ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
7 novembre 2019 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Transport ferroviaire – Droits et obligations des voyageurs – Règlement (CE) no 1371/2007 – Article 3, point 8 – Contrat de transport – Notion – Voyageur sans billet lors de sa montée à bord du train – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Directive 93/13/CEE – Article 1er, paragraphe 2, et article 6, paragraphe 1 – Conditions générales de transport d’une entreprise ferroviaire – Dispositions législatives ou réglementaires impératives – Clause
pénale – Pouvoirs du juge national »
Dans les affaires jointes C‑349/18 à C‑351/18,
ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le vredegerecht te Antwerpen (justice de paix d’Anvers, Belgique), par décisions du 25 mai 2018, parvenues à la Cour le 30 mai 2018, dans les procédures
Nationale Maatschappij der Belgische Spoorwegen (NMBS)
contre
Mbutuku Kanyeba (C‑349/18),
Larissa Nijs (C‑350/18),
Jean-Louis Anita Dedroog (C‑351/18),
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. E. Regan, président de chambre, MM. I. Jarukaitis (rapporteur), E. Juhász, M. Ilešič et C. Lycourgos, juges,
avocat général : M. G. Pitruzzella,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour le gouvernement belge, par Mmes C. Van Lul et C. Pochet ainsi que par M. J.-C. Halleux, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par MM. N. Ruiz García et P. Vanden Heede, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 11 juin 2019,
rend le présent
Arrêt
1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 9, paragraphe 4, du règlement (CE) no 1371/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2007, sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires (JO 2007, L 315, p. 14), ainsi que de l’article 2, sous a), et des articles 3 et 6 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).
2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant la Nationale Maatschappij der Belgische Spoorwegen (NMBS) [Société nationale des chemins de fer belges (SNCB)] à M. Mbutuku Kanyeba (affaire C‑349/18), à Mme Larissa Nijs (affaire C‑350/18) et à M. Jean‑Louis Anita Dedroog (affaire C‑351/18) au sujet de suppléments tarifaires réclamés à ces derniers pour avoir voyagé en train sans titre de transport.
Le droit de l’Union
La directive 93/13
3 Le treizième considérant de la directive 93/13 énonce :
« considérant que les dispositions législatives ou réglementaires des États membres qui fixent, directement ou indirectement, les clauses de contrats avec les consommateurs sont censées ne pas contenir de clauses abusives ; que, par conséquent, il ne s’avère pas nécessaire de soumettre aux dispositions de la présente directive les clauses qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives ainsi que des principes ou des dispositions de conventions internationales dont les
États membres ou [l’Union européenne] sont parti[e]s ; que, à cet égard, l’expression “dispositions législatives ou réglementaires impératives” figurant à l’article 1er paragraphe 2 couvre également les règles qui, selon la loi, s’appliquent entre les parties contractantes lorsqu’aucun autre arrangement n’a été convenu ».
4 L’article 1er de cette directive dispose :
« 1. La présente directive a pour objet de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur.
2. Les clauses contractuelles qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives ainsi que des dispositions ou principes des conventions internationales, dont les États membres ou [l’Union] sont parti[e]s, notamment dans le domaine des transports, ne sont pas soumises aux dispositions de la présente directive. »
5 L’article 2, sous a), de ladite directive précise :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
a) “clauses abusives” : les clauses d’un contrat telles qu’elles sont définies à l’article 3 ».
6 L’article 3 de la même directive prévoit :
« 1. Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.
2. Une clause est toujours considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle lorsqu’elle a été rédigée préalablement et que le consommateur n’a, de ce fait, pas pu avoir d’influence sur son contenu, notamment dans le cadre d’un contrat d’adhésion.
[...]
3. L’annexe contient une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives. »
7 Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 :
« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »
8 L’article 7, paragraphe 1, de cette directive est libellé comme suit :
« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »
Le règlement no 1371/2007
9 Les considérants 1 à 3 du règlement no 1371/2007 énoncent :
« (1) Dans le cadre de la politique commune des transports, il importe de sauvegarder les droits des voyageurs ferroviaires et d’améliorer la qualité et l’efficacité des services ferroviaires de voyageurs afin d’aider à accroître la part du transport ferroviaire par rapport aux autres modes de transport.
(2) La communication de la Commission intitulée “Stratégie pour la politique des consommateurs 2002-2006” [JO 2002, C 137, p. 2] fixe l’objectif d’un niveau élevé de protection des consommateurs dans le domaine des transports, conformément à l’article 153, paragraphe 2, du traité.
(3) Le voyageur ferroviaire étant la partie faible du contrat de transport, il convient de sauvegarder ses droits à cet égard. »
10 L’article 1er, sous a), de ce règlement prévoit :
« Le présent règlement établit des règles en ce qui concerne :
a) les informations que doivent fournir les entreprises ferroviaires, la conclusion de contrats de transport, l’émission de billets et la mise en œuvre d’un système informatisé d’information et de réservation pour les transports ferroviaires ; ».
11 L’article 3 dudit règlement comporte les définitions suivantes :
« Aux fins du présent règlement, on entend par :
[...]
2) “transporteur” : l’entreprise ferroviaire contractuelle avec laquelle le voyageur a conclu le contrat de transport ou une série d’entreprises ferroviaires successives qui sont responsables en vertu de ce contrat ;
[...]
8) “contrat de transport” : un contrat de transport à titre onéreux ou gratuit entre une entreprise ferroviaire ou un vendeur de billets et le voyageur en vue de la fourniture d’un ou de plusieurs services de transport ;
[...]
