ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
7 novembre 2019 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Principe du pollueur-payeur – Directive 2000/60/CE – Article 9, paragraphe 1 – Récupération des coûts des services liés à l’utilisation de l’eau – Règles communes pour le marché intérieur de l’électricité – Directive 2009/72/CE – Article 3, paragraphe 1 – Principe de non-discrimination – Article 107, paragraphe 1, TFUE – Aide d’État – Redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique – Redevance due uniquement par les producteurs
d’énergie hydroélectrique opérant sur des bassins hydrographiques intercommunautaires »
Dans les affaires jointes C‑105/18 à C‑113/18,
ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne), par décisions du 27 juin 2017 (C‑105/18, C‑106/18, C‑108/18, C‑110/18 et C‑111/18), du 18 juillet 2017 (C‑107/18 et C‑113/18), du 4 juillet 2018 (C‑109/18) et du 11 juillet 2017 (C‑112/18) parvenues à la Cour le 13 février 2018, dans les procédures
Asociación Española de la Industria Eléctrica (UNESA) (C‑105/18),
Energía de Galicia (Engasa) SA (C‑106/18),
Duerocanto SL (C‑107/18),
Corporación Acciona Hidráulica (Acciona) SLU (C‑108/18),
Associació de Productors i Usuaris d’Energia Elèctrica (C‑109/18),
José Manuel Burgos Pérez,
María del Amor Guinea Bueno (C‑110/18),
Endesa Generación SA (C‑111/18),
Asociación de Empresas de Energías Renovables (APPA) (C‑112/18),
Parc del Segre SA,
Electra Irache SL,
Genhidro Generación Hidroeléctrica SL,
Hicenor SL,
Hidroeléctrica Carrascosa SL,
Hidroeléctrica del Carrión SL,
Hidroeléctrica del Pisuerga SL,
Hidroeléctrica Santa Marta SL,
Hyanor SL,
Promotora del Rec dels Quatre Pobles SA (C‑113/18),
contre
Administración General del Estado,
en présence de :
Iberdrola Generación SAU,
Hidroeléctrica del Cantábrico SA,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. E. Regan, président de chambre, MM. I. Jarukaitis, E. Juhász, M. Ilešič et C. Lycourgos (rapporteur), juges,
avocat général : M. G. Hogan,
greffier : Mme L. Carrasco Marco, administratrice,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 28 février 2019,
considérant les observations présentées :
– pour l’Asociación Española de la Industria Eléctrica (UNESA), par Me J. C. García Muñoz, abogado, assisté de Mme M. C. Villaescusa Sanz, procuradora,
– pour Energía de Galicia (Engasa) SA, par Mes F. Plasencia Sánchez et B. Ruiz Herrero, abogados, assistés de Mme P. Ortiz-Cañavate Levenfeld, procuradora,
– pour la Corporación Acciona Hidráulica (Acciona) SLU, par Me F. Plasencia Sánchez, assisté de Mme A. Lázaro Gogorza, procuradora,
– pour l’Associació de Productors i Usuaris d’Energia Elèctrica, par Me J. C. Hernanz Junquero, abogado, et Mme D. Martín Cantón, procuradora,
– pour Endesa Generación SA, par Mes J. L. Buendía Sierra, F. J. López Villalta y Peinado, E. Gardeta González, J. M. Cobos Gómez et A. Lamadrid de Pablo, abogados,
– pour Parc del Segre SA e.a., par Me P. M. Holtrop, abogado, assisté de M. F. S. Juanas Blanco, procurador,
– pour Iberdrola Generación SAU, par Mes J. Ruiz Calzado et J. Domínguez Pérez, abogados, assistés de M. J. L. Martín Jaureguibeitia, procurador,
– pour le gouvernement espagnol, par M. A. Rubio González et Mme V. Ester Casas, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement allemand, initialement par MM. T. Henze et J. Möller, puis par M. J. Möller, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par Mmes O. Beynet et P. Němečková ainsi que par MM. G. Luengo et E. Manhaeve, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 8 mai 2019,
rend le présent
Arrêt
1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 191, paragraphe 2, TFUE, de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2000, établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau (JO 2000, L 327, p. 1), de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur de
l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE (JO 2009, L 211, p. 55), ainsi que de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre d’un litige opposant l’Asociación Española de la Industria Eléctrica (UNESA) ainsi que plusieurs autres producteurs espagnols d’énergie hydroélectrique à l’Administración General del Estado (Administration générale de l’État, Espagne) au sujet de la légalité de la redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La directive 2000/60
3 Le considérant 13 de la directive 2000/60 énonce :
« Les conditions et besoins divers existant dans la Communauté exigent des solutions spécifiques. Il y a lieu de prendre en compte cette diversité dans la planification et la mise en œuvre de mesures visant la protection et l’utilisation écologiquement viable des eaux dans le cadre du bassin hydrographique. Il convient que les décisions soient prises à un niveau aussi proche que possible des lieux d’utilisation ou de dégradation de l’eau. Il y a lieu de donner la priorité aux actions relevant de
la responsabilité des États membres, en élaborant des programmes d’actions adaptées aux conditions locales et régionales. »
4 L’article 4 de cette directive dispose :
« 1. En rendant opérationnels les programmes de mesures prévus dans le plan de gestion du district hydrographique :
a) pour ce qui concerne les eaux de surface
i) les États membres mettent en œuvre les mesures nécessaires pour prévenir la détérioration de l’état de toutes les masses d’eau de surface, sous réserve de l’application des paragraphes 6 et 7 et sans préjudice du paragraphe 8 ;
ii) les États membres protègent, améliorent et restaurent toutes les masses d’eau de surface, sous réserve de l’application du point iii) en ce qui concerne les masses d’eau artificielles et fortement modifiées afin de parvenir à un bon état des eaux de surface au plus tard quinze ans après la date d’entrée en vigueur de la présente directive, conformément aux dispositions de l’annexe V, sous réserve de l’application des reports déterminés conformément au paragraphe 4 et de l’application des
paragraphes 5, 6 et 7 et sans préjudice du paragraphe 8 ;
iii) les États membres protègent et améliorent toutes les masses d’eau artificielles et fortement modifiées, en vue d’obtenir un bon potentiel écologique et un bon état chimique des eaux de surface au plus tard quinze ans après la date d’entrée en vigueur de la présente directive, conformément aux dispositions énoncées à l’annexe V, sous réserve de l’application des reports déterminés conformément au paragraphe 4 et de l’application des paragraphes 5, 6 et 7 et sans préjudice du paragraphe 8 ;
iv) les États membres mettent en œuvre les mesures nécessaires en vertu de l’article 16, paragraphes 1 et 8, afin de réduire progressivement la pollution due aux substances prioritaires et d’arrêter ou de supprimer progressivement les émissions, les rejets et les pertes de substances dangereuses prioritaires
sans préjudice des accords internationaux pertinents visés à l’article 1er pour les parties concernées ;
[...] »
5 L’article 9 de ladite directive prévoit :
« 1. Les États membres tiennent compte du principe de la récupération des coûts des services liés à l’utilisation de l’eau, y compris les coûts pour l’environnement et les ressources, eu égard à l’analyse économique effectuée conformément à l’annexe III et conformément, en particulier, au principe du pollueur-payeur.
