sur le bien-fondé d’un document ou d’une pièce justificative, ou encore sur l’exactitude des faits qui sont à la base des mentions y figurant, l’institution du lieu de séjour ou de résidence procède, pour autant que cela soit possible, à la demande de l’institution compétente, à la vérification nécessaire desdites informations ou dudit document.
4. À défaut d’un accord entre les institutions concernées, les autorités compétentes peuvent saisir la commission administrative au plus tôt un mois après la date à laquelle l’institution qui a reçu le document a présenté sa demande. La commission administrative s’efforce de concilier les points de vue dans les six mois suivant sa saisine. »
13 Aux termes de l’article 6 de ce chapitre II, intitulé « Application provisoire d’une législation et octroi provisoire de prestations » :
« 1. Sauf disposition contraire du [règlement no 987/2009], lorsque les institutions ou les autorités de deux États membres ou plus ont des avis différents quant à la détermination de la législation applicable, la personne concernée est soumise provisoirement à la législation de l’un de ces États membres, l’ordre de priorité se déterminant comme suit :
a) la législation de l’État membre où la personne exerce effectivement une activité salariée ou une activité non salariée, si elle n’exerce son ou ses activités que dans un seul État membre ;
[...]
3. À défaut d’un accord entre les institutions ou autorités concernées, les autorités compétentes peuvent saisir la commission administrative au plus tôt un mois après la date à laquelle la divergence de vues visée aux paragraphes 1 et 2 s’est manifestée. La commission administrative s’efforce de concilier les points de vue dans les six mois suivant sa saisine.
[...] »
14 Sous le titre II du règlement no 987/2009, intitulé « Détermination de la législation applicable », l’article 15, intitulé « Procédure pour l’application de l’article 11, paragraphe 3, points b) et d), de l’article 11, paragraphe 4, et de l’article 12 [du règlement no 883/2004] (sur la fourniture d’informations aux institutions concernées) », disposait, à son paragraphe 1, dans sa version applicable au début de la période litigieuse :
« Sauf disposition contraire de l’article 16 du [règlement no 987/2009], lorsqu’une personne exerce son activité dans un État membre autre que l’État membre compétent conformément au titre II du [règlement no 883/2004], l’employeur ou, si la personne n’exerce pas une activité salariée, la personne concernée en informe, préalablement lorsque c’est possible, l’institution compétente de l’État membre dont la législation est applicable. Cette institution met sans délai à la disposition de la personne
concernée et de l’institution désignée par l’autorité compétente de l’État membre où l’activité est exercée des informations sur la législation applicable à la personne concernée, conformément à l’article 11, paragraphe 3, point b), ou à l’article 12 du [règlement no 883/2004]. »
15 Au cours de la période litigieuse, la deuxième phrase de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 987/2009 a été modifiée par le règlement no 465/2012. La version modifiée de cette disposition est libellée comme suit :
« [...] Cette institution remet à la personne concernée l’attestation visée à l’article 19, paragraphe 2, du [règlement no 987/2009] et met sans délai à la disposition de l’institution désignée par l’autorité compétente de l’État membre où l’activité est exercée des informations sur la législation applicable à ladite personne, conformément à l’article 11, paragraphe 3, point b), ou à l’article 12 du [règlement no 883/2004]. »
16 Sous ce même titre, l’article 19, intitulé « Information des personnes concernées et des employeurs », est libellé comme suit :
« 1. L’institution compétente de l’État membre dont la législation devient applicable en vertu du titre II du [règlement no 883/2004] informe la personne concernée ainsi que, le cas échéant, son ou ses employeurs, des obligations énoncées dans cette législation. Elle leur apporte l’aide nécessaire à l’accomplissement des formalités requises par cette législation.
2. À la demande de la personne concernée ou de l’employeur, l’institution compétente de l’État membre dont la législation est applicable en vertu d’une disposition du titre II du [règlement no 883/2004] atteste que cette législation est applicable et indique, le cas échéant, jusqu’à quelle date et à quelles conditions. »
17 Aux termes de l’article 20 de ce titre II, intitulé « Coopération entre institutions » :
« 1. Les institutions concernées communiquent à l’institution compétente de l’État membre dont la législation est applicable à une personne en vertu du titre II du [règlement no 883/2004] les informations nécessaires pour déterminer la date à laquelle cette législation devient applicable et établir les cotisations dont cette personne et son ou ses employeurs sont redevables au titre de cette législation.
2. L’institution compétente de l’État membre dont la législation devient applicable à une personne en vertu du titre II du [règlement no 883/2004] met à la disposition de l’institution désignée par l’autorité compétente de l’État membre à la législation duquel la personne était soumise en dernier lieu les informations indiquant la date à laquelle l’application de cette législation prend effet. »
18 Sous le titre V, intitulé « Dispositions diverses, transitoires et finales », l’article 89, intitulé « Information », dispose, à son paragraphe 3 :
« Les autorités compétentes veillent à ce que leurs institutions connaissent et appliquent l’ensemble des dispositions [de l’Union], législatives ou autres, y compris les décisions de la commission administrative, dans les domaines régis par le [règlement no 883/2004] et le [règlement no 987/2009] et dans les conditions qu’ils prévoient. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
19 Alpenrind est active dans le secteur du commerce du bétail et de la viande. Depuis l’année 1997, elle exploite à Salzburg un abattoir qu’elle loue.
20 Au cours de l’année 2007, Alpenrind, anciennement S GmbH, a conclu avec Martin-Meat, établie en Hongrie, un contrat aux termes duquel cette dernière s’engageait à réaliser des travaux de découpe de viande et d’emballage à raison de 25 demi-carcasses de bovins par semaine. Les travaux étaient réalisés dans les locaux d’Alpenrind par des travailleurs détachés en Autriche. Le 31 janvier 2012, Martin-Meat a abandonné le secteur de la découpe de viande et a poursuivi les abattages pour Alpenrind.
