CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. GERARD HOGAN
présentées le 11 septembre 2019 ( 1 )
Affaires jointes C‑13/18 et C‑126/18
Sole-Mizo Zrt.
contre
Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága (C‑13/18)
[demande de décision préjudicielle formée par le Szegedi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Szeged, Hongrie)]
et
Dalmandi Mezőgazdasági Zrt.
contre
Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága (C‑126/18)
[demande de décision préjudicielle formée par le Szekszárdi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Szekszárd, Hongrie)]
« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Manquement d’État – Responsabilité des États membres – Droit à une réparation intégrale ou droit à une réparation adéquate – Calcul des intérêts dus à titre de réparation du préjudice causé – Principes d’effectivité et d’équivalence – Champ d’application »
1. Les deux demandes de décision préjudicielle dont il est question, qui ont été introduites par le Szegedi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Szeged, Hongrie) et par le Szekszárdi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Szekszárd, Hongrie), concernent la portée du droit d’obtenir réparation pour le manquement d’un État membre à ses obligations en droit de l’Union.
2. Les demandes ont été formées dans le cadre de litiges opposant respectivement Sole-Mizo Zrt. (C‑13/18) et Dalmandi Mezőgazdasági Zrt. (C‑126/18) au Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága (direction des recours de l’administration nationale des impôts et des douanes, Hongrie). Elles concernent la légalité d’une pratique nationale instituée par le gouvernement hongrois pour indemniser les assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) en raison de l’application d’une condition
imposée par une loi nationale qui a ensuite été déclarée contraire au droit de l’Union par la Cour. Comme je me propose de l’expliquer dans les présentes conclusions, cette pratique nationale semble, à certains égards, aller au-delà de ce qui est exigé par le droit de l’Union tandis que, à d’autres égards, elle ne remplit pas les exigences de ce droit.
3. Avant d’examiner les questions préjudicielles qui ont été soumises, il est nécessaire d’exposer les dispositions pertinentes du droit de l’Union et du droit national.
I. Le droit de l’Union
A. La directive 2006/112/CE
4. L’article 183 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci‑après la « directive TVA ») est rédigé comme suit :
« Lorsque le montant des déductions dépasse celui de la TVA due pour une période imposable, les États membres peuvent soit faire reporter l’excédent sur la période suivante, soit procéder au remboursement selon les modalités qu’ils fixent.
Toutefois, les États membres peuvent refuser le report ou le remboursement lorsque l’excédent est insignifiant. »
B. Le droit hongrois
1. Les règles gouvernant la procédure de récupération de TVA
5. L’az általános forgalmi adóról szóló 2007. évi CXXVII. törvény jogharmonizációs célú módosításáról és az adó-visszaigénylés különös eljárás szabályairól szóló 2011. évi CXXIII. törvény (loi no CXXIII de 2011, portant modification, dans un but d’harmonisation du droit, de la loi no CXXVII de 2007, relative à la taxe sur la valeur ajoutée, et définissant les modalités de la procédure spéciale de récupération de la taxe ; ci‑après la « loi modificative ») contient les dispositions suivantes :
« Article premier
1. Les sommes pour lesquelles le contribuable n’a pas pu faire valoir, dans la dernière déclaration au titre de la TVA qu’il lui incombait de présenter avant l’entrée en vigueur de la présente loi (ci‑après la “déclaration”), son droit à récupération en application de l’article 186, paragraphes 2 à 4, de l’[általános forgalmi adóról szóló 2007. évi CXXVII. törvény (loi no CXXVII de 2007, relative à la taxe sur la valeur ajoutée ; ci‑après la “loi relative à la TVA”)], abrogé par la présente
loi – uniquement pour le montant qu’il a fait figurer en tant que taxe afférente aux acquisitions non réglées – peuvent faire l’objet d’une demande de récupération introduite auprès de l’administration fiscale par le contribuable jusqu’à la date du 20 octobre 2011, en utilisant le formulaire prévu à cet effet ; indépendamment de ce délai, le contribuable peut, dans la déclaration correspondant au régime dont il relève, compter les sommes précitées en tant que poste diminuant le montant de la taxe
dont il est redevable, ou encore exercer son droit à remboursement dans sa déclaration. Cette demande est considérée comme étant une déclaration aux fins de l’application des dispositions de l’[adózás rendjéről szóló 2003. évi XCII. törvény (loi no XCII de 2003, relative au code de procédure fiscale]. Le délai prévu aux fins de l’introduction de cette demande est un délai de forclusion dont le contribuable ne peut être relevé.
2. Dans sa demande introduite jusqu’au 20 octobre 2011, le contribuable ne peut demander à l’administration fiscale un nouveau contrôle d’une déclaration relative à une période antérieure à l’entrée en vigueur de la présente loi dans le but de la révision des conséquences juridiques constatées auparavant que lorsqu’il s’est vu infliger, par une décision devenue définitive rendue à l’issue du contrôle antérieur, une amende fiscale ou une pénalité de retard sur le fondement de l’article 186,
paragraphes 2 à 4, de la loi relative à la TVA, abrogé par la présente loi, ou de l’article 48, paragraphe 7, de l’[általános forgalmi adóról szóló 1992. évi LXXIV. törvény (loi no LXXIV de 1992, relative à la taxe sur la valeur ajoutée ; ci‑après l’“ancienne loi relative à la TVA”)]. Le contribuable peut introduire une telle demande même lorsqu’il ne fait pas usage des dispositions du paragraphe 1 ci‑dessus. Le délai prévu aux fins de l’introduction de cette demande est un délai de forclusion
dont le contribuable ne peut être relevé.
[…]
Article 3
L’article 186, paragraphes 2 à 4, de la [loi relative à la TVA], abrogé par la présente loi, ainsi que l’article 48, paragraphe 7, de [l’ancienne loi relative à la TVA] ne sont applicables ni aux affaires pendantes à la date de l’entrée en vigueur de la présente loi, ni à celles qui ont été introduites après cette date. »
2. Le code de procédure fiscale
6. L’article 37, paragraphes 4 et 6, de l’adózás rendjéről szóló 2003. évi XCII. törvény (loi no XCII de 2003, établissant le code de procédure fiscale, ci‑après le « code de procédure fiscale ») disposait, dans sa version initiale, qui est celle citée par le gouvernement hongrois dans ses observations et qui est la seule présentée à la Cour ( 2 ) :
« 4. L’échéance du versement d’une subvention budgétaire due au contribuable est régie par les annexes de la présente loi ou une loi particulière. Il convient de verser la subvention budgétaire ou la TVA dont le remboursement est réclamé dans les 30 jours à compter de la réception de la demande (déclaration), au plus tôt toutefois à compter de l’échéance, ce délai étant porté à 45 jours lorsque le montant de la TVA récupérable dépasse 500000 [HUF]. […]
[…]
6. Lorsque l’administration fiscale effectue un versement tardivement, elle paie pour chaque jour de retard un intérêt d’un taux équivalent à celui d’une pénalité de retard. […] »
7. L’article 124/C du code de procédure fiscale, dans la version citée par les juridictions de renvoi ( 3 ), dispose :
« 1. Lorsque l’Alkotmánybíróság [(Cour constitutionnelle, Hongrie)], la Kúria [(Cour suprême)] ou la Cour de justice de l’Union européenne constatent, avec effet rétroactif, qu’une règle de droit prescrivant une obligation fiscale est contraire à la loi fondamentale ou à un acte obligatoire de l’Union européenne ou, s’il s’agit d’un règlement communal, à toute autre règle de droit, et que cette décision juridictionnelle fait naître un droit à remboursement pour le contribuable, l’autorité
fiscale de premier degré procède au remboursement à la demande de ce dernier – selon les modalités spécifiées dans la décision concernée – conformément aux dispositions du présent article.
2. Le contribuable peut introduire sa demande par écrit auprès de l’autorité fiscale dans un délai de 180 jours suivant la publication ou la notification de la décision de l’Alkotmánybíróság [(Cour constitutionnelle)], de la Kúria [(Cour suprême)] ou de la Cour de justice de l’Union européenne ; aucune demande de relevé de forclusion ne sera admise à l’expiration du délai. L’autorité fiscale rejette la demande en cas de prescription, à la date de publication ou de notification de la décision,
du droit afférent à l’établissement de l’impôt.
[…]
6. Si le droit à remboursement du contribuable est fondé, l’autorité fiscale paie – au moment de rembourser – un intérêt sur la taxe à rembourser, d’un taux égal au taux de base de la banque centrale et calculé à partir de la date de paiement de la taxe jusqu’au jour où la décision faisant droit au remboursement est devenue définitive. Le remboursement est exigible à la date à laquelle la décision y faisant droit est devenue définitive et il doit être effectué dans un délai de 30 jours à
compter de la date à laquelle il est devenu exigible. Les dispositions relatives au versement des subventions budgétaires sont applicables mutatis mutandis au remboursement régi par le présent paragraphe, à l’exception de celle de l’article 37, paragraphe 6. »
8. L’article 124/D du code de procédure fiscale, dans la version citée par les juridictions de renvoi, est rédigé comme suit :
« 1. Pour autant que le présent article n’en dispose pas autrement, les dispositions de l’article 124/C sont applicables aux demandes de remboursement fondées sur le droit à déduction de la TVA.
2. Le contribuable peut faire valoir le droit visé au paragraphe 1 ci‑dessus au moyen d’une déclaration de régularisation – introduite dans un délai de 180 jours suivant la publication ou la notification de la décision de l’Alkotmánybíróság [(Cour constitutionnelle)], de la Kúria [(Cour suprême)] ou de la Cour de justice de l’Union européenne – de la déclaration ou des déclarations correspondant à l’exercice fiscal ou aux exercices fiscaux au cours duquel ou desquels est né le droit à déduction
concerné. Aucune demande de relevé de forclusion ne sera admise à l’expiration du délai.
3. Si le décompte, tel que rectifié dans la déclaration de régularisation, fait apparaître que le contribuable a un droit à remboursement soit en raison de la diminution de l’impôt qu’il doit acquitter, soit en raison de l’augmentation de la somme récupérable – compte tenu également des conditions de remboursement de l’impôt à comptabiliser de manière négative prévues par la loi relative à la TVA en vigueur à la date de la naissance du droit à déduction –, l’autorité fiscale applique à la somme
à rembourser un taux d’intérêt équivalent au taux de base de la banque centrale, calculé pour la période comprise entre la date fixée pour le paiement dans la ou les déclarations concernées par la déclaration de régularisation, ou la date d’exigibilité – ou la date du paiement de l’impôt si celle‑ci est postérieure – et la date de l’introduction de la déclaration de régularisation. Le remboursement – auquel les dispositions relatives au versement des subventions budgétaires sont applicables –
doit être effectué dans les 30 jours suivant la date de l’introduction de la déclaration de régularisation. »
9. L’article 135, paragraphe 4, du même code est, ainsi qu’il ressort de la version citée par les juridictions de renvoi, rédigé comme suit :
« Lorsqu’une décision rendue par l’autorité fiscale, ou la détermination de l’impôt que celle‑ci effectue sur la base des informations qui lui ont été communiquées, est illégale et que l’assujetti a droit, en conséquence, à un remboursement, l’autorité fiscale doit payer sur le montant à rembourser un intérêt au même taux que celui d’une pénalité de retard, à moins que l’erreur de détermination de l’impôt soit imputable à une cause survenue dans la sphère de responsabilité de l’assujetti ou d’une
personne soumise à une obligation de fournir des données. »
10. L’article 164, paragraphe 1, du code de procédure fiscale, dans la version mentionnée par les juridictions de renvoi, dispose :
« Le droit à l’établissement de l’impôt se prescrit par cinq ans à compter du dernier jour de l’année civile au cours de laquelle la déclaration ou notification afférente à cet impôt aurait dû être faite, ou, en l’absence de déclaration ou notification, au cours de laquelle l’impôt aurait dû être acquitté. Sauf disposition contraire de la loi, le droit de demander une subvention budgétaire, de même que le droit au remboursement des trop-perçus se prescrivent par cinq ans à compter du dernier
jour de l’année civile au cours de laquelle le droit de demander la subvention ou le remboursement a été ouvert. […] »
11. L’article 165, paragraphe 2, de ce code, dans la version citée par les juridictions de renvoi, dispose :
« Le taux de la pénalité de retard pour chaque jour civil est égal à un trois cent soixante-cinquième du double du taux de base de la banque centrale en vigueur à la date de son application. Une pénalité de retard ne peut donner lieu elle‑même à l’application d’une pénalité de retard. L’administration fiscale et douanière centrale n’ordonne pas le versement de pénalités de retard d’un montant inférieur à 2000 [HUF]. »
II. Le contexte des litiges
12. L’article 48, paragraphe 7, de l’ancienne loi relative à la TVA – qui était en vigueur entre le 1er janvier 2005 et le 31 décembre 2007 – puis l’article 186, paragraphe 2, de la loi relative à la TVA – en vigueur entre le 1er janvier 2008 et le 26 septembre 2011 – subordonnaient le remboursement de l’excédent de TVA déductible (c’est‑à‑dire le solde restant après avoir soustrait la TVA due de la TVA déductible) au paiement intégral des opérations ayant généré la TVA déductible (condition dite
« des acquisitions réglées »). En l’absence de ce paiement, cet excédent devait être reporté sur la période imposable suivante, ce qui signifiait qu’il était déduit du montant de TVA à payer pour la période suivante.
13. Dans son arrêt du 28 juillet 2011, Commission/Hongrie (C‑274/10, EU:C:2011:530), la Cour a jugé que l’article 186, paragraphe 2, de la loi relative à la TVA était contraire à l’article 183 de la directive TVA.
14. La loi modificative, adoptée par le parlement hongrois à la suite de cet arrêt, a abrogé, avec effet à partir du 27 septembre 2011, l’article 186, paragraphes 2 à 4, de la loi relative à la TVA. Elle permet désormais le remboursement de l’excédent de TVA déductible sans qu’il faille attendre le paiement de la contrepartie de l’opération pour laquelle la TVA est déductible. À ce propos, la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑126/18 a expliqué que, conformément à cette législation, les
assujettis peuvent :
– introduire, dans un délai prescrit à peine de déchéance, une demande de récupération exceptionnelle de la TVA retenue,
– demander cette récupération dans leurs déclarations, ou
– se servir de la TVA retenue pour l’imputer, dans leurs déclarations, sur la TVA due.
15. Dans son ordonnance du 17 juillet 2014, Delphi Hungary Autóalkatrész Gyártó (C‑654/13, non publiée, ci‑après l’« ordonnance Delphi », EU:C:2014:2127, point 39), la Cour a conclu que le droit de l’Union, et notamment l’article 183 de la directive TVA, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation et à une pratique d’un État membre qui excluent le versement d’intérêts relatifs au montant de l’excédent de TVA déductible qui n’était pas récupérable dans un délai raisonnable en
raison d’une disposition nationale jugée contraire au droit de l’Union. Toutefois, la Cour a aussi estimé que, en l’absence de législation de l’Union en la matière, il incombe au droit national de déterminer, dans le respect des principes d’équivalence et d’effectivité, les modalités de versement de tels intérêts.