Les États membres veillent, d’ici à 2010, à ce que :
– la politique de tarification de l’eau incite les usagers à utiliser les ressources de façon efficace et contribue ainsi à la réalisation des objectifs environnementaux de la présente directive,
– les différents secteurs économiques, décomposés en distinguant au moins le secteur industriel, le secteur des ménages et le secteur agricole, contribuent de manière appropriée à la récupération des coûts des services de l’eau, sur la base de l’analyse économique réalisée conformément à l’annexe III et compte tenu du principe du pollueur-payeur.
Ce faisant, les États membres peuvent tenir compte des effets sociaux, environnementaux et économiques de la récupération ainsi que des conditions géographiques et climatiques de la région ou des régions concernées.
2. Les États membres font rapport, dans le plan de gestion de district hydrographique, sur les mesures prévues pour la mise en œuvre du paragraphe 1 qui contribueront à la réalisation des objectifs environnementaux de la présente directive, ainsi que sur la contribution des différents types d’utilisation de l’eau au recouvrement des coûts des services liés à l’eau.
3. Le présent article n’empêche nullement le financement de certaines mesures préventives ou correctives en vue de réaliser les objectifs de la présente directive.
[...] »
6 L’article 11 de cette même directive prévoit :
« 1. Chaque État membre veille à ce que soit élaboré, pour chaque district hydrographique ou pour la partie du district hydrographique international située sur son territoire, un programme de mesures qui tienne compte des résultats des analyses prévues à l’article 5, afin de réaliser les objectifs fixés à l’article 4. Ces programmes de mesures peuvent renvoyer aux mesures découlant de la législation adoptée au niveau national et couvrant tout le territoire d’un État membre. Le cas échéant, un
État membre peut adopter des mesures applicables à tous les districts hydrographiques et/ou aux portions de districts hydrographiques internationaux situés sur son territoire.
2. Chaque programme de mesures comprend les “mesures de base” indiquées au paragraphe 3 et, si nécessaire, des “mesures complémentaires”.
3. Les “mesures de base” constituent les exigences minimales à respecter et comprennent :
[...]
b) les mesures jugées adéquates aux fins de l’article 9 ;
[...] »
7 L’annexe III de la directive 2000/60, intitulée « Analyse économique », est libellée comme suit :
« L’analyse économique doit comporter des informations suffisantes et suffisamment détaillées (compte tenu des coûts associés à la collecte des données pertinentes) pour :
a) effectuer les calculs nécessaires à la prise en compte, en vertu de l’article 9, du principe de récupération des coûts des services liés à l’utilisation de l’eau, compte tenu des prévisions à long terme de l’offre et de la demande d’eau dans le district hydrographique et, le cas échéant :
– une estimation des volumes, prix et coûts associés aux services liés à l’utilisation de l’eau, et
– une estimation des investissements pertinents, y compris la prévision de ces investissements ;
b) apprécier, sur la base de leur coût potentiel, la combinaison la plus efficace au moindre coût des mesures relatives aux utilisations de l’eau qu’il y a lieu d’inclure dans le programme de mesures visé à l’article 11. »
La directive 2009/72
8 Sous le titre « Objet et champ d’application », l’article 1er de la directive 2009/72 prévoit :
« La présente directive établit des règles communes concernant la production, le transport, la distribution et la fourniture d’électricité, ainsi que des dispositions relatives à la protection des consommateurs, en vue de l’amélioration et de l’intégration de marchés de l’électricité compétitifs dans la Communauté. Elle définit les modalités d’organisation et de fonctionnement du secteur de l’électricité, l’accès ouvert au marché, les critères et les procédures applicables en ce qui concerne les
appels d’offres et l’octroi des autorisations ainsi que l’exploitation des réseaux. Elle définit également les obligations de service universel et les droits des consommateurs d’électricité, et clarifie les obligations en matière de concurrence. »
9 L’article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive 2009/72 dispose :
« 1. Les États membres, sur la base de leur organisation institutionnelle et dans le respect du principe de subsidiarité, veillent à ce que les entreprises d’électricité, sans préjudice du paragraphe 2, soient exploitées conformément aux principes de la présente directive, en vue de réaliser un marché de l’électricité concurrentiel, sûr et durable sur le plan environnemental, et s’abstiennent de toute discrimination pour ce qui est des droits et des obligations de ces entreprises.
2. En tenant pleinement compte des dispositions pertinentes du traité, en particulier de son article 86, les États membres peuvent imposer aux entreprises du secteur de l’électricité, dans l’intérêt économique général, des obligations de service public qui peuvent porter sur la sécurité, y compris la sécurité d’approvisionnement, la régularité, la qualité et le prix de la fourniture, ainsi que la protection de l’environnement, y compris l’efficacité énergétique, l’énergie produite à partir de
sources d’énergie renouvelables et la protection du climat. Ces obligations sont clairement définies, transparentes, non discriminatoires et vérifiables et garantissent aux entreprises d’électricité de la Communauté un égal accès aux consommateurs nationaux. En matière de sécurité d’approvisionnement, d’efficacité énergétique/gestion de la demande et pour atteindre les objectifs environnementaux et les objectifs concernant l’énergie produite à partir de sources d’énergie renouvelables, visés au
présent paragraphe, les États membres peuvent mettre en œuvre une planification à long terme, en tenant compte du fait que des tiers pourraient vouloir accéder au réseau. »
Le droit espagnol
La loi fiscale sur l’énergie
10 Le préambule de la Ley 15/2012 de medidas fiscales para la sostenibilidad energética (loi 15/2012, portant mesures fiscales en vue d’une utilisation durable de l’énergie), du 27 décembre 2012 (BOE no 312, du 28 décembre 2012, p. 88081, ci-après la « loi fiscale sur l’énergie »), expose :
« [Cette loi] a pour objet d’adapter notre système fiscal en vue d’un usage plus efficace et plus respectueux de l’environnement et du développement durable, qui sont les valeurs inspirant cette réforme de la fiscalité, ledit système s’inscrivant ainsi dans le prolongement des principes de base régissant la politique fiscale, énergétique et, naturellement, environnementale de l’Union européenne [...].
[...]
[...] Ainsi, l’un des axes de cette réforme fiscale est d’internaliser des coûts environnementaux résultant de la production d’énergie électrique [...]. La présente loi doit inciter à améliorer nos niveaux d’efficacité énergétique tout en permettant d’assurer une meilleure gestion des ressources naturelles et de soutenir le nouveau modèle de développement durable, tant du point de vue économique et social qu’environnemental.
La présente réforme contribue en outre à l’intégration des politiques environnementales dans notre système fiscal [...]
À cette fin, la présente loi réglemente trois nouveaux impôts : [...] ; une redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique est instaurée. [...]
Enfin, le titre IV de la présente loi modifie le texte de refonte de la loi sur les eaux approuvé par le Real Decreto Legislativo 1/2001 de 20 de julio [décret-loi royal 1/2001, du 20 juillet, ci-après la “loi sur les eaux”].
Ce titre réglemente notamment le régime économique et financier de l’utilisation du domaine public hydrique. Il dispose ainsi qu’en vertu du principe de récupération des coûts, les administrations publiques compétentes établissent, en tenant compte des projections économiques à long terme, les mécanismes opportuns pour répercuter sur les différents utilisateurs finals les coûts des services liés à la gestion de l’eau, en ce compris les coûts environnementaux et les coûts de la ressource.
