ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
5 septembre 2019 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Compétence, reconnaissance et exécution des décisions en matière d’obligations alimentaires – Règlement (CE) no 4/2009 – Article 3, sous a) et d), et article 5 – Juridiction saisie de trois demandes conjointes relatives au divorce des parents d’un enfant mineur, à la responsabilité parentale et à l’obligation alimentaire en faveur de l’enfant – Déclaration de compétence en matière de divorce et d’incompétence en matière de
responsabilité parentale – Compétence pour connaître de la demande d’obligation alimentaire – Juridiction du lieu où le défendeur a sa résidence habituelle et devant laquelle il comparaît »
Dans l’affaire C‑468/18,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Judecătoria Constanţa (tribunal de première instance de Constanţa, Roumanie), par décision du 11 juillet 2018, parvenue à la Cour le 18 juillet 2018, dans la procédure
R
contre
P,
LA COUR (troisième chambre),
composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, MM. F. Biltgen, J. Malenovský, C. G. Fernlund (rapporteur) et Mme L. S. Rossi, juges,
avocat général : M. Szpunar,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour le gouvernement roumain, par M. C. Canţăr ainsi que par Mmes E. Gane et A. Voicu, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par M. M. Wilderspin, en qualité d’agent, assisté de Me D. Calciu, avocate,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 29 juillet 2019,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3, sous a) et d), et de l’article 5 du règlement (CE) no 4/2009 du Conseil, du 18 décembre 2008, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires (JO 2009, L 7, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant R, résidant au Royaume-Uni, à P, résidant en Roumanie, au sujet de demandes en divorce, en paiement d’une pension alimentaire pour l’entretien de leur enfant mineur et relative à la responsabilité parentale.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
Le règlement (CE) no 2201/2003
3 Les considérants 5 et 12 du règlement (CE) no 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) no 1347/2000 (JO 2003, L 338, p. 1, et rectificatif JO 2013, L 82, p. 63), sont ainsi libellés :
« (5) En vue de garantir l’égalité de tous enfants, le présent règlement couvre toutes les décisions en matière de responsabilité parentale, y compris les mesures de protection de l’enfant, indépendamment de tout lien avec une procédure matrimoniale.
[...]
(12) Les règles de compétence établies par le présent règlement en matière de responsabilité parentale sont conçues en fonction de l’intérêt supérieur de l’enfant et en particulier du critère de proximité. Ce sont donc en premier lieu les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant a sa résidence habituelle qui devraient être compétentes, sauf dans certains cas de changement de résidence de l’enfant ou suite à un accord conclu entre les titulaires de la responsabilité parentale. »
4 L’article 1er de ce règlement dispose :
« 1. Le présent règlement s’applique, quelle que soit la nature de la juridiction, aux matières civiles relatives :
(a) au divorce, à la séparation de corps et à l’annulation du mariage des époux ;
(b) à l’attribution, à l’exercice, à la délégation, au retrait total ou partiel de la responsabilité parentale.
[...]
(3) Le présent règlement ne s’applique pas :
[...]
(e) aux obligations alimentaires ;
[...] »
5 Aux termes de l’article 2, point 7, dudit règlement :
« Aux fins du présent règlement on entend par :
7) “responsabilité parentale” l’ensemble des droits et obligations conférés à une personne physique ou une personne morale sur la base d’une décision judiciaire, d’une attribution de plein droit ou d’un accord en vigueur, à l’égard de la personne ou des biens d’un enfant. Il comprend notamment le droit de garde et le droit de visite ».
6 Conformément à l’article 3, paragraphe 1, sous b), du même règlement, les juridictions de l’État membre de la nationalité des deux époux sont compétentes pour statuer sur les questions relatives au divorce.
7 L’article 8 du règlement no 2201/2003 prévoit :
« 1. Les juridictions d’un État membre sont compétentes en matière de responsabilité parentale à l’égard d’un enfant qui réside habituellement dans cet État membre au moment où la juridiction est saisie.