16. À la suite de l’ordonnance Delphi, l’administration fiscale hongroise a élaboré une pratique administrative sur laquelle la Kúria (Cour suprême) s’est prononcée dans son arrêt no Kfv.I.35.472/2016/5 du 24 novembre 2016, lequel a, à son tour, servi de base à l’adoption d’une décision de principe (no EBH2017.K18) intitulée « Examen (quant au taux et à la prescription) de la question des intérêts sur la TVA obligatoirement cumulée à cause de la condition de paiement » (ci‑après la « décision de
principe de la Cour suprême no 18/2017 »).
17. D’après la décision de principe de la Cour suprême no 18/2017, il faut, pour calculer les intérêts de retard sur le montant de TVA qui n’a pas été récupéré à cause de la condition des « acquisitions réglées » susmentionnée, distinguer deux périodes :
– pour la période qui s’étend du jour qui suit celui de l’expiration du délai de dépôt de la déclaration de TVA jusqu’à la date d’expiration du délai de dépôt de la déclaration suivante, les articles 124/C et 124/D du code de procédure fiscale, qui régissent les cas où l’Alkotmánybíróság (Cour constitutionnelle) ou la Kúria (Cour suprême) jugent une disposition contraire à une norme de droit national supérieure, sont d’application par analogie. Dans les deux situations, en effet, l’autorité
fiscale n’avait pas, selon cette décision, commis d’infraction, mais avait appliqué les règles de droit interne qui étaient alors en vigueur. Selon les termes de ces deux dispositions législatives, le taux d’intérêt applicable est égal au taux de base simple de la banque centrale,
– pour la période qui débute à la date d’exigibilité des intérêts dus par l’administration fiscale et prend fin à la date de versement effectif des intérêts par celle‑ci, il convient d’appliquer l’article 37, paragraphe 6, du code de procédure fiscale. En conséquence, le taux d’intérêt équivaut, pour chaque jour de retard, à celui d’une pénalité de retard, c’est‑à‑dire un taux égal au double du taux de base de la banque centrale. Ces intérêts sont calculés en prenant comme point de départ la
date de réception par l’administration fiscale de la demande de récupération exceptionnelle ou de la déclaration de TVA contenant la demande de récupération.
III. Faits et demandes de décision préjudicielle
A. L’affaire Sole-Mizo (C‑13/18)
18. Le 30 décembre 2016, Sole-Mizo a, en se prévalant de l’ordonnance Delphi, soumis à l’administration fiscale une demande de versement d’intérêts sur les montants d’excédent de TVA déductible qui n’avaient pas été remboursés à temps en raison de l’application de la condition des « acquisitions réglées ». Cette demande concernait différentes périodes de déclaration s’étalant du mois de décembre 2005 au mois de juin 2011. Des intérêts composés ont également été réclamés en raison du paiement tardif
de ces intérêts.
19. L’autorité fiscale de premier degré a, par une décision datée du 3 mars 2017, partiellement accueilli la demande formée par Sole-Mizo et ordonné le versement en sa faveur d’un montant d’intérêts de 99630000 HUF (environ 321501 euros), mais elle a rejeté la demande de la société visant au paiement d’intérêts composés en raison du retard dans le paiement dudit montant.
20. Par une décision du 19 juin 2017, adoptée sur un recours administratif de Sole-Mizo, l’autorité fiscale de deuxième degré a réformé la première décision en faveur de celle‑ci et ordonné le versement d’intérêts à hauteur de 104165000 HUF (environ 338891 euros). Ce montant a été calculé par application d’un taux correspondant au taux de base simple de la banque centrale. La partie de la première décision rejetant la demande de paiement des intérêts composés a, quant à elle, été annulée par
l’autorité fiscale de deuxième degré et celle‑ci a, pour le calcul de ces intérêts, renvoyé l’affaire à l’autorité fiscale de premier degré.
21. Sole-Mizo a intenté un recours devant la juridiction nationale contre la décision de l’autorité fiscale de deuxième degré du 19 juin 2017, en faisant valoir que les intérêts dus à titre de réparation du dommage causé par l’application de la condition des « acquisitions réglées » devaient aussi être calculés à un taux égal au double du taux de base de la banque centrale, conformément à l’article 37, paragraphe 6, du code de procédure fiscale.
22. La juridiction nationale demande donc si les intérêts dus devraient être calculés en appliquant un taux correspondant au taux de base simple de la banque centrale ou correspondant au double de ce taux. En particulier, elle exprime des doutes quant à la conformité avec le principe d’équivalence, consacré par le droit de l’Union, de la décision de principe de la Cour suprême no 18/2017, selon laquelle l’article 37, paragraphe 6, du code de procédure fiscale n’est pas applicable par analogie à la
« première période » puisque l’administration fiscale, n’ayant fait qu’appliquer les dispositions du droit national alors en vigueur, n’a commis aucune infraction. Selon la juridiction nationale, le droit de l’Union s’oppose à un tel raisonnement.
23. Le Szegedi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Szeged) a, dans ces circonstances, décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Les règles du droit [de l’Union], les dispositions de la [directive TVA] (compte tenu, en particulier, de son article 183), et les principes d’effectivité, d’effet direct et d’équivalence s’opposent-ils à une pratique interne d’un État membre dans l’application des règles pertinentes en matière d’[intérêts], en vertu de laquelle l’autorité fiscale nationale n’a pas commis d’infraction (carence), c’est‑à‑dire qu’il n’y a pas eu de sa part de retard de paiement en ce qui concerne la part non
récupérable de la TVA sur les acquisitions non réglées des assujettis, car, à l’époque où l’autorité fiscale nationale a statué, la condition de droit national contraire au droit [de l’Union] était une règle en vigueur et l’incompatibilité de cette condition avec le droit [de l’Union] n’a été constatée que plus tard par la Cour de justice ?
2) Le droit [de l’Union], particulièrement les dispositions de la directive TVA (compte tenu notamment de son article 183), le principe d’équivalence, ainsi que les principes d’effectivité et de proportionnalité, s’opposent-ils à une pratique interne d’un État membre qui, dans l’application des règles pertinentes en matière d’[intérêts], fait une distinction selon que le non‑remboursement de la taxe par l’autorité fiscale a lieu dans le respect des règles de droit national en vigueur s’avérant
contraires au droit [de l’Union] ou en violation de celles‑ci, en identifiant, en ce qui concerne le taux d’intérêt sur la TVA non récupérée dans un délai raisonnable à cause d’une condition de droit national jugée contraire au droit de l’Union par la Cour de justice, deux périodes distinctes caractérisées par ceci que,
– pour la première période – sachant que la réglementation hongroise contraire au droit [de l’Union] était encore en vigueur à l’époque et que, partant, les autorités fiscales hongroises n’ont pas commis d’infraction en n’autorisant pas le remboursement dans un délai raisonnable de la TVA mentionnée sur les factures –, les assujettis ne peuvent réclamer, à titre d’[intérêts], que des intérêts au taux de base de la banque centrale, tandis que,
– pour la seconde période, il y a lieu de payer un intérêt au double du taux de base de la banque centrale pris comme référence par le droit hongrois en cas de retard, mais uniquement pour le paiement tardif des [intérêts] tels qu’ils sont calculés pour la première période ?
3) Faut-il interpréter l’article 183 de la directive TVA en ce sens que le principe d’équivalence s’oppose à une pratique nationale en vertu de laquelle le non‑remboursement de la TVA donne lieu à un paiement d’intérêts par l’autorité fiscale au simple taux de base de la banque centrale en cas de violation du droit de l’Union, mais au double de ce taux en cas de violation du droit interne ? »
B. L’affaire Dalmandi (C‑126/18)
24. Le 30 décembre 2016, Dalmandi a introduit auprès de l’autorité fiscale de premier degré une demande de versement d’intérêts sur les montants de TVA qui n’avaient pas été remboursés à temps entre l’année 2005 et l’année 2011 en raison de l’application de la condition des « acquisitions réglées ». La somme réclamée était de 74518800 HUF (environ 240515 euros). Pour le calcul des intérêts réclamés à titre de réparation du dommage directement subi, la demande prenait en compte l’intégralité de la
période s’étendant de l’expiration du délai de remboursement pour chaque période de déclaration concernée à la date d’expiration du délai de remboursement pour la période de déclaration durant laquelle a été adoptée la loi modificative, à savoir le 5 décembre 2011. La demande retenait, en vue de ce calcul, un taux égal au double du taux de base de la banque centrale, en application de l’article 37, paragraphe 6, du code de procédure fiscale. Par ailleurs, Dalmandi a demandé le paiement
d’intérêts supplémentaires pour la période du 5 décembre 2011 à la date de versement effectif, en appliquant également le taux visé à l’article 37, paragraphe 6, du code de procédure fiscale.
25. Par une décision adoptée le 10 mars 2017, l’autorité fiscale de premier degré a fait droit en partie à la demande formée par Dalmandi en accordant à celle‑ci des intérêts à hauteur de 34673000 HUF (environ 111035 euros) en ce qui concerne les montants d’excédent de TVA déductible indûment retenus pour la période s’étendant du quatrième trimestre 2005 au mois de septembre (troisième trimestre) 2011, et elle a rejeté la demande pour le surplus.
26. La décision de l’autorité fiscale s’appuyait sur les principes énoncés dans la décision de principe de la Cour suprême no 18/2017. Premièrement, en ce qui concerne la créance d’intérêts, l’autorité fiscale a fait application des articles 124/C et 124/D du code de procédure fiscale. Deuxièmement, elle a estimé que la créance d’intérêts composés de Dalmandi n’était pas fondée puisque cette dernière n’avait ni déposé une demande de récupération exceptionnelle ni soumis une déclaration de TVA
incluant une demande de remboursement. Troisièmement, l’autorité fiscale a, pour l’année 2005, rejeté la demande d’intérêts de Dalmandi après avoir constaté que la créance était prescrite en ce qui concerne les trois premiers trimestres de cette année.
27. Par décision du 12 juin 2017, l’autorité fiscale de deuxième degré, devant laquelle Dalmandi avait formé un recours administratif, a réduit le montant alloué à celle‑ci à titre d’intérêts à 34259000 HUF et a confirmé la décision de premier degré pour le surplus.
28. Dalmandi a intenté un recours contre cette décision devant la juridiction de renvoi. À titre principal, elle réitère les demandes précédemment formulées devant les autorités fiscales. En particulier, elle fait valoir que la décision de principe de la Cour suprême no 18/2017, sur laquelle l’autorité fiscale de deuxième degré s’est appuyée dans sa décision du 12 juin 2017, méconnaît les principes d’équivalence, d’effectivité et d’effet direct du droit de l’Union en ce que, premièrement, elle
énonce que l’article 37, paragraphe 6, du code de procédure fiscale est inapplicable en raison du fait que l’administration fiscale n’a pas commis d’infraction en appliquant le droit national alors en vigueur, deuxièmement, elle exclut qu’une carence puisse être reprochée à l’administration fiscale s’il n’y a pas eu de demande de récupération exceptionnelle et, troisièmement, elle fixe comme date de départ du calcul du délai de prescription la date qui précède celle à partir de laquelle la
créance d’intérêts est devenue exigible.
29. Le Szekszárdi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Szekszárd) a, dans ces circonstances, décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Les règles du droit [de l’Union], les dispositions de la directive [TVA] (compte tenu, en particulier, de son article 183), et les principes d’effectivité, d’effet direct et d’équivalence s’opposent-ils à une pratique juridictionnelle interne d’un État membre dans l’application des règles pertinentes en matière d’[intérêts], en vertu de laquelle l’autorité fiscale nationale n’a pas commis d’infraction (carence), c’est‑à‑dire qu’il n’y a pas eu de sa part de retard de paiement en ce qui
concerne la part non récupérable de la TVA sur les acquisitions non réglées des assujettis, car, à l’époque où ladite autorité a statué, la condition de droit national contraire au droit [de l’Union] était une règle en vigueur et l’incompatibilité de cette condition avec le droit [de l’Union] n’a été constatée que plus tard par la Cour de justice ? On notera que, ce faisant, la pratique interne reconnaît comme quasi légale l’application de la condition législative nationale contraire au
droit de l’Union tant que le législateur national n’a pas formellement abrogé celle‑ci.
2) Le droit [de l’Union], particulièrement les dispositions de la directive [TVA] (compte tenu notamment de son article 183), le principe d’équivalence, ainsi que les principes d’effectivité et de proportionnalité, s’opposent-ils à une réglementation et à une pratique internes d’un État membre qui, dans l’application des règles pertinentes en matière d’[intérêts], font une distinction selon que le non‑remboursement de la taxe par l’autorité fiscale a lieu dans le respect de règles de droit
national en vigueur s’avérant contraires au droit [de l’Union] ou en violation de celles‑ci, en identifiant, en ce qui concerne le taux d’intérêt sur la TVA non récupérée dans un délai raisonnable à cause d’une condition de droit national jugée contraire au droit de l’Union par la Cour de justice, deux périodes distinctes caractérisées par ceci que,
– pour la première période – sachant que la réglementation hongroise contraire au droit [de l’Union] était encore en vigueur à l’époque et que, partant, les autorités fiscales hongroises n’ont pas commis d’infraction en n’autorisant pas le remboursement dans un délai raisonnable de la TVA mentionnée sur les factures –, les assujettis ne peuvent réclamer, à titre d’[intérêts], que des intérêts au taux de base de la banque centrale, tandis que,
– pour la seconde période, il y a lieu de payer un intérêt au double du taux de base de la banque centrale pris comme référence par le droit hongrois en cas de retard, mais uniquement pour le paiement tardif des [intérêts] tels qu’ils sont calculés pour la première période ?
3) Le droit [de l’Union], en particulier l’article 183 de la directive [TVA], et le principe d’effectivité s’opposent-ils à une pratique interne d’un État membre qui retient, comme date de début du calcul de l’[…]intérêt composé […] payable, selon les dispositions nationales, sur un montant principal consistant dans les intérêts de retard (intérêts sur la TVA) dus en raison du remboursement tardif de la taxe retenue en violation du droit de l’Union, non pas la date de l’exigibilité initiale des
intérêts sur la TVA, en tant que créance principale, mais une date postérieure, compte tenu en particulier du fait que le droit de prétendre à des intérêts sur des taxes retenues ou non remboursées en violation du droit de l’Union est un droit subjectif qui découle directement du droit de l’Union lui‑même ?
