ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)
29 novembre 2018 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Taxation des agences de joueurs de football professionnel – Paiement échelonné et soumis à une condition – Fait générateur, exigibilité et recouvrement de la taxe »
Dans l’affaire C‑548/17,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne), par décision du 21 juin 2017, parvenue à la Cour le 21 septembre 2017, dans la procédure
Finanzamt Goslar
contre
baumgarten sports & more GmbH,
LA COUR (sixième chambre),
composée de M. J.‑C. Bonichot (rapporteur), président de la première chambre, faisant fonction de président de la sixième chambre, MM. E. Regan et C. G. Fernlund, juges,
avocat général : M. M. Szpunar,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour baumgarten sports & more GmbH, par M. A. Brennecke,
– pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze et R. Kanitz, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par Mmes L. Lozano Palacios et A. C. Becker, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 63 et 90 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Finanzamt Goslar (administration des finances de Goslar, Allemagne) à baumgarten Sports & more GmbH (ci-après la « société ») au sujet de l’imposition de paiements échelonnés à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 L’article 63 de la directive TVA dispose :
« Le fait générateur de la taxe intervient et la taxe devient exigible au moment où la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée. »
4 L’article 64, paragraphe 1, de cette directive énonce :
« Lorsqu’elles donnent lieu à des décomptes ou à des paiements successifs, les livraisons de biens, autres que celles ayant pour objet la location d’un bien pendant une certaine période ou la vente à tempérament d’un bien visées à l’article 14, paragraphe 2, point b), et les prestations de services sont considérées comme effectuées au moment de l’expiration des périodes auxquelles ces décomptes ou paiements se rapportent. »
5 Aux termes de l’article 65 de ladite directive :
« En cas de versements d’acomptes avant que la livraison de biens ou la prestation de services ne soit effectuée, la taxe devient exigible au moment de l’encaissement, à concurrence du montant encaissé. »
6 L’article 66 de la directive TVA est ainsi rédigé :
« Par dérogation aux articles 63, 64 et 65, les États membres peuvent prévoir que la taxe devient exigible pour certaines opérations ou certaines catégories d’assujettis à un des moments suivants ;
a) au plus tard lors de l’émission de la facture ;
b) au plus tard lors de l’encaissement du prix ;
c) en cas d’absence d’émission ou d’émission tardive de la facture, dans un délai déterminé à compter de la date du fait générateur. »
7 Aux termes de l’article 90 de cette directive :
« 1. En cas d’annulation, de résiliation, de résolution, de non-paiement total ou partiel ou de réduction de prix après le moment où s’effectue l’opération, la base d’imposition est réduite à due concurrence dans les conditions déterminées par les États membres.
2. En cas de non-paiement total ou partiel, les États membres peuvent déroger au paragraphe 1. »
Le droit allemand
8 L’article 13, paragraphe 1, point 1, de l’Umsatzsteuergesetz (loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires, ci-après l’« UStG ») énonce :
« La taxe prend naissance
1. pour les livraisons et autres prestations
a) en cas de calcul de la taxe en fonction des contreparties financières convenues (article 16, paragraphe 1, première phrase), à l’expiration de la période comptable au cours de laquelle les prestations ont été exécutées. Cela s’applique également aux prestations partielles. Il y a prestation partielle lorsque la contrepartie financière de certaines parties d’une prestation économiquement séparable est convenue séparément. Si la contrepartie financière, ou une partie de celle-ci, est encaissée
avant que la prestation ou la prestation partielle ne soit exécutée, la taxe y afférente devient exigible à l’expiration de la période comptable pendant laquelle la contrepartie ou la contrepartie partielle a été encaissée,
b) en cas de calcul de la taxe en fonction des contreparties financières encaissées (article 20), à l’expiration de la période comptable au cours de laquelle ces contreparties ont été encaissées. »
9 L’article 17 de l’UStG prévoit :
« 1) En cas de modification de la base de calcul d’une opération imposable, au sens de l’article 1er, paragraphe 1, point 1, l’entrepreneur qui a réalisé cette opération doit rectifier le montant de la taxe due à ce titre. [...]
2) Le paragraphe 1 est applicable mutatis mutandis lorsque
1. la contrepartie financière convenue pour une livraison imposable, une autre prestation ou une acquisition intracommunautaire imposable est devenue irrécouvrable. Si la contrepartie financière est encaissée ultérieurement, le montant de la taxe et la déduction doivent à nouveau être rectifiés.