21 Le 24 janvier 2012, Alpenrind a conclu un contrat avec Martimpex, également établie en Hongrie, aux termes duquel cette dernière s’engageait à découper, entre le 1er février 2012 et le 31 janvier 2014, 55000 tonnes de demi–carcasses de bovins pour Alpenrind. Les travaux étaient réalisés dans les locaux d’Alpenrind par des travailleurs détachés en Autriche. Les morceaux de viande étaient pris en charge par Martimpex, ensuite découpés et emballés par ses travailleurs.
22 À partir du 1er février 2014, Alpenrind a de nouveau convenu avec Martin-Meat que cette dernière réalise lesdits travaux de découpe de viande dans les locaux susmentionnés.
23 Pour les plus de 250 travailleurs occupés par Martimpex durant la période litigieuse, l’institution hongroise de sécurité sociale compétente a délivré – pour partie à titre rétroactif et pour partie dans des cas où l’institution autrichienne de sécurité sociale avait déjà établi l’assujettissement du travailleur concerné à l’assurance obligatoire au titre de la législation autrichienne – des certificats attestant l’application du régime hongrois de sécurité sociale, conformément aux articles 11
à 16 du règlement no 883/2004 et à l’article 19 du règlement no 987/2009. Chacun de ces certificats indique Alpenrind comme étant l’employeur sur le lieu où une activité professionnelle est exercée.
24 La caisse de maladie de Salzburg a établi l’assujettissement des travailleurs susmentionnés à l’assurance obligatoire durant la période litigieuse, conformément à l’article 4, paragraphes 1 et 2, de l’Allgemeine Sozialversicherungsgesetz (code de la sécurité sociale) et à l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de l’Arbeitslosenversicherungsgesetz (loi sur l’assurance chômage), en se fondant sur l’activité salariée qu’ils ont accomplie pour une entreprise commune d’Alpenrind, de Martin-Meat et de
Martimpex.
25 Par l’arrêt attaqué devant la juridiction de renvoi, le Verwaltungsgericht (tribunal administratif, Autriche) a annulé cette décision de la caisse de maladie de Salzburg, au motif que l’institution autrichienne de sécurité sociale n’était pas compétente. Le Verwaltungsgericht (tribunal administratif) a motivé sa décision, notamment, par le fait que l’institution hongroise de sécurité sociale compétente a délivré, pour chacune des personnes assujetties à l’assurance obligatoire en Autriche, un
certificat A 1 établissant que cette personne était, à partir d’une date déterminée, occupée en Hongrie par Martimpex comme un salarié assujetti à l’assurance obligatoire et était vraisemblablement détachée en Autriche auprès d’Alpenrind pour la durée de la période indiquée dans chaque certificat, comprenant la période litigieuse.
26 Dans le pourvoi formé contre cet arrêt devant la juridiction de renvoi, la caisse de maladie de Salzburg et le ministre récusent l’idée que les certificats A 1 ont eu un effet obligatoire absolu. Cet effet obligatoire repose, selon eux, sur le respect du principe de la coopération loyale entre les États membres, consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE. À leurs yeux, l’institution de sécurité sociale hongroise a méconnu ce principe.
27 Selon la juridiction de renvoi, la Hongrie a observé que seule une décision judiciaire pouvait apporter une solution à la situation de blocage dans laquelle se trouve également la Hongrie et que le droit national hongrois s’oppose à un retrait du certificat A 1. La caisse de maladie de Salzburg estime ne pas avoir qualité pour agir en Hongrie. Selon elle, la seule manière de provoquer une décision au fond est d’établir l’assujettissement à l’assurance obligatoire autrichienne, malgré la
présentation des certificats A 1 de l’institution compétente en Hongrie.
28 La juridiction de renvoi relève que le ministre a produit des documents dont il ressort que la commission administrative a conclu, les 20 et 21 juin 2016, que la Hongrie s’était déclarée à tort compétente pour les travailleurs concernés et que, partant, les certificats A 1 devaient être retirés.
29 La juridiction de renvoi considère que le litige dont elle est saisie soulève certaines questions d’interprétation du droit de l’Union.
30 En particulier, en premier lieu, cette juridiction observe que, selon le libellé de l’article 5 du règlement no 987/2009, seules sont liées par les documents qui attestent de la situation d’une personne aux fins de l’application des règlements nos 883/2004 et 987/2009, ainsi que les pièces justificatives y afférentes, les institutions de sécurité sociale des États membres. Dès lors, ladite juridiction nourrit des doutes sur la question de savoir si cet effet obligatoire joue également pour les
juridictions nationales.
31 En deuxième lieu, la juridiction de renvoi s’interroge, d’une part, sur l’incidence éventuelle du déroulement de la procédure devant la commission administrative sur l’effet obligatoire des certificats A 1. En particulier, cette juridiction cherche à savoir si, après une procédure devant la commission administrative qui n’a ni abouti à un accord ni débouché sur le retrait des certificats A 1, l’effet obligatoire de ces certificats est caduc et si une procédure pour établir l’assujettissement à
l’assurance obligatoire peut donc être engagée.
32 D’autre part, la juridiction de renvoi observe que, en l’espèce, certains certificats A 1 ont été émis rétroactivement, et pour partie seulement après que l’institution autrichienne avait déjà établi l’assujettissement à l’assurance obligatoire. Cette juridiction se pose la question de savoir si l’émission de tels documents produit un effet obligatoire rétroactif lorsque l’assujettissement à l’assurance obligatoire dans l’État membre d’accueil a déjà été officiellement établi. En effet, selon
ladite juridiction, il pourrait être considéré que les actes émis par les institutions autrichiennes établissant l’obligation d’assurance sont également des « documents », au sens de l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 987/2009, de telle sorte qu’ils produisent un effet obligatoire au titre de cette disposition.