10) “billet direct” : un ou plusieurs billets représentant un contrat de transport portant sur la prestation de services ferroviaires successifs par une ou plusieurs entreprises ferroviaires ;
[...]
16) “conditions générales de transport” : les conditions du transporteur, qui se présentent sous la forme de conditions générales ou de tarifs juridiquement applicables dans chaque État membre et qui, par la conclusion du contrat de transport, sont devenues partie intégrante de celui-ci ;
[...] »
12 Le chapitre II du règlement no 1371/2007, intitulé « Contrat de transport, informations et billets », comprend les articles 4 à 10 de celui-ci. L’article 4 de ce règlement, intitulé « Contrat de transport », prévoit :
« Sous réserve des dispositions du présent chapitre, la conclusion et l’exécution d’un contrat de transport ainsi que la fourniture d’informations et de billets sont régies par les dispositions des titres II et III de l’annexe I. »
13 L’article 9 dudit règlement, qui porte sur la disponibilité des billets, des billets directs et des réservations, dispose, à ses paragraphes 2 à 4 :
« 2. Sans préjudice du paragraphe 4, les entreprises ferroviaires délivrent les billets aux voyageurs via au moins un des canaux suivants :
a) guichets ou guichets automatiques ;
b) téléphone, internet ou toute autre technologie de l’information largement disponible ;
c) à bord des trains.
3. Sans préjudice des paragraphes 4 et 5, les entreprises ferroviaires délivrent des billets pour les services prévus dans le cadre de contrats de service public via au moins un des canaux suivants :
a) guichets ou guichets automatiques ;
b) à bord des trains.
4. Les entreprises ferroviaires offrent la possibilité d’obtenir des billets pour le service concerné à bord du train, à moins que cette possibilité ne soit limitée ou refusée pour des raisons liées à la sécurité ou à la lutte contre la fraude, des raisons de réservation obligatoire ou des motifs commerciaux raisonnables. »
14 L’annexe I du règlement no 1371/2007, intitulée « Extrait des règles uniformes concernant le contrat de transport international ferroviaire des voyageurs et des bagages (CIV) », est constituée des titres II à VII de l’appendice A de la convention relative aux transports internationaux ferroviaires (COTIF), du 9 mai 1980, telle que modifiée par le protocole portant modification de la COTIF du 3 juin 1999 (ci-après la « COTIF »). Dans cette annexe I figure ainsi le titre II de cet appendice,
intitulé « Conclusion et exécution du contrat de transport », qui contient les articles 6 à 11 dudit appendice.
15 L’article 6, intitulé « Contrat de transport », de l’appendice A de la COTIF prévoit :
« 1. Par le contrat de transport, le transporteur s’engage à transporter le voyageur ainsi que, le cas échéant, des bagages et des véhicules au lieu de destination et à livrer les bagages et les véhicules au lieu de destination.
2. Le contrat de transport doit être constaté par un ou plusieurs titres de transport remis au voyageur. Toutefois, sans préjudice de l’article 9, l’absence, l’irrégularité ou la perte du titre de transport n’affecte ni l’existence ni la validité du contrat, qui reste soumis aux présentes règles uniformes.
3. Le titre de transport fait foi, jusqu’à preuve du contraire, de la conclusion et du contenu du contrat de transport. »
16 L’article 7, qui porte sur le « Titre de transport », de cet appendice A dispose, à ses paragraphes 1 et 2 :
« 1. Les Conditions générales de transport déterminent la forme et le contenu des titres de transport ainsi que la langue et les caractères dans lesquels ils doivent être imprimés et remplis.
2. Doivent au moins être inscrits sur le titre de transport :
[...]
c) toute autre indication nécessaire pour prouver la conclusion et le contenu du contrat de transport et permettant au voyageur de faire valoir les droits résultant de ce contrat. »
17 L’article 8, paragraphe 1, dudit appendice A précise que, « [s]auf convention contraire entre le voyageur et le transporteur, le prix de transport est payable à l’avance ».
18 L’article 9 du même appendice A est intitulé « Droit au transport. Exclusion du transport ». Aux termes de son paragraphe 1 :
« Dès le commencement du voyage, le voyageur doit être muni d’un titre de transport valable et doit le présenter lors du contrôle des titres de transport. Les Conditions générales de transport peuvent prévoir :
a) qu’un voyageur qui ne présente pas un titre de transport valable doit payer, outre le prix de transport, une surtaxe ;
b) qu’un voyageur qui refuse le paiement immédiat du prix de transport ou de la surtaxe peut être exclu du transport ;
c) si et dans quelles conditions un remboursement de la surtaxe a lieu. »
Les litiges au principal et les questions préjudicielles
19 Au cours de l’année 2015, M. Kanyeba a fait l’objet de quatre constats aux termes desquels il est apparu qu’il avait effectué autant de trajets en train sans être muni d’un titre de transport (affaire C‑349/18), en violation des articles 156 à 160 des conditions de transport de la SNCB alors applicables. Au cours des années 2013 et 2015, cinq constats similaires ont été dressés à l’encontre de Mme Nijs (affaire C‑350/18). De même, au cours des années 2014 et 2015, M. Dedroog a fait l’objet de
onze constats similaires (affaire C‑351/18).
20 La SNCB a offert à chacune de ces personnes la possibilité de régulariser sa situation en s’acquittant soit immédiatement du prix du trajet, augmenté de la majoration dite de « tarif à bord », soit, dans les quatorze jours du constat de l’infraction, d’un montant forfaitaire de 75 euros ou, pour les infractions antérieures à l’année 2015, du prix du transport majoré de 60 euros. Après l’écoulement de ce délai de 14 jours, les défendeurs au principal avaient encore la possibilité de payer un
montant forfaitaire de 225 euros ou, pour les infractions antérieures à l’année 2015, le prix du transport majoré de 200 euros.