2. Le paragraphe 1 s’applique sous réserve des dispositions des articles 9, 10 et 12. »
8 L’article 12 de ce règlement, intitulé « Prorogation de compétence », dispose :
« 1. Les juridictions de l’État membre où la compétence est exercée en vertu de l’article 3 pour statuer sur une demande en divorce, en séparation de corps ou en annulation du mariage des époux sont compétentes pour toute question relative à la responsabilité parentale liée à cette demande lorsque
a) au moins l’un des époux exerce la responsabilité parentale à l’égard de l’enfant
et
b) la compétence de ces juridictions a été acceptée expressément ou de toute autre manière non équivoque par les époux et par les titulaires de la responsabilité parentale, à la date à laquelle la juridiction est saisie, et qu’elle est dans l’intérêt supérieur de l’enfant.
[...] »
Le règlement no 4/2009
9 Conformément à ses considérants 1 et 2, le règlement no 4/2009 tend à l’adoption de mesures relevant du domaine de la coopération judiciaire dans les matières civiles ayant des incidences transfrontalières et vise, notamment, à favoriser la compatibilité des règles applicables dans les États membres en matière de conflits de lois et de compétence.
10 Aux termes du considérant 9 du règlement no 4/2009 :
« Un créancier d’aliments devrait être à même d’obtenir facilement, dans un État membre, une décision qui sera automatiquement exécutoire dans un autre État membre sans aucune autre formalité. »
11 Le considérant 15 de ce règlement énonce :
« Afin de préserver les intérêts des créanciers d’aliments et de favoriser une bonne administration de la justice au sein de l’Union européenne, les règles relatives à la compétence telles qu’elles résultent du règlement (CE) no 44/2001 [du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1)] devraient être adaptées. La circonstance qu’un défendeur a sa résidence habituelle dans un
État tiers ne devrait plus être de nature à exclure l’application des règles communautaires de compétence, et plus aucun renvoi aux règles de compétence du droit national ne devrait désormais être envisagé. Il y a donc lieu de déterminer dans le présent règlement les cas dans lesquels une juridiction d’un État membre peut exercer une compétence subsidiaire. »
12 Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, point 10, dudit règlement, le « créancier » est défini comme étant « toute personne physique à qui des aliments sont dus ou sont allégués être dus ».
13 L’article 3 du même règlement prévoit :
« Sont compétentes pour statuer en matière d’obligations alimentaires dans les États membres :
a) la juridiction du lieu où le défendeur a sa résidence habituelle, ou
b) la juridiction du lieu où le créancier a sa résidence habituelle, ou
c) la juridiction qui est compétente selon la loi du for pour connaître d’une action relative à l’état des personnes lorsque la demande relative à une obligation alimentaire est accessoire à cette action, sauf si cette compétence est fondée uniquement sur la nationalité d’une des parties, ou
d) la juridiction qui est compétente selon la loi du for pour connaître d’une action relative à la responsabilité parentale lorsque la demande relative à une obligation alimentaire est accessoire à cette action, sauf si cette compétence est fondée uniquement sur la nationalité d’une des parties. »
14 L’article 5 du règlement no 4/2009, intitulé « Compétence fondée sur la comparution du défendeur », dispose :
« Outre les cas où sa compétence résulte d’autres dispositions du présent règlement, la juridiction d’un État membre devant laquelle le défendeur comparaît est compétente. Cette règle n’est pas applicable si la comparution a pour objet de contester la compétence. »
15 L’article 10 de ce règlement, intitulé « Vérification de la compétence », prévoit :
« La juridiction d’un État membre saisie d’une affaire pour laquelle elle n’est pas compétente en vertu du présent règlement se déclare d’office incompétente. »
Le droit roumain
16 Selon la décision de renvoi, les juridictions roumaines doivent vérifier d’office leur compétence. Une juridiction qui s’est déclarée compétente peut néanmoins se voir opposer, à tout stade de l’affaire, par l’une des parties, une exception d’incompétence et est tenue de l’examiner.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
17 R et P, ressortissants roumains, se sont mariés le 15 août 2015 en Roumanie. Ils sont respectivement la mère et le père d’un enfant né le 8 novembre 2015 à Belfast (Royaume-Uni), où ils ont vécu avant de se séparer.