33 En troisième lieu, dans le cas où, dans certaines circonstances, les certificats A 1 n’ont qu’un effet obligatoire limité, la juridiction de renvoi se demande si la condition, prévue à l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, selon laquelle la personne détachée demeure soumise à la législation de l’État membre dans lequel est établi son employeur pourvu qu’elle ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne, doit être interprétée en ce sens qu’un travailleur ne pourrait pas
être remplacé immédiatement par un autre travailleur nouvellement détaché, quelle que soit l’entreprise ou l’État membre dont proviendrait ce travailleur nouvellement détaché. Si cette interprétation stricte pouvait permettre d’éviter des abus, elle ne ressortirait cependant pas nécessairement du libellé de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004.
34 Dans ces conditions, le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’effet obligatoire des documents prévus à l’article 19, paragraphe 2, du [règlement no 987/2009], défini à l’article 5 [de ce] règlement, joue-t-il également dans une procédure devant une juridiction visée à l’article 267 TFUE ?
2) Si la première question appelle une réponse affirmative :
a) cet effet obligatoire joue-t-il également lorsqu’une procédure antérieure devant la [commission administrative] n’a pas débouché sur un accord ni sur un retrait des documents litigieux ?
b) cet effet obligatoire joue-t-il également lorsqu’un certificat A 1 n’a été délivré qu’après que l’État membre d’accueil a officiellement établi l’assujettissement à l’assurance obligatoire au titre de sa législation ? Dans ces cas, l’effet obligatoire joue–t–il également rétroactivement ?
3) Si, dans certaines conditions, l’effet obligatoire de documents prévus à l’article 19, paragraphe 2, du règlement no 987/2009 est limité :
l’interdiction de remplacement énoncée à l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 est-elle méconnue lorsque le remplacement se fait sous la forme d’un détachement effectué non pas par le même employeur mais par un autre employeur ? Importe-t-il à cet égard de savoir :
a) si cet employeur a son siège dans le même État membre que le premier employeur, ou
b) si, entre le premier et le second employeur effectuant le détachement, il existe des liens personnels et/ou organisationnels ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
35 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 987/2009, lu en combinaison avec l’article 19, paragraphe 2, de ce règlement doit être interprété en ce sens qu’un certificat A 1, délivré par l’institution compétente d’un État membre au titre de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, lie non seulement les institutions de l’État membre dans lequel l’activité est exercée, mais également les juridictions de cet
État membre.
36 Il convient d’emblée de rappeler que, selon l’article 19, paragraphe 2, du règlement no 987/2009, l’institution compétente de l’État membre dont la législation est applicable en vertu d’une disposition du titre II du règlement no 883/2004, y compris donc l’article 12, paragraphe 1, de celui–ci, atteste, à la demande de la personne concernée ou de l’employeur, que cette législation est applicable et indique, le cas échéant, jusqu’à quelle date et à quelles conditions.
37 L’article 5, paragraphe 1, du règlement no 987/2009 prévoit que les documents établis par l’institution d’un État membre qui attestent de la situation d’une personne aux fins de l’application du règlement no 883/2004 et du règlement no 987/2009, ainsi que les pièces justificatives y afférentes, s’imposent aux institutions des autres États membres aussi longtemps qu’ils ne sont pas retirés ou déclarés invalides par l’État membre dans lequel ils ont été établis.
38 Certes, ainsi que le fait observer la juridiction de renvoi, cette disposition indique que les documents qui y sont visés s’imposent aux « institutions » des États membres autres que l’État membre dans lequel ils ont été établis, sans faire expressément référence aux juridictions de ces autres États membres.
39 Toutefois, ladite disposition dispose également que de tels documents s’imposent « aussi longtemps qu’ils ne sont pas retirés ou déclarés invalides par l’État membre où ils ont été établis », ce qui tend à suggérer que, en principe, seules les autorités et les juridictions de l’État membre émetteur peuvent, le cas échéant, retirer ou déclarer invalides les certificats A 1.
40 Cette interprétation se trouve confortée par la genèse de l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 987/2009 et le contexte dans lequel cette disposition se situe.
41 En particulier, s’agissant du certificat E 101, qui précédait le certificat A 1, la Cour a déjà jugé que le caractère contraignant de ce premier certificat délivré par l’institution compétente d’un État membre conformément à l’article 12 bis, point 1 bis, du règlement (CEE) no 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d’application du règlement (CEE) no 1408/71 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à
l’intérieur de la Communauté (JO 1972, L 74, p. 1), lie tant les institutions que les juridictions de l’État membre dans lequel l’activité est exercée (voir, en ce sens, arrêts du 26 janvier 2006, Herbosch Kiere, C‑2/05, EU:C:2006:69, points 30 à 32, et du 27 avril 2017, A–Rosa Flussschiff, C‑620/15, EU:C:2017:309, point 51).
42 Or, le considérant 12 du règlement no 987/2009 prévoit, notamment, que les mesures et les procédures prévues par celui–ci « découlent de la jurisprudence [de la Cour], des décisions de la commission administrative ainsi que d’une expérience de plus de trente ans dans la coordination des régimes de sécurité sociale dans le cadre des libertés fondamentales consacrées par le traité ».
43 De même, la Cour a déjà indiqué que le règlement no 987/2009 a codifié la jurisprudence de la Cour, en consacrant le caractère contraignant du certificat E 101 et la compétence exclusive de l’institution émettrice quant à l’appréciation de la validité dudit certificat, et en reprenant explicitement la procédure pour résoudre les différends portant tant sur l’exactitude des documents établis par l’institution compétente d’un État membre que sur la détermination de la législation applicable au
travailleur concerné (arrêt du 27 avril 2017, A–Rosa Flussschiff, C‑620/15, EU:C:2017:309, point 59, ainsi que ordonnance du 24 octobre 2017, Belu Dienstleistung et Nikless, C‑474/16, non publiée, EU:C:2017:812, point 19).