21 Aucun des défendeurs au principal n’ayant fait usage de ces possibilités, la SNCB les a assignés devant la juridiction de renvoi, à savoir le vredegerecht te Antwerpen (justice de paix d’Anvers, Belgique), afin de les voir condamnés à lui verser respectivement, dans les affaires C‑349/18 à C‑351/18, les sommes de 880,20 euros, de 1103,90 euros et de 2394 euros, majorées, dans chacun des cas, des dépens de l’instance. Dans le cadre de ces demandes, la SNCB fait valoir que les relations juridiques
entre elle et chacun des défendeurs au principal sont de nature non pas contractuelle, mais réglementaire, ceux-ci n’ayant pas acheté de titre de transport. Ces derniers n’ont pas comparu devant la juridiction de renvoi.
22 Cette juridiction estime que, au vu de la jurisprudence de la Cour, elle est tenue d’examiner d’office l’application des règles relatives aux clauses abusives si le service est fourni à un consommateur. Elle observe que, dans les affaires dont elle est saisie, sont en cause, d’une part, des « consommateurs », au sens de la théorie des clauses abusives, cette notion visant selon elle « toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale,
industrielle, artisanale ou libérale » et, d’autre part, une « entreprise » au sens de cette même théorie, en renvoyant à cet égard à un arrêt du Hof van Cassatie (Cour de cassation, Belgique). Elle indique être, par conséquent, tenue de poursuivre l’examen de l’application de ladite théorie et, à cet égard, s’interroge sur la nature de la relation juridique entre la SNCB et les défendeurs au principal ainsi que, par suite, sur le fait de savoir si un contrat de transport a été conclu ou non.
23 À cet égard, elle relève que le fondement juridique des conditions générales de transport de la SNCB, qui déterminent les droits et les obligations respectifs de celle-ci et des voyageurs, n’est pas clair. Selon une première thèse, il s’agirait de clauses purement contractuelles. Selon une seconde thèse, il s’agirait de règlements, au sens du droit administratif. Il existerait également une controverse, en droit belge, quant à la nature de la relation juridique entre la SNCB et le voyageur. Selon
une première thèse, cette relation serait toujours de nature contractuelle, même lorsque le voyageur ne dispose pas d’un titre de transport valable. Le simple fait de se rendre dans la zone où il faut être porteur d’un titre de transport ferait naître un contrat de transport, qui serait alors un pur contrat d’adhésion. Selon la seconde thèse, la relation serait contractuelle lorsque le voyageur s’est procuré un titre de transport, mais serait réglementaire en l’absence d’un tel titre. En effet,
il n’y aurait alors pas d’accord de volontés, le voyageur n’ayant pas l’intention de payer pour le transport et la société de transport n’ayant pas l’intention d’effectuer le transport sans contrepartie. La juridiction de renvoi indique que cette discussion ne semble plus d’actualité en droit belge, le Grondwettelijk Hof (Cour constitutionnelle, Belgique) et le Hof van Cassatie (Cour de cassation) ayant jugé que la théorie des clauses abusives s’applique également à une relation juridique
réglementaire.
24 La juridiction de renvoi relève cependant que la théorie des clauses abusives présuppose l’existence d’un contrat et estime que la notion de « contrat » est une notion de droit de l’Union. À cet égard, elle se réfère à l’article 9, paragraphe 4, du règlement no 1371/2007 et s’interroge sur le moment de la conclusion du contrat de transport, et plus précisément sur le fait de savoir si elle a lieu au moment de l’entrée dans la zone où il faut en principe être en possession d’un titre de transport
ou bien au moment de l’acquisition du titre de transport.
25 Elle estime, en outre, que la question de la naissance du contrat de transport devrait être mise en relation avec l’article 2, sous a), et l’article 3 de la directive 93/13. Dans les affaires dont elle est saisie, les conditions générales de transport de la SNCB, qu’elles soient de nature contractuelle ou réglementaire, devraient être considérées comme des conditions n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle au sens de cette dernière disposition.
26 Eu égard à ces considérations, elle s’interroge sur le fait de savoir si une relation juridique contractuelle naît toujours entre une société de transport et un voyageur, quand bien même ce voyageur utilise les services de ce transporteur sans se procurer de titre de transport. Si tel devait ne pas être le cas, elle se demande si la théorie des clauses abusives s’applique au voyageur qui emprunte les transports publics sans s’être procuré de titre de transport.
27 Dans l’hypothèse où la Cour considérerait que les conditions générales de transport de la SNCB doivent être examinées au regard de la théorie des clauses abusives, la juridiction de renvoi fait observer que, en droit belge, une clause abusive trouve sa sanction dans sa nullité et que, selon la jurisprudence de la Cour, le droit de l’Union s’oppose, en substance, à ce que le juge national qui constate la nullité d’une clause abusive dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur
complète ce contrat en révisant le contenu de cette clause. La doctrine belge aurait cependant critiqué cette interdiction d’un effet supplétif du droit commun comme étant insuffisamment nuancée. Cette juridiction se demande donc s’il peut exister des circonstances dans lesquelles le professionnel dispose d’un intérêt à ce qu’une clause soit maintenue, mais dans lesquelles le consommateur a intérêt à ce que sa portée soit modérée par le juge et, dans un tel cas, si ces circonstances peuvent être
définies de manière abstraite.