18 Lors de leur séparation en 2016, P, le père, est rentré en Roumanie tandis que R, la mère, est restée à Belfast avec l’enfant.
19 Par requête du 29 septembre 2016, R a assigné P devant la Judecătoria Constanța (tribunal de première instance de Constanța, Roumanie), aux fins d’obtenir la dissolution du mariage, la fixation du domicile de l’enfant auprès d’elle, l’autorisation d’exercer seule l’autorité parentale et la condamnation de P au paiement d’une pension alimentaire en faveur de l’enfant.
20 P a contesté la compétence de la juridiction de renvoi ainsi saisie.
21 Sur le fondement de l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement no 2201/2003, celle-ci s’est déclarée compétente, en raison de la nationalité des époux, pour connaître de la demande en divorce.
22 Le 8 juin 2017, ladite juridiction a toutefois décidé de disjoindre le chef de demande relatif à l’exercice de la responsabilité parentale par la mère et à la fixation du domicile de l’enfant chez elle de celui relatif au versement d’une pension alimentaire en faveur de l’enfant. Elle a, par conséquent, ouvert deux nouvelles affaires portant respectivement sur ces deux chefs de demande.
23 S’agissant du premier chef de demande, relatif à l’exercice de la responsabilité parentale, la juridiction de renvoi, ayant constaté que les conditions de la prorogation de compétence, prévues à l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003, y compris celle portant sur l’intérêt supérieur de l’enfant, n’étaient pas remplies, s’est déclarée incompétente. En outre, cette juridiction a considéré que, conformément à l’article 8, paragraphe l, du règlement no 2201/2003, les juridictions du
Royaume-Uni seraient compétentes pour statuer sur ce chef de demande, dès lors que l’enfant résidait habituellement dans cet État membre depuis sa naissance. Les parties n’ont pas introduit de recours contre la décision par laquelle la juridiction de renvoi s’est déclarée incompétente à cet égard.
24 S’agissant du second chef de demande, relatif au versement d’une pension alimentaire par le père en faveur de l’enfant, la juridiction de renvoi, sur le fondement de l’article 3, sous a), du règlement no 4/2009, s’est déclarée compétente en raison du lieu de résidence habituelle du défendeur. Cette juridiction ajoute que, si P a comparu devant elle sans soulever d’exception d’incompétence pour ce chef de demande, il a souhaité, tout comme R, que la juridiction de renvoi saisisse la Cour à titre
préjudiciel d’une question à ce sujet.
25 La juridiction de renvoi partage les doutes des parties en litige devant elle sur sa propre compétence et précise qu’elle peut, en vertu du droit roumain, vérifier d’office sa compétence à tous les stades de l’affaire. Elle s’interroge sur le point de savoir s’il résulte de l’arrêt du 16 juillet 2015, A (C‑184/14, EU:C:2015:479), que, lorsqu’une juridiction est compétente pour statuer sur la dissolution du mariage entre les parents d’un enfant mineur et qu’une autre juridiction est compétente
pour statuer en matière de responsabilité parentale à l’égard de cet enfant, seule cette dernière juridiction est compétente pour statuer en matière d’obligation alimentaire en faveur de celui-ci.
26 La juridiction de renvoi souligne qu’elle s’interroge en particulier sur le rapport entre l’article 3, sous a), du règlement no 4/2009, qui désigne la juridiction du lieu où le défendeur a sa résidence habituelle, l’article 3, sous d), de ce règlement, qui désigne la juridiction compétente en matière de responsabilité parentale, et l’article 5 dudit règlement, qui désigne la compétence de la juridiction devant laquelle le défendeur a comparu sans soulever d’exception d’incompétence.
