ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
13 mars 2019 (*)
« Pourvoi – Accès aux documents – Règlement (CE) no 1049/2001 –Article 4, paragraphe 2, troisième tiret – Présomption générale de confidentialité des documents afférents à une procédure d’enquête dans le domaine des aides d’État – Portée »
Dans l’affaire C‑666/17 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 27 novembre 2017,
AlzChem AG, établie à Trostberg (Allemagne), représentée par M^e A. Borsos, avocat, et M^e J. A. Guerrero Pérez, abogado,
partie requérante,
l’autre partie à la procédure étant :
Commission européenne, représentée par M^me L. Armati et M. A. Buchet, en qualité d’agents,
partie défenderesse en première instance,
LA COUR (première chambre),
composée de M. J.‑C. Bonichot (rapporteur), président de chambre, M^me C. Toader, MM. A. Rosas, L. Bay Larsen et M. Safjan, juges,
avocat général : M. G. Pitruzzella,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par son pourvoi, AlzChem AG demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 7 septembre 2017, AlzChem/Commission (T‑451/15, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2017:588), par lequel celui-ci a rejeté son recours en annulation de la décision du 26 mai 2015 par laquelle la Commission européenne a refusé de lui accorder l’accès à des documents afférents à une procédure d’enquête dans le domaine des aides d’État (ci-après la « décision litigieuse »).
Le cadre juridique
2 L’article 15, paragraphe 3, TFUE assure, à tout citoyen de l’Union européenne et à toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège dans un État membre, un droit d’accès aux documents des institutions, des organes et des organismes de l’Union, sous réserve des principes et des conditions fixées par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne pour des raisons d’intérêt public ou privé.
3 Le considérant 2 du règlement (CE) n^o 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43), énonce notamment que « [l]a transparence permet d’assurer une meilleure participation des citoyens au processus décisionnel, ainsi que de garantir une plus grande légitimité, efficacité et responsabilité de l’administration à l’égard des citoyens dans un système
démocratique ».
4 Le considérant 6 de ce règlement énonce qu’« [u]n accès plus large devrait être autorisé dans les cas où les institutions agissent en qualité de législateur ».
5 L’article 4, paragraphe 2, dudit règlement prévoit :
« Les institutions refusent l’accès à un document dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection :
– des intérêts commerciaux d’une personne physique ou morale déterminée, y compris en ce qui concerne la propriété intellectuelle,
– des procédures juridictionnelles et des avis juridiques,
– des objectifs des activités d’inspection, d’enquête et d’audit,
à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé. »
6 L’article 4, paragraphes 3 et 4, du même règlement dispose :
« 3. L’accès à un document établi par une institution pour son usage interne ou reçu par une institution et qui a trait à une question sur laquelle celle-ci n’a pas encore pris de décision est refusé dans le cas où sa divulgation porterait gravement atteinte au processus décisionnel de cette institution, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé.
[...]
4. Dans le cas de documents de tiers, l’institution consulte le tiers afin de déterminer si une exception prévue au paragraphe 1 ou 2 est d’application, à moins qu’il ne soit clair que le document doit ou ne doit pas être divulgué. »
7 L’article 7, paragraphe 2, du règlement n^o 1049/2001 indique :
« En cas de refus total ou partiel, le demandeur peut adresser, dans un délai de quinze jours ouvrables suivant la réception de la réponse de l’institution, une demande confirmative tendant à ce que celle-ci révise sa position. »
8 L’article 10 de ce règlement, intitulé « Accès à la suite d’une demande », prévoit, à son paragraphe 1, que l’accès aux documents s’exerce « soit par consultation sur place, soit par délivrance d’une copie, y compris, le cas échéant, une copie électronique, selon la préférence du demandeur ».
Les antécédents du litige et la décision litigieuse
9 Les données du litige peuvent être résumées de la manière suivante.
10 Par sa décision (UE) 2015/1826, du 15 octobre 2014, concernant l’aide d’État SA.33797 (2013/C) (ex 2013/NN) (ex 2011/CP) mise à exécution par la Slovaquie en faveur de l’entreprise NCHZ (JO 2015, L 269, p. 71), la Commission a estimé que cette entreprise, exerçant dans le secteur de la chimie, avait bénéficié d’une aide d’État illégale et incompatible avec le marché intérieur dans le cadre de sa procédure de faillite.
11 AlzChem, entreprise allemande exerçant également dans le secteur de la chimie, est intervenue en tant que partie intéressée dans la procédure ayant mené à l’adoption de cette décision.