Les articles 112 et 114 [de la loi sur les eaux] prévoient quatre impositions différentes liées à l’eau : la redevance sur l’utilisation des biens du domaine public, la redevance de rejet, qui grève les rejets dans le domaine public hydrique, la redevance de régulation, qui grève le bénéfice obtenu à titre privé à la suite de travaux [de régulation réalisés par l’État], et les droits d’utilisation de l’eau, qui grèvent les bénéfices obtenus à titre privé à la suite de travaux réalisés par l’État
autres que les travaux de régulation.
[...]
Actuellement, la qualité générale des eaux intérieures espagnoles impose de les protéger afin de sauvegarder l’une des ressources naturelles nécessaires à la société. Les politiques de protection du domaine public hydrique doivent être renforcées en ce sens. À cette fin, il devient nécessaire d’obtenir des ressources qui doivent être fournies par ceux tirant un bénéfice de l’utilisation privative de l’eau ou de son exploitation spécifique pour la production d’énergie électrique.
L’objet de cette modification est, par conséquent, d’établir une nouvelle redevance sur les biens du domaine public décrits à l’article 2, sous a), [de la loi sur les eaux], c’est à dire sur l’utilisation ou l’exploitation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique. »
11 L’article 29 de la loi fiscale sur l’énergie modifie la loi sur les eaux en ajoutant un article 112 bis à celle-ci et est libellé comme suit :
« Article 112 bis Redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique.
1. L’utilisation et l’exploitation des biens du domaine public visés à l’article 2, sous a), de la présente loi, pour la production nette d’énergie électrique sont soumises à une taxe dénommée redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique, destinée à la protection et à l’amélioration du domaine public hydrique.
2. Le fait générateur est l’autorisation initiale et le maintien annuel de la concession hydroélectrique, la redevance étant exigible à concurrence du montant et dans les délais fixés dans les conditions de cette concession ou de cette autorisation.
3. Sont assujettis à la redevance les concessionnaires ou, le cas échéant, ceux qui se substituent à eux.
4. L’organisme de gestion détermine la base imposable, qui correspond à la valeur économique de l’énergie hydroélectrique nette, mesurée à l’entrée du réseau électrique, produite par le concessionnaire lors de chaque exercice annuel d’imposition grâce à l’utilisation et à l’exploitation du domaine public hydrique.
5. Le taux annuel de la redevance s’élève à 22 % de la valeur de la base imposable et son montant brut correspond au produit de ce taux et de ladite base imposable.
6. Les exploitations hydroélectriques directement exploitées par l’administration compétente pour la gestion du domaine public hydrique sont exemptées du paiement de cette redevance.
7. La redevance est réduite de 90 % pour les installations hydroélectriques d’une puissance égale ou inférieure à 50 MW ainsi que pour les installations de production d’énergie électrique utilisant la technologie hydraulique de pompage et d’une puissance supérieure à 50 MW, selon les modalités définies par la voie réglementaire pour ces productions ou installations qu’il convient d’encourager pour des raisons de politique énergétique générale.
8. La gestion et la perception de la redevance incombent à l’organisme de gestion compétent ou à l’administration fiscale de l’État espagnol, en application d’un accord conclu avec ledit organisme.
En cas de conclusion d’un accord avec l’Agencia Estatal de Administración Tributaria [administration fiscale espagnole], celle-ci reçoit de l’organisme de gestion les chiffres et relevés pertinents susceptibles de faciliter sa gestion et informe périodiquement ledit organisme selon les modalités déterminées par la voie réglementaire. À ces fins, la Comisión Nacional de Energía [Commission nationale de l’énergie, Espagne] et l’Operador del Sistema eléctrico [Gestionnaire du réseau de transport
électrique, Espagne] sont tenus de fournir à l’organisme de gestion ou à l’administration fiscale autant de données et de rapports que nécessaire, conformément à l’article 94 de la Ley 58/2003, de 17 de diciembre [loi no 58/2003, du 17 décembre].
Une fraction de 2 % de la redevance perçue est considérée comme une recette de l’organisme de gestion et l’organisme percepteur verse au Trésor public les 98 % restants. »
12 La deuxième disposition additionnelle de la loi fiscale sur l’énergie, relative aux coûts du système électrique, dispose :
« Chaque année, les lois de finances générales de l’État affectent au financement des coûts du système électrique prévus à l’article 16 de la Ley 54/1997, de 27 de noviembre, del Sector Eléctrico [loi no 54/1997, du 27 novembre 1997, relative au secteur de l’électricité] un montant équivalent à la somme de :
a) l’estimation des montants annuellement perçus revenant à l’État au titre des prélèvements et redevances inclus dans la présente loi ;
b) la recette estimée générée par la vente aux enchères des quotas d’émission de gaz à effet de serre, avec un maximum de 500 millions d’euros. »
Le décret royal 198/2015
13 L’article 12 du Real Decreto 198/2015, por el que se desarrolla el artículo 112 bis del Texto Refundido de la Ley de Aguas y se regula el canon por utilización de las aguas continentales para la producción de energía eléctrica en las demarcaciones intercomunitarias (décret royal 198/2015, mettant en œuvre l’article 112 bis du texte de refonte de la loi sur les eaux et réglementant la redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique dans les démarcations
hydrographiques intercommunautaires), du 23 mars 2015 (BOE no 72, du 25 mars 2015, p. 25674, ci-après le « décret royal 198/2015 »), dispose :
« Attribution de la redevance perçue
1. Le montant perçu au titre de la redevance est versé à l’organisme de gestion conformément aux dispositions de l’article 112 bis, paragraphe 8, de la loi sur les eaux [...].
[...]
3. Une fraction de 2 % du montant net perçu au titre de la redevance est considérée comme une recette de l’organisme de gestion.
4. Une fraction de 98 % du montant net perçu au titre de la redevance est versée au Trésor public. Conformément aux dispositions de l’article 14, les budgets généraux de l’État affectent à des actions de protection et d’amélioration du domaine public hydrique un montant au moins égal à cette somme. À cette fin, les projets d’investissement permettant de garantir la protection et l’amélioration du domaine public hydrique sont déterminés annuellement dans les lois de finances générales.
5. Dans le mois qui suit celui lors duquel la redevance est perçue, l’organisme de gestion calcule le solde du compte final et en verse le montant au Trésor public, tout en rendant compte des recettes et des coûts qui justifient ce solde auprès de l’Agencia Estatal de Administración Tributaria [administration fiscale espagnole]. »
14 L’article 13 de ce décret royal prévoit :
« Garantie de protection du domaine public
Conformément au principe de récupération des coûts consacré à l’article 111 bis du texte de refonte de la loi sur les eaux, afin d’assurer la réalisation des objectifs en matière d’environnement établis dans la directive [2000/60] et prévus aux articles 98 et suivants du texte de refonte de la loi sur les eaux, les budgets généraux de l’État destinent à des mesures de protection et d’amélioration du domaine public hydraulique et des masses d’eaux affectées par les installations hydroélectriques
un montant au moins égal à celui qui est visé à l’article 12, paragraphe 4, supra, conformément à ce que détermine l’article 14. »
15 L’article 14 dudit décret royal dispose :
« Protection et amélioration du domaine public hydraulique
1. Aux fins du présent décret royal, on entend par protection et amélioration du domaine public hydraulique les activités que l’administration générale de l’État compétente pour la gestion des bassins s’étendant sur plus d’une communauté autonome doit réaliser pour réaliser un triple objectif : déterminer les contraintes résultant de l’activité humaine subies par les masses d’eau, corriger l’état des masses d’eau et la dégradation du domaine public hydraulique, et mettre en œuvre de manière
adéquate les missions de contrôle et de surveillance du domaine public hydraulique et de police des eaux.
