ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)
3Â avril 2019Â ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Concurrence – Article 82 CE – Abus de position dominante – Règlement (CE) no 1/2003 – Article 3, paragraphe 1 – Application du droit national de la concurrence – Décision de l’autorité nationale de concurrence infligeant une amende sur le fondement du droit national et une amende sur celui du droit de l’Union – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 50 – Principe ne bis in idem – Applicabilité »
Dans l’affaire C‑617/17,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne), par décision du 26 septembre 2017, parvenue à la Cour le 30 octobre 2017, dans la procédure
Powszechny Zakład Ubezpieczeń na Życie S.A.
contre
Prezes Urzędu Ochrony Konkurencji i Konsumentów,
en présence de :
Edward Dętka,
Mirosław Krzyszczak,
Zakład Projektowania i Programowania Systemów Sterowania Atempol Sp. z o.o. w Piekarach Śląskich,
Ommer Polska Sp. z o.o. w Krapkowicach,
Glimat Marcinek i S-ka spółka jawna w Gliwicach,
Jastrzębskie Zakłady Remontowe Dźwigi Sp. z o.o. w Jastrzębiu Zdroju,
Petrofer-Polska Sp. z o.o. w Nowinach,
Pietrzak B. B. Beata Pietrzak, Bogdan Pietrzak Spółka jawna w Katowicach,
Ewelina Baranowska,
Przemysław Nikiel,
Tomasz Woźniak,
Spółdzielnia Kółek Rolniczych w Bielinach,
Lech Marchlewski,
Zakład Przetwórstwa Drobiu Marica spółka jawna J.M.E.K. Wróbel sp. jawna w Bielsku Białej,
HTS Polska Sp. z o.o.,
Paco Cases Andrzej Paczkowski, Piotr Paczkowski spółka jawna w Puszczykowie,
Bożena Kubalańca,
Zbigniew Arczykowski,
Przedsiębiorstwo Produkcji Handlu i Usług Unipasz Sp. z o.o. w Radzikowicach,
Janusz Walocha,
Marek Grzegolec,
LA COUR (quatrième chambre),
composée de M. M. Vilaras, président de chambre, Mme K. Jürimäe (rapporteure), MM. D. Šváby, S. Rodin et N. Piçarra, juges,
avocat général : M. N. Wahl,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour Powszechny Zakład Ubezpieczeń na Życie S.A., par MM. W. Boruń et J. Wójcik, radcy prawni,
– pour le Prezes Urzędu Ochrony Konkurencji i Konsumentów, par Mme B. Cebula, radca prawny,
– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par MM. T. Christoforou, M. Farley et J. Szczodrowski ainsi que par Mme F. van Schaik, en qualité d’agents,
– pour l’Autorité de surveillance AELE, par MM. C. Zatschler et M. Sánchez Rydelski ainsi que par Mme C. Simpson, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 29 novembre 2018,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du principe ne bis in idem énoncé à l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (ci-après la « Charte ») et de l’article 3, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (JO 2003, L 1, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Powszechny Zakład Ubezpieczeń na Życie S.A. (ci–après « PZU Życie ») au Prezes Urzędu Ochrony Konkurencji i Konsumentów (président de l’Office de protection de la concurrence et des consommateurs, ci-après le « président de l’UOKiK ») au sujet d’une décision de ce dernier lui infligeant, en raison d’un abus de position dominante, une amende au titre de la violation du droit national de la concurrence et une amende au titre de la
violation du droit de l’Union de la concurrence.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Le considérant 6 du règlement no 1/2003 est libellé comme suit :
« Pour assurer l’application efficace des règles [de concurrence de l’Union], il y a lieu d’y associer davantage les autorités de concurrence nationales. À cette fin, celles-ci doivent être habilitées à appliquer le droit [de l’Union]. »
4 L’article 3, paragraphe 1, de ce règlement énonce :
« Lorsque les autorités de concurrence des États membres ou les juridictions nationales appliquent le droit national de la concurrence à des accords, des décisions d’associations d’entreprises ou des pratiques concertées au sens de l’article 81, paragraphe 1, [CE] susceptibles d’affecter le commerce entre États membres au sens de cette disposition, elles appliquent également l’article 81 [CE] à ces accords, décisions ou pratiques concertées. Lorsque les autorités de concurrence des États membres
ou les juridictions nationales appliquent le droit national de la concurrence à une pratique abusive interdite par l’article 82 [CE], elles appliquent également l’article 82 [CE]. »
5 L’article 5 dudit règlement, intitulé « Compétences des autorités de concurrence des États membres », dispose :
« Les autorités de concurrence des États membres sont compétentes pour appliquer les articles 81 et 82 [CE] dans des cas individuels. À cette fin, elles peuvent, agissant d’office ou saisies d’une plainte, adopter les décisions suivantes :
[...]