44 Il s’ensuit que si, lors de l’adoption du règlement no 987/2009, le législateur de l’Union avait voulu s’écarter de la jurisprudence antérieure à cet égard pour que les juridictions de l’État membre dans lequel l’activité est exercée ne soient pas liées par les certificats A 1 établis dans un autre État membre, il aurait pu le prévoir expressément.
45 Par ailleurs, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 35 de ses conclusions, les considérations sous–tendant la jurisprudence de la Cour relative à l’effet contraignant des certificats E 101 sont tout autant valables dans le cadre des règlements nos 883/2004 et 987/2009. En particulier, si le principe de sécurité juridique est invoqué, notamment au considérant 6 du règlement no 987/2009, le principe de l’affiliation des travailleurs salariés à un seul régime de sécurité sociale est
énoncé au considérant 15 ainsi qu’à l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, tandis que l’importance du principe de coopération loyale ressort tant de l’article 76 du règlement no 883/2004 que du considérant 2 et de l’article 20 du règlement no 987/2009.
46 Ainsi, s’il était admis que, en dehors des cas de fraude ou d’abus de droit, l’institution nationale compétente pouvait, en saisissant une juridiction de l’État membre d’accueil du travailleur concerné dont elle relève, faire déclarer invalide un certificat A 1, le système fondé sur la coopération loyale entre les institutions compétentes des États membres risquerait d’être compromis (voir, en ce sens, s’agissant des certificats E 101, arrêts du 26 janvier 2006, Herbosch Kiere, C‑2/05,
EU:C:2006:69, point 30, du 27 avril 2017, A–Rosa Flussschiff, C‑620/15, EU:C:2017:309, point 47, ainsi que du 6 février 2018, Altun e.a., C‑359/16, EU:C:2018:63, points 54, 55, 60 et 61).
47 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la première question que l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 987/2009, lu en combinaison avec l’article 19, paragraphe 2, de ce règlement, doit être interprété en ce sens qu’un certificat A 1, délivré par l’institution compétente d’un État membre au titre de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no°883/2004, lie non seulement les institutions de l’État membre dans lequel l’activité est exercée, mais également les juridictions de cet
État membre.
Sur la deuxième question
Sur la première partie de la deuxième question
48 Par la première partie de sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 987/2009, lu en combinaison avec l’article 19, paragraphe 2, de ce règlement, doit être interprété en ce sens qu’un certificat A 1, délivré par l’institution compétente d’un État membre au titre de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, lie tant les institutions de sécurité sociale de l’État membre dans lequel l’activité est exercée que les
juridictions de cet État membre aussi longtemps que ce certificat n’a été ni retiré ni déclaré invalide par l’État membre dans lequel il a été établi, alors même que les autorités compétentes de ce dernier État membre et de l’État membre dans lequel l’activité est exercée ont saisi la commission administrative et que celle-ci a conclu que ce certificat avait été émis à tort et qu’il devrait être retiré.
– Sur la recevabilité
49 Le gouvernement hongrois soutient, à titre principal, que la première partie de la deuxième question préjudicielle est hypothétique, dès lors que, en l’espèce, la commission administrative a trouvé une solution qui a été acceptée tant par la République d’Autriche que par la Hongrie et que les autorités hongroises ont indiqué que, en conséquence, elles étaient disposées à retirer les certificats A 1 en question.
50 À cet égard, il convient de rappeler que, ainsi que la Cour l’a jugé à maintes reprises, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur
l’interprétation ou sur la validité d’une règle de droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 7 février 2018, American Express, C‑304/16, EU:C:2018:66, point 31 et jurisprudence citée).
51 Il s’ensuit que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation ou l’appréciation de validité d’une règle de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas
des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 7 février 2018, American Express, C‑304/16, EU:C:2018:66, point 32 et jurisprudence citée).
52 En l’occurrence, il ressort, certes, du dossier dont dispose la Cour que la commission administrative a émis un avis du 9 mai 2016, selon lequel l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 devrait être interprété en ce sens que les certificats A 1 en cause au principal n’auraient jamais dû être délivrés et qu’ils devraient être retirés, cet avis ayant été approuvé par la suite par ladite commission lors de sa 347e réunion les 20 et 21 juin 2016.
53 Toutefois, il est constant que ces certificats n’ont pas été retirés par l’institution compétente en Hongrie ou déclarés invalides par les juridictions hongroises.
54 Il ressort également du dossier soumis à la Cour que la République d’Autriche et la Hongrie ne sont pas parvenues à un accord concernant les modalités d’un éventuel retrait de ces certificats ou, à tout le moins, à l’égard de certains d’entre eux. En outre, il paraît ressortir de ce dossier que l’application dudit avis a été suspendue eu égard à la présente procédure préjudicielle dans le cadre de laquelle le gouvernement hongrois soutient, notamment, que c’est à juste titre que l’institution
compétente hongroise a délivré les certificats A 1 en cause au principal au titre de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004.
55 Il s’ensuit que les circonstances factuelles caractérisant le litige au principal, telles qu’elles ressortent des éléments soumis à la Cour, correspondent aux prémisses factuelles de la première partie de la deuxième question posée. Dans ces conditions, la circonstance selon laquelle la Hongrie a, au moins en principe, marqué son accord avec la conclusion à laquelle la commission administrative est parvenue n’enlève rien à la pertinence de cette question pour la solution du litige au principal.
56 Par ailleurs, le fait que la commission administrative a conclu que les certificats A 1 en cause au principal devraient être retirés, ne saurait, en lui-même, justifier l’irrecevabilité de la présente question préjudicielle, cette dernière portant précisément sur le point de savoir si cette conclusion est susceptible d’avoir des conséquences sur le caractère contraignant desdits certificats à l’égard des autorités et des juridictions de l’État membre dans lequel l’activité est exercée.
57 Dans ces conditions, il ne saurait être considéré que la première partie de la deuxième question est hypothétique de telle sorte que soit renversée la présomption de pertinence à laquelle il est fait référence au point 51 du présent arrêt.