4) Le droit [de l’Union], en particulier l’article 183 de la directive [TVA], et le principe d’effectivité s’opposent-ils à une pratique interne d’un État membre qui oblige l’assujetti à introduire une demande spéciale lorsqu’il réclame un intérêt en raison d’une infraction consistant dans un retard de l’administration fiscale, alors qu’une demande spéciale de réclamation d’un intérêt de retard n’est pas nécessaire dans d’autres cas, où celui‑ci doit être accordé d’office ?
5) Pour le cas où la question qui précède appellerait une réponse affirmative, le droit [de l’Union], en particulier l’article 183 de la directive [TVA], et le principe d’effectivité s’opposent-ils à une pratique interne d’un État membre selon laquelle un intérêt (intérêt composé), dû en raison du versement tardif d’un montant principal consistant dans les intérêts (intérêts sur la TVA) dus sur une taxe dont la rétention a été ultérieurement déclarée contraire au droit de l’Union par la Cour, ne
peut être accordé que si l’assujetti introduit une demande exceptionnelle dont le contenu concerne concrètement non pas la créance d’intérêt, mais bien la récupération – à la date de l’abrogation en droit interne de la disposition prévoyant, en violation du droit [de l’Union], la rétention de la TVA pour cause de non-règlement – de la TVA relative, précisément, aux acquisitions non réglées, étant entendu que les intérêts sur la TVA constituant l’assiette de l’intérêt composé réclamé –
lesquels n’ont été versés ni à ce moment ni après – étaient déjà exigibles pour les périodes de déclaration antérieures précédant la demande exceptionnelle ?
6) Pour le cas où la question qui précède appellerait une réponse affirmative, le droit [de l’Union], en particulier l’article 183 de la directive [TVA], et le principe d’effectivité s’opposent-ils à une pratique interne d’un État membre qui prévoit la déchéance du droit à un intérêt (intérêt composé), dû en raison du versement tardif d’un montant principal consistant dans les intérêts (intérêts sur la TVA) dus sur une taxe dont la rétention a été ultérieurement déclarée contraire au droit de
l’Union par la Cour, dans les cas de créances d’intérêts sur la TVA qui ne concernent pas la période de déclaration à la TVA affectée par le délai de prescription prévu pour le dépôt d’une demande exceptionnelle car elles étaient exigibles avant cela ?
7) Le droit [de l’Union], et notamment l’article 183 de la directive [TVA], s’opposent-ils – compte tenu, en particulier, du principe d’effectivité et aussi de la nature subjective du droit de réclamer des intérêts sur les taxes illégalement non remboursées – à une pratique interne d’un État membre qui prive définitivement l’assujetti de la possibilité de réclamer un intérêt sur une taxe, laquelle a été retenue en vertu d’une disposition nationale qui interdit la récupération de la TVA en cas de
non‑règlement de l’acquisition et a été déclarée par la suite contraire au droit [de l’Union], et ce :
– en ne considérant pas la créance d’intérêt comme fondée en raison du fait que la disposition déclarée par la suite contraire au droit [de l’Union] était en vigueur au moment où la taxe était exigible à l’origine (c’est‑à‑dire au motif qu’il ne s’est pas produit de retard et que l’administration fiscale n’a fait qu’appliquer le droit en vigueur),
– et plus tard – après qu’a été abrogée la disposition restreignant le droit à récupération déclarée contraire au droit [de l’Union] – par l’effet de la prescription ?
8) Le droit [de l’Union], en particulier l’article 183 de la directive [TVA], et le principe d’effectivité s’opposent-ils à une pratique interne d’un État membre qui, en application d’une disposition de droit interne déclarée par la suite contraire au droit [de l’Union], subordonne la possibilité de réclamer, pour toute la période 2005-2011, un [intérêt] sur le montant principal, consistant dans les intérêts auxquels l’assujetti a droit sur la taxe non remboursée à la date d’exigibilité
initiale, au point de savoir si l’assujetti est en mesure de demander la récupération de la taxe dans sa déclaration à la TVA pour la période (à savoir le mois de septembre 2011) pendant laquelle a été abrogée la disposition contraire au droit [de l’Union] en question, sachant que le versement du montant principal consistant dans les intérêts sur la TVA n’a eu lieu ni à ce moment ni ultérieurement, à savoir à la date où la juridiction nationale a été saisie de la demande d’intérêts ? »
IV. Analyse
A. Sur la recevabilité des questions préjudicielles soumises
30. Le gouvernement hongrois fait valoir que les questions posées sont irrecevables, car il n’appartient pas à la Cour, mais plutôt aux juridictions nationales, d’examiner la problématique soulevée dans les procédures au principal concernant le paiement d’intérêts. S’il est vrai que le droit aux intérêts découle, dans des cas tels que ceux‑ci, du droit de l’Union, il est de jurisprudence constante qu’il appartient aux États membres de définir les modes de calcul et de versement de ces intérêts.
Certes, la latitude laissée aux États membres à cet égard est régie par la nécessité d’assurer le respect des principes d’équivalence et d’effectivité, mais la vérification du respect de ces principes est, du moins en premier lieu, laissée aux seules juridictions nationales.
31. D’emblée, il convient de relever que, lorsque le gouvernement hongrois excipe de l’irrecevabilité des questions préjudicielles, ses arguments portent, en réalité, sur la compétence de la Cour pour statuer sur ces questions, et ce au regard, essentiellement, du principe selon lequel il appartient aux seules juridictions nationales de décider si la législation nationale respecte les principes d’équivalence et d’effectivité.
32. À cet égard, il est vrai que l’article 267 TFUE habilite la Cour non pas à appliquer les règles du droit de l’Union à une espèce déterminée, mais seulement à se prononcer sur l’interprétation des traités et des actes pris par les institutions de l’Union ( 4 ). On peut, toutefois, relever que les questions soumises ne concernent ni l’application concrète du droit de l’Union dans les affaires au principal ni la détermination précise du montant de la réparation due aux parties requérantes, mais
l’interprétation à donner à certaines dispositions ou à certains principes du droit de l’Union dans des circonstances telles que celles des cas d’espèce. En particulier, la question de savoir si et dans quelle mesure les États membres jouissent d’une certaine latitude pour définir le mode de calcul de la réparation à accorder en raison de l’application d’une disposition déclarée contraire au droit de l’Union est, en elle‑même, une question d’interprétation du droit de l’Union. Cela signifie que
la Cour a toute la compétence nécessaire pour traiter cette question.
33. Par conséquent, j’estime que la Cour est compétente pour répondre aux questions préjudicielles et qu’elle ne devrait pas déclarer les questions posées irrecevables.
B. Observations liminaires
34. Avant d’examiner les diverses questions suscitées par ces deux affaires, il est nécessaire de formuler quelques remarques sur le contexte dans lequel elles sont posées.
35. Dans son arrêt du 28 juillet 2011, Commission/Hongrie (C‑274/10, EU:C:2011:530), la Cour a jugé que, en appliquant la condition des « acquisitions réglées » aux demandes de remboursement d’excédents de TVA déductible, la Hongrie avait enfreint l’article 183 de la directive TVA ainsi que le principe de neutralité fiscale. Mon intention à cet égard n’est pas de revenir sur les raisons qui ont conduit à ce jugement. Toutefois, il est important de souligner que, en vertu de la primauté du droit de
l’Union, celui‑ci contraignait la Hongrie à en inférer les obligations qui en découlaient nécessairement.
36. Celles-ci comprenaient l’abrogation de la condition des « acquisitions réglées » par cet État membre ( 5 ), le remboursement des excédents de TVA déductible qui existaient encore à la date à laquelle a été rendu l’arrêt du 28 juillet 2011, Commission/Hongrie (C‑274/10, EU:C:2011:530) ( 6 ), et l’indemnisation des assujettis pour les pertes subies à cause de l’application de la condition susmentionnée ( 7 ). Les affaires dont il est question ici ne concernent que cette dernière obligation. À ce
propos, il y a lieu de rappeler que le fait qu’un État membre ait enfreint le droit de l’Union ne suffit pas en soi pour rendre celui‑ci responsable du préjudice causé par l’infraction. Pour qu’un État membre puisse encourir une responsabilité, il faut que soient réunies les trois conditions énoncées dans l’arrêt Francovich e.a. ( 8 ) (ci‑après les « conditions de l’arrêt Francovich e.a. ») : premièrement, la règle de droit de l’Union violée doit avoir pour objet de conférer des droits aux
particuliers, deuxièmement, la violation de cette règle doit être suffisamment caractérisée et, troisièmement, il doit exister un lien de causalité direct entre cette violation et le préjudice subi par les particuliers ( 9 ). En outre, conformément à la jurisprudence constante en matière de responsabilité des institutions de l’Union – qui, d’après moi, est applicable par analogie lorsqu’il est question de la responsabilité d’un État membre particulier ( 10 ) –, le préjudice subi doit être réel
et certain ( 11 ). Dès lors que, dans les affaires au principal, l’excédent de TVA déductible pouvait être utilisé, dans les déclarations à la TVA subséquentes, afin de réduire certains montants dus au titre de la taxe, la question aurait pu se poser de savoir si le préjudice dont la réparation est demandée est réel et certain ( 12 ).
37. Il faut souligner, cependant, que, dans l’ordonnance Delphi, la Cour a été très claire : les assujettis ayant obtenu le remboursement de l’excédent de TVA déductible au-delà d’un délai raisonnable disposent d’un droit au paiement d’intérêts de retard en vertu du droit de l’Union ( 13 ). Au vu de cette ordonnance, il est évident que la Hongrie a l’obligation d’effectuer des versements d’intérêts appropriés pour indemniser les assujettis qui ont subi un préjudice financier à cause de l’application
de la condition des « acquisitions réglées ».
38. Par conséquent, les seules questions qui restent à trancher sont celles de l’étendue de la réparation à accorder et des recours que la Hongrie doit prévoir pour permettre aux assujettis d’exercer le droit à réparation qu’ils tirent du droit de l’Union. Telles sont précisément les deux questions qui sont maintenant abordées dans ces affaires jointes. En conséquence, ces affaires doivent être tenues pour ce qu’elles sont réellement, à savoir deux procédures relatives à la portée de l’obligation
des États membres de réparer le préjudice causé par leur manquement à appliquer correctement le droit de l’Union. En ce qui concerne la première question, il convient de rappeler que, lorsque les conditions de l’arrêt Francovich e.a. sont réunies, les États membres ne peuvent échapper à une responsabilité que dans trois cas spécifiques.
39. Premièrement, il peut arriver que l’obligation d’indemnisation soit prescrite en vertu du droit national. Je me propose d’examiner ce point dans le contexte de la septième question préjudicielle.
40. Deuxièmement, la victime peut avoir contribué à son propre préjudice ( 14 ). Cette exception n’est, évidemment, pas applicable dans les affaires au principal.
41. Une troisième exception pourrait s’imposer lorsque le montant de la réparation en jeu implique pour l’État membre en question un coût à ce point considérable qu’il met en cause la stabilité des finances publiques de celui‑ci. Cependant, hormis peut-être dans des circonstances très exceptionnelles ( 15 ), c’est à la Cour seule qu’il appartient de limiter ou de suspendre les effets du droit de l’Union afin de tenir compte de l’existence de circonstances exceptionnelles ( 16 ). Ainsi, les États
membres ne peuvent pas, devant leurs propres juridictions nationales, invoquer leur bonne foi ou l’existence de circonstances exceptionnelles, telles qu’un risque d’atteinte à la stabilité des finances publiques, pour demander une réduction de l’indemnité qui s’impose – en supposant, bien entendu, que les conditions de l’arrêt Francovich e.a. soient remplies ( 17 ). Dès lors que, en l’espèce, la Hongrie n’a pas soulevé ces points devant la Cour et qu’il n’apparaît pas qu’il existe des
circonstances exceptionnelles – telles que celles mentionnées dans la jurisprudence de la Cour –, cette exception n’a aucune pertinence ici.
42. Les deux dernières exceptions ne s’appliquant pas ici, et l’État membre ayant été déclaré responsable de préjudices, la question qui se pose concerne uniquement l’étendue de la réparation qui doit être accordée.
43. À cet égard, on peut constater que, dans certains arrêts, les particuliers se voient reconnaître le droit à une réparation intégrale du préjudice subi ( 18 ) tandis que, selon d’autres décisions – notamment rendues dans des affaires fiscales où des montants considérables étaient en jeu –, les États membres ont l’obligation de simplement garantir une réparation adéquate du préjudice ( 19 ).
44. Pour ma part, je considère que ces deux lignes de jurisprudence ne sont pas, en réalité, en contradiction l’une avec l’autre. À mon avis, la Cour a, en utilisant le terme « adéquat », tenté de mettre en évidence que, dans certaines situations particulières, l’obligation qui existe à première vue de prévoir une réparation intégrale pour les dommages causés par la violation du droit de l’Union peut devoir être nuancée par des considérations de faisabilité et d’opportunité générale. En d’autres
termes, même lorsque les conditions de l’arrêt Francovich e.a. sont remplies, le droit que les particuliers tirent du droit de l’Union à une réparation intégrale pour toute violation de ce droit n’est pas absolu. J’adopte ce point de vue pour les raisons suivantes.
45. Premièrement, dans certains cas, le droit de l’Union lui‑même prévoit une règle spécifique pour calculer la réparation à accorder. Toutefois, comme la Cour l’a souligné, ni la directive TVA ni aucun autre acte de l’Union ne prévoit un mode de calcul des intérêts dus en cas de remboursement tardif d’un excédent de TVA. Par conséquent, cette exception ne s’applique pas ici.
46. Deuxièmement, lorsque la détermination précise du préjudice subi est excessivement difficile, l’indemnité due peut être calculée sur la base d’une méthode qui, sans être nécessairement exacte, vise dans toute la mesure du possible à une réparation intégrale du préjudice subi ( 20 ).
47. Troisièmement, si les règles d’indemnisation instaurées par les États membres doivent, pour les dommages subis du fait de la violation du droit de l’Union, viser à fournir au moins une solution qui soit proche d’une réparation intégrale, les modalités pratiques pour atteindre cet objectif relèvent nécessairement de leur responsabilité puisque réaliser un tel objectif nécessite la prise en compte de certaines variables économiques nationales. Les États membres ont donc le pouvoir de préciser, à
la lumière des indicateurs économiques existants, quels indicateurs ou taux doivent être pris en compte. Ils ne peuvent, bien entendu, pas choisir un taux dont l’application ne viserait pas au moins à une réparation intégrale des pertes ou dommages réels et certains qui ont été subis.