28 C’est dans ces conditions que le vredegerecht te Antwerpen (justice de paix d’Anvers) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes, libellées de manière identique dans chacune des affaires jointes :
« 1) L’article 9, paragraphe 4, du [règlement no 1371/2007], lu en combinaison avec l’article 2, sous a), et l’article 3 de la directive 93/13, doit-il être interprété en ce sens qu’une relation juridique contractuelle naît toujours entre la société de transport et le voyageur, quand bien même ce dernier utiliserait les services du transporteur sans se procurer de titre de transport ?
2) Si la question précédente appelle une réponse négative, la protection conférée par la théorie des clauses abusives s’étend-elle également au voyageur qui utilise les transports publics sans s’être procuré de titre de transport et qui, en agissant de la sorte, est tenu de payer un supplément en sus du prix du transport, conformément aux conditions générales du transporteur, considérées comme d’application générale sur le fondement de leur nature réglementaire ou de leur communication dans une
publication officielle de l’État ?
3) L’article 6 de la directive 93/13, qui dispose que “[l]es États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives”, s’oppose-t-il en tout état de cause à ce que le juge modère la clause jugée abusive ou bien à ce qu’il
y substitue le droit commun ?
4) Si la question précédente appelle une réponse négative, quelles sont les circonstances dans lesquelles le juge national peut procéder à la modération de la clause jugée abusive ou bien y substituer le droit commun [?]
5) S’il ne peut pas être répondu in abstracto aux questions qui précèdent, la question se pose de savoir si, dans le cas où, après avoir pris sur le fait un resquilleur, la société ferroviaire nationale le sanctionne au civil au moyen d’un supplément, en sus ou non du prix du trajet, et où le juge constate que le supplément infligé est abusif, au sens de l’article 2, sous a), de la directive 93/13, lu en combinaison avec l’article 3 de cette directive, l’article 6 de ladite directive s’oppose à
ce que le juge annule la clause et applique le droit commun de la responsabilité pour indemniser le dommage subi par cette société ferroviaire nationale. »
La procédure devant la Cour
29 Par décision du président de la Cour du 11 juillet 2018, les affaires C‑349/18 à C‑351/18 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et de l’arrêt.
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
30 À titre liminaire, il convient de relever, d’une part, que, par sa première question, la juridiction de renvoi cherche à obtenir une interprétation de l’article 9, paragraphe 4, du règlement no 1371/2007 à la lumière de la directive 93/13. Ce règlement ne contient cependant aucun renvoi à la directive 93/13. De plus, il ressort d’une comparaison de leurs articles 1ers respectifs que ce règlement et cette directive ont des objets différents. Partant, les dispositions de la directive 93/13 ne
sauraient être pertinentes pour l’interprétation du règlement no 1371/2007 (voir, par analogie, arrêts du 9 septembre 2004, Meiland Azewijn, C‑292/02, EU:C:2004:499, point 40 ; du 15 décembre 2011, Møller, C‑585/10, EU:C:2011:847, points 37 et 38, ainsi que du 11 septembre 2014, Commission/Allemagne, C‑525/12, EU:C:2014:2202, point 40).
31 D’autre part, si, par cette première question, la juridiction de renvoi s’interroge sur l’interprétation de l’article 9, paragraphe 4, du règlement no 1371/2007, il convient d’observer que cette disposition est relative à la possibilité qui doit en principe être offerte par les entreprises ferroviaires d’obtenir des billets pour le service concerné à bord du train. Toutefois, il ressort des décisions de renvoi que c’est non pas tant cette possibilité qui est en cause dans les affaires au
principal, mais le fait de savoir si un voyageur effectuant un trajet en train sans s’être procuré de billet doit être considéré comme étant, du fait de sa montée à bord du train, entré dans une relation contractuelle avec l’entreprise ferroviaire, au sens de ce règlement. Ce n’est donc pas cet article 9, paragraphe 4, en tant que tel, qui doit être interprété aux fins des litiges au principal.
32 Il résulte cependant d’une jurisprudence constante de la Cour que, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises. La circonstance qu’une juridiction nationale a, sur un plan formel, formulé
une question préjudicielle en se référant à certaines dispositions du droit de l’Union ne fait pas obstacle à ce que la Cour fournisse à cette juridiction tous les éléments d’interprétation qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, qu’elle y ait fait référence ou non dans l’énoncé de ses questions. Il appartient, à cet égard, à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi,
les éléments du droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige (arrêt du 27 juin 2017, Congregación de Escuelas Pías Provincia Betania, C‑74/16, EU:C:2017:496, point 36 et jurisprudence citée).
33 Eu égard à ces considérations et aux motifs des demandes de décision préjudicielle, il convient de comprendre que, par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, point 8, du règlement no 1371/2007 doit être interprété en ce sens qu’une situation dans laquelle un voyageur monte à bord d’un train en vue d’effectuer un trajet sans s’être procuré de billet relève de la notion de « contrat de transport », au sens de cette disposition.
34 Aux termes de l’article 3, point 8, du règlement no 1371/2007, la notion de « contrat de transport », aux fins de ce règlement, vise « un contrat de transport à titre onéreux ou gratuit entre une entreprise ferroviaire ou un vendeur de billets et le voyageur en vue de la fourniture d’un ou de plusieurs services de transport ».
35 Il importe de rappeler que, pour l’interprétation d’une disposition de droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêts du 7 juin 2005, VEMW e.a., C‑17/03, EU:C:2005:362, point 41 ainsi que jurisprudence citée, et du 22 novembre 2012, Westbahn Management, C‑136/11, EU:C:2012:740, point 33 ainsi que jurisprudence citée).