– infliger des amendes, astreintes ou toute autre sanction prévue par leur droit national.
Lorsqu’elles considèrent, sur la base des informations dont elles disposent, que les conditions d’une interdiction ne sont pas réunies, elles peuvent également décider qu’il n’y a pas lieu pour elles d’intervenir. »
6 L’article 11 du même règlement, intitulé « Coopération entre la Commission et les autorités de concurrence des États membres », prévoit :
« 1.   La Commission et les autorités de concurrence des États membres appliquent les règles [de l’Union] de concurrence en étroite collaboration.
[...]
3.   Lorsqu’elles agissent en vertu de l’article 81 ou 82 [CE], les autorités de concurrence des États membres informent la Commission par écrit avant ou sans délai après avoir initié la première mesure formelle d’enquête. Cette information peut également être mise à la disposition des autorités de concurrence des autres États membres.
[...] »
7 Aux termes de l’article 16 du règlement no 1/2003 :
« 1.   Lorsque les juridictions nationales statuent sur des accords, des décisions ou des pratiques relevant de l’article 81 ou 82 [CE] qui font déjà l’objet d’une décision de la Commission, elles ne peuvent prendre de décisions qui iraient à l’encontre de la décision adoptée par la Commission. Elles doivent également éviter de prendre des décisions qui iraient à l’encontre de la décision envisagée dans une procédure intentée par la Commission. À cette fin, la juridiction nationale peut évaluer
s’il est nécessaire de suspendre sa procédure. Cette obligation est sans préjudice des droits et obligations découlant de l’article 234 [CE].
2.   Lorsque les autorités de concurrence des États membres statuent sur des accords, des décisions ou des pratiques relevant de l’article 81 ou 82 [CE] qui font déjà l’objet d’une décision de la Commission, elles ne peuvent prendre de décisions qui iraient à l’encontre de la décision adoptée par la Commission. »
Le droit polonais
8 L’article 8, paragraphe 1, de l’ustawa o ochronie konkurencji i konsumentów (loi sur la protection de la concurrence et des consommateurs), du 15 décembre 2000 (Dz. U. de 2000, no 122, position 1319, ci–après la « LPCC »), énonce :
« L’abus d’une position dominante sur un marché pertinent par une ou plusieurs entreprises est interdit. »
9 L’article 101, paragraphe 1, de la LPCC dispose :
« Le [président de l’UOKiK ] peut imposer à l’entreprise concernée, par voie de décision, une amende ne dépassant pas 10 % des recettes, de l’exercice précédant l’année d’imposition de l’amende, si ladite entreprise a, même involontairement :
1) porté atteinte à l’interdiction visée à l’article 5, sans tomber dans le champ d’application d’une exception prévue au titre des articles 6 et 7, ou porté atteinte à l’interdiction visée à l’article 8 ;
2) porté atteinte à l’article 81 ou à l’article 82 [CE] ;
[...] »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
10 Par une décision du 25 octobre 2007, le président de l’UOKiK a considéré que, pendant la période allant du 1er avril 2001 jusqu’à la date d’adoption de cette décision, PZU Życie avait abusé de sa position dominante sur le marché des assurances-vie de groupe pour travailleurs en Pologne et, par voie de conséquence, violé l’article 8 de la LPCC.
11 Le président de l’UOKiK a également estimé que la pratique constitutive de cet abus était susceptible d’avoir une incidence négative sur les possibilités pour les assureurs étrangers d’entrer sur le marché polonais, et, à ce titre, d’affecter le commerce entre les États membres. Il a ainsi considéré que PZU Życie avait violé, outre le droit national, l’article 82 CE.
12 Le président de l’UOKiK a infligé à PZU Życie une sanction d’un montant total de 50381080 zlotys polonais (PLN) (environ 11697000 euros), comprenant, d’une part, une amende de 33022892,77 PLN (environ 7664000 euros) au titre de la violation des dispositions du droit national de la concurrence pour la période allant du 1er mai 2001 au 25 octobre 2007, d’autre part, une amende de 17358187,23 PLN (environ 4033000 euros) au titre de la violation de l’article 82 CE pour la période allant du 1er mai
2004, date de l’adhésion de la République de Pologne à l’Union, au 25 octobre 2007.