48. En conséquence, je pense que, lorsque la Cour s’est, dans l’ordonnance Delphi, référée à son arrêt du 19 juillet 2012, Littlewoods Retail e.a. (C‑591/10, EU:C:2012:478) – au point 27 duquel elle a dit qu’« il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de prévoir les conditions dans lesquelles de tels intérêts doivent être versés, notamment le taux et le mode de calcul de ces intérêts (intérêts simples ou intérêts composés) » –, son intention était non pas de s’écarter du
principe de réparation intégrale, mais plutôt de tenir compte du fait que le taux précis à appliquer – celui qui correspond à une réparation intégrale – dépend de la situation qui existe à ce moment dans chaque État membre ( 21 ).
49. Hormis ces situations, une fois les trois conditions énoncées dans l’arrêt du 19 novembre 1991, Francovich e.a. (C‑6/90 et C‑9/90, EU:C:1991:428) remplies, pour qu’un État membre puisse voir s’engager sa responsabilité, tout particulier qui subit un préjudice causé par une violation du droit de l’Union a droit à une réparation intégrale. En effet, l’octroi d’une indemnisation au moins proche de la réparation intégrale est nécessaire pour garantir le plein effet du droit de l’Union, comme l’exige
le principe de primauté de ce droit ( 22 ), et compte tenu du droit fondamental à un recours effectif consacré à l’article 47, premier alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
50. En conséquence, dans les affaires au principal, les assujettis concernés, qui ont subi un préjudice financier du fait de l’application de la condition des « acquisitions réglées », ont, en principe, droit à une somme d’argent correspondant à une réparation intégrale. En particulier, puisque le gouvernement hongrois n’a pas, lorsque l’affaire Commission/Hongrie (C‑274/10) était encore pendante, fait valoir devant la Cour qu’il existait des circonstances exceptionnelles justifiant la suspension de
l’application dans le temps du droit de l’Union, il ne peut plus invoquer cet argument ici. En tout état de cause, les montants en jeu, même s’ils sont importants, ne sont pas de nature à compromettre la stabilité des finances publiques de cet État membre.
51. Par ailleurs, dans la mesure où le dommage survenu prend, dans des situations telles que celles dont il est question ici, la forme d’une privation du bénéfice d’une certaine somme d’argent pour une période limitée, ce dommage doit être calculé en prenant comme point de référence le prix qu’une personne aurait dû payer pour emprunter la même somme d’argent auprès d’un établissement de crédit. La réparation doit donc prendre la forme d’intérêts. Toutefois, il ne s’agit pas, à proprement parler,
d’intérêts de retard au sens habituel de la jurisprudence de la Cour.
52. À cet égard, il y a lieu de faire observer que les différents types d’intérêts et leurs noms varient d’un État membre à l’autre et que la jurisprudence de la Cour ne s’est pas toujours montrée très cohérente dans l’utilisation de certains termes. En particulier, la notion d’« intérêts de retard » semble parfois avoir été utilisée dans le sens d’« intérêts moratoires » ( 23 ), lesquels exigent l’existence d’une créance reconnue, et, à d’autres occasions, dans un sens plus général en vue de
désigner toutes sortes d’intérêts liés à un paiement tardif, qu’ils aient ou non un caractère punitif ou compensatoire ( 24 ). Je me propose, par conséquent, de m’attarder sur l’objectif des différents types d’intérêts concernés ici plutôt que sur leurs noms ou descriptions, lesquels peuvent varier en fonction des réglementations et pratiques nationales.
53. En ce qui concerne la seconde question, à savoir celle du mode de versement des indemnités qui doivent être payées par les États membres, il est de jurisprudence constante que ces conditions relèvent de l’autonomie procédurale de chaque État membre ( 25 ). En effet, en l’absence de législation de l’Union en la matière, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de prévoir les conditions dans lesquelles des intérêts de retard doivent être versés ( 26 ), et non le montant
desdits intérêts. Ces conditions doivent néanmoins respecter les principes d’équivalence et d’effectivité des recours ( 27 ).
54. Le principe d’effectivité exige que les États membres établissent un système de voies de recours et de procédures qui ne rende pas pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union ( 28 ). Ainsi, les règles procédurales gouvernant de tels recours ne doivent pas être conçues de manière à rendre impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés aux particuliers par l’ordre juridique de l’Union ( 29 ). Plus
généralement, ce principe exige que les droits que les particuliers tirent du droit de l’Union reçoivent une application effective ( 30 ).
55. Pour ce qui concerne le principe d’équivalence, celui‑ci suppose que la règle nationale en cause s’applique indifféremment aux recours fondés sur la violation du droit de l’Union et à ceux fondés sur la méconnaissance du droit interne ayant un objet et une cause semblables, compte tenu tant de l’objet que des éléments essentiels des recours prétendument similaires de nature interne ( 31 ). Afin de vérifier si le principe d’équivalence est respecté dans les affaires au principal, il y a donc lieu
d’examiner s’il existe, en plus d’une règle de prescription – telle que celle en cause au principal – applicable aux recours destinés à assurer, en droit interne, la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, une règle de prescription applicable aux recours de nature interne et si, eu égard à leur objet et à leurs éléments essentiels, les deux règles de prescription peuvent être considérées comme étant similaires ( 32 ).
56. C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner les questions préjudicielles posées.
57. Enfin, étant donné que les assujettis sont, en principe, en droit de recevoir au moins une indemnisation correspondant à la réparation intégrale du préjudice subi, je propose d’examiner ensemble les différentes questions relatives à la compatibilité avec le droit de l’Union du mode de calcul du montant de la réparation appliqué par la pratique nationale en cause.
C. Sur les trois questions dans l’affaire C‑13/18 et sur les deux premières questions dans l’affaire C‑126/18
58. En substance, la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑13/18, par ses trois questions, et la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑126/18, par ses deux premières questions, demandent si l’article 183 de la directive TVA, ainsi que les principes d’effectivité et d’équivalence des recours, et les principes d’effet direct et de proportionnalité, doivent être interprétés, dans une situation telle que celles qui sont en cause au principal, comme s’opposant à une pratique nationale consistant à
calculer les intérêts qui sont dus en raison de l’application de la condition des « acquisitions réglées » en appliquant un taux qui correspond au taux de base de la banque centrale et non au double de ce taux, comme le prévoit la législation nationale concernée en cas de retard de paiement par l’administration d’une dette due.
59. Étant donné que le droit à une indemnisation d’un niveau correspondant à une réparation intégrale ou d’un niveau proche découle du principe de primauté du droit de l’Union, c’est dans ce contexte que je me propose d’examiner les trois questions soumises dans l’affaire C‑13/18, ainsi que les deux premières questions soumises dans l’affaire C‑126/18.
1. Compatibilité de la pratique nationale avec le droit à une réparation intégrale
60. Comme je l’ai déjà indiqué, le droit de l’Union impose, en principe, la réparation intégrale des dommages, à condition, bien entendu, que les conditions de l’arrêt Francovich e.a. soient remplies. Afin d’apprécier la compatibilité de la pratique nationale en cause avec le droit de l’Union, il est nécessaire de déterminer, en premier lieu, quel est le préjudice causé par l’application de la condition des « acquisitions réglées » et, en second lieu, si l’indemnisation prévue par la pratique
nationale vise à réparer intégralement la perte et le préjudice subis.
61. Comme je l’ai expliqué plus haut, le préjudice causé en l’espèce consiste dans la privation injustifiée du droit d’obtenir le remboursement de l’excédent de TVA déductible dans les délais prévus par la législation nationale ( 33 ). Puisque les assujettis avaient quand même le droit d’utiliser cet excédent en le portant en déduction de la dette de TVA dans la déclaration subséquente, le préjudice peut être considéré en pratique comme équivalant à un retard de remboursement ( 34 ). C’est pourquoi
il est nécessaire, comme dans le cas d’un retard de remboursement, premièrement, de déterminer la période durant laquelle l’assujetti a été privé de ses droits (ci‑après la « période de référence ») et, deuxièmement, afin de quantifier le montant de la réparation due, d’appliquer à l’excédent de TVA déductible, dont l’assujetti n’a pas pu obtenir le remboursement, des intérêts à un taux qui reflète les conséquences de cette privation.
62. Dans les circonstances en cause au principal, le point de départ de la période de référence correspond à la date à laquelle l’excédent de TVA déductible aurait dû être remboursé à l’assujetti si la condition des « acquisitions réglées » n’avait pas été appliquée.
63. À cet égard, il convient de rappeler que c’est aux États membres qu’il appartient de décider de la date à laquelle le remboursement doit être effectué, pour autant que cette date se situe dans un délai raisonnable après le dépôt du formulaire de déclaration de TVA (ci‑après le « délai de remboursement raisonnable ») ( 35 ).
64. En ce qui concerne la date d’expiration du délai de remboursement raisonnable, il faut, compte tenu du préjudice en cause au principal, distinguer deux hypothèses selon que l’intéressé a finalement satisfait à la condition des « acquisitions réglées » ou qu’il n’a eu d’autre choix que de reporter l’excédent de TVA déductible sur la déclaration suivante.
65. Dans la première hypothèse, le préjudice subi ayant cessé à la date où s’est finalement produit le remboursement de la TVA, c’est ce jour qui constitue la date de fin du délai de remboursement raisonnable.
66. Dans la seconde hypothèse, la date d’expiration du délai de remboursement raisonnable dépend de la question de savoir si l’excédent de TVA déductible reporté a été entièrement utilisé ou non dans la déclaration suivante pour compenser une dette de TVA. Dans l’affirmative, le dommage a pris fin le jour où l’assujetti aurait dû payer la dette de TVA si l’excédent de TVA déductible n’avait pas été imputé sur cette dette. À supposer que l’excédent de TVA déductible n’ait pas été pleinement utilisé
en raison de l’insuffisance de la dette de TVA, les effets de l’application de la condition des « acquisitions réglées » s’étendent à la déclaration de TVA suivante. Il s’ensuit que, en principe, pour chacune des périodes imposables suivantes, il faudrait opérer une distinction entre la partie de l’excédent de TVA déductible qui est nouvelle et celle qui a été reportée des déclarations précédentes. En effet, pour la partie correspondant au report d’un excédent antérieur, aucun délai de
remboursement raisonnable ne devrait être appliqué, car, si l’assujetti avait obtenu le remboursement de l’excédent, il aurait bénéficié sans interruption du montant correspondant.
67. Tout cela suffit à démontrer que la quantification exacte du préjudice subi dans les présentes affaires est relativement complexe.
68. Dans ce contexte, on peut dire que la pratique nationale en cause simplifie le calcul qui doit être effectué. En effet, il ressort du dossier que la Hongrie retient comme point de départ du délai de remboursement raisonnable utilisé pour le calcul du dommage le jour qui suit la date limite de dépôt de la déclaration de TVA. Cela signifie que le montant de la réparation est calculé en prenant comme point de départ non pas la date à laquelle le remboursement aurait dû être effectué, mais le jour
suivant la date limite de dépôt du formulaire de déclaration de TVA sur lequel l’assujetti a indiqué un montant de TVA négatif.
69. En ce qui concerne la date d’expiration de la période considérée pour quantifier le préjudice, la pratique nationale retient la date limite pour la soumission de la déclaration suivante. En conséquence, pour chaque période de déclaration de TVA, un nouveau montant de préjudice est calculé sur la base de la prémisse que le préjudice subi est devenu définitif le dernier jour du délai de dépôt du formulaire de déclaration de TVA sur lequel l’assujetti a indiqué un montant de TVA négatif.
70. Bien que cette méthode diffère de celle qui pourrait être utilisée pour calculer le préjudice subi avec une précision comptable exacte, elle présente l’avantage de simplifier ce calcul puisqu’elle ne distingue pas, pour les périodes imposables suivantes, la partie de l’excédent de TVA déductible attribuable à un excédent antérieur qui a été reporté de celle qui constitue un excédent nouveau. En effet, étant donné qu’aucune période de remboursement n’est appliquée, la raison d’être de l’excédent
de TVA déductible subséquent ne fait aucune différence. Pour cette raison, cette méthode est encore plus avantageuse pour les assujettis que celle qui permet une réparation intégrale puisqu’on n’applique aucune période correspondant à la période de remboursement normalement applicable.
71. Comme je l’ai indiqué plus haut, la Cour admet que, lorsque la détermination exacte du préjudice subi est difficile, une méthode fondée sur un degré raisonnable d’approximation peut être utilisée pour autant que le montant de l’indemnité n’en soit pas excessivement affecté. Étant donné qu’il est, en l’espèce, assez difficile de quantifier exactement le dommage subi, j’estime que la Hongrie avait, en principe, le droit de simplifier ce calcul.
72. En ce qui concerne le taux d’intérêt à appliquer pour assurer une réparation intégrale, ce taux devrait correspondre à celui des intérêts qu’un assujetti aurait payés pour obtenir d’un établissement de crédit un montant correspondant à l’excédent de TVA déductible. En conséquence, on peut présumer que le taux d’intérêt applicable équivaut au taux utilisé par la banque centrale compétente pour des crédits à très court terme, étant entendu que ce taux doit être augmenté afin de refléter la marge
normalement appliquée par les établissements de crédit ( 36 ). En effet, si une personne devait emprunter de l’argent pour résoudre le problème de liquidités découlant de ce qu’elle n’a pas obtenu le remboursement de son excédent de TVA déductible, cette personne devrait payer un taux plus élevé que celui qui est appliqué par la banque centrale compétente, ce dernier étant réservé aux seuls établissements de crédit.
73. À première vue, il pourrait sembler que la méthode utilisée dans les affaires au principal soit conforme aux exigences de l’Union. Toutefois, à y regarder de plus près, on peut dire que le mode de calcul utilisé dans la pratique nationale en cause comporte deux aspects qui, à mon avis, ne sont pas compatibles avec le principe de réparation intégrale.
74. Le premier est lié au taux d’intérêt appliqué. En effet, le taux prévu par la pratique nationale est celui appliqué par la banque centrale, sans aucune augmentation reflétant la marge habituellement appliquée par les établissements de crédit. Même s’il appartient aux États membres de choisir le taux d’intérêt applicable en fonction de leur situation économique ( 37 ), il n’en demeure pas moins que, pour qu’il y ait réparation intégrale (ou, du moins, une indemnisation qui s’en rapproche), le
taux choisi ne peut pas se limiter au taux de base appliqué par la banque centrale.
75. Le second aspect, plus significatif, concerne la dépréciation monétaire provoquée par l’écoulement du temps. En effet, la notion de « réparation intégrale » implique que, lorsque, comme dans les affaires au principal, le dommage est calculé à la date où il est devenu définitif – au lieu du moment où il a été constaté par l’administration fiscale ou une juridiction nationale –, des intérêts complémentaires reflétant la dépréciation monétaire qui est survenue depuis que le dommage est devenu
définitif doivent être ajoutés à l’indemnité payée ( 38 ).