36 S’agissant du libellé de l’article 3, point 8, du règlement no 1371/2007, il convient de relever, d’une part, que le terme « contrat », dans son sens courant, désigne un accord de volontés concordantes destiné à produire des effets juridiques. D’autre part, dans le cadre du domaine régi par ce règlement et eu égard au libellé de cette disposition, cet effet consiste principalement en l’obligation pour l’entreprise ferroviaire de fournir au voyageur un ou plusieurs services de transport et en
l’obligation pour le voyageur de s’acquitter du paiement du prix, à moins que le service de transport ne soit fourni à titre gratuit.
37 Il résulte ainsi des constatations du point précédent que, d’un côté, en laissant un libre accès à son train, et, d’un autre côté, en montant à bord de celui-ci en vue d’effectuer un trajet, tant l’entreprise ferroviaire que le voyageur manifestent leurs volontés concordantes d’entrer dans une relation contractuelle, de sorte que les conditions nécessaires pour établir l’existence d’un contrat de transport sont, en principe, satisfaites. Le libellé de l’article 3, paragraphe 8, du règlement
no 1371/2007 ne permet toutefois pas de déterminer si la détention, par le voyageur, d’un billet est un élément indispensable pour pouvoir considérer qu’il existe un « contrat de transport », au sens de cette disposition.
38 S’agissant du contexte dans lequel s’insère l’article 3, point 8, du règlement no 1371/2007, il y a lieu de relever, en premier lieu, que les termes « contrat de transport » figurent dans plusieurs autres dispositions de ce règlement.
39 Ainsi, l’article 3, point 10, dudit règlement définit la notion de « billet direct » comme visant « un ou plusieurs billets représentant un contrat de transport portant sur la prestation de services ferroviaires successifs par une ou plusieurs entreprises ferroviaires ».
40 L’article 4 du même règlement, qui porte spécifiquement sur le « contrat de transport », prévoit quant à lui que, « [s]ous réserve des dispositions du [chapitre II du règlement no 1371/2007], la conclusion et l’exécution d’un contrat de transport ainsi que la fourniture d’informations et de billets sont régies par les dispositions des titres II et III de l’annexe I » de ce règlement.
41 À cet égard, dans cette annexe I du règlement no 1371/2007 est notamment reproduit le titre II de l’appendice A de la COTIF, relatif à la conclusion et à l’exécution du contrat de transport. Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de cet appendice, « [p]ar le contrat de transport, le transporteur s’engage à transporter le voyageur ainsi que, le cas échéant, des bagages et des véhicules au lieu de destination et à livrer des bagages et les véhicules au lieu de destination », le paragraphe 2 de
cet article 6 précisant que le contrat de transport doit être constaté par un ou plusieurs titres de transport remis au voyageur et que, sans préjudice de l’article 9 dudit appendice, l’absence, l’irrégularité ou la perte du titre de transport n’affecte ni l’existence ni la validité du contrat, qui reste soumis aux règles uniformes établies par la COTIF. L’article 6, paragraphe 3, du même appendice ajoute que le titre de transport fait foi, jusqu’à preuve du contraire, de la conclusion et du
contenu du contrat de transport.
42 De plus, l’article 7 de l’appendice A de la COTIF prévoit, à son paragraphe 1, que les conditions générales de transport déterminent, notamment, la forme et le contenu des titres de transport et, à son paragraphe 2, sous c), que doit notamment être inscrite sur le titre de transport toute indication nécessaire pour prouver la conclusion et le contenu du contrat de transport et permettant au voyageur de faire valoir les droits résultant de ce contrat.
43 À cet égard, il importe de souligner également qu’il ressort de l’article 9, paragraphes 2 et 3, du règlement no 1371/2007 que, sans préjudice du paragraphe 4 de cet article, les entreprises ferroviaires sont tenues de délivrer les billets aux voyageurs au moyen d’au moins l’un de trois – ou de deux s’il s’agit de billets pour les services prévus dans le cadre de contrats de service public – des canaux de distribution que ces dispositions énumèrent, parmi lesquels figurent la délivrance à bord
des trains.
44 En second lieu, il convient de relever qu’il ressort de l’article 8, paragraphe 1, de l’appendice A de la COTIF, figurant à l’annexe I de ce règlement, que ce n’est qu’en l’absence de convention contraire entre le voyageur et le transporteur que le prix du transport est payable à l’avance.
45 De plus, certes, l’article 9 de cet appendice A, sous la réserve duquel l’article 6 de celui-ci s’applique, prévoit, à son paragraphe 1, première phrase, que, dès le commencement du voyage, le voyageur doit être muni d’un titre de transport valable et doit le présenter lors du contrôle des titres de transport. Toutefois, cet article 9 précise, dans sa seconde phrase, respectivement sous a) et sous b), que les conditions générales de transport peuvent prévoir qu’un voyageur qui ne présente pas un
titre de transport valable doit payer, outre le prix de transport, une surtaxe, et qu’un voyageur qui refuse le paiement immédiat du prix de transport ou de la surtaxe peut être exclu du transport.
46 Or, selon l’article 3, point 16, du règlement no 1371/2007, la notion de « conditions générales de transport », aux fins de ce règlement, vise « les conditions du transporteur, qui se présentent sous la forme de conditions générales ou de tarifs juridiquement applicables dans chaque État membre et qui, par la conclusion du contrat de transport, sont devenues partie intégrante de celui-ci », le « transporteur » étant défini par l’article 3, point 2, de ce règlement comme « l’entreprise ferroviaire
contractuelle avec laquelle le voyageur a conclu le contrat de transport ou une série d’entreprises ferroviaires successives qui sont responsables en vertu de ce contrat ».