2. Les activités permettant une gestion plus efficace et durable de la ressource en rationalisant l’utilisation du domaine public hydraulique relèvent des activités énumérées au paragraphe 1.
3. Parmi les activités visant à réaliser les objectifs indiqués aux paragraphes 1 et 2 figurent, notamment :
a) La mesure, l’analyse et le contrôle des consommations d’eau accordées aux concessions et inscrites au registre des eaux ou au Catálogo de Aguas Privadas [registre des exploitations d’eaux privatives].
b) Les activités de gestion destinées à permettre l’utilisation du domaine public hydraulique par les particuliers dans le cadre du régime d’autorisations et de déclarations de conformité sur l’honneur.
c) La modernisation, le maintien et l’actualisation du registre des eaux.
d) L’implantation et le développement des programmes permettant de réaliser l’actualisation et la révision des autorisations et concessions relatives à l’eau.
e) La surveillance et le suivi du degré de respect du régime de concessions et d’autorisations relatives au domaine public hydraulique, en particulier des conditions imposées dans chaque cas, qui se traduisent par des missions d’appui à la police des eaux.
f) Le suivi et la surveillance de l’état qualitatif et quantitatif des masses d’eau. Ce suivi est réalisé par l’intermédiaire des programmes de contrôle et d’évaluation des eaux souterraines et de surface, du maintien et de l’exploitation des réseaux de contrôle et de suivi de l’état des masses d’eau, ainsi que du suivi des différents plans et programmes de traitement des eaux usées.
g) Les activités techniques permettant de déterminer et de délimiter le lit des cours d’eau du domaine public hydraulique, les zones qui leur sont associées et la cartographie des zones inondables, ainsi que la mise en œuvre des mesures de gestion des risques d’inondation relevant de la compétence des organismes de gestion.
h) Les actes de conservation et d’amélioration du lit des cours d’eau du domaine public hydrique par des activités d’amélioration de la continuité fluviale, d’adaptation des structures à la migration de l’ichtyofaune et au transport de sédiments, de récupération du lit des cours d’eau de l’espace fluvial et des galeries ripicoles, et de lutte contre les espèces invasives impliquant une dégradation de l’état du domaine public hydrique.
i) Les travaux d’actualisation et de révision de la planification hydrologique du district, dans toutes ses phases, dans la mesure où elles constituent un élément fondamental pour la protection et l’amélioration du domaine public hydrique en ce qu’elles poursuivent la réalisation des objectifs en matière d’environnement décrits à l’article 92 bis du texte de refonte de la loi sur les eaux. »
Les litiges au principal et les questions préjudicielles
16 Les requérantes au principal ont introduit devant le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) des recours tendant à l’annulation du décret royal 198/2015, qui met en œuvre l’article 112 bis du texte de refonte de la loi sur les eaux et qui réglemente la redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique dans les démarcations hydrographiques intercommunautaires, à savoir les démarcations hydrographiques qui s’étendent sur le territoire de plus d’une communauté
autonome.
17 Cet article 112 bis, qui instaure cette redevance, a été introduit à la suite de la modification de la loi sur les eaux par l’article 29 de la loi fiscale sur l’énergie.
18 La juridiction de renvoi nourrit des doutes quant à la compatibilité de cet article 29 avec le principe du pollueur-payeur, consacré à l’article 191, paragraphe 2, TFUE, lu en combinaison avec la directive 2000/60, avec le principe de non-discrimination consacré à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2009/72 ainsi qu’avec le droit de la concurrence, se demandant à cet égard si ladite redevance peut être considérée comme une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
19 La juridiction de renvoi relève que, si la loi fiscale sur l’énergie devait être considérée comme n’étant pas compatible avec le droit de l’Union, le décret royal 198/2015, qui met en œuvre la redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique et qui fait l’objet des recours au principal, serait privé de base légale et devrait être annulé par voie de conséquence.
20 S’agissant, en premier lieu, de la conformité de cette redevance au principe du pollueur-payeur, au sens de l’article 191, paragraphe 2, TFUE, et à la directive 2000/60, cette juridiction souligne que, s’il ressort de l’exposé des motifs de la loi fiscale sur l’énergie que l’instauration de la redevance sur la production d’énergie hydrique répond à des motifs environnementaux, à savoir la protection et l’amélioration du domaine public hydrique, les caractéristiques essentielles de cette redevance
ainsi que la structure même de celle-ci indiquent que cette dernière poursuivrait, en réalité, un objectif purement économique en ce qu’elle viserait à ce que l’État obtienne des recettes pour faire face au déficit tarifaire du système électrique, ce déficit correspondant à la différence entre les recettes que les entreprises électriques espagnoles perçoivent auprès des consommateurs et les coûts de la fourniture d’électricité reconnus par la réglementation nationale.
21 En effet, selon la juridiction de renvoi, d’une part, la base imposable de cette redevance dépend de la valeur de l’énergie produite, laquelle est calculée en fonction de la rémunération totale obtenue pour l’énergie injectée dans le réseau électrique. Le taux de ladite redevance en vigueur à la date des faits était de 22 %, alors que l’article 112 bis du texte de refonte de la loi sur les eaux n’aurait prévu qu’un taux de 5 % pour l’occupation, l’utilisation et l’exploitation des cours d’eau
naturels, permanents ou non, et du lit majeur des lacs, des lagunes et des barrages de surface sur les cours d’eau publics nécessitant une concession ou une autorisation administrative. D’autre part, seuls 2 % du montant de la redevance perçue seraient affectés aux interventions de l’Organismo de cuenca (organisme public chargé de la gestion des eaux dans les démarcations hydrographiques, Espagne), les 98 % restants étant versés au Trésor public et constituant dès lors une recette additionnelle
du système électrique. La juridiction de renvoi précise que le montant de cette redevance aurait dû être intégralement affecté à la protection et à l’amélioration du domaine public et que le décret royal 198/2015 a tenté de corriger cette incohérence en prévoyant que les budgets généraux de l’État affectaient à des actions de protection et d’amélioration du domaine public hydrique un montant au moins égal à celui correspondant à 98 % des recettes obtenues par ladite redevance. La juridiction de
renvoi indique cependant qu’une telle affectation n’a pas été respectée dans le budget général de l’État pour l’année 2016, qui affectait les recettes provenant de cette même redevance au financement du déficit du système électrique.
22 Ainsi, contrairement aux prescriptions de la directive 2000/60, la redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique méconnaîtrait le principe de récupération des coûts des services de l’eau, en ce compris les coûts environnementaux, ne déterminerait pas quels sont les dommages environnementaux et ne porterait que sur un type d’utilisation des eaux intérieures, à savoir celui destiné à la production d’énergie électrique, malgré le caractère renouvelable de
cette dernière et le fait que l’eau utilisée n’est pas consommée. La juridiction de renvoi relève que cette redevance constitue en réalité un prélèvement qui ne présente aucun lien avec l’occupation du domaine public ni avec les conséquences environnementales de l’activité liée à cette occupation.