13 Par jugement du 28 mars 2014, le Sąd Okręgowy w Warszawie – Sąd Ochrony Konkurencji i Konsumentów (tribunal régional de Varsovie – tribunal de protection de la concurrence et du consommateur, Pologne) a rejeté le recours introduit par PZU Życie contre la décision du 25 octobre 2007. Ce jugement a été confirmé par un arrêt du Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie, Pologne) du 17 septembre 2015.
14 PZU Życie s’est pourvue en cassation auprès du Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne) en invoquant une violation du principe ne bis in idem garanti à l’article 50 de la Charte et à l’article 4 du protocole no 7 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »). La requérante au principal fait valoir qu’elle a été sanctionnée deux fois pour une violation du droit de l’Union, à savoir, une première
fois, de manière directe, sur la base de l’article 82 CE, lu en combinaison avec l’article 5 du règlement no 1/2003 et, une seconde fois, de manière indirecte, au titre du droit national de la concurrence.
15 La juridiction de renvoi rappelle que le principe ne bis in idem revêt une importance considérable dans un État de droit démocratique et interdit de juger et de punir deux fois une même personne pour un même fait. La juridiction de renvoi souligne que le litige au principal porte, pour l’essentiel, sur la question de savoir dans quelle hypothèse il existe, pour une même affaire, un second jugement ou une seconde sanction pour violation du droit de la concurrence aux fins de l’application du
principe ne bis in idem.
16 En premier lieu, elle souligne que, dans l’arrêt du 10 février 2009, Sergueï Zolotoukhine c. Russie (CE:ECHR:2009:0210JUD001493903, points 78 à  82), la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que ce principe s’applique dans le cas d’une identité des faits et non dans le cas d’une même infraction. Il résulterait de cette jurisprudence que le fait de punir, comme en l’occurrence, une personne à deux reprises pour le même comportement anticoncurrentiel constitue une violation dudit principe. La
Cour aurait suivi la même approche dans des matières autres que le droit de la concurrence, notamment dans les arrêts du 5 mai 1966, Gutmann/Commission (18/65 et 35/65, EU:C:1966:24), et du 9 mars 2006, Van Esbroeck (C‑436/04, EU:C:2006:165).
17 En deuxième lieu, la juridiction de renvoi relève que, dans sa jurisprudence en matière de concurrence, la Cour a, en revanche, jugé que le principe ne bis in idem est soumis à la triple condition d’identité des faits, d’unité de contrevenant et d’unité de l’intérêt juridique protégé. S’agissant plus particulièrement de l’identité des faits, la Cour aurait précisé, dans l’arrêt du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a. (C‑17/10, EU:C:2012:72, point 99), que celle-ci doit être appréciée non
seulement sous l’angle du comportement de l’entreprise, mais également au regard de ses effets sur le plan temporel et territorial.
18 Ainsi, selon la juridiction de renvoi, il existe une divergence entre l’approche de la Cour dans les affaires de concurrence et son approche dans les autres domaines du droit de l’Union. En effet, en matière de concurrence, la Cour exigerait que, outre l’identité des faits et l’unité de contrevenant, il y ait unité de l’intérêt juridique protégé. Cette condition supplémentaire limiterait le champ d’application du principe ne bis in idem. Elle conduirait, en l’occurrence, au constat qu’il n’y a
pas eu violation de ce principe.
19 Cette juridiction s’interroge donc sur la portée du principe ne bis in idem, étant donné qu’elle est tenue d’appliquer à la fois les dispositions de la CEDH et celles de la Charte. En outre, elle pose la question de savoir si la jurisprudence de la Cour relative à l’application de ce principe en matière de concurrence est conforme à l’article 52, paragraphe 3, deuxième phrase, de la Charte, puisque cette jurisprudence accorde une protection plus limitée que celle garantie par la CEDH.
20 En troisième lieu, dans l’hypothèse où la Cour confirmerait que l’unité de l’intérêt juridique protégé constitue un élément supplémentaire conditionnant l’application du principe ne bis in idem, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si l’arrêt du 13 février 1969, Wilhelm e.a. (14/68, EU:C:1969:4), rendu dans une affaire ne mettant pas en cause le principe ne bis in idem, doit être interprété en ce sens que le droit de l’Union et le droit national de la concurrence protègent
un même intérêt juridique. Cette ambiguïté ressortirait également de l’arrêt du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a. (C‑17/10, EU:C:2012:72, points 81 et 98), qui pourrait toutefois être lu en ce sens que ces deux droits protègent un même intérêt juridique. Cette question, qui n’aurait pas encore été tranchée, serait déterminante pour résoudre l’affaire au principal, caractérisée par une identité des faits et dans laquelle il a été fait application parallèle, dans le cadre d’une même
procédure, de dispositions analogues du droit de l’Union et du droit national.