47 Dans la mesure où un voyageur qui ne présente pas de titre de transport valable ou refuse le paiement immédiat du titre de transport peut ainsi se voir opposer, en vertu de l’article 9 de l’appendice A de la COTIF, figurant à l’annexe I du règlement no 1371/2007, les conditions générales de transport, et dans la mesure où celles-ci, selon l’article 3, point 16, de ce règlement, lu en combinaison avec l’article 3, point 2, de celui-ci, deviennent, aux fins dudit règlement, partie intégrante du
contrat de transport entre l’entreprise ferroviaire et le voyageur par la conclusion de celui-ci, il en résulte qu’une telle entreprise qui laisse un libre accès à ses trains et un voyageur qui monte à bord d’un tel train en vue d’effectuer un trajet doivent être considérées comme étant parties à un « contrat de transport », au sens du même règlement, dès que ce voyageur se trouve ainsi à bord du train. En effet, dans le cas contraire, ledit voyageur ne saurait, sur la base du règlement
no 1371/2007, se voir opposer ces conditions générales de transport.
48 Il découle ainsi clairement de ces éléments de contexte que le billet, aussi désigné, dans cet appendice A, par les termes « titre de transport », n’est que l’instrument qui matérialise le contrat de transport, au sens du règlement no 1371/2007.
49 Le libellé de l’article 3, point 8, du règlement no 1371/2007 et le contexte dans lequel s’insère cette disposition conduisent, par conséquent, à considérer que la notion de « contrat de transport », au sens de ladite disposition, doit, aux fins de ce règlement, s’entendre comme étant indépendante de la détention, par le voyageur, d’un billet et en ce sens qu’elle englobe une situation dans laquelle un voyageur monte à bord d’un train librement accessible en vue d’effectuer un trajet sans s’être
procuré de billet.
50 Cette interprétation est confortée par les objectifs poursuivis par le règlement no 1371/2007. D’une part, aux termes de son article 1er, sous a), ce règlement a notamment pour objet d’établir des règles en ce qui concerne la conclusion de contrats de transport. D’autre part, le considérant 1 dudit règlement souligne notamment que, dans le cadre de la politique commune des transports, il importe de sauvegarder les droits des voyageurs ferroviaires. De plus, il ressort du considérant 2 du même
règlement qu’un niveau élevé de protection des consommateurs dans le domaine des transports doit être atteint et, selon le considérant 3 de celui-ci, le voyageur ferroviaire étant la partie faible du contrat de transport, il convient de sauvegarder ses droits à cet égard.
51 Il serait contraire à ces objectifs de considérer que la notion de « contrat de transport », au sens du règlement no 1371/2007, doit être interprétée en ce sens qu’elle n’englobe pas une situation dans laquelle un voyageur monte à bord d’un train librement accessible en vue d’effectuer un trajet sans s’être procuré de billet. En effet, s’il était permis de considérer qu’un tel voyageur peut, au seul motif qu’il ne dispose pas d’un billet lorsqu’il monte à bord du train, être considéré comme
n’étant pas partie à une relation contractuelle avec l’entreprise ferroviaire ayant laissé ses trains en libre accès, ce voyageur pourrait, pour des circonstances qui ne lui sont pas imputables, être privé des droits que ce règlement attache à la conclusion d’un contrat de transport, ce qui heurterait l’objectif de protection des voyageurs ferroviaires poursuivi par ledit règlement et rappelé aux considérants 1 à 3 de celui-ci.
52 Par ailleurs, en l’absence de dispositions à cet égard dans le règlement no 1371/2007, une telle interprétation est sans préjudice de la validité de ce contrat ou des conséquences pouvant être attachées à l’inexécution, par l’une des parties, de ses obligations contractuelles, lesquelles, en l’absence de disposition à cet égard dans ce règlement, demeurent régies par le droit national applicable.
53 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 3, point 8, du règlement no 1371/2007 doit être interprété en ce sens qu’une situation dans laquelle un voyageur monte à bord d’un train librement accessible en vue d’effectuer un trajet sans s’être procuré de billet relève de la notion de « contrat de transport », au sens de cette disposition.
Sur la deuxième question
54 Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la deuxième question.
Sur les troisième et cinquième questions
55 Par ses troisième et cinquième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un juge national qui constate le caractère abusif d’une clause pénale prévue dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur modère le montant de la pénalité mise par cette clause à la charge de ce consommateur ou substitue à ladite clause une
disposition de droit national à caractère supplétif. Dans ce contexte, cette juridiction s’interroge également sur le fait de savoir si la directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, le juge national fasse, par ailleurs, application des dispositions de son droit national relatives à la responsabilité extracontractuelle.
56 À cet égard, il convient de relever, à titre liminaire, que, en l’occurrence, selon les indications contenues dans les demandes de décision préjudicielle, la clause pénale que la juridiction de renvoi pourrait, le cas échéant, déclarer abusive fait partie des conditions générales de transport de la SNCB, à propos desquelles cette juridiction précise qu’elles sont « considérées comme d’application générale sur le fondement de leur nature réglementaire » et qu’elles font l’objet d’une
« communication dans une publication officielle de l’État ».
57 Eu égard à ces précisions, il y a lieu de rappeler que, conformément à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13, les clauses contractuelles qui reflètent, notamment, des dispositions législatives ou réglementaires impératives ne sont pas soumises aux dispositions de celle-ci.