27 C’est dans ces conditions que la Judecătoria Constanța (tribunal de première instance de Constanța) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions suivantes :
« 1) Lorsqu’une juridiction d’un État membre est saisie, au moyen d’un seul recours, de trois chefs de demande, relatifs à la dissolution du mariage des parents d’un enfant mineur, à la responsabilité parentale à l’égard de cet enfant et à l’obligation alimentaire envers celui-ci, les dispositions de l’article 3, sous a) et d), et de l’article 5 du règlement no 4/2009 peuvent-elles être interprétées en ce sens que la juridiction statuant sur le divorce, qui est également la juridiction du lieu de
résidence habituelle du défendeur et la juridiction devant laquelle le défendeur a comparu, peut statuer sur la demande relative à la pension alimentaire en faveur de l’enfant, même si cette juridiction s’est déclarée incompétente en matière de responsabilité parentale à l’égard de cet enfant, ou bien seule la juridiction compétente pour connaître de la demande relative à la responsabilité parentale à l’égard de l’enfant peut-elle statuer sur la demande relative à la pension alimentaire ?
2) Dans le même cas de figure en ce qui concerne la saisine de la juridiction nationale, la demande relative à la pension alimentaire en faveur de l’enfant conserve-t-elle son caractère accessoire par rapport à l’action relative à la responsabilité parentale, au sens de l’article 3, sous d), dudit règlement [?]
3) Dans l’hypothèse d’une réponse négative à la deuxième question, est-il dans l’intérêt supérieur du mineur qu’une juridiction d’un État membre compétente en vertu de l’article 3, sous a), du règlement no 4/2009 statue sur la demande relative à l’obligation alimentaire du parent envers l’enfant mineur issu du mariage dont la dissolution est demandée, alors que cette juridiction s’est déclarée incompétente en ce qui concerne l’exercice de l’autorité parentale, en considérant, par décision ayant
autorité de chose jugée, que les conditions prévues à l’article 12 du [règlement no 2201/2003] n’étaient pas remplies [?] »
Sur les questions préjudicielles
28 Par ses trois questions, qu’il y a lieu d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, sous a) et d), et l’article 5 du règlement no 4/2009 doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu’une juridiction d’un État membre est saisie de trois demandes conjointes portant, respectivement, sur le divorce des parents d’un enfant mineur, la responsabilité parentale à l’égard de cet enfant et l’obligation alimentaire envers celui-ci, la juridiction statuant sur le
divorce qui s’est déclarée incompétente pour statuer sur la demande relative à la responsabilité parentale est néanmoins compétente pour statuer sur la demande relative à l’obligation alimentaire concernant ledit enfant dès lors qu’elle est également la juridiction du lieu de la résidence habituelle du défendeur et la juridiction devant laquelle celui-ci a comparu ou si seule la juridiction compétente pour connaître de la demande relative à la responsabilité parentale à l’égard de l’enfant peut
statuer sur la demande relative à l’obligation alimentaire le concernant.
29 Il ressort du libellé de l’article 3 du règlement no 4/2009, intitulé « Dispositions générales », que celui-ci pose des critères généraux d’attribution de compétence pour les juridictions des États membres statuant en matière d’obligations alimentaires. Ces critères sont alternatifs, ainsi qu’en atteste l’emploi de la conjonction de coordination « ou », après l’exposé de chacun d’entre eux (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2015, A, C‑184/14, EU:C:2015:479, point 34).
30 À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’objectif du règlement no 4/2009 consistant, ainsi que cela ressort de son considérant 15, à préserver l’intérêt du créancier d’aliments, considéré comme la partie la plus faible dans une action relative à une obligation alimentaire, l’article 3 dudit règlement lui offre, lorsqu’il agit comme demandeur, la possibilité d’introduire sa demande en choisissant d’autres bases de compétence par rapport à celle prévue à l’article 3, sous a), de ce règlement
(voir, en ce sens, arrêts du 15 janvier 2004, Blijdenstein, C‑433/01, EU:C:2004:21, point 29, ainsi que du 18 décembre 2014, Sanders et Huber, C‑400/13 et C‑408/13, EU:C:2014:2461, points 27 et 28).