23 En deuxième lieu, en ce qui concerne la compatibilité de la redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique avec le principe de non-discrimination consacré à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2009/72, la juridiction de renvoi indique que cette redevance n’est due que par les producteurs d’énergie hydroélectrique, à l’exclusion de tout autre producteur d’énergie utilisant une technologie différente, qui sont titulaires de concessions
administratives sur des bassins hydrographiques intercommunautaires et non pas intracommunautaires, à savoir sur des bassins hydrographiques qui se situent sur le territoire de plus d’une communauté autonome et non pas sur celui d’une seule communauté autonome.
24 En troisième lieu, la juridiction de renvoi considère que, du fait du caractère asymétrique de ladite redevance, les différences de traitement qu’elle institue affectent la concurrence sur le marché de l’électricité et doivent être regardées comme étant constitutives d’aides d’État en faveur des producteurs d’électricité qui ne sont pas soumis à cette même redevance.
25 Dans ces conditions, le Tribunal Supremo (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes dans les affaires C‑105/18 à C‑108/18 et C‑110/18 à C‑113/18 :
« 1) Le principe environnemental du pollueur-payeur, consacré à l’article 191, paragraphe 2, TFUE, et l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2000/60, qui consacre le principe de récupération du coût des services liés à l’eau ainsi que la compensation économique adéquate des utilisations de l’eau, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à la création d’une redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique, telle que celle contestée en
l’espèce, qui n’incite pas à un usage efficace de l’eau, n’établit pas de mécanismes pour la conservation et la protection du domaine public hydrique, dont le taux est sans rapport avec la capacité à causer un dommage au domaine public hydrique, et qui est uniquement et exclusivement fonction de la capacité des producteurs à générer des recettes ?
2) Une taxe telle que la redevance hydrique en cause en l’espèce, qui concerne exclusivement, d’une part, les producteurs d’énergie hydroélectrique opérant sur des bassins intercommunautaires mais non les producteurs titulaires de concessions sur des bassins intracommunautaires, et, d’autre part, les producteurs utilisant la technologie hydroélectrique mais non ceux produisant de l’énergie grâce à d’autres technologies, est–elle conforme au principe de non–discrimination entre opérateurs établi à
l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2009/72 ?
3) L’article 107, paragraphe 1, TFUE doit-il être interprété en ce sens que l’imposition d’une redevance hydrique, telle que celle contestée en l’espèce, au préjudice des producteurs d’énergie hydroélectrique opérant dans des bassins intercommunautaires constitue une aide d’État prohibée, dès lors qu’elle introduit un régime fiscal asymétrique dans le domaine d’une même technologie en fonction de la localisation de la centrale [électrique] et qu’elle n’est pas imposée aux producteurs d’énergie
provenant d’autres sources ? »
26 Dans l’affaire C‑109/18, les deux premières questions préjudicielles sont, en substance, identiques aux deux premières questions dans les affaires citées au point précédent, la troisième question préjudicielle étant formulée ainsi :
« 3) L’article 107, paragraphe 1, TFUE doit-il être interprété en ce sens que le non–assujettissement à la redevance hydrique des productions hydroélectriques opérant dans des démarcations hydrographiques intracommunautaires et des autres utilisations [entraînant une consommation] des eaux constitue une aide d’État prohibée, ladite redevance ne s’appliquant qu’à l’utilisation d’eau pour la production d’énergie électrique ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
27 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 191, paragraphe 2, TFUE et l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2000/60 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique, telle que celle en cause dans les affaires au principal, qui n’incite pas à un usage efficace de l’eau, n’établit pas de mécanismes pour la conservation et la protection du domaine
public hydrique, dont le taux est sans rapport avec la capacité à causer un dommage à ce domaine public hydrique et qui est uniquement et exclusivement fonction de la capacité des producteurs d’énergie hydroélectrique à générer des recettes.
28 Il y a lieu de rappeler que l’article 191, paragraphe 2, TFUE dispose que la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement vise un niveau de protection élevé et est fondée, notamment, sur le principe du pollueur-payeur. Cette disposition se borne ainsi à définir les objectifs généraux de l’Union en matière d’environnement dans la mesure où l’article 192 TFUE confie au Parlement européen et au Conseil de l’Union européenne, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, le
soin de décider de l’action à entreprendre en vue de réaliser ces objectifs (arrêt du 4 mars 2015, Fipa Group e.a., C‑534/13, EU:C:2015:140, point 39 ainsi que jurisprudence citée).
29 Par conséquent, dès lors que l’article 191, paragraphe 2, TFUE, lequel prévoit le principe du pollueur-payeur, s’adresse à l’action de l’Union, cette disposition ne saurait être invoquée en tant que telle par des particuliers aux fins d’exclure l’application d’une réglementation nationale susceptible d’intervenir dans un domaine relevant de la politique de l’environnement lorsque n’est applicable aucune réglementation de l’Union adoptée sur le fondement de l’article 192 TFUE couvrant
spécifiquement la situation concernée (voir, en ce sens, arrêt du 4 mars 2015, Fipa Group e.a., C‑534/13, EU:C:2015:140, point 40 ainsi que jurisprudence citée).
30 Il s’ensuit que, dans la mesure où ce principe du pollueur-payeur est expressément visé à l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2000/60 et où cette directive a été adoptée sur le fondement de l’article 175, paragraphe 1, CE (devenu article 192 TFUE), c’est sur le fondement de cet article 9, paragraphe 1, qu’il convient d’examiner si ledit principe est applicable aux affaires au principal.
31 À cet égard, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, en vue de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêt du 16 mai 2019, Conti 11. Container Schiffahrt, C‑689/17, EU:C:2019:420, point 37 et jurisprudence citée).
32 En premier lieu, il ressort du libellé de l’article 9, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2000/60 que les États membres tiennent compte du principe de la récupération des coûts des services liés à l’utilisation de l’eau, y compris les coûts pour l’environnement et les ressources, eu égard à l’analyse économique effectuée conformément à l’annexe III de cette directive et conformément, en particulier, au principe du pollueur-payeur.
33 Ce premier alinéa ne précisant pas le cadre dans lequel les États membres doivent tenir compte du principe de récupération des coûts des services liés à l’utilisation de l’eau, il en découle que cette disposition vise la mise en place, par les États membres, d’une politique générale de récupération de ces coûts, au regard, en particulier, du principe du pollueur-payeur.
34 En outre, il ressort de cet article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, que les États membres devaient veiller, depuis la date d’adoption de la directive 2000/60 jusqu’à l’année 2010, à ce que, d’une part, la politique de tarification de l’eau incite les usagers à utiliser les ressources de façon efficace et contribue ainsi à la réalisation des objectifs environnementaux de cette directive, et, d’autre part, les différents secteurs économiques, décomposés en distinguant au moins le secteur
industriel, le secteur des ménages et le secteur agricole, contribuent de manière appropriée à la récupération des coûts des services de l’eau, sur la base de l’analyse économique réalisée conformément à l’annexe III de ladite directive et compte tenu du principe du pollueur-payeur.