58 Selon une jurisprudence constante de la Cour, ainsi qu’il ressort du treizième considérant de la directive 93/13, l’exclusion prévue à l’article 1er, paragraphe 2, de celle-ci s’étend aux dispositions de droit national qui s’imposent aux parties contractantes indépendamment de leur choix et à celles qui sont applicables par défaut, c’est-à-dire en l’absence d’un arrangement différent par les parties à cet égard, ainsi qu’aux clauses contractuelles reflétant lesdites dispositions (voir, en ce
sens, arrêts du 21 mars 2013, RWE Vertrieb, C‑92/11, EU:C:2013:180, point 26 ; du 30 avril 2014, Barclays Bank, C‑280/13, EU:C:2014:279, points 30, 31 et 42, ainsi que ordonnance du 7 décembre 2017, Woonhaven Antwerpen, C‑446/17, non publiée, EU:C:2017:954, point 25).
59 Cette exclusion est justifiée par le fait qu’il est, en principe, légitime de présumer que le législateur national a établi un équilibre entre l’ensemble des droits et des obligations des parties à certains contrats, équilibre que le législateur de l’Union a explicitement entendu préserver (voir, en ce sens, arrêt du 30 avril 2014, Barclays Bank, C‑280/13, EU:C:2014:279, point 41 et jurisprudence citée, ainsi que ordonnance du 7 décembre 2017, Woonhaven Antwerpen, C‑446/17, non publiée,
EU:C:2017:954, point 26).
60 Cette exclusion du champ d’application de la directive 93/13 suppose ainsi, selon la jurisprudence de la Cour, la réunion de deux conditions. D’une part, la clause contractuelle doit refléter une disposition législative ou réglementaire et, d’autre part, cette disposition doit être impérative (arrêts du 10 septembre 2014, Kušionová, C‑34/13, EU:C:2014:2189, point 78, ainsi que du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a., C‑186/16, EU:C:2017:703, point 28).
61 Par ailleurs, il ressort, en substance, de la jurisprudence de la Cour que ladite exclusion couvre les dispositions législatives ou réglementaires impératives autres que celles relatives à l’étendue des pouvoirs du juge national pour apprécier le caractère abusif d’une clause contractuelle (voir, en ce sens, arrêts du 30 avril 2014, Barclays Bank, C‑280/13, EU:C:2014:279, points 39 et 40 ainsi que jurisprudence citée, et du 7 août 2018, Banco Santander et Escobedo Cortés, C‑96/16 et C‑94/17,
EU:C:2018:643, point 44).
62 La vérification de la réunion de ces conditions relève de la compétence de la juridiction nationale dans chaque cas d’espèce (voir, en ce sens, arrêts du 30 mai 2013, Asbeek Brusse et de Man Garabito, C‑488/11, EU:C:2013:341, point 33, ainsi que du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a., C‑186/16, EU:C:2017:703, point 29 ainsi que jurisprudence citée).
63 En procédant à cette vérification, cette juridiction doit tenir compte du fait que, eu égard en particulier à l’objectif de la directive 93/13, à savoir la protection des consommateurs contre les clauses abusives insérées dans les contrats conclus avec ces derniers par les professionnels, l’exception instituée à l’article 1er, paragraphe 2, de cette directive est d’interprétation stricte (voir, en ce sens, arrêts du 10 septembre 2014, Kušionová, C‑34/13, EU:C:2014:2189, point 77, ainsi que du
20 septembre 2018, OTP Bank et OTP Faktoring, C‑51/17, EU:C:2018:750, point 54 ainsi que jurisprudence citée).
64 Cela étant précisé, il appartient à la Cour de procéder à l’analyse des troisième et cinquième questions en se fondant sur la prémisse, dont il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier l’exactitude, que la clause que celle-ci envisage de déclarer abusive n’échappe pas au champ d’application de la directive 93/13 en vertu de son article 1er, paragraphe 2.
65 Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives.
66 La Cour a interprété cette disposition en ce sens que le juge national doit tirer toutes les conséquences qui, selon le droit national, découlent de la constatation du caractère abusif de la clause en cause afin de s’assurer que le consommateur n’est pas lié par celle-ci. À cet égard, la Cour a précisé que, lorsque le juge national considère une clause contractuelle comme abusive, il est tenu d’en écarter l’application afin qu’elle ne produise pas d’effets contraignants à l’égard du consommateur,
sauf si le consommateur s’y oppose (voir, en ce sens, arrêts du 30 mai 2013, Asbeek Brusse et de Man Garabito, C‑488/11, EU:C:2013:341, point 49 ainsi que jurisprudence citée, et du 26 mars 2019, Abanca Corporación Bancaria et Bankia, C‑70/17 et C‑179/17, EU:C:2019:250, point 52).
67 La Cour a également déjà jugé que, lorsque le juge national constate la nullité d’une clause abusive dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une règle de droit national qui permet au juge national de compléter le contrat en révisant le contenu de cette clause (arrêts du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai, C‑26/13, EU:C:2014:282, point 77 ainsi que jurisprudence citée,
et du 26 mars 2019, Abanca Corporación Bancaria et Bankia, C‑70/17 et C‑179/17, EU:C:2019:250, point 53). En particulier, la Cour a jugé que cette disposition ne peut être interprétée comme permettant au juge national, dans le cas où il constate le caractère abusif d’une clause pénale dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, de réduire le montant de la pénalité mise à la charge du consommateur au lieu d’écarter entièrement l’application de la clause en cause à l’égard de
ce dernier (arrêts du 30 mai 2013, Asbeek Brusse et de Man Garabito, C‑488/11, EU:C:2013:341, point 59, ainsi que du 21 janvier 2015, Unicaja Banco et Caixabank, C‑482/13, C‑484/13, C‑485/13 et C‑487/13, EU:C:2015:21, point 29).