31 Le créancier d’aliments peut ainsi introduire sa demande soit devant la juridiction du lieu où le défendeur a sa résidence habituelle, conformément au point a), de cet article 3, soit devant la juridiction du lieu où le créancier a sa propre résidence habituelle, conformément au point b), dudit article, soit encore, conformément aux points c) et d), du même article, lorsque la demande d’obligation alimentaire est accessoire à une action principale, relative à l’état des personnes, telle qu’une
demande en divorce [sous c)], ou à la responsabilité parentale [sous d)], devant la juridiction compétente pour connaître respectivement de l’une ou de l’autre action.
32 L’article 5 du règlement no 4/2009 prévoit, par ailleurs, la compétence de la juridiction d’un État membre devant laquelle le défendeur comparaît sauf si la comparution du défendeur a pour objet de contester ladite compétence. Ainsi qu’il ressort des termes « [o]utre les cas où sa compétence résulte d’autres dispositions du présent règlement », cet article prévoit un chef de compétence applicable par défaut si, notamment, les critères de l’article 3 de ce règlement ne sont pas applicables.
33 Ainsi, dans une situation telle que celle au principal, la juridiction du lieu où le défendeur a sa résidence habituelle, saisie par le créancier d’aliments, dispose d’une compétence pour statuer sur la demande en matière d’obligations alimentaires en faveur de l’enfant en vertu de l’article 3, sous a), du règlement no 4/2009. Elle est également compétente au titre de l’article 5 de ce règlement en tant que juridiction devant laquelle ce défendeur a comparu sans soulever d’exception
d’incompétence.
34 La juridiction de renvoi cherche toutefois à savoir si le fait qu’elle se soit déclarée incompétente pour statuer sur la demande relative à la responsabilité parentale portant, en particulier, sur l’exercice de l’autorité parentale et sur le droit de garde, y compris le lieu de résidence de l’enfant, ne la rend pas incompétente pour statuer sur la demande d’obligation alimentaire en faveur de ce dernier.
35 Ainsi qu’il a été exposé au point 23 du présent arrêt, cette juridiction souligne qu’elle s’est déclarée incompétente pour statuer sur le chef de demande relatif à l’exercice de la responsabilité parentale, au motif que les conditions de la prorogation de compétence, prévues à l’article 12 du règlement no 2201/2003, n’étaient pas remplies. Elle considère également que, conformément à l’article 8, paragraphe l, de ce règlement, les juridictions du Royaume-Uni, où l’enfant réside de manière
habituelle, sont compétentes. Il ressort par ailleurs de la décision de renvoi que les juridictions de cet État membre n’ont pas été saisies d’une demande relative à l’exercice de la responsabilité parentale.
36 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, au point 40 de l’arrêt du 16 juillet 2015, A (C‑184/14, EU:C:2015:479), la Cour a considéré que, par sa nature, une demande relative aux obligations alimentaires concernant les enfants mineurs est intrinsèquement liée à l’action en responsabilité parentale. La Cour a également indiqué, au point 43 de cet arrêt, que le juge compétent pour connaître des actions relatives à la responsabilité parentale est le mieux placé pour apprécier in concreto les enjeux
de la demande relative à l’obligation alimentaire en faveur d’un enfant ainsi que pour fixer le montant de ladite obligation destinée à contribuer aux frais d’entretien et d’éducation de l’enfant, en l’adaptant, selon le mode de garde établi, conjoint ou exclusif, selon le droit de visite, la durée de ce droit et les autres éléments de nature factuelle relatifs à l’exercice de la responsabilité parentale portés devant lui.
37 Au terme de son raisonnement, la Cour a dit pour droit, au point 48 dudit arrêt, que, lorsqu’une juridiction d’un État membre est saisie d’une action portant sur la séparation ou la rupture du lien conjugal entre les parents d’un enfant mineur et qu’une juridiction d’un autre État membre est saisie d’une action en responsabilité parentale concernant cet enfant, une demande relative à l’obligation alimentaire concernant ce même enfant est uniquement accessoire à l’action relative à la
responsabilité parentale, au sens de l’article 3, sous d), du règlement no 4/2009.