12 Le 16 mars 2015, AlzChem a demandé à la Commission l’accès à trois documents du dossier administratif relatif à cette procédure, à savoir l’analyse économique de l’administrateur de NCHZ du 23 décembre 2010, un document de cette entreprise intitulé « Présentation de gestion de NCHZ » et les observations du gouvernement slovaque relatives à l’interprétation et à l’application de la loi slovaque sur la faillite (ci-après les « documents en cause »).
13 Le 27 mars 2015, la Commission a rejeté cette demande au motif qu’elle relevait des exceptions prévues à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement n^o 1049/2001, relatif à la protection des activités d’enquête des institutions, ainsi qu’à l’article 4, paragraphe 3, de ce règlement, relatif à la protection du processus décisionnel des institutions.
14 Par lettre du 16 avril 2015, la requérante a adressé à la Commission une demande confirmative, conformément à l’article 7, paragraphe 2, dudit règlement.
15 Par la décision litigieuse, la Commission a confirmé son refus de faire droit à cette demande et indiqué que son refus était également fondé sur la nécessité de protéger des informations commerciales et des données sensibles relatives aux activités de NCHZ, en vertu de l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du même règlement.
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
16 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 août 2015, AlzChem a demandé au Tribunal l’annulation de la décision litigieuse.
17 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a écarté comme non fondé le premier des trois moyens invoqués par la requérante, tiré d’une erreur de droit et d’une erreur manifeste d’appréciation dans l’application de la présomption générale de confidentialité des documents afférents à une procédure d’enquête au titre de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement n^o 1049/2001 (ci-après la « présomption générale de confidentialité »).
18 Compte tenu du rejet du premier moyen dans son intégralité, le Tribunal a estimé qu’il n’était pas nécessaire d’examiner le deuxième moyen invoqué par AlzChem, tiré d’une erreur de droit et d’une erreur manifeste d’appréciation dans l’application de l’exception visant à protéger les intérêts commerciaux prévue à l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement n^o 1049/2001.
19 Enfin, le Tribunal a également rejeté comme non fondé le troisième moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motiver le refus de donner accès aux documents dans une version non confidentielle ou dans les locaux de la Commission.
20 Le Tribunal a, dès lors, rejeté le recours dans son intégralité et condamné AlzChem aux dépens.
La procédure devant la Cour et les conclusions des parties
21 Par son pourvoi, AlzChem demande à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué ainsi que la décision litigieuse et de condamner la Commission aux dépens.
22 La Commission demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner AlzChem aux dépens de l’instance.
Sur le pourvoi
Sur le premier moyen, tiré d’une erreur de droit et d’une erreur manifeste d’appréciation dans l’application de la présomption générale de confidentialité
Sur l’erreur de droit que le Tribunal aurait commise dans l’interprétation de la présomption générale de confidentialité
– Argumentation des parties
23 Alzchem soutient, en premier lieu, que la présomption générale de confidentialité des documents afférents à une procédure de contrôle d’une aide d’État ne saurait concerner des documents précisément identifiés.
24 Elle estime qu’il ne suffit pas qu’un document relève d’une activité mentionnée à l’article 4, paragraphe 2, du règlement n^o 1049/2001 pour que le refus de communication soit justifié et que la Commission doit expliquer les raisons pour lesquelles cet accès pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à l’intérêt protégé.
25 À l’appui de cet argument, elle fait valoir que ce n’est que lorsque la demande d’accès porte sur des « catégories » ou des « ensembles » de documents décrits de « manière globale », comme le dossier d’enquête, que la Commission peut se prévaloir de la présomption générale de confidentialité, ce qui résulterait du point 4 de l’arrêt du 29 juin 2010, Commission/Technische Glaswerke Ilmenau (C‑139/07 P, EU:C:2010:376), et du point 49 de l’arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission
(C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738).
26 Elle indique que l’arrêt du 14 juillet 2016, Sea Handling/Commission (C‑271/15 P, non publié, EU:C:2016:557), dans lequel la Cour a appliqué cette présomption à des documents précisément identifiés, ne peut constituer qu’un arrêt d’espèce, sauf à violer l’article 42 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »). En outre, elle estime qu’il convient d’opérer une distinction selon la nature des documents demandés.