68 Le contrat doit ainsi subsister, en principe, sans aucune autre modification que celle résultant de la suppression des clauses abusives, dans la mesure où, conformément aux règles du droit interne, une telle persistance du contrat est juridiquement possible (arrêts du 30 mai 2013, Asbeek Brusse et de Man Garabito, C‑488/11, EU:C:2013:341, point 57 ainsi que jurisprudence citée, et du 21 janvier 2015, Unicaja Banco et Caixabank, C‑482/13, C‑484/13, C‑485/13 et C‑487/13, EU:C:2015:21, point 28).
69 S’il était loisible au juge national de réviser le contenu des clauses abusives figurant dans un tel contrat, une telle faculté serait susceptible de porter atteinte à la réalisation de l’objectif à long terme visé à l’article 7 de la directive 93/13. En effet, cette faculté contribuerait à éliminer l’effet dissuasif exercé sur les professionnels par la pure et simple non-application à l’égard du consommateur de telles clauses abusives, dans la mesure où ceux-ci demeureraient tentés d’utiliser
lesdites clauses en sachant que, même si celles-ci devaient être invalidées, le contrat pourrait néanmoins être complété, dans la mesure nécessaire, par le juge national de sorte à garantir ainsi l’intérêt desdits professionnels (arrêts du 30 mai 2013, Asbeek Brusse et de Man Garabito, C‑488/11, EU:C:2013:341, point 58, ainsi que du 26 mars 2019, Abanca Corporación Bancaria et Bankia, C‑70/17 et C‑179/17, EU:C:2019:250, point 54 ainsi que jurisprudence citée).
70 Par ailleurs, il est vrai que la Cour a admis une exception à ce principe en jugeant que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 ne s’opposerait pas à ce que le juge national, en application de principes du droit des contrats, supprime la clause abusive en lui substituant une disposition de droit national à caractère supplétif, à la condition que cette substitution soit conforme à l’objectif de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 et permette de restaurer un équilibre réel
entre les droits et les obligations des cocontractants de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers. Toutefois, la Cour a limité cette possibilité aux hypothèses dans lesquelles l’invalidation de la clause abusive obligerait le juge national à annuler le contrat dans son ensemble, exposant par là le consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables, de sorte que ce dernier en serait pénalisé (voir, en ce sens, arrêts du 21 janvier 2015, Unicaja Banco et Caixabank, C‑482/13,
C‑484/13, C‑485/13 et C‑487/13, EU:C:2015:21 point 33 ainsi que jurisprudence citée, et du 26 mars 2019, Abanca Corporación Bancaria et Bankia, C‑70/17 et C‑179/17, EU:C:2019:250, points 56 et 57).
71 Cependant, dans les affaires au principal, et sous réserve des vérifications à effectuer à cet égard par la juridiction de renvoi, il n’apparaît pas que l’invalidation éventuelle de la clause pénale en cause serait de nature à entraîner l’annulation des contrats dans leur ensemble et à exposer ainsi les consommateurs à des conséquences particulièrement préjudiciables.
72 Quant au point de savoir si, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, il serait possible, pour la juridiction de renvoi, de faire, par ailleurs, application des règles de son droit national relatives à la responsabilité extracontractuelle, il suffit de relever que la directive 93/13 a, aux termes de son article 1er, paragraphe 1, pour objet de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans
les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur et qu’elle ne contient aucune disposition relative à la responsabilité extracontractuelle.
73 Partant, la question de savoir si des circonstances telles que celles en cause au principal sont, par ailleurs, susceptibles de relever du droit de la responsabilité extracontractuelle relève non pas de la directive 93/13, mais du droit national. Par suite, il n’y a pas lieu de l’examiner dans le cadre des présentes demandes de décision préjudicielle.
74 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux troisième et cinquième questions que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose, d’une part, à ce qu’un juge national qui constate le caractère abusif d’une clause pénale prévue dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur modère le montant de la pénalité mise par cette clause à la charge de ce consommateur et, d’autre part, à ce qu’un juge
national substitue à ladite clause, en application de principes de son droit des contrats, une disposition de droit national à caractère supplétif, sauf si le contrat en cause ne peut pas subsister en cas de suppression de la clause abusive et si l’annulation du contrat dans son ensemble expose le consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables.
Sur la quatrième question
75 Eu égard à la réponse apportée aux troisième et cinquième questions, il n’y a pas lieu de répondre à la quatrième question.
Sur les dépens
76 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :
1) L’article 3, point 8, du règlement (CE) no 1371/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2007, sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires, doit être interprété en ce sens qu’une situation dans laquelle un voyageur monte à bord d’un train librement accessible en vue d’effectuer un trajet sans s’être procuré de billet relève de la notion de « contrat de transport », au sens de cette disposition.
2) L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose, d’une part, à ce qu’un juge national qui constate le caractère abusif d’une clause pénale prévue dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur modère le montant de la pénalité mise par cette clause à la charge de ce consommateur et, d’autre part, à ce qu’un juge
national substitue à ladite clause, en application de principes de son droit des contrats, une disposition de droit national à caractère supplétif, sauf si le contrat en cause ne peut pas subsister en cas de suppression de la clause abusive et si l’annulation du contrat dans son ensemble expose le consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le néerlandais.