38 Toutefois, il ne résulte pas de l’arrêt du 16 juillet 2015, A (C‑184/14, EU:C:2015:479), que, lorsque, comme dans l’affaire au principal, une juridiction s’est déclarée incompétente pour statuer sur une action relative à l’exercice de la responsabilité parentale à l’égard d’un enfant mineur et a désigné une autre juridiction comme étant compétente pour statuer sur celle-ci, seule cette dernière est compétente, dans tous les cas, pour statuer sur toute demande relative aux obligations alimentaires
en faveur de cet enfant.
39 À cet égard, il importe de souligner que, par l’arrêt du 16 juillet 2015, A (C‑184/14, EU:C:2015:479), la Cour a uniquement interprété les points c) et d) de l’article 3 du règlement no 4/2009 et non les autres critères de compétence prévus à cet article 3 ou à l’article 5 de ce règlement. Ces autres critères n’étaient pas pertinents dans cette affaire dès lors que, contrairement aux circonstances de fait de l’affaire au principal, les conjoints, parents des enfants créanciers d’aliments, avaient
leur résidence habituelle dans le même État membre que leurs enfants, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 52 de ses conclusions, et, par ailleurs, que le défendeur avait comparu devant la juridiction saisie, uniquement pour contester la compétence de celle-ci.
40 Par conséquent, le fait qu’une juridiction se soit déclarée incompétente pour statuer sur une action relative à l’exercice de la responsabilité parentale à l’égard d’un enfant mineur ne préjuge pas de la compétence de celle-ci pour statuer sur des demandes en matière d’obligations alimentaires en faveur de celui-ci si cette compétence peut être fondée, comme dans l’affaire au principal, sur l’article 3, sous a), du règlement no 4/2009, voire sur l’article 5 de ce règlement.
41 Cette conclusion est corroborée par l’économie et les objectifs du règlement no 4/2009.
42 Quant à l’économie du règlement no 4/2009, celui-ci prévoit, à son chapitre II, intitulé « Compétence », l’ensemble des règles applicables pour désigner la juridiction compétente en matière d’obligations alimentaires. Le considérant 15 de ce règlement énonce à cet égard que plus aucun renvoi aux règles de compétence du droit national ne devrait désormais être envisagé, les règles résultant dudit règlement devant être considérées comme étant exhaustives.
43 Ainsi, si une juridiction saisie d’une demande en matière d’obligations alimentaires à l’égard d’un enfant n’est pas compétente pour connaître d’une action relative à la responsabilité parentale à l’égard de cet enfant, il convient tout d’abord de vérifier si cette juridiction est compétente pour statuer à un autre titre en vertu de ce règlement (ordonnances du 16 janvier 2018, PM, C‑604/17, non publiée, EU:C:2018:10, point 33, et du 10 avril 2018, CV, C‑85/18 PPU, EU:C:2018:220, point 55).
44 Il convient, par ailleurs, de souligner que le règlement no 4/2009 ne prévoit pas la faculté, pour une juridiction compétente en vertu de l’une de ses dispositions et régulièrement saisie d’une demande, de se dessaisir de celle-ci en faveur d’une juridiction qui serait, selon elle, mieux placée pour en connaître, comme le permet en matière de responsabilité parentale l’article 15 du règlement no 2201/2003.
45 Une telle interprétation correspond également à l’objectif du règlement no 4/2009, rappelé au point 30 du présent arrêt. Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 59 et 61 de ses conclusions, ledit règlement prévoit des critères de compétence alternatifs et non hiérarchisés qui privilégient le choix du demandeur.
46 L’importance de ce choix dans le but de protéger le créancier d’aliments fait écho au protocole de La Haye, du 23 novembre 2007, sur la loi applicable aux obligations alimentaires, approuvé au nom de la Communauté européenne, par la décision 2009/941/CE du Conseil, du 30 novembre 2009 (JO 2009, L 331, p. 17), dont la Cour a relevé qu’il nourrit des rapports étroits avec le règlement no 4/2009 (arrêt du 7 juin 2018, KP, C‑83/17, EU:C:2018:408, point 49). La Cour a ainsi dit pour droit que ce
protocole permet au créancier d’aliments, de facto, d’effectuer un choix de la loi applicable à sa demande en matière d’obligations alimentaires en prévoyant que la loi du for et non celle de l’État de résidence habituelle du créancier s’applique de manière prioritaire lorsque celui-ci introduit sa demande devant l’autorité compétente de la résidence habituelle du débiteur (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2018, Mölk, C‑214/17, EU:C:2018:744, points 31 et 32).