27 En deuxième lieu, AlzChem soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit, au point 58 de l’arrêt attaqué, en rejetant son argument relatif au caractère « préexistant » de deux des trois documents en cause, c’est-à-dire des documents qui auraient été établis avant l’ouverture de l’enquête, pas nécessairement par l’institution concernée ni spécifiquement pour les besoins de cette enquête. AlzChem estime que son analyse est confortée par le traitement qui est réservé à la divulgation de
tels documents dans d’autres domaines du droit de l’Union. Elle renvoie notamment, à cet égard, aux conclusions de l’avocat général Mazák dans l’affaire Pfleiderer (C‑360/09, EU:C:2010:782), relative à la procédure de clémence.
28 En troisième lieu, AlzChem se prévaut de la violation du principe d’interprétation stricte des exceptions, à l’aune duquel devrait être interprété l’article 4, paragraphe 2, du règlement n^o 1049/2001.
29 En quatrième lieu, AlzChem fait valoir que l’application de la présomption générale de confidentialité au seul motif que les documents en cause font partie du dossier administratif empêche purement et simplement le demandeur de renverser cette présomption.
30 La Commission soutient que cette argumentation ne saurait prospérer.
– Appréciation de la Cour
31 En premier lieu, en ce qui concerne l’application de la présomption générale de confidentialité lorsque la demande d’accès porte sur des documents précisément identifiés et peu nombreux, il convient de rappeler qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour qu’il y a non seulement lieu de reconnaître l’existence d’une présomption générale selon laquelle la divulgation des documents du dossier administratif de la Commission dans une procédure de contrôle d’une aide d’État porterait, en
principe, atteinte à la protection des objectifs des activités d’enquête (arrêt du 29 juin 2010, Commission/Technische Glaswerke Ilmenau, C‑139/07 P, EU:C:2010:376, point 61), mais aussi que cette présomption s’applique indépendamment du fait que la demande d’accès a identifié précisément ou non le ou les documents concernés (arrêt du 14 juillet 2016, Sea Handling/Commission, C‑271/15 P, non publié, EU:C:2016:557, point 54).
32 C’est, dès lors, sans méconnaître la portée de la présomption générale de confidentialité que le Tribunal a considéré, aux points 25 et 26 de l’arrêt attaqué, que le seul fait que les documents en cause font partie du dossier administratif d’une procédure de contrôle des aides d’État suffit pour en justifier l’application, alors même que ces documents auraient été précisément identifiés et seraient peu nombreux.
33 En deuxième lieu, en ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel des documents « préexistants » ne sont pas couverts par la présomption générale de confidentialité, il y a lieu de constater que, d’une part, il résulte de la nature même d’une enquête en matière d’aide d’État que des informations sur ce qui a pu se produire antérieurement à l’ouverture de l’enquête soient recueillies et que, d’autre part, il ne ressort nullement de la jurisprudence de la Cour que de tels documents
devraient être distingués du reste du dossier administratif de la Commission.
34 Partant, le caractère « préexistant » de certains des documents demandés ne s’oppose pas à ce qu’ils soient couverts par la présomption générale de confidentialité, dès lors qu’ils font partie du dossier administratif de la Commission dans une procédure d’enquête dans le domaine des aides d’État.
35 En troisième lieu, si la requérante fait valoir que le Tribunal n’aurait pas respecté le principe d’interprétation stricte des exceptions en retenant une conception large de la présomption générale de confidentialité, il apparaît toutefois que, loin de violer ce principe, dont il rappelle d’ailleurs le nécessaire respect au point 81 de l’arrêt attaqué, il a fait une juste application de cette présomption aux documents du dossier administratif de la Commission.
36 En quatrième lieu, en faisant valoir qu’il lui était, dans ces conditions, impossible d’apporter toute preuve contraire, la requérante conteste, en substance, le fait qu’il lui appartient de rapporter la preuve selon laquelle les documents en cause ne sont pas couverts par la présomption générale de confidentialité.
37 Toutefois, ainsi que l’a rappelé à bon droit le Tribunal aux points 31 et 83 de l’arrêt attaqué en se référant à la jurisprudence de la Cour à cet égard, la présomption générale de confidentialité n’exclut nullement le droit, pour la requérante, de démontrer qu’un ou plusieurs documents donnés, dont elle demande la communication, ne sont pas couverts par cette présomption ou qu’il existe un intérêt public supérieur justifiant leur divulgation en vertu de l’article 4, paragraphe 2, du
règlement n^o 1049/2001 (arrêt du 29 juin 2010, Commission/Technische Glaswerke Ilmenau, C‑139/07 P, EU:C:2010:376, point 62).