76. À mon avis, c’est le paiement d’intérêts de cet ordre que visait la Cour au point 34 de l’ordonnance Delphi, lorsqu’elle a dit que « les assujettis ayant obtenu le remboursement de l’excédent de TVA au-delà d’un délai raisonnable, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier, disposent d’un droit au paiement d’intérêts de retard en vertu du droit de l’Union » ( 39 ).
77. À cet égard, je dois également souligner que ces intérêts doivent être calculés sur la base non pas du taux appliqué par les établissements de crédit (ou par la banque centrale), mais plutôt du taux de l’inflation, puisque les présentes affaires concernent essentiellement la diminution, du fait de la dépréciation monétaire, de la valeur du dommage depuis la date où celui‑ci est devenu définitif et peut être calculé.
78. En l’espèce, il ressort des informations données par les juridictions de renvoi, qui ont été confirmées par les parties en réponse à une question écrite, que la pratique nationale en cause prévoit bel et bien le versement d’intérêts composés, mais que ces intérêts commencent à courir à partir de la fin du délai de remboursement de 45 jours pour la déclaration de TVA du mois de septembre 2011 ( 40 ), ce qui, en tenant compte des jours ouvrables, correspond au 6 décembre 2011.
79. Toutefois, le préjudice subi par l’assujetti a pu se produire et cesser bien avant cette date puisque, comme indiqué précédemment, l’assujetti aurait pu être en mesure de satisfaire à la condition des « acquisitions réglées » avant de devoir présenter sa déclaration de TVA suivante ou aurait pu utiliser l’excédent de TVA déductible pour compenser une dette de TVA dans sa déclaration suivante ( 41 ).
80. En fait, il semble que les intérêts composés prévus par la pratique nationale soient d’une nature différente puisque ces intérêts sont dus en raison du paiement tardif de l’indemnité par l’administration une fois qu’une demande de paiement a été introduite, et non en raison du préjudice subi par l’assujetti du fait de l’application de la condition des « acquisitions réglées ».
81. Par conséquent, je constate que, dans les affaires au principal, la pratique nationale en cause ne prévoit tout simplement pas le paiement de quelconques intérêts visant à compenser la dépréciation monétaire intervenue entre la date où le dommage est devenu définitif, qui est la date à laquelle le montant de la réparation est calculé – en l’occurrence, la date d’expiration du délai de présentation de la déclaration suivante –, et la date où le montant de la réparation est reconnu par
l’administration ou par un tribunal et devient une créance exigible ( 42 ).
82. Étant donné que, pour cette raison, la pratique nationale ne garantit pas, à mon avis, une réparation adéquate des dommages subis par les assujettis en question, elle doit être déclarée contraire au droit de l’Union.
2. Solution de substitution
83. Dans l’éventualité où la Cour estimerait que la réparation requise ne doit pas se rapprocher d’une réparation intégrale, ou ne serait pas d’accord avec l’analyse qui précède, je me propose maintenant d’exposer une autre solution aux problèmes soulevés. Je pense néanmoins qu’il est clair que, d’une manière ou d’une autre, la marge de manœuvre des États membres pour décider du mode de calcul applicable est restreinte par les principes d’effectivité et d’équivalence. La suite des présentes
conclusions part de cette prémisse.
84. Le principe d’effectivité exige que les recours prévus par le droit national permettent aux particuliers de faire valoir les droits qu’ils tirent du droit de l’Union d’une manière significative et non simplement théorique. En conséquence, ce principe doit être interprété en ce sens qu’il exige que les recours prévus par le droit national garantissent aux particuliers le droit de demander réparation du préjudice qu’ils ont subi du fait d’une violation du droit de l’Union, pour autant qu’il soit
toujours satisfait à chacune des conditions de l’arrêt Francovich e.a..
85. Même si la réparation que les États membres sont tenus d’accorder en vertu de l’arrêt du 19 novembre 1991, Francovich e.a. (C‑6/90 et C‑9/90, EU:C:1991:428), ne devait pas atteindre le niveau d’une réparation intégrale, je pense que les États membres devraient néanmoins indemniser les particuliers pour la dépréciation monétaire affectant la valeur de la réparation lorsque le montant de celle‑ci a, comme c’est le cas dans les affaires au principal, été calculé en fonction d’un événement passé, à
savoir la date à laquelle le dommage est devenu définitif ( 43 ).
86. Par conséquent, je pense que, même s’il n’était pas obligatoire que l’indemnisation à laquelle les États membres sont tenus atteigne le niveau d’une réparation intégrale, il faudrait considérer la pratique nationale en cause dans les affaires au principal comme ne garantissant pas une réparation adéquate.
87. En ce qui concerne le principe d’équivalence, celui‑ci requiert, comme je l’ai expliqué dans les présentes conclusions, que l’ensemble des règles applicables aux recours s’applique indifféremment aux recours fondés sur la violation du droit de l’Union et aux recours similaires fondés sur la méconnaissance du droit interne ( 44 ). Toutefois, il est clair que ce principe n’oblige pas un État membre à étendre à l’ensemble des actions en restitution de taxes ou redevances perçues en violation du
droit de l’Union son régime de remboursement de droit interne le plus favorable ( 45 ).
88. La pratique nationale en matière de réparation qui est en cause dans les affaires au principal applique non pas l’article 37, paragraphe 6, du code de procédure fiscale – qui prévoit un taux d’intérêt équivalant au double du taux de base de la banque centrale hongroise –, mais bien les articles 124/C et 124/D du même code, qui prévoient l’application d’un taux équivalant au taux de base de la banque centrale.
89. Or, il ressort clairement du libellé des articles 124/C et 124/D dudit code que ces dispositions s’appliquent non seulement en cas de décision de la Cour jugeant qu’une règle de droit national telle que celle appliquée en Hongrie est contraire au droit de l’Union, mais aussi lorsque l’Alkotmánybíróság (Cour constitutionnelle) ou la Kúria (Cour suprême) constatent qu’une règle de droit national est contraire à la loi fondamentale hongroise ou, s’il s’agit d’un règlement communal, à toute autre
règle de droit.
90. Dans ces conditions, il semble – bien qu’il appartienne aux juridictions de renvoi de le vérifier – que les articles 124/C et 124/D du code de procédure fiscale constituent une lex specialis spécifiquement destinée à régler les conséquences d’un jugement par lequel une juridiction supérieure déclare une règle de droit national contraire à une norme supérieure qui s’applique indifféremment aux recours fondés sur le droit de l’Union et à ceux fondés exclusivement sur le droit interne.
91. Certes, la raison invoquée par la Kúria (Cour suprême) pour justifier l’application des articles 124/C et 124/D plutôt que de l’article 37, paragraphe 6, du code de procédure fiscale peut paraître quelque peu surprenante. En effet, selon cette juridiction, l’application de ces deux articles s’explique par le fait que, dans des circonstances telles que celles des affaires au principal, les autorités fiscales n’ont pas commis d’infraction à la législation nationale existante en appliquant la
condition des « acquisitions réglées » puisque cette condition était alors en vigueur. Ainsi formulée, cette explication semble équivaloir à nier que l’ancienne condition des « acquisitions réglées » était contraire ab initio au droit de l’Union.
92. Si l’explication de la Kúria (Cour suprême) peut être considérée comme assez surprenante, cela n’a pas en soi d’incidence sur la compatibilité de la pratique nationale avec le droit de l’Union. Je tire cette conclusion, car, pour autant que les recours mis à disposition des particuliers par les États membres soient conformes au droit de l’Union, le fait qu’ils soient mis en œuvre pour de mauvaises raisons ne les rend pas contraires à ce droit. Par conséquent, étant donné que les articles 124/C
et 124/D du code de procédure fiscale s’appliquent indifféremment aux recours fondés sur le droit de l’Union et à ceux fondés exclusivement sur le droit national, aucune violation du principe d’équivalence ne peut être établie ( 46 ).
93. Compte tenu du raisonnement exposé dans les présentes conclusions, je propose de répondre aux trois questions posées dans l’affaire C‑13/18 et aux deux premières questions posées dans l’affaire C‑126/18 de la façon suivante : le principe de primauté du droit de l’Union doit être interprété, dans des situations telles que celles décrites par les juridictions de renvoi, comme s’opposant à une pratique nationale selon laquelle les intérêts dus à titre de réparation du dommage causé par
l’application de la condition des « acquisitions réglées » sont calculés sur la base d’un taux correspondant à celui que la banque centrale compétente applique aux opérations principales de refinancement, et cela sans augmenter ce taux pour refléter celui qu’un assujetti qui n’est pas un établissement de crédit aurait pu obtenir pour emprunter le même montant et sans davantage prévoir de quelconques intérêts pour compenser la dépréciation monétaire affectant la valeur de l’indemnisation due,
lorsque celle‑ci a été calculée à partir de la date où ledit dommage est devenu définitif.
D. Sur les six dernières questions dans l’affaire C‑126/18
94. Avant d’examiner les six dernières questions posées par la juridiction nationale dans l’affaire C‑126/18, je voudrais formuler quelques observations liminaires.
95. Premièrement, je note que, dans ses questions, la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑126/18 mentionne l’article 183 de la directive TVA, qui est la disposition qui n’avait pas été respectée par la Hongrie en ce qui concerne l’ancienne condition des « acquisitions réglées ». Toutefois cet article ne semble pas pertinent puisqu’il ne contient aucune règle de procédure. De plus, bien que les questions de la juridiction de renvoi se réfèrent uniquement au principe d’effectivité, il me semble
également nécessaire de les examiner sous l’angle du principe d’équivalence puisque ce sont ces deux principes qui fixent les limites de l’autonomie procédurale dont jouissent les États membres pour organiser leurs recours en réparation.
96. Deuxièmement, dans la mesure où la pratique nationale en cause ne prévoit le paiement d’intérêts composés qu’en cas de versement tardif des intérêts visant à réparer le dommage résultant de l’application de la condition des « acquisitions réglées », j’ai tendance à penser que, lorsque ces questions se réfèrent à la notion d’« intérêts composés », elles visent, en réalité, les intérêts de retard dus pour cause de versement tardif de la réparation, calculée ici à partir de la date à laquelle le
dommage a été constaté ( 47 ). En tout état de cause, au vu de la réponse figurant aux points 78 à 80 des présentes conclusions, les aspects qu’il reste à examiner sont les conditions dans lesquelles de tels intérêts doivent être payés.
97. Troisièmement, les six dernières questions posées dans l’affaire C‑126/18 peuvent donner à penser que les conditions d’obtention des intérêts sont très strictes. Toutefois, il ressort de l’exposé des faits par la juridiction de renvoi que la pratique nationale en cause n’est pas aussi restrictive que ces questions le laissent entendre. En effet, il semble que les assujettis qui ont subi l’application de la condition des « acquisitions réglées » avaient le droit d’obtenir des intérêts de retard
même s’ils n’avaient pas introduit de demande spéciale, pour autant que, une fois leur créance déclarée, l’administration fiscale n’ait pas accordé la réparation due dans le délai prévu à l’article 37, paragraphe 4, du code de procédure fiscale ( 48 ).
98. Toutefois, il revient à la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑126/18 de vérifier que les hypothèses envisagées dans les questions correspondent aux circonstances réelles de l’affaire au principal.
1. Sur la troisième question
99. Par sa troisième question, la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑126/18 demande, en substance, si les principes d’effectivité et d’équivalence doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une pratique nationale qui, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, retient, comme date de début du calcul des intérêts de retard dus pour paiement tardif de la réparation, non pas la date à laquelle le dommage s’est produit ou celle de l’exigibilité initiale des
intérêts payés à titre de réparation du dommage principal, mais une date postérieure.
100. À ce sujet, je tiens à souligner que, à mon avis, l’obligation d’accorder une indemnisation qui se rapproche substantiellement d’une réparation intégrale du dommage causé par le manquement au droit de l’Union ne fait pas, en tant que telle, naître une obligation pour l’État membre concerné de payer des intérêts de retard en cas de paiement tardif d’une indemnité. En effet, le paiement de tels intérêts n’a pas pour origine directe la violation du droit de l’Union par l’État membre concerné, mais
il résulte de la circonstance objective que l’État membre en question s’est trouvé en retard de paiement d’une créance exigible.
101. À cet égard, je pense que le principe d’effectivité exige que les États membres prévoient dans leur législation le versement d’intérêts de retard en cas de paiement tardif d’une indemnité due pour un manquement par cet État membre à ses obligations en droit de l’Union. Dans le cas contraire, les États membres ne seraient pas incités à indemniser les personnes qui ont subi les effets d’une violation du droit de l’Union, ce qui aurait pour conséquence de priver de toute efficacité le droit de
celles‑ci à une réparation intégrale ( 49 ).
102. Dans l’affaire au principal, il semble que Dalmandi soit d’avis que des intérêts de retard auraient dû être appliqués à partir de la date à laquelle la condition des « acquisitions réglées » a été abrogée, voire à partir de la date où la Cour a rendu son arrêt du 28 juillet 2011, Commission/Hongrie (C‑274/10, EU:C:2011:530), car l’administration fiscale aurait dû l’indemniser automatiquement en raison de l’application de cette condition.
103. Certes, lorsque la Cour constate qu’un État membre a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du droit de l’Union en appliquant une législation nationale, le principe de primauté du droit de l’Union exige que cet État membre prenne immédiatement les mesures nécessaires pour abroger cette législation et que ses autorités nationales cessent immédiatement de l’appliquer ( 50 ).
104. Cependant ni le principe de primauté du droit de l’Union ni celui d’effectivité des recours n’exigent que les États membres prévoient spontanément une indemnisation pour les dommages qu’ils ont causés du fait de la violation du droit de l’Union, voire interrompent les délais de prescription en organisant, comme l’a fait la Hongrie, une procédure administrative d’indemnisation.
105. Il est vrai que, si la Cour constate qu’un acte législatif ou administratif émanant des autorités d’un État membre est contraire au droit de l’Union, cet État membre est obligé de rapporter l’acte dont il s’agit et de réparer, sous réserve de l’application des conditions de l’arrêt Francovich e.a., les effets illicites qu’il a pu produire ( 51 ).
106. Toutefois, comme la Cour l’a souligné à plusieurs reprises, les règles de procédure régissant le paiement d’une indemnité due en cas de violation du droit de l’Union dépendent du droit national, lequel peut subordonner toute indemnisation au dépôt d’une demande à cet effet ( 52 ). Ainsi, le simple fait que la Hongrie n’ait spontanément versé, que ce soit immédiatement après le prononcé de l’arrêt du 28 juillet 2011, Commission/Hongrie (C‑274/10, EU:C:2011:530) ou même après l’adoption de la loi
modificative, aucune indemnité aux assujettis qui avaient subi l’application de la condition des « acquisitions réglées » ne déclenche pas automatiquement l’application d’intérêts de retard sur cette indemnité. C’est seulement si la législation nationale prévoit que ces intérêts, lorsqu’un acte législatif national a été reconnu par une juridiction comme contraire à une règle de droit supérieure, courent de plein droit à compter du prononcé du jugement que, en vertu du principe d’équivalence,
l’État membre concerné est tenu d’appliquer spontanément des intérêts de retard.