– Sur le fond
58 Il convient de rappeler que, selon l’article 72 du règlement no 883/2004, lequel énumère les tâches de la commission administrative, cette dernière est chargée, notamment, de traiter toute question administrative ou d’interprétation découlant des dispositions de ce règlement ou de celles du règlement no 987/2009 ou de tout accord ou arrangement conclu dans le cadre de ceux-ci, sans préjudice du droit des autorités, des institutions et des personnes intéressées de recourir aux procédures et aux
juridictions prévues par les législations des États membres, par le règlement no 883/2004 et par le traité.
59 Selon cet article 72, la commission administrative est également chargée, d’une part, de promouvoir et de développer la collaboration entre les États membres et leurs institutions en matière de sécurité sociale en vue, notamment, de répondre aux questions particulières de certaines catégories de personnes et, d’autre part, de faciliter, dans le domaine de la coordination de la sécurité sociale, la réalisation d’actions de coopération transfrontalière.
60 S’agissant, plus spécifiquement, d’une situation, telle que celle en cause au principal, dans laquelle est survenu un différend entre l’institution compétente d’un État membre et celle d’un autre État membre au sujet de documents ou de pièces justificatives visés à l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 987/2009, les paragraphes 2 à 4 de cet article prévoient une procédure aux fins de la résolution de ce différend. En particulier, les paragraphes 2 et 3 dudit article prévoient des démarches
que les institutions concernées sont appelées à suivre en cas de doute sur la validité de tels documents et pièces justificatives ou l’exactitude des faits qui sont à la base des mentions y figurant. Le paragraphe 4 de ce même article, quant à lui, dispose que, à défaut d’un accord entre les institutions concernées, les autorités compétentes peuvent saisir la commission administrative, laquelle « s’efforce de concilier les points de vue » dans les six mois suivant sa saisine.
61 Ainsi que la Cour l’a déjà jugé s’agissant du règlement no 1408/71, lorsque la commission administrative ne parvient pas à concilier les points de vue des institutions compétentes au sujet de la législation applicable, il est à tout le moins loisible à l’État membre sur le territoire duquel le travailleur concerné effectue un travail, et ce, sans préjudice des éventuelles voies de recours de nature juridictionnelle existant dans l’État membre dont relève l’institution émettrice, d’engager une
procédure en manquement, conformément à l’article 259 TFUE, afin de permettre à la Cour d’examiner, à l’occasion d’un tel recours, la question de la législation applicable audit travailleur et, partant, l’exactitude des mentions figurant dans le certificat E 101 (arrêt du 27 avril 2017, A–Rosa Flussschiff, C‑620/15, EU:C:2017:309, point 46).
62 Il convient donc de constater que le rôle de la commission administrative dans le cadre de la procédure prévue à l’article 5, paragraphes 2 à 4, du règlement no 987/2009, se limite à concilier les points de vue des autorités compétentes des États membres qui l’ont saisie.
63 Ce constat n’est pas remis en cause par l’article 89, paragraphe 3, du règlement no 987/2009, lequel prévoit que les autorités compétentes veillent à ce que leurs institutions connaissent et appliquent l’ensemble des dispositions de l’Union, législatives ou autres, y compris les décisions de la commission administrative, dans les domaines régis par les règlements nos 883/2004 et 987/2009 et dans les conditions qu’ils prévoient, dès lors que cette disposition ne vise nullement à modifier le rôle
de la commission administrative dans le cadre de la procédure à laquelle il est fait référence au point précédent et donc la valeur d’avis dont sont dotées les conclusions auxquelles cette commission parvient dans le cadre de cette procédure.
64 Par conséquent, il convient de répondre à la première partie de la deuxième question que l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 987/2009, lu en combinaison avec l’article 19, paragraphe 2, de ce règlement, doit être interprété en ce sens qu’un certificat A 1, délivré par l’institution compétente d’un État membre au titre de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, lie tant les institutions de sécurité sociale de l’État membre dans lequel l’activité est exercée que les
juridictions de cet État membre aussi longtemps que ce certificat n’a été ni retiré ni déclaré invalide par l’État membre dans lequel il a été établi, alors même que les autorités compétentes de ce dernier État membre et de l’État membre dans lequel l’activité est exercée ont saisi la commission administrative et que celle-ci a conclu que ce certificat avait été émis à tort et qu’il devrait être retiré.
Sur la seconde partie de la deuxième question
65 Par la seconde partie de sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 987/2009, lu en combinaison avec l’article 19, paragraphe 2, de ce règlement, doit être interprété en ce sens qu’un certificat A 1, délivré par l’institution compétente d’un État membre au titre de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, lie tant les institutions de sécurité sociale de l’État membre dans lequel l’activité est exercée que les
juridictions de cet État membre, le cas échéant, avec effet rétroactif, alors même que ce certificat n’a été délivré qu’après que ledit État membre eut établi l’assujettissement du travailleur concerné à l’assurance obligatoire au titre de sa législation.
– Sur la recevabilité
66 Le gouvernement hongrois soutient que la présente question est hypothétique, dès lors qu’aucun certificat A 1 n’a été émis rétroactivement, après que les autorités autrichiennes eurent établi l’assujettissement des travailleurs concernés à l’assurance obligatoire au titre de la législation autrichienne.
67 Selon les indications fournies dans la décision de renvoi, certains des certificats A 1 en cause au principal ont été émis à titre rétroactif. Il ressort également de cette décision que l’institution autrichienne avait déjà établi l’assujettissement de certains des travailleurs concernés à l’assurance obligatoire au titre de la législation autrichienne avant que l’autorité compétente hongroise n’ait émis des certificats A 1 pour ces travailleurs.