38 C’est de même à bon droit que le Tribunal, au point 32 de l’arrêt attaqué, a indiqué que la présomption générale selon laquelle la divulgation des documents du dossier administratif porterait, en principe, atteinte à la protection des objectifs des activités d’enquête n’est pas irréfragable et n’exclut pas que certains des documents précis contenus dans le dossier de la Commission relatifs à une procédure de contrôle des aides d’État puissent être divulgués (voir, en ce sens, arrêt du
14 juillet 2016, Sea Handling/Commission, C‑271/15 P, non publié, EU:C:2016:557, point 42).
39 Enfin, il importe de rappeler que la Cour a déjà précisé que le fait qu’il soit difficile d’apporter la preuve nécessaire pour renverser une présomption n’implique pas, par lui-même, que celle-ci soit irréfragable (voir, en ce sens, arrêt du 10 avril 2014, Areva e.a./Commission, C‑247/11 P et C‑253/11 P, EU:C:2014:257, point 81).
40 L’ensemble de l’argumentation de la requérante sur ces points doit, dès lors, être écarté.
Sur l’erreur de droit qu’aurait commise le Tribunal en considérant que la présomption générale de confidentialité pouvait s’appliquer à des documents relatifs à une procédure d’enquête clôturée.
– Argumentation des parties
41 AlzChem fait valoir que, compte tenu des circonstances particulières de la présente affaire, le Tribunal a commis une erreur de droit en admettant que la présomption générale de confidentialité pouvait s’appliquer alors que la procédure d’enquête avait été clôturée le 15 octobre 2014.
42 Elle soutient que les documents en cause n’ont pas eu une très grande importance dans le cadre de cette procédure d’enquête et ajoute que le refus de donner accès à ces documents ne saurait valablement se fonder sur la circonstance que la Commission peut revenir sur son analyse au terme du recours juridictionnel exercé contre la décision adoptée en conclusion de la procédure, dès lors qu’elle pourrait, à tout moment, réexaminer certaines décisions en matière d’aide d’État. Elle fait aussi
valoir que la communication des documents en cause n’est pas de nature à nuire à la disponibilité des États membres à collaborer dans les enquêtes en matière d’aides d’État et que deux des documents en cause préexistaient à l’enquête.
43 La Commission soutient que cette argumentation ne saurait prospérer.
– Appréciation de la Cour
44 Les arguments d’AlzChem ne constituent qu’une répétition des arguments déjà exposés dans sa requête devant le Tribunal, auxquels, d’ailleurs, le Tribunal a répondu aux points 36 à 61 de l’arrêt attaqué, et visent, en réalité, à obtenir un simple réexamen de ces mêmes arguments, ce qui échappe à la compétence de la Cour (voir, en ce sens, notamment arrêt du 14 octobre 2010, Deutsche Telekom/Commission, C‑280/08 P, EU:C:2010:603, point 24).
45 Quant à l’unique argument nouveau, contenu au point 54 de la requête, relatif à la nécessité d’adopter une interprétation restrictive de la notion d’« enquêtes en cours », il n’est pas assorti de la précision permettant d’en apprécier le bien-fondé.
46 L’ensemble de cette argumentation ne peut donc être qu’écarté comme irrecevable.
Sur l’erreur de droit qu’aurait commise le Tribunal en considérant que la divulgation des documents en cause n’était pas justifiée par un intérêt public supérieur, consistant à protéger le droit à un recours effectif prévu à l’article 47 de la Charte et à l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
– Argumentation des parties
47 AlzChem soutient que, à supposer même que les documents en cause relèvent de la présomption générale de confidentialité, il y a lieu de faire prévaloir le droit à un recours juridictionnel effectif, lequel suppose que les tiers agissent en pleine connaissance de cause.
48 Elle fait valoir qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour que l’effectivité du contrôle juridictionnel exige que l’intéressé puisse connaître les motifs sur lesquels est fondée la décision prise à son égard soit par la lecture de la décision, soit par une communication de ses motifs. Elle en déduit que les intéressés doivent avoir pleine connaissance des faits pertinents à la base d’une décision de la Commission, pour pouvoir être en mesure de former à son encontre un recours
juridictionnel.
49 Elle soutient que l’accès aux documents en cause lui était nécessaire pour vérifier le bien-fondé de l’analyse de la Commission et pour exercer son droit à un recours juridictionnel effectif.
50 Elle indique également que l’existence d’intérêts privés ne saurait faire obstacle à la reconnaissance de l’existence d’un intérêt public et que le Tribunal a, dès lors, considéré à tort, au point 73 de l’arrêt attaqué, que sa demande d’accès aux documents en cause concernait un intérêt privé.