107. En conséquence, puisque les États membres ne sont pas tenus de réparer spontanément les dommages qu’ils ont causés par la violation du droit de l’Union, il s’ensuit qu’un État membre peut, en principe, prévoir qu’aucun intérêt de retard ne court à compter de la date à laquelle le dommage s’est produit.
108. De même, les États membres ne sont pas tenus de prévoir que de tels intérêts doivent être versés immédiatement après que l’autorité ou le tribunal concerné a établi que ce dommage devait être réparé.
109. Il est vrai que, en cas de paiement tardif d’une indemnité due en vertu du droit de l’Union, les États membres doivent prévoir le paiement de tels intérêts. Toutefois, il ne saurait être exigé de l’administration qu’elle paie cette indemnité instantanément, aussitôt le dommage reconnu ( 53 ). Par conséquent, le principe d’effectivité n’oblige pas les États membres à retenir, comme date de début du calcul des intérêts de retard, la date à laquelle le dommage s’est produit ou à laquelle les
intérêts versés à titre de réparation du dommage principal sont initialement devenus exigibles, mais il requiert que la date de début se situe dans un délai raisonnable après que le dommage a été reconnu, que ce soit par l’organe administratif concerné ou par un tribunal.
110. Dans l’affaire au principal, la pratique nationale, telle que je la comprends, prévoit le paiement de tels intérêts lorsque l’administration n’a pas payé d’intérêts pour réparer le dommage dans les 30 jours (45 jours dans certains cas) suivant la présentation d’une demande d’indemnisation, ce qui semble un délai raisonnable pour que l’administration examine le fond de la demande. Un tel délai ne saurait donc être considéré comme contraire au principe d’effectivité.
111. Quant au principe d’équivalence, c’est à la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑126/18, dans la mesure où elle est la seule à savoir comment ce type d’intérêts est appliqué dans d’autres circonstances, qu’il appartient de vérifier que, dans le cas d’espèce, aucun délai plus court ne s’impose lorsque l’État membre concerné doit payer une indemnité pour un motif fondé exclusivement sur le droit fiscal national.
112. Dans ce contexte, je propose de répondre à la troisième question que les principes d’effectivité et d’équivalence des recours doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une pratique nationale qui, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, prend comme date de départ du calcul des intérêts de retard dus pour cause de versement tardif de la réparation non pas la date à laquelle les intérêts dus à titre d’indemnité pour le dommage principal sont devenus
exigibles initialement, mais une date postérieure, à condition, d’une part, que cette date ne soit pas reportée au-delà d’un délai raisonnable après la reconnaissance de l’obligation de payer cette indemnité et que, d’autre part, la même date soit appliquée en cas de paiement tardif d’une indemnité fondée exclusivement sur le droit national.
2. Sur la quatrième question
113. Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑126/18 demande, en substance, si les principes d’effectivité et d’équivalence doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une pratique nationale qui oblige l’assujetti désireux d’obtenir des intérêts de retard à introduire une demande spéciale, alors que, dans d’autres cas où des intérêts de retard sont également dus, une telle demande n’est pas requise, de tels intérêts étant accordés d’office.
114. À ce propos, je pense que le fait d’exiger des assujettis qu’ils introduisent un type particulier de demande n’est pas, en soi, contraire au principe d’effectivité. En effet, une telle exigence n’a pas pour conséquence, pour reprendre les termes de la Cour, de rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union ( 54 ). Toutefois, si cette exigence devait être appliquée rétroactivement à des assujettis qui ont introduit leurs
recours avant que la Cour ne statue sur la compatibilité de la condition des « acquisitions réglées » avec le droit de l’Union, cette exigence priverait (ou, à tout le moins, pourrait priver) ces recours de tout effet utile ( 55 ) et devrait donc être considérée comme contraire au principe d’effectivité.
115. En ce qui concerne le principe d’équivalence, tel qu’il est formulé, la question telle qu’elle est posée implique une violation de celui‑ci. En effet, ainsi qu’il est expliqué plus haut, le principe d’équivalence exige que les mêmes règles de procédure s’appliquent aux recours fondés sur le droit de l’Union et aux recours similaires fondés sur le droit national ( 56 ).
116. Toutefois, dans l’affaire au principal, certains éléments du dossier pourraient suggérer que, contrairement à la prémisse sur laquelle se fonde la quatrième question telle que formulée par la juridiction de renvoi, l’introduction d’une demande spéciale est requise non seulement dans des circonstances telles que celles qui sont en cause (à savoir dans le cas d’une violation du droit de l’Union), mais aussi dans certaines autres situations qui relèvent exclusivement du droit national.
117. Par conséquent, je propose de reformuler la quatrième question et d’y répondre que les principes d’effectivité et d’équivalence doivent être interprétés comme ne s’opposant pas à une pratique nationale qui oblige les assujettis à introduire une demande spéciale lorsqu’ils réclament des intérêts de retard, pour autant que cette exigence s’applique indépendamment du point de savoir si le dommage à l’origine de la créance dont le paiement est tardif résulte d’une violation du droit de l’Union ou
du droit national.
3. Sur les cinquième et huitième questions
118. Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les principes d’effectivité et d’équivalence doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une pratique nationale selon laquelle des intérêts de retard ne peuvent être accordés que si l’assujetti a introduit une demande dont l’objet spécifique est non pas le versement d’intérêts, mais l’obtention d’un remboursement de l’excédent de TVA déductible qui existait encore, en ce qui le concerne, à la date de
l’abrogation de la condition des « acquisitions réglées ».
119. Cette question préjudicielle est proche de la huitième question, par laquelle la juridiction de renvoi demande si les principes d’effectivité et d’équivalence s’opposent à une pratique nationale en vertu de laquelle des intérêts de retard ne peuvent être réclamés que si l’assujetti est en mesure de demander la récupération de l’excédent de TVA déductible pour la période de déclaration pendant laquelle la condition des « acquisitions réglées » a été abrogée.
120. J’examinerai donc ces deux questions ensemble, même s’il existe entre les deux, telles que je les comprends, une légère différence : la cinquième question concerne une obligation de forme, à savoir l’obligation pour l’assujetti de présenter une demande qui n’est pas liée à la créance dont le paiement est en souffrance, tandis que la huitième question a trait à une condition de fond, à savoir que l’assujetti doit être en mesure de demander la récupération de l’excédent de TVA déductible pour la
période de déclaration pendant laquelle la disposition contraire au droit de l’Union a été abrogée.
121. À cet égard, je dois admettre qu’une pratique exigeant de l’assujetti qu’il introduise un type particulier de demande afin d’obtenir des intérêts de retard, quoique inhabituelle, n’a pas, en tant que telle, pour conséquence de rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice de droits conférés par l’ordre juridique de l’Union. Une telle condition n’est donc pas contraire au principe d’effectivité, pour autant que les deux conditions suivantes soient remplies.
122. Premièrement, l’assujetti doit avoir été informé de manière relativement claire et en temps utile de la nécessité d’introduire ce type de demande afin d’obtenir des intérêts de retard.
123. Deuxièmement, cette exigence ne doit dissimuler aucune condition de fond. En particulier, elle ne doit pas avoir pour effet de réserver le paiement d’intérêts de retard aux seuls assujettis qui avaient encore un excédent de TVA déductible au moment de l’abrogation de la condition des « acquisitions réglées ». En effet, le dommage à l’origine de la créance a pu survenir bien avant la période imposable précédant celle au cours de laquelle la condition des « acquisitions réglées » a été abrogée.
Dans cette situation, l’assujetti devrait avoir le droit de réclamer des intérêts de retard en cas de paiement tardif de l’indemnité pour ce dommage – sauf prescription –, et ce même s’il n’existe plus d’excédent de TVA déductible en ce qui le concerne.
124. Par conséquent, j’estime que le principe d’effectivité empêche les États membres de réserver le paiement d’intérêts de retard aux seuls assujettis pour lesquels un excédent de TVA déductible existait encore lorsque la condition des « acquisitions réglées » a été abrogée.
125. En ce qui concerne le principe d’équivalence, celui‑ci pourrait également être méconnu si les exigences visées aux cinquième et huitième questions étaient appliquées uniquement en cas de versement tardif d’une indemnisation pour cause de violation du droit de l’Union et non pour cause de violation d’une règle de droit national. Il n’existe toutefois pas suffisamment d’informations pour vérifier si tel est effectivement le cas dans l’affaire au principal ( 57 ).
126. Bien entendu, il en irait tout autrement, en ce qui concerne l’exigence, pour l’assujetti, d’être en mesure de demander la récupération de l’excédent de TVA déductible pour la période de déclaration pendant laquelle la disposition contraire au droit de l’Union a été abrogée, si cette dernière s’appliquait uniquement aux demandes de paiement d’intérêts de retard pour cause de versement tardif de la réparation due au titre de la période très précise pour laquelle un excédent de TVA déductible a
été mentionné dans la déclaration de TVA précédant l’adoption de la loi modificative.
127. Dans un tel cas, étant donné que l’exigence en question n’empêcherait pas le paiement d’intérêts pour cause de versement tardif d’une compensation due en raison d’un dommage survenu antérieurement à cette période à un assujetti qui ne disposait plus d’un excédent de TVA déductible quand la condition des « acquisitions réglées » a été abrogée, aucune violation du principe d’effectivité ne peut, à mon avis, être dûment constatée. En effet, cette exigence reviendrait simplement à vérifier
l’existence d’un préjudice réel en demandant aux personnes concernées d’indiquer s’il existe en ce qui les concerne un excédent de TVA déductible pour la période imposable qui court.
128. À la lumière de ce qui précède, je propose de répondre aux cinquième et huitième questions que les principes d’effectivité et d’équivalence doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une pratique nationale selon laquelle des intérêts de retard ne peuvent être octroyés que si un assujetti a présenté une demande dont le contenu concerne non pas le paiement de l’indemnité due pour tout le préjudice résultant de l’application de la condition des « acquisitions réglées », mais la
récupération, à la date d’abrogation de cette condition, de l’excédent de TVA déductible existant à cette date, à la condition qu’il ne soit pas nécessaire, pour que l’assujetti puisse présenter une telle demande, qu’il subsiste à cette date, en ce qui le concerne, un excédent de TVA déductible et que cette exigence s’applique également en cas de versement tardif d’une indemnisation pour cause de violation d’une disposition de droit national.
4. Sur la sixième question
129. Par sa sixième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les principes d’effectivité et d’équivalence doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une pratique nationale d’un État membre en vertu de laquelle des intérêts de retard ne sont appliqués que pour le montant du préjudice financier qui s’est produit au cours de la période de déclaration de TVA précédant l’introduction de la demande.
130. À cet égard, il est nécessaire de rappeler que, dans l’affaire au principal, le préjudice s’est produit par le fait que l’administration fiscale, après que l’excédent de TVA déductible a été indiqué dans une déclaration fiscale, n’a pas remboursé celui‑ci dans le délai prévu par le droit national.
131. Dès lors, en prévoyant que les intérêts de retard ne s’appliquent que sur le montant du dommage survenu au cours de la période de déclaration de TVA précédant l’introduction de la demande, une pratique nationale telle que celle en cause au principal exige, d’une part, l’introduction d’une demande pour chaque période imposable et fixe, d’autre part, un délai de prescription. Ce délai de prescription correspond à la durée restante de la période imposable pendant laquelle le préjudice financier
est survenu, augmentée de la durée de la période imposable suivante. Je me propose maintenant d’examiner séparément ces deux effets de la pratique nationale.
132. La pratique nationale, en ce qu’elle a pour effet d’obliger les assujettis à introduire une demande dans le cas particulier où ils prétendent avoir subi une perte et un dommage, ne paraît pas contraire au principe d’effectivité ou d’équivalence, à condition que la même condition s’applique également en cas de retard de paiement d’une créance résultant d’une violation d’une règle du droit national ( 58 ).
133. Dans la mesure où cette pratique nationale a pour conséquence de créer un délai de prescription, elle pourrait s’avérer contraire au principe d’effectivité si ce délai de prescription était trop court pour permettre à une personne raisonnablement attentive et avisée de présenter une demande d’intérêts de retard, compte tenu de l’étendue des conditions de forme requises à cet égard et de l’étendue des informations pertinentes portées à son attention.
134. Tel serait également le cas si cette pratique était appliquée de manière rétroactive – c’est‑à‑dire à des périodes antérieures à son adoption – et si, ce faisant, elle faisait obstacle à tout versement d’intérêts de retard pour cause de paiement tardif d’une indemnisation relative à une période antérieure à la demande. En effet, dans une telle situation, il est évident que les assujettis seraient dans l’impossibilité de respecter ce délai faute de savoir que celui‑ci serait adopté. Il revient,
cependant, à la juridiction de renvoi d’apprécier ces deux aspects.
135. En ce qui concerne le principe d’équivalence, c’est la juridiction nationale qui doit déterminer si, dans au moins une situation comparable, un délai semblable est appliqué à une créance fondée exclusivement sur le droit national.
136. Par conséquent, je propose de répondre à la sixième question que les principes d’effectivité et d’équivalence doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une pratique d’un État membre en vertu de laquelle des intérêts de retard ne sont appliqués que pour le montant du préjudice financier qui s’est produit au cours de la période de déclaration de TVA précédant l’introduction de la demande, à condition que le délai de prescription établi par cette pratique nationale ne soit pas
trop court pour permettre à une personne raisonnablement attentive et avisée de présenter une demande d’intérêts de retard, que ce délai ne soit pas appliqué rétroactivement et qu’il s’applique également en cas de retard de paiement d’une créance résultant d’une infraction à une règle de droit national.
5. Sur la septième question
137. Par sa septième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les principes d’effectivité et d’équivalence doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une pratique nationale qui prive définitivement l’assujetti de la possibilité de réclamer des intérêts de retard au motif que, d’une part, la condition des « acquisitions réglées » était en vigueur au moment de son application et, d’autre part, le délai de prescription pour introduire une telle réclamation a expiré.
138. En ce qui concerne la première partie de la question, il convient de rappeler à nouveau que le paiement d’intérêts de retard est nécessaire pour garantir l’effectivité du droit d’un particulier à une réparation intégrale de tout dommage causé par la violation, par un État membre, du droit de l’Union. Par conséquent, j’estime que le fait que la disposition qui a ensuite été déclarée contraire au droit de l’Union était en vigueur au moment où elle a été appliquée ne saurait justifier la
non‑application d’intérêts de retard ( 59 ).