[...] »
10 L’article 20, première phrase, de l’UStG énonce :
« L’administration des finances peut, sur demande, autoriser un entrepreneur
1. dont le chiffre d’affaires global (article 19, paragraphe 3) n’a pas dépassé 500000 euros au cours de l’année civile précédente, ou
2. qui est dispensé de l’obligation de tenir des livres comptables et d’établir régulièrement des comptes sur la base d’inventaires annuels conformément à l’article 148 de l’Abgabenordnung (code fiscal), ou
3. dans la mesure où il effectue des opérations au titre d’une activité exercée en tant que membre d’une profession libérale, au sens de l’article 18, paragraphe 1, point 1, de l’Einkommensteuergesetz (loi relative à l’impôt sur le revenu),
à calculer la taxe non pas en fonction des contreparties financières convenues (article 16, paragraphe 1, première phrase), mais en fonction des contreparties financières encaissées. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
11 La société est un prestataire de services d’agent sportif dans le secteur du football professionnel.
12 Lorsque la société place avec succès un joueur auprès d’un club, elle perçoit une commission de ce club, à condition que le joueur signe par la suite un contrat de travail et soit titulaire d’une licence délivrée par la Deutsche Fußball Liga GmbH (Ligue allemande de football).
13 Cette commission est versée à la société selon une périodicité semestrielle, tant que le joueur reste sous contrat avec ledit club et sous licence de la Ligue allemande de football.
14 La société a soumis son chiffre d’affaires de l’année 2012 à l’imposition en fonction des contreparties financières convenues, prévue à l’article 13, paragraphe 1, point 1, sous a), de l’UStG.
15 Au cours de l’année 2015, à la suite d’un contrôle fiscal, l’administration des finances de Goslar a considéré que, eu égard à la « règle de la comptabilité d’exercice », la société aurait dû, dès l’année 2012, soumettre à la TVA des commissions correspondant à des contrats de joueurs à durée déterminée arrivant à échéance pendant l’année 2015, et a émis un avis rectificatif en ce sens.
16 En désaccord avec cette méthode, la société a saisi la juridiction de première instance et a obtenu gain de cause. Elle a soutenu avec succès que les commissions en cause n’étaient pas certaines et que la TVA y afférente ne devait être exigible qu’à la date à laquelle elles seraient effectivement perçues.
17 L’administration des finances de Goslar a formé un recours en Revision devant le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne).
18 Cette juridiction s’interroge sur l’interprétation qu’il convient de faire de l’article 63 de la directive TVA, qui pose la règle selon laquelle la taxe afférente à une prestation de services est exigible au moment où elle est effectuée. Elle se demande si cette règle peut faire l’objet d’une interprétation restrictive pour, en substance, regarder la prestation comme non encore effectuée, lorsque sa contrepartie financière n’est pas échue ou est conditionnelle, comme ce serait le cas dans
l’affaire au principal.
19 En fonction de la réponse à cette première question, la juridiction de renvoi se demande également si le fait, pour l’assujetti, de faire une « avance » au Trésor serait compatible avec certains principes du droit relatif à la TVA ainsi qu’avec les principes généraux d’égalité et de proportionnalité. Son questionnement repose, en substance, sur la comparaison, au cœur du débat devant les juges du fond, des situations respectives d’un assujetti tel que celui en cause au principal et d’un assujetti
qui serait imposé selon la méthode de la « compatibilité de caisse ».
20 La juridiction de renvoi se pose également, en lien avec l’interprétation sollicitée de l’article 63 de la directive TVA, une question d’interprétation de l’article 90 de celle-ci, qui concerne le droit à réduction de la base d’imposition à la taxe, dans certaines circonstances, notamment en cas de non-paiement de la contrepartie de la prestation. Elle cherche, à cet égard, à savoir si, dans l’hypothèse où la directive TVA ne s’opposerait pas à ce que l’assujetti fasse l’avance, sur plusieurs
années, de la taxe, les États membres peuvent accorder cette déduction dès la période d’imposition en cours, et non, comme cela semble résulter de la lettre de cet article, postérieurement à la réalisation de la prestation.
21 Dans ces conditions, le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Eu égard à la mission qui incombe à l’assujetti en tant que collecteur de taxes pour le compte du Trésor, l’article 63 de la [directive TVA] doit‑il être interprété de manière restrictive en ce sens que le montant à encaisser au titre de la prestation
a) est échu ou
b) est au moins dû de manière inconditionnelle ?
2) En cas de réponse négative à la première question : l’assujetti est-il tenu de faire l’avance du montant de la taxe due au titre de la prestation pendant une période de deux ans s’il ne peut percevoir la rémunération de sa prestation (pour partie) que deux ans après l’intervention du fait générateur ?