51 Elle ajoute que, contrairement à ce que le Tribunal a constaté au point 70 de l’arrêt attaqué, le fait qu’elle ait pu former un recours juridictionnel contre la décision 2015/1826, du 15 octobre 2014, mentionnée au point 10 du présent arrêt, ne saurait suffire pour constater que son droit à un recours effectif a été pleinement respecté.
52 La Commission conclut au rejet de cette argumentation.
– Appréciation de la Cour
53 AlzChem soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que la communication des documents en cause n’était pas justifiée par un intérêt public supérieur, consistant à protéger le droit à un recours effectif, prévu à l’article 47 de la Charte et à l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950.
54 Toutefois, après avoir rappelé, à juste titre, aux points 65 à 66 de l’arrêt attaqué, la nécessité, pour l’institution concernée, de mettre en balance, d’un côté, l’intérêt spécifique devant être protégé par la non-divulgation du document concerné et, de l’autre, notamment, l’intérêt général à ce qu’il soit rendu accessible (voir, en ce sens, arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 42), le Tribunal a également précisé à bon droit,
au point 69 de l’arrêt attaqué, que l’effectivité du contrôle juridictionnel exige que l’intéressé puisse connaître les motifs sur lesquels la décision contestée est fondée, afin de lui permettre de défendre ses droits et de décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge compétent (voir, en ce sens, arrêt du 4 juin 2013, ZZ, C‑300/11, EU:C:2013:363, point 53).
55 Ainsi que l’a souligné la Commission dans son mémoire en réponse, cette obligation de motivation ne doit pas être confondue avec le régime d’accès aux documents des institutions.
56 Le Tribunal a, dès lors, pu constater à bon droit, d’une part, au point 70 de l’arrêt attaqué, que la requérante n’avait pas été privée de son droit à un recours juridictionnel effectif puisqu’elle avait eu accès à la décision 2015/1826, du 15 octobre 2014, mentionnée au point 10 du présent arrêt, et qu’elle avait pu introduire à son encontre un recours en annulation, et, d’autre part, au point 73 de cet arrêt, en se fondant sur le point 146 de l’arrêt du 28 juin 2012, Commission/Éditions
Odile Jacob (C‑404/10 P, EU:C:2012:393), que la circonstance selon laquelle des documents pourraient permettre au demandeur de mieux faire valoir ses arguments dans le cadre de ses recours en annulation constitue non pas un intérêt public supérieur justifiant leur divulgation, au sens de l’article 4, paragraphe 2, du règlement n^o 1049/2001, mais un intérêt « privé » ne relevant pas de cet article, jurisprudence qui s’applique également dans le domaine des aides d’État (voir, également, en ce sens
arrêt du 14 juillet 2016, Sea Handling/Commission, C‑271/15 P, non publié, EU:C:2016:557, points 97 à 99).
57 Par conséquent, il y a lieu d’écarter également cette partie de l’argumentation de la requérante.
Sur la violation de l’article 15, paragraphe 3, TFUE et de l’article 42 de la Charte
– Argumentation des parties
58 AlzChem soutient que le Tribunal a interprété et appliqué le règlement n^o 1049/2001 en violation du droit fondamental d’accès aux documents, prévu à l’article 42 de la Charte et à l’article 15, paragraphe 3, TFUE.
59 Elle rappelle qu’il résulte du considérant 2 du règlement n^o 1049/2001 que celui-ci vise à assurer le plus large effet possible au droit d’accès du public aux documents et soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit, au point 80 de l’arrêt attaqué, en indiquant que l’activité administrative de la Commission n’exigeait pas la même étendue d’accès aux documents que celle requise par l’activité législative d’une institution. Elle indique que ce constat, qui résulte du considérant 6
du règlement n^o 1049/2001, n’implique pas qu’il faille conférer un « accès limité » aux documents relatifs à des procédures administratives et ajoute que, contrairement à ce que le Tribunal a affirmé au point 88 de l’arrêt attaqué, la pratique des États membres en matière d’accès aux documents devrait être prise en compte en tant que tradition constitutionnelle et administrative commune des États membres.
60 Elle considère, à cet égard, que l’interprétation extensive de la présomption générale de confidentialité, retenue par le Tribunal dans l’arrêt attaqué, vide de sa substance l’article 42 de la Charte et le règlement n^o 1049/2001.