68 Or, selon une jurisprudence constante, il appartient à la juridiction nationale d’établir les faits et d’apprécier la pertinence des questions qu’elle souhaite poser (voir, en ce sens, arrêts du 26 octobre 2016, Hoogstad, C‑269/15, EU:C:2016:802, point 19, et du 27 avril 2017, A–Rosa Flussschiff, C‑620/15, EU:C:2017:309, point 35).
69 Il s’ensuit que la seconde partie de la deuxième question doit être considérée comme étant recevable, dès lors que, selon les indications fournies par la juridiction de renvoi, la réponse apportée par la Cour est susceptible d’être utile à cette juridiction pour déterminer le caractère contraignant d’au moins une partie des certificats A 1 en cause.
– Sur le fond
70 Tout d’abord, il convient de rappeler que le certificat E 101, délivré conformément à l’article 11 bis du règlement no 574/72, peut avoir un effet rétroactif. En particulier, s’il est préférable que la délivrance d’un tel certificat intervienne avant le début de la période concernée, elle peut aussi être effectuée au cours de cette période, voire après son expiration (voir, en ce sens, arrêt du 30 mars 2000, Banks e.a., C‑178/97, EU:C:2000:169, points 52 à 57).
71 Or, rien dans la réglementation de l’Union telle qu’elle résulte des règlements nos 883/2004 et 987/2009 n’empêche que tel soit également le cas s’agissant des certificats A 1.
72 En particulier, certes, l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 987/2009 disposait, dans sa version applicable au début de la période litigieuse, que, « lorsqu’une personne exerce son activité dans un État membre autre que l’État membre compétent conformément au titre II du [règlement no 883/2004], l’employeur ou, si la personne n’exerce pas une activité salariée, la personne concernée en informe, préalablement lorsque c’est possible, l’institution compétente de l’État membre dont la
législation est applicable » et que « [c]ette institution met sans délai à la disposition de la personne concernée et de l’institution désignée par l’autorité compétente de l’État membre dans lequel l’activité est exercée des informations sur la législation applicable à la personne concernée ». Toutefois, la délivrance d’un certificat A 1 pendant, voire après, la fin de la période de travail concernée reste possible.
73 Il y a lieu, dès lors, de vérifier, ensuite, si un certificat A 1 peut s’appliquer avec effet rétroactif, alors même que, à la date de la délivrance de ce certificat, il existait déjà une décision de l’institution compétente de l’État membre, dans lequel l’activité est exercée, selon laquelle le travailleur concerné est soumis à la législation de cet État membre.
74 À cet égard, il convient de rappeler que, ainsi qu’il résulte de la réponse apportée à la première question telle qu’exposée aux points 36 à 47 du présent arrêt, aussi longtemps qu’il n’est pas retiré ou déclaré invalide, un certificat A 1, délivré par l’institution compétente d’un État membre au titre de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, lie, à l’instar de son prédécesseur le certificat E 101, tant les institutions de sécurité sociale de l’État membre dans lequel l’activité
est exercée que les juridictions de cet État membre.
75 Par conséquent, dans ces circonstances particulières, il ne saurait être considéré qu’une décision telle que celle en cause au principal, par laquelle l’institution compétente de l’État membre dans lequel l’activité est exercée décide d’assujettir les travailleurs en cause à l’assurance obligatoire au titre de sa législation, constitue un document « attestant » de la situation de la personne concernée, au sens de l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 987/2009.
76 Enfin, il convient d’ajouter que, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 66 de ses conclusions, la question de savoir si les autorités concernées dans l’affaire au principal auraient dû obligatoirement recourir à l’application provisoire d’une législation en vertu de l’article 6 du règlement no 987/2009 selon l’ordre de priorité de la législation applicable qui y est prévue, est sans préjudice de l’effet contraignant des certificats A 1 en cause. En particulier, aux termes dudit
article 6, paragraphe 1, les règles de conflit d’application provisoire qui y sont énoncées s’appliquent « sauf disposition contraire [de ce règlement] ».
77 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la seconde partie de la deuxième question que l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 987/2009, lu en combinaison avec l’article 19, paragraphe 2, de ce règlement, doit être interprété en ce sens qu’un certificat A 1, délivré par l’institution compétente d’un État membre au titre de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, lie tant les institutions de sécurité sociale de l’État membre dans lequel l’activité est
exercée que les juridictions de cet État membre, le cas échéant, avec effet rétroactif, alors même que ce certificat n’a été délivré qu’après que ledit État membre eut établi l’assujettissement du travailleur concerné à l’assurance obligatoire au titre de sa législation.
Sur la troisième question
78 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 doit être interprété en ce sens que, dans le cas où un travailleur, qui est détaché par son employeur pour effectuer un travail dans un autre État membre, est remplacé par un autre travailleur détaché par un autre employeur, ce dernier travailleur doit être considéré comme étant « envoyé en remplacement d’une autre personne », au sens de cette disposition, de telle
sorte qu’il ne saurait bénéficier de la règle particulière prévue à ladite disposition afin de demeurer soumis à la législation de l’État membre dans lequel son employeur exerce normalement ses activités. Cette juridiction demande également si le fait que les employeurs des deux travailleurs concernés ont leurs sièges dans le même État membre ou le fait qu’ils entretiennent d’éventuels liens personnels ou organisationnels est pertinent à cet égard.
– Sur la recevabilité
79 Le gouvernement belge soutient que la troisième question est hypothétique en ce qu’elle vise à savoir si le fait que le second employeur a son siège dans un État membre autre que celui où se situe le siège du premier employeur est pertinent aux fins de la réponse à fournir à la question posée, alors que les deux employeurs concernés dans l’affaire au principal sont établis dans le même État membre.
80 À cet égard, il suffit de constater que la troisième question n’est pas hypothétique, pour la raison exposée au point précédent, dès lors qu’une partie de cette question vise, par son libellé même, la circonstance que les sièges des employeurs en question se trouvent dans le même État membre, circonstance qui correspond aux faits au principal où, selon les indications fournies dans la décision de renvoi, tant Martin–Meat que Martimpex sont établies en Hongrie.