35 À cet égard, le fait que cet article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, second tiret, vise les différents secteurs économiques, qui doivent contribuer de manière appropriée à ce principe de la récupération des coûts des services liés à l’utilisation de l’eau, confirme que l’obligation relative à la prise en compte de ce principe s’impose dans le cadre de la politique générale des États membres relative à ces services. Une telle interprétation est d’ailleurs confirmée par le libellé dudit
article 9, paragraphe 1, troisième alinéa, selon lequel les États membres peuvent tenir compte des effets sociaux, environnementaux et économiques de la récupération de ces coûts ainsi que des conditions géographiques et climatiques de la région ou des régions concernées, laissant ainsi une marge d’appréciation aux États membres en ce qui concerne la mise en œuvre dudit principe de récupération desdits coûts.
36 Il résulte ainsi du libellé de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2000/60 que ce n’est qu’au regard de l’ensemble des règles nationales pertinentes mettant en œuvre des programmes de mesures qui régissent les services liés à l’utilisation des eaux qu’il pourrait être vérifié si un État membre a tenu compte du principe de la récupération des coûts de ces services. Il s’ensuit que le respect de cet article 9, paragraphe 1, ne saurait être apprécié au regard d’une mesure nationale, prise
isolément, qui s’impose à des usagers de la ressource hydrique.
37 Il convient, en deuxième lieu, de relever que le contexte dans lequel s’insère cette disposition confirme l’interprétation du libellé de celle-ci. En effet, il importe de rappeler que la directive 2000/60 est une directive-cadre adoptée sur le fondement de l’article 175, paragraphe 1, CE (devenu article 192 TFUE). Elle établit des principes communs et un cadre global d’action pour la protection des eaux et assure la coordination, l’intégration ainsi que, à plus long terme, le développement des
principes généraux et des structures permettant la protection et une utilisation écologiquement viable de l’eau dans l’Union européenne. Ces principes et ce cadre doivent être développés ultérieurement par les États membres au moyen de l’adoption de mesures particulières (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2014, Commission/Allemagne, C‑525/12, EU:C:2014:2202, point 50 et jurisprudence citée).
38 En outre, l’article 11, paragraphe 1, de cette directive impose à chaque État membre l’obligation de veiller à ce que soit élaboré, pour chaque district hydrographique ou pour la partie du district hydrographique international situé sur son territoire, un programme de mesures afin de réaliser les objectifs environnementaux fixés à l’article 4 de ladite directive. L’article 11, paragraphe 3, de la même directive précise que les mesures de base de ce programme comprennent les mesures jugées
adéquates aux fins de l’article 9, ce qui confirme que l’obligation imposée par ce dernier tient à la mise en place d’une série de mesures qui, prises dans leur ensemble, doivent être « adéquates » pour assurer le respect du principe de la récupération des coûts des services liés à l’utilisation de l’eau.
39 En troisième lieu, il convient de relever que cette interprétation est conforme à l’objectif poursuivi par la directive 2000/60. En effet, cette directive ne vise pas une harmonisation totale de la réglementation des États membres dans le domaine de l’eau (voir, en ce sens, arrêts du 11 septembre 2014, Commission/Allemagne, C‑525/12, EU:C:2014:2202, point 50, et du 1er juillet 2015, Bund für Umwelt und Naturschutz Deutschland, C‑461/13, EU:C:2015:433, point 34).
40 Selon l’article 1er, sous a), de la directive 2000/60, celle-ci a pour objet d’établir un cadre pour la protection des eaux intérieures de surface, des eaux de transition, des eaux côtières et des eaux souterraines qui prévienne toute dégradation supplémentaire, préserve et améliore l’état des écosystèmes aquatiques et des écosystèmes terrestres qui en dépendent directement.
41 La directive 2000/60 repose essentiellement sur les principes d’une gestion par bassin hydrographique, de fixation d’objectifs par masse d’eau, de planification et de programmation, d’analyse économique des modalités de tarification de l’eau, de prise en compte des effets sociaux, environnementaux et économiques de la récupération des coûts, ainsi que des conditions géographiques et climatiques de la région ou des régions concernées (arrêt du 11 septembre 2014, Commission/Allemagne, C‑525/12,
EU:C:2014:2202, point 53).
42 Il résulte des dispositions de cette directive que les mesures relatives à la récupération des coûts des services liés à l’utilisation des eaux constituent l’un des instruments, à la disposition des États membres, de gestion qualitative de l’eau destinée à une utilisation rationnelle de la ressource (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2014, Commission/Allemagne, C‑525/12, EU:C:2014:2202, point 55).
43 Ainsi que l’a, en substance, indiqué M. l’avocat général au point 32 de ses conclusions, lorsque, comme dans le cadre des affaires au principal, un État membre impose le paiement de redevances aux usagers du domaine hydrique, le principe de la récupération des coûts des services liés à l’utilisation de l’eau, visé à l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2000/60, n’impose pas que le montant de chacune de ces redevances, prise isolément, soit proportionné auxdits coûts.
44 Dans ces conditions, il est sans pertinence que, dans les affaires au principal, ainsi que l’a indiqué la juridiction de renvoi, qui est seule compétente pour interpréter le droit national applicable à ces affaires, la redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique, eu égard tant à ses caractéristiques essentielles qu’à sa structure, ait une finalité non pas environnementale, mais exclusivement économique, et qu’elle constitue ainsi une recette du système
électrique espagnol visant à réduire le déficit tarifaire dont souffre ce système sans lien ni avec l’occupation du domaine public hydrique ni avec les conséquences environnementales de l’activité liée à cette occupation.
45 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 191, paragraphe 2, TFUE et l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2000/60 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique, telle que celle en cause dans les affaires au principal, qui n’incite pas à un usage efficace de l’eau, n’établit pas de mécanismes pour la conservation et la
protection du domaine public hydrique, dont le taux est sans rapport avec la capacité à causer un dommage à ce domaine public hydrique et qui est uniquement et exclusivement fonction de la capacité des producteurs d’énergie hydroélectrique à générer des recettes.
Sur la deuxième question
46 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le principe de non-discrimination, tel que prévu à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2009/72, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une redevance, telle que la redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique en cause dans les affaires au principal, qui pèse exclusivement sur les producteurs d’énergie hydroélectrique opérant sur des bassins hydrographiques qui
s’étendent sur le territoire de plus d’une communauté autonome.
47 Aux fins de répondre à la question posée, il convient ainsi d’examiner le champ d’application de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2009/72.
48 Aux termes de cette disposition, les États membres, sur la base de leur organisation institutionnelle et dans le respect du principe de subsidiarité, veillent à ce que les entreprises d’électricité, sans préjudice du paragraphe 2 de cet article, soient exploitées conformément aux principes de cette directive, en vue de réaliser un marché de l’électricité concurrentiel, sûr et durable sur le plan environnemental, et s’abstiennent de toute discrimination pour ce qui est des droits et des
obligations de ces entreprises.
49 Il y a lieu de relever que cet article 3, paragraphe 1, consacre, dans le domaine du marché intérieur de l’électricité, le principe général de non-discrimination, qui fait partie intégrante des principes généraux du droit de l’Union. Or, la Cour a déjà jugé que ce principe lie les États membres lorsque la situation nationale en cause dans l’affaire au principal relève du champ d’application du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 11 juillet 2006, Chacón Navas, C‑13/05, EU:C:2006:456,
point 56, ainsi que du 19 janvier 2010, Kücükdeveci, C‑555/07, EU:C:2010:21, points 21 et 23).