139. En ce qui concerne la seconde partie de la question, je ferai observer que la Cour a déjà reconnu la compatibilité avec le droit de l’Union de la fixation de délais raisonnables de recours ( 60 ), même si, par définition, l’écoulement de ces délais entraîne le rejet, total ou partiel, de l’action intentée ( 61 ). Toutefois, pour être compatibles avec le droit de l’Union, les délais de prescription appliqués aux recours en indemnisation pour violation du droit de l’Union doivent respecter les
principes d’équivalence et d’effectivité.
140. Dans l’affaire au principal, la pratique nationale prévoit un double délai de prescription ( 62 ).
141. Le premier concerne la période de déclaration fiscale pour laquelle une indemnisation peut être demandée. Selon les informations contenues dans le dossier transmis à la Cour, la pratique nationale prévoit, sur le fondement de l’article 164, paragraphe 1, du code de procédure fiscale, que seuls les dommages survenus depuis la dernière période de déclaration durant l’année 2005 peuvent être réparés.
142. Un tel délai de prescription ne semble pas contraire au principe d’effectivité puisqu’il ne rend pas impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés aux particuliers par l’ordre juridique de l’Union ( 63 ). En effet, la Cour a déjà reconnu comme compatible avec le droit de l’Union un délai de prescription de trois ans ( 64 ), voire même de deux ( 65 ). En outre, ce délai n’apparaît pas comme étant contraire au principe d’équivalence puisque le même délai de prescription de
cinq ans semble s’appliquer aux recours en réparation fondés sur la violation du droit national. Il appartient, toutefois, à la juridiction de renvoi de vérifier ce point.
143. Le second délai de prescription concerne la période durant laquelle les assujettis devaient introduire leur demande d’indemnisation.
144. Sur ce point, on peut inférer de la description des faits dans l’affaire C‑126/18, qui ont également été rappelés à l’audience par le gouvernement hongrois, que, même si les assujettis n’avaient pas introduit de demande spéciale, ils disposaient de cinq ans à compter de l’abrogation de la condition des « acquisitions réglées » pour introduire une demande d’indemnisation.
145. Le délai de prescription ne commençant pas à courir au moment de la matérialisation du préjudice, la pratique nationale semble avoir eu pour conséquence de prolonger le délai de prescription initial prévu à l’article 164, paragraphe 1, du code de procédure fiscale ( 66 ). Si cela est le cas, la Hongrie est allée bien au-delà de l’exigence du droit de l’Union, à savoir celle de prévoir un délai de prescription suffisant pour que les particuliers puissent exercer les droits que leur confère
l’ordre juridique de l’Union. Je ne vois pas comment, dans un tel contexte, le principe d’effectivité pourrait avoir été méconnu.
146. En ce qui concerne le principe d’équivalence, il ne ressort pas du dossier qu’un délai de prescription plus avantageux soit applicable lorsque la Kúria (Cour suprême) constate qu’une disposition est contraire à une norme supérieure de droit national.
147. Je propose donc de répondre à la septième question que les principes d’effectivité et d’équivalence doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une pratique nationale qui prive définitivement l’assujetti de la possibilité de réclamer des intérêts de retard au motif que la condition des « acquisitions réglées » était en vigueur au moment de son application. Cependant, ces principes ne s’opposent pas à une pratique nationale qui prive définitivement l’assujetti de la possibilité de
réclamer des intérêts de retard lorsque le délai de prescription pour présenter une telle réclamation a expiré, à condition que ce délai de prescription, premièrement, ne soit pas déraisonnablement court et, deuxièmement, s’applique également au paiement tardif de créances relatives à des dommages causés par une disposition enfreignant une norme de droit national. Pour dissiper tout doute éventuel, j’estime qu’il est évident que le délai de prescription de cinq ans applicable en l’espèce ne
saurait, en soi, être considéré comme déraisonnablement court.
V. Conclusion
148. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Szegedi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Szeged, Hongrie) et par le Szekszárdi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Szekszárd, Hongrie) dans les termes suivants :
1) Le principe de primauté du droit de l’Union doit être interprété, dans des situations telles que celles décrites par les juridictions de renvoi, comme s’opposant à une pratique nationale selon laquelle les intérêts dus à titre de réparation du dommage causé par l’application de la condition des « acquisitions réglées » sont calculés sur la base d’un taux correspondant à celui que la banque centrale compétente applique aux opérations principales de refinancement, et cela sans augmenter ce
taux pour refléter celui qu’un assujetti qui n’est pas un établissement de crédit aurait pu obtenir pour emprunter le même montant et sans davantage prévoir de quelconques intérêts pour compenser la dépréciation monétaire affectant la valeur de l’indemnisation due, lorsque celle‑ci a été calculée à la date où ledit dommage est devenu définitif.
2) Les principes d’effectivité et d’équivalence des recours doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une pratique nationale qui, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, prend comme date de départ du calcul d’intérêts de retard dus pour cause de versement tardif de la réparation non pas la date à laquelle les intérêts dus à titre d’indemnité pour le dommage principal sont devenus exigibles initialement, mais une date postérieure, à condition, d’une
part, que cette date ne soit pas reportée au-delà d’un délai raisonnable après la reconnaissance de l’obligation de payer cette indemnité et que, d’autre part, la même date soit appliquée en cas de paiement tardif d’une indemnité fondée exclusivement sur le droit national.
3) Les principes d’effectivité et d’équivalence doivent être interprétés comme ne s’opposant pas à une pratique nationale qui oblige les assujettis à introduire une demande spéciale lorsqu’ils réclament des intérêts de retard, pour autant que cette exigence s’applique indépendamment du point de savoir si le dommage à l’origine de la créance dont le paiement est tardif résulte d’une violation du droit de l’Union ou du droit national.
4) Les principes d’effectivité et d’équivalence doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une pratique nationale selon laquelle des intérêts de retard ne peuvent être octroyés que si un assujetti a présenté une demande dont le contenu concerne non pas le paiement de l’indemnité due pour tout le préjudice résultant de l’application de la condition des « acquisitions réglées », mais la récupération, à la date d’abrogation de cette condition, de l’excédent de TVA déductible
existant à cette date, à la condition qu’il ne soit pas nécessaire, pour que l’assujetti puisse présenter une telle demande, qu’il subsiste à cette date, en ce qui le concerne, un excédent de TVA déductible et que cette exigence s’applique également en cas de versement tardif d’une indemnisation pour cause de violation d’une disposition de droit national.
5) Les principes d’effectivité et d’équivalence doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une pratique d’un État membre en vertu de laquelle des intérêts de retard ne sont appliqués que pour le montant du préjudice financier qui s’est produit au cours de la période de déclaration de TVA précédant l’introduction de la demande, à condition que le délai de prescription établi par cette pratique nationale ne soit pas trop court pour permettre à une personne raisonnablement
attentive et avisée de présenter une demande d’intérêts de retard, que ce délai ne soit pas appliqué rétroactivement et qu’il s’applique également en cas de retard de paiement d’une créance résultant d’une infraction à une règle de droit national.
6) Les principes d’effectivité et d’équivalence doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une pratique nationale qui prive définitivement l’assujetti de la possibilité de réclamer des intérêts de retard au motif que la condition des « acquisitions réglées » était en vigueur au moment de son application. Cependant, ces principes ne s’opposent pas à une pratique nationale qui prive définitivement l’assujetti de la possibilité de réclamer des intérêts de retard lorsque le délai de
prescription pour présenter une telle réclamation a expiré, à condition que ce délai de prescription, premièrement, ne soit pas déraisonnablement court et, deuxièmement, s’applique également au paiement tardif de créances relatives à des dommages causés par une disposition enfreignant une norme de droit national.
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( 1 ) Langue originale : l’anglais.
( 2 ) Il semble que, malgré plusieurs modifications, le contenu de cette disposition soit demeuré essentiellement le même, sous cette réserve près que le délai de 45 jours est désormais applicable si le montant de la créance de remboursement dépasse 1000000 de forints hongrois (HUF).
( 3 ) Il semble que, dans la version applicable jusqu’au 31 décembre 2011, la Kúria (Cour suprême, Hongrie) n’était pas citée parmi les juridictions mentionnées.
( 4 ) Voir, notamment, arrêt du 16 juillet 2015, CHEZ Razpredelenie Bulgaria (C‑83/14, EU:C:2015:480, point 71).
( 5 ) D’après la jurisprudence constante de la Cour, « la primauté du droit de l’Union exige que les juridictions nationales chargées d’appliquer, dans le cadre de leurs compétences, les dispositions du droit de l’Union aient l’obligation d’assurer le plein effet de ces dispositions en laissant au besoin inappliquée, de leur propre autorité, toute disposition nationale contraire, sans demander ni attendre l’élimination préalable de cette disposition nationale par la voie législative ou par tout
autre procédé constitutionnel » (arrêt du 4 décembre 2018, Minister for Justice and Equality et Commissioner of An Garda Síochána, C‑378/17, EU:C:2018:979, point 35).
( 6 ) Sur ce point, la Cour a été claire : en conséquence et en complément des droits conférés aux justiciables par les dispositions du droit de l’Union prohibant de tels impôts, droits ou taxes, les assujettis doivent, en principe, recevoir un remboursement intégral [voir arrêt du 28 février 2018, Nidera (C‑387/16, EU:C:2018:121, point 24)]. La situation est, toutefois, différente s’il est établi que la personne tenue au paiement de l’impôt a, en fait, répercuté celui‑ci sur d’autres personnes sans
que ses parts de marché ou ses bénéfices en aient été affectés [voir arrêt du 6 septembre 2011, Lady & Kid e.a. (C‑398/09, EU:C:2011:540, points 17 et 18)].
( 7 ) Le droit que les particuliers tirent du droit de l’Union d’être indemnisés pour toute infraction à ce droit commise par un État membre est une conséquence du principe de primauté du droit de l’Union. Voir arrêts du 8 mars 2001, Metallgesellschaft e.a. (C‑397/98 et C‑410/98, EU:C:2001:134, points 84 et 106), et du 13 mars 2007, Test Claimants in the Thin Cap Group Litigation (C‑524/04, EU:C:2007:161, point 125). Selon la jurisprudence de la Cour, ce droit est inhérent au système des traités sur
lesquels le droit de l’Union est fondé. Voir, notamment, arrêt du 19 juin 2014, Specht e.a. (C‑501/12 à C‑506/12, C‑540/12 et C‑541/12, EU:C:2014:2005, point 98).
( 8 ) Arrêt du 19 novembre 1991, Francovich e.a. (C‑6/90 et C‑9/90, EU:C:1991:428, point 40).
( 9 ) Voir, notamment, arrêt du 26 janvier 2010, Transportes Urbanos y Servicios Generales (C‑118/08, EU:C:2010:39, point 30).
( 10 ) Compte tenu du principe de protection de la confiance légitime, ou du principe « nemo potest venire contra factum proprium » qui est consacré par le droit de l’Union [voir, notamment, arrêt du 6 novembre 2014, Italie/Commission (C‑385/13 P, non publié, EU:C:2014:2350, point 67)] et qui correspond au principe d’estoppel en common law, je pense que la jurisprudence relative aux recours en dommages et intérêts contre les institutions de l’Union est transposable aux recours en dommages et
intérêts contre les États membres.
( 11 ) Voir, notamment, arrêt du 14 octobre 2014, Giordano/Commission (C‑611/12 P, EU:C:2014:2282, point 36).
( 12 ) En effet, si des assujettis ont introduit une demande à la suite du refus de rembourser leur excédent de TVA déductible, on peut présumer qu’ils souhaitaient obtenir un tel remboursement plutôt qu’un report qu’ils auraient pu invoquer lors de leur déclaration de TVA suivante. En revanche, et sauf preuve du contraire, on ne peut pas, en ce qui concerne les assujettis qui ont soumis leur demande après qu’a été rendu l’arrêt du 28 juillet 2011, Commission/Hongrie (C‑274/10, EU:C:2011:530),
supposer qu’ils auraient souhaité obtenir un tel remboursement.
( 13 ) Voir point 34 de l’ordonnance Delphi. Par le seul fait qu’une personne a été privée d’une somme d’argent, fût-ce pendant une courte période, celle‑ci doit être considérée comme ayant subi un dommage. Voir arrêt du 28 février 2018, Nidera (C‑387/16, EU:C:2018:121, point 32).
( 14 ) Voir, par analogie, arrêt du 3 février 1994, Grifoni/Commission (C‑308/87, EU:C:1994:38, point 16).
( 15 ) Voir conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Inter-Environnement Wallonie et Bond Beter Leefmilieu Vlaanderen (C‑411/17, EU:C:2018:972, points 201 à 205) ; voir aussi arrêts du 8 septembre 2010, Winner Wetten (C‑409/06, EU:C:2010:503, point 67) ; du 28 février 2012, Inter-Environnement Wallonie et Terre wallonne (C‑41/11, EU:C:2012:103, point 63), et du 27 juin 2019, Belgisch Syndicaat van Chiropraxie e.a. (C‑597/17, EU:C:2019:544, point 61).
( 16 ) Voir, en ce sens, arrêts du 17 mai 1990, Barber (C‑262/88, EU:C:1990:209, point 41) ; du 8 septembre 2010, Winner Wetten (C‑409/06, EU:C:2010:503, point 67), et du 28 juillet 2016, Association France Nature Environnement (C‑379/15, EU:C:2016:603, point 33).
( 17 ) Pour qu’une telle limitation puisse être décidée, il est nécessaire que deux critères essentiels soient réunis, à savoir que les États membres concernés aient agi de bonne foi et qu’il y ait un risque de troubles graves. Voir arrêt du 29 septembre 2015, Gmina Wrocław (C‑276/14, EU:C:2015:635, point 45). Il est de jurisprudence constante que les conséquences financières qui pourraient découler pour un État membre d’un arrêt rendu à titre préjudiciel ne justifient pas, par elles‑mêmes, la
limitation des effets de cet arrêt dans le temps. Voir, notamment, arrêt du 29 juillet 2010, Brouwer (C‑577/08, EU:C:2010:449, point 34).
( 18 ) Voir, notamment, arrêts du 2 août 1993, Marshall (C‑271/91, EU:C:1993:335, point 26), et du 8 mars 2001, Metallgesellschaft e.a. (C‑397/98 et C‑410/98, EU:C:2001:134, point 95).
( 19 ) Voir arrêt du 19 juillet 2012, Littlewoods Retail e.a. (C‑591/10, EU:C:2012:478, point 29).