– Sur le fond
81 Il convient, d’emblée, de faire observer que la troisième question n’a été posée que dans l’hypothèse où la Cour répondrait à la deuxième question en ce sens que le caractère contraignant du certificat A 1, tel qu’il découle de la réponse apportée à la première question, peut être limité dans l’une des circonstances visées par la deuxième question.
82 Cela étant, selon une jurisprudence constante, la procédure instituée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher et qui permettent à la Cour de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national (voir, en ce sens, ordonnance
du 7 septembre 2017, Alandžak e.a., C‑187/17, non publiée, EU:C:2017:662, points 9 et 10).
83 Or, ainsi que le soutiennent, en substance, les gouvernements autrichien et allemand ainsi que la Commission, dès lors que la troisième question porte sur l’étendue de la condition, prévue à l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, selon laquelle, pour pouvoir demeurer soumis à la législation de l’État membre dans lequel l’employeur exerce normalement ses activités, la personne détachée ne doit pas avoir été « envoyée en remplacement d’une autre personne » (ci–après la « condition de
non–remplacement »), cette question concerne l’objet même du litige au principal. En effet, par ladite question, la juridiction de renvoi vise à savoir laquelle des interprétations défendues par les deux États membres ayant soumis leur différend à la commission administrative devrait être privilégiée, leurs interprétations contradictoires à l’égard de la portée de la condition de non–remplacement étant, ainsi que cela ressort du dossier soumis à la Cour, à l’origine du désaccord qui divise les
parties au principal s’agissant de la législation applicable aux travailleurs en cause.
84 En outre, le gouvernement autrichien soutient qu’il ne saurait être exclu qu’aucun formulaire E 101 ou A 1 n’ait été établi par l’institution compétente hongroise pour certains des nombreux travailleurs concernés et que, par conséquent, l’interprétation de la condition de non–remplacement est directement pertinente aux fins de la solution du litige au principal à l’égard de ces travailleurs.
85 Dans ces conditions, et alors même que, ainsi que cela ressort des réponses apportées aux première et deuxième questions, la juridiction de renvoi est liée par les certificats A 1 en cause au principal aussi longtemps que ceux–ci n’ont pas été retirés par l’institution compétente hongroise ou déclarés invalides par les juridictions hongroises, il y a lieu de répondre à la troisième question.
86 Dans l’affaire au principal, il apparaît que des travailleurs de Martin–Meat ont été détachés en Autriche pendant la période comprise entre l’année 2007 et l’année 2012, pour effectuer des travaux de découpe de viande dans des locaux d’Alpenrind. Du 1er février 2012 au 31 janvier 2014, y compris, donc, pendant la période litigieuse, des travailleurs de Martimpex ont été détachés en Autriche pour effectuer les mêmes travaux. À partir du 1er février 2014, des travailleurs de Martin–Meat ont de
nouveau réalisé lesdits travaux dans les mêmes locaux.
87 Il convient donc d’examiner si la condition de non–remplacement est respectée dans un cas tel que celui en cause au principal lors de la période litigeuse, ainsi que si et dans quelle mesure la localisation des sièges des employeurs concernés ou l’existence d’éventuels liens personnels ou organisationnels entre ceux–ci sont pertinents dans un tel contexte.
88 Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, il y a lieu, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêt du 21 septembre 2017, Commission/Allemagne, C‑616/15, EU:C:2017:721, point 43 et jurisprudence citée).
89 S’agissant, tout d’abord, des termes de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, tel qu’il s’appliquait au début de la période litigieuse, celui–ci prévoyait que « [l]a personne qui exerce une activité salariée dans un État membre pour le compte d’un employeur y exerçant normalement ses activités, et que cet employeur détache pour effectuer un travail pour son compte dans un autre État membre, demeure soumise à la législation du premier État membre, à condition que la durée
prévisible de ce travail n’excède pas vingt-quatre mois et que la personne ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne ».
90 Il ressort ainsi du libellé de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 et, en particulier, de l’expression « à condition que », que le fait même qu’un travailleur détaché remplace une autre personne fait obstacle à ce que ce travailleur de remplacement puisse demeurer soumis à la législation de l’État membre dans lequel son employeur exerce normalement ses activités et que la condition de non–remplacement s’applique de manière cumulative à celle, également prévue à cette disposition,
relative à la durée maximale du travail concerné.
91 En outre, l’absence de référence expresse dans le libellé de ladite disposition aux sièges des employeurs respectifs ou aux éventuels liens personnels ou organisationnels existant entre eux tend à suggérer que de telles circonstances ne sont pas pertinentes aux fins de l’interprétation de cette même disposition.
92 Ensuite, en ce qui concerne le contexte dans lequel l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 s’inscrit, il convient de faire observer que, selon l’intitulé même de cet article, les règles qui y sont prévues, y compris donc celle figurant à son paragraphe 1, constituent des « règles particulières » relatives à la détermination de la législation de sécurité sociale applicable aux personnes relevant du champ d’application de ce règlement.
93 En effet, ainsi qu’il résulte de l’article 11, paragraphe 3, sous a), de ce règlement, cet article étant consacré aux « Règles générales », des personnes, telles que les travailleurs en cause au principal, qui exercent une activité salariée ou non salariée dans un État membre, sont soumises à la législation de l’État membre dans lequel elles exercent cette activité.
94 De même, il découle des considérants 17 et 18 du règlement no 883/2004 que, « en règle générale », la législation applicable aux personnes exerçant une activité salariée ou non salariée sur le territoire d’un État membre est celle de ce dernier et qu’il convient de « déroger à cette règle générale » dans des situations spécifiques justifiant un autre critère de rattachement.
95 Il s’ensuit que, dans la mesure où l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 constitue une dérogation à la règle générale qui s’applique afin de déterminer la législation dont relèvent les personnes qui exercent une activité salariée ou non salariée dans un État membre, il convient de l’interpréter de manière stricte.