47 Une interprétation du règlement no 4/2009 selon laquelle seule la juridiction compétente en matière de responsabilité parentale est compétente pour statuer sur une demande d’obligation alimentaire est susceptible de porter atteinte à cette faculté du créancier demandeur d’aliments de choisir non seulement la juridiction compétente, mais également, par voie de conséquence, la loi applicable à sa demande.
48 Dans une situation telle que celle en cause au principal, il y a lieu de relever que le choix initial du parent représentant l’enfant mineur créancier d’aliments de regrouper l’ensemble de ses chefs de demande devant la même juridiction se heurte à l’exception tirée de l’incompétence de la juridiction saisie soulevée par le défendeur et à une décision d’incompétence de cette juridiction, en application de l’article 12 du règlement no 2201/2003, s’agissant du chef de demande relatif à la
responsabilité parentale.
49 Compte tenu du risque de devoir porter ses demandes en matière d’obligations alimentaires et de responsabilité parentale devant deux juridictions différentes, ce parent peut souhaiter, dans l’intérêt supérieur de l’enfant, retirer sa demande initiale en matière d’obligations alimentaires introduite devant la juridiction statuant sur la demande en divorce afin que le juge compétent en matière de responsabilité parentale soit également compétent pour statuer sur cette demande en matière
d’obligations alimentaires.
50 Néanmoins, ledit parent peut aussi bien souhaiter, dans l’intérêt supérieur de l’enfant, maintenir sa demande initiale en matière d’obligations alimentaires en faveur de l’enfant devant la juridiction statuant sur la demande en divorce, lorsque celle-ci est également celle du lieu où le défendeur a sa résidence habituelle.
51 De nombreuses raisons, à l’instar de celles mentionnées par M. l’avocat général aux points 65 à 71 de ses conclusions, peuvent motiver un tel choix du créancier d’aliments, en particulier, la possibilité de voir appliquer la loi du for, en l’occurrence la loi roumaine, la facilité de s’exprimer dans sa langue maternelle, les coûts éventuellement moindres de la procédure, la connaissance par la juridiction saisie des capacités contributives du défendeur et la dispense éventuelle d’exequatur.
52 Il y a lieu, par conséquent, de répondre aux questions posées que l’article 3, sous a) et d), et l’article 5 du règlement no 4/2009 doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu’une juridiction d’un État membre est saisie d’un recours comprenant trois demandes portant respectivement sur le divorce des parents d’un enfant mineur, la responsabilité parentale à l’égard de cet enfant et l’obligation alimentaire envers celui-ci, la juridiction statuant sur le divorce qui s’est déclarée incompétente
pour statuer sur la demande relative à la responsabilité parentale dispose néanmoins d’une compétence pour statuer sur la demande relative à l’obligation alimentaire concernant ledit enfant lorsqu’elle est également la juridiction du lieu de résidence habituelle du défendeur ou la juridiction devant laquelle celui-ci a comparu, sans en contester la compétence.
Sur les dépens
53 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :
L’article 3, sous a) et d), et l’article 5 du règlement (CE) no 4/2009 du Conseil, du 18 décembre 2008, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires, doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu’une juridiction d’un État membre est saisie d’un recours comprenant trois demandes portant respectivement sur le divorce des parents d’un enfant mineur, la responsabilité parentale à l’égard de cet
enfant et l’obligation alimentaire envers celui-ci, la juridiction statuant sur le divorce qui s’est déclarée incompétente pour statuer sur la demande relative à la responsabilité parentale dispose néanmoins d’une compétence pour statuer sur la demande relative à l’obligation alimentaire concernant ledit enfant lorsqu’elle est également la juridiction du lieu de résidence habituelle du défendeur ou la juridiction devant laquelle celui-ci a comparu, sans en contester la compétence.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le roumain.