( 20 ) Voir, dans le même sens, arrêt du 27 janvier 2000, Mulder e.a./Conseil et Commission (C‑104/89 et C‑37/90, EU:C:2000:38, point 63). Cette exception trouve une bonne illustration dans la jurisprudence relative à la perte de chance [voir, notamment, arrêt du 13 mars 2013, AK/Commission (F‑91/10, EU:F:2013:34, point 92)]. À mon avis, c’est ce sur quoi la Cour a mis l’accent lorsqu’elle a, à certaines occasions, utilisé la notion de « réparation adéquate » ou dit que « [l]’indemnisation sous
forme d’intérêts peut être, selon les cas, supérieure ou inférieure aux pertes réelles »« afin d’assurer une compensation par des règles aisément gérées et contrôlées par l’administration fiscale », comme elle l’a fait dans son arrêt du 28 février 2018, Nidera (C‑387/16, EU:C:2018:121, point 36). Cette interprétation trouve un appui dans le fait que, au point 37 du même arrêt, la Cour a dit que l’assujetti devrait pouvoir « récupérer […] la totalité de la créance résultant de l’excédent de TVA sans
courir aucun risque financier » (italique ajouté par mes soins), ce qui donne à penser que la Cour n’a pas souhaité s’écarter du principe de droit à une réparation intégrale.
( 21 ) Comme l’a indiqué la Cour, s’il est vrai que « c’est dans le cadre du droit national de la responsabilité qu’il incombe à l’État de réparer les conséquences du préjudice causé », cela vaut « sous réserve du droit à réparation qui trouve directement son fondement dans le droit [de l’Union] dès lors que ces conditions sont réunies » [voir, notamment, ordonnance du 23 avril 2008, Test Claimants in the CFC and Dividend Group Litigation (C‑201/05, EU:C:2008:239, point 126)].
( 22 ) Voir, en ce sens, arrêt du 4 décembre 2018, Minister for Justice and Equality et Commissioner of An Garda Síochána (C‑378/17, EU:C:2018:979, point 39).
( 23 ) Voir, notamment, arrêt du 12 février 2015, Commission/IPK International (C‑336/13 P, EU:C:2015:83, point 30).
( 24 ) Voir arrêt du 28 février 2018, Nidera (C‑387/16, EU:C:2018:121, points 28 et 29). En principe, les intérêts visant à compenser l’écoulement du temps jusqu’à l’évaluation juridictionnelle du montant du préjudice, indépendamment de tout retard imputable au débiteur, sont appelés « intérêts compensatoires » et font partie de l’indemnisation accordée [voir arrêt du Tribunal du 10 janvier 2017, Gascogne Sack Deutschland et Gascogne/Union européenne (T‑577/14, EU:T:2017:1, point 168 et
jurisprudence citée)].
( 25 ) Voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2005, MyTravel (C‑291/03, EU:C:2005:591, point 17).
( 26 ) Voir, notamment, ordonnance du 21 octobre 2015, Kovozber (C‑120/15, non publiée, EU:C:2015:730, point 30).
( 27 ) Lorsque la question se pose de savoir si les règles de procédure nationales rendent soit impossible en pratique, soit excessivement difficile l’exercice des droits conférés aux particuliers par l’ordre juridique de l’Union, celle‑ci doit être analysée en tenant compte de la place des règles concernées dans l’ensemble de la procédure, du déroulement de cette procédure et des particularités de ces règles, devant les diverses instances nationales (arrêt du 6 octobre 2015, Târşia, C‑69/14,
EU:C:2015:662, point 36).
( 28 ) Arrêt du 13 mars 2007, Unibet (C‑432/05, EU:C:2007:163, point 43).
( 29 ) Arrêt du 12 décembre 2013, Test Claimants in the Franked Investment Income Group Litigation (C‑362/12, EU:C:2013:834, point 32).
( 30 ) Voir, notamment, arrêt du 20 décembre 2017, Caterpillar Financial Services (C‑500/16, EU:C:2017:996, point 41).
( 31 ) Voir, à ce propos, arrêt du 19 juillet 2012, Littlewoods Retail e.a. (C‑591/10, EU:C:2012:478, point 31 et jurisprudence citée).
( 32 ) Arrêt du 15 avril 2010, Barth (C‑542/08, EU:C:2010:193, point 20).
( 33 ) Contrairement au point de vue défendu par la Commission européenne lors de l’audience, j’estime que les assujettis concernés ont subi un dommage lié non pas à un manque à gagner, mais à une diminution de leurs liquidités. En tout état de cause, je relève que la Cour a déjà jugé qu’un manque à gagner doit être réparé [voir arrêt du 8 mars 2001, Metallgesellschaft e.a. (C‑397/98 et C‑410/98, EU:C:2001:134, point 91)].
( 34 ) Voir, notamment, arrêt du 6 juillet 2017, Glencore Agriculture Hungary (C‑254/16, EU:C:2017:522, point 22).
( 35 ) Arrêts du 24 octobre 2013, Rafinăria Steaua Română (C‑431/12, EU:C:2013:686, point 24) ; du 6 juillet 2017, Glencore Agriculture Hungary (C‑254/16, EU:C:2017:522, point 20), et du 28 février 2018, Nidera (C‑387/16, EU:C:2018:121, point 25). En l’espèce, les juridictions nationales n’ont pas précisé dans quel délai l’administration fiscale hongroise remboursait les excédents de TVA déductible lorsque la condition des « acquisitions réglées » était satisfaite ab initio. Sole-Mizo a, cependant,
indiqué que ce délai était de 45 jours.
( 36 ) À titre de comparaison, voir article 99, paragraphe 2, du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 (JO 2018, L 193,
p. 1), ou article 2, point 6, de la directive 2011/7/UE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 2011, concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales (JO 2011, L 48, p. 1).
( 37 ) Voir point 48 des présentes conclusions.
( 38 ) Voir, notamment, arrêt du 27 janvier 2000, Mulder e.a./Conseil et Commission (C‑104/89 et C‑37/90, EU:C:2000:38, point 51).
( 39 ) Voir, également, arrêt du 24 octobre 2013, Rafinăria Steaua Română (C‑431/12, EU:C:2013:686, point 23). À cet égard, il importe de souligner que, pour qu’une réparation intégrale soit garantie, les intérêts visant à compenser la dépréciation monétaire doivent continuer à courir jusqu’à ce que la réparation ait effectivement lieu.
( 40 ) La déclaration de TVA du mois de septembre 2011 est celle qui couvre la période pendant laquelle la loi modificative a été adoptée.
( 41 ) D’un point de vue logique, étant donné que le mode de calcul utilisé par la pratique nationale consiste à traiter chaque période de déclaration de manière indépendante – et donc à considérer qu’un préjudice résultant de l’application de la condition des « acquisitions réglées » est devenu définitif à la fin de chaque période imposable –, des intérêts auraient dû être appliqués pour compenser la dépréciation monétaire qui s’est produite à partir de la fin de chaque période imposable.
( 42 ) La raison en est très probablement que l’article 165, paragraphe 2, du code de procédure fiscale prévoit qu’« [u]ne pénalité de retard ne peut donner lieu elle‑même à l’application d’une pénalité de retard ». Toutefois, si cette disposition devait être interprétée en ce sens qu’elle interdit l’application d’intérêts pour compenser la dépréciation monétaire, j’estime qu’elle devrait être déclarée contraire au droit de l’Union.
( 43 ) Voir, par analogie, arrêts du 2 août 1993, Marshall (C‑271/91, EU:C:1993:335, point 31), et du 4 décembre 2003, Evans (C‑63/01, EU:C:2003:650, point 68).
( 44 ) Arrêt du 28 janvier 2015, Starjakob (C‑417/13, EU:C:2015:38, point 71).
( 45 ) Arrêt du 17 novembre 1998, Aprile (C‑228/96, EU:C:1998:544, point 20).
( 46 ) Voir, par analogie, arrêt du 20 décembre 2017, Caterpillar Financial Services (C‑500/16, EU:C:2017:996, point 40). Je relève aussi que la Cour a, dans le contexte d’un recours direct, dit que, si les motifs d’un arrêt trahissent une violation du droit de l’Union, alors que son dispositif apparaît fondé pour d’autres motifs de droit, le pourvoi doit être rejeté [voir, notamment, arrêt du 7 juin 2018, Ori Martin/Cour de justice de l’Union européenne (C‑463/17 P, EU:C:2018:411, point 24)].
( 47 ) Vu la typologie des intérêts en droit de l’Union, telle qu’identifiée par l’avocat général Bot dans ses conclusions dans l’affaire Commission/IPK International (C‑336/13 P, EU:C:2014:2170), je pense que les intérêts dus pour réparer le dommage résultant de l’application de la condition des « acquisitions réglées », ainsi que ceux qui auraient dû être prévus pour compenser les effets de la dépréciation monétaire, relèvent de la notion d’« intérêts compensatoires » et que, dans les
circonstances de l’affaire au principal, la notion d’« intérêts de retard » devrait être utilisée pour désigner les intérêts de retard dus en cas de versement tardif des intérêts compensatoires.
( 48 ) De plus, il apparaît que Dalmandi a reçu des intérêts de retard à cause de la tardiveté de l’indemnisation à laquelle cette entreprise avait droit, après avoir soumis une demande à cet effet.
( 49 ) Voir, à ce propos, arrêt du 30 juin 2016, Ciup (C‑288/14, non publié, EU:C:2016:495, point 46). Puisque l’obligation de payer des intérêts de retard résulte du principe d’effectivité et du droit à une réparation intégrale, les États membres sont libres de fixer le taux de ces intérêts de retard, à condition que ce taux incite l’administration à verser au plus vite la réparation due.
( 50 ) Arrêt du 13 juillet 1972, Commission/Italie (48/71, EU:C:1972:65, point 7). Dans l’affaire au principal, cela implique que la Hongrie était tenue, de sa propre initiative, de cesser d’appliquer la condition des « acquisitions réglées » et de rembourser les excédents de TVA déductible qui existaient encore à la date où a été rendu l’arrêt du 28 juillet 2011, Commission/Hongrie (C‑274/10, EU:C:2011:530).
( 51 ) Voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 1960, Humblet/État belge (6/60‑IMM, EU:C:1960:48, p. 1146).
( 52 ) Arrêt du 4 octobre 2018, Kantarev (C‑571/16, EU:C:2018:807, point 123). Cette solution est tout à fait logique dans la mesure où la détermination du montant exact de la réparation du préjudice subi nécessite de prendre en compte, pour quantifier celui‑ci, certains paramètres factuels que seules les personnes concernées sont en mesure de connaître.
( 53 ) Voir, par analogie, arrêt du 15 mars 2018, Deichmann (C‑256/16, EU:C:2018:187, point 20).
( 54 ) Arrêt du 11 avril 2019, PORR Építési Kft. (C‑691/17, EU:C:2019:327, point 39).
( 55 ) Selon la jurisprudence de la Cour, les États membres sont libres d’appliquer une réglementation nouvelle aux effets futurs de situations nées sous l’empire de la réglementation antérieure [voir arrêt du 29 juin 1999, Butterfly Music (C‑60/98, EU:C:1999:333, point 25)]. Toutefois, le principe de protection de la confiance légitime s’oppose à ce qu’une modification de la réglementation nationale prive un assujetti avec effet rétroactif d’un droit qu’il a acquis sur le fondement de la
réglementation antérieure [arrêt du 12 mai 2011, Enel Maritsa Iztok 3 (C‑107/10, EU:C:2011:298, point 39)].
( 56 ) Arrêt du 28 janvier 2015, Starjakob (C‑417/13, EU:C:2015:38, point 71). Toutefois, ce principe ne sera pas méconnu si le dépôt d’une demande spéciale est imposé par la législation nationale pour obtenir le versement d’intérêts de retard alors qu’une telle exigence n’existe pas pour les autres types d’intérêts. En effet, puisque le principe d’équivalence exige seulement que les mêmes règles de procédure s’appliquent aux recours fondés sur le droit de l’Union et aux recours similaires fondés
sur le droit national, il ne s’oppose pas à l’application de règles de procédure différentes à des types d’intérêts qui ne sont pas similaires.
( 57 ) En particulier, il conviendrait donc, puisqu’une telle exigence reviendrait à imposer un délai spécifique pour obtenir des intérêts de retard, de s’assurer qu’elle s’applique également à des prétentions similaires reposant exclusivement sur le droit national.
( 58 ) Voir points 114 et 121 des présentes conclusions pour une analyse plus approfondie.
( 59 ) Dans l’affaire au principal, cependant, ce motif a été invoqué pour justifier non pas le non‑paiement d’intérêts de retard, mais bien la non‑application, en vue du calcul de l’indemnité due en raison de l’application de la condition des « acquisitions réglées », d’un taux d’intérêt égal à deux fois le taux de base de la banque centrale.
( 60 ) Voir, notamment, arrêt du 19 juin 2014, Specht e.a. (C‑501/12 à C‑506/12, C‑540/12 et C‑541/12, EU:C:2014:2005, point 115).
( 61 ) Arrêt du 20 décembre 2017, Caterpillar Financial Services (C‑500/16, EU:C:2017:996, point 42).
( 62 ) Ce double délai de prescription amène à considérer que l’adoption de la loi modificative a interrompu les délais de prescription en cours.
( 63 ) Par conséquent, lorsque la Cour estime que la législation nationale est contraire au droit de l’Union, les États membres concernés ne sont pas obligés de réexaminer les situations qui sont devenues définitives après l’épuisement des recours disponibles ou après l’expiration des délais impartis pour intenter ces recours [voir, notamment, arrêt du 8 mars 1988, Brown/Cour de justice (125/87, EU:C:1988:136, point 14), et, par analogie, arrêts du 30 septembre 2003, Köbler (C‑224/01, EU:C:2003:513,
point 38) ; du 16 mars 2006, Kapferer (C‑234/04, EU:C:2006:178, point 20), et du 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti (C‑213/13, EU:C:2014:2067, point 58)].
( 64 ) Arrêt du 15 avril 2010, Barth (C‑542/08, EU:C:2010:193, point 28).
( 65 ) Arrêt du 15 décembre 2011, Banca Antoniana Popolare Veneta (C‑427/10, EU:C:2011:844, point 25). Dans le cas de l’impôt communautaire versé par les fonctionnaires et agents des institutions, le délai de réclamation est celui qui est fixé par le statut des fonctionnaires de l’Union européenne et le régime applicable aux autres agents de l’Union européenne. Selon la jurisprudence du Tribunal, le délai applicable est de trois mois à partir de la réception des bulletins de rémunération, lesquels
font apparaître, clairement et pour la première fois, une décision de caractère pécuniaire [voir, notamment, arrêt du 14 décembre 2017, Campo e.a./SEAE (T‑577/16, non publié, EU:T:2017:909, points 34 à 36)].
( 66 ) Sur la base de cette disposition, la Hongrie aurait pu refuser de donner suite à des demandes concernant des dommages qui se sont produits plus de cinq ans après le dernier jour de l’année civile au cours de laquelle la déclaration ou notification relative à cette taxe aurait dû être faite ou, en l’absence d’une telle déclaration ou notification, au cours de laquelle la taxe aurait dû être payée.