61 La Commission conclut au rejet de cette argumentation.
– Appréciation de la Cour
62 AlzChem soutient que l’application de la présomption générale de confidentialité aux documents en cause est de nature à violer l’article 42 de la Charte et l’article 15, paragraphe 3, TFUE.
63 Cependant, au point 77 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé à bon droit que si, en vertu de l’article 15, paragraphe 3, TFUE, lu en combinaison avec l’article 42 de la Charte, tout citoyen de l’Union et toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège statutaire dans un État membre ont un droit d’accès aux documents des institutions, des organes et des organismes de l’Union, c’est sous réserve des principes et des conditions fixés conformément à cette disposition.
64 Il convient également de rappeler que l’article 15, paragraphe 3, deuxième alinéa, TFUE prévoit que les « principes généraux et les limites qui, pour des raisons d’intérêt public ou privé, régissent l’exercice de ce droit d’accès aux documents sont fixés par voie de règlements » par le législateur de l’Union.
65 Par ailleurs, contrairement à ce que la requérante semble soutenir, le Tribunal n’a pas considéré, au point 80 de l’arrêt attaqué, qu’il fallait conférer un « accès limité » aux documents liés à des procédures administratives, mais s’est borné à rappeler que, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour, l’activité administrative de la Commission n’exige pas la même étendue d’accès aux documents que celle requise par l’activité législative d’une institution de l’Union (voir notamment,
en ce sens, arrêts du 29 juin 2010, Commission/Technische Glaswerke Ilmenau, C‑139/07 P, EU:C:2010:376, point 60, et du 27 février 2014, Commission/EnBW, C‑365/12 P, EU:C:2014:112, point 91).
66 Enfin, le Tribunal a indiqué à bon droit, au point 88 de l’arrêt attaqué, que la pratique des États membres en matière d’accès aux documents ne saurait influer sur l’interprétation du règlement n^o 1049/2001, qui édicte un ensemble de règles exclusivement applicables aux documents relevant des institutions de l’Union et autonome par rapport aux régimes analogues développés au sein desdits États membres.
67 Il convient, dès lors, d’écarter également l’ensemble de cette partie de l’argumentation de la requérante et, partant, ce moyen dans son ensemble.
Sur le second moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motiver le refus de donner accès aux documents en cause dans une version non confidentielle ou dans les locaux de la Commission
Argumentation des parties
68 AlzChem soutient, en visant en particulier les points 93 à 96 de l’arrêt attaqué, que le Tribunal a commis une erreur de droit en confirmant la légalité du rejet par la Commission de sa demande d’accès à une version non confidentielle des documents en cause, alors que la Commission n’aurait fourni, à cet égard, aucune justification concrète. La Commission n’aurait pas non plus suffisamment justifié son refus de donner accès à ces documents dans ses propres locaux.
69 La Commission estime que ces arguments ne sauraient prospérer.
Appréciation de la Cour
70 Il y a lieu de constater que le Tribunal a considéré à bon droit, au point 94 de l’arrêt attaqué, en faisant référence à la jurisprudence de la Cour, que les documents couverts par la présomption générale de confidentialité échappent à l’obligation d’une divulgation, intégrale ou partielle, de leur contenu (voir, en ce sens, arrêts du 28 juin 2012, Commission/Éditions Odile Jacob, C‑404/10 P, EU:C:2012:393, point 133, et du 14 juillet 2016, Sea Handling/Commission, C‑271/15 P, non publié,
EU:C:2016:557, point 61).
71 En outre, ainsi que le fait valoir la Commission, la possibilité, prévue à l’article 10 du règlement n^o 1049/2001, de consulter les documents sur place, invoquée par la requérante dans son pourvoi, ne saurait s’appliquer si ceux-ci sont couverts par cette présomption.
72 C’est, ainsi, également sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a jugé, aux points 96 à 98 de l’arrêt attaqué, que la décision litigieuse était suffisamment motivée, dès lors qu’elle justifiait le refus d’accès à une version non confidentielle des documents en cause, ainsi que le refus d’accès à une demande de consultation de ces documents dans ses locaux, par le motif qu’ils étaient couverts par la présomption générale de confidentialité.
73 Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu d’écarter le second moyen comme étant non fondé et, par conséquent, de rejeter le pourvoi dans son intégralité.
Sur les dépens
74 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. L’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
75 La Commission ayant conclu à la condamnation d’AlzChem aux dépens et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) AlzChem AG est condamnée aux dépens.
Signatures
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* Langue de procédure : l’anglais.