21 Dans ces conditions, le Sąd Najwyższy (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Peut-on admettre une interprétation de l’article 50 de la [Charte] qui subordonne l’application du principe ne bis in idem non seulement à l’unité de contrevenant et à l’identité des faits, mais également à l’unité de l’intérêt juridique protégé ?
2) L’article 3 du règlement [no 1/2003], lu conjointement avec l’article 50 de la [Charte], doit-il être interprété en ce sens que le droit de l’Union et le droit national de la concurrence, appliqués parallèlement par une autorité de concurrence d’un État membre, protègent un même intérêt juridique ? »
Sur les questions préjudicielles
22 Par ses questions préjudicielles, qu’il convient de traiter conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le principe ne bis in idem énoncé à l’article 50 de la Charte doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une autorité nationale de concurrence inflige à une entreprise, dans le cadre d’une même décision, une amende pour violation du droit national de la concurrence et une amende pour violation de l’article 82 CE.
23 Aux termes de son considérant 6, le règlement no 1/2003 vise, afin d’assurer l’application efficace des règles de concurrence de l’Union, à y associer davantage les autorités nationales en les habilitant à appliquer le droit de l’Union.
24 Ainsi, conformément à l’article 3, paragraphe 1, seconde phrase, dudit règlement, lorsque les autorités de concurrence des États membres appliquent le droit national de la concurrence à une pratique abusive interdite par l’article 82 CE, elles appliquent également cet article.
25 La Cour a itérativement jugé que le droit de l’Union et le droit national en matière de concurrence s’appliquent parallèlement. Les règles de concurrence aux niveaux européen et national considèrent les pratiques restrictives sous des aspects différents et leurs champs d’application ne coïncident pas (arrêt du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a., C‑17/10, EU:C:2012:72, point 81 ainsi que jurisprudence citée).
26 Il s’ensuit que, dans le cas où la Commission n’a pas ouvert de procédure en vue de l’adoption d’une décision en application du chapitre III du règlement no 1/2003, lorsque l’autorité nationale de concurrence applique les dispositions du droit national interdisant le comportement unilatéral d’une entreprise susceptible d’affecter le commerce entre les États membres au sens de l’article 82 CE, l’article 3, paragraphe 1, seconde phrase, de ce règlement impose de lui appliquer également, en
parallèle, cet article 82 CE (voir, par analogie, en ce qui concerne l’article 81 CE, arrêt du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a., C‑17/10, EU:C:2012:72, points 77 et 78).
27 L’article 5 du règlement no 1/2003 précise que l’autorité nationale de concurrence compétente pour appliquer l’article 82 CE peut infliger des amendes, des astreintes ou toute autre sanction prévue par son droit national.
28 À cet égard, la Cour a jugé que le principe ne bis in idem doit être respecté dans les procédures tendant à l’infliction d’amendes, relevant du droit de la concurrence. Ledit principe interdit, en matière de concurrence, qu’une entreprise soit condamnée ou poursuivie une nouvelle fois du fait d’un comportement anticoncurrentiel du chef duquel elle a été sanctionnée ou dont elle a été déclarée non responsable par une décision antérieure qui n’est plus susceptible de recours (arrêt du 14 février
2012, Toshiba Corporation e.a., C‑17/10, EU:C:2012:72, point 94 ainsi que jurisprudence citée).
29 Il découle ainsi de la jurisprudence de la Cour que le principe ne bis in idem vise à prévenir qu’une entreprise soit « condamnée ou poursuivie une nouvelle fois », ce qui présuppose que cette entreprise ait été condamnée ou déclarée non responsable par une décision antérieure qui n’est plus susceptible de recours.
30 Cette interprétation du principe ne bis in idem est confortée par le libellé de l’article 50 de la Charte ainsi que par la raison d’être de ce principe.
31 S’agissant, en premier lieu, du libellé de l’article 50 de la Charte, celui-ci dispose que « [n]ul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi ».