96 Enfin, quant aux objectifs visés à l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 ainsi que, plus généralement, au cadre juridique dans lequel cette disposition s’inscrit, il convient de constater que, si l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 établit une règle particulière pour la détermination de la législation applicable en cas de détachement des travailleurs, cette situation spécifique justifiant, en principe, un autre critère de rattachement, il n’en reste pas moins que
le législateur de l’Union visait également à éviter que cette règle particulière puisse bénéficier à des travailleurs détachés successifs qui réalisent les mêmes travaux.
97 En outre, interpréter l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 différemment selon le siège respectif des employeurs concernés ou l’existence de liens personnels ou organisationnels entre eux pourrait compromettre l’objectif poursuivi par le législateur de l’Union de soumettre en principe le travailleur à la législation de l’État membre dans lequel l’intéressé exerce son activité.
98 En particulier, ainsi qu’il ressort du considérant 17 du règlement no 883/2004, c’est en vue de garantir le mieux possible l’égalité de traitement de toutes les personnes occupées sur le territoire d’un État membre qu’il a été considéré approprié de déterminer comme législation applicable, en règle générale, la législation de l’État membre dans lequel l’intéressé exerce son activité salariée ou non salariée. En outre, il découle des considérants 5 et 8 de ce règlement que, dans le cadre de la
coordination des systèmes nationaux de sécurité sociale, il convient de garantir le mieux possible l’égalité de traitement des personnes occupées sur le territoire d’un même État membre.
99 Il résulte des considérations exposées aux points 89 à 98 du présent arrêt que le recours récurrent à des travailleurs détachés afin de pourvoir à un même poste, même si les employeurs à l’initiative des détachements sont distincts, n’est conforme ni au libellé ni aux objectifs visés à l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 et n’est pas non plus conforme au contexte entourant cette disposition, de telle sorte qu’une personne détachée ne saurait bénéficier de la règle particulière
prévue à ladite disposition lorsqu’elle remplace un autre travailleur.
100 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la troisième question que l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 doit être interprété en ce sens que, dans le cas où un travailleur, qui est détaché par son employeur pour effectuer un travail dans un autre État membre, est remplacé par un autre travailleur détaché par un autre employeur, ce dernier travailleur doit être considéré comme étant « envoyé en remplacement d’une autre personne », au sens de
cette disposition, de telle sorte qu’il ne saurait bénéficier de la règle particulière prévue à ladite disposition afin de demeurer soumis à la législation de l’État membre dans lequel son employeur exerce normalement ses activités. Le fait que les employeurs des deux travailleurs concernés ont leurs sièges dans le même État membre ou le fait qu’ils entretiennent d’éventuels liens personnels ou organisationnels sont sans pertinence à cet égard.
Sur les dépens
101 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :
1) L’article 5, paragraphe 1, du règlement (CE) no 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement (CE) no 883/2004, tel que modifié par le règlement (UE) no 1244/2010 de la Commission, du 9 décembre 2010, lu en combinaison avec l’article 19, paragraphe 2, du règlement no 987/2009, tel que modifié par le règlement no 1244/2010, doit être interprété en ce sens qu’un certificat A 1, délivré par l’institution compétente d’un État
membre au titre de l’article 12, paragraphe 1, du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que modifié par le règlement no 1244/2010, lie non seulement les institutions de l’État membre dans lequel l’activité est exercée, mais également les juridictions de cet État membre.
2) L’article 5, paragraphe 1, du règlement no 987/2009, tel que modifié par le règlement no 1244/2010, lu en combinaison avec l’article 19, paragraphe 2, du règlement no 987/2009, tel que modifié par le règlement no 1244/2010, doit être interprété en ce sens qu’un certificat A 1, délivré par l’institution compétente d’un État membre au titre de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, tel que modifié par le règlement no 1244/2010, lie tant les institutions de sécurité sociale de
l’État membre dans lequel l’activité est exercée que les juridictions de cet État membre aussi longtemps que ce certificat n’a été ni retiré ni déclaré invalide par l’État membre dans lequel il a été établi, alors même que les autorités compétentes de ce dernier État membre et de l’État membre dans lequel l’activité est exercée ont saisi la commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale et que celle-ci a conclu que ce certificat avait été émis à tort et qu’il
devrait être retiré.
L’article 5, paragraphe 1, du règlement no 987/2009, tel que modifié par le règlement no 1244/2010, lu en combinaison avec l’article 19, paragraphe 2, du règlement no 987/2009, tel que modifié par le règlement no 1244/2010, doit être interprété en ce sens qu’un certificat A 1, délivré par l’institution compétente d’un État membre au titre de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, tel que modifié par le règlement no 1244/2010, lie tant les institutions de sécurité sociale de
l’État membre dans lequel l’activité est exercée que les juridictions de cet État membre, le cas échéant, avec effet rétroactif, alors même que ce certificat n’a été délivré qu’après que ledit État membre eut établi l’assujettissement du travailleur concerné à l’assurance obligatoire au titre de sa législation.
3) L’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, tel que modifié par le règlement no 1244/2010, doit être interprété en ce sens que, dans le cas où un travailleur, qui est détaché par son employeur pour effectuer un travail dans un autre État membre, est remplacé par un autre travailleur détaché par un autre employeur, ce dernier travailleur doit être considéré comme étant « envoyé en remplacement d’une autre personne », au sens de cette disposition, de telle sorte qu’il ne saurait
bénéficier de la règle particulière prévue à ladite disposition afin de demeurer soumis à la législation de l’État membre dans lequel son employeur exerce normalement ses activités.
Le fait que les employeurs des deux travailleurs concernés ont leurs sièges dans le même État membre ou le fait qu’ils entretiennent d’éventuels liens personnels ou organisationnels sont sans pertinence à cet égard.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.