50 En l’occurrence, il importe de souligner que, dans la mesure où il ressort des éléments dont dispose la Cour, d’une part, que les situations en cause au principal sont purement internes, en ce sens qu’elles sont dépourvues de tout élément transfrontalier, et que, d’autre part, la redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique en cause constitue une mesure de nature fiscale, le principe de non-discrimination, tel que prévu à l’article 3, paragraphe 1, de
la directive 2009/72, n’est applicable à cette redevance que si cette directive vise au rapprochement des dispositions fiscales des États membres.
51 L’objectif de la directive 2009/72 consistant à réaliser un marché intérieur de l’électricité, le législateur de l’Union a eu recours à la procédure législative ordinaire prévue à l’article 95, paragraphe 1, CE (devenu article 114, paragraphe 1, TFUE), pour l’adoption de mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres dans l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur.
52 Toutefois, conformément à l’article 95, paragraphe 2, CE (devenu article 114, paragraphe 2, TFUE), cet article 95, paragraphe 1, (devenu article 114, paragraphe 1, TFUE) ne s’applique pas aux dispositions fiscales.
53 Dans la mesure où la directive 2009/72 ne constitue pas une mesure relative au rapprochement des dispositions fiscales des États membres, il y a lieu de considérer que le principe de non-discrimination prévu à son article 3, paragraphe 1, ne s’applique pas à une redevance, telle que la redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique en cause dans les affaires au principal.
54 Compte tenu des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la deuxième question que le principe de non-discrimination, tel que prévu à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2009/72, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une redevance, telle que la redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique en cause dans les affaires au principal, qui n’est due que par les producteurs d’énergie hydroélectrique opérant sur des bassins
hydrographiques qui s’étendent sur le territoire de plus d’une communauté autonome.
Sur la troisième question dans les affaires jointes C‑105/18 à C‑108/18 et C‑110/18 à C‑113/18 ainsi que dans l’affaire C‑109/18
55 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 107, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que le fait que la redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique en cause dans les affaires au principal, n’est pas due, premièrement, par les producteurs d’énergie hydroélectrique opérant sur des bassins hydrographiques situés sur le territoire d’une seule communauté autonome, deuxièmement, par les producteurs
d’énergie électrique provenant de sources autres que la source hydrique et, troisièmement, lors des autres utilisations entraînant une consommation d’eau, constitue une aide d’État, au sens de cette disposition.
56 Il convient, à titre liminaire, de constater que la décision de renvoi dans l’affaire C‑109/18 ne comporte aucun élément d’information permettant à la Cour de donner une réponse utile à la juridiction de renvoi en ce qui concerne l’éventuelle qualification d’aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, de la redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique, qui résulterait du fait que celle-ci n’est pas due par les installations qui utilisent
de l’eau à d’autres fins que la production d’énergie hydroélectrique.
57 Cette partie de la troisième question dans l’affaire C‑109/18, en tant qu’elle porte sur de telles installations, doit, dès lors, être déclarée irrecevable.
58 Concernant la réponse au fond des parties recevables des troisièmes questions posées dans l’ensemble des affaires jointes, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la qualification d’une mesure nationale d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert que toutes les conditions suivantes soient remplies. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être
susceptible d’affecter les échanges entre les États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (voir, notamment, arrêt du 29 juillet 2019, Azienda Napoletana Mobilità, C‑659/17, EU:C:2019:633, point 20).
59 Dans la mesure où la qualification d’une mesure d’« aide d’État », au sens de cette disposition, requiert que chacune de ces quatre conditions soit remplie, celles-ci étant cumulatives, et où la juridiction de renvoi n’interroge la Cour que sur la condition relative à la sélectivité de la redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique, il y a lieu d’examiner, tout d’abord, cette dernière condition.
60 Il résulte d’une jurisprudence constante que l’appréciation du caractère sélectif de l’avantage accordé aux bénéficiaires par une mesure nationale impose de déterminer si, dans le cadre d’un régime juridique donné, cette mesure nationale est de nature à favoriser « certaines entreprises ou certaines productions » par rapport à d’autres, qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par ce régime, dans une situation factuelle et juridique comparable et qui subissent ainsi un traitement
différencié pouvant en substance être qualifié de « discriminatoire » (arrêt du 26 avril 2018, ANGED, C‑233/16, EU:C:2018:280, point 38 et jurisprudence citée).
61 La qualification d’une mesure fiscale de « sélective » suppose, dans un premier temps, d’identifier le régime fiscal commun ou « normal » applicable dans l’État membre concerné et, dans un second temps, de démontrer que la mesure fiscale examinée y déroge, dans la mesure où elle introduit des différenciations entre des opérateurs se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi par ce régime commun, dans une situation factuelle et juridique comparable (arrêt du 26 avril 2018, ANGED, C‑233/16,
EU:C:2018:280, point 40 et jurisprudence citée).
62 À cet égard, la détermination du cadre de référence revêt une importance accrue dans le cas de mesures fiscales, puisque l’existence même d’un avantage ne peut être établie que par rapport à une imposition dite « normale » (voir, en ce sens, arrêts du 6 septembre 2006, Portugal/Commission, C‑88/03, EU:C:2006:511, point 56, et du 21 décembre 2016, Commission/Hansestadt Lübeck, C‑524/14 P, EU:C:2016:971, point 55).
63 S’agissant, en premier lieu, de l’examen du caractère sélectif de la mesure en cause au principal, qui pourrait résulter du fait que la redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique n’est pas due par les producteurs d’énergie électrique dont la source de production d’électricité n’est pas la source hydrique, il y a lieu de relever que, si le critère d’imposition de cette redevance, relatif à la source de production de l’énergie électrique, ne se présente
pas comme étant formellement dérogatoire à un cadre juridique de référence donné, il n’en a pas moins pour effet d’exclure ces producteurs d’énergie électrique du champ d’application de ladite redevance.
64 Dans la mesure où l’article 107, paragraphe 1, TFUE définit les interventions étatiques en fonction de leurs effets, indépendamment des techniques utilisées, il ne peut, dès lors, être a priori exclu que le critère d’imposition de la redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie hydroélectrique permette de favoriser, en pratique, « certaines entreprises ou certaines productions », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en allégeant leurs charges par rapport
à celles qui sont soumises à cette redevance (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2018, ANGED, C‑233/16, EU:C:2018:280, points 47 et 48 ainsi que jurisprudence citée).
65 Partant, il convient de déterminer si les producteurs d’énergie hydroélectrique assujettis à la redevance en cause au principal et ceux des producteurs d’énergie électrique dont la source de production d’électricité n’est pas la source hydrique se trouvent dans une situation comparable au regard de l’objectif poursuivi par la redevance en cause dans les affaires au principal.
66 À cet égard, il ressort de la présentation du droit national figurant dans les décisions de renvoi, et, en particulier, de l’article 112 bis, paragraphe 1, de la loi sur les eaux ainsi que des articles 12 à 14 du décret royal 198/2015, que la redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique est destinée à la protection et à l’amélioration du domaine public hydrique. Or, il est constant que seuls les producteurs d’énergie hydroélectrique utilisent le domaine
public hydrique comme source de production d’électricité, ce qui est susceptible d’avoir un impact environnemental sur ce domaine hydrique.