3) En cas de réponse affirmative à la deuxième question : eu égard aux pouvoirs que l’article 90, paragraphe 2, de la [directive TVA] confère aux États membres, ces derniers sont-ils habilités à considérer qu’une régularisation prévue à l’article 90, paragraphe 1, de cette directive doit être effectuée dès la période d’imposition au cours de laquelle la taxe est devenue exigible, si le montant à percevoir ne peut être encaissé par l’assujetti que deux ans après l’intervention du fait générateur
au motif que ce montant n’est pas encore échu ? »
Sur les questions préjudicielles
22 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises. En outre, la Cour peut être amenée à prendre en
considération des normes du droit de l’Union auxquelles le juge national n’a pas fait référence dans l’énoncé de sa question (arrêt du 1er février 2017, Município de Palmela, C‑144/16, EU:C:2017:76, point 20 et jurisprudence citée).
23 En l’occurrence, les interrogations de la juridiction de renvoi ont pour point de départ une hésitation quant au point de savoir si l’article 63 de la directive TVA peut être interprété de manière restrictive, de sorte qu’une prestation de services ne devrait pas être considérée comme « effectuée », au sens de cette disposition, lorsque la rémunération y afférente n’est ni exigible ni due de manière inconditionnelle, conduisant ainsi à une exigibilité partielle de la TVA.
24 Or, il apparaît, à cet égard, que l’article 64, paragraphe 1, de la directive TVA, en ce qu’il détermine le moment auquel les prestations de services doivent être considérées comme « effectuées » lorsqu’elles « donnent lieu à des décomptes ou à des paiements successifs », est également pertinent pour l’application des dispositions relatives à la TVA à une situation telle que celle en cause au principal.
25 Dès lors, il y a lieu de considérer que, par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 63 de la directive TVA, lu en combinaison avec l’article 64, paragraphe 1, de cette directive, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que le fait générateur et l’exigibilité de la taxe afférente à une prestation de services de placement de joueurs de football professionnel par un agent, telle que celle en cause au principal, qui
fait l’objet de paiements échelonnés et conditionnels sur plusieurs années postérieurement au placement, soient regardés comme intervenant à la date de ce dernier.
26 À cet égard, il convient de rappeler, d’une part, que, selon l’article 63 de la directive TVA, le fait générateur de la taxe intervient et la taxe devient exigible au moment où la prestation de services est effectuée.
27 D’autre part, en vertu de l’article 64, paragraphe 1, de cette directive, lorsqu’elles donnent lieu à des paiements successifs, les prestations de services sont considérées comme effectuées, au sens de cet article 63, au moment de l’expiration des périodes auxquelles ces paiements se rapportent.
28 Il résulte d’une application combinée de ces deux dispositions que, pour les prestations donnant lieu à des paiements successifs, le fait générateur de la taxe intervient et la taxe devient exigible au moment de l’expiration des périodes auxquelles ces paiements se rapportent (voir, en ce sens, arrêt du 3 septembre 2015, Asparuhovo Lake Investment Company, C‑463/14, EU:C:2015:542, point 50).
29 Il appartient, en principe, à la juridiction de renvoi de vérifier que la prestation en cause au principal est bien de celles « donnant lieu à des décomptes ou à des paiements successifs », au sens de l’article 64, paragraphe 1, de la directive TVA.
30 Cela étant, et afin d’apporter une réponse utile à la juridiction de renvoi, il y a lieu de relever que tel semble être le cas d’une prestation telle que celle en cause au principal, consistant à négocier le placement d’un joueur pour un certain nombre de saisons au sein d’un club, et rémunérée au moyen de paiements échelonnés et conditionnels sur plusieurs années, postérieurement au placement (voir, par analogie, arrêt du 3 septembre 2015, Asparuhovo Lake Investment Company, C‑463/14,
EU:C:2015:542, point 49).
31 Il résulte de ce qui précède que, sous réserve des vérifications qui incombent à la juridiction de renvoi, le fait générateur et l’exigibilité de la taxe afférente à une prestation telle que celle en cause au principal doivent être regardés comme intervenant non pas à la date du placement, mais à l’expiration des périodes auxquelles les paiements versés par le club se rapportent.
32 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que l’article 63 de la directive TVA, lu en combinaison avec l’article 64, paragraphe 1, de cette directive, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que le fait générateur et l’exigibilité de la taxe afférente à une prestation de services de placement de joueurs de football professionnel par un agent, telle que celle en cause au principal, qui fait l’objet de paiements échelonnés et
conditionnels sur plusieurs années postérieurement au placement, soient regardés comme intervenant à la date de ce dernier.
Sur les dépens
33 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :
L’article 63 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, lu en combinaison avec l’article 64, paragraphe 1, de cette directive, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que le fait générateur et l’exigibilité de la taxe afférente à une prestation de services de placement de joueurs de football professionnel par un agent, telle que celle en cause au principal, qui fait l’objet de paiements échelonnés et
conditionnels sur plusieurs années postérieurement au placement, soient regardés comme intervenant à la date de ce dernier.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.