32 Comme M. l’avocat général l’a relevé au point 21 de ses conclusions, cet article vise ainsi spécifiquement la répétition d’une procédure ayant abouti à une décision définitive concernant le même élément matériel. Or, dans la situation où, conformément à l’article 3, paragraphe 1, seconde phrase, du règlement no 1/2003, l’autorité nationale de concurrence fait une application parallèle du droit national de la concurrence et de l’article 82 CE, une telle répétition fait précisément défaut.
33 S’agissant, en second lieu, de la raison d’être du principe ne bis in idem, il y a lieu de rappeler, ainsi que l’a relevé, en substance, M. l’avocat général au point 18 de ses conclusions, que, en tant que corollaire du principe de l’autorité de la chose jugée, ce principe a pour objet de garantir la sécurité juridique et l’équité en assurant que, lorsqu’elle a été poursuivie et, le cas échéant, condamnée, la personne concernée a la certitude qu’elle ne sera pas de nouveau poursuivie pour la même
infraction.
34 Ainsi, la protection que le principe ne bis in idem vise à offrir contre la répétition des poursuites conduisant à l’infliction d’une condamnation est sans objet dans la situation où, dans une même décision, il est fait une application parallèle du droit national de la concurrence et du droit de l’Union de la concurrence.
35 Il s’ensuit, comme le président de l’UOKiK, le gouvernement polonais, la Commission et l’Autorité de surveillance AELE l’ont fait valoir en substance dans leurs observations, que le principe ne bis in idem n’a pas vocation à s’appliquer dans une situation, telle que celle en cause au principal, dans laquelle l’autorité nationale de concurrence applique en parallèle, conformément à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, le droit national de la concurrence et les règles de l’Union de
concurrence et sanctionne, en vertu de l’article 5 de ce règlement, une entreprise en lui infligeant, dans le cadre d’une même décision, une amende pour la violation de ce droit et une amende pour la méconnaissance de ces règles.
36 Il y a lieu toutefois de préciser que, dans le cas où, en application de cette dernière disposition, l’autorité nationale de concurrence décide d’infliger une amende pour violation de l’article 82 CE, cette autorité est tenue d’exercer sa compétence dans le respect du droit de l’Union.
37 En effet, il ressort d’une jurisprudence constante que, lorsqu’un règlement de l’Union ne contient aucune disposition spécifique prévoyant une sanction en cas d’infraction à ce règlement ou renvoie, à cet égard, aux dispositions législatives, réglementaires et administratives nationales, l’article 10 CE impose aux États membres de prendre toutes mesures propres à garantir la portée et l’efficacité du droit de l’Union. À cet effet, tout en conservant le choix des sanctions, ils doivent notamment
veiller à ce que les violations du droit de l’Union soient sanctionnées dans des conditions de fond et de procédure qui soient analogues à celles applicables aux violations du droit national d’une nature et d’une importance similaires et qui, en tout état de cause, confèrent à la sanction un caractère proportionné (voir, par analogie, arrêt du 10 juillet 1990, Hansen, C‑326/88, EU:C:1990:291, point 17).
38 Ainsi, comme l’a fait valoir l’Autorité de surveillance AELE dans ses observations, lorsque, dans le cadre d’une même décision, l’autorité nationale de concurrence inflige deux amendes aux fins de sanctionner respectivement une violation du droit national de la concurrence et une violation de l’article 82 CE, cette autorité doit s’assurer que les amendes prises ensemble sont proportionnées à la nature de l’infraction, ce qu’il incombe, dans l’affaire au principal, à la juridiction de renvoi de
vérifier.
39 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre aux questions préjudicielles que le principe ne bis in idem énoncé à l’article 50 de la Charte doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’une autorité nationale de concurrence inflige à une entreprise, dans le cadre d’une même décision, une amende pour violation du droit national de la concurrence et une amende pour violation de l’article 82 CE. Dans une telle situation, l’autorité nationale de concurrence doit néanmoins
s’assurer que les amendes prises ensemble sont proportionnées à la nature de l’infraction.
Sur les dépens
40 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
 Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :
 Le principe ne bis in idem énoncé à l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne proclamée le 7 décembre 2000 à Nice doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’une autorité nationale de concurrence inflige à une entreprise, dans le cadre d’une même décision, une amende pour violation du droit national de la concurrence et une amende pour violation de l’article 82 CE. Dans une telle situation, l’autorité nationale de concurrence doit néanmoins s’assurer
que les amendes prises ensemble sont proportionnées à la nature de l’infraction.
 Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le polonais.