67 Ainsi, il convient de constater que les producteurs d’électricité autres que ceux utilisant la source hydrique, qui ne sont pas soumis à la redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique, ne se trouvent pas, au regard de l’objectif visé par cette redevance, dans une situation factuelle et juridique comparable à celle des producteurs d’électricité utilisant la source hydrique.
68 Si la juridiction de renvoi, seule compétente pour interpréter le droit national, fait état de ce que cette redevance, malgré le libellé de l’article 112 bis de la loi sur les eaux ainsi que des dispositions du décret royal 198/2015 ayant mis en œuvre ladite redevance, poursuit, eu égard à ses caractéristiques essentielles ainsi qu’à sa structure, un objectif purement économique, il y a lieu de rappeler que, en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, relève de la compétence fiscale
des États membres la détermination des bases d’imposition et la répartition de la charge fiscale sur les différents facteurs de production et les différents secteurs économiques (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2018, ANGED, C‑233/16, EU:C:2018:280, point 50 et jurisprudence citée).
69 Ainsi, un critère d’assujettissement tenant à la source de production de l’énergie électrique permet, en principe, à un État membre d’instituer une redevance, telle que la redevance en cause dans les affaires au principal, aux seuls producteurs d’énergie électrique qui utilisent la source hydrique comme source de production d’électricité.
70 S’agissant, en second lieu, de l’examen du caractère sélectif de la mesure en cause dans les affaires au principal, qui pourrait résulter du fait que la redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique n’est pas due par les producteurs d’énergie hydroélectrique opérant sur des bassins hydrographiques qui sont situés sur le territoire d’une seule communauté autonome, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, le cadre juridique de
référence aux fins d’apprécier la sélectivité d’une mesure ne doit pas nécessairement être déterminé dans les limites du territoire de l’État membre concerné, mais peut être celui du territoire dans le cadre duquel une autorité régionale ou locale exerce la compétence qu’elle tient de la constitution ou de la loi. Tel est le cas lorsque cette entité dispose d’un statut de droit et de fait la rendant suffisamment autonome par rapport au gouvernement central d’un État membre pour que, par les
mesures qu’elle adopte, ce soit cette entité, et non le gouvernement central, qui joue un rôle fondamental dans la définition de l’environnement politique et économique dans lequel opèrent les entreprises (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2018, ANGED, C‑233/16, EU:C:2018:280, point 41 et jurisprudence citée).
71 Il découle de cette jurisprudence que le cadre de référence dépend de l’étendue de la compétence de l’autorité publique ayant adopté la mesure en cause.
72 Dans le même sens, il découle de l’arrêt du 21 décembre 2016, Commission/Hansestadt Lübeck (C‑524/14 P, EU:C:2016:971, points 61 et 62), que le cadre de référence pertinent pour examiner le caractère sélectif d’une mesure peut être circonscrit au régime juridique qui a été adopté par une entité dans les limites de sa propre compétence.
73 En effet, le caractère sélectif d’une mesure ne saurait être examiné sans qu’il soit tenu compte des limites juridiques encadrant la compétence de l’autorité publique ayant adopté cette mesure.
74 En l’occurrence, le gouvernement espagnol a exposé, tant dans ses observations écrites que lors de l’audience devant la Cour, que le fait que la redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique ne soit due que par les producteurs d’énergie hydroélectrique utilisant des bassins hydrographiques situés sur le territoire de plus d’une communauté autonome était justifié par la structure territoriale de l’État espagnol et des compétences de chaque administration
ainsi que les compétences respectives du gouvernement central et des communautés autonomes qui, au regard du domaine public hydrique, élaborent leur propre régime juridique.
75 Le législateur national aurait, ainsi, adopté la réglementation nationale instituant cette redevance, qui n’est mise à la charge que des titulaires de concessions administratives sur des bassins hydrographiques situés sur le territoire de plus d’une communauté autonome, en exerçant une compétence qui est limitée à ces seuls bassins.
76 Dans ces conditions, et sous réserve de la vérification de la répartition des compétences qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’effectuer, il apparaît que le cadre de référence pertinent pour examiner le caractère sélectif d’une éventuelle mesure d’aide est constitué par la taxation frappant la production d’énergie hydroélectrique sur des bassins hydrographiques qui s’étendent sur plus d’une communauté autonome.
77 Eu égard au cadre de référence ainsi circonscrit, il y a lieu de constater que les producteurs d’énergie hydroélectrique opérant sur un bassin hydrographique situé à l’intérieur d’une seule communauté autonome ne se trouvent pas dans une situation comparable à celle des producteurs d’énergie opérant sur des bassins hydrographiques qui s’étendent sur le territoire de plus d’une communauté.
78 Il s’ensuit que la condition tenant à la sélectivité de la mesure en cause n’est pas remplie et que, par conséquent, il n’y a pas lieu d’examiner les autres conditions visées au point 58 du présent arrêt.
79 Il résulte des considérations qui précèdent que l’article 107, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que le fait que la redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique, en cause dans les affaires au principal, n’est pas due, d’une part, par les producteurs d’énergie hydroélectrique opérant sur des bassins hydrographiques situés sur le territoire d’une seule communauté autonome et, d’autre part, par les producteurs d’énergie électrique
provenant de sources autres que la source hydrique, ne constitue pas une aide d’État, au sens de cette disposition, en faveur de ces producteurs, dès lors que ces derniers ne se trouvent pas, au regard du cadre de référence pertinent ainsi que de l’objectif poursuivi par cette redevance, dans une situation comparable à celle des producteurs d’énergie hydroélectrique opérant sur des bassins hydrographiques s’étendant sur le territoire de plus d’une communauté autonome assujettis à ladite
redevance, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
Sur les dépens
80 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :
1) L’article 191, paragraphe 2, TFUE et l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2000, établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique, telle que celle en cause dans les affaires au principal, qui n’incite pas à un usage efficace de l’eau, n’établit
pas de mécanismes pour la conservation et la protection du domaine public hydrique, dont le taux est sans rapport avec la capacité à causer un dommage à ce domaine public hydrique et qui est uniquement et exclusivement fonction de la capacité des producteurs d’énergie hydroélectrique à générer des recettes.
2) Le principe de non-discrimination, tel que prévu à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une redevance, telle que la redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique en cause dans les affaires au principal, qui n’est
due que par les producteurs d’énergie hydroélectrique opérant sur des bassins hydrographiques qui s’étendent sur le territoire de plus d’une communauté autonome.
3) L’article 107, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que le fait que la redevance sur l’utilisation des eaux intérieures pour la production d’énergie électrique, en cause dans les affaires au principal, n’est pas due, d’une part, par les producteurs d’énergie hydroélectrique opérant sur des bassins hydrographiques situés sur le territoire d’une seule communauté autonome et, d’autre part, par les producteurs d’énergie électrique provenant de sources autres que la source hydrique, ne
constitue pas une aide d’État, au sens de cette disposition, en faveur de ces producteurs, dès lors que ces derniers ne se trouvent pas, au regard du cadre de référence pertinent ainsi que de l’objectif poursuivi par cette redevance, dans une situation comparable à celle des producteurs d’énergie hydroélectrique opérant sur des bassins hydrographiques s’étendant sur le territoire de plus d’une communauté autonome assujettis à ladite redevance, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de
vérifier.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’espagnol.